ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)

21 juin 2012 (*)

«Fiscalité — TVA — Sixième directive — Directive 2006/112/CE — Droit à déduction — Conditions d’exercice — Article 273 — Mesures nationales en vue de lutter contre la fraude — Pratique des autorités fiscales nationales — Refus du droit à déduction en cas de comportement irrégulier de l’émetteur de la facture afférente aux biens ou aux services au titre desquels l’exercice de ce droit est demandé — Charge de la preuve — Obligation de l’assujetti de s’assurer du comportement régulier de l’émetteur de cette facture et de le prouver»

Dans les affaires jointes C‑80/11 et C‑142/11,

ayant pour objet des demandes de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduites par le Baranya Megyei Bíróság (Hongrie) et le Jász-Nagykun-Szolnok Megyei Bíróság (Hongrie), par décisions des 9 février et 9 mars 2011, parvenues à la Cour les 22 février et 23 mars 2011, dans les procédures

Mahagében kft

contre

Nemzeti Adó- és Vámhivatal Dél-dunántúli Regionális Adó Főigazgatósága (C‑80/11),

et

Péter Dávid

contre

Nemzeti Adó- és Vámhivatal Észak-alföldi Regionális Adó Főigazgatósága (C‑142/11),

LA COUR (troisième chambre),

composée de M. K. Lenaerts, président de chambre, MM. J. Malenovský, E. Juhász, G. Arestis et T. von Danwitz (rapporteur), juges,

avocat général: M. P. Mengozzi,

greffier: Mme C. Strömholm, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 15 mars 2012,

considérant les observations présentées:

–        pour le gouvernement hongrois, par M. M. Fehér ainsi que par Mmes K. Szíjjártó et K. Veres, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement espagnol, par Mme S. Centeno Huerta, en qualité d’agent,

–        pour le gouvernement du Royaume-Uni, par M. P. Moser, barrister,

–        pour la Commission européenne, par MM. V. Bottka et A. Sipos ainsi que par Mme C. Soulay, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1        Les demandes de décision préjudicielle portent sur l’interprétation de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires — Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (JO L 145, p. 1), telle que modifiée par la directive 2001/115/CE du Conseil, du 20 décembre 2001 (JO 2002, L 15, p. 24, ci-après la «sixième directive»), et de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO L 347, p. 1).

2        Ces demandes ont été présentées dans le cadre de deux litiges opposant, d’une part, Mahagében kft (ci-après «Mahagében») à la Nemzeti Adó- és Vámhivatal Dél-dunántúli Regionális Adó Főigazgatósága (direction régionale des impôts de Dél-Dunántúl) et, d’autre part, M. Dávid à la Nemzeti Adó- és Vámhivatal Észak-alföldi Regionális Adó Főigazgatósága (direction régionale des impôts de l’Észak-Alföld), au sujet du refus de l’administration fiscale d’admettre le droit de déduire la taxe sur la valeur ajoutée (ci-après la «TVA») acquittée en amont sur des opérations considérées comme suspectes.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

3        La directive 2006/112 a, conformément à ses articles 411 et 413, abrogé et remplacé, à compter du 1er janvier 2007, la législation de l’Union en matière de TVA, notamment la sixième directive. Selon les considérants 1 et 3 de la directive 2006/112, la refonte de la sixième directive était nécessaire afin de présenter toutes les dispositions applicables de façon claire et rationnelle dans une structure et une rédaction remaniées sans apporter, en principe, de changements de fond. Les dispositions de la directive 2006/112 sont ainsi, en substance, identiques aux dispositions correspondantes de la sixième directive.

4        L’article 2, paragraphe 1, sous a) et c), de la directive 2006/112, qui reprend, en substance, les termes de l’article 2, point 1, de la sixième directive, soumet à la TVA les livraisons de biens et les prestations de services effectuées à titre onéreux sur le territoire d’un État membre par un assujetti agissant en tant que tel.

5        Aux termes de l’article 167 de la directive 2006/112, libellé en des termes identiques à l’article 17, paragraphe 1, de la sixième directive, «[l]e droit à déduction prend naissance au moment où la taxe déductible devient exigible».

6        L’article 168, sous a), de la directive 2006/112, qui reprend, en substance, les termes de l’article 17, paragraphe 2, sous a), de la sixième directive, dans sa rédaction résultant de l’article 28 septies, point 1, de cette dernière directive, dispose:

«Dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de ses opérations taxées, l’assujetti a le droit, dans l’État membre dans lequel il effectue ces opérations, de déduire du montant de la taxe dont il est redevable les montants suivants:

a)      la TVA due ou acquittée dans cet État membre pour les biens qui lui sont ou lui seront livrés et pour les services qui lui sont ou lui seront fournis par un autre assujetti».

7        L’article 178 de la directive 2006/112, figurant au chapitre 4, intitulé «Modalités d’exercice du droit à déduction», du titre X de cette directive, prévoit:

«Pour pouvoir exercer le droit à déduction, l’assujetti doit remplir les conditions suivantes:

a)      pour la déduction visée à l’article 168, point a), en ce qui concerne les livraisons de biens et les prestations de services, détenir une facture établie conformément aux articles 220 à 236 et aux articles 238, 239 et 240;

[...]»

8        Cette disposition correspond à l’article 18, paragraphe 1, sous a), de la sixième directive, dans sa rédaction résultant de l’article 28 septies, point 2, de cette directive, qui renvoie aux exigences de l’article 22, paragraphe 3, de ladite directive, dans sa rédaction résultant de l’article 28 nonies de celle-ci.

9        Aux termes de l’article 220, point 1, de la directive 2006/112, qui reprend, en substance, les termes de l’article 22, paragraphe 3, sous a), de la sixième directive, dans sa rédaction résultant de l’article 28 nonies de cette dernière directive, tout assujetti doit s’assurer qu’une facture est émise, par lui-même, par l’acquéreur ou le preneur ou, en son nom et pour son compte, par un tiers, pour les livraisons de biens ou les prestations de services qu’il effectue pour un autre assujetti ou pour une personne morale non assujettie.

10      L’article 226 de la directive 2006/112 reprend, en substance, les termes de l’article 22, paragraphe 3, sous b), de la sixième directive, dans sa rédaction résultant de l’article 28 nonies de cette dernière directive, et énumère les mentions qui, sans préjudice des dispositions particulières prévues par la directive 2006/112, doivent seules figurer obligatoirement, aux fins de la TVA, sur les factures émises en application des dispositions des articles 220 et 221 de cette directive.

11      L’article 273 de la directive 2006/112, qui est libellé en des termes en substance identiques à ceux de l’article 22, paragraphe 8, de la sixième directive, dans sa rédaction résultant de l’article 28 nonies de cette dernière directive, dispose:

«Les États membres peuvent prévoir d’autres obligations qu’ils jugeraient nécessaires pour assurer l’exacte perception de la TVA et pour éviter la fraude, sous réserve du respect de l’égalité de traitement des opérations intérieures et des opérations effectuées entre États membres par des assujettis, et à condition que ces obligations ne donnent pas lieu dans les échanges entre les États membres à des formalités liées au passage d’une frontière.

La faculté prévue au premier alinéa ne peut être utilisée pour imposer des obligations de facturation supplémentaires à celles fixées au chapitre 3.»

 Le droit hongrois

12      L’article 32, paragraphe 1, sous a), de la loi LXXIV de 1992 relative à la taxe sur la valeur ajoutée [az általános forgalmi adóról szóló 1992. évi LXXIV. törvény, Magyar Közlöny 1992/128 (XII.19.), ci-après la «loi relative à la TVA»], prévoit qu’un assujetti a le droit de déduire du montant de l’impôt qu’il doit payer le montant de l’impôt qu’un autre assujetti a mis à sa charge à l’occasion d’une livraison de biens ou d’une prestation de services.

13      Aux termes de l’article 34, paragraphe 1, de cette loi, «[s]eul peut exercer le droit à déduction de l’impôt l’assujetti tenu au paiement de l’impôt qui tient sa comptabilité conformément aux règles de la comptabilité en partie simple ou en partie double».

14      Selon l’article 35, paragraphe 1, sous a), de ladite loi, sauf disposition contraire de la loi relative aux impôts, le droit à déduction ne peut être exercé qu’à condition de disposer de documents dignes de foi prouvant le montant de la taxe comptabilisée en amont. Sont considérés comme tels les factures, les factures simplifiées et les documents qui tiennent lieu de facture, établis au nom de l’assujetti.

15      L’article 44, paragraphe 5, de la loi relative à la TVA dispose:

«L’émetteur de la facture ou de la facture simplifiée est responsable de l’authenticité des informations qui y figurent. Les droits liés à l’imposition de l’assujetti qui figure en tant qu’acheteur dans le justificatif ne sauraient être remis en cause dès lors que celui-ci, en ce qui concerne le fait générateur de l’impôt, a pris toutes les précautions nécessaires en tenant compte des circonstances de la livraison de biens ou de la prestation de services.»

 Les litiges au principal et les questions préjudicielles

 Affaire C‑80/11

16      Le 1er juin 2007, Mahagében a conclu avec Rómahegy-Kert kft (ci-après «RK») un contrat portant sur la livraison de grumes d’acacia à l’état brut entre le 1er juin et le 31 décembre 2007. Pendant cette période, RK a établi seize factures au nom de Mahagében, portant sur la livraison de différentes quantités de grumes. Dans six de ces factures figurait le numéro du bon de livraison joint en annexe à celles-ci. RK a fait état de toutes les factures dans sa déclaration fiscale, en affirmant que les livraisons avaient eu lieu, et a payé la TVA après livraison. Mahagében a également inclus ces factures dans sa déclaration fiscale et a exercé le droit à déduction. Les quantités de grumes d’acacia achetées à RK ont figuré dans les stocks de Mahagében et ont été revendues par celle-ci à différentes entreprises.

17      Lors d’un contrôle des achats et des livraisons effectués par RK, l’administration fiscale est parvenue à la conclusion que celle-ci ne disposait pas de stocks de grumes d’acacia et que la quantité de grumes d’acacia achetée au cours de l’année 2007 n’était pas suffisante pour effectuer les livraisons facturées à Mahagében. Bien que les deux parties contractantes aient déclaré lors dudit contrôle qu’elles n’avaient pas conservé les bons de livraison, Mahagében a communiqué, par la suite, la copie de 22 bons de livraison à l’administration fiscale afin de prouver la réalité des opérations en cause.

18      Par décision du 1er juin 2010, l’administration fiscale a constaté l’existence d’une dette fiscale de Mahagében et lui a infligé, en outre, une amende et une pénalité de retard, en considérant que Mahagében n’avait pas de droit à déduction au titre desdites factures de RK. En effet, eu égard au résultat du contrôle effectué auprès de celle-ci, ces factures ne pourraient être considérées comme faisant foi.

19      La réclamation de Mahagében contre la décision du 1er juin 2010 a été rejetée par la défenderesse au principal. Ce rejet était notamment fondé sur la constatation que RK, en tant qu’émetteur des factures en cause, n’avait pu produire aucune pièce justificative des transactions correspondantes, telle que des bons de livraison, qu’elle n’avait pas pu disposer de la quantité de biens figurant sur ces factures et qu’elle n’avait ni de camion approprié pour la livraison de ces biens ni de justificatifs relatifs au prix payé pour leur transport. En outre, Mahagében n’aurait pas pris les précautions nécessaires au sens de l’article 44, paragraphe 5, de la loi relative à la TVA dans la mesure où elle n’avait notamment pas vérifié si RK était un assujetti existant et si celle-ci disposait des biens que Mahagében souhaitait acheter.

20      Mahagében a saisi le Baranya Megyei Bíróság (cour départementale de Baranya) en vue d’obtenir l’annulation de la dette fiscale constatée à son encontre ainsi que de l’amende et de la pénalité de retard. Elle fait valoir, notamment, qu’elle avait pris toutes les précautions nécessaires au moment de la conclusion du contrat passé avec RK. Son influence sur la transaction se serait limitée à s’assurer que la société prestataire était enregistrée, disposait d’un numéro fiscal et était en mesure d’accomplir la transaction en question. En outre, elle se serait assurée de la qualité et de la quantité de la marchandise au moment de la réception de celle-ci à son établissement, qui était le lieu d’exécution de la livraison selon ledit contrat.

21      Le Baranya Megyei Bíróság doute que le droit à déduction puisse être refusé uniquement au motif que l’émetteur de la facture n’a pas fait figurer dans sa comptabilité l’achat des biens concernés et que, en l’absence de camion, il n’avait pas la possibilité de livrer ceux-ci, alors même qu’il a reconnu avoir effectué les livraisons et qu’il a satisfait à son obligation de déclaration et de paiement de l’impôt.

22      Estimant que la solution du litige au principal dépend de l’interprétation du droit de l’Union, le Baranya Megyei Bíróság a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)      La directive 2006/112 doit-elle être interprétée en ce sens qu’un assujetti remplissant toutes les conditions matérielles de la déduction de la TVA imposées par cette directive peut être privé de son droit à déduction par une législation ou une pratique nationale qui interdit la déduction de la TVA payée lors de l’achat des biens dans le cas où la facture constitue le seul document digne de foi attestant la réalisation effective de la livraison des biens, mais où l’assujetti ne dispose pas de document provenant de l’émetteur de la facture de nature à démontrer que ce dernier disposait des biens en cause, qu’il était en mesure de les livrer, et qu’il a rempli ses obligations de déclaration? L’État membre peut-il exiger, au titre de l’article 273 de ladite directive, en vue d’assurer l’exacte perception de la TVA et d’éviter la fraude, que le destinataire de la facture dispose d’autres documents de nature à démontrer que l’émetteur de la facture disposait des biens en cause et que ces biens lui ont été livrés ou acheminés?

2)      La notion de ‘précaution nécessaire’ prévue à l’article 44, paragraphe 5, de la loi [...] relative à la TVA est-elle compatible avec les principes de neutralité et de proportionnalité reconnus à plusieurs reprises par la Cour [...] à propos de l’application de la directive [2006/112], dans la mesure où elle implique, selon l’autorité fiscale et la jurisprudence établie, que le destinataire de la facture s’assure que l’émetteur de la facture a la qualité d’assujetti, qu’il avait inscrit les biens en cause dans sa comptabilité, qu’il dispose d’une facture d’achat relative à ces biens et qu’il a rempli ses obligations de déclaration et de paiement de la TVA?

3)      Les articles 167 et 178, sous a), de la directive 2006/112 [...] doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une législation ou à une pratique nationale qui subordonne la possibilité de faire valoir le droit à déduction à la preuve, par le destinataire de la facture, que la société émettrice de la facture s’est conformée à ses obligations légales?»

 Affaire C‑142/11

23      Le litige au principal dans l’affaire C‑142/11 concerne deux opérations distinctes.

24      En premier lieu, M. Dávid s’était engagé, en vertu d’un contrat d’entreprise, à réaliser différents travaux de construction. Après l’exécution de ce contrat au mois de mai 2006, le mandataire du maître de l’ouvrage a délivré le certificat d’achèvement des travaux qui indiquait 1 992 heures de travail sur la base des feuilles de présence mentionnant, notamment, les horaires et le lieu des travaux, le nom, la date de naissance et la signature des ouvriers ainsi que le nom et le cachet de M. Dávid.

25      Au cours d’un contrôle fiscal concernant cette opération, M. Dávid a déclaré qu’il n’avait pas d’employés et qu’il avait fait réaliser le travail par un sous-traitant, M. Máté. Il n’a pu faire aucune déclaration quant à l’identité des ouvriers employés par ce sous-traitant. Le prix convenu dans le contrat entre M. Dávid et M. Máté a été payé sur la base du certificat d’achèvement des travaux.

26      Des contrôles fiscaux ont révélé que M. Máté ne disposait pas non plus d’ouvriers ni des moyens matériels nécessaires afin d’accomplir les travaux facturés et qu’il a seulement reproduit les factures d’un autre sous-traitant. Ce dernier était le beau-père de M. Máté, n’employait pas d’ouvriers déclarés pendant la période concernée et n’avait pas présenté de déclaration d’impôt pour l’exercice fiscal en cause.

27      À la lumière de l’ensemble de ces éléments, l’administration fiscale a constaté que les factures établies par le dernier sous-traitant ne pouvaient pas faire foi, à suffisance de droit, de la réalité de l’opération économique qu’elles relataient et que M. Máté n’avait pas une activité réelle de sous-traitant. Même si les contrôles effectués n’avaient pas remis en cause le fait que les travaux avaient effectivement été menés à bien, ni qu’ils l’avaient été par les ouvriers figurant sur les feuilles de présence, il ne serait pas possible de savoir à suffisance de droit quel entrepreneur avait réalisé les travaux et par quelle entreprise étaient employés lesdits ouvriers. Dans ces conditions, les factures reçues par M. Dávid ne refléteraient pas une opération économique réelle et seraient donc fictives. En outre, M. Dávid n’aurait pas pris les précautions nécessaires au sens de l’article 44, paragraphe 5, de la loi relative à la TVA.

28      En second lieu, M. Dávid s’était engagé, au cours de l’année 2006, auprès d’une société, à effectuer certains travaux qu’il a réalisés en recourant à un autre sous-traitant. Toutefois, au moment du contrôle fiscal, ce dernier était déjà en liquidation. Il n’était pas possible d’entrer en contact avec son ancien représentant et il n’avait remis aucun document à l’administrateur judiciaire. Selon l’autorité fiscale, rien ne prouvait que le prix et les parties figurant dans la facture émise par ce sous-traitant correspondaient à la réalité. En outre, M. Dávid n’aurait pas pris les précautions nécessaires requises par ladite loi, en ne s’assurant pas de ce que ledit sous-traitant disposait des moyens nécessaires à la réalisation des travaux en cause.

29      Dans ces conditions, l’autorité fiscale a refusé le droit à déduction résultant des deux opérations en cause, a constaté une dette fiscale de M. Dávid au titre de la TVA et lui a infligé une amende ainsi qu’une pénalité de retard.

30      M. Dávid a formé un recours devant le Jász-Nagykun-Szolnok Megyei Bíróság (cour départementale de Jász-Nagykun-Szolnok) contre la décision prise par l’autorité fiscale en soutenant, notamment, qu’il avait pris les précautions nécessaires. En effet, il se serait assuré du fait que l’opération économique avait effectivement été réalisée et il aurait vérifié que l’émetteur de la facture avait la qualité d’assujetti. Il ne saurait être tenu pour responsable d’aucun manquement du sous-traitant au regard des obligations qui lui incombent en matière fiscale.

31      Le Jász-Nagykun-Szolnok Megyei Bíróság se demande si l’assujetti a le droit de déduire la TVA acquittée en amont sans procéder à des contrôles supplémentaires dans le cas où l’autorité fiscale ne démontre pas l’existence d’un comportement négligent ou intentionnel visant éventuellement à l’évasion fiscale et imputable à l’émetteur de la facture, ou aux émetteurs des autres factures reçues par celui-ci, comportement dont le destinataire de la facture, à savoir l’assujetti, n’avait pas connaissance, ou auquel il n’a pas contribué.

32      Ladite juridiction considère que, au regard des dispositions de la sixième directive, l’assujetti exerçant le droit à déduction de la TVA ne porte pas de responsabilité objective en ce qui concerne les factures dont il est le destinataire et qu’il ne saurait supporter, en cas de manquement imputable à l’émetteur de ces factures, la charge de la preuve du comportement attendu en vertu de l’article 44, paragraphe 5, de la loi relative à la TVA.

33      Dans ces conditions, le Jász-Nagykun-Szolnok Megyei Bíróság a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)      Les dispositions relatives à la déduction de la [TVA] de la sixième directive [...] et, en ce qui concerne l’année [2007], de la directive [2006/112], peuvent-elles être interprétées en ce sens qu’elles permettent à l’autorité fiscale — en se fondant sur la responsabilité objective — de restreindre ou d’exclure le droit à déduction, à l’encontre de l’assujetti qui le fait valoir, lorsque l’émetteur de la facture ne peut pas prouver la régularité du recours à d’autres sous-traitants?

2)      Dans la mesure où l’autorité fiscale ne conteste pas la réalité de l’opération économique indiquée sur la facture, et où la facture correspond formellement aux dispositions légales, cette autorité peut-elle légalement exclure la récupération de la TVA au motif que les sous-traitants auxquels l’émetteur de la facture a eu recours ne sont pas identifiables, ou que les factures émises par ces derniers sont irrégulières?

3)      L’autorité fiscale qui refuse le droit à déduction [dans des circonstances telles que celles décrites dans la deuxième question] est-elle obligée de prouver au cours de la procédure fiscale que l’assujetti faisant valoir son droit à déduction avait connaissance du comportement irrégulier — visant éventuellement à éviter la taxe — des entreprises se situant derrière lui dans la chaîne de sous-traitance, ou qu’il y a lui-même contribué?»

34      Par ordonnance du président de la Cour du 15 juin 2011, les affaires C‑80/11 et C‑142/11 ont été jointes aux fins des procédures écrite et orale ainsi que de l’arrêt.

 Sur les questions préjudicielles

35      À titre liminaire, il convient de constater que, eu égard aux différentes dates des faits au principal, les questions posées se réfèrent tant à la sixième directive qu’à la directive 2006/112. Ainsi que cela a été relevé au point 3 du présent arrêt, cette dernière directive n’a, en principe, pas apporté de changements de fond par rapport à la sixième directive. En particulier, les dispositions de ces deux directives qui sont pertinentes dans le cadre des affaires au principal sont, en substance, identiques. Dans ces conditions, il suffit d’examiner les questions posées par rapport aux dispositions de la directive 2006/112 (voir, en ce sens, arrêt du 15 septembre 2011, Słaby e.a., C‑180/10 et C‑181/10, Rec. p. I‑8461, points 28 et 49 à 51).

 Sur les questions posées dans l’affaire C‑142/11

36      Par ces questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les articles 167, 168, sous a), 178, sous a), 220, point 1, et 226 de la directive 2006/112 doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une pratique nationale en vertu de laquelle l’autorité fiscale refuse à un assujetti le droit de déduire du montant de la TVA dont il est redevable le montant de la taxe due ou acquittée pour les services qui lui ont été fournis, au motif que l’émetteur de la facture afférente à ces services, ou l’un de ses prestataires, a commis des irrégularités, sans que cette autorité établisse que l’assujetti concerné avait connaissance dudit comportement irrégulier ou qu’il y a lui-même contribué.

37      Afin de répondre auxdites questions, il y a lieu, premièrement, de rappeler que, selon une jurisprudence constante, le droit des assujettis de déduire de la TVA dont ils sont redevables la TVA due ou acquittée pour les biens acquis et les services reçus par eux en amont constitue un principe fondamental du système commun de la TVA mis en place par la législation de l’Union (voir, notamment, arrêts du 25 octobre 2001, Commission/Italie, C‑78/00, Rec. p. I‑8195, point 28; du 10 juillet 2008, Sosnowska, C‑25/07, Rec. p. I‑5129, point 14, et du 28 juillet 2011, Commission/Hongrie, C‑274/10, Rec. p. I‑7289, point 42).

38      Ainsi que la Cour l’a itérativement souligné, le droit à déduction prévu aux articles 167 et suivants de la directive 2006/112 fait partie intégrante du mécanisme de la TVA et ne peut en principe être limité. En particulier, ce droit s’exerce immédiatement pour la totalité des taxes ayant grevé les opérations effectuées en amont (voir, notamment, arrêts du 21 mars 2000, Gabalfrisa e.a., C‑110/98 à C‑147/98, Rec. p. I‑1577, point 43; du 6 juillet 2006, Kittel et Recolta Recycling, C‑439/04 et C‑440/04, Rec. p. I‑6161, point 47; du 30 septembre 2010, Uszodaépítő, C‑392/09, Rec. p. I‑8791, point 34, ainsi que Commission/Hongrie, précité, point 43).

39      Le régime des déductions vise à soulager entièrement l’entrepreneur du poids de la TVA due ou acquittée dans le cadre de toutes ses activités économiques. Le système commun de la TVA garantit, par conséquent, la neutralité quant à la charge fiscale de toutes les activités économiques, quels que soient les buts ou les résultats de ces activités, à condition que lesdites activités soient, en principe, elles-mêmes soumises à la TVA (voir, notamment, arrêts Gabalfrisa e.a., précité, point 44; du 21 février 2006, Halifax e.a., C‑255/02, Rec. p. I‑1609, point 78; Kittel et Recolta Recycling, précité, point 48, ainsi que du 22 décembre 2010, Dankowski, C‑438/09, Rec. p. I‑14009, point 24).

40      La question de savoir si la TVA due sur les opérations de vente antérieures ou ultérieures portant sur les biens concernés a ou non été versée au Trésor public est sans influence sur le droit de l’assujetti de déduire la TVA acquittée en amont. En effet, la TVA s’applique à chaque transaction de production ou de distribution, déduction faite de la taxe qui a grevé directement le coût des divers éléments constitutifs du prix (voir ordonnance du 3 mars 2004, Transport Service, C‑395/02, Rec. p. I‑1991, point 26; arrêts du 12 janvier 2006, Optigen e.a., C‑354/03, C‑355/03 et C‑484/03, Rec. p. I‑483, point 54, ainsi que Kittel et Recolta Recycling, précité, point 49).

41      Deuxièmement, il convient de rappeler que la lutte contre la fraude, l’évasion fiscale et les abus éventuels est un objectif reconnu et encouragé par la directive 2006/112 (voir, notamment, arrêts Halifax e.a., précité, point 71; du 7 décembre 2010, R., C‑285/09, Rec. p. I‑12605, point 36, ainsi que du 27 octobre 2011, Tanoarch, C‑504/10, Rec. p. I‑10853, point 50). À cet égard, la Cour a déjà jugé que les justiciables ne sauraient frauduleusement ou abusivement se prévaloir des normes du droit de l’Union (voir, notamment, arrêts du 3 mars 2005, Fini H, C‑32/03, Rec. p. I‑1599, point 32; Halifax e.a., précité, point 68, ainsi que Kittel et Recolta Recycling, précité, point 54).

42      Dès lors, il appartient aux autorités et aux juridictions nationales de refuser le bénéfice du droit à déduction s’il est établi, au vu d’éléments objectifs, que ce droit est invoqué frauduleusement ou abusivement (voir, en ce sens, arrêts Fini H, précité, points 33 et 34; Kittel et Recolta Recycling, précité, point 55, ainsi que du 29 mars 2012, Véleclair, C‑414/10, point 32).

43      Or, en ce qui concerne l’affaire au principal, il ressort de la décision de renvoi qu’il est constant que le requérant au principal souhaitant exercer le droit à déduction est un assujetti au sens de l’article 9, paragraphe 1, de la directive 2006/112 et que les prestations de services invoquées pour fonder ce droit ont été utilisées en aval par ledit requérant pour les besoins de ses propres opérations taxées.

44      En outre, il découle de la décision de renvoi que les questions posées se fondent sur les prémisses selon lesquelles, premièrement, l’opération invoquée pour fonder le droit à déduction a été effectuée ainsi que cela résulte de la facture correspondante et, deuxièmement, cette facture comporte toutes les informations exigées par la directive 2006/112, de sorte que les conditions matérielles et formelles prévues par cette directive pour la naissance et l’exercice du droit à déduction sont réunies. Il convient d’observer, en particulier, que la décision de renvoi ne fait pas état de ce que le requérant au principal s’est livré lui-même à des manipulations telles que la présentation de fausses déclarations ou l’établissement de factures irrégulières.

45      Dans ces circonstances, le bénéfice du droit à déduction ne saurait être refusé à l’assujetti que sur la base de la jurisprudence résultant des points 56 à 61 de l’arrêt Kittel et Recolta Recycling, précité, selon laquelle il doit être établi, au vu des éléments objectifs, que l’assujetti, auquel les biens ou les services servant de base pour fonder le droit à déduction ont été fournis, savait ou aurait dû savoir que cette opération était impliquée dans une fraude commise par le fournisseur ou un autre opérateur en amont.

46      En effet, un assujetti qui savait ou aurait dû savoir que, par son acquisition, il participait à une opération impliquée dans une fraude à la TVA doit, pour les besoins de la directive 2006/112, être considéré comme participant à cette fraude, et ceci indépendamment de la question de savoir s’il tire ou non un bénéfice de la revente des biens ou de l’utilisation des services dans le cadre des opérations taxées effectuées par lui en aval (voir arrêt Kittel et Recolta Recycling, précité, point 56).

47      En revanche, il n’est pas compatible avec le régime du droit à déduction prévu par ladite directive, tel que rappelé aux points 37 à 40 du présent arrêt, de sanctionner, par le refus de ce droit, un assujetti qui ne savait pas et n’aurait pas pu savoir que l’opération concernée était impliquée dans une fraude commise par le fournisseur ou qu’une autre opération faisant partie de la chaîne de livraison, antérieure ou postérieure à celle réalisée par ledit assujetti, était entachée de fraude à la TVA (voir, en ce sens, arrêts précités Optigen e.a., points 52 et 55, ainsi que Kittel et Recolta Recycling, points 45, 46 et 60).

48      En effet, l’instauration d’un système de responsabilité sans faute irait au-delà de ce qui est nécessaire pour préserver les droits du Trésor public (voir, en ce sens, arrêts du 11 mai 2006, Federation of Technological Industries e.a., C‑384/04, Rec. p. I‑4191, point 32, ainsi que du 21 février 2008, Netto Supermarkt, C‑271/06, Rec. p. I‑771, point 23).

49      Étant donné que le refus du droit à déduction conformément au point 45 du présent arrêt est une exception à l’application du principe fondamental que constitue ledit droit, il incombe à l’autorité fiscale d’établir à suffisance de droit les éléments objectifs permettant de conclure que l’assujetti savait ou aurait dû savoir que l’opération invoquée pour fonder le droit à déduction était impliquée dans une fraude commise par le fournisseur ou un autre opérateur intervenant en amont dans la chaîne de livraison.

50      Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre aux questions posées dans l’affaire C‑142/11 que les articles 167, 168, sous a), 178, sous a), 220, point 1, et 226 de la directive 2006/112 doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une pratique nationale en vertu de laquelle l’autorité fiscale refuse à un assujetti le droit de déduire du montant de la TVA dont il est redevable le montant de la taxe due ou acquittée pour les services qui lui ont été fournis, au motif que l’émetteur de la facture afférente à ces services, ou l’un de ses prestataires, a commis des irrégularités, sans que cette autorité établisse, au vu d’éléments objectifs, que l’assujetti concerné savait ou aurait dû savoir que l’opération invoquée pour fonder le droit à déduction était impliquée dans une fraude commise par ledit émetteur ou un autre opérateur intervenant en amont dans la chaîne de prestations.

 Sur les questions posées dans l’affaire C‑80/11

51      Par ces questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les articles 167, 168, sous a), 178, sous a), et 273 de la directive 2006/112 doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une pratique nationale en vertu de laquelle l’autorité fiscale refuse le droit à déduction au motif que l’assujetti ne s’est pas assuré que l’émetteur de la facture afférente aux biens au titre desquels l’exercice du droit à déduction est demandé avait la qualité d’assujetti, qu’il disposait des biens en cause et était en mesure de les livrer et qu’il avait rempli ses obligations de déclaration et de paiement de la TVA, ou au motif que ledit assujetti ne dispose pas, en plus de ladite facture, d’autres documents de nature à démontrer que lesdites circonstances sont réunies.

52      À cet égard, il ressort de la décision de renvoi et, notamment, de la première question que les questions posées dans l’affaire C‑80/11 sont, à l’instar de celles posées dans l’affaire C‑142/11, fondées sur la prémisse selon laquelle les conditions matérielles et formelles prévues par la directive 2006/112 pour l’exercice du droit à déduction sont remplies, notamment celle qui requiert que l’assujetti dispose d’une facture qui atteste la réalisation effective de la livraison des biens et qui soit conforme aux exigences de ladite directive. Ainsi, au regard de la réponse donnée au point 50 du présent arrêt, qui vaut également en cas de livraisons de biens, le droit à déduction ne peut être refusé que lorsqu’il est établi, au vu d’éléments objectifs, que l’assujetti concerné savait ou aurait dû savoir que l’opération invoquée pour fonder le droit à déduction était impliquée dans une fraude commise par le fournisseur ou un autre opérateur intervenant en amont dans la chaîne de livraison.

53      Selon la jurisprudence de la Cour, les opérateurs qui prennent toute mesure pouvant raisonnablement être exigée d’eux pour s’assurer que leurs opérations ne sont pas impliquées dans une fraude, qu’il s’agisse d’une fraude à la TVA ou d’autres fraudes, doivent pouvoir se fier à la légalité de ces opérations sans risquer de perdre leur droit à déduire la TVA acquittée en amont (voir arrêt Kittel et Recolta Recycling, précité, point 51).

54      En revanche, il n’est pas contraire au droit de l’Union d’exiger qu’un opérateur prenne toute mesure pouvant raisonnablement être requise de lui pour s’assurer que l’opération qu’il effectue ne le conduit pas à participer à une fraude fiscale (voir, en ce sens, arrêts du 27 septembre 2007, Teleos e.a., C‑409/04, Rec. p. I‑7797, points 65 et 68; Netto Supermarkt, précité, point 24, ainsi que du 21 décembre 2011, Vlaamse Oliemaatschappij, C‑499/10, Rec. p. I‑14191, point 25).

55      En outre, conformément à l’article 273, premier alinéa, de la directive 2006/112, les États membres peuvent prévoir d’autres obligations que celles prévues par cette directive lorsqu’ils jugeraient ces obligations nécessaires pour assurer l’exacte perception de la TVA et pour éviter la fraude.

56      Toutefois, même si cette disposition confère une marge d’appréciation aux États membres (voir arrêt du 26 janvier 2012, Kraft Foods Polska, C‑588/10, point 23), cette faculté ne peut être utilisée, selon le second alinéa dudit article, pour imposer des obligations de facturation supplémentaires à celles fixées au chapitre 3, intitulé «Facturation», du titre XI, intitulé «Obligations des assujettis et de certaines personnes non assujetties», de ladite directive, et notamment à l’article 226 de celle-ci.

57      En outre, les mesures que les États membres ont la faculté d’adopter en vertu de l’article 273 de la directive 2006/112 afin d’assurer l’exacte perception de la taxe et d’éviter la fraude ne doivent pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre de tels objectifs. Elles ne peuvent dès lors être utilisées de manière telle qu’elles remettraient systématiquement en cause le droit à déduction de la TVA et, partant, la neutralité de la TVA, laquelle constitue un principe fondamental du système commun de la TVA (voir en ce sens, notamment, arrêts Gabalfrisa e.a., précité, point 52; Halifax e.a., précité, point 92; du 21 octobre 2010, Nidera Handelscompagnie, C‑385/09, Rec. p. I‑10385, point 49, ainsi que Dankowski, précité, point 37).

58      Quant aux mesures nationales en cause dans l’affaire au principal, il convient de relever que la loi relative à la TVA ne prescrit pas d’obligations concrètes, mais se limite à prévoir, à l’article 44, paragraphe 5, que les droits liés à l’imposition de l’assujetti qui figure en tant qu’acheteur dans une facture ne sauraient être remis en cause dès lors que celui-ci, en ce qui concerne le fait générateur de l’impôt, a pris toutes les précautions nécessaires en tenant compte des circonstances de la livraison de biens ou de la prestation de services.

59      Dans ces conditions, il résulte de la jurisprudence rappelée aux points 53 et 54 du présent arrêt que la détermination des mesures pouvant, dans un cas d’espèce, raisonnablement être exigées d’un assujetti souhaitant exercer le droit à déduction de la TVA pour s’assurer que ses opérations ne sont pas impliquées dans une fraude commise par un opérateur en amont dépend essentiellement des circonstances dudit cas d’espèce.

60      Certes, lorsqu’il existe des indices permettant de soupçonner l’existence d’irrégularités ou de fraude, un opérateur avisé pourrait, selon les circonstances de l’espèce, se voir obligé de prendre des renseignements sur un autre opérateur auprès duquel il envisage d’acheter des biens ou des services afin de s’assurer de la fiabilité de celui-ci.

61      Toutefois, l’administration fiscale ne peut exiger de manière générale de l’assujetti souhaitant exercer le droit à déduction de la TVA, d’une part, de vérifier que l’émetteur de la facture afférente aux biens et aux services au titre desquels l’exercice de ce droit est demandé dispose de la qualité d’assujetti, qu’il disposait des biens en cause et était en mesure de les livrer et qu’il a rempli ses obligations de déclaration et de paiement de la TVA, afin de s’assurer qu’il n’existe pas d’irrégularités ou de fraude au niveau des opérateurs en amont, ou, d’autre part, de disposer de documents à cet égard.

62      En effet, il incombe, en principe, aux autorités fiscales d’effectuer les contrôles nécessaires auprès des assujettis afin de détecter des irrégularités et des fraudes à la TVA ainsi que d’infliger des sanctions à l’assujetti ayant commis ces irrégularités ou ces fraudes.

63      Selon la jurisprudence de la Cour, les États membres sont tenus de vérifier les déclarations des assujettis, les comptes de ces derniers et les autres documents pertinents (voir arrêts du 17 juillet 2008, Commission/Italie, C‑132/06, Rec. p. I‑5457, point 37, et du 29 juillet 2010, Profaktor Kulesza, Frankowski, Jóźwiak, Orłowski, C‑188/09, Rec. p. I‑7639, point 21).

64      À cette fin, la directive 2006/112 impose, en particulier, à son article 242, l’obligation de tout assujetti de tenir une comptabilité suffisamment détaillée, dans le but de permettre l’application de la TVA et son contrôle par l’administration fiscale. Afin de faciliter l’exercice de cette tâche, les articles 245 et 249 de cette directive prévoient le droit des autorités compétentes d’accéder aux factures que l’assujetti est obligé de stocker selon l’article 244 de ladite directive.

65      Il s’ensuit que, en imposant, en raison du risque d’un refus du droit à déduction, aux assujettis les mesures énumérées au point 61 du présent arrêt, l’administration fiscale transférerait, contrairement auxdites dispositions, ses propres tâches de contrôle sur les assujettis.

66      Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre aux questions posées dans l’affaire C‑80/11 que les articles 167, 168, sous a), 178, sous a), et 273 de la directive 2006/112 doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une pratique nationale en vertu de laquelle l’autorité fiscale refuse le droit à déduction au motif que l’assujetti ne s’est pas assuré que l’émetteur de la facture afférente aux biens au titre desquels l’exercice du droit à déduction est demandé avait la qualité d’assujetti, qu’il disposait des biens en cause et était en mesure de les livrer et qu’il avait rempli ses obligations de déclaration et de paiement de la TVA, ou au motif que ledit assujetti ne dispose pas, en plus de ladite facture, d’autres documents de nature à démontrer que lesdites circonstances sont réunies, bien que les conditions matérielles et formelles prévues par la directive 2006/112 pour l’exercice du droit à déduction soient réunies et que l’assujetti ne disposât pas d’indices justifiant de soupçonner l’existence d’irrégularités ou de fraude dans la sphère dudit émetteur.

 Sur les dépens

67      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) dit pour droit:

1)      Les articles 167, 168, sous a), 178, sous a), 220, point 1, et 226 de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une pratique nationale en vertu de laquelle l’autorité fiscale refuse à un assujetti le droit de déduire du montant de la taxe sur la valeur ajoutée dont il est redevable le montant de la taxe due ou acquittée pour les services qui lui ont été fournis, au motif que l’émetteur de la facture afférente à ces services, ou l’un de ses prestataires, a commis des irrégularités, sans que cette autorité établisse, au vu d’éléments objectifs, que l’assujetti concerné savait ou aurait dû savoir que l’opération invoquée pour fonder le droit à déduction était impliquée dans une fraude commise par ledit émetteur ou un autre opérateur intervenant en amont dans la chaîne de prestations.

2)      Les articles 167, 168, sous a), 178, sous a), et 273 de la directive 2006/112 doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une pratique nationale en vertu de laquelle l’autorité fiscale refuse le droit à déduction au motif que l’assujetti ne s’est pas assuré que l’émetteur de la facture afférente aux biens au titre desquels l’exercice du droit à déduction est demandé avait la qualité d’assujetti, qu’il disposait des biens en cause et était en mesure de les livrer et qu’il avait rempli ses obligations de déclaration et de paiement de la taxe sur la valeur ajoutée, ou au motif que ledit assujetti ne dispose pas, en plus de ladite facture, d’autres documents de nature à démontrer que lesdites circonstances sont réunies, bien que les conditions matérielles et formelles prévues par la directive 2006/112 pour l’exercice du droit à déduction soient réunies et que l’assujetti ne disposât pas d’indices justifiant de soupçonner l’existence d’irrégularités ou de fraude dans la sphère dudit émetteur.

Signatures


* Langue de procédure: le hongrois.