DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (septième chambre)

14 juillet 2021 (*) (1)

« Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives prises au regard de la situation au Venezuela – Gel des fonds – Listes des personnes, entités et organismes auxquels s’applique le gel des fonds et des ressources économiques – Inscription du nom du requérant sur les listes – Maintien du nom du requérant sur les listes – Obligation de motivation – Droits de la défense – Principe de bonne administration – Droit à une protection juridictionnelle effective – Erreur d’appréciation – Liberté d’expression »

Dans l’affaire T‑248/18,

Diosdado Cabello Rondón, demeurant à Caracas (Venezuela), représenté par Mes L. Giuliano et F. Di Gianni, avocats,

partie requérante,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté par Mmes S. Kyriakopoulou, P. Mahnič, MM. V. Piessevaux et A. Antoniadis, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 263 TFUE et tendant à l’annulation, d’une part, de la décision (PESC) 2018/90 du Conseil, du 22 janvier 2018, modifiant la décision (PESC) 2017/2074 concernant des mesures restrictives en raison de la situation au Venezuela (JO 2018, L 16 I, p. 14), et de la décision (PESC) 2018/1656 du Conseil, du 6 novembre 2018, modifiant la décision (PESC) 2017/2074 concernant des mesures restrictives en raison de la situation au Venezuela (JO 2018, L 276, p. 10), et, d’autre part, du règlement d’exécution (UE) 2018/88 du Conseil, du 22 janvier 2018, mettant en œuvre le règlement (UE) 2017/2063 concernant des mesures restrictives en raison de la situation au Venezuela (JO 2018, L 16 I, p. 6), et du règlement d’exécution (UE) 2018/1653 du Conseil, du 6 novembre 2018, mettant en œuvre le règlement (UE) 2017/2063 concernant des mesures restrictives en raison de la situation au Venezuela (JO 2018, L 276, p. 1), en ce que ces actes concernent le requérant,

LE TRIBUNAL (septième chambre),

composé de M. R. da Silva Passos, président, Mme I. Reine (rapporteure) et M. L. Truchot, juges,

greffier : M. B. Lefebvre, administrateur,

vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience du 3 septembre 2020,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        Le requérant, M. Diosdado Cabello Rondón, était membre de l’Assemblée nationale constituante vénézuélienne (ci-après l’« Assemblée constituante ») avant d’en devenir le président. Il est également le premier vice-président du Parti socialiste unifié du Venezuela (PSUV) qui est le parti au pouvoir dans ce pays. Il se présente en outre comme commentateur, journaliste et entrepreneur de spectacles. Il a sa propre émission de télévision hebdomadaire, intitulée Con el Mazo Dando.

 Mise en place du régime de mesures restrictives : décision (PESC) 2017/2074 et règlement (UE) 2017/2063

2        Le 13 novembre 2017, le Conseil de l’Union européenne a adopté la décision (PESC) 2017/2074, concernant des mesures restrictives en raison de la situation au Venezuela (JO 2017, L 295, p. 60). Selon son considérant 1, cette décision était motivée par la dégradation constante de la démocratie, de l’état de droit et des droits de l’homme au Venezuela.

3        La décision 2017/2074 comporte, en substance, premièrement, une interdiction d’exporter, vers le Venezuela, des armes, des équipements militaires ou tout autre équipement susceptible d’être utilisé à des fins de répression interne ainsi que des équipements, de la technologie ou des logiciels de surveillance et, deuxièmement, une interdiction de fournir des services financiers, techniques ou autres en rapport avec ces biens et ces technologies.

4        L’article 6, paragraphe 1, de la décision 2017/2074 prévoit en outre ce qui suit :

« Les États membres prennent les mesures nécessaires pour empêcher l’entrée ou le passage en transit sur leur territoire :

a)      des personnes physiques qui sont responsables de violations graves des droits de l’homme ou d’atteintes graves à ceux-ci ou d’actes de répression à l’égard de la société civile et de l’opposition démocratique au Venezuela ; ou

b)      des personnes physiques dont les actions, les politiques ou les activités portent atteinte d’une quelconque autre manière à la démocratie ou à l’état de droit au Venezuela,

dont la liste figure à l’annexe I. »

5        L’article 7 de la décision 2017/2074 dispose :

« 1.      Sont gelés tous les fonds et ressources économiques appartenant aux personnes, entités ou organismes ci-après, de même que tous les fonds et ressources économiques possédés, détenus ou contrôlés par les personnes, entités ou organismes ci-après :

a)      les personnes physiques ou morales, les entités ou les organismes qui sont responsables de violations graves des droits de l’homme ou d’atteintes graves à ceux-ci ou d’actes de répression à l’égard de la société civile et de l’opposition démocratique au Venezuela ;

b)      les personnes physiques ou morales, les entités ou les organismes dont les actions, les politiques ou les activités portent atteinte d’une quelconque autre manière à la démocratie ou à l’état de droit au Venezuela,

dont la liste figure à l’annexe I.

2.      Sont gelés tous les fonds et ressources économiques appartenant aux personnes physiques ou morales, entités et organismes associés aux personnes, entités ou organismes visés au paragraphe 1 dont la liste figure à l’annexe II, de même que tous les fonds et ressources économiques que ces personnes, ces entités ou ces organismes ont en leur possession, détiennent ou contrôlent.

3.      Aucun fonds ni aucune ressource économique n’est mis à la disposition, directement ou indirectement, des personnes physiques ou morales, des entités ou des organismes dont la liste figure à l’annexe I ou II, ni n’est dégagé à leur profit.

[...] »

6        L’article 8 de la décision 2017/2074 est libellé comme suit :

« 1.      Le Conseil, statuant à l’unanimité sur proposition d’un État membre ou du haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, établit et modifie les listes figurant aux annexes I et II.

2.      Le Conseil communique la décision visée au paragraphe 1 à la personne physique ou morale, à l’entité ou à l’organisme concerné, y compris les motifs de son inscription sur la liste, soit directement si son adresse est connue, soit par la publication d’un avis, en lui donnant la possibilité de présenter des observations.

3.      Si des observations sont formulées, ou si de nouveaux éléments de preuve substantiels sont présentés, le Conseil réexamine la décision visée au paragraphe 1 et en informe la personne physique ou morale, l’entité ou l’organisme concerné en conséquence. »

7        L’article 13, second alinéa, de la décision 2017/2074 dispose que cette décision fait l’objet d’un suivi constant et est prorogée, ou modifiée, le cas échéant, si le Conseil estime que ses objectifs n’ont pas été atteints.

8        À la date de l’adoption de la décision 2017/2074, ses annexes I et II ne comportaient encore le nom d’aucune personne ou entité.

9        Sur le fondement de l’article 215 TFUE et de la décision 2017/2074, le Conseil a adopté, le 13 novembre 2017, le règlement (UE) 2017/2063, concernant des mesures restrictives en raison de la situation au Venezuela (JO 2017, L 295, p. 21). En ce qui concerne le gel des fonds des personnes visées, ce règlement reprend, en substance, les dispositions de la décision 2017/2074. En particulier, les annexes IV et V dudit règlement correspondent respectivement aux annexes I et II de la décision 2017/2074. En vertu de l’article 17, paragraphe 4, du même règlement, ces deux annexes sont réexaminées à intervalles réguliers, et au moins tous les douze mois.

10      À la date de l’adoption du règlement 2017/2063, ses annexes IV et V ne comportaient encore le nom d’aucune personne ou entité.

11      L’article 13, premier alinéa, de la décision 2017/2074 prévoyait, dans sa version initiale, que cette décision était applicable jusqu’au 14 novembre 2018.

12      En revanche, le règlement 2017/2063 n’est assorti d’aucun terme.

 Inscription du nom du requérant sur les listes : décision (PESC) 2018/90 et règlement d’exécution (UE) 2018/88

13      Le 22 janvier 2018, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2018/90 modifiant la décision 2017/2074 (JO 2018, L 16 I, p. 14). Le même jour, le Conseil a adopté le règlement d’exécution (UE) 2018/88 mettant en œuvre le règlement 2017/2063 (JO 2018, L 16 I, p. 6). Cette décision et ce règlement d’exécution (ci-après, ensemble, les « actes initiaux ») ont été publiés le jour même au Journal officiel de l’Union européenne. Selon les considérants 4 des actes initiaux, « la situation au Venezuela ne cessant de se dégrader, il conv[enai]t d’inscrire sept personnes sur la liste des personnes physiques et morales, des entités et des organismes faisant l’objet de mesures restrictives » figurant à l’annexe I de la décision 2017/2074 et à l’annexe IV du règlement 2017/2063. Les actes initiaux ont par conséquent modifié lesdites annexes. Le nom du requérant y a ainsi été inscrit de la manière suivante : « 7 – Nom : Diosdado Cabello Rondón – Informations d’identification : Date de naissance : 15.4.1963 – Motifs de l’inscription : Membre de l’Assemblée constituante et premier vice-président du Parti socialiste unifié du Venezuela (PSUV). Impliqué dans des atteintes à la démocratie et à l’état de droit au Venezuela, notamment en utilisant les médias pour attaquer et menacer publiquement l’opposition politique, d’autres médias et la société civile – Date de l’inscription : 22.1.2018 ».

14      Le 23 janvier 2018 a été publié au Journal officiel un avis à l’attention des personnes faisant l’objet des mesures restrictives prévues par la décision 2017/2074, modifiée par la décision 2018/90, et par le règlement 2017/2063, mis en œuvre par le règlement d’exécution 2018/88, concernant des mesures restrictives en raison de la situation au Venezuela (JO 2018, C 23, p. 4).

15      Par courriel du 20 février 2018, le représentant du requérant a demandé au Conseil d’avoir accès au dossier contenant les éléments de preuve, les documents et les informations justifiant les actes initiaux. Le Conseil a accusé réception de cette demande le lendemain.

16      Par courriel du 3 avril 2018, le Conseil a envoyé au représentant du requérant les deux documents sur lesquels les actes initiaux étaient fondés, à savoir un document de travail daté du 22 mars 2018 portant la référence WK 3504/2018 INIT et l’extrait 7 d’une annexe à un document daté du 27 mars 2018 et portant la référence COREU CFSP/0702/17.

17      En réponse à une demande d’éclaircissement du représentant du requérant, le Conseil a précisé, le 6 avril 2018, que le document COREU CFSP/0702/17 datait en réalité du 6 décembre 2017 mais, ayant dû être déclassifié en raison de la demande d’accès, il portait la date du 27 mars 2018.

 Faits postérieurs à l’introduction du présent recours

18      Par lettre du 18 septembre 2018, le Conseil a informé le représentant du requérant qu’il était envisagé de proroger, avec des motifs modifiés, la validité des mesures restrictives en cause à l’égard de celui-ci. Par conséquent, il a été invité à soumettre toute observation éventuelle jusqu’au 9 octobre 2018. Cette lettre n’a été suivie d’aucune réponse.

19      Le 6 novembre 2018, la décision (PESC) 2018/1656 du Conseil modifiant la décision 2017/2074 (JO 2018, L 276, p. 10) a prorogé la validité des mesures restrictives jusqu’au 14 novembre 2019, y compris en ce qui concerne le requérant. La décision 2018/1656 a également remplacé comme suit la mention 7 de l’annexe I de la décision 2017/2074 : « 7 – Nom : Diosdado Cabello Rondón – Informations d’identifications : Date de naissance : 15 avril 1963 – Motifs de l’inscription : Président de l’Assemblée constituante et premier vice-président du Parti socialiste unifié du Venezuela (PSUV). Impliqué dans des atteintes à la démocratie et à l’état de droit au Venezuela, notamment en utilisant les médias pour attaquer et menacer publiquement l’opposition politique, d’autres médias et la société civile – Date de l’inscription : 22.1.2018 ». En effet, la seule modification consistait dans l’actualisation de la fonction du requérant qui est devenu le président de l’Assemblée constituante. Le 6 novembre 2018, également, le règlement d’exécution (UE) 2018/1653 du Conseil mettant en œuvre le règlement 2017/2063 (JO 2018, L 276, p. 1) a modifié dans le même sens la mention 7 de l’annexe IV de ce dernier règlement.

20      Le 7 novembre 2018 a été publié au Journal officiel un avis à l’attention des personnes faisant l’objet des mesures restrictives prévues par la décision 2017/2074, modifiée par la décision 2018/1656, et par le règlement 2017/2063, mis en œuvre par le règlement d’exécution 2018/1653, concernant des mesures restrictives en raison de la situation au Venezuela (JO 2018, C 401, p. 2).

 Procédure et conclusions des parties

21      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 16 avril 2018, le requérant a introduit le présent recours.

22      La phase écrite de la procédure a été close le 11 décembre 2018.

23      Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le 17 janvier 2019, le requérant a, sur le fondement de l’article 86 du règlement de procédure du Tribunal, adapté la requête afin de solliciter également l’annulation de la décision 2018/1656 et du règlement d’exécution 2018/1653, en tant que ces actes le concernent. Le Conseil a déposé ses observations sur le mémoire en adaptation au greffe du Tribunal le 15 février 2019.

24      La composition des chambres du Tribunal ayant été modifiée, en application de l’article 27, paragraphe 5, du règlement de procédure, la juge rapporteure a été affectée à la septième chambre, à laquelle la présente affaire a, par conséquent, été attribuée.

25      Par lettre du 20 décembre 2019, les parties ont été invitées à présenter des observations sur une éventuelle jonction des affaires T‑245/18, Benavides Torres/Conseil, T‑246/18, Moreno Pérez/Conseil, T‑247/18, Lucena Ramírez/Conseil, T‑248/18, Cabello Rondón/Conseil, T‑249/18, Saab Halabi/Conseil et T‑35/19, Benavides Torres/Conseil, aux fins de la phase orale de la procédure. Les parties ont répondu ne pas avoir d’objections à une telle jonction.

26      Par décision du 28 janvier 2020, le président de la septième chambre du Tribunal a décidé de joindre lesdites affaires (ci-après les « affaires jointes »), aux fins de la phase orale de la procédure. Le même jour, la phase orale de la procédure a été ouverte et la date de l’audience de plaidoiries a été fixée au 23 avril 2020.

27      Le 7 février 2020, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 89 du règlement de procédure, le Tribunal a invité les parties dans les affaires jointes à répondre à des questions, pour réponse écrite avant l’audience et pour réponse orale lors de l’audience. Les parties dans les affaires jointes ont répondu aux questions pour réponse écrite dans le délai imparti. Le 13 mars 2020, le Tribunal les a invitées à présenter leurs observations éventuelles sur les réponses de l’autre partie. Les parties dans les affaires jointes ont présenté leurs observations dans le délai imparti.

28      L’audience de plaidoiries initialement prévue le 23 avril 2020 ayant été reportée en raison de la crise sanitaire, les parties dans les affaires jointes ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales posées par le Tribunal lors de l’audience du 3 septembre 2020.

29      Le requérant conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler les actes initiaux ainsi que la décision 2018/1656 et le règlement d’exécution 2018/1653 (ci-après, ensemble, les « actes attaqués »), en tant que leurs dispositions le concernent ;

–        condamner le Conseil aux dépens.

30      Le Conseil conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        à titre subsidiaire, si les mesures restrictives visant le requérant devaient être annulées, ordonner le maintien des effets de la décision 2018/1656 en ce qui concerne celui-ci jusqu’à la prise d’effet de l’annulation partielle du règlement d’exécution 2018/88 ;

–        condamner le requérant aux dépens.

 En droit

31      À l’appui de son recours, le requérant invoque deux moyens tirés, le premier, de la violation de l’obligation de motivation, du principe de bonne administration et de ses droits de la défense ainsi que de son droit à une protection juridictionnelle effective et, le second, d’une « erreur manifeste d’appréciation ».

32      Dans son mémoire en adaptation de sa requête, le requérant précise que le « second » moyen de sa requête, tiré d’une « erreur manifeste d’appréciation », peut être transposé à sa demande d’annulation de la décision 2018/1656 et du règlement d’exécution 2018/1653.

33      Toutefois, dans ce mémoire, le requérant expose que la circonstance qu’il est désormais président de l’Assemblée constituante « est insuffisante […] pour prouver qu’il est responsable de violations (alléguées) des droits de l’homme ou d’un comportement fautif ayant (prétendument) lieu au Venezuela (s’agissant notamment des violations imputées à l’Assemblée constituante) ». Partant, ces arguments développés dans le mémoire en adaptation de la requête, qui ne portent que sur la décision 2018/1656 et sur le règlement d’exécution 2018/1653 doivent s’analyser comme un prolongement du « second » moyen.

34      Il s’ensuit que le « second » moyen, tel que modifié par le mémoire en adaptation de la requête, peut s’analyser en deux branches dirigées, la première, contre les actes attaqués et, la seconde, contre la décision 2018/1656 et le règlement d’exécution 2018/1653, toutes les deux visant à démontrer que les éléments de preuve avancés par le Conseil ne sauraient étayer les motifs retenus dans les actes litigieux et, partant, que celui-ci a commis des « erreurs manifestes d’appréciation ».

35      Par ailleurs, dans le cadre de son « second » moyen, le requérant invoque une violation de sa liberté d’expression. Il convient d’examiner ce grief en tant que troisième moyen en ce qu’il vise à démontrer que les comportements reprochés au requérant sont couverts par cette liberté.

36      Il convient dès lors d’examiner les trois moyens décrits ci-dessus.

 Sur le premier moyen, tiré de la violation de l’obligation de motivation, du principe de bonne administration et des droits de la défense ainsi que du droit à une protection juridictionnelle effective

37      Il convient de relever d’emblée que le premier moyen est dirigé uniquement contre les actes initiaux, un tel moyen n’étant pas repris dans le mémoire en adaptation.

38      D’une part, le requérant prétend, en substance, que les actes initiaux ne sont pas suffisamment motivés. En ce sens, il soutient que les motifs figurant à l’annexe I de la décision 2017/2074 et à l’annexe IV du règlement 2017/2063, telles que modifiées par les actes initiaux, étaient trop vagues pour qu’il puisse apprécier pleinement à quels faits concrets le Conseil faisait référence. D’autre part, il fait valoir que, malgré ses démarches entamées le 20 février 2018, le Conseil ne lui a accordé l’accès aux documents justifiant les actes initiaux que le 3 avril suivant, c’est-à-dire à un moment où il ne lui restait plus que treize jours calendaires ou neuf jours ouvrables pour introduire son recours. Dès lors, le requérant conclut que le Conseil n’a pas satisfait, dans un délai raisonnable, à sa demande d’accès à son dossier et a ainsi violé le principe de bonne administration, ses droits de la défense et son droit à une protection juridictionnelle effective.

39      Le Conseil conteste les arguments du requérant.

 Sur la violation de l’obligation de motivation

40      Conformément à la jurisprudence, l’obligation de motiver un acte faisant grief, telle que prévue à l’article 296, deuxième alinéa, TFUE et consacrée à l’article 41, paragraphe 2, sous c), de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »), constitue un corollaire du principe du respect des droits de la défense. Il convient de rappeler, à cet égard, que la motivation a précisément pour but, d’une part, de fournir à l’intéressé une indication suffisante pour savoir si l’acte est bien fondé ou s’il est éventuellement entaché d’un vice permettant d’en contester la validité devant le juge de l’Union européenne et, d’autre part, de permettre à ce dernier d’exercer son contrôle sur la légalité de cet acte (voir arrêts du 26 juillet 2017, Conseil/LTTE, C‑599/14 P, EU:C:2017:583, point 29 et jurisprudence citée, et du 26 octobre 2016, Kaddour/Conseil, T‑155/15, non publié, EU:T:2016:628, points 56 et 57 et jurisprudence citée).

41      La motivation d’un acte faisant grief doit exposer les faits et les considérations juridiques revêtant une importance essentielle dans l’économie de cet acte (voir arrêt du 26 juillet 2017, Conseil/LTTE, C‑599/14 P, EU:C:2017:583, point 30 et jurisprudence citée).

42      En ce qui concerne les mesures restrictives adoptées dans le cadre de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC), dans la mesure où la personne concernée ne dispose pas d’un droit d’audition préalable à l’adoption d’une décision initiale de gel des fonds, le respect de l’obligation de motivation est d’autant plus important, puisqu’il constitue l’unique garantie permettant à l’intéressé, à tout le moins après l’adoption de cette décision, de se prévaloir utilement des voies de recours à sa disposition pour contester la légalité de ladite décision (arrêts du 15 novembre 2012, Conseil/Bamba, C‑417/11 P, EU:C:2012:718, point 51, et du 26 octobre 2016, Kaddour/Conseil, T‑155/15, non publié, EU:T:2016:628, point 58).

43      Partant, à moins que des considérations impérieuses touchant à la sûreté de l’Union ou de ses États membres ou à la conduite de leurs relations internationales ne s’opposent à la communication de certains éléments, le Conseil est tenu de porter à la connaissance d’une personne ou d’une entité visée par des mesures restrictives les raisons spécifiques et concrètes pour lesquelles il considère qu’elles devaient être adoptées. Il doit ainsi énoncer les éléments de fait et de droit dont dépend la justification légale des mesures concernées et les considérations qui l’ont amené à les prendre (arrêt du 9 juillet 2009, Melli Bank/Conseil, T‑246/08 et T‑332/08, EU:T:2009:266, point 144).

44      Cependant, la motivation doit être adaptée à la nature de l’acte en cause et au contexte dans lequel il a été adopté. L’exigence de motivation doit être appréciée en fonction des circonstances de l’espèce, notamment du contenu de l’acte, de la nature des motifs invoqués et de l’intérêt que les destinataires ou d’autres personnes concernées directement et individuellement par l’acte peuvent avoir à recevoir des explications. Il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où le caractère suffisant d’une motivation doit être apprécié au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée. En particulier, un acte faisant grief est suffisamment motivé dès lors qu’il est intervenu dans un contexte connu de l’intéressé, qui lui permet de comprendre la portée de la mesure prise à son égard (arrêts du 15 novembre 2012, Conseil/Bamba, C‑417/11 P, EU:C:2012:718, points 53 et 54, et du 25 avril 2013, Gossio/Conseil, T‑130/11, non publié, EU:T:2013:217, points 45 et 46).

45      Il convient également de rappeler que l’obligation de motiver un acte constitue une forme substantielle qui doit être distinguée de la question du bien-fondé des motifs, celui-ci relevant de la légalité au fond de l’acte litigieux (voir arrêt du 30 janvier 2019, Stavytskyi/Conseil, T‑290/17, EU:T:2019:37, point 57 et jurisprudence citée).

46      C’est à la lumière de ces principes qu’il convient d’examiner le présent grief.

47      En l’espèce, s’agissant des motifs pour lesquels le Conseil a considéré que le requérant devait spécifiquement faire l’objet de mesures restrictives, la motivation, reproduite au point 13 ci-dessus, qui figure aux points 3 de l’annexe I de la décision 2017/2074 et de l’annexe IV du règlement 2017/2063, telles que modifiées par les actes initiaux, identifie, contrairement à ce que soutient en substance le requérant, les éléments spécifiques et concrets qui révèlent, selon le Conseil, l’implication de celui-ci dans des atteintes à la démocratie et à l’état de droit au Venezuela.

48      En effet, il convient de relever que les préambules des actes initiaux visent, respectivement, la décision 2017/2074 et le règlement 2017/2063. Or, aux considérants 1 et 5 à 8 de la décision 2017/2074, ainsi qu’aux considérants 1 et 2 du règlement 2017/2063, le Conseil a exposé le contexte général l’ayant conduit à prévoir des mesures restrictives à l’encontre du Venezuela et de certaines personnes ou entités vénézuéliennes. Il en ressort que ce contexte général se caractérisait par la dégradation constante de la démocratie, de l’état de droit et des droits de l’homme au Venezuela résultant, notamment, de la décision des autorités de procéder à l’élection de l’Assemblée constituante, qui a aggravé la crise au Venezuela et a porté atteinte à d’autres institutions prévues par la Constitution vénézuélienne, telles que l’Assemblée nationale. En outre, eu égard à sa fonction de membre de l’Assemblée constituante et de premier vice-président du Parti socialiste unifié du Venezuela (PSUV), le requérant ne pouvait ignorer ce contexte.

49      De plus, ainsi que cela a été indiqué aux points 4 et 5 ci-dessus, conformément à l’article 6, paragraphe 1, et à l’article 7, paragraphe 1, de la décision 2017/2074, le critère général d’inscription établi par le Conseil vise notamment les personnes physiques « dont les actions, les politiques ou les activités portent atteinte d’une quelconque autre manière à la démocratie ou à l’état de droit au Venezuela ». Ce critère est également repris par l’article 8, paragraphe 3, du règlement 2017/2063.

50      Dès lors, la lecture des motifs d’inscription du requérant permet de comprendre que les raisons spécifiques et concrètes ayant conduit le Conseil à adopter des mesures restrictives à l’encontre du requérant sont fondées sur sa prétendue implication, en ses qualités de membre de l’Assemblée constituante et de premier vice-président du PSUV, dans des atteintes à la démocratie et à l’état de droit au Venezuela, notamment en utilisant les médias pour attaquer et menacer publiquement l’opposition politique, d’autres médias et la société civile.

51      De surcroît, il convient de relever que le fait que le requérant a pu comprendre les motifs qui, selon le Conseil, justifiaient l’adoption de mesures restrictives à son égard est confirmé par la teneur du deuxième moyen du présent recours. En effet, le requérant a été capable d’identifier les faits précis qui lui étaient reprochés et de contester leur exactitude ainsi que la force probante des éléments sur lesquels le Conseil s’est fondé et de réfuter leur objectivité. Le requérant a également pu exposer les principes qui régissent la liberté d’expression dont il entend se prévaloir en tant que commentateur, journaliste et entrepreneur de spectacles. Le requérant a en outre pu décrire le contenu de son programme de télévision et les exigences de ce genre de programme pour contester que, par celui-ci, il ait porté atteinte à la démocratie et à l’état de droit.

52      Il s’ensuit que la motivation des actes initiaux a mis le requérant en mesure de comprendre et de contester les motifs de l’inscription de son nom sur les listes litigieuses.

53      Compte tenu de ce qui précède, il y a lieu de rejeter le grief tiré de la violation de l’obligation de motivation par le Conseil.

 Sur la violation du principe de bonne administration, des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective

54      À titre liminaire, il y a lieu de remarquer que le grief du requérant selon lequel le Conseil a violé le principe de bonne administration, son droit à une protection juridictionnelle effective et ses droits de la défense n’est pas étayé par des arguments spécifiques à chacune de ces violations, mais se borne à renvoyer à une argumentation commune. Dans ces circonstances, il y a lieu d’examiner conjointement lesdites violations.

55      Il convient de rappeler que le respect des droits de la défense, qui est consacré à l’article 41, paragraphe 2, sous a), de la Charte, à laquelle le traité UE reconnaît la même valeur juridique que les traités, comporte notamment le droit d’accès au dossier, tandis que le droit à une protection juridictionnelle effective, qui est affirmé à l’article 47 de ladite Charte, exige que l’intéressé puisse connaître les motifs sur lesquels est fondée la décision prise à son égard (voir, en ce sens, arrêt du 15 septembre 2016, Klyuyev/Conseil, T‑340/14, EU:T:2016:496, point 55).

56      Plus précisément, les droits de la défense et le droit à une protection juridictionnelle effective impliquent que l’autorité de l’Union qui adopte des mesures restrictives communique à l’intéressé les éléments sur lesquels ces mesures sont fondées ou lui accorde le droit d’en prendre connaissance dans un délai raisonnable après l’édiction de ces mesures (voir, en ce sens, arrêts du 21 mars 2014, Yusef/Commission, T‑306/10, EU:T:2014:141, point 90, et du 13 décembre 2016, Al-Ghabra/Commission, T‑248/13, EU:T:2016:721, point 49).

57      À cet égard, il y a lieu de rappeler que, dans le cas d’une décision initiale de gel de fonds, le Conseil n’est pas tenu de communiquer au préalable à la personne ou à l’entité concernée les motifs sur lesquels cette institution entend fonder l’inclusion du nom de cette personne ou de cette entité dans la liste pertinente, afin de garantir l’effet de surprise nécessaire à l’efficacité d’une telle mesure. Dans un tel cas, il suffit, en principe, que l’institution procède à la communication des motifs à la personne ou à l’entité concernée et ouvre le droit à l’audition de celle-ci concomitamment avec ou immédiatement après l’adoption de la décision (voir, en ce sens, arrêt du 21 décembre 2011, France/People’s Mojahedin Organization of Iran, C‑27/09 P, EU:C:2011:853, point 61).

58      En l’espèce, dans le contexte particulier de l’inscription initiale sur les listes litigieuses nécessitant d’assurer un effet de surprise, indépendamment de la question de savoir si le Conseil a communiqué son dossier au requérant dans un délai raisonnable, il convient de déterminer si le requérant n’était pas en mesure de contester les éléments dudit dossier devant le Tribunal (voir, par analogie, arrêts du 18 septembre 2014, Georgias e.a./Conseil et Commission, T‑168/12, EU:T:2014:781, point 106, et du 15 juin 2017, Kiselev/Conseil, T‑262/15, EU:T:2017:392, point 153). Or, force est de constater que celui-ci a été mis en mesure de contester les éléments de ce dossier devant le Tribunal, ainsi qu’il ressort des arguments invoqués dans la requête décrits au point 51 ci-dessus, dans le cadre desquels le requérant met en cause la pertinence et la valeur probante d’éléments de preuve retenus par le Conseil dans son dossier.

59      En outre, dans l’hypothèse où le requérant aurait voulu soulever des arguments qu’il n’aurait pas eu la possibilité d’invoquer dans sa requête en raison de la prétendue communication tardive du dossier par le Conseil, il aurait pu présenter ces éventuels arguments supplémentaires dans son mémoire en adaptation de la requête. Or, dans ce mémoire, le requérant a soutenu que les erreurs commises lors de l’adoption des actes initiaux avaient été réitérées par le Conseil lorsque celui-ci a adopté la décision 2018/1656 et le règlement d’exécution 2018/1653. Il s’est limité à faire valoir que le deuxième moyen, tel que soulevé dans la requête, pouvait être transposé à sa demande d’annulation de cette dernière décision et de ce dernier règlement d’exécution, sous l’unique réserve des « nouveaux arguments » qu’il a invoqué afin de contester que sa nouvelle fonction de président de l’Assemblée constituante, reprise dans lesdits actes, à l’occasion du maintien de son nom sur les listes litigieuses, puisse justifier les mesures restrictives à son égard.

60      De plus, le requérant reste en défaut d’expliquer, également lors de l’audience, quels sont les arguments et les éléments qu’il aurait pu faire valoir s’il avait reçu le dossier du Conseil plus tôt.

61      Par conséquent, le requérant n’a pas démontré que la communication prétendument tardive du dossier du Conseil a porté atteinte à ses droits de la défense, à son droit à une protection juridictionnelle effective et au principe de bonne administration.

62      À la lumière des considérations qui précèdent, il y a lieu de rejeter le présent grief et, partant, le premier moyen dans son ensemble.

 Sur le deuxième moyen, tiré d’« erreurs manifestes » dans l’appréciation des preuves

63      Dans le cadre du présent moyen, d’une part, le requérant invoque une « erreur manifeste d’appréciation » à l’égard des actes attaqués concernant l’inscription et le maintien de son nom sur les listes litigieuses. D’autre part, il soulève, dans son mémoire en adaptation de la requête, une « erreur manifeste d’appréciation » en ce que la décision 2018/1656 et le règlement d’exécution 2018/1653 prennent en considération le fait que le requérant est devenu le président de l’Assemblée constituante.

 Observations liminaires

64      Il convient de rappeler que l’effectivité du contrôle juridictionnel garanti par l’article 47 de la Charte exige notamment que le juge de l’Union s’assure que la décision, qui revêt une portée individuelle pour la personne ou l’entité concernée, repose sur une base factuelle suffisamment solide. Cela implique une vérification des faits allégués dans l’exposé des motifs qui sous-tend ladite décision, de sorte que le contrôle juridictionnel ne soit pas limité à l’appréciation de la vraisemblance abstraite des motifs invoqués, mais porte sur la question de savoir si ces motifs, ou, à tout le moins, l’un d’eux considéré comme suffisant en soi pour soutenir cette même décision, sont étayés (arrêts du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 119, et du 28 novembre 2013, Conseil/Fulmen et Mahmoudian, C‑280/12 P, EU:C:2013:775, point 64).

65      À cette fin, il incombe au juge de l’Union de procéder à cet examen en demandant, le cas échéant, à l’autorité compétente de l’Union de produire des informations ou des éléments de preuve, confidentiels ou non, pertinents aux fins d’un tel examen (voir arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 120 et jurisprudence citée ; arrêt du 28 novembre 2013, Conseil/Fulmen et Mahmoudian, C‑280/12 P, EU:C:2013:775, point 65).

66      C’est en effet à l’autorité compétente de l’Union qu’il appartient, en cas de contestation, d’établir le bien-fondé des motifs retenus à l’encontre de la personne concernée, et non à cette dernière d’apporter la preuve négative de l’absence de bien-fondé desdits motifs (arrêts du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 121, et du 28 novembre 2013, Conseil/Fulmen et Mahmoudian, C‑280/12 P, EU:C:2013:775, point 66).

67      À cette fin, il n’est pas requis que ladite autorité produise devant le juge de l’Union l’ensemble des informations et des éléments de preuve inhérents aux motifs allégués dans l’acte dont il est demandé l’annulation. Il importe toutefois que les informations ou les éléments produits étayent les motifs retenus à l’encontre de la personne concernée (arrêts du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 122, et du 28 novembre 2013, Conseil/Fulmen et Mahmoudian, C‑280/12 P, EU:C:2013:775, point 67).

68      En ce qui concerne les moyens de preuve qui peuvent être invoqués, le principe qui prévaut en droit de l’Union est celui de la libre administration des preuves [arrêt du 6 septembre 2013, Persia International Bank/Conseil, T‑493/10, EU:T:2013:398, point 95 (non publié)].

69      À cet égard, il importe de rappeler que, en l’absence de pouvoirs d’enquête dans des pays tiers, l’appréciation des autorités de l’Union doit, de fait, se fonder sur des sources d’information accessibles au public, des rapports, des articles de presse ou d’autres sources d’information similaires (voir, en ce sens, arrêt du 14 mars 2018, Kim e.a./Conseil et Commission, T‑533/15 et T‑264/16, EU:T:2018:138, point 107). Notamment, il ressort de la jurisprudence que le juge de l’Union peut prendre en considération des rapports d’organisations internationales (voir, en ce sens, arrêt du 18 juin 2015, Ipatau/Conseil, C‑535/14 P, EU:C:2015:407, point 48).

70      En outre, ainsi que cela a été indiqué aux points 4 et 5 ci-dessus, conformément à l’article 6, paragraphe 1, et à l’article 7, paragraphe 1, de la décision 2017/2074, le critère général établi, aux fins de l’inscription sur les listes litigieuses, vise notamment les personnes physiques « dont les actions, les politiques ou les activités portent atteinte d’une quelconque autre manière à la démocratie ou à l’état de droit au Venezuela ». Ce critère est également repris par l’article 8, paragraphe 3, du règlement 2017/2063.

71      À cet égard, en premier lieu, il convient de rappeler que, en ce qui concerne le contexte général au Venezuela, il ressort des considérants 1 et 5 à 8 de la décision 2017/2074 et des considérants 1 et 2 du règlement 2017/2063 que les actes attaqués ont été adoptés en raison de la détérioration constante de la démocratie, de l’état de droit et des droits de l’homme au Venezuela, résultant notamment de l’usage excessif de la force, ainsi que des actes de répression à l’égard de la société civile et de l’opposition démocratique. Au considérant 6 de la décision 2017/2074, il est indiqué que, le 2 août 2017, l’Union a déploré vivement la décision prise par les autorités vénézuéliennes de poursuivre l’élection d’une Assemblée constituante, décision qui a durablement aggravé la crise au Venezuela et a entraîné le risque de porter atteinte à d’autres institutions légitimes prévues par la Constitution vénézuélienne, telles que l’Assemblée nationale.

72      Ce contexte général de la situation au Venezuela a également été invoqué par le Conseil devant le Tribunal, sans qu’il soit contredit par le requérant. Le Conseil a ainsi rappelé que, après le mois de décembre 2015, à la suite des élections de l’Assemblée nationale, une coalition de partis d’opposition avait gagné la majorité des sièges. Au mois de janvier 2016, le président du Venezuela de l’époque a décrété l’état d’urgence au Venezuela et a gouverné par décrets. Au mois d’avril 2017, des manifestations quasi quotidiennes se sont déroulées pendant plusieurs mois, ayant pour conséquence un grand nombre de décès et de blessés parmi les civils et des milliers d’arrestations. Au mois de mai 2017, le président du Venezuela de l’époque a annoncé la création d’une Assemblée constituante dont les membres avaient été élus le 30 juillet 2017 par un processus électoral boycotté par l’opposition.

73      C’est au vu de ces considérations qu’il y a lieu d’apprécier si sont entachés d’erreurs d’appréciation les motifs de l’inscription et du maintien du nom du requérant sur les listes litigieuses, tirés du fait que, compte tenu de ses fonctions de membre, puis de président de l’Assemblée constituante ainsi que de premier vice-président du PSUV, il était impliqué dans des atteintes à la démocratie et à l’état de droit au Venezuela, notamment en utilisant les médias pour attaquer et menacer publiquement l’opposition politique, d’autres médias et la société civile.

 Sur la première branche, dirigée contre les actes attaqués, tirée d’une « erreur manifeste d’appréciation »

74      Le requérant soutient que le fait d’avoir son propre programme de télévision ne prouve ni qu’il a utilisé les médias pour attaquer et menacer publiquement l’opposition politique, d’autres médias et la société civile, ni qu’il a, comme le fait valoir le Conseil, porté atteinte à la démocratie et à l’état de droit au Venezuela. En particulier, le requérant prétend que le Conseil a méconnu le contenu des articles sur lesquels ce dernier s’est basé. Le Conseil se serait ainsi fondé sur le titre d’un article publié par le journal Impactocna faisant état de ce que le requérant avait proféré des menaces à l’encontre des services du procureur général du Venezuela, alors que telle ne serait pas la portée du contenu dudit article. Cet article se référerait à une conférence de presse du requérant dans le contexte de révélations selon lesquelles le procureur général aurait manqué aux devoirs de sa fonction. Dans ce contexte, le requérant aurait seulement affirmé qu’il appartiendrait à l’Assemblée constituante de déterminer si le ministère public tournait le dos au pays ou était soucieux de ses intérêts, sans qu’il y ait là de menace.

75      Le Conseil aurait, ensuite, tiré argument de ce que le requérant aurait menacé les médias, en accusant notamment des journalistes de complicité dans un attentat à la bombe ayant tué sept membres de la Garde nationale bolivarienne. Or, dans l’article du journal El Nuevo Siglo, sur lequel le Conseil se serait basé, le requérant se serait limité à faire écho à une déclaration du commandant de la Garde nationale bolivarienne selon lequel des journalistes savaient qu’il y avait une bombe et n’en avaient rien dit, en attendant qu’elle explose.

76      Dès lors, le requérant conclut que le Conseil n’a pas effectué une appréciation minutieuse et impartiale des éléments de preuve ou, à tous le moins, que son appréciation est manifestement erronée.

77      Le Conseil conteste l’argumentation du requérant.

78      En l’espèce, s’agissant en premier lieu des éléments de preuve mis en cause par le requérant, il convient de relever, d’une part, que, dans l’article publié sur le site « impactocna.com » le 31 mai 2017, il est fait état d’une déclaration du requérant faite devant des journalistes selon laquelle, lorsqu’elle serait installée, l’Assemblée constituante devrait décider de permettre ou non au bureau de la procureure générale ou à tout pouvoir constitué de « tourner le dos au pays ». Toujours dans cette déclaration, le requérant a affirmé que le bureau de la procureure générale soutenait la violence et se rendait complice de meurtres, en se référant au fait que celle-ci avait critiqué le comportement des forces de police lors de manifestations qui secouaient le pays. De plus, en réaction aux positions notamment de la procureure générale qui s’était opposée au gouvernement et à la convocation de l’Assemblée constituante, le requérant a ajouté qu’il y avait assez de traîtres et que « l’on était soit avec le pays soit avec l’opposition qui voulait sa destruction ». Le requérant n’a pas contesté le contenu de cet article de presse mais a simplement indiqué qu’il avait seulement affirmé qu’il appartiendrait à l’Assemblée constituante de déterminer si le ministère public cherchait à servir les intérêts du pays, sans qu’il y ait là de menace. Toutefois, il ne saurait être reproché au Conseil d’avoir déduit de cet article que le requérant avait menacé le bureau de la procureure générale en déclarant, en substance, que l’Assemblée constituante déciderait de maintenir ou non ce service et qu’il n’accepterait pas la présence de traîtres, ou encore que le bureau de la procureure générale soutenait la violence tout en devenant un complice de meurtres.

79      D’autre part, selon l’article du journal El Nuevo Siglo du 13 juillet 2017, le requérant a repris à son compte une déclaration du commandant de la Garde nationale bolivarienne selon laquelle des journalistes connaissaient l’existence d’une bombe qui, en explosant, a en effet blessé sept soldats, mais ne les avaient pas avertis, en attendant qu’elle explose. Selon le même article, le requérant a ajouté, d’une part, que cette explosion s’était produite avec la complicité des journalistes présents et, d’autre part, que les journalistes se trouvaient sur le lieu de l’explosion car ils savaient ce qui devait se passer. Ainsi, contrairement à ce que fait valoir le requérant, le Conseil pouvait déduire de cet article que le requérant avait accusé ces journalistes de complicité dans une attaque à la bombe perpétrée contre la Garde nationale bolivarienne, en dépit du fait que celui-ci a réagi à une déclaration du commandant de la Garde nationale bolivarienne.

80      En second lieu, il convient de constater que le requérant n’a formulé aucune contestation à l’égard des autres éléments de preuve sur lesquels le Conseil s’est fondé dans son dossier.

81      Premièrement, le requérant n’a pas présenté d’arguments à l’égard d’un rapport de 2017 sur le Venezuela émanant de l’organisation non gouvernementale Freedom House lui reprochant d’avoir utilisé, lors de son émission télévisée, des informations provenant de l’enregistrement illégal de conversations privées, cela afin d’attaquer des opposants politiques.

82      Deuxièmement, le requérant ne s’est pas davantage exprimé sur le rapport du secrétaire général de l’Organisation des États américains (OEA) sur le Venezuela, du 19 juillet 2017, accusant le requérant d’inciter à la répression brutale par une rhétorique incendiaire, de donner des instructions pour déployer des corps de combat contre les manifestations de l’opposition, de menacer publiquement des dirigeants de l’opposition en déclarant « nous savons où vous vivez », d’avoir exhibé publiquement, lors de son émission de télévision hebdomadaire Con el Mazo Dando, un « manuel pour les combattants révolutionnaires » qui comportait des informations personnelles sur les dirigeants de l’opposition, et notamment leur lieu de résidence, afin d’intimider l’opposition et, potentiellement, de mettre en danger ses membres. Ces dernières informations figurent également dans des articles du journal Infobae parus les 18 et 20 avril 2017.

83      Troisièmement, le requérant n’a pas critiqué le communiqué de presse de l’organisation Transparency International faisant état de manœuvres d’intimidation du requérant, lors de son émission de télévision et sur le site Internet de celle-ci, envers les mouvements dénonçant les violations des droits de l’homme au Venezuela.

84      Quatrièmement, le requérant n’a pas contesté l’information figurant dans un rapport de l’OEA du 14 mars 2017 selon laquelle il était impliqué dans des actes de torture.

85      Cinquièmement, le requérant n’a pas contesté un article du journal Efecto Cocuyo, du 19 juillet 2017, dont le Conseil a tiré que le requérant avait menacé les juges qui seraient nommés au Tribunal Supremo de Justicia (Cour suprême, Venezuela) par l’Assemblée nationale.

86      Au vu de l’ensemble des éléments exposés aux points 78 à 85 ci-dessus, il y a lieu de considérer que c’est sans commettre d’erreur d’appréciation que le Conseil a conclu que, compte tenu de ses fonctions de membre de l’Assemblée constituante et de premier vice-président du PSUV, le requérant était impliqué dans des atteintes à la démocratie et à l’état de droit au Venezuela, notamment en utilisant les médias pour attaquer et menacer publiquement l’opposition politique, d’autres médias et la société civile.

87      Il s’ensuit que la première branche du deuxième moyen n’est pas fondée.

 Sur la seconde branche du deuxième moyen, dirigée contre la décision 2018/1656 et le règlement d’exécution 2018/1653, tirée d’une « erreur manifeste d’appréciation »

88      Dans son mémoire en adaptation de la requête, le requérant conteste le maintien par la décision 2018/1656 et par le règlement d’exécution 2018/1653 de son nom sur les listes litigieuses. Il soutient qu’il ressort du libellé de la motivation figurant dans ces actes que le Conseil attache une importance spécifique au fait qu’il est devenu le président de l’Assemblée constituante. Selon le requérant, le simple fait qu’il soit le président de l’Assemblée constituante n’est pas suffisant pour justifier son maintien sur les listes litigieuses et pour prouver que ses actions et ses politiques, dans le cadre de ses fonctions, ont porté atteinte à la démocratie et à l’état de droit au Venezuela.

89      À cet égard, le requérant allègue que le président de l’Assemblée constituante est, comme tel, seulement investi de simples compétences organisationnelles et administratives concernant la gestion et le fonctionnement de l’Assemblée constituante et qu’il n’a ni « vote qualifié » ni droit de veto. Cette fonction ne serait ainsi pas suffisante pour prouver que ses actions ont porté atteinte à la démocratie et à l’état de droit au Venezuela. Or, selon le requérant, l’inscription sur les listes litigieuses en raison de liens avec une entité suspectée d’avoir porté atteinte à la démocratie ou violé les droits de l’homme ne saurait se fonder sur des présomptions non étayées par le comportement de l’intéressé.

90      Le Conseil conteste l’argumentation du requérant.

91      Il convient d’observer que si, comme le soutient le requérant, la décision 2018/1656 et le règlement d’exécution 2018/1653 ont modifié les motifs de son inscription sur les listes litigieuses en substituant à sa qualité de membre de l’Assemblée constituante celle de président de cette assemblée, les autres motifs d’inscription demeurent identiques de sorte qu’il ne s’agit que d’une simple actualisation des données afin de prendre en compte le changement de fonction du requérant intervenu postérieurement à son inscription sur ces listes.

92      Partant, le grief, que le requérant tire de ce que la décision 2018/1656 et le règlement d’exécution 2018/1653 mentionnent sa nouvelle fonction de président de l’Assemblée constituante, ne saurait entraîner l’annulation de ces deux actes dans la mesure où il ne ressort pas du dossier que cette circonstance serait la seule raison du maintien de son nom sur les listes litigieuses. En effet, le Conseil précise dans ses observations sur le mémoire en adaptation, sans être contredit par le requérant, que le maintien du nom de celui-ci sur les listes litigieuses continuait d’être justifié sur la base du dossier qui avait fondé l’inscription initiale de son nom sur ces listes.

93      Au demeurant, la prise de fonctions plus importantes par le requérant au sein de l’Assemblé constituante ne saurait remettre en cause le maintien de son nom sur les listes litigieuses. En effet, les mesures restrictives ont une nature conservatoire et, par définition, provisoire, dont la validité est toujours subordonnée à la perpétuation des circonstances de fait et de droit ayant présidé à leur adoption ainsi qu’à la nécessité de leur maintien en vue de la réalisation de l’objectif qui leur est associé. C’est ainsi qu’il incombe au Conseil, lors du réexamen périodique de ces mesures restrictives, de procéder à une appréciation actualisée de la situation et d’établir un bilan de l’impact de telles mesures, en vue de déterminer si elles ont permis d’atteindre les objectifs visés par l’inscription initiale des noms des personnes et des entités concernées sur la liste litigieuse ou s’il est toujours possible de tirer la même conclusion concernant lesdites personnes et entités (arrêt du 12 février 2020, Amisi Kumba/Conseil, T‑163/18, EU:T:2020:57, points 58 et 59). Dès lors, la circonstance que le requérant ait été nommé président de ladite assemblée ne saurait, par elle-même, faire obstacle au maintien de son inscription sur les listes litigieuses. Au contraire, l’exercice de fonctions plus importantes au sein de cette assemblée conjugué avec les atteintes à l’état de droit et à la démocratie commises par le requérant alors qu’il exerçait des fonctions de moindre importance au sein de cette assemblée (voir point 86 ci-dessus) justifie le maintien de l’inscription du requérant sur les listes litigieuses.

94      Par conséquent, à l’instar des conclusions tirées dans le cadre de la première branche du présent moyen, il convient de rejeter la présente branche.

95      Au vu des considérations qui précèdent, il y a lieu de rejeter le deuxième moyen.

 Sur le troisième moyen, tiré d’une violation de la liberté d’expression

96      Selon le requérant, les actes attaqués constituent une restriction illégale à sa liberté d’expression dont il pourrait se prévaloir en tant que commentateur, journaliste et entrepreneur de spectacles. Ce droit couvrirait en particulier ses déclarations diffusées dans le cadre de son émission de télévision hebdomadaire, intitulée Con el Mazo Dando.

97      Afin d’établir le caractère illégal des actes attaqués, le requérant fait valoir que la Constitution vénézuélienne garantit une large liberté d’expression et le droit de recevoir des informations. De plus, la Ley de Responsabilidad Social en Radio, Televisión y Medios Electrónicos (loi relative à la responsabilité sociale de la radio, de la télévision et des médias électroniques) organiserait la fourniture de services de télécommunication sur la base de cette liberté d’expression.

98      Le requérant se réfère également à l’article 11 de la Charte ainsi qu’à l’article 10 de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci‑après la « CEDH ») et à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (ci-après la « Cour EDH »).

99      Le Conseil conteste l’argumentation du requérant.

100    Il convient de rappeler que le respect des droits fondamentaux s’impose à toute action de l’Union, y compris dans le domaine de la PESC, ainsi que cela ressort des dispositions combinées des articles 21 et 23 TUE (voir arrêt du 27 septembre 2018, Ezz e.a./Conseil, T‑288/15, EU:T:2018:619, point 58 et jurisprudence citée). Étant donné que la liberté d’expression et d’information est garantie par l’article 11 de la Charte ainsi que, dans les conditions qui suivent, par l’article 10 de la CEDH, il y a lieu de contrôler le respect de ce droit par les actes attaqués.

101    S’agissant de l’article 10 de la CEDH, il doit être relevé que, certes, cette dernière ne constitue pas, tant que l’Union n’y a pas adhéré, un instrument juridique formellement intégré à l’ordre juridique de l’Union. Par conséquent, l’examen de la validité d’un acte de droit dérivé de l’Union doit être opéré au regard uniquement des droits fondamentaux garantis par la Charte. Toutefois, il convient de rappeler, d’une part, que, en vertu de l’article 6, paragraphe 3, TUE, les droits fondamentaux reconnus par la CEDH font partie du droit de l’Union en tant que principes généraux et que, d’autre part, il découle de l’article 52, paragraphe 3, de la Charte que les droits contenus dans celle-ci, correspondant à des droits garantis par la CEDH, ont le même sens et la même portée que ceux que leur confère la CEDH. Aux termes des explications relatives à cette disposition, lesquelles, conformément à l’article 6, paragraphe 1, troisième alinéa, TUE et à l’article 52, paragraphe 7, de la Charte, doivent être prises en considération en vue de son interprétation, le sens et la portée des droits garantis sont déterminés non seulement par le texte de la CEDH mais aussi, notamment, par la jurisprudence de la Cour EDH. Il ressort, en outre, desdites explications que l’article 52, paragraphe 3, de la Charte vise à assurer la cohérence nécessaire entre les droits contenus dans la Charte et les droits correspondants garantis par la CEDH, sans que cela porte atteinte à l’autonomie du droit de l’Union et de la Cour de justice de l’Union européenne. De surcroît, il doit être relevé que cette équivalence entre les libertés garanties par la Charte et celles garanties par la CEDH a été énoncée formellement concernant la liberté d’expression (voir arrêt du 31 mai 2018, Korwin-Mikke/Parlement, T‑770/16, EU:T:2018:320, point 38 et jurisprudence citée).

102    Il résulte du texte même de l’article 11, paragraphe 1, de la Charte et de l’article 10, paragraphe 1, de la CEDH que « [t]oute personne a droit à la liberté d’expression ». La Cour EDH a déjà jugé que la liberté d’expression constitue l’un des fondements essentiels d’une société démocratique et que ce texte ne fait pas de distinction selon la nature du but recherché ni selon le rôle que les personnes physiques ou morales ont joué dans l’exercice de cette liberté (Cour EDH, 28 septembre 1999, Öztürk c. Turquie, CE:ECHR:1999:0928JUD002247993, point 49).

103    Il convient de relever que la Cour EDH accorde un poids particulier au rôle joué par les journalistes en tant que « chiens de garde » de la société en général et de la démocratie en particulier. Elle recommande « la plus grande prudence » lorsqu’il s’agit d’apprécier la validité des restrictions à leur liberté d’expression (voir, en ce sens, Cour EDH, 24 juin 2014, Roșiianu c. Roumanie, CE:ECHR:2014:0624JUD002732906, point 61). Elle souligne également que les médias audiovisuels, tels que la radio et la télévision, ont un rôle particulièrement important à jouer à cet égard. En raison de leur pouvoir de faire passer des messages par le son et par l’image, ils ont des effets plus immédiats et plus puissants que la presse écrite. La fonction de la télévision et de la radio, sources familières de divertissement au cœur de l’intimité du téléspectateur ou de l’auditeur, renforce encore leur impact (Cour EDH, 17 septembre 2009, Manole et autres c. Moldavie, CE:ECHR:2009:0917JUD001393602, point 97).

104    Néanmoins, la Cour EDH considère que le droit des journalistes de communiquer des informations sur des questions d’intérêt général est protégé à condition qu’ils agissent de bonne foi, sur la base de faits exacts, et fournissent des informations « fiables et précises » dans le respect de l’éthique journalistique. L’article 10, paragraphe 2, de la CEDH souligne que l’exercice de la liberté d’expression comporte des « devoirs et responsabilités », qui valent aussi pour les médias même s’agissant de questions d’un grand intérêt général (voir Cour EDH, 17 décembre 2004, Pedersen et Baadsgaard c. Danemark, CE:ECHR:2004:1217JUD004901799, point 78 et jurisprudence citée). Il résulte de la jurisprudence de la Cour EDH que le fait que les médias audiovisuels ont des effets souvent beaucoup plus immédiats et puissants que la presse écrite est un élément à prendre en considération lors de l’appréciation des « devoirs et responsabilités » susvisés (voir, en ce sens, Cour EDH, 16 juin 2015, Delfi AS c. Estonie, CE:ECHR:2015:0616JUD006456909, point 134).

105    Par ailleurs, la Cour EDH a retenu que l’article 10, paragraphe 2, de la CEDH ne laissait guère de place pour des restrictions à la liberté d’expression dans le domaine du discours politique ou de questions d’intérêt général. En effet, en principe, les propos se rapportant à de telles questions d’intérêt public appellent une forte protection, au contraire de ceux défendant ou justifiant la violence, la haine, la xénophobie ou d’autres formes d’intolérance, qui ne sont normalement pas protégés. Le discours politique, par nature, est source de polémiques et souvent virulent, mais il n’en demeure pas moins d’intérêt public, sauf s’il franchit une limite et dégénère en un appel à la violence, à la haine ou à l’intolérance (Cour EDH, 15 octobre 2015, Perinçek c. Suisse, CE:ECHR:2015:1015JUD002751008, points 197, 230 et 231 ; voir également, en ce sens, Cour EDH, 8 juillet 1999, Sürek c. Turquie (No 1), CE:ECHR:1999:0708JUD002668295, points 61 et 62). Selon la Cour EDH, pour déterminer si les propos tenus dans leur ensemble peuvent passer pour une incitation à la violence, il convient de porter une attention aux termes employés et au contexte dans lequel leur diffusion s’inscrit (voir, en ce sens, Cour EDH, 6 juillet 2010, Gözel et Özer c. Turquie, CE:ECHR:2010:0706JUD004345304, point 52) En particulier, si ces propos ont été prononcés dans un contexte politique ou social tendu, cette Cour reconnaît généralement qu’une certaine forme d’ingérence visant de tels propos peut se justifier en vertu de l’article 10, paragraphe 2, de la CEDH (voir, en ce sens, Cour EDH, 15 octobre 2015, Perinçek c. Suisse, CE:ECHR:2015:1015JUD002751008, point 205).

106    Pour l’application des principes susvisés au cas d’espèce, il convient de tenir compte du contexte de la présente affaire, qui est caractérisée par des spécificités qui la distinguent de celles qui ont permis à la Cour EDH de développer sa jurisprudence (voir, en ce sens, arrêt du 15 juin 2017, Kiselev/Conseil, T‑262/15, EU:T:2017:392, point 93).

107    En effet, il y a lieu de souligner que les principes découlant de la jurisprudence de la Cour EDH ont été établis au regard de situations dans lesquelles une personne ayant tenu des propos ou réalisé des actions considérés comme étant inacceptables par un État ayant adhéré à la CEDH se voyait imposer par cet État, où elle était établie, des mesures répressives, souvent de nature pénale, et invoquait la liberté d’expression comme moyen de défense contre ledit État (arrêt du 15 juin 2017, Kiselev/Conseil, T‑262/15, EU:T:2017:392, point 94).

108    En revanche, en l’espèce, le requérant est un citoyen vénézuélien, résidant au Venezuela, qui exerce dans son propre pays des fonctions politiques et dispose d’un accès important aux médias audiovisuels dans ledit pays.

109    C’est dans un tel contexte que le requérant invoque le droit à la liberté d’expression. Il ne se prévaut donc pas de ce droit comme moyen de défense contre l’État vénézuélien, mais pour se prémunir de mesures restrictives, ayant une nature conservatoire, et non pénale, que le Conseil a adoptées afin de réagir face à la situation qui prévaut au Venezuela (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 15 juin 2017, Kiselev/Conseil, T‑262/15, EU:T:2017:392, point 97).

110    C’est au vu de tous ces principes et de toutes ces considérations qu’il y a lieu d’examiner le présent moyen.

111    Il convient de souligner que le requérant a été inscrit et maintenu sur les listes litigieuses en tant que personnalité politique vénézuélienne de premier plan, pour avoir publiquement attaqué et menacé l’opposition politique, des médias et la société civile. Ce motif a permis au Conseil d’appliquer le critère prévu à l’article 6, paragraphe 1, sous b), de la décision 2017/2074 relatif à l’inscription des noms des personnes physiques dont les actions, les politiques ou les activités portent atteinte d’une quelconque manière à la démocratie ou à l’état de droit au Venezuela.

112    Il y a lieu de relever que les interventions médiatiques du requérant, sur lesquelles le Conseil s’est fondé afin de justifier les actes attaqués, relèvent, notamment, de ses actes politiques et des déclarations lors de mobilisations, devant la presse et lors de conférences de presse.

113    Il s’ensuit que le requérant a fait l’objet des mesures restrictives en cause en tant que personnalité politique ayant porté atteinte à la démocratie et à l’état de droit par des menaces publiques et ciblées contre l’opposition politique, des médias et la société civile.

114    En ce qui concerne l’argument du requérant par lequel il se prévaut d’un statut de commentateur, de journaliste et d’entrepreneur de spectacles, il convient de relever que son émission de télévision hebdomadaire, seule preuve, au demeurant, du statut de journaliste qu’il invoque à son profit, apparaît comme un prolongement de ses activités politiques. En effet, ainsi qu’il résulte des points 81 à 83 ci-dessus, le requérant a utilisé son émission pour attaquer ses opposants politiques et pour donner des instructions relatives à des actions à l’encontre de l’opposition. Au demeurant, ainsi que cela est constaté au point 112 ci-dessus, les actes du requérant retenus par le Conseil ne relèvent pas exclusivement de son émission de télévision. En tout état de cause, il résulte de la jurisprudence de la Cour EDH que les principes relatifs à la bonne foi et aux obligations éthiques des journalistes que ceux-ci sont tenus de respecter pour pouvoir se prévaloir d’une plus grande protection des ingérences affectant leur liberté d’expression (voir point 104 ci-dessus) s’appliquent également aux autres personnes qui s’engagent dans le débat public (voir, en ce sens, Cour EDH, 15 février 2005, Steel et Morris c. Royaume-Uni, CE:ECHR:2005:0215JUD006841601, point 90, et 29 novembre 2005, Urbino Rodrigues c. Portugal, CE:ECHR:2005:1129JUD007508801, point 25). Ainsi, lesdits principes sont pertinents s’agissant de la situation du requérant, qui est sans aucun doute intervenu dans le débat public en cours au Venezuela.

115    Il ressort de l’examen du dossier que, sans avoir assumé les « devoirs et responsabilités » visés par la jurisprudence de la Cour EDH, le requérant a utilisé librement les médias afin de menacer et d’intimider publiquement l’opposition politique, d’autres médias et la société civile.

116    Notamment, le requérant a accusé des journalistes de complicité dans une attaque à la bombe perpétrée contre la Garde nationale. De plus, il n’a pas contesté avoir entrepris des manœuvres d’intimidation sur son site Internet envers les mouvements dénonçant les violations des droits de l’homme au Venezuela, ou encore avoir utilisé, dans le cadre de son émission télévisée, des informations provenant de l’enregistrement illégal de conversations privées afin d’attaquer des opposants politiques. Il n’a pas non plus contesté les informations selon lesquelles il a incité à la répression brutale par une rhétorique incendiaire, il a donné des instructions pour déployer des corps de combat contre les manifestations de l’opposition, il a menacé publiquement des dirigeants de l’opposition en déclarant « nous savons où vous vivez », il a exhibé publiquement un « manuel pour les combattants révolutionnaires » qui comportait des informations personnelles sur les dirigeants de l’opposition, et notamment leur lieu de résidence, afin d’intimider l’opposition. Le requérant n’a pas davantage remis en cause l’information figurant dans un rapport de l’OEA du 14 mars 2017 selon laquelle il était impliqué dans des actes de torture.

117    Dès lors, il y a lieu de constater que les actes du requérant examinés par le Conseil dans son dossier constituent une incitation à la violence, à la haine et à l’intolérance au sens de la jurisprudence rappelée au point 105 ci-dessus, de sorte qu’ils ne peuvent pas bénéficier de la liberté d’expression accrue qui protège en principe les propos tenus dans le contexte politique. Ces actes sont, en effet, des attaques réelles portant atteinte à la démocratie et à l’état de droit au Venezuela.

118    Partant, il convient de rejeter les arguments du requérant tirés de son rôle de journaliste afférents à la liberté d’expression dont jouissent les journalistes.

119    Par ailleurs, il est vrai que, ainsi qu’il a été rappelé au point 102 ci-dessus, « toute personne » bénéficie de la liberté d’expression. De plus, en l’espèce, les mesures restrictives imposées au requérant peuvent induire des limitations à la liberté d’expression à son égard dès lors qu’elles ont été décidées par le Conseil en raison notamment de certains de ses propos et sont donc susceptibles de le dissuader de s’exprimer dans des termes semblables. Toutefois, il convient de relever que la liberté d’expression ne constitue pas une prérogative absolue et peut faire l’objet de limitations dans les conditions énoncées à l’article 52, paragraphe 1, de la Charte.

120    Pour être conforme au droit de l’Union, une atteinte à la liberté d’expression doit répondre à une triple condition. Premièrement, la limitation en cause doit être « prévue par la loi ». En d’autres termes, l’institution de l’Union adoptant des mesures susceptibles de restreindre la liberté d’expression d’une personne doit disposer d’une base légale à cette fin. Deuxièmement, la limitation en cause doit viser un objectif d’intérêt général, reconnu comme tel par l’Union. Troisièmement, la limitation en cause ne doit pas être excessive (voir arrêt du 15 juin 2017, Kiselev/Conseil, T‑262/15, EU:T:2017:392, point 69 et jurisprudence citée).

121    S’agissant de la première condition, il convient d’observer que, en l’espèce, la limitation est « prévue par la loi », compte tenu du fait qu’elle se trouve énoncée dans des actes ayant notamment une portée générale et dispose de bases juridiques claires en droit de l’Union, à savoir l’article 29 TUE et l’article 215 TFUE (voir, en ce sens, arrêt du 15 juin 2017, Kiselev/Conseil, T‑262/15, EU:T:2017:392, point 72).

122    S’agissant de la deuxième condition, il convient de constater que, ainsi que cela résulte de l’examen du deuxième moyen, les actes attaqués sont conformes, en ce qui concerne le requérant, à l’objectif, visé à l’article 21, paragraphe 2, sous b), TUE, tendant à consolider et à soutenir la démocratie et l’état de droit dans la mesure où ils s’inscrivent dans le cadre d’une politique visant à favoriser la démocratie au Venezuela.

123    S’agissant de la troisième condition, il doit être relevé que celle-ci comporte deux volets : d’une part, les limitations de la liberté d’expression susceptibles de découler des mesures restrictives en cause doivent être nécessaires et proportionnées au but recherché et, d’autre part, la substance de cette liberté ne doit pas être atteinte (voir, par analogie, arrêt 15 juin 2017, Kiselev/Conseil, T‑262/15, EU:T:2017:392, point 84). En ce qui concerne le premier volet, il y a lieu de rappeler que le principe de proportionnalité, en tant que principe général du droit de l’Union, exige que les actes des institutions de l’Union ne dépassent pas les limites de ce qui est approprié et nécessaire à la réalisation des objectifs poursuivis par la réglementation en cause. Ainsi, lorsqu’un choix s’offre entre plusieurs mesures appropriées, il convient de recourir à la moins contraignante et les inconvénients causés ne doivent pas être démesurés par rapport aux buts visés (arrêt 15 juin 2017, Kiselev/Conseil, T‑262/15, EU:T:2017:392, point 87).

124    À ce propos, la jurisprudence précise que, s’agissant du contrôle juridictionnel du respect du principe de proportionnalité, il convient de reconnaître un large pouvoir d’appréciation au législateur de l’Union dans des domaines qui impliquent de la part de ce dernier des choix de nature politique, économique et sociale, et dans lesquels il est appelé à effectuer des appréciations complexes. Dès lors, seul le caractère manifestement inapproprié d’une mesure adoptée en ces domaines, par rapport à l’objectif que l’institution compétente entend poursuivre, peut affecter la légalité d’une telle mesure (arrêt du 15 juin 2017, Kiselev/Conseil, T‑262/15, EU:T:2017:392, point 88).

125    En l’espèce, en ce qui concerne le caractère adéquat des mesures restrictives, telles que celles imposées au requérant, au regard d’un objectif d’intérêt général aussi fondamental pour la communauté internationale que la protection de la démocratie et de l’état de droit, il apparaît que le gel de fonds, d’avoirs financiers et d’autres ressources économiques des personnes identifiées comme étant impliquées dans les atteintes à la démocratie au Venezuela ne sauraient, en tant que tels, passer pour inadéquat (voir, en ce sens, arrêt du 12 février 2020, Boshab/Conseil, T‑171/18, non publié, EU:T:2020:55, point 134 et jurisprudence citée). Or, ainsi qu’il a été relevé au point 117 ci-dessus, par ses incitations à la violence, à la haine et à l’intolérance, le requérant est à l’origine de telles atteintes.

126    En ce qui concerne le caractère nécessaire des limitations en cause, il convient de constater que des mesures restrictives alternatives et moins contraignantes, telles qu’un système d’autorisation préalable ou une obligation de justification a posteriori de l’usage des fonds versés, ne permettent pas d’atteindre aussi efficacement les objectifs poursuivis, à savoir l’exercice d’une pression sur les décideurs vénézuéliens responsables de la situation au Venezuela, notamment eu égard à la possibilité de contourner les restrictions imposées (voir, en ce sens, arrêt du 15 juin 2017, Kiselev/Conseil, T‑262/15, EU:T:2017:392, point 85).

127    Par ailleurs, il doit être rappelé que l’article 7, paragraphe 4, de la décision 2017/2074 et l’article 9, paragraphe 1, du règlement 2017/2063 prévoient la possibilité d’autoriser le déblocage de certains fonds ou de ressources économiques gelés pour que les personnes visées puissent faire face à des besoins fondamentaux ou satisfaire à certains engagements.

128    Dès lors que les limitations à la liberté d’expression du requérant que les mesures restrictives en cause sont susceptibles de comporter à l’égard du requérant sont nécessaires et proportionnées au but recherché, il convient d’examiner si celles-ci portent atteinte à la substance de cette liberté.

129    Il y a lieu de rappeler que les mesures restrictives en cause prévoient, d’une part, que les États membres prennent les mesures nécessaires pour empêcher son entrée ou son passage en transit sur leur territoire et, d’autre part, un gel de ses fonds et de ses ressources économiques placés dans l’Union.

130    Or, le requérant est ressortissant d’un État tiers à l’Union, le Venezuela, et réside dans cet État où il exerce son activité professionnelle d’homme politique actif également dans les médias de ce pays. Partant, les mesures restrictives en cause ne portent pas atteinte à la substance du droit du requérant d’exercer sa liberté d’expression notamment dans le cadre de son activité professionnelle dans le secteur des médias, dans le pays où il réside et travaille (voir, par analogie, arrêt du 15 juin 2017, Kiselev/Conseil, T‑262/15, EU:T:2017:392, point 123).

131    En outre, ces mesures ont un caractère temporaire et réversible. En effet, il résulte de l’article 13 de la décision 2017/2074 que celle-ci fait l’objet d’un suivi constant (voir point 7 ci-dessus).

132    Par conséquent, les mesures restrictives dont fait l’objet le requérant ne violent pas sa liberté d’expression.

133    Eu égard à tout ce qui précède, le troisième moyen doit être rejeté.

134    Tous les moyens du requérant étant écartés, il convient de rejeter le recours dans son ensemble.

 Sur les dépens

135    Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Le requérant ayant succombé, il y a lieu de le condamner aux dépens, conformément aux conclusions du Conseil.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (septième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      M. Diosdado Cabello Rondón est condamné aux dépens.

da Silva Passos

Reine

Truchot

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 14 juillet 2021.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.


1      Le présent arrêt fait l’objet d’une publication par extraits.