ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

7 mars 2017 (*)

« Renvoi préjudiciel – Fiscalité – Taxe sur la valeur ajoutée (TVA) – Directive 2006/112/CE – Point 6 de l’annexe III – Validité – Procédure – Modification d’une proposition de directive du Conseil après avis émis par le Parlement – Absence de nouvelle consultation du Parlement – Article 98, paragraphe 2 – Validité – Exclusion de l’application d’un taux réduit de TVA à la fourniture de livres numériques par voie électronique – Principe d’égalité de traitement – Comparabilité de deux situations – Fourniture de livres numériques par voie électronique et sur tout type de support physique »

Dans l’affaire C‑390/15,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Trybunał Konstytucyjny (Cour constitutionnelle, Pologne), par décision du 7 juillet 2015, parvenue à la Cour le 20 juillet 2015, dans la procédure engagée par

Rzecznik Praw Obywatelskich (RPO)

en présence de :

Marszałek Sejmu Rzeczypospolitej Polskiej,

Prokurator Generalny,

LA COUR (grande chambre),

composée de M. K. Lenaerts, président, M. A. Tizzano, vice‑président, Mme R. Silva de Lapuerta et M. L. Bay Larsen, présidents de chambre, MM. J. Malenovský (rapporteur), J.‑C. Bonichot, A. Arabadjiev, Mme C. Toader, MM. M. Safjan, E. Jarašiūnas, C. G. Fernlund, C. Vajda et S. Rodin, juges,

avocat général : Mme J. Kokott,

greffier : M. M. Aleksejev, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 14 juin 2016,

considérant les observations présentées :

–        pour le Rzecznik Praw Obywatelskich (RPO), par M. A. Bodnar, Rzecznik Praw Obywatelskich, ainsi que M. Wróblewski et Mme A. Grzelak, en qualité d’agents,

–        pour le Prokurator Generalny, par M. R. Hernand, en qualité d’agent,

–        pour le gouvernement polonais, par M. B. Majczyna ainsi que par Mmes A. Miłkowska et K. Maćkowska, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement hellénique, par M. K. Georgiadis et Mme S. Papaïoannou, en qualité d’agents,

–        pour le Conseil de l’Union européenne, par Mmes E. Moro et E. Chatziioakeimidou ainsi que par M. K. Pleśniak, en qualité d’agents,

–        pour la Commission européenne, par Mmes L. Lozano Palacios et M. Owsiany-Hornung, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 8 septembre 2016,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur la validité de l’article 98, paragraphe 2, et du point 6 de l’annexe III de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO 2006, L 347, p. 1), telle que modifiée par la directive 2009/47/CE du Conseil, du 5 mai 2009 (JO 2009, L 116, p. 18) (ci-après la « directive 2006/112 modifiée »).

2        Cette demande a été présentée à la suite de l’introduction, par le Rzecznik Praw Obywatelskich (Médiateur, Pologne), d’une requête tendant à faire constater la non-conformité à la constitution polonaise de dispositions nationales excluant l’application d’un taux réduit de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) à la fourniture de livres et d’autres publications numériques par voie électronique.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

–       La sixième directive

3        L’article 12, paragraphe 3, sous a), de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée : assiette uniforme (JO 1977, L 145, p. 1, ci-après la « sixième directive »), telle que modifiée par la directive 2001/4/CE du Conseil, du 19 janvier 2001 (JO 2001, L 22, p. 17), prévoyait :

« Le taux normal de la taxe sur la valeur ajoutée est fixé par chaque État membre à un pourcentage de la base d’imposition qui est le même pour les livraisons de biens et pour les prestations de services. À partir du 1er janvier 2001 et jusqu’au 31 décembre 2005, ce pourcentage ne peut être inférieur à 15 %.

[...]

Les États membres peuvent également appliquer soit un, soit deux taux réduits. Ces taux réduits sont fixés à un pourcentage de la base d’imposition qui ne peut être inférieur à 5 % et ils s’appliquent uniquement aux livraisons de biens et aux prestations de services des catégories visées à l’annexe H. »

4        Selon l’article 1er de la directive 2002/38/CE du Conseil, du 7 mai 2002, modifiant, en partie à titre temporaire, la directive 77/388/CEE en ce qui concerne le régime de taxe sur la valeur ajoutée applicable aux services de radiodiffusion et de télévision et à certains services fournis par voie électronique (JO 2002, L 128, p. 41) :

« La directive 77/388/CEE est modifiée à titre temporaire comme suit :

1)      À l’article 9 :

a)      au paragraphe 2, point e), une virgule remplace le point final et les tirets suivants sont ajoutés :

–        “[...]

–        les services fournis par voie électronique, entre autres ceux visés à l’annexe L” ;

[...]

2)      À l’article 12, paragraphe 3, point a), le quatrième alinéa suivant est ajouté :

–        “Le troisième alinéa n’est pas applicable aux services visés au dernier tiret de l’article 9, paragraphe 2, point e).” »

5        La sixième directive a été abrogée et remplacée par la directive 2006/112, qui est entrée en vigueur le 1er janvier 2007.

–       La directive 2006/112

6        L’article 14, paragraphe 1, de la directive 2006/112 modifiée dispose :

« Est considéré comme “livraison de biens”, le transfert du pouvoir de disposer d’un bien corporel comme un propriétaire. »

7        L’article 24, paragraphe 1, de cette directive énonce :

« Est considérée comme “prestation de services” toute opération qui ne constitue pas une livraison de biens. »

8        Aux termes de l’article 25 de ladite directive :

« Une prestation de services peut consister, entre autres, en l’une des opérations suivantes :

a)      la cession d’un bien incorporel représenté ou non par un titre ;

[...] »

9        L’article 96 de la directive 2006/112 modifiée prévoit :

« Les États membres appliquent un taux normal de TVA fixé par chaque État membre à un pourcentage de la base d’imposition qui est le même pour les livraisons de biens et pour les prestations de services. »

10      L’article 98, paragraphes 1 et 2, de cette directive est rédigé comme suit :

« 1.      Les États membres peuvent appliquer soit un, soit deux taux réduits.

2.      Les taux réduits s’appliquent uniquement aux livraisons de biens et aux prestations de services des catégories figurant à l’annexe III. 

Les taux réduits ne sont pas applicables aux services fournis par voie électronique. »

11      Le point 6 de l’annexe III de la directive 2006/112, dans sa version antérieure à l’entrée en vigueur de la directive 2009/47, visait :

« [L]a fourniture de livres, y compris en location dans les bibliothèques (y compris les brochures, dépliants et imprimés similaires, les albums, livres de dessin ou de coloriage pour enfants, les partitions imprimées ou en manuscrit, les cartes et les relevés hydrographiques ou autres), les journaux et périodiques, à l’exclusion du matériel consacré entièrement ou d’une manière prédominante à la publicité ».

12      Le 7 juillet 2008, la Commission européenne a présenté une proposition de directive du Conseil modifiant la directive 2006/112 en ce qui concerne les taux réduits de taxe sur la valeur ajoutée [COM (2008)428 final, ci-après la « proposition de directive »], qui prévoyait de remplacer le point 6 de l’annexe III de la directive 2006/112, dans sa version antérieure à l’entrée en vigueur de la directive 2009/47, par le texte suivant :

« [L]a fourniture, y compris en location dans les bibliothèques, de livres (y compris les brochures, dépliants et imprimés similaires, les albums, livres de dessin ou de coloriage pour enfants, les partitions imprimées ou en manuscrit, les cartes et les relevés hydrographiques ou autres) ainsi que de livres audio, de disques compacts, de cédéroms ou d’autres supports physiques similaires reproduisant principalement la même information que celles contenues dans les livres imprimés, de journaux et de périodiques, à l’exclusion du matériel consacré entièrement ou d’une manière prédominante à la publicité ».

13      Par une résolution législative du 19 février 2009, le Parlement européen a approuvé, après l’avoir amendée, la proposition de directive. Aucun des amendements retenus par le Parlement ne portait sur le texte proposé par la Commission aux fins de remplacer le point 6 de l’annexe III de la directive 2006/112, dans sa version antérieure à l’entrée en vigueur de la directive 2009/47.

14      Le 5 mai 2009, le Conseil a approuvé le texte définitif de la directive 2009/47. Le point 6 de l’annexe III de la directive 2006/112 modifiée est désormais libellé de la manière suivante :

« [L]a fourniture de livres, sur tout type de support physique, y compris en location dans les bibliothèques (y compris les brochures, dépliants et imprimés similaires, les albums, livres de dessin ou de coloriage pour enfants, les partitions imprimées ou en manuscrit, les cartes et les relevés hydrographiques ou autres), les journaux et périodiques, à l’exclusion du matériel consacré entièrement ou d’une manière prédominante à la publicité ».

 Le droit polonais

15      Conformément à l’article 146 ainsi qu’à l’article 41, paragraphes 2 et 2a, de l’ustawa o podatku od towarów i usług (loi relative à la taxe sur les biens et services), du 11 mars 2004, dans sa version applicable aux faits au principal (Dz. U. de 2011, n° 177, position 1054, ci-après la « loi sur la TVA »), lus conjointement avec les positions 72 à 75 de l’annexe 3 de cette loi ainsi qu’avec les positions 32 à 35 de l’annexe 10 de ladite loi, les livraisons de publications imprimées ou sur support physique sont soumises à un taux réduit de TVA. En revanche, les transmissions de publications par voie électronique ne bénéficient pas d’un taux réduit de TVA.

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

16      Par requête introduite le 6 décembre 2013, le Médiateur a demandé au Trybunał Konstytucyjny (Cour constitutionnelle, Pologne) de constater la non-conformité à la constitution polonaise, d’une part, des positions 72 à 75 de l’annexe 3 de la loi sur la TVA, lues en combinaison avec l’article 41, paragraphe 2, de cette loi, ainsi que, d’autre part, des positions 32 à 35 de l’annexe 10 de ladite loi, lues en combinaison avec l’article 41, paragraphe 2a, de cette même loi, en ce que ces dispositions prévoient l’application des taux réduits de TVA aux seules publications mises à disposition sur un support physique, à l’exclusion des publications transmises par voie électronique.

17      Au cours de la procédure au principal, le Marszałek Sejmu Rzeczypospolitej Polskiej (Maréchal de la Diète de la République de Pologne) et le Prokurator Generalny (Procureur général, Pologne) ont souligné que, les dispositions de la loi polonaise en cause ayant été adoptées afin de transposer en droit interne l’article 98, paragraphe 2, et le point 6 de l’annexe III de la directive 2006/112 modifiée, le législateur polonais ne pouvait s’en écarter sans méconnaître ses obligations découlant du droit de l’Union. La même opinion a été défendue par les membres du gouvernement polonais invités par la juridiction de renvoi à exprimer leur avis dans cette affaire.

18      La juridiction de renvoi considère qu’il existe cependant des raisons de douter de la validité de ces deux dispositions de la directive 2006/112 modifiée.

19      En premier lieu, cette juridiction relève que la directive 2009/47, dont est issu le point 6 de l’annexe III de la directive 2006/112 modifiée, pourrait être entachée d’un vice de procédure, dans la mesure où ce point diffère, dans son libellé, du texte de la proposition de directive qui avait été transmise au Parlement.

20      En second lieu, ladite juridiction considère que l’article 98, paragraphe 2, de la directive 2006/112 modifiée, lu conjointement avec le point 6 de l’annexe III de cette directive, pourrait être contraire au principe de neutralité fiscale. En effet, alors que les livres numériques mis à disposition sur support physique et ceux transmis par voie électronique présentent des propriétés analogues et répondent aux mêmes besoins des consommateurs, ledit article 98, paragraphe 2, n’autorise l’application d’un taux réduit de TVA qu’à la seule fourniture des livres numériques sur support physique.

21      Par conséquent, le Trybunał Konstytucyjny (Cour constitutionnelle) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      Le point 6 de l’annexe III de la directive 2006/112 modifiée est-il invalide pour le motif que la procédure législative a été entachée d’une violation des formes substantielles du fait de l’absence de consultation du Parlement européen ?

2)      L’article 98, paragraphe 2, de ladite directive 2006/112 modifiée, lu conjointement avec le point 6 de l’annexe III de cette même directive, est-il invalide pour le motif qu’il porte atteinte au principe de neutralité fiscale en excluant l’application des taux réduits de taxe aux livres électroniques et aux autres publications électroniques ? »

 Sur les questions préjudicielles

 Sur la première question

22      Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si le point 6 de l’annexe III de la directive 2006/112 modifiée est invalide pour le motif que la procédure législative ayant conduit à son adoption aurait été entachée d’une violation des formes substantielles. En effet, dès lors que le libellé du point 6 de l’annexe III de la directive 2006/112 modifiée diffère du texte figurant dans la proposition de directive sur la base de laquelle le Parlement a été consulté, la juridiction de renvoi se demande si ce dernier n’aurait pas dû être consulté de nouveau.

23      En l’occurrence, il y a lieu de relever que, conformément à l’article 93 TCE, devenu l’article 113 TFUE, qui prévoit une procédure législative spéciale, le Parlement devait être consulté avant l’adoption de la directive 2009/47 et, par conséquent, antérieurement au remplacement, par cette directive, du point 6 de l’annexe III de la directive 2006/112.

24      En effet, la consultation régulière du Parlement, dans les cas prévus par le traité CE, devenu le traité FUE, constitue une formalité substantielle dont le non-respect entraîne la nullité de l’acte concerné (arrêt du 10 mai 1995, Parlement/Conseil, C‑417/93, EU:C:1995:127, point 9).

25      La participation effective du Parlement au processus législatif, selon les procédures prévues par le traité, représente, en effet, un élément essentiel de l’équilibre institutionnel voulu par ce traité, et ce dans la mesure où la compétence du Parlement constitue l’expression d’un principe démocratique fondamental selon lequel les peuples participent à l’exercice du pouvoir par l’intermédiaire d’une assemblée représentative (voir, en ce sens, arrêts du 5 juillet 1995, Parlement/Conseil, C‑21/94, EU:C:1995:220, point 17, et du 10 juin 1997, Parlement/Conseil, C‑392/95, EU:C:1997:289, point 14).

26      L’obligation de consulter le Parlement, au cours de la procédure législative, dans les cas prévus par le traité, implique que celui-ci soit de nouveau consulté à chaque fois que le texte finalement adopté, considéré dans son ensemble, s’écarte, dans sa substance même, de celui sur lequel le Parlement a déjà été consulté, à l’exception des cas où les amendements correspondent, pour l’essentiel, à un souhait exprimé par le Parlement lui-même (voir, en ce sens, arrêt du 5 octobre 1994, Allemagne/Conseil, C‑280/93, EU:C:1994:367, point 38 et jurisprudence citée).

27      Dès lors, il y a lieu d’examiner si le point 6 de l’annexe III de la directive 2006/112 modifiée s’écarte, dans sa substance même, du texte qui figurait dans la proposition de directive sur la base de laquelle le Parlement a été consulté.

28      À cet égard, il convient de relever que la proposition de directive prévoyait que le point 6 de l’annexe III de la directive 2006/112 mentionnerait dorénavant, au nombre des livraisons de biens et des prestations de services pouvant faire l’objet des taux réduits de TVA, « la fourniture, y compris en location dans les bibliothèques, de livres (y compris les brochures, dépliants et imprimés similaires, les albums, livres de dessin ou de coloriage pour enfants, les partitions imprimées ou en manuscrit, les cartes et les relevés hydrographiques ou autres) ainsi que de livres audio, de disques compacts, de cédéroms ou d’autres supports physiques similaires reproduisant principalement la même information que celle contenue dans les livres imprimés, de journaux et de périodiques, à l’exclusion du matériel consacré entièrement ou d’une manière prédominante à la publicité ».

29      Or, le point 6 de l’annexe III de la directive 2006/112 modifiée se réfère à « la fourniture de livres, sur tout type de support physique, y compris en location dans les bibliothèques (y compris les brochures, dépliants et imprimés similaires, les albums, livres de dessin ou de coloriage pour enfants, les partitions imprimées ou en manuscrit, les cartes et les relevés hydrographiques ou autres), les journaux et périodiques, à l’exclusion du matériel consacré entièrement ou d’une manière prédominante à la publicité ».

30      Il résulte ainsi du rapprochement des libellés respectifs de la proposition de directive et du point 6 de l’annexe III de la directive 2006/112 modifiée que ce point se distingue de ladite proposition en cause dans la mesure où il ne mentionne pas, comme types de support physique susceptibles de donner lieu à l’application d’un taux réduit de TVA, les « livres audio, [les] disques compacts [et les] cédéroms », énumérés par ladite proposition, ni ne vise expressément les livres « reproduisant principalement la même information que celle contenue dans les livres imprimés », contrairement à ladite proposition, mais fait référence à la fourniture de livres sur « tout type de support physique ».

31      Pour autant, il ne saurait être déduit de ces différences que le point 6 de l’annexe III de la directive 2006/112 modifiée s’écarte, dans sa substance même, du texte qui figurait dans la proposition de directive.

32      En effet, étant donné que cette proposition indiquait viser également les livres fournis « sur d’autres supports physiques similaires » aux livres imprimés, aux livres audio, aux disques compacts et aux cédéroms, l’énumération à laquelle ladite proposition se livrait doit être regardée comme n’étant pas limitative, mais comme ayant pour objet d’illustrer le fait qu’étaient visés tous les types de support physique envisageables, à l’instar de ce que le Conseil a finalement retenu au point 6 de l’annexe III de la directive 2006/112 modifiée.

33      Certes, le point 6 de l’annexe III de la directive 2006/112 modifiée ne précise pas expressément que, pour qu’il y ait application d’un taux réduit de TVA, les supports physiques concernés doivent reproduire principalement les mêmes informations que celles contenues dans les livres imprimés. Toutefois, dès lors que ce libellé indique ne concerner que les « livres », notion désignant, au sens ordinaire de ce terme, un ouvrage imprimé, il s’ensuit que, pour relever du champ d’application de ladite disposition, les supports concernés doivent reproduire principalement les mêmes informations que celles contenues dans les livres imprimés.

34      Par conséquent, il y a lieu de constater, ainsi que la Cour l’a fait au point 53 de l’arrêt du 5 mars 2015, Commission/Luxembourg (C‑502/13, EU:C:2015:143), que le texte du point 6 de l’annexe III de la directive 2006/112 modifiée n’est autre qu’une simplification rédactionnelle du texte qui figurait dans la proposition de directive et dont la substance a été entièrement maintenue.

35      Dans ces conditions, le Conseil n’était pas tenu de consulter de nouveau le Parlement.

36      Il découle de ce qui précède que le point 6 de l’annexe III de la directive 2006/112 modifiée n’est pas invalide pour le motif que la procédure législative ayant conduit à son adoption aurait été entachée d’une violation des formes substantielles.

 Sur la seconde question

37      Par sa seconde question, la juridiction de renvoi demande si l’article 98, paragraphe 2, de la directive 2006/112 modifiée, lu conjointement avec le point 6 de l’annexe III de cette directive, est invalide pour le motif qu’il porte atteinte au principe de neutralité fiscale en excluant l’application des taux réduits de TVA à la fourniture de livres électroniques et d’autres publications électroniques.

 Observations liminaires

38      En premier lieu, il convient de relever que, même si la juridiction de renvoi se réfère, dans le libellé de sa question, au principe de neutralité fiscale, il ressort de la décision de renvoi que cette juridiction soulève en substance la question de la validité de l’article 98, paragraphe 2, de la directive 2006/112 modifiée, lu conjointement avec le point 6 de l’annexe III de cette directive, à l’aune du principe d’égalité de traitement, tel qu’énoncé à l’article 20 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »).

39      En second lieu, si, dans la formulation de sa question, la juridiction de renvoi évoque, outre les livres électroniques, les « autres publications électroniques », il ressort également de la décision de renvoi que les doutes exprimés par cette juridiction portent exclusivement sur l’existence d’un éventuel traitement inégal, par la directive 2006/112 modifiée, de la fourniture de livres numériques selon que ces derniers sont transmis par le biais d’un support physique ou par voie électronique.

40      Dans ces conditions, il y a lieu de considérer que la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 98, paragraphe 2, de la directive 2006/112 modifiée, lu conjointement avec le point 6 de l’annexe III de cette directive, est invalide pour le motif que, en excluant toute possibilité pour les États membres d’appliquer un taux réduit de TVA à la fourniture de livres numériques par voie électronique, ledit article méconnaît le principe d’égalité de traitement, tel qu’énoncé à l’article 20 de la Charte.

 Appréciation de la Cour

41      Il convient d’emblée de rappeler que, selon une jurisprudence constante de la Cour, le principe d’égalité de traitement exige que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale, à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié (arrêts du 12 novembre 2014, Guardian Industries et Guardian Europe/Commission, C‑580/12 P, EU:C:2014:2363, point 51, et du 4 mai 2016, Pillbox 38, C‑477/14, EU:C:2016:324, point 35).

–       Sur le traitement de situations comparables

42      Selon une jurisprudence constante de la Cour, les éléments qui distinguent différentes situations, ainsi que leur caractère éventuellement comparable, doivent être déterminés et appréciés à la lumière de l’objet et du but poursuivi par les dispositions en cause, étant entendu qu’il doit être tenu compte, à cet effet, des principes et des objectifs du domaine en cause (voir, en ce sens, arrêt du 16 décembre 2008, Arcelor Atlantique et Lorraine e.a., C‑127/07, EU:C:2008:728, point 26 ainsi que jurisprudence citée).

43      En l’occurrence, le traitement différencié évoqué par la juridiction de renvoi résulte de l’impossibilité pour les États membres de prévoir l’application d’un taux réduit de TVA à la fourniture de livres numériques par voie électronique, alors que l’application d’un tel taux est autorisée s’agissant de la fourniture de livres numériques sur tout type de support physique. Par conséquent, les éléments qui caractérisent ces deux situations, ainsi que leur caractère éventuellement comparable, doivent être déterminés et appréciés à la lumière des objectifs poursuivis par le législateur lorsque ce dernier a permis aux États membres d’appliquer un taux réduit de TVA à la fourniture de livres numériques sur tout type de support physique.

44      À cet égard, il convient de relever que la faculté pour les États membres d’appliquer un taux réduit de TVA à la fourniture de livres imprimés a été prévue, pour la première fois, par la directive 92/77/CEE du Conseil, du 19 octobre 1992, complétant le système commun de taxe sur la valeur ajoutée et modifiant la directive 77/388/CEE (rapprochement des taux de TVA) (JO 1992, L 316, p. 1), qui, par son article 1er, a inséré dans la sixième directive une annexe H, relative à la liste des livraisons de biens et des prestations de services pouvant faire l’objet de taux réduits de TVA, dont le point 6 a été repris au point 6 de l’annexe III de la directive 2006/112, dans sa version antérieure à l’entrée en vigueur de la directive 2009/47. Cette faculté a été élargie par cette dernière directive à la fourniture de livres sur « tout type de support physique ».

45      Comme Mme l’avocat général l’a relevé au point 56 de ses conclusions, l’objectif sous-jacent à l’application d’un taux réduit de TVA à la fourniture de livres consiste à favoriser la lecture, qu’il s’agisse de littérature, d’ouvrages spécialisés, de journaux ou de périodiques.

46      Ainsi, en permettant aux États membres d’appliquer des taux réduits de TVA à la fourniture de livres sur tout type de support physique, la directive 2006/112 modifiée doit être considérée comme poursuivant un tel objectif.

47      Une telle conclusion est d’ailleurs corroborée par le fait que le point 6 de l’annexe III de la directive 2006/112 modifiée exclut la possibilité d’appliquer un taux réduit de TVA à la fourniture du « matériel consacré entièrement ou d’une manière prédominante à la publicité ». En effet, un tel matériel se caractérise par le fait qu’il ne poursuit aucunement l’objectif mentionné au point 45 du présent arrêt.

48      Cela étant, pour qu’un tel objectif puisse être atteint, ce qui importe est que les citoyens de l’Union européenne puissent accéder de façon effective au contenu des livres, le mode de fourniture de ceux-ci ne jouant pas un rôle déterminant à cet égard.

49      Par conséquent, il y a lieu de constater que, au regard de l’objectif poursuivi par l’article 98, paragraphe 2, de la directive 2006/112 modifiée, lu conjointement avec le point 6 de l’annexe III de cette directive, la fourniture de livres numériques sur tout type de support physique, d’une part, et la fourniture de livres numériques par voie électronique, d’autre part, constituent des situations comparables.

50      Cette conclusion n’est pas remise en cause par la circonstance que, conformément à l’article 14, paragraphe 1, de la directive 2006/112 modifiée, la fourniture d’un livre numérique sur un support physique constitue, en principe, une livraison de biens, tandis que, en vertu de l’article 24, paragraphe 1, et de l’article 25 de cette directive, la fourniture d’un livre numérique par voie électronique constitue une prestation de services. En effet, les règles de TVA visant, en principe, à imposer de la même manière la consommation de biens et celle de services, cette qualification différente n’apparaît pas comme étant déterminante au regard de l’objectif poursuivi par l’article 98, paragraphe 2, de ladite directive, lu conjointement avec le point 6 de l’annexe III de cette même directive, rappelé au point 45 du présent arrêt.

51      En conséquence, dans la mesure où l’article 98, paragraphe 2, de la directive 2006/112 modifiée, lu conjointement avec le point 6 de l’annexe III de cette directive, a pour effet d’exclure l’application d’un taux réduit de TVA à la fourniture de livres numériques par voie électronique alors qu’une telle application est autorisée pour la fourniture de livres numériques sur tout type de support physique, ces dispositions doivent être regardées comme instaurant une différence de traitement entre deux situations pourtant comparables au regard de l’objectif poursuivi par le législateur de l’Union.

–       Sur la justification

52      Lorsqu’une différence de traitement entre deux situations comparables est constatée, le principe d’égalité de traitement n’est pas violé pour autant que cette différence est dûment justifiée (voir, en ce sens, arrêt du 16 décembre 2008, Arcelor Atlantique et Lorraine e.a., C‑127/07, EU:C:2008:728, point 46).

53      Tel est le cas, selon une jurisprudence constante de la Cour, lorsque la différence de traitement est en rapport avec un objectif légalement admissible poursuivi par la mesure ayant pour effet d’instaurer une telle différence et qu’elle est proportionnée à cet objectif (voir, en ce sens, arrêts du 17 octobre 2013, Schaible, C‑101/12, EU:C:2013:661, point 77, et du 22 mai 2014, Glatzel, C‑356/12, EU:C:2014:350, point 43).

54      Dans ce contexte, il est entendu que le législateur de l’Union est appelé, lorsqu’il adopte une mesure de nature fiscale, à procéder à des choix de nature politique, économique ainsi que sociale, et à hiérarchiser des intérêts divergents ou à effectuer des appréciations complexes. Par conséquent, il y a lieu de lui reconnaître, dans ce cadre, un large pouvoir d’appréciation, de telle sorte que le contrôle juridictionnel du respect des conditions énoncées au point précédent du présent arrêt doit se limiter à celui de l’erreur manifeste [voir, en ce sens, arrêts du 10 décembre 2002, British American Tobacco (Investments) et Imperial Tobacco, C‑491/01, EU:C:2002:741, point 123, ainsi que du 17 octobre 2013, Billerud Karlsborg et Billerud Skärblacka, C‑203/12, EU:C:2013:664, point 35].

55      En l’occurrence, il y a lieu de rappeler que la différence de traitement constatée au point 51 du présent arrêt résulte de l’article 98, paragraphe 2, de la directive 2006/112 modifiée, lu conjointement avec le point 6 de l’annexe III de cette directive, qui exclut l’application d’un taux réduit de TVA à la fourniture de l’ensemble des services électroniques et, par voie de conséquence, à la fourniture de livres numériques par voie électronique, contrairement à la fourniture de livres, le cas échéant, numériques, sur tout type de support physique.

56      À cet égard, il ressort des travaux préparatoires de la directive 2002/38 que les modifications proposées par la Commission ont constitué, s’agissant de l’imposition des services fournis par voie électronique, une première étape sur la voie de la mise en œuvre d’une nouvelle politique en matière de TVA, visant à simplifier et à renforcer le régime de TVA de manière à encourager les transactions commerciales légitimes au sein du marché intérieur. Il ressort, en effet, de ces travaux préparatoires que le commerce électronique représente un important potentiel de création de richesse et d’emploi dans l’Union, et que la mise en place d’un environnement réglementaire clair et précis constitue une condition préalable essentielle pour créer un climat de confiance invitant les entreprises à investir et à commercer.

57      Ainsi que le Conseil et la Commission l’ont expliqué en réponse à une question écrite posée par la Cour et lors de l’audience, l’exclusion de l’application d’un taux réduit de TVA à la fourniture de livres numériques par voie électronique, figurant à l’article 98, paragraphe 2, de la directive 2006/112 modifiée, doit être conçue comme faisant partie d’un régime particulier de TVA pour le commerce électronique. Il résulte, en effet, des explications de ces institutions qu’il a été jugé nécessaire de soumettre les services fournis par voie électronique à des règles claires, simples et uniformes afin que le taux de TVA applicable à ces services puisse être établi avec certitude et ainsi que soit facilitée la gestion de cette taxe par les assujettis et les administrations fiscales nationales. 

58      Or, le caractère légalement admissible d’un tel objectif ne saurait être raisonnablement mis en doute.

59      En effet, le principe de sécurité juridique, sous-jacent audit objectif, exige qu’une réglementation de l’Union permette aux intéressés de connaître sans ambiguïté l’étendue de leurs droits et de leurs obligations afin que ceux-ci soient en mesure de prendre leurs dispositions en connaissance de cause (voir, en ce sens, arrêt du 15 juillet 2010, Commission/Royaume-Uni, C‑582/08, EU:C:2010:429, point 49 et jurisprudence citée).

60      En outre, la Cour a déjà reconnu la légitimité de l’objectif consistant, pour un législateur, à établir des règles générales susceptibles d’être facilement appliquées par les opérateurs économiques et aisément contrôlées par les autorités nationales compétentes (voir, en ce sens, arrêt du 24 février 2015, Sopora, C‑512/13, EU:C:2015:108, point 33).

61      S’agissant de l’aptitude de la mesure, figurant à l’article 98, paragraphe 2, de la directive 2006/112 modifiée, lu conjointement avec le point 6 de l’annexe III de cette directive, à réaliser l’objectif poursuivi, tel que ce dernier a été précisé aux points 56 et 57 du présent arrêt, il n’apparaît pas que l’appréciation à laquelle s’est livré le législateur de l’Union ait excédé le pouvoir d’appréciation dont celui-ci dispose.

62      En effet, en excluant l’application d’un taux réduit de TVA aux services fournis par voie électronique, le législateur de l’Union évite aux assujettis et aux administrations fiscales nationales de devoir examiner, pour chaque type de services électroniques fourni, si celui-ci relève de l’une des catégories de services susceptibles de bénéficier d’un tel taux en vertu de l’annexe III de la directive 2006/112 modifiée.

63      Ainsi, la mesure en cause doit être regardée comme étant apte à réaliser l’objectif visant à établir avec certitude le taux de TVA applicable aux services fournis par voie électronique et ainsi à faciliter la gestion de cette taxe par les assujettis et les administrations fiscales nationales.

64      En ce qui concerne l’exigence, liée à la condition de proportionnalité, que soit choisie la mesure la moins contraignante par rapport aux autres mesures appropriées envisageables et que les inconvénients causés ne soient pas démesurés par rapport aux objectifs visés, il y a lieu de relever que le législateur de l’Union aurait éventuellement pu dissocier la fourniture de livres numériques par voie électronique de l’ensemble des services électroniques et, par suite, permettre l’application à ces livres d’un taux réduit de TVA.

65      Toutefois, une telle solution serait susceptible d’aller à l’encontre de l’objectif poursuivi par le législateur de l’Union tenant à la nécessité de remédier à l’insécurité juridique générée par les évolutions perpétuelles auxquelles les services électroniques sont, dans leur ensemble, soumis, raison pour laquelle le législateur de l’Union a exclu l’ensemble de ces services de la liste des opérations pouvant bénéficier d’un taux réduit de TVA en vertu de l’annexe III de la directive 2006/112 modifiée.

66      À cet égard, admettre que les États membres disposent de la possibilité d’appliquer un taux réduit de TVA à la fourniture de livres numériques par voie électronique, comme cela est permis pour la fourniture de tels livres sur tout type de support physique, reviendrait à porter atteinte à la cohérence d’ensemble de la mesure voulue par le législateur de l’Union consistant à exclure tous les services électroniques de la possibilité d’application d’un taux réduit de TVA.

67      Quant à l’éventualité d’élargir la possibilité d’appliquer un taux réduit de TVA à l’ensemble des services électroniques, il convient de relever que l’adoption d’une telle mesure aurait introduit, de manière générale, une inégalité de traitement entre les services non électroniques, qui ne bénéficient pas en principe d’un taux réduit de TVA, et les services électroniques.

68      Par conséquent, le législateur de l’Union pouvait considérer, dans le cadre de la marge d’appréciation dont il dispose, qu’aucune des deux mesures théoriquement envisageables n’était appropriée pour réaliser les différents objectifs poursuivis par celui-ci.

69      Il convient d’ajouter qu’il ressort des articles 4 et 5 de la directive 2002/38, ainsi que de l’article 6 de la directive 2008/8/CE du Conseil, du 12 février 2008, modifiant la directive 2006/112 en ce qui concerne le lieu des prestations de services (JO 2008, L 44, p. 11), que le Conseil a prévu de réexaminer le système d’imposition spécifique des services fournis par voie électronique, pour tenir compte de l’expérience acquise. Par ailleurs, la Commission a annoncé, dans une communication au Parlement européen, au Conseil et au Comité économique et social européen concernant un plan d’action sur la TVA [COM (2016)148 final], son intention d’examiner l’élaboration d’un projet de directive modifiant la directive 2006/112 modifiée.

70      Dans ces conditions, la différence de traitement, résultant de l’article 98, paragraphe 2, de la directive 2006/112 modifiée, lu conjointement avec le point 6 de l’annexe III de cette directive, entre la fourniture de livres numériques par voie électronique et la fourniture de livres sur tout type de support physique doit être considérée comme dûment justifiée.

71      Il convient, dès lors, de constater que l’article 98, paragraphe 2, de la directive 2006/112 modifiée, lu conjointement avec le point 6 de l’annexe III de cette directive, qui a pour effet d’exclure la possibilité pour les États membres d’appliquer un taux réduit de TVA à la fourniture de livres numériques par voie électronique, tout en les autorisant à appliquer un taux réduit de TVA à la fourniture de livres numériques sur tout type de support physique, ne méconnaît pas le principe d’égalité de traitement, tel qu’énoncé à l’article 20 de la Charte.

72      Il résulte des considérations qui précèdent que l’examen des questions préjudicielles n’a révélé aucun élément de nature à affecter la validité du point 6 de l’annexe III de la directive 2006/112 modifiée ou de l’article 98, paragraphe 2, de cette directive, lu conjointement avec le point 6 de l’annexe III de celle-ci.

  Sur les dépens

73      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (grande chambre) dit pour droit :

L’examen des questions préjudicielles n’a révélé aucun élément de nature à affecter la validité du point 6 de l’annexe III de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, telle que modifiée par la directive 2009/47/CE du Conseil, du 5 mai 2009, ou de l’article 98, paragraphe 2, de cette directive, lu conjointement avec le point 6 de l’annexe III de celle-ci.

Signatures


** Langue de procédure : le polonais