ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

18 juin 2020 (*)

« Manquement d’État – Recevabilité – Article 63 TFUE – Liberté de circulation des capitaux – Existence d’une restriction – Charge de la preuve – Discrimination indirecte liée à la provenance des capitaux – Article 12 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Droit à la liberté d’association – Réglementation nationale imposant des obligations d’enregistrement, de déclaration et de publicité, assorties de sanctions, aux associations recevant des aides financières en provenance d’autres États membres ou de pays tiers – Article 7 de la charte des droits fondamentaux – Droit au respect de la vie privée – Article 8, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux – Droit à la protection des données à caractère personnel – Réglementation nationale imposant la divulgation d’informations relatives aux personnes apportant une aide financière à des associations et au montant de cette aide – Justification – Raison impérieuse d’intérêt général – Transparence du financement associatif – Article 65 TFUE – Ordre public – Sécurité publique – Lutte contre le blanchiment de capitaux, le financement du terrorisme et le crime organisé – Article 52, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux »

Dans l’affaire C‑78/18,

ayant pour objet un recours en manquement au titre de l’article 258 TFUE, introduit le 6 février 2018,

Commission européenne, représentée initialement par MM. V. Di Bucci, L. Havas et L. Malferrari ainsi que par Mme K. Talabér-Ritz, puis par MM. V. Di Bucci, L. Havas et L. Malferrari, en qualité d’agents,

partie requérante,

soutenue par :

Royaume de Suède, représenté par Mmes A. Falk, C. Meyer-Seitz et H. Shev, en qualité d’agents,

partie intervenante,

contre

Hongrie, représentée par MM. M. Z. Fehér et G. Koós, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

LA COUR (grande chambre),

composée de M. K. Lenaerts, président, Mme R. Silva de Lapuerta, vice‑présidente, MM. J.‑C. Bonichot, A. Arabadjiev, E. Regan, S. Rodin, Mme L. S. Rossi et M. I. Jarukaitis, présidents de chambre, MM. E. Juhász, M. Ilešič, J. Malenovský (rapporteur), D. Šváby et N. Piçarra, juges,

avocat général : M. M. Campos Sánchez-Bordona,

greffier : Mme R. Şereş, administratrice,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 22 octobre 2019,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 14 janvier 2020,

rend le présent

Arrêt

1        Par sa requête, la Commission européenne demande à la Cour de constater que, en adoptant les dispositions de l’a külföldről támogatott szervezetek átláthatóságáról szóló 2017. évi LXXVI. törvény (loi n° LXXVI de 2017, sur la transparence des organisations recevant de l’aide de l’étranger, ci-après la « loi sur la transparence ») qui imposent des obligations d’enregistrement, de déclaration et de publicité à certaines catégories d’organisations de la société civile bénéficiant directement ou indirectement d’une aide étrangère dépassant un certain seuil, et qui prévoient la possibilité d’appliquer des sanctions aux organisations ne respectant pas ces obligations, la Hongrie a introduit des restrictions discriminatoires, injustifiées et non nécessaires à l’égard des dons étrangers accordés aux organisations de la société civile, en violation des obligations qui lui incombent au titre de l’article 63 TFUE ainsi que des articles 7, 8 et 12 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »).

I.      La législation hongroise

A.      La loi sur la transparence

2        Le préambule de la loi sur la transparence indique notamment que les organisations de la société civile « contribue[nt] au contrôle démocratique et au débat public sur les affaires publiques », qu’elles « jouent un rôle déterminant dans la formation de l’opinion publique » et que « leur transparence présente un intérêt public majeur ».

3        Ce préambule énonce également que « le soutien fourni par des sources étrangères inconnues  [aux organisations de la société civile] est susceptible d’être utilisé par des groupes d’intérêts étrangers pour promouvoir, par le biais de l’influence sociale de ces organisations, leurs propres intérêts au lieu des objectifs communautaires dans la vie sociale et politique de la Hongrie » et que ce soutien « peut mettre en péril les intérêts politiques et économiques du pays ainsi que le fonctionnement sans ingérence des institutions légales ».

4        Aux termes de l’article 1er de cette loi :

« 1.      Aux fins de l’application de la présente loi, est réputée être une organisation recevant de l’aide de l’étranger toute association ou fondation qui bénéficie d’un apport financier tel que défini au paragraphe 2 (ci-après dénommées conjointement : “organisation recevant de l’aide de l’étranger”).

2.      Au sens de la présente loi, tout apport d’argent ou d’autres actifs provenant directement ou indirectement de l’étranger, indépendamment du titre juridique, est réputé être une aide dès lors qu’il atteint, seul ou cumulativement, en un exercice fiscal donné, le double du montant fixé à l’article 6, paragraphe 1, sous b), du pénzmosás és a terrorizmus finanszírozása megelőzéséről és megakadályozásáról szóló 2017. évi LIII. törvény [(loi n° LIII de 2017, relative à la prévention et à la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme)].

[...]

4.      Ne relèvent pas de la présente loi :

a)      les associations et fondations qui ne sont pas réputées être des organisations de la société civile ;

b)      les associations couvertes par le sportról szóló 2004. évi I. törvény [(loi n° I de 2004, relative au sport)] ;

c)      les organisations exerçant une activité religieuse ;

d)      les organisations et associations de minorités nationales couvertes par le nemzetiségek jogairól szóló 2011. évi CLXXIX. törvény [(loi n° CLXXIX de 2011, sur les droits des minorités nationales)] ainsi que les fondations exerçant, conformément à leur acte constitutif, une activité directement liée à l’autonomie culturelle d’une minorité nationale ou représentant et défendant les intérêts d’une minorité nationale donnée. »

5        L’article 2 de la loi sur la transparence dispose :

« 1.      Toute association ou fondation, au sens de l’article 1er, paragraphe 1, est tenue de signaler, dans les 15 jours, sa transformation en organisation recevant de l’aide de l’étranger, dès que le montant d’aides qu’elle a reçues durant l’année concernée atteint le double du montant fixé à l’article 6, paragraphe 1, sous b), de la loi n° LIII de 2017, relative à la prévention et à la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme.

2.      L’organisation recevant de l’aide de l’étranger envoie la déclaration visée au paragraphe 1 au tribunal compétent pour son siège social (ci-après la “juridiction d’enregistrement”) et fournit les données spécifiées à l’annexe I. La juridiction d’enregistrement joint la déclaration aux renseignements relatifs à l’association ou à la fondation figurant dans le registre des organisations civiles et autres organisations réputées non commerciales (ci-après le “registre”) et enregistre l’association ou la fondation en tant qu’organisation recevant de l’aide de l’étranger.

3.      En appliquant par analogie les règles énoncées au paragraphe 1, l’organisation recevant de l’aide de l’étranger transmet à la juridiction d’enregistrement, en même temps que son décompte, une déclaration comportant les données spécifiées à l’annexe I, concernant les aides reçues durant l’année écoulée. Dans la déclaration doivent figurer, pour l’année concernée :

a)      pour une aide ne dépassant pas 500 000 forints [hongrois (HUF) (environ 1 500 euros)] par donateur, les informations visées à la partie II, point A), de l’annexe I,

b)      pour une aide atteignant ou dépassant 500 000 [HUF] par donateur, les informations visées à la partie II, point B), de l’annexe I.

4.      Avant le 15 de chaque mois, la juridiction d’enregistrement envoie au ministère chargé de la gestion du portail des informations civiles le nom, le siège et l’identifiant fiscal des associations et fondations qu’elle a inscrites au registre en tant qu’organisations recevant de l’aide de l’étranger durant le mois écoulé. Le ministère chargé de la gestion du portail des informations civiles diffuse sans délai les informations ainsi transmises afin de les rendre publiquement et gratuitement accessibles sur la plateforme électronique établie à cette fin.

5.      Après avoir fait sa déclaration, au sens du paragraphe 1, l’organisation recevant de l’aide de l’étranger fait savoir sans délai sur sa page d’accueil et dans ses publications et autres produits de presse, au sens de la loi sur la liberté de la presse et les règles fondamentales applicables aux contenus diffusés par les médias, qu’elle est considérée comme une organisation recevant de l’aide de l’étranger, au sens de la présente loi.

6.      L’organisation recevant de l’aide de l’étranger reste tenue par l’obligation visée au paragraphe 5 aussi longtemps qu’elle est considérée comme une organisation recevant de l’aide de l’étranger, au sens de la présente loi. »

6        L’article 3 de la loi sur la transparence énonce :

« 1.      Si l’association ou la fondation ne respecte pas les obligations que lui impose la présente loi, le procureur doit, dès qu’il en a connaissance et en application des règles qui lui sont applicables, enjoindre à l’association ou la fondation de se conformer auxdites obligations dans les 30 jours suivant ladite injonction.

2.      Si l’organisation recevant de l’aide de l’étranger ne satisfait pas à l’obligation indiquée dans l’injonction du procureur, le procureur l’enjoint à nouveau de se conformer aux obligations que lui impose la présente loi dans un délai de 15 jours. Dans les 15 jours suivant l’expiration sans résultat de ce délai, le procureur requiert devant la juridiction d’enregistrement l’infliction d’une amende, conformément à l’article 37, paragraphe 2, du civil szervezetek bírósági nyilvántartásáról és az ezzel összefüggő eljárási szabályokról szóló 2011. évi CLXXXI. törvény [(loi n° CLXXXI de 2011, sur l’enregistrement auprès des tribunaux des organisations de la société civile et les règles de procédure applicables)].

3.      Après avoir adressé une nouvelle injonction à l’organisation conformément au paragraphe 2, le procureur agit dans le respect de l’exigence de proportionnalité, en appliquant par analogie les règles posées par l’egyesülési jogról, a közhasznú jogállásról, valamint a civil szervezetek működéséről és támogatásáról szóló 2011. évi CLXXV. törvény [(loi n° CLXXV de 2011, sur le droit d’association, le statut à but non lucratif, le fonctionnement et le financement des organisations de la société civile)] et par la loi n° CLXXXI de 2011, sur l’enregistrement auprès des tribunaux des organisations de la société civile et les règles de procédure applicables. »

7        L’article 4 de la loi sur la transparence prévoit :

« 1.      Si l’apport d’argent ou d’autres actifs dont a bénéficié l’organisation recevant de l’aide de l’étranger n’atteint pas, durant l’année suivant l’exercice fiscal visé à l’article 2, paragraphe 3, le double du montant indiqué à l’article 6, paragraphe 1, sous b), de la loi n° LIII de 2017, relative à la prévention et à la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme, l’association ou la fondation n’est plus considérée comme une organisation recevant de l’aide de l’étranger et elle communique cette information, en appliquant par analogie les règles relatives à la déclaration, dans les 30 jours suivant l’adoption de son rapport annuel pour l’année où se produit cette circonstance. La juridiction d’enregistrement transmet également ce fait, en application de l’article 2, paragraphe 4, au ministère chargé de la gestion du portail des informations civiles qui raye sans délai les données de l’organisation concernée de la plateforme électronique établie à cette fin.

2.      Par suite de la déclaration visée au paragraphe 1, la juridiction d’enregistrement raye sans délai du registre l’indication selon laquelle l’association ou la fondation est une organisation recevant de l’aide de l’étranger. »

8        L’annexe I de la loi sur la transparence précise, dans sa partie I, que la déclaration relative à la transformation d’une organisation de la société civile en organisation recevant de l’aide de l’étranger, visée à l’article 2 de cette loi, doit indiquer l’année au cours de laquelle une telle transformation intervient et le nom, le siège social ainsi que le numéro d’identification de l’organisation concernée.

9        En outre, cette annexe I prévoit, dans sa partie II, point A, que, dans le cas où le total des aides reçues de l’étranger n’atteint pas le seuil visé à l’article 2, paragraphe 3, de ladite loi, la déclaration en cause doit mentionner, premièrement, le total des apports d’argent reçus, deuxièmement, le total des apports d’autres actifs reçus et, troisièmement, le nombre total de donateurs dont proviennent ces apports.

10      Enfin, ladite annexe I énonce, dans sa partie II, point B, que, dans le cas où le total des aides reçues de l’étranger atteint ou dépasse le seuil visé à l’article 2, paragraphe 3, de la même loi, la déclaration doit détailler le montant et la source de chaque aide reçue, en indiquant, dans l’hypothèse où cette source est une personne physique, le nom, le pays et la ville de résidence de celle-ci, ou, dans le cas où elle est une personne morale, la raison sociale et le siège de cette dernière.

B.      La loi n° CLXXV de 2011

11      La loi n° CLXXV de 2011, sur le droit d’association, le statut à but non lucratif, le fonctionnement et le financement des organisations de la société civile, à laquelle se réfère l’article 3 de la loi sur la transparence, énonce à son article 3, paragraphe 3 :

« L’exercice du droit d’association [...] ne peut consister en une infraction ou en une incitation à commettre une infraction [...] »

12      L’article 11, paragraphe 4, de cette loi prévoit :

« La juridiction dissout l’association, sur requête du procureur, si son fonctionnement ou son activité enfreint l’article 3, paragraphes 3 à 5. »

C.      La loi n° CLXXXI de 2011

13      La loi n° CLXXXI de 2011, sur l’enregistrement auprès des tribunaux des organisations de la société civile et les règles de procédure applicables, à laquelle se réfère également l’article 3 de la loi sur la transparence, contient notamment un article 71/G, paragraphe 2, en vertu duquel la juridiction compétente peut adopter, à l’égard d’une organisation de la société civile, les mesures suivantes :

« a)      infliger une amende de 10 000 à 900 000 [HUF (environ 30 à 2 700 euros)] à l’organisation ou au représentant [...] ;

b)      annuler la décision [...] irrégulière de l’organisation et, si nécessaire, ordonner l’adoption d’une nouvelle décision, en assortissant cette injonction de l’indication d’un délai adéquat ;

c)      s’il est probable que le fonctionnement correct de l’organisation peut être rétabli en convoquant son organe principal, convoquer l’organe décisionnel de l’organisation ou attribuer cette tâche à une personne ou une organisation adéquate, aux frais de l’organisation ;

d)      désigner un administrateur pour une durée maximale de 90 jours si le rétablissement du fonctionnement correct de l’organisation ne peut être assuré autrement et si cela paraît particulièrement justifié compte tenu du fonctionnement de l’organisation ou d’autres circonstances, vu le résultat escompté ;

e)      dissoudre l’organisation. »

D.      La loi n° LIII de 2017

14      Le montant fixé à l’article 6, paragraphe 1, sous b), de la loi n° LIII de 2017, relative à la prévention et à la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme, auquel renvoient les articles 1er, 2 et 4 de la loi sur la transparence, est de 7,2 millions de HUF (environ 20 800 euros).

II.    La procédure précontentieuse

15      Le 14 juillet 2017, la Commission a adressé à la Hongrie une lettre de mise en demeure (ci-après la « lettre de mise en demeure ») dans laquelle elle a estimé que, en adoptant la loi sur la transparence, cet État membre a manqué aux obligations qui lui incombent au titre de l’article 63 TFUE ainsi que des articles 7, 8 et 12 de la Charte, et lui a imparti un délai d’un mois pour présenter des observations.

16      Le 17 juillet 2017, la Hongrie a demandé une prorogation de ce délai, que la Commission lui a refusée.

17      Le 14 août et le 7 septembre 2017, la Hongrie a adressé à la Commission deux séries d’observations relatives à la lettre de mise en demeure, en contestant le bien-fondé des griefs figurant dans celle-ci.

18      Le 5 octobre 2017, la Commission a émis un avis motivé (ci-après l’« avis motivé »), dans lequel elle a estimé que la Hongrie a manqué aux obligations qui lui incombent au titre de l’article 63 TFUE ainsi que des articles 7, 8 et 12 de la Charte, en introduisant des restrictions discriminatoires, injustifiées et non nécessaires à l’égard des dons étrangers accordés aux organisations de la société civile au moyen des dispositions de la loi sur la transparence qui imposent des obligations d’enregistrement, de déclaration et de publicité à certaines catégories d’organisations de la société civile bénéficiant directement ou indirectement d’une aide étrangère dépassant un certain seuil, et qui prévoient la possibilité d’appliquer des sanctions aux organisations ne respectant pas ces obligations. La Commission a également imparti un délai d’un mois à la Hongrie pour prendre les mesures nécessaires pour se conformer à l’avis motivé ou pour lui présenter des observations.

19      Le 12 octobre 2017, la Hongrie a demandé une prorogation de ce délai, que la Commission lui a refusée.

20      Le 5 décembre 2017, la Hongrie a adressé à la Commission des observations relatives à l’avis motivé, en contestant le bien-fondé des griefs figurant dans celui‑ci.

21      N’étant pas convaincue par ces observations, la Commission a décidé, le 7 décembre 2017, d’introduire le présent recours.

III. La procédure devant la Cour

22      Par acte déposé au greffe de la Cour le 2 août 2018, le Royaume de Suède a demandé à intervenir au litige, au soutien des conclusions de la Commission.

23      Par acte déposé au greffe de la Cour le 22 août 2018, la Hongrie a présenté ses observations écrites sur cette demande.

24      Par l’ordonnance du président de la Cour du 26 septembre 2018, Commission/Hongrie (C‑78/18, non publiée, EU:C:2018:790), ce dernier a fait droit à ladite demande.

IV.    Sur la recevabilité

A.      Argumentation des parties

25      Dans son mémoire en défense, la Hongrie soutient que le recours doit être rejeté comme irrecevable, en raison du comportement de la Commission pendant la procédure précontentieuse et des illégalités qui en découleraient.

26      À cet égard, la Hongrie expose, d’une part, que la Commission, premièrement, lui a imposé de présenter ses observations sur la lettre de mise en demeure, puis sur l’avis motivé dans un délai d’un mois, au lieu de celui de deux mois qui est usuellement appliqué dans le cadre des procédures précontentieuses, deuxièmement, a rejeté ses demandes de prorogation de ce délai dans des termes sommaires et stéréotypés ne justifiant pas l’existence d’une urgence particulière et, troisièmement, a pris la décision d’introduire le présent recours deux jours à peine après avoir reçu ses observations sur l’avis motivé.

27      D’autre part, la Hongrie fait valoir que le comportement de la Commission a entaché la procédure précontentieuse d’illégalité. En effet, ce comportement démontrerait que cette institution n’a pas cherché à l’entendre de manière adéquate, en violation du principe de coopération loyale énoncé à l’article 4, paragraphe 3, TUE et du droit à une bonne administration consacré à l’article 41 de la Charte. En outre, ledit comportement aurait rendu plus difficile la réfutation des griefs formulés par la Commission et constituerait, ainsi, une violation des droits de la défense.

28      Dans son mémoire en duplique, la Hongrie relève, par ailleurs, que la Commission cherche à justifier son comportement en invoquant la circonstance que les autorités hongroises ne voulaient pas abroger la loi sur la transparence. Or, une telle circonstance serait susceptible de se présenter dans toutes les procédures en constatation d’un manquement d’État et ne permettrait donc pas d’établir l’existence d’une situation particulière d’urgence. En outre, elle ne pourrait être invoquée pour justifier une réduction des délais applicables à la procédure précontentieuse, sauf à méconnaître les objectifs de cette dernière.

29      La Commission, soutenue par le Royaume de Suède, conteste le bien-fondé de cette argumentation.

B.      Appréciation de la Cour

30      Ainsi qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour, le fait que la Commission soumette une procédure précontentieuse à des délais brefs n’est pas, en lui-même, susceptible d’entraîner l’irrecevabilité du recours en manquement subséquent (voir, en ce sens, arrêt du 31 janvier 1984, Commission/Irlande, 74/82, EU:C:1984:34, points 12 et 13). En effet, une telle irrecevabilité ne s’impose que dans le cas où le comportement de la Commission a rendu plus difficile la réfutation des griefs de cette institution par l’État membre concerné et a violé, ainsi, les droits de la défense, ce dont il appartient audit État membre de rapporter la preuve (voir, en ce sens, arrêts du 12 mai 2005, Commission/Belgique, C‑287/03, EU:C:2005:282, point 14, et du 21 janvier 2010, Commission/Allemagne, C‑546/07, EU:C:2010:25, point 22).

31      En l’espèce, la Hongrie ne rapporte pas la preuve que le comportement de la Commission a rendu plus difficile la réfutation des griefs de cette institution. Du reste, l’examen du déroulement de la procédure précontentieuse, tel que rappelé aux points 15 à 20 du présent arrêt, fait apparaître, tout d’abord, que, après avoir soumis des observations relatives à la lettre de mise en demeure dans le délai d’un mois qui lui avait été imparti par la Commission, la Hongrie a présenté, trois semaines plus tard, de nouvelles observations à ce sujet, qui ont été acceptées par cette institution. Ensuite, cet État membre a présenté des observations relatives à l’avis motivé dans un délai de deux mois correspondant à celui qui est usuellement appliqué dans le cadre des procédures précontentieuses, alors même qu’un délai d’un mois lui avait été imposé à cet effet, et ces observations ont, elles aussi, été acceptées par la Commission. Enfin, l’analyse des documents échangés pendant la procédure précontentieuse ainsi que de la requête introductive d’instance fait ressortir que la Commission a dûment pris en considération l’ensemble des observations formulées par la Hongrie aux différentes phases de cette procédure.

32      Dès lors, il n’est pas établi que le comportement de la Commission ait rendu plus difficile la réfutation des griefs de cette institution par la Hongrie et violé, ainsi, les droits de la défense.

33      Par conséquent, le recours est recevable.

V.      Sur la charge de la preuve

A.      Argumentation des parties

34      Dans son mémoire en défense, la Hongrie fait valoir que, à le supposer recevable, le recours doit être rejeté d’emblée, au motif qu’il ne répond pas aux exigences applicables à l’administration de la preuve. En effet, il incomberait à la Commission d’établir l’existence des manquements qu’elle poursuit, sans qu’elle puisse se fonder sur une présomption quelconque. Or, en l’espèce, cette institution ne produirait pas de preuves selon lesquelles la loi sur la transparence a eu des effets pratiques sur la liberté de circulation des capitaux garantie à l’article 63 TFUE.

35      La Commission, soutenue par le Royaume de Suède, conteste le bien-fondé de cette argumentation.

B.      Appréciation de la Cour

36      Ainsi qu’il résulte d’une jurisprudence constante de la Cour, il incombe à la Commission de prouver l’existence des manquements qu’elle allègue, sans qu’elle puisse se fonder sur une présomption quelconque (arrêts du 25 mai 1982, Commission/Pays-Bas, 96/81, EU:C:1982:192, point 6, et du 13 février 2014, Commission/Royaume-Uni, C‑530/11, EU:C:2014:67, point 60).

37      Cependant, l’existence d’un manquement peut être prouvée, dans le cas où celui‑ci trouve son origine dans l’adoption d’une mesure législative ou réglementaire dont l’existence et l’application ne sont pas contestées, au moyen d’une analyse juridique des dispositions de cette mesure (voir, en ce sens, arrêts du 18 novembre 2010, Commission/Portugal, C‑458/08, EU:C:2010:692, points 52 et 55, ainsi que du 19 décembre 2012, Commission/Belgique, C‑577/10, EU:C:2012:814, point 35).

38      Or, en l’espèce, le manquement que la Commission impute à la Hongrie trouve son origine dans l’adoption d’une mesure législative dont cet État membre ne conteste ni l’existence ni l’application et dont les dispositions font l’objet d’une analyse juridique dans la requête introductive d’instance.

39      Dès lors, la Hongrie n’est pas fondée à reprocher à la Commission de ne pas produire de preuves des effets pratiques, sur la liberté de circulation garantie à l’article 63 TFUE, de la loi sur la transparence.

VI.    Sur le fond

A.      Sur l’article 63 TFUE

1.      Sur l’existence d’une restriction à la liberté de circulation des capitaux

a)      Argumentation des parties

40      La Commission, soutenue par le Royaume de Suède, fait valoir, tout d’abord, que la loi sur la transparence restreint la liberté de circulation des capitaux, en réservant un traitement indirectement discriminatoire aux mouvements de capitaux entre la Hongrie, d’une part, et les autres États membres ainsi que les pays tiers, d’autre part. En effet, tout en ne se référant pas à la nationalité, cette loi s’appliquerait par référence à un critère tenant à l’existence de mouvements de capitaux de provenance étrangère, et plus précisément d’aides financières versées aux organisations de la société civile établies en Hongrie par des personnes physiques ou morales ayant leur lieu de résidence ou leur siège dans un autre État membre ou dans un pays tiers.

41      Ensuite, la Hongrie ne serait pas fondée à soutenir que le recours à ce critère reflète l’existence d’une différence objective entre la situation des ressortissants hongrois et celle des ressortissants d’autres États membres ou de pays tiers, tenant au fait qu’il serait plus facile, pour les autorités hongroises compétentes, de contrôler les aides financières octroyées par les premiers, dont le lieu de résidence ou le siège se trouve sur le territoire national, que celles accordées par les seconds. En effet, le lieu d’établissement ne pourrait servir de paramètre pour apprécier la comparabilité objective de deux situations.

42      Enfin, la Commission et le Royaume de Suède avancent, à titre subsidiaire, que, si la loi sur la transparence n’est pas qualifiée de mesure indirectement discriminatoire, il ne devrait pas moins être constaté qu’elle instaure un ensemble d’obligations de nature à dissuader non seulement les organisations de la société civile établies en Hongrie, mais également les personnes physiques ou morales susceptibles de leur apporter des aides financières à partir d’autres États membres ou de pays tiers, d’exercer la liberté de circulation des capitaux que leur garantit l’article 63 TFUE. En effet, les obligations faites aux organisations concernées de s’enregistrer sous la dénomination d’« organisations recevant de l’aide de l’étranger » et de se présenter systématiquement comme telles les dissuaderaient de continuer à accepter de telles aides. En outre, les obligations de déclaration et de publicité qui les accompagnent dissuaderaient les personnes qui accordent lesdites aides de continuer à le faire et décourageraient d’autres personnes de le faire.

43      En défense, la Hongrie souligne, d’une part, que la loi sur la transparence ne peut être qualifiée de mesure indirectement discriminatoire. En effet, son application dépendrait d’un critère lié non pas à la nationalité des personnes qui accordent des aides financières aux organisations de la société civile établies en Hongrie, mais à la source de telles aides. En outre, le recours à ce critère se justifierait par la circonstance que les aides financières versées par des personnes établies en Hongrie et celles accordées par des personnes établies à l’étranger se trouvent dans des situations différentes, dans la mesure où les premières peuvent être contrôlées plus facilement que les secondes par les autorités hongroises compétentes et où des règles relatives à la prévention du blanchiment et à la transparence ne sont pas nécessairement applicables dans les États membres ou les pays tiers dont proviennent les secondes.

44      D’autre part, les obligations d’enregistrement, de déclaration et de publicité instaurées par la loi sur la transparence ainsi que les sanctions qui les accompagnent ne pourraient non plus être considérées comme ayant un effet dissuasif sur la liberté de circulation des capitaux. En effet, ces obligations seraient rédigées dans des termes objectifs et neutres. En outre, elles concerneraient exclusivement les personnes physiques ou morales versant des aides financières supérieures à certains seuils, qui seraient peu nombreuses.

b)      Appréciation de la Cour

45      L’article 63 TFUE énonce, à son paragraphe 1, que toutes les restrictions aux mouvements de capitaux entre les États membres ainsi qu’entre les États membres et les pays tiers sont interdites.

46      Ainsi qu’il découle des termes de cette disposition, la violation de celle-ci suppose l’existence tant de mouvements de capitaux présentant une dimension transfrontalière que d’une restriction apportée à la libre circulation de ces derniers.

47      S’agissant, en premier lieu, de l’existence de mouvements de capitaux, il résulte d’une jurisprudence constante de la Cour que, en l’absence de définition, dans le traité FUE, de la notion de « mouvements de capitaux », cette dernière est appréhendée en tenant compte, à titre indicatif et non exhaustif, de la nomenclature figurant à l’annexe I de la directive 88/361/CEE du Conseil, du 24 juin 1988, pour la mise en œuvre de l’article 67 du traité [CE (article abrogé par le traité d’Amsterdam)] (JO 1988, L 178, p. 5) [arrêts du 27 janvier 2009, Persche, C‑318/07, EU:C:2009:33, point 24, et du 21 mai 2019, Commission/Hongrie (Usufruits sur terres agricoles), C‑235/17, EU:C:2019:432, point 54].

48      Ainsi, la Cour a déjà jugé que les successions et les dons, qui relèvent de la rubrique XI de cette annexe I, intitulée « Mouvements de capitaux à caractère personnel », sont compris dans la notion de mouvements de capitaux, à l’exception des cas où leurs éléments constitutifs se cantonnent à l’intérieur d’un seul État membre (voir, en ce sens, arrêts du 26 avril 2012, van Putten, C‑578/10 à C‑580/10, EU:C:2012:246, point 29, et du 16 juillet 2015, Commission/France, C‑485/14, non publié, EU:C:2015:506, point 22).

49      En outre, cette notion englobe les prêts ou les crédits financiers ainsi que les cautionnements ou autres garanties accordés par des non-résidents à des résidents, tels qu’énumérés aux points VIII et IX de ladite annexe I.

50      Or, en l’espèce, la loi sur la transparence s’applique, selon son article 1er, paragraphes 1 et 2, et sous réserve des cas d’exclusion prévus au paragraphe 4 de cet article, dès lors qu’une association ou une fondation établie en Hongrie reçoit un « apport d’argent ou d’autres actifs provenant directement ou indirectement de l’étranger, indépendamment du titre juridique », et atteignant un seuil donné au cours d’un exercice fiscal donné.

51      Il en découle que cette loi s’applique en présence de mouvements de capitaux présentant une dimension transfrontalière et susceptibles, eu égard à la mention selon laquelle ceux-ci sont couverts « indépendamment du titre juridique », de prendre la forme, notamment, de dons, de dotations, de successions, de prêts, de crédits, de garanties ou encore de cautionnements accordés par des personnes physiques ou morales.

52      En ce qui concerne, en second lieu, l’existence d’une restriction à la liberté de circulation des capitaux, il résulte d’une jurisprudence constante de la Cour que la notion de « restriction » figurant à l’article 63 TFUE couvre, de manière générale, toute entrave aux mouvements de capitaux intervenant tant entre États membres (voir, en ce sens, arrêt du 22 octobre 2013, Essent e.a., C‑105/12 à C‑107/12, EU:C:2013:677, point 39 et jurisprudence citée) qu’entre États membres et pays tiers [voir, en ce sens, arrêts du 18 janvier 2018, Jahin, C‑45/17, EU:C:2018:18, points 19 à 21, ainsi que du 26 février 2019, X (Sociétés intermédiaires établies dans des pays tiers), C‑135/17, EU:C:2019:136, point 26].

53      En particulier, cette notion inclut les mesures étatiques qui sont de nature discriminatoire en ce qu’elles instituent, directement ou indirectement, une différence de traitement entre les mouvements nationaux de capitaux et les mouvements transfrontaliers de capitaux, qui ne correspond pas à une différence objective de situations (voir, en ce sens, arrêts du 12 décembre 2006, Test Claimants in the FII Group Litigation, C‑446/04, EU:C:2006:774, point 46, ainsi que du 16 juillet 2015, Commission/France, C‑485/14, non publié, EU:C:2015:506, points 25 et 26), et qui sont, partant, propres à dissuader des personnes physiques ou morales d’autres États membres ou de pays tiers d’effectuer des mouvements transfrontaliers de capitaux.

54      En l’espèce, il convient de constater, tout d’abord, que la loi sur la transparence soumet toutes les associations ou les fondations relevant de son champ d’application et recevant une aide financière en provenance d’un État membre autre que la Hongrie ou d’un pays tiers à un ensemble d’obligations spécifiques consistant à se faire enregistrer, « en tant qu’organisations recevant de l’aide de l’étranger », auprès des juridictions compétentes (article 2, paragraphe 1), à adresser à celles-ci chaque année une déclaration contenant un ensemble de données relatives à leur identité, aux aides financières atteignant ou dépassant certains montants qu’elles reçoivent de la part de personnes physiques ou morales ayant leur lieu de résidence ou leur siège dans un autre État membre ou dans un pays tiers ainsi qu’à l’identité de ces personnes (article 2, paragraphes 2 et 3), et à indiquer, sur leur site Internet ainsi que dans leurs publications et autres produits de presse, l’information selon laquelle elles constituent des organisations recevant de l’aide de l’étranger (article 2, paragraphe 5).

55      Ensuite, cette loi impose la diffusion, par le ministère chargé de la gestion du portail des informations civiles, d’informations relatives auxdites associations et fondations sur une plateforme électronique dédiée et gratuitement accessible au public (article 2, paragraphe 4).

56      Enfin, elle prévoit que le non-respect des obligations applicables aux associations et aux fondations en cause les expose à un ensemble de sanctions comprenant l’adoption d’injonctions de mise en conformité par le procureur compétent, l’infliction d’amendes d’un montant compris entre 10 000 HUF et 900 000 HUF (environ 30 euros et 2 700 euros) par la juridiction compétente et la possibilité qu’une dissolution soit ordonnée par cette juridiction à la demande du procureur (article 3).

57      Ces différentes mesures, qui ont été instaurées de façon conjointe et qui poursuivent un objectif commun, mettent en place un ensemble d’obligations qui sont, eu égard à leur contenu et à leur combinaison, de nature à entraver la liberté de circulation des capitaux dont peuvent se prévaloir tant les organisations de la société civile établies en Hongrie, en tant que destinataires de mouvements de capitaux prenant la forme d’aides financières en provenance d’autres États membres ou de pays tiers, que les personnes physiques ou morales qui leur apportent de telles aides financières et sont donc à l’origine desdits mouvements de capitaux.

58      Plus précisément, les dispositions visées aux points 50 et 54 à 56 du présent arrêt instaurent un régime qui est applicable, de façon ciblée et exclusive, aux associations et aux fondations recevant, en provenance d’autres États membres ou de pays tiers, des aides financières d’un montant atteignant les seuils prévus par la loi sur la transparence. En particulier, elles les singularisent, en tant qu’« organisations recevant de l’aide de l’étranger », en leur imposant de se déclarer, de s’enregistrer et de se présenter systématiquement au public sous cette dénomination, sous peine de sanctions pouvant aller jusqu’à leur dissolution. En stigmatisant ainsi ces associations et fondations, elles sont de nature à créer un climat de méfiance à leur égard, propre à dissuader des personnes physiques ou morales d’autres États membres ou de pays tiers de leur apporter une aide financière.

59      Par ailleurs, ce régime implique des formalités et des charges administratives supplémentaires, qui pèsent exclusivement sur lesdites associations et fondations, en raison de l’origine « étrangère » des aides financières mises à leur disposition.

60      En outre, lesdites dispositions ciblent les personnes apportant des aides financières à ces mêmes associations ou fondations depuis d’autres États membres ou des pays tiers, en prévoyant la divulgation publique d’informations relatives à ces personnes et à ces aides financières, ce qui est également de nature à dissuader lesdites personnes de fournir de telles aides.

61      Ce faisant, les dispositions en cause, appréhendées dans leur ensemble, réservent un traitement différent non seulement aux associations et aux fondations établies en Hongrie qui reçoivent des aides financières en provenance d’autres États membres ou de pays tiers, par rapport à celles qui reçoivent des aides financières de source hongroise, mais également aux personnes qui apportent à ces associations et fondations des aides financières depuis un autre État membre ou un pays tiers, par rapport à celles qui le feraient depuis un lieu de résidence ou un siège situé en Hongrie.

62      Or, ces différences de traitement en fonction de la provenance nationale ou « étrangère » des aides financières en cause, et donc du lieu où est établi la résidence ou le siège des personnes physiques ou morales qui les accordent, constituent une discrimination indirecte sur le fondement de la nationalité (voir par analogie, dans le domaine de la libre circulation des travailleurs, arrêts du 24 septembre 1998, Commission/France, C‑35/97, EU:C:1998:431, points 38 et 39, ainsi que du 5 mai 2011, Commission/Allemagne, C‑206/10, EU:C:2011:283, points 37 et 38).

63      Contrairement à ce que soutient la Hongrie, le lieu de résidence ou d’établissement des personnes physiques ou morales qui accordent lesdites aides financières ne saurait, par définition, constituer un critère valable pour conclure à l’existence d’une différence objective entre les situations en cause et pour exclure, en conséquence, l’existence d’une telle discrimination indirecte (voir, en ce sens, arrêt du 16 juin 2011, Commission/Autriche, C‑10/10, EU:C:2011:399, point 35).

64      Dès lors, les dispositions nationales en cause constituent des mesures indirectement discriminatoires, en ce qu’elles instituent des différences de traitement ne correspondant pas à des différences objectives de situations.

65      Il en résulte que les obligations d’enregistrement, de déclaration et de publicité pesant sur les « organisations recevant de l’aide de l’étranger », en vertu des articles 1er et 2 de la loi sur la transparence, ainsi que les sanctions prévues à l’article 3 de cette loi constituent, prises ensemble, une restriction à la liberté de circulation des capitaux, interdite par l’article 63 TFUE à moins d’être justifiée conformément au traité FUE et à la jurisprudence.

2.      Sur l’existence de justifications

a)      Argumentation des parties

66      La Commission et le Royaume de Suède soutiennent que la restriction à la liberté de circulation des capitaux que comporte la loi sur la transparence ne peut se justifier ni par l’une des raisons mentionnées à l’article 65 TFUE ni par une raison impérieuse d’intérêt général.

67      À cet égard, cette institution et cet État membre admettent que les objectifs invoqués par la Hongrie, qui consistent à accroître la transparence du financement des organisations de la société civile, d’une part, et à protéger l’ordre public et la sécurité publique en luttant contre le blanchiment de capitaux, le financement du terrorisme et, plus largement, le crime organisé, d’autre part, sont, en principe, légitimes.

68      Cependant, il apparaîtrait clairement, en l’espèce, que ces objectifs ne sont pas susceptibles de justifier des obligations telles que celles mises en place par la loi sur la transparence.

69      En effet, l’article 65, paragraphe 1, sous b), TFUE autoriserait les États membres à adopter des mesures justifiées par des raisons liées à l’ordre public ou à la sécurité publique, mais ces raisons devraient être entendues strictement et ne pourraient justifier une législation dont les dispositions stigmatisent par principe et de façon indifférenciée les « organisations recevant de l’aide de l’étranger ». En outre, la Hongrie n’établirait pas l’existence d’une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour l’ordre public et la sécurité publique et ne démontrerait pas que les obligations mises en place par la loi sur la transparence permettent, de façon effective, de lutter contre le blanchiment de capitaux, le financement du terrorisme et, plus largement, le crime organisé.

70      Quant à l’objectif de transparence et, au-delà, de traçabilité des mouvements de capitaux destinés aux organisations qui participent à la vie publique, celui-ci pourrait être considéré comme une raison impérieuse d’intérêt général. Cependant, cet objectif ne pourrait justifier, dans une Union européenne fondée sur des valeurs communes et promouvant la participation active de ses citoyens à la vie publique, y compris dans un État membre autre que celui où ils sont établis, qu’une législation nationale parte du principe que les organisations de la société civile bénéficiant d’aides financières provenant de personnes établies dans d’autres États membres sont suspectes.

71      En tout état de cause, les dispositions de la loi sur la transparence iraient au-delà de ce qui est nécessaire et proportionné pour atteindre les objectifs invoqués par la Hongrie.

72      En défense, cet État membre soutient, en premier lieu, que cette loi est justifiée, à titre principal, par une raison impérieuse d’intérêt général et, à titre accessoire, par certaines des raisons mentionnées à l’article 65 TFUE.

73      En effet, d’une part, ladite loi s’inscrirait dans un contexte d’augmentation du montant du financement des organisations de la société civile par des capitaux en provenance d’autres États membres ou de pays tiers, qui serait passé de 68,4 milliards de HUF (environ 228 millions d’euros) pour l’année 2010 à 169,6 milliards de HUF (environ 565 millions d’euros) pour l’année 2015, et de travaux législatifs menés aux niveaux tant européen que national, dans le but d’assurer une traçabilité accrue des mouvements de capitaux. Elle serait ainsi justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général consistant à accroître la transparence du financement des organisations de la société civile, compte tenu de l’influence de ces dernières sur la vie publique.

74      D’autre part, la même loi serait également justifiée par des raisons liées à l’ordre public et à la sécurité publique, au sens de l’article 65, paragraphe 1, sous b), TFUE, consistant à lutter contre le blanchiment de capitaux, le financement du terrorisme et, plus largement, le crime organisé, en accroissant la transparence à l’égard de financements susceptibles de dissimuler des activités suspectes.

75      En second lieu, la loi sur la transparence serait nécessaire et proportionnée à ces différents objectifs.

b)      Appréciation de la Cour

76      Ainsi qu’il résulte d’une jurisprudence constante de la Cour, une mesure étatique qui restreint la liberté de circulation des capitaux ne peut être admise qu’à la condition, en premier lieu, d’être justifiée par une des raisons mentionnées à l’article 65 TFUE ou par une raison impérieuse d’intérêt général et, en second lieu, de respecter le principe de proportionnalité, ce qui implique qu’elle soit propre à garantir, de façon cohérente et systématique, la réalisation de l’objectif poursuivi et qu’elle n’aille pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l’atteindre [voir, en ce sens, arrêt du 21 mai 2019, Commission/Hongrie (Usufruits sur terres agricoles), C‑235/17, EU:C:2019:432, points 59 à 61 et jurisprudence citée].

77      Par ailleurs, il incombe à l’État membre concerné de démontrer que ces deux conditions cumulatives sont respectées (voir, en ce sens, arrêt du 10 février 2009, Commission/Italie, C‑110/05, EU:C:2009:66, point 62 et jurisprudence citée). S’agissant, plus particulièrement, de la condition selon laquelle les dispositions en cause doivent être justifiées par une des raisons énumérées à l’article 65 TFUE ou par une raison impérieuse d’intérêt général, cet État membre doit prouver, de façon concrète par rapport aux circonstances du cas d’espèce, que lesdites dispositions sont justifiées (voir, en ce sens, arrêts du 8 mai 2003, ATRAL, C‑14/02, EU:C:2003:265, points 66 à 69, ainsi que du 16 juillet 2009, Commission/Pologne, C‑165/08, EU:C:2009:473, points 53 et 57).

78      En l’espèce, s’agissant de la justification invoquée à titre principal par la Hongrie, la Cour a déjà relevé que l’objectif consistant à accroître la transparence des aides financières accordées à des personnes physiques ou morales sur des fonds publics accordés par l’Union, au moyen d’obligations de déclaration et de publicité, peut être considéré, compte tenu des principes d’ouverture et de transparence qui doivent guider l’activité des institutions de l’Union, conformément à l’article 1er, deuxième alinéa, TUE, à l’article 10, paragraphe 3, TUE et à l’article 15, paragraphes 1 et 3, TFUE, comme une raison impérieuse d’intérêt général. En effet, un tel objectif est de nature à améliorer l’information des citoyens à ce sujet ainsi qu’à leur permettre de mieux participer au débat public (voir, en ce sens, arrêt du 9 novembre 2010, Volker und Markus Schecke et Eifert, C‑92/09 et C‑93/09, EU:C:2010:662, points 68 à 71 ainsi que jurisprudence citée).

79      Dans la mesure où, ainsi qu’en conviennent tant la Commission et le Royaume de Suède que la Hongrie, certaines organisations de la société civile sont susceptibles, eu égard aux buts qu’elles poursuivent et aux moyens dont elles disposent, d’avoir une influence importante sur la vie publique et le débat public (Cour EDH, 14 avril 2009, Társaság a Szabadságjogokért c. Hongrie, CE:ECHR:2009:0414JUD003737405, § 27, 36 et 38, ainsi que Cour EDH, 8 novembre 2016, Magyar Helsinki Bizottság c. Hongrie, CE:ECHR:2016:1108JUD001803011, § 166 et 167), il y a lieu de considérer que l’objectif consistant à accroître la transparence des aides financières accordées à de telles organisations peut également constituer une raison impérieuse d’intérêt général.

80      Par ailleurs, il ressort de la jurisprudence de la Cour que, en tant que raison impérieuse d’intérêt général, cet objectif d’accroissement de la transparence du financement associatif est susceptible de justifier l’adoption d’une législation nationale apportant une restriction plus importante à la liberté de circulation des capitaux provenant de pays tiers qu’à celle des capitaux provenant d’autres États membres. En effet, les mouvements de capitaux en provenance de pays tiers se distinguent des mouvements de capitaux en provenance d’autres États membres en ce qu’ils ne sont pas soumis, dans leur pays d’origine, aux mesures d’harmonisation réglementaire et de coopération entre autorités nationales qui s’appliquent dans l’ensemble des États membres [voir, en ce sens, arrêts du 18 décembre 2007, A, C‑101/05, EU:C:2007:804, points 36 et 37, ainsi que du 26 février 2019, X (Sociétés intermédiaires établies dans des pays tiers), C‑135/17, EU:C:2019:136, point 90].

81      En l’occurrence, il convient toutefois de relever, en premier lieu, que les obligations d’enregistrement, de déclaration et de publicité ainsi que les sanctions instituées par les dispositions de la loi sur la transparence visées au point 65 du présent arrêt s’appliquent de façon indifférenciée à l’ensemble des organisations de la société civile recevant, en provenance de tout État membre autre que la Hongrie ou de tout pays tiers, des aides financières d’un montant atteignant les seuils prévus par cette loi.

82      Or, la Hongrie n’explique pas, en dépit de la charge de la preuve qui lui incombe en matière de justification, les raisons pour lesquelles l’objectif consistant à accroître la transparence du financement associatif qu’elle invoque justifierait que lesdites obligations s’appliquent de façon indifférenciée à l’égard de toute aide financière provenant de tout autre État membre ou de tout pays tiers, dès lors que son montant atteint les seuils prévus par la loi sur la transparence. En outre, elle n’expose pas davantage les raisons pour lesquelles ce même objectif justifierait que les obligations en cause s’appliquent de façon indifférenciée à toutes les organisations relevant du champ d’application de cette loi, au lieu de cibler celles qui, eu égard aux buts qu’elles poursuivent et aux moyens dont elles disposent, sont réellement susceptibles d’avoir une influence importante sur la vie publique et le débat public.

83      En second lieu, la loi sur la transparence impose à chacune desdites organisations de s’enregistrer et de se présenter, de façon systématique, sous la dénomination spécifique d’« organisation recevant de l’aide de l’étranger ». Par ailleurs, le préambule de cette loi énonce que le soutien accordé aux organisations de la société civile par des personnes établies « à l’étranger » « est susceptible d’être utilisé par des groupes d’intérêts étrangers pour promouvoir, par le biais de l’influence sociale de ces organisations, leurs propres intérêts au lieu des objectifs communautaires dans la vie sociale et politique de la Hongrie » et que ce soutien « peut mettre en péril les intérêts politiques et économiques du pays ainsi que le fonctionnement sans ingérence des institutions légales ».

84      Il en découle que la Hongrie a souhaité accroître la transparence du financement associatif parce qu’elle considère les aides financières en provenance d’autres États membres ou de pays tiers comme étant susceptibles de mettre en péril ses intérêts importants.

85      Or, en admettant même que certaines des aides financières en provenance d’autres États membres ou de pays tiers qui sont accordées aux organisations auxquelles s’applique la loi sur la transparence puissent être considérées comme étant susceptibles de mettre en péril les intérêts importants de la Hongrie, il n’en reste pas moins que les motifs invoqués par cet État membre pour accroître la transparence du financement associatif, tels qu’exposés au point 83 du présent arrêt, ne sauraient justifier les obligations visées à ce point.

86      En effet, l’objectif d’accroissement de la transparence du financement associatif, pour légitime qu’il soit, ne saurait justifier une législation d’un État membre qui se fonde sur une présomption de principe et indifférenciée selon laquelle toute aide financière versée par une personne physique ou morale établie dans un autre État membre ou dans un pays tiers et toute organisation de la société civile recevant une telle aide financière sont, en elles-mêmes, susceptibles de mettre en péril les intérêts politiques et économiques du premier de ces États membres ainsi que le fonctionnement sans ingérence de ses institutions.

87      Partant, l’objectif d’accroissement de la transparence du financement associatif n’apparaît pas, en l’occurrence, susceptible de justifier la loi sur la transparence, eu égard au contenu et à la finalité des dispositions de celle-ci.

88      En ce qui concerne les raisons d’ordre public et de sécurité publique mentionnées à l’article 65, paragraphe 1, sous b), TFUE, dont la Hongrie se prévaut à titre subsidiaire, il y a lieu de rappeler que de telles raisons peuvent, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour, être invoquées dans un domaine donné pour autant que le législateur de l’Union n’a pas procédé à l’harmonisation complète des mesures visant à en assurer la protection (voir, en ce sens, arrêts du 23 octobre 2007, Commission/Allemagne, C‑112/05, EU:C:2007:623, points 72 et 73, ainsi que du 25 avril 2013, Jyske Bank Gibraltar, C‑212/11, EU:C:2013:270, point 60).

89      Or, comme la Cour l’a déjà relevé, le législateur de l’Union n’a procédé qu’à une harmonisation partielle des mesures visant à lutter contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, de telle sorte que les États membres demeurent en droit d’invoquer la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme pour justifier des dispositions nationales restreignant la liberté de circulation des capitaux, en tant que raisons liées à l’ordre public (voir, en ce sens, arrêts du 25 avril 2013, Jyske Bank Gibraltar, C‑212/11, EU:C:2013:270, points 61 à 64, et du 31 mai 2018, Zheng, C‑190/17, EU:C:2018:357, point 38).

90      De même, en l’absence d’harmonisation plus générale dans ce domaine, la lutte contre le crime organisé peut être invoquée, en tant que raison liée à la sécurité publique, au sens de l’article 65, paragraphe 1, sous b), TFUE, par les États membres.

91      Toutefois, il résulte d’une jurisprudence constante de la Cour que, dès lors que les raisons d’ordre public et de sécurité publique mentionnées à l’article 65, paragraphe 1, sous b), TFUE permettent de déroger à une liberté fondamentale prévue par le traité FUE, elles doivent être entendues strictement, motif pour lequel leur portée ne saurait être déterminée unilatéralement par chacun des États membres, sans contrôle des institutions de l’Union. Ainsi, ces raisons ne peuvent être invoquées qu’en présence d’une menace réelle, actuelle et suffisamment grave, affectant un intérêt fondamental de la société (voir, en ce sens, arrêt du 14 mars 2000, Église de scientologie, C‑54/99, EU:C:2000:124, point 17).

92      Or, en l’espèce, la Hongrie fait état de chiffres agrégés relatifs à l’augmentation, au cours des années 2010 à 2015, du financement des organisations de la société civile établies sur son territoire par des capitaux en provenance d’autres États membres ou de pays tiers, mais ne présente aucun argument de nature à établir, de façon concrète, que cette augmentation chiffrée a entraîné une telle menace.

93      En effet, ainsi qu’il découle des points 83 et 86 du présent arrêt, la Hongrie semble fonder la loi sur la transparence non par sur l’existence d’une menace réelle, mais sur une présomption de principe et indifférenciée selon laquelle les aides financières en provenance d’autres États membres ou de pays tiers et les organisations de la société civile recevant de telles aides financières sont susceptibles d’entraîner une telle menace.

94      Par ailleurs, même à supposer que, contrairement à ce qui résulte de la jurisprudence citée au point 91 du présent arrêt, il ait été envisageable d’admettre une menace qui, tout en n’étant pas réelle et actuelle, n’en serait pas moins potentielle, cette menace pourrait uniquement justifier, eu égard à l’exigence d’interprétation stricte rappelée à ce point, l’adoption de mesures correspondant à sa nature et à sa gravité. Or, en l’occurrence, les seuils financiers déclenchant l’application des obligations mises en place par la loi sur la transparence ont été fixés à des montants qui n’apparaissent manifestement pas correspondre à l’hypothèse d’une menace suffisamment grave, affectant un intérêt fondamental de la société, que ces obligations sont censées prévenir.

95      Dès lors, l’existence d’une menace réelle, actuelle et suffisamment grave affectant un intérêt fondamental de la société, qui permettrait d’invoquer les raisons d’ordre public et de sécurité publique mentionnées à l’article 65, paragraphe 1, sous b), TFUE, n’est pas établie.

96      Partant, la loi sur la transparence ne peut se justifier ni par une raison impérieuse d’intérêt général tenant à l’accroissement de la transparence du financement associatif ni par les raisons d’ordre public et de sécurité publique mentionnées à l’article 65, paragraphe 1, sous b), TFUE.

97      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de conclure que, en adoptant les dispositions de la loi sur la transparence visées au point 65 du présent arrêt, la Hongrie a manqué à ses obligations au titre de l’article 63 TFUE.

B.      Sur les articles 7, 8 et 12 de la Charte

1.      Sur l’applicabilité de la Charte

a)      Argumentation des parties

98      La Commission, soutenue par le Royaume de Suède, fait valoir, dans ses mémoires, que, dès lors que la loi sur la transparence restreint une liberté fondamentale garantie par le traité FUE, elle doit, par ailleurs, être compatible avec la Charte.

99      Interrogée par la Cour, lors de l’audience de plaidoiries, sur la portée de cette exigence, telle qu’éclairée par l’arrêt du 21 mai 2019, Commission/Hongrie (Usufruits sur terres agricoles) (C‑235/17, EU:C:2019:432), qui a été prononcé postérieurement à la clôture de la phase écrite de la procédure dans la présente affaire, la Commission a ajouté que cette exigence implique de déterminer si la loi sur la transparence limite des droits ou des libertés consacrés par la Charte, puis, dans l’affirmative, d’apprécier, sur la base de l’argumentation invoquée par la Hongrie, si cette loi apparaît néanmoins justifiée.

100    Également interrogée à ce sujet par la Cour lors de l’audience de plaidoiries, la Hongrie a pris acte dudit arrêt.

b)      Appréciation de la Cour

101    Ainsi qu’il résulte de la jurisprudence de la Cour, lorsqu’un État membre fait valoir qu’une mesure dont il est l’auteur, et qui restreint une liberté fondamentale garantie par le traité FUE, est justifiée sur le fondement de ce traité ou par une raison impérieuse d’intérêt général reconnue par le droit de l’Union, une telle mesure doit être considérée comme mettant en œuvre le droit de l’Union, au sens de l’article 51, paragraphe 1, de la Charte, de telle sorte qu’elle doit être conforme aux droits fondamentaux consacrés par cette dernière [arrêts du 21 décembre 2016, AGET Iraklis, C‑201/15, EU:C:2016:972, points 63 et 64, ainsi que du 21 mai 2019, Commission/Hongrie (Usufruits sur terres agricoles), C‑235/17, EU:C:2019:432, points 64 et 65].

102    En l’espèce, comme il a été relevé aux points 72 à 74 du présent arrêt, la Hongrie fait valoir que les obligations mises en place par les dispositions de la loi sur la transparence visées au point 65 de cet arrêt sont justifiées tant par une raison impérieuse d’intérêt général que par des raisons mentionnées à l’article 65 TFUE.

103    Les dispositions de cette loi doivent donc, comme le relèvent à bon droit la Commission et le Royaume de Suède, être conformes à la Charte, cette exigence impliquant que lesdites dispositions n’apportent pas de limitations aux droits et aux libertés consacrés par la Charte ou, si tel est le cas, que ces limitations soient justifiées au regard des exigences énoncées à l’article 52, paragraphe 1, de la Charte (voir, en ce sens, arrêts du 21 décembre 2016, AGET Iraklis, C‑201/15, EU:C:2016:972, points 66 et 70, ainsi que du 20 mars 2018, Menci, C‑524/15, EU:C:2018:197, points 39 et 41).

104    Partant, il convient d’examiner si ces dispositions limitent les droits auxquels se réfère la Commission et, dans l’affirmative, si elles sont néanmoins justifiées, comme le rétorque la Hongrie.

2.      Sur l’existence de limitations aux droits consacrés par la Charte

a)      Argumentation des parties

105    La Commission, soutenue par le Royaume de Suède, fait valoir que la loi sur la transparence limite, en premier lieu, le droit à la liberté d’association garanti à l’article 12, paragraphe 1, de la Charte et, en second lieu, le droit au respect de la vie privée et familiale ainsi que le droit à la protection des données à caractère personnel respectivement visés à l’article 7 et à l’article 8, paragraphe 1, de la Charte.

106    S’agissant du droit à la liberté d’association, la Commission expose, tout d’abord, que l’exercice de ce droit englobe non seulement la faculté de créer et de dissoudre une association, mais également, dans l’intervalle, la possibilité de la faire exister et fonctionner sans ingérence étatique injustifiée. Ensuite, elle avance que la capacité à recevoir des ressources financières est essentielle au fonctionnement des associations. Enfin, elle estime, en l’espèce, premièrement, que les obligations de déclaration et de publicité mises en place par la loi sur la transparence sont susceptibles de rendre significativement plus difficile l’action des organisations de la société civile établies en Hongrie, deuxièmement, que les obligations d’enregistrement et d’utilisation de la dénomination d’« organisation recevant de l’aide de l’étranger » qui les accompagnent sont de nature à stigmatiser ces organisations et, troisièmement, que les sanctions attachées au non-respect de ces différentes obligations font peser un risque juridique sur leur existence même en ce qu’elles incluent une possibilité de dissolution.

107    En ce qui concerne le droit au respect de la vie privée et familiale ainsi que le droit à la protection des données à caractère personnel, la Commission considère que la loi sur la transparence limite ces droits en prévoyant des obligations de déclaration et de publicité entraînant la communication aux juridictions compétentes et au ministère chargé de la gestion du portail des informations civiles, ainsi que la divulgation ultérieure au public, d’informations incluant, selon les cas, le nom, le pays et la ville de résidence des personnes physiques ou la raison sociale et le lieu du siège des personnes morales ayant fourni, depuis un autre État membre ou un pays tiers, des aides financières d’un montant atteignant certains seuils aux organisations de la société civile établies en Hongrie.

108    En défense, la Hongrie avance, en premier lieu, que la loi sur la transparence ne limite pas le droit à la liberté d’association. En effet, cette loi se bornerait à édicter des règles relatives à l’exercice des activités des organisations de la société civile établies en Hongrie et à assortir leur non-respect de sanctions. En outre, les obligations d’enregistrement et de publicité qu’elle prévoit seraient rédigées dans des termes neutres et se rapporteraient à une donnée objective, tenant au fait que ces organisations reçoivent des aides financières de source étrangère d’une certaine importance. Enfin, ni ces obligations ni la dénomination d’« organisation recevant de l’aide de l’étranger » qui s’y rattache ne seraient stigmatisantes. Au contraire, il ressortirait clairement du préambule de la loi sur la transparence que le fait de recevoir des aides financières de source étrangère n’est pas répréhensible en soi.

109    En second lieu, les données dont cette loi prévoit la communication aux juridictions compétentes et la divulgation au public ne pourraient être qualifiées, isolément, de données à caractère personnel relevant de l’article 8, paragraphe 1, de la Charte ou de données dont la communication et la divulgation limitent le droit au respect de la vie privée et familiale garanti à l’article 7 de la Charte. Par ailleurs, les personnes qui apportent une aide financière aux organisations de la société civile devraient être considérées, dans la mesure où elles visent à influencer, ce faisant, la vie publique, comme des personnes publiques jouissant d’une moindre protection de leurs droits que de simples particuliers.

b)      Appréciation de la Cour

110    S’agissant, en premier lieu, du droit à la liberté d’association, celui-ci est consacré à l’article 12, paragraphe 1, de la Charte, qui énonce que toute personne a le droit à la liberté d’association à tous les niveaux, notamment dans les domaines politique, syndical et civique.

111    Ce droit correspond à celui garanti à l’article 11, paragraphe 1, de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950. Il doit donc se voir reconnaître le même sens et la même portée que ce dernier, conformément à l’article 52, paragraphe 3, de la Charte.

112    À cet égard, tout d’abord, il ressort de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme que le droit à la liberté d’association constitue l’un des fondements essentiels d’une société démocratique et pluraliste, en ce qu’il permet aux citoyens d’agir collectivement dans des domaines d’intérêt commun et de contribuer, ce faisant, au bon fonctionnement de la vie publique (Cour EDH, 17 février 2004, Gorzelik e.a. c. Pologne, CE:ECHR:2004:0217JUD004415898, § 88, 90 et 92, ainsi que Cour EDH, 8 octobre 2009, Tebieti Mühafize Cemiyyeti et Israfilov c. Azerbaïdjan, CE:ECHR:2009:1008JUD003708303, § 52 et 53).

113    Ensuite, ce droit ne comprend pas seulement la faculté de créer ou de dissoudre une association (Cour EDH, 17 février 2004, Gorzelik e.a. c. Pologne, CE:ECHR:2004:0217JUD004415898, § 52, ainsi que Cour EDH, 8 octobre 2009, Tebieti Mühafize Cemiyyeti et Israfilov c. Azerbaïdjan, CE:ECHR:2009:1008JUD003708303, § 54), mais englobe également la possibilité, pour cette association, d’agir dans l’intervalle, ce qui implique, notamment, qu’elle puisse poursuivre ses activités et fonctionner sans ingérence étatique injustifiée (Cour EDH, 5 octobre 2006, Branche de Moscou de l’Armée du Salut c. Russie, CE:ECHR:2006:1005JUD007288101, § 73 et 74).

114    Enfin, il ressort de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme que, tout en pouvant éventuellement être justifiées, des législations qui rendent significativement plus difficiles l’action ou le fonctionnement des associations, que ce soit en renforçant les exigences relatives à leur enregistrement (Cour EDH, 12 avril 2011, Parti républicain de Russie c. Russie, CE:ECHR:2011:0412JUD001297607, § 79 à 81), en limitant leur capacité à recevoir des ressources financières (Cour EDH, 7 juin 2007, Parti nationaliste basque – Organisation régionale d’Iparralde c. France, CE:ECHR:2007:0607JUD007125101, § 37 et 38), en les soumettant à des obligations déclaratives et de publicité de nature à en donner une image négative (Cour EDH, 2 août 2001, Grande Oriente d’Italia di Palazzo Giustiniani c. Italie, CE:ECHR:2001:0802JUD003597297, § 13 et 15) ou en les exposant à un risque de sanction, notamment de dissolution (Cour EDH, 5 octobre 2006, Branche de Moscou de l’Armée du Salut c. Russie, CE:ECHR:2006:1005JUD007288101, § 73), n’en sont pas moins à qualifier d’ingérences dans le droit à la liberté d’association et, partant, de limitations de ce droit, tel que consacré à l’article 12 de la Charte.

115    C’est à la lumière de ces indications qu’il convient de déterminer si, en l’occurrence, les obligations mises en place par les dispositions de la loi sur la transparence visées au point 65 du présent arrêt constituent des limitations au droit à la liberté d’association, notamment en ce qu’elles rendent significativement plus difficiles l’action et le fonctionnement des associations et des fondations qui y sont soumises, comme le soutient la Commission.

116    À cet égard, d’une part, il y a lieu de relever que les obligations de déclaration et de publicité que ces dispositions ont mises en place sont de nature à limiter la capacité des associations et des fondations en cause à recevoir des aides financières en provenance d’autres États membres ou de pays tiers, compte tenu de l’effet dissuasif de telles obligations et des sanctions attachées à leur non-respect.

117    D’autre part, les obligations systématiques faites aux associations et aux fondations relevant du champ d’application de la loi sur la transparence de s’enregistrer et de se présenter sous la dénomination d’« organisation recevant de l’aide de l’étranger » doivent, comme l’admet la Hongrie, être appréhendées à la lumière du préambule de cette loi, dont le contenu a été rappelé au point 83 du présent arrêt.

118    Dans ce contexte, les obligations systématiques en question sont, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général aux points 120 à 123 de ses conclusions, susceptibles d’avoir un effet dissuasif sur la participation de donateurs résidant dans d’autres États membres ou dans des pays tiers au financement des organisations de la société civile relevant du champ d’application de la loi sur la transparence et, de cette manière, d’entraver les activités de ces organisations ainsi que la réalisation des objectifs qu’elles poursuivent. En outre, elles sont de nature à créer, en Hongrie, un climat de défiance généralisée envers les associations et les fondations en cause ainsi qu’à les stigmatiser.

119    À ce titre, les dispositions de la loi sur la transparence visées au point 65 du présent arrêt limitent le droit à la liberté d’association protégé à l’article 12, paragraphe 1, de la Charte.

120    En second lieu, la Commission invoque, de façon combinée, le droit au respect de la vie privée et familiale ainsi que le droit à la protection des données à caractère personnel, qui seraient limités par les obligations de déclaration et de publicité prévues par la loi sur la transparence.

121    Aux termes de l’article 7 de la Charte, toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de ses communications. Par ailleurs, conformément à l’article 8, paragraphe 1, de la Charte, toute personne a droit à la protection des données à caractère personnel la concernant.

122    Le droit au respect de la vie privée et familiale, consacré à l’article 7 de la Charte, correspond à celui garanti à l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et doit, par conséquent, se voir reconnaître le même sens et la même portée [arrêts du 5 octobre 2010, McB., C‑400/10 PPU, EU:C:2010:582, point 53, et du 26 mars 2019, SM (Enfant placé sous kafala algérienne), C‑129/18, EU:C:2019:248, point 65].

123    Selon la Cour européenne des droits de l’homme, ce droit commande aux pouvoirs publics de s’abstenir de toute ingérence injustifiée dans la vie privée et familiale des personnes ainsi que dans les relations entre elles. Il impose, ainsi, une obligation négative et inconditionnelle aux pouvoirs publics, ne nécessitant pas d’être mise en œuvre au moyen de dispositions spécifiques, à laquelle peut toutefois s’ajouter une obligation positive d’adopter des mesures juridiques visant à protéger la vie privée et familiale (Cour EDH, 24 juin 2004, Von Hannover c. Allemagne, CE:ECHR:2004:0624JUD005932000, § 57, et Cour EDH, 20 mars 2007, Tysiąc c. Pologne, CE:ECHR:2007:0320JUD000541003, § 109 et 110).

124    Or, la Cour a jugé que des dispositions imposant ou permettant la communication de données personnelles telles que le nom, le lieu de résidence ou les ressources financières de personnes physiques à une autorité publique doivent être qualifiées, en l’absence de consentement de ces personnes physiques et quelle que soit l’utilisation ultérieure des données en cause, d’ingérences dans leur vie privée et, partant, de limitation apportée au droit garanti à l’article 7 de la Charte, sans préjudice de leur éventuelle justification. Il en va de même de dispositions prévoyant la diffusion de telles données au public (voir, en ce sens, arrêts du 20 mai 2003, Österreichischer Rundfunk e.a., C‑465/00, C‑138/01 et C‑139/01, EU:C:2003:294, points 73 à 75 et 87 à 89 ; du 9 novembre 2010, Volker und Markus Schecke et Eifert, C‑92/09 et C‑93/09, EU:C:2010:662, points 56 à 58 et 64, ainsi que du 2 octobre 2018, Ministerio Fiscal, C‑207/16, EU:C:2018:788, points 48 et 51).

125    En revanche, la communication à une autorité publique de données nominatives et financières relatives à des personnes morales et la diffusion de ces données au public ne sont de nature à limiter le droit garanti à l’article 7 de la Charte que si le nom légal de ces personnes morales incorpore le nom d’une ou de plusieurs personnes physiques (arrêt du 9 novembre 2010, Volker und Markus Schecke et Eifert, C‑92/09 et C‑93/09, EU:C:2010:662, point 53).

126    Pour sa part, le droit à la protection des données à caractère personnel consacré à l’article 8, paragraphe 1, de la Charte, qui est étroitement lié au droit au respect de la vie privée et familiale garanti à l’article 7 de la Charte (voir, en ce sens, arrêts du 9 novembre 2010, Volker und Markus Schecke et Eifert, C‑92/09 et C‑93/09, EU:C:2010:662, point 47, ainsi que du 24 novembre 2011, Asociación Nacional de Establecimientos Financieros de Crédito, C‑468/10 et C‑469/10, EU:C:2011:777, point 41), s’oppose à ce que des informations relatives à des personnes physiques identifiées ou identifiables soient diffusées à des tiers, qu’il s’agisse d’autorités publiques ou du public en général, à moins que cette diffusion intervienne en vertu d’un traitement loyal répondant aux exigences prescrites à l’article 8, paragraphe 2, de la Charte (voir, en ce sens, arrêt du 9 novembre 2010, Volker und Markus Schecke et Eifert, C‑92/09 et C‑93/09, EU:C:2010:662, point 49). En dehors de cette hypothèse, ladite diffusion, qui constitue un traitement de données à caractère personnel, doit donc être considérée comme limitant le droit à la protection des données à caractère personnel garanti à l’article 8, paragraphe 1, de la Charte (voir, en ce sens, arrêt du 2 octobre 2018, Ministerio Fiscal, C‑207/16, EU:C:2018:788, point 51).

127    En l’espèce, il convient de constater, tout d’abord, que les informations sur lesquelles portent les obligations de déclaration et de publicité prévues par la loi sur la transparence incluent le nom, le pays et la ville de résidence des personnes physiques qui accordent des aides financières d’un montant atteignant certains seuils aux organisations de la société civile établies en Hongrie ainsi que le montant de ces aides financières, comme cela résulte des points 5 et 10 du présent arrêt. Elles incluent également, ainsi qu’il est indiqué aux mêmes points, outre le nom légal et le siège des personnes morales accordant de telles aides financières, la raison sociale de ces personnes morales, laquelle peut elle-même comprendre le nom de personnes physiques.

128    Or, de telles données relèvent du droit à la protection de la vie privée garanti à l’article 7 de la Charte, ainsi qu’il résulte de la jurisprudence rappelée aux points 124 et 125 du présent arrêt.

129    Ensuite, il est vrai que, comme le relève la Hongrie, la Cour européenne des droits de l’homme a reconnu que, dans la mesure où il existe un droit des citoyens à être informés et où ce droit est susceptible, dans des circonstances particulières, de porter même sur des aspects de la vie privée d’une personne publique, telle qu’une personnalité politique, les personnes publiques ne peuvent prétendre à la même protection de leur vie privée que les personnes privées [Cour EDH, 24 juin 2004, Von Hannover c. Allemagne, CE:ECHR:2004:0624JUD005932000, § 64, et Cour EDH, 7 février 2012, Von Hannover c. Allemagne (n° 2), CE:ECHR:2012:0207JUD004066008, § 110].

130    Cependant, la notion de « personne publique » est définie strictement, la Cour européenne des droits de l’homme ayant par exemple exclu, ainsi qu’il ressort des arrêts cités au point précédent, de regarder comme telle une personne n’exerçant pas de fonction politique, en dépit de sa grande notoriété.

131    Or, le fait que des personnes physiques ou morales ayant leur résidence ou leur siège dans un autre État membre ou dans un pays tiers accordent à des organisations de la société civile établies en Hongrie des aides financières d’un montant atteignant les seuils prévus par la loi sur la transparence ne permet pas de considérer ces personnes comme des personnes publiques. En effet, en supposant même que, compte tenu des buts concrets qu’elles poursuivent, certaines de ces organisations et desdites personnes doivent être regardées comme participant à la vie publique en Hongrie, il n’en reste pas moins que l’octroi de telles aides financières ne relève pas de l’exercice d’une fonction politique.

132    En conséquence, les obligations de déclaration et de publicité prévues par la loi sur la transparence limitent le droit au respect de la vie privée et familiale consacré à l’article 7 de la Charte.

133    Enfin, bien que l’objectif consistant à accroître la transparence du financement associatif puisse être considéré comme répondant à un intérêt général, ainsi qu’il découle du point 79 du présent arrêt, sa mise en œuvre n’en doit pas moins respecter, lorsqu’elle se traduit par un traitement de données à caractère personnel, les exigences de traitement loyal énoncées à l’article 8, paragraphe 2, de la Charte. Or, en l’occurrence, la Hongrie ne fait aucunement valoir que les dispositions prévoyant ces obligations répondraient à ces exigences.

134    Dans ces conditions, et eu égard aux considérations exposées aux points 126 et 127 du présent arrêt, lesdites obligations doivent également être considérées comme limitant le droit à la protection des données à caractère personnel garanti à l’article 8, paragraphe 1, de la Charte.

3.      Sur l’existence de justifications

a)      Argumentation des parties

135    La Commission et le Royaume de Suède soutiennent que les limitations que la loi sur la transparence apporte aux droits respectivement consacrés aux articles 12 et 7 ainsi qu’à l’article 8, paragraphe 1, de la Charte n’apparaissent pas justifiées au regard des exigences énoncées à l’article 52, paragraphe 1, de la Charte.

136    En effet, bien que les objectifs de transparence et de protection de l’ordre public ainsi que de la sécurité publique invoqués par la Hongrie puissent en principe être regardés comme des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union, aux fins de cette disposition, cet État membre ne démontrerait pas, en l’espèce, que ces objectifs justifient de limiter le droit à la liberté d’association, le droit au respect de la vie privée et familiale ainsi que le droit à la protection des données à caractère personnel comme le fait la loi sur la transparence.

137    En tout état de cause, cette loi ne répondrait pas à l’exigence de proportionnalité énoncée à l’article 52, paragraphe 1, de la Charte.

138    En défense, la Hongrie estime que l’accroissement de la transparence du financement associatif doit être considéré comme un objectif d’intérêt général reconnu par l’Union, au sens de l’article 52, paragraphe 1, de la Charte. En outre, les mesures mises en place par la loi sur la transparence répondraient aux autres exigences énoncées à cette disposition.

b)      Appréciation de la Cour

139    Il ressort de l’article 52, paragraphe 1, de la Charte, notamment, que toute limitation apportée à l’exercice des droits et des libertés reconnus par la Charte doit répondre effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union.

140    Or, la Cour a constaté, au point 96 du présent arrêt, que les dispositions de la loi sur la transparence, visées au point 65 de cet arrêt, ne peuvent se justifier par aucun des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union que la Hongrie a invoqués.

141    Il en résulte que ces dispositions, qui apportent, outre des restrictions à la liberté fondamentale protégée à l’article 63 TFUE, des limitations aux droits respectivement consacrés aux articles 12 et 7 ainsi qu’à l’article 8, paragraphe 1, de la Charte, comme la Cour l’a constaté aux points 119, 132 et 134 du présent arrêt, ne répondent pas, en tout état de cause, auxdits objectifs d’intérêt général.

142    Il s’ensuit que, en adoptant lesdites dispositions, la Hongrie a manqué à ses obligations au titre des articles 7, 8 et 12 de la Charte.

C.      Conclusion

143    Compte tenu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de constater que, en adoptant les dispositions de la loi sur la transparence visées au point 65 du présent arrêt, qui imposent des obligations d’enregistrement, de déclaration et de publicité à certaines catégories d’organisations de la société civile bénéficiant directement ou indirectement d’une aide étrangère dépassant un certain seuil, et qui prévoient la possibilité d’appliquer des sanctions aux organisations ne respectant pas ces obligations, la Hongrie a introduit des restrictions discriminatoires et injustifiées à l’égard des dons étrangers accordés aux organisations de la société civile, en violation des obligations qui lui incombent au titre de l’article 63 TFUE ainsi que des articles 7, 8 et 12 de la Charte.

VII. Sur les dépens

144    En vertu de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens s’il est conclu en ce sens. En l’espèce, la Hongrie ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la Commission en ce sens.

145    Aux termes de l’article 140, paragraphe 1, de ce règlement, les États membres et les institutions qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dépens. Par conséquent, le Royaume de Suède supportera ses propres dépens.

Par ces motifs, la Cour (grande chambre) déclare et arrête :

1)      En adoptant les dispositions de l’a külföldről támogatott szervezetek átláthatóságáról szóló 2017. évi LXXVI. törvény (loi n° LXXVI de 2017, sur la transparence des organisations recevant de l’aide de l’étranger) qui imposent des obligations d’enregistrement, de déclaration et de publicité à certaines catégories d’organisations de la société civile bénéficiant directement ou indirectement d’une aide étrangère dépassant un certain seuil, et qui prévoient la possibilité d’appliquer des sanctions aux organisations ne respectant pas ces obligations, la Hongrie a introduit des restrictions discriminatoires et injustifiées à l’égard des dons étrangers accordés aux organisations de la société civile, en violation des obligations qui lui incombent au titre de l’article 63 TFUE ainsi que des articles 7, 8 et 12 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

2)      La Hongrie est condamnée aux dépens.

3)      Le Royaume de Suède supporte ses propres dépens.

Signatures


*      Langue de procédure : le hongrois.