ARRÊT DU TRIBUNAL (sixième chambre élargie)

21 avril 2021 (*)

« Marque de l’Union européenne – Procédure de nullité – Marque de l’Union européenne verbale MONOPOLY – Motif absolu de refus – Mauvaise foi – Article 52, paragraphe 1, sous b), du règlement (CE) no 207/2009 [devenu article 59, paragraphe 1, sous b), du règlement (UE) 2017/1001] »

Dans l’affaire T‑663/19,

Hasbro, Inc., établie à Pawtucket, Rhode Island (États-Unis), représentée par M. J. Moss, barrister,

partie requérante,

contre

Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), représenté par MM. P. Sipos et V. Ruzek, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

l’autre partie à la procédure devant la chambre de recours de l’EUIPO, intervenant devant le Tribunal, étant

Kreativni Događaji d.o.o., établie à Zagreb (Croatie), représentée par Me R. Kunze, avocat,

ayant pour objet un recours formé contre la décision de la deuxième chambre de recours de l’EUIPO du 22 juillet 2019 (affaire R 1849/2017-2), relative à une procédure de nullité entre Kreativni Događaji et Hasbro,

LE TRIBUNAL (sixième chambre élargie),

composé de Mme A. Marcoulli, présidente, MM. S. Frimodt Nielsen, J. Schwarcz (rapporteur), C. Iliopoulos et R. Norkus, juges,

greffier : Mme A. Juhász-Tóth, administratrice,

vu la requête déposée au greffe du Tribunal le 30 septembre 2019,

vu le mémoire en réponse de l’EUIPO déposé au greffe du Tribunal le 8 janvier 2020,

vu le mémoire en réponse de l’intervenante déposé au greffe du Tribunal le 7 janvier 2020,

à la suite de l’audience du 9 octobre 2020,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        Le 30 avril 2010, la requérante, Hasbro, Inc., a présenté une demande d’enregistrement de marque de l’Union européenne à l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), en vertu du règlement (CE) no 207/2009 du Conseil, du 26 février 2009, sur la marque de l’Union européenne (JO 2009, L 78, p. 1), tel que modifié [remplacé par le règlement (UE) 2017/1001 du Parlement européen et du Conseil, du 14 juin 2017, sur la marque de l’Union européenne (JO 2017, L 154, p. 1)].

2        La marque dont l’enregistrement a été demandé est le signe verbal MONOPOLY.

3        Les produits et les services pour lesquels l’enregistrement a été demandé relèvent, après la limitation intervenue au cours de la procédure devant l’EUIPO, des classes 9, 16, 28 et 41 au sens de l’arrangement de Nice concernant la classification internationale des produits et des services aux fins de l’enregistrement des marques, du 15 juin 1957, tel que révisé et modifié, et correspondent, pour chacune de ces classes, à la description suivante :

–        classe 9 : « Appareils et instruments scientifiques, nautiques, géodésiques, photographiques, cinématographiques, optiques, de pesage, de mesurage, de signalisation, de contrôle (inspection), de secours (sauvetage) et d’enseignement ; appareils et instruments pour la conduite, la distribution, la transformation, l’accumulation, le réglage ou la commande du courant électrique ; appareils pour l’enregistrement, la transmission, la reproduction du son ou des images ; supports d’enregistrement magnétiques, disques acoustiques ; distributeurs automatiques et mécanismes pour appareils à prépaiement ; caisses enregistreuses, machines à calculer, équipement pour le traitement de l’information et les ordinateurs ; extincteurs ; appareils électroniques récréatifs ; jeux électroniques ; jeux informatiques ; matériel informatique ; logiciels informatiques ; commandes utilisées avec tous les produits précités ; cartes, disques, bandes, câbles et circuits tous contenant ou conçus pour véhiculer des données ou des logiciels ; jeux d’arcade ; logiciels de divertissement interactifs, à savoir logiciels de jeux informatiques, programmes de jeux informatiques, cartouches de jeux informatiques, disques de jeux informatiques ; jeux vidéo interactifs de réalité virtuelle comprenant des logiciels et du matériel informatique ; programmes de jeux multimédias interactifs ; logiciels téléchargeables destinés à être utilisés avec des ordinateurs et des jeux informatiques, des dispositifs de jeux portables, des dispositifs de jeux sur console, des dispositifs de jeux par communications et des téléphones mobiles ; jeux électroniques, y compris jeux vidéo ; logiciels de jeux vidéo, programmes de jeux vidéo, cartouches de jeux vidéo, disques de jeux vidéo, tous à utiliser en rapport avec des ordinateurs, des dispositifs de jeux portables, des dispositifs de jeux sur console, des dispositifs de communications et des téléphones mobiles ; terminaux de loterie vidéo ; appareils de jeux informatiques et vidéo, à savoir machines de jeux vidéo à utiliser avec des télévisions ; appareils de jeux conçus pour être utilisés avec un récepteur de télévision ; enregistrements audio et/ou vidéo ; disques laser, disques vidéo, disques phonographiques, disques compacts, cédéroms contenant des jeux, des films, du divertissement et de la musique ; consoles de jeux ; dispositifs de communications et téléphones mobiles ; films préenregistrés ; programmes et contenu télévisés, radiophoniques et récréatifs préenregistrés ; pièces et parties constitutives pour tous les produits précités » ;

–        classe 16 : « Papier et carton et produits en ces matières, non compris dans d’autres classes ; produits de l’imprimerie ; articles pour reliures ; photographies ; papeterie ; adhésifs (matières collantes) pour la papeterie ou le ménage ; matériel pour les artistes ; pinceaux ; machines à écrire et articles de bureau (à l’exception des meubles) ; matériel d’instruction ou d’enseignement (à l’exception des appareils) ; matières plastiques pour l’emballage (non comprises dans d’autres classes) ; caractères d’imprimerie ; clichés ; pièces et parties constitutives pour tous les produits précités » ;

–        classe 28 : « Jeux, jouets ; articles de gymnastique et de sport non compris dans d’autres classes ; décorations pour arbres de Noël ; machines de jeux ; appareils à prépaiement (jeux) ; cartes de jeu ; pièces et parties constitutives pour tous les produits précités » ;

–        classe 41 : « Éducation ; formation ; divertissement ; divertissement sous forme de films, programmes télévisés et programmes radiophoniques ; activités sportives et culturelles ».

4        La demande de marque a été publiée au Bulletin des marques communautaires no 2010/146, du 9 août 2010.

5        La marque contestée a été enregistrée le 25 mars 2011 sous le numéro 9071961.

6        Par ailleurs, la requérante était également titulaire de trois marques de l’Union européenne verbales MONOPOLY enregistrées, la première, le 23 novembre 1998 sous le numéro 238 352 (ci-après la « marque antérieure no 238 352 »), la deuxième, le 21 janvier 2009 sous le numéro 6 895 511 (ci-après la « marque antérieure no 6 895 511 ») et, la troisième, le 2 août 2010 sous le numéro 8 950 776 (ci-après la « marque antérieure no 8 950 776 »).

7        La marque antérieure no 238 352 couvre les produits relevant des classes 9, 25 et 28 qui correspondent, pour chacune de ces classes, à la description suivante :

–        classe 9 : « Appareils électroniques récréatifs ; jeux électroniques ; jeux d’ordinateurs ; matériel informatique ; logiciels ; contrôles pour l’utilisation des biens précités ; cartes, disques, bandes, câbles et circuits tous contenant ou conçus pour véhiculer des données ou des logiciels ; jeux vidéo ; pièces et parties constitutives de tous les produits précités » ;

–        classe 25 : « Vêtements, chaussures, chapellerie ; pièces et parties constitutives de tous les produits précités » ;

–        classe 28 : « Jeux, jouets ; articles de gymnastique et de sport non compris dans d’autres classes ; décorations pour arbres de Noël ; pièces et parties constitutives de tous les produits précités ».

8        La marque antérieure no 6 895 511 couvre les « services de divertissement » compris dans la classe 41.

9        La marque antérieure no 8 950 776 couvre les produits relevant de la classe 16 qui correspondent à la description suivante : « Papier et carton et produits en ces matières, non compris dans d’autres classes ; produits de l’imprimerie ; articles pour reliures ; photographies ; papeterie ; adhésifs (matières collantes) pour la papeterie ou le ménage ; matériel pour les artistes ; pinceaux ; machines à écrire et articles de bureau (à l’exception des meubles) ; matériel d’instruction ou d’enseignement (à l’exception des appareils) ; matières plastiques pour l’emballage (non comprises dans d’autres classes) ; caractères d’imprimerie ; clichés ».

10      Le 25 août 2015, l’intervenante, Kreativni Događaji d.o.o., a introduit une demande en nullité, au titre de l’article 52, paragraphe 1, sous b), du règlement no 207/2009 [devenu article 59, paragraphe 1, sous b), du règlement 2017/1001], à l’encontre de la marque contestée pour l’ensemble des produits et des services désignés par cette marque. Selon l’intervenante, la requérante aurait été de mauvaise foi lors du dépôt de la demande d’enregistrement de la marque contestée au motif que cette demande constituait un dépôt réitéré des marques antérieures nos 238 352, 6 895 511 et 8 950 776 (ci-après, prises ensemble, les « marques antérieures ») et visait à contourner l’obligation de prouver l’usage sérieux de celles-ci.

11      Le 22 juin 2017, la division d’annulation a rejeté la demande en nullité. Elle a notamment estimé, d’une part, que la protection de la même marque sur une période de quatorze ans n’était pas, en soi, une indication d’une intention de se soustraire à l’obligation de prouver l’usage sérieux des marques antérieures et, d’autre part, que les allégations de l’intervenante n’étaient pas corroborées par des éléments de preuve démontrant la mauvaise foi de la requérante lors du dépôt de la demande d’enregistrement de la marque contestée.

12      Le 22 août 2017, l’intervenante a formé un recours auprès de l’EUIPO, au titre des articles 58 à 64 du règlement no 207/2009 (devenus articles 66 à 71 du règlement 2017/1001), contre la décision de la division d’annulation.

13      Le 3 août 2018, les parties ont été informées qu’une procédure orale allait être engagée afin de mieux comprendre les circonstances particulières qui sous-tendaient la stratégie de la requérante lors du dépôt de la marque contestée.

14      Le 12 novembre 2018, la requérante a déposé le témoignage d’une personne travaillant au sein de sa société (ci-après le « témoignage »), accompagné d’éléments de preuve.

15      L’audience a eu lieu le 19 novembre 2018 dans les locaux de l’EUIPO.

16      Le 21 janvier 2019, l’intervenante a déposé des observations sur le procès-verbal et le contenu de la procédure orale, par lesquelles elle demandait qu’il ne soit pas tenu compte du témoignage. La requérante a répondu le 22 février 2019 à ces observations.

17      Par décision du 22 juillet 2019 (ci-après la « décision attaquée »), la deuxième chambre de recours de l’EUIPO a partiellement annulé la décision de la division d’annulation, a déclaré la nullité de la marque contestée pour une partie des produits et des services couverts, a rejeté le recours pour le surplus et a condamné les parties à supporter leurs propres frais relatifs aux procédures de nullité et de recours. En substance, la chambre de recours a considéré que les éléments de preuve recueillis étaient de nature à démontrer que, pour les produits et les services couverts par la marque contestée qui étaient identiques aux produits et aux services couverts par les marques antérieures, la requérante avait été de mauvaise foi lors du dépôt de la demande d’enregistrement de la marque contestée.

 Conclusion des parties

18      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        condamner l’intervenante aux dépens.

19      L’EUIPO conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

20      L’intervenante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens, incluant les frais de la procédure devant la chambre de recours supportés par l’intervenante.

 En droit

 Sur la détermination du droit matériel applicable

21      Compte tenu de la date à laquelle la demande d’enregistrement de la marque contestée a été présentée, à savoir le 30 avril 2010, qui est déterminante aux fins de l’identification du droit matériel applicable, les faits de l’espèce sont régis par les dispositions matérielles du règlement no 207/2009 (voir, en ce sens, ordonnance du 5 octobre 2004, Alcon/OHMI, C‑192/03 P, EU:C:2004:587, points 39 et 40, et arrêt du 23 avril 2020, Gugler France/Gugler et EUIPO, C‑736/18 P, non publié, EU:C:2020:308, point 3 et jurisprudence citée). Par suite, en l’espèce, en ce qui concerne les règles de fond, il convient d’entendre les références faites par la chambre de recours dans la décision attaquée et par les parties dans leurs écritures à l’article 59, paragraphe 1, sous b), du règlement 2017/1001 comme visant l’article 52, paragraphe 1, sous b), du règlement no 207/2009, d’une teneur identique.

 Sur l’objet du litige

22      Bien que la requérante conclue à ce qu’il plaise au Tribunal d’annuler la décision attaquée dans son intégralité, il y a lieu de relever que, en réponse à une question du Tribunal lors de l’audience, elle a admis que l’objet du litige devait être limité à l’annulation de la décision attaquée en ce que celle-ci a déclaré la nullité de la marque contestée en tant qu’elle désigne les produits et les services relevant des classes 9, 16, 28 et 41 tels que visés au point 1 du dispositif de la décision attaquée, qui étaient identiques aux produits et aux services couverts par les marques antérieures.

 Sur la recevabilité du recours

23      Aux points 17 à 19 de son mémoire en réponse ainsi qu’à l’audience, l’intervenante a fait valoir, en substance, que, conformément aux articles 172 et 177 du règlement de procédure du Tribunal, le recours était manifestement irrecevable, au motif que la requête ne mentionnait pas l’EUIPO comme étant la partie contre laquelle le recours était dirigé et que la régularisation de la requête par lettre déposée au greffe du Tribunal le 17 octobre 2019 n’était pas de nature à remédier à cette irrégularité en temps utile.

24      À cet égard, et ainsi que le mentionne au demeurant l’intervenante au point 20 de son mémoire en réponse, il convient de rappeler que le juge de l’Union européenne est en droit d’apprécier, suivant les circonstances de chaque espèce, si une bonne administration de la justice justifie de rejeter au fond un recours, sans statuer préalablement sur sa recevabilité (voir, en ce sens, arrêt du 26 février 2002, Conseil/Boehringer, C‑23/00 P, EU:C:2002:118, points 51 et 52).

25      Dans les circonstances de l’espèce, le Tribunal considère que, dans un souci de bonne administration de la justice, il y a lieu d’examiner d’emblée le bien-fondé du recours, sans statuer préalablement sur la recevabilité de celui-ci, le recours étant, en tout état de cause et pour les motifs exposés ci-après, dépourvu de fondement.

 Sur le fond

26      À l’appui de son recours, la requérante invoque, en substance, deux moyens, tirés, le premier, d’une violation de l’article 52, paragraphe 1, sous b), du règlement no 207/2009 et, le second, d’une violation du droit à un procès équitable.

 Sur le premier moyen, tiré de la violation de l’article 52, paragraphe 1, sous b), du règlement no 207/2009

27      Par le premier moyen, la requérante met en cause l’appréciation de la chambre de recours selon laquelle elle était de mauvaise foi lors du dépôt de la demande d’enregistrement de la marque contestée.

28      L’EUIPO et l’intervenante contestent les arguments de la requérante.

29      À titre liminaire, il convient de rappeler que l’article 52, paragraphe 1, sous b), du règlement no 207/2009 prévoit que la nullité d’une marque de l’Union européenne est déclarée, sur demande présentée auprès de l’EUIPO ou sur demande reconventionnelle dans une action en contrefaçon, lorsque le demandeur était de mauvaise foi lors du dépôt de la demande d’enregistrement de cette marque.

30      À cet égard, il y a lieu de relever d’emblée que, lorsqu’une notion figurant dans le règlement no 207/2009 n’est pas définie par celui-ci, la détermination de sa signification et de sa portée doit être établie conformément à son sens habituel dans le langage courant, tout en tenant compte du contexte dans lequel cette notion est utilisée et des objectifs poursuivis par ce règlement (voir arrêt du 12 septembre 2019, Koton Mağazacilik Tekstil Sanayi ve Ticaret/EUIPO, C‑104/18 P, EU:C:2019:724, point 43 et jurisprudence citée).

31      Il en va ainsi de la notion de « mauvaise foi » figurant à l’article 52, paragraphe 1, sous b), du règlement no 207/2009, en l’absence de toute définition de cette notion par le législateur de l’Union.

32      Alors que, conformément à son sens habituel dans le langage courant, la notion de « mauvaise foi » suppose la présence d’un état d’esprit ou d’une intention malhonnête, cette notion doit en outre être comprise dans le contexte du droit des marques, qui est celui de la vie des affaires. À cet égard, les règlements (CE) no 40/94 du Conseil, du 20 décembre 1993, sur la marque communautaire (JO 1994, L 11, p. 1), no 207/2009 et 2017/1001, adoptés successivement, s’inscrivent dans un même objectif, à savoir l’établissement et le fonctionnement du marché intérieur. Les règles sur la marque de l’Union européenne visent, en particulier, à contribuer au système de concurrence non faussée dans l’Union, dans lequel chaque entreprise doit, afin de s’attacher la clientèle par la qualité de ses produits ou de ses services, être en mesure de faire enregistrer en tant que marques des signes permettant au consommateur de distinguer sans confusion possible ces produits ou ces services de ceux qui ont une autre provenance (voir arrêt du 12 septembre 2019, Koton Mağazacilik Tekstil Sanayi ve Ticaret/EUIPO, C‑104/18 P, EU:C:2019:724, point 45 et jurisprudence citée).

33      Par conséquent, la cause de nullité absolue visée à l’article 52, paragraphe 1, sous b), du règlement no 207/2009 s’applique lorsqu’il ressort d’indices pertinents et concordants que le titulaire d’une marque de l’Union européenne a introduit la demande d’enregistrement de cette marque non pas dans le but de participer de manière loyale au jeu de la concurrence, mais avec l’intention de porter atteinte, d’une manière non conforme aux usages honnêtes, aux intérêts de tiers, ou avec l’intention d’obtenir, sans même viser un tiers en particulier, un droit exclusif à des fins autres que celles relevant des fonctions d’une marque, notamment de la fonction essentielle d’indication d’origine (arrêt du 12 septembre 2019, Koton Mağazacilik Tekstil Sanayi ve Ticaret/EUIPO, C‑104/18 P, EU:C:2019:724, point 46).

34      Par ailleurs, il convient d’ajouter que, dans l’arrêt du 11 juin 2009, Chocoladefabriken Lindt & Sprüngli (C‑529/07, EU:C:2009:361), la Cour a apporté plusieurs précisions sur la manière dont il convenait d’interpréter la notion de mauvaise foi telle que visée à l’article 52, paragraphe 1, sous b), du règlement no 207/2009.

35      Selon la Cour, aux fins de l’appréciation de l’existence de la mauvaise foi du demandeur, au sens de l’article 52, paragraphe 1, sous b), du règlement no 207/2009, il convient de prendre en considération tous les facteurs pertinents propres au cas d’espèce et existant au moment du dépôt de la demande d’enregistrement d’un signe en tant que marque de l’Union européenne et, notamment, premièrement, le fait que le demandeur sait ou doit savoir qu’un tiers utilise, dans au moins un État membre, un signe identique ou similaire pour un produit ou un service identique ou similaire prêtant à confusion avec le signe dont l’enregistrement est demandé, deuxièmement, l’intention du demandeur d’empêcher ce tiers de continuer à utiliser un tel signe ainsi que, troisièmement, le degré de protection juridique dont jouissent le signe du tiers et le signe dont l’enregistrement est demandé (voir, en ce sens, arrêt du 11 juin 2009, Chocoladefabriken Lindt & Sprüngli, C‑529/07, EU:C:2009:361, point 53).

36      Cela étant, il ressort de la formulation retenue par la Cour dans l’arrêt du 11 juin 2009, Chocoladefabriken Lindt & Sprüngli (C‑529/07, EU:C:2009:361, point 53), que les facteurs qui y sont énumérés ne sont que des illustrations parmi un ensemble d’éléments susceptibles d’être pris en compte à l’effet de se prononcer sur l’éventuelle mauvaise foi d’un demandeur d’enregistrement au moment du dépôt de la demande de marque [voir arrêt du 26 février 2015, Pangyrus/OHMI – RSVP Design (COLOURBLIND), T‑257/11, non publié, EU:T:2015:115, point 67 et jurisprudence citée]. En effet, dans cet arrêt, la Cour s’est limitée à répondre aux questions de la juridiction nationale qui portaient, en substance, sur la question de savoir si de tels facteurs étaient pertinents (voir, en ce sens, arrêt du 11 juin 2009, Chocoladefabriken Lindt & Sprüngli, C‑529/07, EU:C:2009:361, points 22 et 38). Ainsi, l’absence de l’un ou de l’autre de ces facteurs ne s’oppose pas nécessairement, selon les circonstances propres de l’espèce, à ce que soit constatée la mauvaise foi du demandeur [voir, en ce sens, arrêt du 7 juillet 2016, Copernicus-Trademarks/EUIPO – Maquet (LUCEO), T‑82/14, EU:T:2016:396, point 147].

37      À cet égard, il importe de souligner que, au point 60 de ses conclusions dans l’affaire Chocoladefabriken Lindt & Sprüngli (C‑529/07, EU:C:2009:148), Mme l’avocate générale Sharpston a relevé que la notion de mauvaise foi, au sens de l’article 52, paragraphe 1, sous b), du règlement no 207/2009, ne peut pas être cantonnée à une catégorie limitée de faits particuliers. En effet, l’objectif d’intérêt général de cette disposition, qui consiste à faire échec aux enregistrements de marque abusifs ou contraires aux usages honnêtes en matière industrielle et commerciale, serait compromis si la mauvaise foi ne pouvait être démontrée que par les circonstances limitativement énumérées dans l’arrêt du 11 juin 2009, Chocoladefabriken Lindt & Sprüngli (C‑529/07, EU:C:2009:361) (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 3 juin 2010, Internetportal und Marketing, C‑569/08, EU:C:2010:311, point 37).

38      Ainsi, il est de jurisprudence constante que, dans le cadre de l’analyse globale opérée au titre de l’article 52, paragraphe 1, sous b), du règlement no 207/2009, il peut également être tenu compte de l’origine du signe contesté et de son usage depuis sa création, de la logique commerciale dans laquelle s’est inscrit le dépôt de la demande d’enregistrement du signe en tant que marque de l’Union européenne ainsi que de la chronologie des événements ayant caractérisé la survenance dudit dépôt (voir arrêt du 26 février 2015, COLOURBLIND, T‑257/11, non publié, EU:T:2015:115, point 68 et jurisprudence citée).

39      Il convient également de prendre en considération l’intention du demandeur au moment du dépôt de la demande d’enregistrement (arrêt du 11 juin 2009, Chocoladefabriken Lindt & Sprüngli, C‑529/07, EU:C:2009:361, point 41).

40      À cet égard, il a été précisé que l’intention du demandeur au moment pertinent est un élément subjectif qui doit être déterminé par référence aux circonstances objectives du cas d’espèce (arrêt du 11 juin 2009, Chocoladefabriken Lindt & Sprüngli, C‑529/07, EU:C:2009:361, point 42).

41      Ainsi, la notion de mauvaise foi se rapporte à une motivation subjective de la personne présentant une demande d’enregistrement de marque, à savoir une intention malhonnête ou un autre motif dommageable. Elle implique un comportement s’écartant des principes reconnus comme étant ceux entourant un comportement éthique ou des usages honnêtes en matière industrielle ou commerciale (arrêt du 7 juillet 2016, LUCEO, T‑82/14, EU:T:2016:396, point 28).

42      C’est au demandeur en nullité qui entend se fonder sur l’article 52, paragraphe 1, sous b), du règlement no 207/2009 qu’il incombe d’établir les circonstances qui permettent de conclure qu’une demande d’enregistrement d’une marque de l’Union européenne a été déposée de mauvaise foi, la bonne foi du déposant étant présumée jusqu’à preuve du contraire [voir, en ce sens, arrêt du 8 mars 2017, Biernacka-Hoba/EUIPO – Formata Bogusław Hoba (Formata), T‑23/16, non publié, EU:T:2017:149, point 45 et jurisprudence citée].

43      Lorsque l’EUIPO constate que les circonstances objectives du cas d’espèce invoquées par le demandeur en nullité sont susceptibles de conduire au renversement de la présomption de bonne foi dont bénéficie le titulaire de la marque en cause lors du dépôt de la demande d’enregistrement de celle-ci , il appartient à ce dernier de fournir des explications plausibles concernant les objectifs et la logique commerciale poursuivis par la demande d’enregistrement de ladite marque.

44      En effet, le titulaire de la marque en cause est le mieux placé pour éclairer l’EUIPO sur les intentions qui l’animaient lors de la demande d’enregistrement de cette marque et pour lui fournir des éléments susceptibles de le convaincre que, en dépit de l’existence de circonstances objectives, ces intentions étaient légitimes [voir, en ce sens, arrêt du 5 mai 2017, PayPal/EUIPO – Hub Culture (VENMO), T‑132/16, non publié, EU:T:2017:316, points 51 à 59, et, en ce sens et par analogie, arrêt du 9 novembre 2016, Birkenstock Sales/EUIPO (Représentation d’un motif de lignes ondulées entrecroisées), T‑579/14, EU:T:2016:650, point 136].

45      C’est à la lumière des considérations qui précèdent qu’il y a lieu d’examiner les différents griefs de la requérante soulevés dans le cadre du premier moyen, lequel est composé, en substance, de six branches.

–       Sur la première branche du premier moyen, tirée de l’application incorrecte des règles relatives à l’appréciation de la mauvaise foi

46      Dans le cadre de la première branche du premier moyen, premièrement, la requérante reproche à la chambre de recours de ne pas avoir procédé à une appréciation globale de tous les éléments pertinents de l’espèce. Elle se serait concentrée indûment sur un aspect, à savoir l’avantage administratif consistant à ne pas avoir à prouver l’usage sérieux de la marque dont le dépôt a été réitéré, et aurait ignoré les nombreuses autres raisons valables qu’elle a invoquées pour justifier sa stratégie de dépôt de marque.

47      Deuxièmement, la requérante fait grief à la chambre de recours d’avoir considéré, au point 66 de la décision attaquée, que tout dépôt réitéré de marque équivalait automatiquement à un dépôt effectué de mauvaise foi. Or, cela serait en contradiction avec les principes énoncés dans l’arrêt du 13 décembre 2012, pelicantravel.com/OHMI – Pelikan (Pelikan) (T‑136/11, non publié, EU:T:2012:689), et dans les conclusions de l’avocate générale Sharpston dans l’affaire Chocoladefabriken Lindt & Sprüngli (C‑529/07, EU:C:2009:148). Troisièmement, elle estime que serait erronée l’indication de la chambre de recours figurant au point 79 de la décision attaquée selon laquelle elle « a[vait] également admis que l’avantage de [sa] stratégie était qu’elle n’aurait pas à prouver l’usage sérieux de la marque [contestée] dans le cadre d’une procédure d’opposition ». Selon elle, les éléments de preuve démontraient que l’un des avantages associés à sa pratique en matière de dépôt de marque pouvait être l’efficacité administrative, mais il ne s’agissait pas de la raison principale, ni même d’une raison substantielle.

48      L’EUIPO et l’intervenante contestent le bien-fondé de cette branche.

49      Afin d’examiner le bien-fondé de l’argumentation présentée dans le cadre de la première branche du premier moyen, en premier lieu, il convient de rappeler quels sont les principes régissant le droit des marques de l’Union européenne et la règle relative à la preuve de l’usage de ces marques. À cet égard, premièrement, il y a lieu de relever, à l’instar de la chambre de recours au point 29 de la décision attaquée, qu’il ressort, en substance, du considérant 2 du règlement no 207/2009 (devenu considérant 3 du règlement 2017/1001) que le règlement no 207/2009 vise à assurer une concurrence non faussée. Par ailleurs, il a été jugé que le droit des marques constitue un élément essentiel du système de concurrence non faussé que le traité entend établir et maintenir et que les droits et les facultés que la marque de l’Union européenne confère à son titulaire doivent être examinés en fonction de cet objectif (voir, en ce sens, arrêt du 6 mai 2003, Libertel, C‑104/01, EU:C:2003:244, point 48 et jurisprudence citée).

50      Deuxièmement, ainsi que l’a souligné en substance la chambre de recours aux points 31 et 32 de la décision attaquée, s’il ressort de l’article 9, paragraphe 1, du règlement no 207/2009 (devenu article 9, paragraphe 1, du règlement 2017/1001) que l’enregistrement d’une marque de l’Union européenne confère à son titulaire un droit exclusif, il découle du considérant 10 du règlement no 207/2009 (devenu considérant 24 du règlement 2017/1001) qu’il n’est justifié de protéger les marques de l’Union européenne et, contre celles-ci, toute marque enregistrée qui leur est antérieure que dans la mesure où ces marques sont effectivement utilisées. En effet, une marque de l’Union européenne qui n’est pas utilisée pourrait faire obstacle à la concurrence en limitant l’éventail des signes qui peuvent être enregistrés par d’autres en tant que marque et en privant les concurrents de la possibilité d’utiliser cette marque ou une marque similaire lors de la mise sur le marché intérieur de produits ou de services identiques ou similaires à ceux qui sont protégés par la marque en cause. Par conséquent, le non-usage d’une marque de l’Union européenne risque également de restreindre la libre circulation des marchandises et la libre prestation des services (voir, en ce sens, arrêt du 19 décembre 2012, Leno Merken, C‑149/11, EU:C:2012:816, point 32).

51      Troisièmement, s’agissant de l’usage sérieux d’une marque de l’Union européenne, il convient de rappeler que, aux termes de l’article 15, paragraphe 1, du règlement no 207/2009 (devenu article 18, paragraphe 1, du règlement 2017/1001), « [s]i, dans un délai de cinq ans à compter de l’enregistrement, la marque de l’Union européenne n’a pas fait l’objet par le titulaire d’un usage sérieux dans l’Union pour les produits ou les services pour lesquels elle est enregistrée, ou si un tel usage a été suspendu pendant un délai ininterrompu de cinq ans, la marque de l’Union européenne est soumise aux sanctions prévues au présent règlement, sauf juste motif pour le non-usage ».

52      Par ailleurs, aux termes de l’article 51, paragraphe 1, sous a), du règlement no 207/2009 [devenu article 58, paragraphe 1, sous a), du règlement 2017/1001], « [l]e titulaire de la marque de l’Union européenne est déclaré déchu de ses droits, sur demande présentée auprès de l’[EUIPO] ou sur demande reconventionnelle dans une action en contrefaçon[,] si, pendant une période ininterrompue de cinq ans, la marque n’a pas fait l’objet d’un usage sérieux dans l’Union pour les produits ou les services pour lesquels elle est enregistrée et qu’il n’existe pas de justes motifs pour le non-usage ».

53      À cet égard, l’article 51, paragraphe 2, du règlement no 207/2009 (devenu article 58, paragraphe 2, du règlement 2017/1001) prévoit que, « [s]i la cause de déchéance n’existe que pour une partie des produits ou des services pour lesquels la marque de l’Union européenne est enregistrée, le titulaire n’est déclaré déchu de ses droits que pour les produits ou les services concernés ».

54      La ratio legis de l’exigence selon laquelle une marque doit avoir fait l’objet d’un usage sérieux pour être protégée au titre du droit de l’Union réside dans le fait que l’inscription d’une marque de l’Union européenne au registre de l’EUIPO ne saurait être assimilée à un dépôt stratégique et statique conférant à un détenteur inactif un monopole légal d’une durée indéterminée. Au contraire, ledit registre devrait refléter fidèlement les indications que les entreprises utilisent effectivement sur le marché pour distinguer leurs produits et services dans la vie économique [voir, en ce sens, arrêt du 15 juillet 2015, Deutsche Rockwool Mineralwoll/OHMI – Recticel (λ), T‑215/13, non publié, EU:T:2015:518, point 20 et jurisprudence citée].

55      Ainsi que l’a souligné la chambre de recours au point 35 de la décision attaquée, il découle donc des principes régissant le droit des marques de l’Union européenne et de la règle relative à la preuve de l’usage exposés aux points 49 à 53 ci-dessus que, si un droit exclusif est conféré au titulaire d’une marque, ce droit exclusif ne peut être protégé que si, à l’expiration du délai de grâce de cinq ans, ledit titulaire est en mesure de démontrer l’usage sérieux de sa marque. Un tel régime met en balance les intérêts légitimes du titulaire de la marque, d’une part, et ceux de ses concurrents, d’autre part.

56      En deuxième lieu, il convient de rappeler qu’il résulte de la jurisprudence citée au point 36 ci-dessus que l’absence d’un facteur que la Cour ou le Tribunal avaient considéré comme pertinent pour établir la mauvaise foi d’un demandeur de marque dans le contexte particulier d’un litige ou d’une question préjudicielle dont ils étaient alors saisis ne s’oppose pas nécessairement à ce que la mauvaise foi d’un autre demandeur de marque soit constatée dans des circonstances différentes. En effet, comme il a été rappelé au point 37 ci-dessus, la notion de mauvaise foi, au sens de l’article 52, paragraphe 1, sous b), du règlement no 207/2009, ne peut pas être cantonnée à une catégorie limitée de faits particuliers.

57      En troisième lieu, si les dépôts réitérés pour une marque ne sont pas interdits, il n’en demeure pas moins qu’un tel dépôt effectué afin d’éviter les conséquences du défaut d’usage de marques antérieures peut constituer un élément pertinent, susceptible d’établir la mauvaise foi de l’auteur de ce dépôt (voir, en ce sens, arrêt du 13 décembre 2012, Pelikan, T‑136/11, non publié, EU:T:2012:689, point 27).

58      Enfin, en quatrième lieu, il convient de rappeler quels sont les éléments ayant conduit la chambre de recours à considérer que le dépôt réitéré des marques antérieures était révélateur de la mauvaise foi de la requérante.

59      Premièrement, au point 71 de la décision attaquée, la chambre de recours a relevé que la requérante s’était appuyée sur la marque contestée ainsi que sur les marques antérieures dans le cadre de deux procédures d’opposition. Elle a constaté, à cet égard, que les décisions par lesquelles la requérante avait obtenu gain de cause dans ces procédures étaient fondées sur la marque contestée, étant donné que, pour cette marque, il n’était pas nécessaire de fournir la preuve de l’usage sérieux.

60      Deuxièmement, au point 72 de la décision attaquée, la chambre de recours a indiqué que, s’agissant des éventuelles raisons qui auraient justifié la demande d’un nouvel enregistrement de la même marque, la requérante avait invoqué devant les instances de l’EUIPO la réduction de la charge administrative. La chambre de recours a ajouté, en substance, que, d’après le témoignage d’une personne travaillant au sein de sa société lors de l’audience du 19 novembre 2018, la requérante effectuait de nouveaux dépôts pour un certain nombre de raisons qui pouvaient faciliter sa gestion sur le plan administratif, mais que ces dépôts ne constituaient pas des demandes identiques réitérées, lesdits dépôts étant plus larges et justifiés par des raisons commerciales valables. Par ailleurs, la chambre de recours a considéré, au point 73 de la décision attaquée, que, dès lors que les marques antérieures n’avaient pas fait l’objet de renonciations, l’intérêt de tels dépôts lié à la réduction de la charge administrative était difficile à constater en raison du surcroît de travail et de l’investissement accru impliqués par l’accumulation de marques identiques.

61      Troisièmement, au point 75 de la décision attaquée, la chambre de recours a indiqué, en substance, qu’il ressortait du témoignage effectué lors de l’audience du 19 novembre 2018, tout d’abord, que le fait de pouvoir invoquer l’enregistrement d’une marque sans devoir en prouver l’usage constituait un avantage pour la requérante et qu’il s’agissait d’un aspect connu de tous les titulaires de marque, ensuite, qu’il ne s’agissait pas de la seule motivation des dépôts de marques successifs effectués par la requérante et, enfin, que, si une entreprise possédait diverses marques d’anciennetés différentes, il était judicieux pour cette entreprise de s’opposer à une marque déposée ultérieurement sur la base d’une marque récente qui n’était pas soumise à la preuve de l’usage en vue de réduire les coûts liés à la production des éléments de preuve et à l’assistance à des audiences, en ce sens qu’il était plus efficace du point de vue administratif de ne pas devoir fournir cette preuve.

62      Quatrièmement, la chambre de recours a relevé, au point 77 de la décision attaquée, que, selon le témoignage, le fait pour des sociétés d’introduire des demandes d’enregistrement pour des marques faisant déjà l’objet d’enregistrements existants dans l’Union et d’inclure dans ces nouvelles demandes des produits ou des services couverts par les marques antérieures était une pratique industrielle acceptée à l’époque pertinente .

63      Cinquièmement, compte tenu des éléments mentionnés aux points 71 à 78 de la décision attaquée, la chambre de recours a considéré, au point 79 de cette décision, que la requérante avait délibérément réitéré une demande d’enregistrement de la marque MONOPOLY, afin que celle-ci couvre également des produits et des services déjà couverts par les marques antérieures. Par ailleurs, elle a constaté que la requérante avait admis que l’avantage de cette stratégie était qu’elle n’aurait pas à prouver l’usage sérieux de la marque contestée dans le cadre d’une procédure d’opposition, ce qui était l’un des facteurs pris en considération par la requérante lors de l’enregistrement d’une marque, et a ajouté qu’elle ne voyait aucune autre logique commerciale sous-tendant une telle stratégie de dépôt.

64      Sixièmement, la chambre de recours a estimé, au point 80 de la décision attaquée, que le fait que la requérante avait fait valoir qu’il s’agissait d’une pratique industrielle normale signifiait clairement que le recours à cette stratégie était intentionnel.

65      En tenant compte de toutes ces circonstances, d’une part, la chambre de recours a conclu, au point 81 de la décision attaquée, que l’intention de la requérante était bien de tirer profit des règles du droit des marques de l’Union européenne en créant artificiellement une situation dans laquelle elle n’aurait pas à prouver l’usage sérieux des marques antérieures pour les produits et les services couverts par la marque contestée. D’autre part, elle a estimé, au point 82 de la décision attaquée, que le comportement de la requérante devait être considéré comme résultant d’une intention de fausser et de déséquilibrer le régime issu de ce droit tel qu’il a été établi par le législateur de l’Union.

66      C’est à la lumière des éléments rappelés aux points 49 à 65 ci-dessus qu’il y a lieu d’examiner les arguments de la requérante.

67      En premier lieu, s’agissant de l’argument selon lequel la chambre de recours aurait erronément considéré, au point 66 de la décision attaquée, que tout dépôt réitéré d’une marque de l’Union européenne équivalait automatiquement à un dépôt effectué de mauvaise foi, il doit être rejeté dès lors qu’il procède d’une lecture erronée de la décision attaquée. En effet, force est de constater que, aux points 66 à 70 de la décision attaquée, la chambre de recours s’est bornée à effectuer un rappel de la jurisprudence applicable pour apprécier l’éventuelle mauvaise foi du titulaire d’une marque de l’Union européenne. Ce n’est qu’aux points 71 et suivants de la décision attaquée que la chambre de recours a examiné les circonstances du cas d’espèce à la lumière de la jurisprudence et a conclu que la requérante était de mauvaise foi lors du dépôt de la demande d’enregistrement de la marque contestée.

68      Par ailleurs, à supposer que l’argument de la requérante doive être compris en ce sens qu’il est fait grief à la chambre de recours d’avoir considéré de manière générale dans la décision attaquée que tout dépôt réitéré était nécessairement effectué de mauvaise foi, il doit également être rejeté.

69      En effet, le raisonnement suivi par la chambre de recours, tel que résumé aux points 59 à 64 ci-dessus, fait apparaître sans ambiguïté que c’est non pas le fait de réitérer le dépôt d’une marque de l’Union européenne qui a été considéré comme étant révélateur de la mauvaise foi de la requérante, mais le fait que les éléments du dossier démontraient que cette dernière avait délibérément visé à contourner une règle fondamentale du droit des marques de l’Union européenne, à savoir celle relative à la preuve de l’usage, pour en tirer profit au détriment de l’équilibre du régime des marques de l’Union européenne établi par le législateur de l’Union.

70      À cet égard, il convient de souligner qu’aucune disposition de la réglementation relative aux marques de l’Union européenne n’interdit le dépôt réitéré d’une demande d’enregistrement de marque et que, partant, un tel dépôt ne saurait, en lui-même, établir la mauvaise foi du demandeur, sans être assorti d’autres éléments pertinents invoqués par le demandeur en nullité ou l’EUIPO. Toutefois, force est de constater que, en l’espèce, il ressort des considérations de la chambre de recours que la requérante a admis, et même soutenu, que l’un des avantages justifiant le dépôt de la marque contestée reposait sur le fait de ne pas avoir à apporter la preuve de l’usage sérieux de cette marque. Or, un tel comportement ne saurait être considéré comme un comportement légitime, mais doit être considéré comme contraire aux objectifs du règlement no 207/2009, aux principes régissant le droit des marques de l’Union européenne et à la règle relative à la preuve de l’usage, tels que rappelés aux points 49 à 55 ci-dessus.

71      En effet, dans les circonstances particulières de l’espèce, le dépôt réitéré effectué par la requérante visait notamment, de son propre aveu, à ne pas avoir à prouver l’usage de la marque contestée, prolongeant par conséquent, pour les marques antérieures, le délai de grâce de cinq ans prévu à l’article 51, paragraphe 1, sous a), du règlement no 207/2009.

72      Partant, force est de constater que non seulement la stratégie de dépôt pratiquée par la requérante, visant à contourner la règle relative à la preuve de l’usage, n’est pas conforme aux objectifs poursuivis par le règlement no 207/2009, mais elle n’est pas sans rappeler la figure de l’abus de droit, qui est caractérisée par le fait que, premièrement, malgré un respect formel des conditions prévues par la réglementation de l’Union, l’objectif poursuivi par celle-ci n’est pas atteint et que, deuxièmement, il existe une volonté d’obtenir un avantage résultant de ladite réglementation en créant artificiellement les conditions requises pour son obtention (voir, en ce sens, arrêt du 21 juillet 2005, Eichsfelder Schlachtbetrieb, C‑515/03, EU:C:2005:491, point 39 et jurisprudence citée).

73      En deuxième lieu, s’agissant de l’argument de la requérante selon lequel la chambre de recours se serait indûment concentrée sur un aspect, à savoir l’avantage administratif consistant à ne pas avoir à prouver l’usage sérieux de la marque dont le dépôt a été réitéré, et aurait ignoré les nombreuses autres raisons valables invoquées par la requérante pour justifier sa stratégie de dépôt de marque (voir point 46 ci-dessus), il y a lieu de considérer que, eu égard aux éléments rappelés aux points 59 à 64 ci-dessus, il ne saurait être valablement soutenu que la chambre de recours se soit uniquement concentrée sur ledit aspect.

74      En effet, ainsi que le souligne l’EUIPO, en dépit des éléments de preuve faisant apparaître que l’intention de la requérante était notamment d’éviter d’avoir à apporter la preuve de l’usage de la marque contestée, la chambre de recours a tenu compte d’autres circonstances. Ainsi, elle a constaté, aux points 71 et 80 de la décision attaquée, que la requérante avait effectivement tiré profit de sa stratégie de dépôt réitéré dans le cadre de deux procédures d’opposition en ayant évité de devoir prouver l’usage de la marque contestée.

75      Par ailleurs, contrairement à ce que prétend la requérante de façon non étayée dans la requête, la chambre de recours n’a pas ignoré les nombreuses autres raisons qu’elle a invoquées pour justifier sa stratégie de dépôt de marque. Ainsi que cela ressort des points 61 à 64 de la décision attaquée, elle a examiné et considéré comme valables les explications de la requérante selon lesquelles, en substance, cette dernière visait à protéger la marque MONOPOLY pour d’autres produits et services afin de suivre l’évolution de la technologie et l’expansion de ses activités. C’est la raison pour laquelle la chambre de recours n’a pas déclaré la nullité de la marque contestée pour les produits et les services non couverts par les marques antérieures. Toutefois, ainsi que le fait valoir à juste titre l’EUIPO, la chambre de recours n’a pas jugé que ces explications étaient de nature à justifier le dépôt de la marque contestée pour des produits et des services identiques à ceux couverts par les marques antérieures. Elle a notamment estimé à cet égard, aux points 72 à 74 de la décision attaquée, que la prétendue réduction de la charge administrative résultant du dépôt de la marque contestée était difficilement conciliable avec les coûts supplémentaires et la charge administrative liés au maintien des marques antérieures.

76      Il s’ensuit que l’argument de la requérante selon lequel la chambre de recours n’aurait pas procédé à une appréciation globale de tous les éléments pertinents de l’espèce en ce qu’elle se serait concentrée indûment sur un seul aspect doit être rejeté.

77      Enfin, en troisième lieu, doit être rejeté l’argument de la requérante selon lequel, en substance, la chambre de recours aurait indiqué de façon erronée au point 79 de la décision attaquée que la requérante avait admis que le seul avantage de sa pratique de dépôt était de ne pas avoir à prouver l’usage sérieux de la marque dans le cadre d’une procédure d’opposition (voir point 47 ci-dessus). À cet égard, il suffit de constater qu’il ressort clairement des points 75, 76 et 79 de la décision attaquée que la chambre de recours a souligné qu’il ne s’agissait que de l’un des avantages, ou de l’une des motivations, de la stratégie de dépôt de la requérante. La chambre de recours a d’ailleurs expressément indiqué, au point 76 de la décision attaquée, que « le fait qu’un dépôt ne soit pas uniquement motivé par l’avantage de ne pas avoir à apporter la preuve de l’usage sérieux de la marque et que d’autres raisons entrent en jeu ne rend[ait] pas, en soi, une telle stratégie acceptable ».

78      À la lumière des considérations qui précèdent, il convient de rejeter la première branche du premier moyen.

–       Sur la deuxième branche du premier moyen, tirée de l’absence de tout préjudice du fait de l’activité de la requérante

79      Dans le cadre de la deuxième branche du premier moyen, premièrement, la requérante soutient qu’elle n’a tiré aucun avantage de son comportement qui viserait à obtenir ou à détenir une marque sur laquelle elle ne dispose d’aucun droit. Deuxièmement, elle souligne que le jeu de société « Monopoly » est si célèbre qu’il serait fantaisiste de prétendre qu’elle n’a pas utilisé la marque MONOPOLY pour des jeux. Or, elle fait valoir que la contraindre à prouver l’usage de cette marque pour des jeux de société dans le cadre d’une procédure en nullité entraîne l’exposition de coûts importants. Troisièmement, elle prétend que, si la décision attaquée était confirmée, cela conduirait à submerger la division d’annulation de l’EUIPO d’affaires dans lesquelles la mauvaise foi serait invoquée à chaque réitération de dépôt d’une marque désignant des produits ou des services identiques ou similaires. Enfin, quatrièmement, la requérante fait valoir, concernant l’examen du préjudice, que la décision attaquée ne contient pas de constat relatif à l’existence d’un préjudice réel, mais uniquement la conclusion implicite qu’un préjudice pourrait théoriquement découler d’une prolongation potentielle du délai de grâce de cinq ans. Toutefois, selon elle, un tel préjudice théorique ne devrait en aucun cas mener à la conclusion qu’elle a agi frauduleusement.

80      L’EUIPO et l’intervenante contestent le bien-fondé de cette branche.

81      D’emblée, il convient de rejeter les premier et quatrième arguments de la requérante, selon lesquels, en substance, son comportement ne lui aurait procuré aucun avantage et n’aurait entraîné aucun préjudice (voir point 79 ci-dessus). En effet, ainsi que le soutient, en substance, l’intervenante, force est de constater que ni le règlement no 207/2009 ni la jurisprudence ne fournissent de fondement permettant de considérer que, en l’espèce, le fait de tirer un avantage ou d’occasionner un préjudice est pertinent aux fins d’apprécier la mauvaise foi de la requérante lors du dépôt de la demande d’enregistrement de la marque contestée.

82      S’agissant du deuxième argument, relatif à l’usage de la marque MONOPOLY pour les jeux, la chambre de recours a jugé à juste titre, au point 81 de la décision attaquée, que la question de savoir si la requérante aurait effectivement pu prouver un tel usage était dénuée de pertinence, étant donné que c’est l’intention du demandeur d’une marque qui doit être évaluée. Par ailleurs et en tout état de cause, ainsi que le rappelle l’EUIPO, l’usage avéré de ladite marque dont fait état la requérante ne porte que sur des jeux de plateau, et non sur l’ensemble des produits et des services pour lesquels la marque contestée a été déclarée nulle.

83      Enfin, l’argument selon lequel la division d’annulation serait submergée d’affaires dans lesquelles la mauvaise foi serait invoquée si la décision attaquée était confirmée doit être rejeté, en ce qu’il est inopérant. En tout état de cause, cet argument n’est étayé par aucun élément concret et constitue, dès lors, une simple spéculation.

84      Il s’ensuit que la deuxième branche du premier moyen doit être rejetée.

–       Sur la troisième branche du premier moyen, tirée de l’absence d’examen spécifique de chacune des marques antérieures

85      Dans le cadre de la troisième branche du premier moyen, premièrement, la requérante fait valoir que le dépôt de la marque contestée ne répond nullement au schéma traditionnel d’un dépôt réitéré d’une marque quelques mois avant la fin du délai de grâce de cinq ans. Selon elle, la chambre de recours a donc commis une erreur en ignorant le fait que, au vu des dates d’enregistrement des marques antérieures nos 6 895 511 et 8 950 776, la marque contestée n’a pas été déposée à une date proche de la date d’expiration du délai de grâce de cinq ans dont bénéficiait chacune de ces marques antérieures. Deuxièmement, la requérante fait grief à la chambre de recours d’avoir traité les dépôts des marques antérieures comme s’il s’agissait en réalité d’un seul et même dépôt.

86      L’EUIPO et l’intervenante contestent le bien-fondé de cette branche.

87      S’agissant du premier argument invoqué par la requérante, il y a lieu de relever que c’est à juste titre qu’elle fait valoir que le dépôt de la demande d’enregistrement de la marque contestée n’a pas été fait à une date proche de celles de l’expiration des délais de grâce des marques antérieures nos 6 895 511 et 8 950 776. En effet, dès lors que la marque antérieure no 6 895 511 a été enregistrée le 21 janvier 2009 et la marque antérieure no 8 950 776 le 2 août 2010, l’enregistrement de la marque contestée a prolongé le délai de grâce relatif au non-usage de la première de ces deux marques antérieures de deux ans et deux mois pour les services couverts par celle-ci compris dans la classe 41 et a prolongé celui de la seconde de ces deux marques antérieures de près de huit mois pour les produits couverts par celle-ci compris dans la classe 16.

88      Toutefois, contrairement à ce que sous-entend la requérante, ce fait ne saurait être à lui seul suffisant pour considérer qu’elle n’était pas de mauvaise foi au moment du dépôt de la demande d’enregistrement de la marque contestée.

89      À cet égard, ainsi que le souligne en substance l’EUIPO, indépendamment de la durée de prolongation d’un délai de grâce, ce qui importe est l’intention du demandeur au moment du dépôt de la demande d’enregistrement. Or, il convient de rappeler que la requérante a admis, et même soutenu, que l’un des avantages ayant justifié le dépôt de la marque contestée était de ne pas avoir à apporter la preuve de l’usage sérieux de la marque contestée. Dès lors, bien que la prolongation des délais de grâce des marques antérieures ne soit pas particulièrement longue, il n’en demeure pas moins que la requérante a obtenu l’avantage souhaité, consistant à ne pas avoir à prouver l’usage de la marque MONOPOLY pour une période supplémentaire de deux ans et deux mois pour les services couverts par la marque antérieure no 6 895 511 compris dans la classe 41 et de près de huit mois pour les produits couverts par la marque antérieure no 8 950 776 compris dans la classe 16.

90      En ce qui concerne le second argument, selon lequel la chambre de recours aurait traité les dépôts des marques antérieures comme s’il s’agissait en réalité d’un seul et même dépôt, il doit être rejeté. En effet, il ressort clairement des points 54 à 62 de la décision attaquée que la chambre de recours a tenu compte à la fois des différents produits et services couverts par les marques antérieures et des différentes dates de dépôt desdites marques.

91      Il résulte de ce qui précède que la troisième branche du premier moyen doit être rejetée.

–       Sur la quatrième branche du premier moyen, tirée de la méconnaissance du fait que la requérante aurait adopté une pratique courante et largement acceptée

92      Dans le cadre de la quatrième branche du premier moyen, la requérante fait valoir, en substance, que la chambre de recours ne pouvait considérer qu’elle avait agi de mauvaise foi en effectuant un dépôt réitéré de ses marques antérieures dès lors qu’il s’agissait d’une pratique industrielle courante et manifestement acceptée. Elle ajoute qu’il ne saurait lui être reproché d’avoir été de mauvaise foi dès lors qu’elle a agi « conformément à l’avis des avocats locaux concernant leurs dépôts en général ». En outre, elle allègue que la chambre de recours a cherché à faire d’elle un exemple pour montrer comment elle entendait modifier la réglementation, ce qu’elle reconnaîtrait au point 87 de la décision attaquée, dans lequel elle aurait admis élaborer unilatéralement une nouvelle réglementation. Enfin, la requérante allègue que, si la décision attaquée était confirmée, elle-même et un grand nombre d’autres titulaires de marques de l’Union européenne se verraient confisquer leurs droits de propriété par l’EUIPO.

93      L’EUIPO et l’intervenante contestent le bien-fondé de cette branche.

94      Tout d’abord, il convient de relever que l’argumentation présentée par la requérante dans le cadre de cette branche n’est aucunement étayée. Elle se borne en effet à alléguer que le dépôt réitéré de marques antérieures est une pratique courante sans produire le moindre élément de preuve à l’appui de cette allégation. En tout état de cause, force est de constater que ni le règlement no 207/2009 ni la jurisprudence ne fournissent de fondement permettant d’écarter l’éventuelle mauvaise foi de la requérante au motif qu’elle aurait suivi une pratique industrielle courante et qu’elle aurait agi conformément à l’avis d’avocats. Ainsi que l’a relevé à juste titre la chambre de recours au point 78 de la décision attaquée, le simple fait que d’autres entreprises puissent recourir à une certaine stratégie de dépôt ne rend pas nécessairement cette stratégie légale et acceptable. Par ailleurs, ainsi que le souligne en substance l’EUIPO, c’est en fonction des circonstances du cas d’espèce qu’il convient d’apprécier si une telle stratégie est conforme ou non au règlement no 207/2009. Or, il ressort des développements qui précèdent que la requérante a délibérément cherché à contourner une règle fondamentale du droit des marques de l’Union européenne, à savoir celle relative à la preuve de l’usage, pour en tirer profit au détriment de l’équilibre du régime issu de ce droit, tel qu’établi par le législateur de l’Union. Par conséquent, si rien n’interdit que le titulaire d’une marque de l’Union européenne puisse effectuer un dépôt réitéré de cette marque, l’intention de la requérante doit être considérée comme contraire aux objectifs du règlement no 207/2009 (voir point 70 ci-dessus). Dans les circonstances particulières de l’espèce, la requérante, afin d’infirmer l’appréciation selon laquelle elle était de mauvaise foi, ne saurait donc utilement invoquer, à les supposer établis, ni le fait qu’il était courant que des entreprises adoptent la même stratégie de dépôt de marques, ni le fait qu’elle avait agi conformément à l’avis d’avocats.

95      Ensuite, s’agissant de l’argument selon lequel, en substance, la chambre de recours aurait modifié la réglementation, ce qu’elle reconnaîtrait au point 87 de la décision attaquée, il ne peut qu’être rejeté. En effet, ainsi que l’observe à juste titre l’intervenante et contrairement à ce que la requérante allègue, la chambre de recours s’est limitée à appliquer la réglementation en vigueur ainsi que la jurisprudence existante et n’a nullement reconnu « modifier la réglementation ». Le fait que la chambre de recours s’est référée, au point 87 de la décision attaquée, à la jurisprudence existante des chambres de recours contredit d’ailleurs l’argument non étayé de la requérante.

96      Enfin, l’allégation selon laquelle la requérante et un nombre important d’autres titulaires de marques se verraient confisquer leurs droits de propriété par l’EUIPO si la décision attaquée était confirmée n’est étayée par aucun élément concret et constitue, dès lors, une simple spéculation qui ne peut qu’être rejetée.

97      Il résulte de ce qui précède que la quatrième branche du premier moyen doit être rejetée.

–       Sur la cinquième branche du premier moyen, tirée de l’erreur commise par la chambre de recours en ce qu’elle a déclaré la nullité de la marque contestée pour les produits dits « liés » couverts par cette marque, alors que ces produits n’étaient pas identiques aux produits couverts par les marques antérieures

98      Dans le cadre de la cinquième branche du premier moyen, la requérante conteste, en substance, l’appréciation de la chambre de recours selon laquelle les produits que sont les « machines de jeux ; appareils à prépaiement (jeux) ; cartes de jeu » couverts par la marque contestée d’une part, et les « jeux, jouets » visés par la marque antérieure no 238 352 d’autre part, sont identiques.

99      Selon elle, le fait d’avoir conclu à l’identité de ces produits révèle le manque de compréhension des différents marchés concernés. En particulier, s’agissant des « appareils à prépaiement (jeux) », la requérante souligne qu’ils font l’objet d’une activité très réglementée et s’adressent aux adultes, qui constituent un public différent de celui auquel sont destinés les jouets ou les jeux de société. Elle ajoute que, en jouant sur un appareil à prépaiement, se pose la question de savoir si cet appareil doit être considéré comme un jeu ou un jouet. C’est pourquoi un système de dépôt tel que celui en cause en l’espèce soulève inévitablement des interrogations dès lors que des produits ne s’inscrivent pas clairement dans une classe ou une autre.

100    L’EUIPO et l’intervenante contestent le bien-fondé de cette branche.

101    À titre liminaire, il convient de relever qu’aucune argumentation spécifique n’est développée par la requérante pour tenter de démontrer que la chambre de recours aurait considéré de façon erronée que les « machines de jeux » et les « cartes de jeu » couvertes par la marque contestée et les « jeux, jouets » visés par la marque antérieure no 238 352 étaient identiques. Elle se borne à présenter, de façon peu étayée, une argumentation relative aux « appareils à prépaiement (jeux) », qui ne seraient pas identiques aux « jeux » couverts par la marque antérieure no 238 352.

102    En l’espèce, il y a lieu de rappeler que, en substance, la chambre de recours a considéré au point 60 de la décision attaquée que les termes généraux « jeux » et « jouets », décrivant certains produits désignés par la marque antérieure no 238 352, englobaient les « machines de jeux ; appareils à prépaiement (jeux) ; cartes de jeu ». Ainsi, elle a estimé que les « jeux » et les « jouets », couverts par la marque antérieure no 238 352, et les « machines de jeux ; appareils à prépaiement (jeux) ; cartes de jeu », visés par la marque contestée, étaient identiques.

103    Cette appréciation de la chambre de recours doit être approuvée.

104    En effet, s’il est vrai que la classification des produits et des services est effectuée à des fins exclusivement administratives, de sorte que les produits et les services ne peuvent être considérés comme semblables au seul motif qu’ils figurent dans la même classe et ne peuvent être considérés comme différents au seul motif qu’ils figurent dans des classes différentes, il y a lieu de relever que, selon une jurisprudence constante, des produits peuvent être considérés comme identiques lorsque les produits visés par la demande de marque sont inclus dans une catégorie plus générale visée par la marque antérieure [voir arrêt du 7 septembre 2006, Meric/OHMI – Arbora & Ausonia (PAM-PIM’S BABY-PROP), T‑133/05, EU:T:2006:247, point 29 et jurisprudence citée].

105    Or, en l’espèce, ainsi que le soutient l’EUIPO, les produits visés par la marque contestée, relevant de la classe 28, que sont les « machines de jeux », les « appareils à prépaiement (jeux) » et les « cartes de jeu », doivent être considérés comme inclus dans la catégorie plus générale des « jeux », relevant également de la classe 28, couverts par la marque antérieure no 238 352. Il est évident que la notion très générale de « jeux » recouvre de nombreux types de jeux, dont ceux visés par la marque contestée mentionnés ci-dessus. Il ne saurait donc être valablement reproché à la chambre de recours d’avoir considéré que les produits que sont les « machines de jeux ; appareils à prépaiement (jeux) ; cartes de jeu », couverts par la marque contestée et relevant de la classe 28, et les « jeux », visés par la marque antérieure no 238 352 et relevant également de la classe 28, étaient identiques.

106    Enfin, ne sont pas pertinents les arguments de la requérante selon lesquels les « appareils à prépaiement (jeux) » font l’objet d’une activité très réglementée et s’adressent aux adultes, lesquels constituent un public différent de celui auquel sont destinés les jouets ou les jeux de société. En effet, comme cela a déjà été constaté au point 105 ci-dessus, la catégorie des « jeux », couverts par la marque antérieure no 238 352, est suffisamment large pour inclure les « machines de jeux », les « appareils à prépaiement (jeux) » et les « cartes de jeu », visés par la marque contestée, et, partant, pour qu’il puisse être considéré que lesdits produits couverts par ces deux marques sont identiques.

107    Il résulte de ce qui précède que la cinquième branche du premier moyen doit être rejetée.

–       Sur la sixième branche du premier moyen, tirée de l’erreur commise par la chambre de recours en ce qu’elle aurait considéré que le comportement de la requérante n’avait pas permis des gains d’efficacité administrative

108    Dans le cadre de la sixième branche du premier moyen, la requérante conteste l’appréciation figurant au point 73 de la décision attaquée, selon laquelle, en substance, il était difficile de voir comment la charge administrative pesant sur elle pourrait être réduite par le dépôt réitéré d’une marque identique aux marques antérieures. Selon elle, elle a produit de nombreux éléments de preuve, notamment le témoignage, démontrant que cette pratique lui aurait permis d’être administrativement plus efficace, alors que l’appréciation contraire de la chambre de recours ne reposerait sur aucun élément.

109    L’EUIPO et l’intervenante contestent le bien-fondé de cette branche.

110    En l’espèce, il convient de souligner que l’appréciation figurant au point 73 de la décision attaquée est fondée sur la constatation du fait que la requérante n’a renoncé à aucune de ses marques antérieures, lesquelles sont à présent couvertes par la marque contestée. Par ailleurs, la chambre de recours a souligné que, ainsi que l’avait fait valoir l’intervenante, le « maintien des marques identiques existantes entraîn[ait] une accumulation de marques […], qui nécessit[ait] un surcroît de travail administratif et un investissement accru en raison, par exemple, du paiement des taxes de dépôt et des frais de dépôt liés aux représentants légaux pour chaque marque demandée et enregistrée, du coût des taxes de renouvellement pour chaque marque, des frais de suivi administratif au sein de l’entreprise de la titulaire et du cabinet d’avocats, des frais de surveillance et de contrôle des différentes marques visant à garantir l’absence de marques identiques et/ou similaires, ainsi que des frais liés aux procédures d’opposition engagées pour défendre chacune de ces différentes marques ».

111    Dans ces conditions, la requérante ne saurait valablement soutenir que la chambre de recours a opéré l’appréciation figurant au point 73 de la décision attaquée sans disposer du moindre élément de preuve et en se fondant uniquement sur sa propre conviction.

112    Quant à l’argument de la requérante selon lequel elle aurait produit des éléments prouvant l’efficacité administrative liée au dépôt de la demande d’enregistrement de la marque contestée, force est de constater qu’il n’est aucunement étayé. En effet, elle se borne à indiquer, d’une part, que le dépôt de la marque contestée « était la manière dont la requérante gérait son énorme portefeuille de marques » et, d’autre part, qu’elle utilise un système informatisé d’enregistrement, de sorte que l’introduction d’une marque supplémentaire dans ce système ne serait pas un acte administrativement difficile.

113    Enfin, s’agissant de l’argument selon lequel, dans le cadre de l’appréciation concernée, la chambre de recours n’aurait pas tenu compte de l’importance de la question de la priorité attachée aux marques antérieures lorsque leur titulaire prend une décision quant à leur éventuel renouvellement, il ne peut qu’être rejeté dès lors qu’il est dénué de pertinence concernant la question de savoir si la charge administrative pesant sur la requérante pouvait être réduite par le dépôt réitéré d’une marque identique aux marques antérieures.

114    Il résulte de ce qui précède qu’il y a lieu de rejeter la sixième branche du premier moyen et, partant, le premier moyen dans son ensemble.

 Sur le second moyen, tiré d’une violation du droit à un procès équitable

115    Dans le cadre du second moyen, la requérante fait grief à la chambre de recours, premièrement, d’avoir violé son droit à un procès équitable, au motif qu’elle aurait fondé son appréciation sur certains aspects du litige qu’elle n’a pas soumis à la requérante, en violation du droit à une procédure impartiale, deuxièmement, d’avoir statué comme une juridiction de première instance, la privant de ce fait d’un niveau de recours, et, troisièmement, d’avoir pris en considération d’autres affaires concernant les marques antérieures sans en informer la requérante.

116    L’EUIPO et l’intervenante contestent le bien-fondé du second moyen.

117    À titre liminaire, il convient de rappeler, s’agissant de la violation du droit à un procès équitable invoquée par la requérante, que, selon la jurisprudence, l’application aux procédures devant les chambres de recours de l’EUIPO du droit à un « procès » équitable est exclue, étant donné que ces procédures revêtent non pas une nature juridictionnelle, mais une nature administrative [voir, en ce sens, arrêts du 12 décembre 2014, Comptoir d’Épicure/OHMI – A-Rosa Akademie (da rosa), T‑405/13, non publié, EU:T:2014:1072, point 71, et du 3 mai 2018, Raise Conseil/EUIPO – Raizers (RAISE), T‑463/17, non publié, EU:T:2018:249, point 22 et jurisprudence citée]. Il s’ensuit que le second moyen de la requérante, en ce qu’il est tiré d’une violation du droit à un procès équitable, doit être écarté comme étant non fondé.

118    À supposer que le second moyen doive être interprété en ce sens que la requérante invoque une violation de son droit d’être entendue en vertu de l’article 75 du règlement no 207/2009 (devenu article 94, paragraphe 1, du règlement 2017/1001), il convient également de le rejeter.

119    À cet égard, il convient de rappeler que, selon l’article 75 du règlement no 207/2009, les décisions de l’EUIPO ne peuvent être fondées que sur des motifs ou des preuves au sujet desquels les parties ont pu prendre position. Cette disposition constitue une application spécifique du principe général de protection des droits de la défense, consacré, par ailleurs, à l’article 41, paragraphe 2, sous a), de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, selon lequel les personnes dont les intérêts sont affectés par des décisions des autorités publiques doivent être mises en mesure de faire connaître utilement leur point de vue [voir arrêt du 8 février 2013, Piotrowski/OHMI (MEDIGYM), T‑33/12, non publié, EU:T:2013:71, point 16 et jurisprudence citée].

120    Le droit d’être entendu prévu à l’article 75 du règlement no 207/2009 s’étend à tous les éléments de fait ou de droit qui constituent le fondement de l’acte décisionnel, mais non à la position finale que l’administration entend adopter (voir ordonnance du 8 septembre 2015, DTL Corporación/OHMI, C‑62/15 P, non publiée, EU:C:2015:568, point 45 et jurisprudence citée).

121    Il y a lieu d’ajouter que, en l’espèce, ainsi que le font, en substance, valoir tant l’EUIPO que l’intervenante, il ressort du déroulement de la procédure ayant eu lieu devant les instances de l’EUIPO que les parties ont eu l’occasion de débattre des différents aspects de la présente affaire. Ainsi, le 12 novembre 2018, la requérante a déposé le témoignage. L’audience devant la chambre de recours a eu lieu le 19 novembre 2018. Le 21 janvier 2019, l’intervenante a déposé des observations sur le procès-verbal et le contenu de la procédure orale, par lesquelles elle demandait qu’il ne soit pas tenu compte du témoignage, et la requérante y a répondu le 22 février 2019.

122    Or, force est de constater que la requérante n’a pas établi qu’elle aurait été privée de la possibilité de se prononcer sur certains aspects du litige sur lesquels la chambre de recours a fondé sa position finale. Partant, indépendamment de son caractère peu étayé, l’argument de la requérante selon lequel elle n’aurait pas été spécifiquement interrogée sur certains aspects du litige ne saurait prospérer.

123    Enfin, en tout état de cause, il découle de la jurisprudence que les droits de la défense ne sont violés du fait d’une irrégularité procédurale que dans la mesure où celle-ci a eu une incidence concrète sur la possibilité pour les entreprises mises en cause de se défendre. Ainsi, le non-respect des règles en vigueur ayant pour finalité de protéger les droits de la défense n’est susceptible de vicier la procédure administrative que s’il est établi que celle-ci aurait pu aboutir à un résultat différent en son absence [voir arrêt du 12 mai 2009, Jurado Hermanos/OHMI (JURADO), T‑410/07, EU:T:2009:153, point 32 et jurisprudence citée].

124    Or, en l’espèce, la requérante ne fait état d’aucun fait ni ne présente aucun argument de nature à démontrer que, si elle avait été consultée par la chambre de recours sur certains aspects du litige, la procédure administrative aurait pu aboutir à un résultat différent. Elle ne fournit aucune information sur les possibilités de se défendre dont elle aurait été privée ni sur les éléments qu’elle aurait produits ou fait valoir si elle avait eu l’opportunité de prendre position sur les questions qui, selon elle, auraient dû lui être posées.

125    Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de rejeter le second moyen et, partant, le recours dans son ensemble, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur l’argument de l’intervenante excipant de l’irrecevabilité de certaines annexes produites par la requérante devant le Tribunal.

 Sur les dépens

126    Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé en ses conclusions, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de l’EUIPO et de l’intervenante.

127    L’intervenante a conclu, en outre, à ce que la requérante soit condamnée à lui rembourser les frais qu’elle a exposés aux fins de la procédure devant la chambre de recours de l’EUIPO. À cet égard, il convient de rappeler que, en vertu de l’article 190, paragraphe 2, du règlement de procédure, les frais indispensables exposés par les parties aux fins de la procédure devant la chambre de recours sont considérés comme dépens récupérables. Partant, la demande de l’intervenante tendant à ce que la requérante soit condamnée à rembourser les frais indispensables exposés par elle aux fins de la procédure devant la deuxième chambre de recours de l’EUIPO doit être accueillie.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (sixième chambre élargie)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Hasbro, Inc., est condamnée aux dépens, y compris à ceux exposés par Kreativni Događaji d.o.o. aux fins de la procédure devant la deuxième chambre  de recours de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO).



Marcoulli

Frimodt Nielsen

Schwarcz

Iliopoulos

 

      Norkus

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 21 avril 2021.

 

Signatures      

 

*      Langue de procédure : l’anglais.