ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

21 juin 2016 (*)

« Renvoi préjudiciel – Libre circulation des marchandises – Interdiction des mesures d’effet équivalent à des restrictions quantitatives à l’exportation – Article 35 TFUE – Société établie dans la région de langue néerlandaise du Royaume de Belgique – Réglementation imposant de rédiger les factures en langue néerlandaise sous peine de nullité absolue – Contrat de concession à caractère transfrontalier – Restriction – Justification – Absence de proportionnalité »

Dans l’affaire C‑15/15,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le rechtbank van koophandel te Gent (tribunal de commerce de Gand, Belgique), par décision du 18 décembre 2014, parvenue à la Cour le 16 janvier 2015, dans la procédure

New Valmar BVBA

contre

Global Pharmacies Partner Health Srl,

LA COUR (grande chambre),

composée de M. K. Lenaerts, président, M. A. Tizzano, vice-président, Mme R. Silva de Lapuerta, MM. L. Bay Larsen, A. Arabadjiev et F. Biltgen, présidents de chambre, MM. J. Malenovský, J.‑C. Bonichot, C. Vajda, S. Rodin et E. Regan (rapporteur), juges,

avocat général : M. H. Saugmandsgaard Øe,

greffier : Mme M. Ferreira, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 26 janvier 2016,

considérant les observations présentées :

–        pour New Valmar BVBA, par Me P. Devos, advocaat,

–        pour le gouvernement belge, par Mmes J. Van Holm et L. Van den Broeck, en qualité d’agents, assistées de Mes H. De Bauw et B. Martel, advocaten,

–        pour le gouvernement lituanien, par MM. D. Kriaučiūnas et R. Dzikovič, en qualité d’agents,

–        pour la Commission européenne, par MM. E. Manhaeve, M. van Beek et G. Wilms, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 21 avril 2016,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 45 TFUE.

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant New Valmar BVBA à Global Pharmacies Partner Health Srl (ci-après « GPPH ») au sujet du non-paiement de plusieurs factures.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

3        L’article 226 de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO 2006, L 347, p. 1), telle que modifiée par la directive 2010/45/UE du Conseil, du 13 juillet 2010 (JO 2010, L 189, p. 1) (ci-après la « directive 2006/112 »), énonce les mentions qui doivent obligatoirement figurer sur les factures.

4        L’article 248 bis de cette directive dispose ce qui suit :

« À des fins de contrôle, et en ce qui concerne les factures portant sur des livraisons de biens ou des prestations de services effectuées sur leur territoire et les factures reçues par des assujettis établis sur leur territoire, les États membres peuvent, pour certains assujettis ou dans certains cas, exiger une traduction dans leur(s) langue(s) officielle(s). Les États membres ne peuvent toutefois pas imposer l’obligation générale de traduire les factures. »

 Le droit belge

5        L’article 4 de la Grondwet (Constitution), dans sa version coordonnée du 17 février 1994 (Belgisch Staatsblad, 17 février 1994, p. 4054), énonce :

« La Belgique comprend quatre régions linguistiques : la région de langue française, la région de langue néerlandaise, la région bilingue de Bruxelles-Capitale et la région de langue allemande.

Chaque commune du Royaume fait partie d’une de ces régions linguistiques.

[...] »

6        L’article 129, paragraphe 1, point 3, de la Constitution dispose :

« Les Parlements de la Communauté française et de la Communauté flamande, chacun pour ce qui le concerne, règlent par décret, à l’exclusion du législateur fédéral, l’emploi des langues pour :

[...]

3.      les relations sociales entre les employeurs et leur personnel, ainsi que les actes et documents des entreprises imposés par la loi et les règlements. »

7        Aux termes de l’article 52, paragraphe 1, premier alinéa, des wetten op het gebruik van de talen in bestuurzaken (lois sur l’emploi des langues en matière administrative), coordonnées par l’arrêté royal du 18 juillet 1966 (Belgisch Staatsblad, 2 août 1966, p. 7798) (ci-après la « loi sur l’emploi des langues ») :

« Pour les actes et documents imposés par la loi et les règlements [...], les entreprises industrielles, commerciales ou financières font usage de la langue de la région où est ou sont établis leur siège ou leurs différents sièges d’exploitation. »

8        Le decreet tot regeling van het gebruik van de talen voor de sociale betrekkingen tussen de werkgevers en de werknemers, alsmede van de door de wet en de verordeningen voorgeschreven akten en bescheiden van de ondernemingen (décret réglant l’emploi des langues en matière de relations sociales entre employeurs et travailleurs, ainsi qu’en matière d’actes et de documents d’entreprise imposés par la loi et les règlements), de la Vlaamse Gemeenschap (Communauté flamande, Belgique), du 19 juillet 1973 (Belgisch Staatsblad, 6 septembre 1973, p. 10089 ; ci-après le « décret sur l’emploi des langues »), a été adopté sur la base de l’article 129, paragraphe 1, point 3, de la Constitution.

9        L’article 1er de ce décret dispose :

« Le présent décret est applicable aux personnes physiques et morales ayant un siège d’exploitation dans la région de langue néerlandaise. Il règle l’emploi des langues en matière de relations sociales entre employeurs et travailleurs, ainsi qu’en matière d’actes et de documents d’entreprise prescrits par la loi.

[...] »

10      L’article 2 dudit décret précise que « [l]a langue à utiliser pour les relations sociales entre employeurs et travailleurs, ainsi que pour les actes et documents des entreprises prescrits par la loi, est le néerlandais. »

11      Aux termes de l’article 10 du même décret :

« Les documents ou les actes qui sont contraires aux dispositions du présent décret sont nuls. La nullité en est constatée d’office par le juge.

[...]

Le jugement ordonne le remplacement d’office des documents en cause.

La levée de la nullité n’a d’effet qu’à partir du jour de la substitution : pour les documents écrits à partir du dépôt des documents substitutifs au greffe du tribunal du travail.

[...] »

 Les faits au principal et la question préjudicielle

12      Le 12 novembre 2010, New Valmar, société de droit belge établie à Evergem (Belgique), et GPPH, société de droit italien établie à Milan (Italie), ont conclu un contrat qui désignait cette dernière comme concessionnaire exclusive de New Valmar en Italie pour la distribution d’articles pour enfants. Ce contrat devait expirer le 31 décembre 2014.

13      Aux termes de l’article 18 de ce contrat de concession, celui-ci était régi par le droit italien et les tribunaux de Gent (Gand, Belgique) étaient compétents pour connaître des éventuelles contestations entre les parties.

14      Par lettre recommandée du 29 décembre 2011, New Valmar a mis fin à ce contrat de façon anticipée, avec effet à compter du 1er juin 2012.

15      Par citation du 30 mars 2012, New Valmar a saisi le rechtbank van koophandel te Gent (tribunal de commerce de Gand, Belgique) en vue d’obtenir la condamnation de GPPH à lui verser un montant d’environ 234 192 euros au titre du règlement de plusieurs factures impayées.

16      Par demande reconventionnelle, GPPH a sollicité la condamnation de New Valmar au paiement d’une indemnité d’un montant de 1 467 448 euros pour rupture fautive de leur contrat de concession.

17      Pour s’opposer à la demande de New Valmar, GPPH a excipé de la nullité des factures en cause au principal, au motif que celles-ci, bien qu’étant des « actes et documents imposés par la loi et les règlements » au sens de la loi sur l’emploi des langues et du décret sur l’emploi des langues (ci‑après, ensemble, la « réglementation en cause au principal »), ne respectent pas les règles d’ordre public contenues dans cette réglementation, dès lors que, hormis les données relatives à New Valmar, à la TVA et à la banque, toutes les mentions figurant sur lesdites factures, en ce compris les conditions générales, ont été rédigées dans une autre langue que le néerlandais, à savoir la langue italienne, alors que New Valmar est établie dans la région de langue néerlandaise du Royaume de Belgique.

18      Le 14 janvier 2014, en cours de procédure, New Valmar a remis à GPPH une traduction en langue néerlandaise des mêmes factures. Il ressort cependant du dossier dont dispose la Cour que celles-ci sont et restent frappées de nullité absolue en vertu de la réglementation en cause au principal.

19      New Valmar ne conteste pas que les factures considérées ne respectent pas la réglementation en cause au principal. Toutefois, elle fait valoir que celle-ci est contraire, notamment, aux dispositions du droit de l’Union relatives à la libre circulation des marchandises, en particulier, à l’article 26, paragraphe 2, ainsi qu’aux articles 34 et 35 TFUE.

20      La juridiction de renvoi se demande si, eu égard à l’arrêt du 16 avril 2013, Las (C‑202/11, EU:C:2013:239), l’obligation qui incombe aux entreprises ayant leur siège dans la région de langue néerlandaise du Royaume de Belgique d’établir, à peine de nullité, leurs factures en langue néerlandaise est susceptible de constituer une entrave aux échanges internationaux, si cette entrave éventuelle peut être justifiée par un ou plusieurs objectifs d’intérêt général, tels que ceux visant à promouvoir et à stimuler l’emploi d’une langue officielle ou à garantir l’efficacité des contrôles administratifs, et si ladite entrave éventuelle est proportionnée aux objectifs poursuivis.

21      Dans ces conditions, le rechtbank van koophandel te Gent (tribunal de commerce de Gand) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« Faut-il interpréter l’article 45 TFUE en ce sens qu’il s’oppose à la réglementation d’une entité fédérée d’un État membre, telle en l’espèce la Communauté flamande de l’État fédéral belge, qui impose à toute entreprise ayant son siège d’exploitation dans le territoire de cette entité, en vertu des dispositions combinées de l’article 52 de [la loi sur l’emploi des langues] et de l’article 10 du [décret sur l’emploi des langues], d’établir les factures à caractère transfrontalier dans la seule langue officielle de cette entité fédérée à peine de nullité des factures, nullité qui doit être soulevée d’office par le juge ? »

 Sur la question préjudicielle

 Sur la recevabilité et la portée de la question

22      En premier lieu, il ressort de la décision de renvoi que le contrat en cause au principal prévoyait expressément que celui-ci est soumis au droit italien. Or, la question se fonde sur la prémisse selon laquelle, en dépit de l’application de ce droit en tant que loi contractuelle, la réglementation en cause au principal est applicable dans le cadre du litige au principal.

23      À cet égard, il convient de rappeler que, dès lors qu’il appartient au seul juge national, qui est saisi du litige et doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir, d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire, tant la nécessité que la pertinence des questions qu’il pose à la Cour (voir, notamment, arrêt du 18 février 2016, Finanmadrid EFC, C‑49/14, EU:C:2016:98, point 27), il y a lieu de répondre à la question posée sur la base de cette prémisse, dont il incombe, cependant, à la juridiction de renvoi de vérifier le bien‑fondé, compte tenu, en particulier, et ainsi que l’a relevé M. l’avocat général aux points 25 à 28 de ses conclusions, des dispositions du règlement (CE) no 593/2008 du Parlement européen et du Conseil, du 17 juin 2008, sur la loi applicable aux obligations contractuelles (Rome I) (JO 2008, L 177, p. 6).

24      En deuxième lieu, tant dans ses observations écrites que lors de l’audience, le gouvernement belge a fait valoir que, contrairement à ce que la juridiction de renvoi a indiqué dans sa décision, la réglementation en cause au principal impose l’emploi de la langue néerlandaise, non pas pour toutes les mentions figurant sur la facture, mais pour les seules mentions légalement obligatoires au regard de la réglementation applicable en matière de TVA. Or, ces dernières mentions étant énumérées à l’article 226 de la directive 2006/112, il serait aisé d’en obtenir la traduction dans toutes les langues de l’Union européenne.

25      À cet égard, il convient de rappeler qu’il incombe à la Cour de prendre en compte, dans le cadre de la répartition des compétences entre les juridictions de l’Union et nationales, le contexte factuel et réglementaire dans lequel s’insèrent les questions préjudicielles, tel que défini par la décision de renvoi. Dès lors, quelles que soient les critiques émises par le gouvernement belge à l’encontre de l’interprétation du droit national retenue par la juridiction de renvoi, l’examen du présent renvoi préjudiciel doit être effectué au regard de l’interprétation de ce droit donnée par cette juridiction (voir, en ce sens, notamment, arrêt du 29 octobre 2009, Pontin, C‑63/08, EU:C:2009:666, point 38).

26      En l’occurrence, il y a donc lieu de fournir une réponse à la question posée par la juridiction de renvoi en se fondant sur la prémisse selon laquelle l’intégralité des mentions figurant sur la facture doit, conformément à la réglementation en cause au principal, être rédigée en langue néerlandaise.

27      En troisième lieu, dans ses observations écrites, le gouvernement belge soutient que, en l’absence de tout lien entre la situation en cause au principal et la libre circulation des travailleurs, la présente demande préjudicielle est irrecevable ou, à tout le moins, ne nécessite pas de réponse, dès lors qu’elle porte sur l’interprétation de l’article 45 TFUE.

28      À cet égard, il suffit de relever que, dans le cadre de la procédure de coopération entre les juridictions nationales et la Cour instituée à l’article 267 TFUE, il appartient à celle-ci de donner au juge national une réponse utile qui lui permette de trancher le litige dont il est saisi. Dans cette optique, il incombe, le cas échéant, à la Cour de reformuler les questions qui lui sont soumises. En effet, la Cour a pour mission d’interpréter toutes les dispositions du droit de l’Union dont les juridictions nationales ont besoin afin de statuer sur les litiges qui leur sont soumis, même si ces dispositions ne sont pas indiquées expressément dans les questions qui lui sont adressées par ces juridictions (voir, notamment, arrêt du 17 décembre 2015, Szemerey, C‑330/14, EU:C:2015:826, point 30).

29      En conséquence, même si, sur le plan formel, la juridiction de renvoi a limité sa question à l’interprétation du seul article 45 TFUE, une telle circonstance ne fait pas obstacle à ce que la Cour lui fournisse tous les éléments d’interprétation du droit de l’Union qui peuvent être utiles au jugement de l’affaire dont elle est saisie, que cette juridiction y ait fait référence ou non dans l’énoncé de sa question. Il appartient, à cet égard, à la Cour d’extraire de l’ensemble des éléments fournis par la juridiction nationale, et notamment de la motivation de la décision de renvoi, les éléments dudit droit qui appellent une interprétation compte tenu de l’objet du litige au principal (voir, par analogie, notamment, arrêt du 17 décembre 2015, Szemerey, C‑330/14, EU:C:2015:826, point 31).

30      En l’occurrence, nonobstant la mention de l’article 45 TFUE dans la question préjudicielle, il ressort clairement des motifs de la décision de renvoi que la juridiction de renvoi cherche à déterminer si la réglementation en cause au principal est conforme aux règles édictées par le traité FUE en matière de libre circulation des marchandises, cette juridiction mentionnant explicitement, à cet égard, que New Valmar a invoqué, dans la procédure au principal, l’article 26, paragraphe 2, ainsi que les articles 34 et 35 TFUE.

31      Dès lors que l’affaire au principal concerne non pas l’importation, mais l’exportation de marchandises depuis la Belgique vers un autre État membre, en l’occurrence, l’Italie, il y a lieu de constater que seul l’article 35 TFUE, qui interdit les mesures d’effet équivalent aux restrictions quantitatives à l’exportation, a vocation à s’appliquer.

32      Le gouvernement belge soutient, cependant, que la réglementation en cause au principal doit être appréciée au regard, non du droit primaire de l’Union, mais de la seule directive 2006/112, dès lors que celle-ci a réalisé une harmonisation complète en la matière. En effet, l’article 248 bis de cette directive autoriserait les États membres à imposer, dans leur législation, que les factures émises dans un contexte transfrontalier soient rédigées dans une autre langue que celle de l’État membre de destination des services ou des marchandises. En prévoyant la faculté, pour les États membres, de demander, en ce qui concerne les livraisons de biens ou les prestations de services effectuées sur leur territoire, une traduction des factures dans leur langue officielle, cette disposition impliquerait d’ailleurs que les factures sont, en règle générale, rédigées dans la langue officielle de l’État membre sur le territoire duquel est établie l’entreprise qui délivre la facture.

33      À cet égard, il convient, toutefois, de rappeler que le régime de l’Union en matière de TVA ne réalise qu’une harmonisation progressive et partielle des législations nationales (voir, en ce sens, notamment, arrêt du 26 février 2015, VDP Dental Laboratory e.a., C‑144/13, C‑154/13 et C‑160/13, EU:C:2015:116, point 60 ainsi que jurisprudence citée).

34      Ainsi, ni l’article 226 de la directive 2006/112, qui concerne le contenu des factures, ni l’article 248 bis de cette directive, qui permet aux États membres de destination d’imposer, dans certains cas, la traduction, dans l’une de leurs langues officielles, d’une facture relative à une livraison à caractère transfrontalier, ne réglementent, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général aux points 45 à 48 de ses conclusions, la possibilité pour les États membres de soumettre les entreprises établies sur leur territoire à l’obligation de rédiger toute facture dans leur langue officielle ou dans celle dudit territoire.

35      Au vu des considérations qui précèdent, il y a lieu de reformuler la question posée en ce sens que, par celle-ci, la juridiction de renvoi demande si l’article 35 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation d’une entité fédérée d’un État membre, telle que la Communauté flamande du Royaume de Belgique, qui impose à toute entreprise ayant son siège d’exploitation sur le territoire de cette entité de rédiger l’intégralité des mentions figurant sur les factures relatives à des transactions transfrontalières dans la seule langue officielle de ladite entité, sous peine de nullité de ces factures devant être relevée d’office par le juge.

 Sur l’existence d’une restriction relevant de l’article 35 TFUE

36      La Cour a jugé qu’une mesure nationale applicable à tous les opérateurs agissant sur le territoire national qui affecte en fait davantage la sortie des produits du marché de l’État membre d’exportation que la commercialisation des produits sur le marché national dudit État membre relève de l’interdiction énoncée à l’article 35 TFUE (voir, en ce sens, arrêt du 16 décembre 2008, Gysbrechts et Santurel Inter, C‑205/07, EU:C:2008:730, points 40 à 43).

37      Par ailleurs, il convient de rappeler que toute restriction, même d’importance mineure, à l’une des libertés fondamentales prévue par le traité FUE est prohibée par celui-ci (voir, en ce sens, arrêt du 1er avril 2008, Gouvernement de la Communauté française et gouvernement wallon, C‑212/06, EU:C:2008:178, point 52 et jurisprudence citée).

38      En l’occurrence, il ressort de la décision de renvoi que, en vertu de la réglementation en cause au principal, les factures, y compris celles relatives à des transactions transfrontalières, délivrées par des entreprises ayant leur siège d’exploitation dans la région de langue néerlandaise du Royaume de Belgique doivent impérativement être rédigées, sous peine de nullité relevée d’office par le juge, dans la langue néerlandaise, seule cette langue faisant foi.

39      Selon le gouvernement belge, une telle réglementation ne peut pas être considérée comme une restriction à la libre circulation des marchandises, dès lors que les factures, qui font seules l’objet de ladite réglementation, ne font que confirmer la créance découlant d’un contrat conclu par les parties concernées. Or, une telle réglementation, à la différence de celle en cause dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 16 avril 2013, Las (C‑202/11, EU:C:2013:239), n’affecterait pas la liberté des parties de rédiger un tel contrat dans la langue de leur choix et, partant, elle ne porterait pas atteinte à l’échange de consentements entre celles-ci. Il ne saurait donc être considéré que la réglementation en cause au principal exerce une incidence sur les échanges entre les États membres.

40      Toutefois, en privant les opérateurs concernés de la possibilité de choisir librement une langue qu’ils maîtrisent conjointement pour la rédaction de leurs factures et en leur imposant à cette fin une langue qui ne correspond pas nécessairement à celle qu’ils ont convenu d’utiliser dans leurs relations contractuelles, une réglementation, telle que celle en cause au principal, est de nature à accroître le risque de contestation et de non-paiement des factures, dès lors que les destinataires de celles-ci pourraient se trouver incités à se prévaloir de leur incapacité, réelle ou prétendue, à en comprendre le contenu aux fins de s’opposer à leur paiement.

41      Inversement, le destinataire d’une facture rédigée dans une langue autre que le néerlandais pourrait, compte tenu de la nullité absolue frappant une telle facture, être incité à en contester la validité pour ce seul motif, et ce alors même que cette facture aurait été rédigée dans une langue qu’il comprend. Une telle nullité pourrait, en outre, être la source, pour l’émetteur de la facture, d’inconvénients significatifs, tels que, notamment, la perte d’intérêts de retard, dès lors qu’il ressort du dossier soumis à la Cour que, à défaut de disposition contractuelle contraire, lesdits intérêts ne commenceront, en principe, à courir qu’à partir de l’émission d’une nouvelle facture rédigée en langue néerlandaise.

42      Il s’ensuit qu’une réglementation, telle que celle en cause au principal, même si elle concerne la version linguistique dans laquelle doivent être rédigées les mentions figurant sur la facture et non le contenu de la relation contractuelle sous-jacente à celle-ci, comporte, en raison de l’insécurité juridique qu’elle engendre, des effets restrictifs sur les échanges commerciaux qui sont de nature à dissuader la conclusion ou la poursuite de relations contractuelles avec une entreprise établie dans la région de langue néerlandaise du Royaume de Belgique.

43      Or, s’il est vrai qu’une telle réglementation, dès lors qu’elle s’applique indistinctement à toute facture délivrée par une entreprise ayant son siège d’exploitation dans cette région, est susceptible d’affecter tant les échanges internes à l’État membre concerné que les échanges transfrontaliers, il demeure qu’elle est davantage susceptible de porter atteinte à ces derniers, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général aux points 61 à 68 de ses conclusions, dès lors qu’il est moins probable qu’un acheteur établi dans un autre État membre que le Royaume de Belgique soit en mesure de comprendre la langue néerlandaise qu’un acheteur établi dans ce dernier État membre, où cette langue constitue l’une des langues officielles.

44      Compte tenu de l’argumentation du gouvernement belge concernant la portée de la réglementation en cause au principal, mentionnée au point 24 du présent arrêt, il y a lieu de préciser que le caractère restrictif d’une telle réglementation ne serait en rien remis en cause s’il devait s’avérer, ce qu’il incombe à la juridiction de renvoi de vérifier, que seules les mentions obligatoires énumérées à l’article 226 de la directive 2006/112 doivent être rédigées en langue néerlandaise, la même insécurité juridique que celle constatée au point 42 du présent arrêt étant, dans un tel cas, également engendrée.

45      Par ailleurs, les effets restrictifs induits par ladite réglementation ne sauraient être considérés comme trop aléatoires ou trop indirects pour que celle-ci puisse être regardée, conformément à la jurisprudence de la Cour issue, notamment, des arrêts du 7 mars 1990, Krantz (C‑69/88, EU:C:1990:97, points 10 et 11), et du 13 octobre 1993, CMC Motorradcenter (C‑93/92, EU:C:1993:838, points 10 à 12), comme ne constituant pas une restriction au sens de l’article 35 TFUE.

46      En effet, ainsi qu’il ressort des points 40 à 43 du présent arrêt, une telle réglementation est susceptible d’exercer une incidence, même d’importance mineure, sur les relations contractuelles, et cela d’autant plus que, comme il a été indiqué lors de l’audience, il n’est pas rare que ces relations se concrétisent par le seul établissement d’une facture. Or, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 69 de ses conclusions, cette incidence dépend non pas d’un événement futur et hypothétique, mais de l’exercice du droit à la libre circulation des marchandises (voir, par analogie, notamment, arrêt du 1er avril 2008, Gouvernement de la Communauté française et gouvernement wallon, C‑212/06, EU:C:2008:178, point 51).

47      Il en résulte qu’une réglementation telle que celle en cause au principal constitue une restriction relevant de l’article 35 TFUE.

 Sur l’existence d’une justification

48      Selon une jurisprudence bien établie, une mesure nationale qui restreint l’exercice des libertés fondamentales garanties ne peut être admise qu’à la condition qu’elle poursuive un objectif d’intérêt général, qu’elle soit propre à garantir la réalisation de celui-ci et qu’elle n’aille pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif (voir, en ce sens, notamment, arrêt du 1er octobre 2015, Trijber et Harmsen, C‑340/14 et C‑341/14, EU:C:2015:641, point 70).

49      En l’occurrence, le gouvernement belge fait valoir que la réglementation en cause au principal vise, d’une part, à stimuler l’utilisation de la langue officielle de la région linguistique concernée et, d’autre part, à assurer l’efficacité des contrôles par les services compétents en matière de TVA.

50      À cet égard, il convient de rappeler que l’objectif visant à promouvoir et à stimuler l’emploi de l’une des langues officielles d’un État membre constitue un objectif légitime de nature à justifier, en principe, une restriction aux obligations imposées par le droit de l’Union (voir, en ce sens, arrêts du 28 novembre 1989, Groener, C‑379/87, EU:C:1989:599, point 19 ; du 12 mai 2011, Runevič-Vardyn et Wardyn, C‑391/09, EU:C:2011:291, point 85, ainsi que du 16 avril 2013, Las, C‑202/11, EU:C:2013:239, points 25 à 27).

51      Par ailleurs, la Cour a déjà reconnu que la nécessité de préserver l’efficacité des contrôles fiscaux constitue un objectif d’intérêt général susceptible de justifier une restriction à l’exercice des libertés fondamentales reconnues par le traité (voir, en ce sens, notamment, arrêts du 20 février 1979, Rewe-Zentral, 120/78, EU:C:1979:42, point 8, ainsi que du 15 mai 1997, Futura Participations et Singer, C‑250/95, EU:C:1997:239, point 31).

52      Il convient de considérer qu’une réglementation, telle que celle en cause au principal, est apte à atteindre ces deux objectifs, dès lors que, d’une part, elle permet de préserver l’usage courant de la langue néerlandaise pour la rédaction de documents officiels, tels que les factures, et que, d’autre part, elle est susceptible de faciliter les contrôles de tels documents par les autorités nationales compétentes.

53      Toutefois, pour satisfaire aux exigences posées par le droit de l’Union, une réglementation, telle que celle en cause au principal, doit être proportionnée auxdits objectifs.

54      Or, en l’occurrence, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé aux points 90 à 92 de ses conclusions, une réglementation d’un État membre qui, non seulement imposerait l’utilisation de la langue officielle de celui-ci pour la rédaction de factures relatives à des transactions transfrontalières, mais qui permettrait, en outre, d’établir une version faisant foi de telles factures également dans une langue connue des parties concernées serait moins attentatoire à la liberté de circulation des marchandises que la réglementation en cause au principal, tout en étant propre à garantir les objectifs poursuivis par ladite réglementation (voir, par analogie, arrêt du 16 avril 2013, Las, C‑202/11, EU:C:2013:239, point 32).

55      Ainsi, s’agissant de l’objectif consistant à assurer l’efficacité des contrôles fiscaux, le gouvernement belge a lui-même indiqué, lors de l’audience, que, selon une circulaire administrative datée du 23 janvier 2013, le droit à déduction de la TVA ne peut être refusé par l’administration fiscale au seul motif que les mentions légales d’une facture ont été rédigées dans une langue autre que le néerlandais, ce qui tend à suggérer que l’emploi d’une telle autre langue n’est pas de nature à empêcher la réalisation de cet objectif.

56      Eu égard à l’ensemble de ces considérations, il doit être considéré qu’une réglementation telle que celle en cause au principal va au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs mentionnés aux points 49 à 51 du présent arrêt et ne saurait donc être considérée comme proportionnée.

57      En conséquence, il convient de répondre à la question posée que l’article 35 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation d’une entité fédérée d’un État membre, telle que la Communauté flamande du Royaume de Belgique, qui impose à toute entreprise ayant son siège d’exploitation sur le territoire de cette entité de rédiger l’intégralité des mentions figurant sur les factures relatives à des transactions transfrontalières dans la seule langue officielle de ladite entité, sous peine de nullité de ces factures devant être relevée d’office par le juge.

 Sur les dépens

58      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (grande chambre) dit pour droit :

L’article 35 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation d’une entité fédérée d’un État membre, telle que la Communauté flamande du Royaume de Belgique, qui impose à toute entreprise ayant son siège d’exploitation sur le territoire de cette entité de rédiger l’intégralité des mentions figurant sur les factures relatives à des transactions transfrontalières dans la seule langue officielle de ladite entité, sous peine de nullité de ces factures devant être relevée d’office par le juge.

Signatures


* Langue de procédure: le néerlandais.