DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (deuxième chambre)

1er décembre 2021 (*)

« Dessin ou modèle communautaire – Procédure de nullité – Dessin ou modèle communautaire enregistré représentant une tête de poupée – Dessin ou modèle antérieur – Motif de nullité – Absence de caractère individuel – Degré de liberté du créateur – Absence d’impression globale différente – Article 6 et article 25, paragraphe 1, sous b), du règlement (CE) no 6/2002 »

Dans l’affaire T‑84/21,

Jieyang Defa Industry Co. Ltd, établie à Jieyang (Chine), représentée par Mes C. Bercial Arias et F. Codevelle, avocates,

partie requérante,

contre

Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), représenté par M. A. Folliard-Monguiral, en qualité d’agent,

partie défenderesse,

l’autre partie à la procédure devant la chambre de recours de l’EUIPO, intervenant devant le Tribunal, étant

Mattel, Inc., établie à El Segundo, Californie (États-Unis), représentée par Mes A. Pompe-Ciszewska et P. Mleczak, avocates,

ayant pour objet un recours formé contre la décision de la troisième chambre de recours de l’EUIPO du 14 décembre 2020 (affaire R 2021/2019‑3), relative à une procédure de nullité entre Mattel et Jieyang Defa Industry Co.,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre),

composé de Mme V. Tomljenović (rapporteure), présidente, M. F. Schalin et Mme P. Škvařilová‑Pelzl, juges,

greffier : M. E. Coulon,

vu la requête déposée au greffe du Tribunal le 9 février 2021,

vu le mémoire en réponse de l’EUIPO déposé au greffe du Tribunal le 28 avril 2021,

vu le mémoire en réponse de l’intervenante déposé au greffe du Tribunal le 22 avril 2021,

vu l’absence de demande de fixation d’une audience présentée par les parties dans le délai de trois semaines à compter de la signification de la clôture de la phase écrite de la procédure et ayant décidé, en application de l’article 106, paragraphe 3, du règlement de procédure du Tribunal, de statuer sans phase orale de la procédure,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        Le 7 mai 2014, la requérante, Jieyang Defa Industry Co. Ltd, a présenté une demande d’enregistrement d’un dessin ou modèle communautaire à l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), en vertu du règlement (CE) no 6/2002 du Conseil, du 12 décembre 2001, sur les dessins ou modèles communautaires (JO 2002, L 3, p. 1). Elle a revendiqué une priorité sur la base de la demande allemande no 402013101117.3, déposée le 14 novembre 2013.

2        Le dessin ou modèle communautaire dont l’enregistrement a été demandé et qui est contesté en l’espèce est représenté dans les vues suivantes :

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3        Les produits dans lesquels le dessin ou modèle contesté est destiné à être incorporé relèvent de la classe 21.01 au sens de l’arrangement de Locarno du 8 octobre 1968 instituant une classification internationale pour les dessins et modèles industriels, tel que modifié, et correspondent, à la description suivante : « Têtes de poupées, têtes de poupées ».

4        Le dessin ou modèle contesté a été enregistré le 7 mai 2014 en tant que dessin ou modèle communautaire sous le numéro 2459701‑0001 et publié au Bulletin des dessins ou modèles communautaires no 87/2014, du 13 mai 2014.

5        Le 4 août 2017, l’intervenante, Mattel, Inc., a introduit, en vertu de l’article 52 du règlement no 6/2002, une demande de nullité du dessin ou modèle contesté.

6        Les motifs invoqués à l’appui de la demande en nullité étaient ceux visés à l’article 25, paragraphe 1, sous b), du règlement no 6/2002, lu en combinaison avec les articles 4 à 6 du même règlement.

7        À l’appui de sa demande en nullité, l’intervenante a soutenu que le dessin ou modèle contesté était dépourvu de nouveauté et de caractère individuel par rapport aux dessins ou modèles antérieurs Poupée Defa et Sculpture Barbie CEO. À titre de preuve de la divulgation du dessin ou modèle antérieur Sculpture Barbie CEO, l’intervenante a notamment produit une copie d’un catalogue polonais de 78 pages, intitulé « Barbie KATALOG Jesień/Zima 2008 » (catalogue Barbie, automne/hiver 2008) de la société Mattel Poland Sp. z o.o., incluant notamment l’image suivante :

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8        Le 10 juillet 2019, la division d’annulation a fait droit à la demande en nullité et a déclaré nul le dessin ou modèle contesté. Elle a considéré que ce dessin ou modèle était dépourvu de caractère individuel par rapport au dessin ou modèle antérieur Sculpture Barbie CEO.

9        Le 10 septembre 2019, la requérante a formé un recours auprès de l’EUIPO, au titre des articles 55 à 60 du règlement no 6/2002, contre la décision de la division d’annulation.

10      Par décision du 14 décembre 2020 (ci-après la « décision attaquée »), la troisième chambre de recours de l’EUIPO a rejeté le recours. En substance, elle a considéré que le dessin ou modèle contesté était dépourvu de caractère individuel et que l’impression globale produite sur l’utilisateur averti par les deux dessins ou modèles était la même.

11      Premièrement, la chambre de recours a estimé que les éléments de preuve produits par l’intervenante comprenant notamment le catalogue polonais de 2008 (voir point 7 ci-dessus) étaient distribués et que, par conséquent, le dessin ou modèle figurant dans ce catalogue avait été publié au sens de l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 6/2002.

12      Deuxièmement, la chambre de recours a considéré que le créateur bénéficiait d’un large degré de liberté dans l’élaboration des têtes de poupées et que cette liberté n’était limitée que dans la mesure où lesdites têtes devaient suivre les caractéristiques de base d’un être humain.

13      Troisièmement, la chambre de recours a estimé que, étant donné que la tête de poupée faisait partie intégrante d’une poupée, l’utilisateur averti en l’espèce serait tout membre du grand public, par exemple un enfant ou un adulte qui achèterait la poupée pour son enfant ou comme un objet de collection.

14      Quatrièmement, la chambre de recours a considéré que l’attention de l’utilisateur averti serait attirée par le fait que les deux dessins ou modèles présentaient une tête de poupée dont le visage avait une forme ovale ainsi que des caractéristiques et des proportions identiques, un maquillage très similaire et une expression identique. Ainsi, compte tenu de la grande liberté dont bénéficiait le créateur, les différences existant entre lesdits dessins ou modèles en conflit ne seraient pas suffisamment marquées pour produire une impression globale différente.

 Conclusions des parties

15      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        condamner l’EUIPO et l’intervenante aux dépens.

16      L’EUIPO et l’intervenante concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

17      La requérante invoque en substance un moyen unique, tiré de la violation de l’article 25, paragraphe 1, sous b), du règlement no 6/2002 lu en combinaison avec les articles 4 et 6 du même règlement.

18      La requérante soutient que la chambre de recours a conclu à tort que le dessin ou modèle contesté était dépourvu de caractère distinctif du fait de la divulgation du dessin ou modèle antérieur et que les différences existant entre les dessins ou modèles en conflit n’étaient pas déterminantes dans l’appréciation du caractère individuel du dessin ou modèle contesté. En particulier, la requérante fait valoir que, au-delà du fait que les dessins ou modèles en conflit concernent tous les deux des poupées maquillées représentant une jeune femme, les traits du visage des dessins ou modèles sont suffisamment différents pour produire une impression globale différente sur l’utilisateur averti. Selon la requérante, l’expression du visage du dessin ou modèle contesté serait complètement différente de celle du visage de la « poupée Barbie ». De surcroît, la chambre de recours n’aurait pas tenu compte de toutes les vues protégées par le dessin ou modèle contesté. De même, la requérante soutient que la liberté du créateur en l’espèce est limitée en raison de la nécessité de répondre aux préférences du marché en ce qui concerne la commercialisation.

19      L’EUIPO et l’intervenante contestent les allégations de la requérante.

20      En vertu de l’article 25, paragraphe 1, sous b), du règlement no 6/2002, un dessin ou modèle communautaire ne peut être déclaré nul que si, notamment, il ne remplit pas les conditions fixées aux articles 4 à 9 du même règlement.

21      Aux termes de l’article 4, paragraphe 1, du règlement no 6/2002, la protection d’un dessin ou modèle par un dessin ou modèle communautaire n’est assurée que dans la mesure où il est nouveau et présente un caractère individuel. Selon l’article 6, paragraphe 1, sous b), du même règlement, un dessin ou modèle est considéré comme présentant un caractère individuel si l’impression globale qu’il produit sur l’utilisateur averti diffère de celle que produit sur un tel utilisateur tout dessin ou modèle qui a été divulgué au public avant la date de dépôt de la demande d’enregistrement ou, si une priorité est revendiquée, avant la date de priorité. L’article 6, paragraphe 2, de ce règlement ajoute que, pour apprécier ce caractère individuel, il est tenu compte du degré de liberté du créateur dans l’élaboration du dessin ou modèle. Le considérant 14 dudit règlement précise que, lors de l’appréciation du caractère individuel d’un dessin ou modèle par rapport au patrimoine des dessins ou modèles, il convient de tenir compte de la nature du produit auquel le dessin ou modèle s’applique ou dans lequel celui-ci est incorporé et, notamment, du secteur industriel dont il relève.

22      Selon la jurisprudence, il ressort des dispositions qui précèdent que l’appréciation du caractère individuel d’un dessin ou modèle communautaire procède, en substance, d’un examen en quatre étapes. Cet examen consiste à déterminer, premièrement, le secteur des produits auxquels le dessin ou modèle est destiné à être incorporé ou auxquels il est destiné à être appliqué, deuxièmement, l’utilisateur averti desdits produits selon leur finalité et, en référence à cet utilisateur averti, le degré de connaissance de l’art antérieur ainsi que le niveau d’attention aux similitudes et aux différences dans la comparaison des dessins ou modèles, troisièmement, le degré de liberté du créateur dans l’élaboration du dessin ou modèle, dont l’influence sur le caractère individuel est en proportion inverse, et, quatrièmement, en tenant compte de celui-ci, le résultat de la comparaison, directe si possible, des impressions globales produites sur l’utilisateur averti par le dessin ou modèle contesté et par tout dessin ou modèle antérieur divulgué au public, pris individuellement [voir arrêt du 13 juin 2019, Visi/one/EUIPO – EasyFix (Porte-affichette pour véhicules), T‑74/18, EU:T:2019:417, point 66 et jurisprudence citée].

23      C’est à la lumière de ces considérations qu’il convient d’apprécier si l’impression globale produite par le dessin ou modèle contesté diffère de celle produite par le dessin ou modèle antérieur.

24      En l’espèce, les dessins ou modèles en conflit sont des têtes de poupées, de sorte que le secteur visé par ceux-ci est celui des jouets.

 Sur l’utilisateur averti

25      En ce qui concerne l’interprétation de la notion d’utilisateur averti, il y a lieu de considérer que la qualité d’« utilisateur » implique que la personne concernée utilise le produit dans lequel est incorporé le dessin ou modèle en conformité avec la finalité à laquelle ce même produit est destiné. Le qualificatif « averti » suggère en outre que, sans être un concepteur ou un expert technique, l’utilisateur connaît les différents dessins ou modèles existant dans le secteur concerné, dispose d’un certain degré de connaissance quant aux éléments que ces dessins ou modèles comportent normalement et, du fait de son intérêt pour les produits concernés, fait preuve d’un degré d’attention relativement élevé lorsqu’il les utilise [arrêt du 22 juin 2010, Shenzhen Taiden/OHMI – Bosch Security Systems (Équipement de communication), T‑153/08, EU:T:2010:248, points 46 et 47 ; voir également, en ce sens, arrêt du 20 octobre 2011, PepsiCo/Grupo Promer Mon Graphic, C‑281/10 P, EU:C:2011:679, point 59].

26      La notion d’utilisateur averti doit être comprise comme une notion intermédiaire entre celle de consommateur moyen, applicable en matière de marques, auquel il n’est demandé aucune connaissance spécifique et qui en général n’effectue pas de rapprochement direct entre les marques en conflit, et celle d’homme de l’art, expert doté de compétences techniques approfondies. Ainsi, la notion d’utilisateur averti peut s’entendre comme désignant un utilisateur doté non pas d’une attention moyenne, mais d’une vigilance particulière, que ce soit en raison de son expérience personnelle ou de sa connaissance étendue du secteur considéré (arrêt du 20 octobre 2011, PepsiCo/Grupo Promer Mon Graphic, C‑281/10 P, EU:C:2011:679, point 53).

27      En l’espèce, la chambre de recours a estimé, au point 34 de la décision attaquée, que, étant donné que la tête de poupée faisait partie intégrante d’une poupée, l’utilisateur averti serait tout membre du grand public, par exemple un enfant ou un adulte qui achèterait la poupée pour son enfant ou en ferait collection. Cet utilisateur averti connaîtrait les caractéristiques spécifiques propres à ces poupées et aux têtes des poupées correspondantes.

28      Les appréciations de la chambre de recours, au demeurant non contestées par les parties, sont exemptes d’erreur et doivent être approuvées.

29      À cet égard, il convient de préciser que la requérante, bien qu’elle ne conteste pas la définition de l’utilisateur averti donnée par la chambre de recours en l’espèce, estime que cette définition aurait dû amener celle-ci à conclure que, en raison du fait que l’utilisateur averti connaissait les caractéristiques spécifiques propres aux poupées et aux têtes de poupées correspondantes et en raison de son degré d’attention relativement élevé, l’impression globale produite sur lui par les dessins ou modèles en conflit devait être différente.

30      Cet argument sera examiné dans la partie consacrée à l’appréciation de l’impression globale produite par les dessins ou modèles en cause.

 Sur le degré de liberté du créateur

31      Le degré de liberté du créateur d’un dessin ou modèle est défini à partir, notamment, des contraintes liées aux caractéristiques imposées par la fonction technique du produit ou d’un élément du produit ou encore des prescriptions légales applicables au produit auquel le dessin ou modèle est appliqué. Ces contraintes conduisent à une normalisation de certaines caractéristiques, devenant alors communes aux dessins ou modèles appliqués au produit concerné [voir arrêts du 10 septembre 2015, H&M Hennes & Mauritz/OHMI – Yves Saint Laurent (Sacs à main), T‑525/13, EU:T:2015:617, point 28 et jurisprudence citée, et du 13 juin 2019, Porte-affichette pour véhicules, T‑74/18, EU:T:2019:417, point 74 et jurisprudence citée].

32      Partant, plus la liberté du créateur dans l’élaboration d’un dessin ou modèle est grande, moins les différences mineures entre les dessins ou modèles comparés suffisent à produire une impression globale différente sur l’utilisateur averti. À l’inverse, plus la liberté du créateur dans l’élaboration d’un dessin ou modèle est restreinte, plus les différences mineures entre les dessins ou modèles comparés suffisent à produire une impression globale différente sur l’utilisateur averti. Ainsi, un degré élevé de liberté du créateur dans l’élaboration d’un dessin ou modèle renforce la conclusion selon laquelle les dessins ou modèles comparés, ne présentant pas de différences significatives, produisent une même impression globale sur l’utilisateur averti (voir arrêt du 10 septembre 2015, Sacs à main, T‑525/13, EU:T:2015:617, point 29 et jurisprudence citée).

33      À cet égard, la chambre de recours a estimé, au point 30 de la décision attaquée, que, en l’espèce, le créateur bénéficiait d’un large degré de liberté dans l’élaboration des têtes de poupées et que cette liberté n’était limitée que dans la mesure où lesdites têtes devraient suivre les caractéristiques de base d’un être humain. Elle a relevé qu’il existait différentes manières de concevoir les caractéristiques faciales des têtes des poupées notamment en ce qui concernait leur forme, leurs proportions, la forme des caractéristiques de leur visage ou encore leur maquillage.

34      La requérante ne conteste pas la conclusion de la chambre de recours dans la mesure où celle-ci a considéré que la liberté du créateur était limitée dans le cas des têtes de poupées en ce qu’elles devraient ressembler à une tête humaine. En revanche, elle soutient que la liberté du créateur en l’espèce est également limitée par les préférences du marché en ce qui concerne la commercialisation dont découlerait le fait de créer une jeune fille avec des yeux bleus et du maquillage. Contrairement aux considérations de la chambre de recours, il s’agirait d’un facteur très pertinent dont les fabricants de jouets devraient tenir compte lorsqu’ils conçoivent leurs produits afin d’avoir du succès sur le marché pour favoriser les ventes. Ainsi, même s’il existe un certain degré de liberté pour tout type de poupée, ladite liberté serait plus limitée lorsque l’objectif consiste à cibler les consommateurs des « poupées mannequins » respectant certains canons de beauté.

35      L’EUIPO et l’intervenante contestent les arguments de la requérante.

36      D’emblée, il convient de relever que la chambre de recours a répondu, en substance, à l’argument de la requérante selon lequel la liberté du créateur serait limitée par la nécessité de se conformer aux canons de beauté et aux préférences du marché.

37      En effet, en réponse à cet argument, la chambre de recours a soutenu qu’une tendance générale ne saurait être considérée comme un facteur de limitation de la liberté du créateur. Selon elle, il y avait lieu de faire la distinction entre suivre une tendance en matière de design et être tenu, par un règlement ou par une nécessité fonctionnelle, d’intégrer un élément particulier dans un dessin ou modèle. La chambre de recours a ajouté que les préférences du consommateur ou du marché à l’égard d’une forme ou de caractéristiques particulières ne relevaient pas de la catégorie des restrictions à la liberté de création dont le but est de veiller à ce que les limitations objectives et imposées de manière externe sur l’éventail des dessins ou modèles possibles soient reconnues et prises en considération dans l’appréciation du caractère individuel.

38      À cet égard, il convient de rappeler, à l’instar de l’EUIPO et de l’intervenante, qu’une tendance générale en matière de design ne peut être considérée comme un facteur de limitation de la liberté du créateur, dès lors que c’est précisément cette liberté du créateur qui lui permet de découvrir de nouvelles formes ou de nouvelles tendances, ou encore d’innover dans le cadre d’une tendance existante [arrêts du 13 novembre 2012, Antrax It/OHMI – THC (Radiateurs de chauffage), T‑83/11 et T‑84/11, EU:T:2012:592, point 95, et du 13 juin 2019, Porte-affichette pour véhicules, T‑74/18, EU:T:2019:417, point 75].

39      En effet, la question de savoir si un dessin ou modèle suit ou non une tendance générale en matière de design est pertinente, tout au plus, concernant la perception esthétique du dessin ou modèle concerné et peut donc, éventuellement, exercer une influence sur le succès commercial du produit dans lequel ce dernier est incorporé. En revanche, une telle question est sans pertinence dans le cadre de l’examen du caractère individuel du dessin ou modèle concerné, qui consiste à vérifier si l’impression globale produite par ce dernier se différencie des impressions globales produites par les dessins ou modèles divulgués antérieurement, indépendamment des considérations esthétiques ou commerciales (arrêts du 22 juin 2010, Équipement de communication, T‑153/08, EU:T:2010:248, point 58, et du 13 juin 2019, Porte-affichette pour véhicules, T‑74/18, EU:T:2019:417, point 75).

40      Il s’ensuit que la nécessité pour les fabricants de poupées de suivre les tendances du marché afin de favoriser les ventes des produits concernés ou de respecter les canons de beauté ne saurait être considérée comme un facteur pouvant limiter le degré de liberté du créateur, au sens de la jurisprudence citée au point 31 ci-dessus.

41      Partant, c’est à juste titre que la chambre de recours a considéré que le créateur bénéficiait d’un large degré de liberté dans l’élaboration des têtes de poupées et que cette liberté n’était pas limitée par les préférences du marché en ce qui concernait l’apparence des « poupées mannequins ».

 Sur la comparaison des impressions globales produites par les dessins ou modèlesen conflit

42      Selon une jurisprudence constante, le caractère individuel d’un dessin ou modèle résulte d’une impression globale de différence, ou d’absence de « déjà vu », du point de vue de l’utilisateur averti, par rapport à toute antériorité au sein du patrimoine des dessins ou modèles, sans tenir compte de différences demeurant insuffisamment marquées pour affecter ladite impression globale, bien qu’excédant des détails insignifiants, mais en ayant égard à des différences suffisamment marquées pour créer des impressions d’ensemble dissemblables [voir arrêts du 16 février 2017, Antrax It/EUIPO – Vasco Group (Thermosiphons pour radiateurs), T‑828/14 et T‑829/14, EU:T:2017:87, point 53 et jurisprudence citée, et du 13 juin 2019, Porte-affichette pour véhicules, T‑74/18, EU:T:2019:417, point 83 et jurisprudence citée].

43      En l’espèce, la chambre de recours a considéré, au point 38 de la décision attaquée, que les dessins ou modèles en cause avaient en commun les caractéristiques suivantes : une peau de couleur claire, une forme de visage ovale, des sourcils bruns légèrement courbés, des yeux de couleur bleue, en forme d’amande, avec des cils noirs qui semblaient former un trait, des lèvres fines avec un léger sourire dévoilant les dents et un nez fin de petite taille ainsi que l’emplacement de l’ensemble de ces caractéristiques.

44      S’agissant des différences entre les dessins ou modèles en cause, la chambre de recours a relevé que le dessin ou modèle contesté montrait simplement la ligne de naissance des cheveux, mais n’avait pas de cheveux, tandis que le dessin ou modèle antérieur avait des cheveux blonds. En ce qui concerne le trou présent à la base de la tête du dessin ou modèle contesté, il ne saurait contribuer de manière significative à l’impression globale, car l’utilisateur averti sait que ce trou sert à fixer la tête au corps de la poupée. De même, de l’avis de la chambre de recours, l’utilisateur averti accordera moins d’importance aux différences portant sur la forme du crâne ainsi qu’à l’absence de cheveux et à la présence de la ligne de naissance des cheveux, parce qu’il sait que la tête de poupée sera recouverte de cheveux. Quant aux oreilles qui ne sont pas visibles dans le dessin ou modèle antérieur, ladite chambre a estimé que cette différence n’aurait que peu d’incidence sur l’utilisateur averti et, en tout état de cause, ne saurait suffire à compenser les caractéristiques que les dessins ou modèles en cause ont en commun. De même, s’agissant de la prétendue différence de maquillage, la chambre de recours a estimé qu’elle ne suffirait pas à produire, sur l’utilisateur averti, des impressions globales distinctives des dessins ou modèles en cause.

45      Ainsi, selon la chambre de recours, compte tenu également de la grande liberté dont bénéficie le créateur lorsqu’il développe des têtes de poupées en tant que partie intégrante des poupées, les différences ne sont pas suffisamment marquées pour produire sur l’utilisateur averti une impression globale du dessin ou modèle contesté qui soit différente de celle produite sur ledit utilisateur par le dessin ou modèle antérieur.

46      La requérante soutient que les traits du visage des dessins ou modèles en conflit sont suffisamment différents pour produire une impression globale différente sur l’utilisateur averti. Selon elle, la forme du visage et les sourcils sont différents et les yeux, bien qu’ils soient bleus, n’ont pas la même forme. Les yeux du dessin ou modèle contesté seraient plus grands et fins avec un fard à paupières bleu et rose notable. De même, le dessin ou modèle contesté présenterait un nez retroussé et plus petit que celui du dessin ou modèle antérieur qui serait plus pointu. La requérante allègue que la chambre de recours n’a pas tenu compte de toutes les vues protégées par le dessin ou modèle contesté et que les différences entre les dessins ou modèles en conflit sont considérables lorsqu’est comparée la vue de trois quarts avec le dessin ou modèle antérieur. En somme, à part le fait que les dessins ou modèles en conflit correspondraient à une poupée maquillée aux yeux bleus, il existerait des différences importantes quant à la forme et aux traits du visage qui feraient que les têtes de poupées seraient suffisamment différentes les unes des autres pour être en mesure de produire une impression différente sur l’utilisateur averti. La requérante soutient qu’il est indéniable qu’il existe d’autres types de poupées, mais que, sur le marché des « poupées mannequins », il serait tout à fait courant de trouver des poupées ayant l’apparence d’une jeune femme avec les mêmes caractéristiques répondant aux canons de beauté généralement admis. Elle ajoute que le dessin ou modèle contesté n’est qu’une tête sans les cheveux qui peut être utilisée avec différentes couleurs et différents types de cheveux. Enfin, la requérante soutient que l’utilisateur averti qui connaît les caractéristiques spécifiques propres aux poupées et aux têtes de poupées percevrait aisément les différences, à savoir l’expression faciale très différente des dessins ou modèles en cause.

47      L’EUIPO et l’intervenante remettent en cause les allégations de la requérante.

48      Ainsi qu’il ressort du point 43 ci-dessus, la chambre de recours a considéré, au point 38 de la décision attaquée, que les dessins ou modèles en cause coïncidaient en leurs caractéristiques suivantes, à savoir : la couleur de la peau, la forme du visage, la forme et la couleur des sourcils, des yeux et des cils, des lèvres fines portant le même sourire, un nez fin et l’emplacement de l’ensemble de ces caractéristiques. Cette appréciation est exempte d’erreur.

49      En particulier, il convient de relever que l’ensemble des caractéristiques relevées au point 48 ci-dessus et leur emplacement contribuent à la création de l’expression d’un visage identique dans les dessins ou modèles en conflit, comme l’avait, à juste titre, relevé la chambre de recours, au point 41 de la décision attaquée.

50      Ainsi, la chambre de recours a pu, à juste titre, estimer que l’attention de l’utilisateur averti serait attirée par le fait que les dessins ou modèles en conflit présentaient des têtes de poupée dont le visage avait une forme ovale ainsi que des caractéristiques et des proportions identiques, un maquillage très similaire et une expression identique.

51      Partant, force est de constater que, pour les raisons relevées ci-dessus, les dessins ou modèles en conflit ne produisent pas une impression globale différente sur l’utilisateur averti.

52      Cette constatation ne saurait valablement être remise en cause par les arguments avancés par la requérante.

53      Premièrement, s’agissant de l’allégation de la requérante selon laquelle la chambre de recours n’aurait pas pris en compte l’ensemble des vues du dessin ou modèle contesté, il y a lieu de relever que cette dernière a bien tenu compte de l’ensemble des vues dudit dessin ou modèle. En effet, au point 41 de la décision attaquée, elle a relevé, d’une part, que le trou à la base de la tête du dessin ou modèle contesté ne saurait contribuer de manière significative à l’impression globale, car l’utilisateur averti savait que ce trou servait à fixer la tête au corps de la poupée et, d’autre part, que ledit utilisateur accorderait moins d’importance aux différences quant à la forme du crâne, à l’absence de cheveux et à la présence de la ligne de naissance des cheveux, car il savait que la tête de poupée serait recouverte de cheveux. Quant aux oreilles, particulièrement visibles dans les vues nos 3 et 4 du dessin ou modèle contesté, la chambre de recours a soutenu que celles-ci n’étaient pas visibles sur le dessin ou modèle antérieur, mais que cette différence n’aurait que peu d’incidence sur l’utilisateur averti et, en tout état de cause, ne saurait compenser les coïncidences créées par les caractéristiques identiques.

54      À cet égard, il y a lieu de rappeler, à l’instar de l’intervenante, que le fait qu’une caractéristique d’un dessin ou modèle soit visible constitue une condition essentielle de sa protection. En effet, il est indiqué au considérant 12 du règlement no 6/2002 que la protection des dessins ou modèles ne devrait pas être étendue aux pièces qui ne sont pas visibles lors d’une utilisation normale d’un produit, ni aux caractéristiques d’une pièce qui ne sont pas visibles lorsque celle-ci est montée et que ces caractéristiques ne devraient, par conséquent, pas être prises en considération pour apprécier si d’autres caractéristiques de ce dessin ou modèle remplissent les conditions d’obtention de la protection (arrêt du 21 septembre 2017, Easy Sanitary Solutions et EUIPO/Group Nivelles, C‑361/15 P et C‑405/15 P, EU:C:2017:720, point 63).

55      Or, en l’espèce, sans que cette appréciation soit remise en cause par la requérante et ainsi que l’avait considéré, en substance, la chambre de recours, la forme du crâne et le trou à la base de la tête ne seront pas visibles dans le dessin ou modèle contesté lors de son utilisation normale.

56      Certes, la requérante soutient que le dessin ou modèle contesté « n’est qu’une tête sans les cheveux ». Toutefois, le fait qu’elle ajoute, à cet égard, que ledit dessin ou modèle peut être utilisé avec différentes couleurs et différents types de cheveux, indique qu’elle partage la position de la chambre de recours selon laquelle la forme du crâne sera recouverte par les cheveux et, par conséquent, ne sera pas visible lors de l’utilisation normale du produit dans lequel le dessin ou modèle sera incorporé.

57      Quant à l’argument selon lequel le dessin ou modèle contesté peut être utilisé avec des cheveux de couleurs ou de types différents, force est de constater que la chambre de recours n’a pas soutenu que les deux dessins ou modèles coïncideraient par la couleur ou le type des cheveux utilisés. En effet, elle a procédé à l’appréciation globale desdits dessins ou modèles en tenant compte de la partie de la tête de poupée qui n’était pas ou ne serait pas couverte par des cheveux, de sorte que l’argument de la requérante relatif aux différentes couleurs et aux différents types de cheveux utilisés s’avère, en tout état de cause, inopérant en l’espèce.

58      Deuxièmement, s’agissant des autres différences alléguées par la requérante, à savoir la forme du visage, les sourcils, la forme des yeux et celle du nez, il convient de considérer que celles-ci, même si elles existent, demeurent insuffisamment marquées pour affecter l’impression globale des dessins ou modèles en conflit et, partant, ne sont pas de nature à remettre en cause la conclusion de la chambre de recours.

59      En particulier, il convient de relever qu’aucune différence notable en ce qui concerne la forme du visage, les sourcils et le nez entre les dessins ou modèles en conflit ne saurait être relevée, en l’espèce, contrairement aux allégations de la requérante.

60      Quant à la forme des yeux et à leur maquillage, il y a lieu de considérer, à l’instar de l’EUIPO, qu’il s’agit de différences mineures sans aucune incidence sur l’expression des deux têtes de poupées.

61      Dès lors, ces différences ne sauraient écarter l’impression de « déjà vu » qui se dégage des dessins ou modèles en conflit, eu égard à leurs éléments communs, qui font partie de leurs éléments les plus marquants et les plus importants (voir, en ce sens, arrêt du 13 juin 2019, Porte-affichette pour véhicules, T‑74/18, EU:T:2019:417, point 91 et jurisprudence citée).

62      Troisièmement, s’agissant de l’argument de la requérante selon lequel l’impression globale produite par les dessins ou modèles en cause sur l’utilisateur averti serait différente en raison de son expérience et de son niveau d’attention (voir point 29 ci-dessus), il convient de rappeler que, malgré son niveau d’attention relativement élevé, l’utilisateur averti n’observe pas dans le détail les différences minimes susceptibles d’exister entre les dessins ou modèles en conflit (arrêt du 13 juin 2019, Porte-affichette pour véhicules, T‑74/18, EU:T:2019:417, point 90). Dès lors, l’argument de la requérante ne peut qu’être rejeté.

63      Quatrièmement, en ce qui concerne l’incidence du degré de liberté du créateur lors de la création des « poupées mannequins » répondant aux canons de beauté en vigueur sur l’appréciation des impressions globales, en l’espèce, il y a lieu, d’une part, de rappeler que les préférences du marché ne sont pas considérées comme des aspects limitant la liberté du créateur (voir point 40 ci-dessus) et, d’autre part, de relever que, en tout état de cause, l’objectif de créer une poupée attirante ne saurait requérir de reproduire l’expression du visage du dessin ou modèle antérieur.

64      À cet égard, il y a lieu d’ajouter que, selon la jurisprudence, le facteur relatif au degré de liberté du créateur dans l’élaboration du dessin ou modèle contesté ne saurait à lui seul déterminer l’appréciation du caractère individuel dudit dessin ou modèle, mais il permet de nuancer cette appréciation (voir arrêt du 13 juin 2019, Porte-affichette pour véhicules, T‑74/18, EU:T:2019:417, point 76 et jurisprudence citée). Or, en l’espèce, la chambre de recours a, à juste titre, considéré que le degré de liberté du créateur était élevé.

65      Il s’ensuit que c’est à juste titre que la chambre de recours a considéré que le dessin ou modèle contesté était dépourvu de caractère individuel au sens de l’article 6 du règlement no 6/2002.

66      Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de rejeter le moyen unique ainsi que le recours dans son intégralité.

 Sur les dépens

67      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

68      La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de l’EUIPO et de l’intervenante.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (deuxième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Jieyang Defa Industry Co. Ltd est condamnée aux dépens.

Tomljenović

Schalin

Škvařilová-Pelzl

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 1er décembre 2021.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.