ARRÊT DU TRIBUNAL (quatrième chambre élargie)

9 juin 2021 (*)

« Fonction publique – Personnel de la BCE – Remboursement de frais médicaux et de frais scolaires – Falsification – Procédure disciplinaire – Licenciement – Procédure pénale – Classement sans suite – Acquittement – Compétence du directoire – Sécurité juridique – Prescription de l’action disciplinaire – Adage selon lequel le pénal tient le disciplinaire en l’état – Présomption d’innocence – Impartialité du comité de discipline – Erreur de droit – Force probante des éléments de preuve – Délai raisonnable – Proportionnalité de la sanction – Intensité du contrôle juridictionnel – Responsabilité »

Dans l’affaire T‑514/19,

DI, représenté par Me L. Levi, avocate,

partie requérante,

contre

Banque centrale européenne (BCE), représentée par MM. F. Malfrère et F. von Lindeiner, en qualité d’agents, assistés de Me B. Wägenbaur, avocat,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 270 TFUE et sur l’article 50 bis du statut de la Cour de justice de l’Union européenne et tendant, premièrement, à l’annulation des décisions de la BCE du 7 mai 2019 licenciant le requérant sans préavis pour motif disciplinaire et du 25 juin 2019 refusant de rouvrir la procédure, deuxièmement, à ce que sa réintégration soit ordonnée à compter du 11 mai 2019 et, troisièmement, à la réparation du préjudice moral qu’il aurait prétendument subi à la suite de ces décisions et en raison de la durée de la procédure disciplinaire,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre élargie),

composé de MM. S. Gervasoni, président, L. Madise, P. Nihoul, Mme R. Frendo (rapporteure) et M. J. Martín y Pérez de Nanclares, juges,

greffier : M. P. Cullen, administrateur,

vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience du 9 octobre 2020,

rend le présent

Arrêt

I.      Antécédents du litige

1        Le requérant, DI, a rejoint le personnel de la Banque centrale européenne (BCE ou ci-après la « Banque ») en 1999. Il exerçait les fonctions d’assistant principal en informatique, classé au grade de salaire D, quand il a fait l’objet d’une procédure disciplinaire portant sur des demandes de remboursement, premièrement, de factures pour des prestations de physiothérapie, deuxièmement, de reçus de frais de pharmacies et, troisièmement, de factures de soutien scolaire.

2        Par plusieurs notes échelonnées du 13 décembre 2013 au 23 novembre 2015, la société gestionnaire du régime d’assurance santé de la BCE (ci-après la « société A ») a informé celle-ci de deux séries de faits. D’une part, le requérant lui aurait irrégulièrement soumis pour remboursement des factures de physiothérapie, alors que celles-ci auraient été fournies par B, une esthéticienne, et, d’autre part, il lui aurait également demandé le remboursement de faux reçus de frais pharmaceutiques.

3        Le 14 mai 2014, la BCE a dénoncé au Staatsanwaltschaft Frankfurt am Main (ministère public de Francfort-sur-le-Main, Allemagne, ci-après le « ministère public ») les faits concernant le remboursement des factures de physiothérapie.

4        Par décision du 21 octobre 2014, le directoire de la BCE a décidé de suspendre le requérant de ses fonctions et de retenir, pour une période maximale de quatre mois, 30 % de son salaire de base à compter du mois de novembre 2014. Cette décision était motivée par les informations fournies par la société A et par la nécessité de préserver l’enquête pénale et les suites disciplinaires.

5        Le 23 janvier 2015, la BCE a communiqué au ministère public les informations complémentaires que la société A lui avait fournies en ce qui concernait les demandes de remboursement des reçus pharmaceutiques.

6        Après audition du requérant le 3 février 2016, la direction générale (DG) « Ressources humaines, budget et organisation » de la BCE a établi, le 8 septembre 2016, un « rapport sur un éventuel manquement aux obligations professionnelles » (ci-après le « rapport no 1 »), au titre de l’article 8.3.2 des règles applicables au personnel de la BCE (ci-après les « règles applicables au personnel »). Ce rapport retenait deux séries de faits à la charge du requérant. En premier lieu, du 12 novembre 2009 au 29 septembre 2014, le requérant aurait présenté à la société A 86 factures relatives à des séances de physiothérapie prodiguées par B à son épouse, à leurs enfants, ainsi qu’à lui-même pour un montant de 61 490 euros, dont il aurait obtenu un remboursement à concurrence de 56 041,09 euros, alors que B ne serait pas physiothérapeute, mais esthéticienne. En second lieu, entre février 2009 et septembre 2013, le requérant aurait également présenté frauduleusement à la société A des reçus de pharmacies manuscrits pour un montant total de 21 289,08 euros, dont elle aurait remboursé 19 427,86 euros.

7        Le 12 septembre 2016, le ministère public a établi un réquisitoire inculpant formellement le requérant et le renvoyant devant le juge pénal pour le chef d’escroquerie au sens de l’article 263, paragraphe 1, du Strafgesetzbuch (code pénal allemand) et de falsification de documents au titre de l’article 267 du même code pour avoir indument demandé le remboursement de 71 factures de soins de physiothérapie. Dans le même réquisitoire, le ministère public a classé sans suite, conformément à l’article 154 du Strafprozessordnung (code de procédure pénale allemand), le volet de l’affaire relatif aux reçus pharmaceutiques, dans la mesure où les faits reprochés nécessitaient encore des mesures d’instruction d’envergure.

8        Le 18 novembre 2016, le secrétaire général des services de la BCE « agissant au nom du directoire » a ouvert une procédure disciplinaire contre le requérant pour un manquement présumé à ses obligations professionnelles nécessitant la saisine du comité de discipline et a demandé à ce dernier de rendre un avis conformément à l’article 8.3.15 des règles applicables au personnel. Ouverte au vu du rapport no 1, cette procédure portait sur les faits relatifs aux factures de physiothérapie et aux reçus de pharmacies.

9        Le comité de discipline a échangé plusieurs courriers avec le requérant et l’a entendu le 13 février 2017.

10      Le 5 septembre 2017, la DG « Ressources humaines, budget et organisation » de la BCE a établi un second « rapport sur un éventuel manquement aux obligations professionnelles » au sens de l’article 8.3.2 des règles applicables au personnel (ci-après le « rapport no 2 »). Ce rapport concernait des factures de soutien scolaire pour les deux enfants du requérant dont celui-ci avait demandé le remboursement au titre de l’article 3.8.4 des règles applicables au personnel en 2010, 2012 et 2014 et, de nouveau, en janvier 2017. Selon ce rapport, il existait un soupçon raisonnable que les factures émises par la répétitrice C au titre du soutien scolaire ne fussent pas sincères et véritables.

11      Au vu du rapport no 2, le secrétaire général des services, « agissant au nom du directoire », a décidé, le 19 septembre 2017, d’étendre à ces faits le mandat du comité de discipline.

12      Le 12 octobre 2017, la BCE a dénoncé au ministère public le volet de l’affaire relatif aux factures de soutien scolaire.

13      Le comité de discipline a entendu le requérant et son épouse le 17 octobre 2017.

14      Le 18 octobre 2017, une chambre pénale du Landgericht Frankfurt am Main (tribunal régional de Francfort-sur-le-Main, Allemagne) a acquitté le requérant des accusations relatives aux factures de physiothérapie pour des « raisons de fait », la juridiction ayant acquis la conviction, « à l’issue de l’audience […], que les faits reprochés dans le réquisitoire n’[« étaient] pas établis ».

15      Le 11 avril 2018, le comité de discipline a rendu son avis. Tout d’abord, il a considéré que l’inauthenticité des factures de physiothérapie n’était pas suffisamment établie, mais que le requérant savait que B n’était pas une physiothérapeute, mais une esthéticienne, ou qu’il aurait à tout le moins dû s’interroger sur sa qualification. Ensuite, le comité de discipline a estimé que les faits à l’origine des reproches concernant la présentation des reçus pharmaceutiques et les factures de soutien scolaire n’étaient pas davantage suffisamment établis et qu’il convenait de clore la procédure à ce propos, sous réserve de rouvrir celle-ci au cas où de nouvelles preuves seraient produites. Au vu de ce qui précède, le comité de discipline a recommandé que soit infligée au requérant une sanction consistant en une réduction de salaire temporaire de 400 euros par mois sur une période de douze mois.

16      Après que le requérant eut présenté ses observations sur l’avis du comité de discipline du 11 avril 2018, le secrétaire général des services lui a notifié une décision du directoire du 10 juillet 2018 d’exercer en l’occurrence lui-même le pouvoir disciplinaire (ci-après la « décision du 10 juillet 2018 »).

17      Le secrétaire général des services a par la suite notifié au requérant un projet de décision du directoire tendant à le licencier sans préavis. Il s’en est suivi un échange de courriers.

18      Le 7 mai 2019, le directoire a décidé de licencier le requérant sans préavis (ci-après la « décision de licenciement »).

19      Premièrement, le directoire a considéré, d’une part, que, « [p]endant presque cinq ans, [le requérant] a[vait] manifesté une indifférence totale et persistante à l’égard de la question de savoir si [B] possédait les qualifications requises pour fournir des services de physiothérapie, malgré les raisons claires et objectives de s’enquérir de ses qualifications », et, d’autre part, qu’il avait « activement caché une part d’informations » à la société A et à la BCE.

20      Deuxièmement, en ce qui concerne les reçus pharmaceutiques, au nombre de plus de 500, le directoire a estimé que le requérant ne pouvait pas ne pas s’être rendu compte que leur établissement sous une forme manuscrite était très inhabituel en Allemagne et qu’il y avait des indices objectifs prouvant qu’ils n’étaient pas sincères et véritables.

21      Troisièmement, en ce qui concerne les factures de soutien scolaire, le directoire a notamment constaté que le numéro fiscal figurant sur celles-ci était presque identique à celui mentionné sur les factures de physiothérapie et que l’administration des finances de Francfort-sur-le-Main (Allemagne) avait confirmé qu’il n’était pas vrai. Le directoire a également observé que l’adresse de C indiquée sur ces factures était elle aussi quasiment identique à celle de B. La BCE a dès lors estimé qu’il était hautement improbable que le requérant n’ait pas relevé ces similitudes. En conséquence, le directoire a considéré que le requérant avait présenté en vue de leur remboursement des factures de soutien scolaire qui n’étaient pas sincères et véritables.

22      Au vu de tout ce qui précède, le directoire a, en substance, fait état de ce que le droit de demander le remboursement de dépenses médicales et de soutien scolaire ne signifiait pas que les membres du personnel pouvaient ne pas tenir compte de circonstances entachant la délivrance de factures ou de reçus qui étaient telles que toute personne raisonnablement prudente se serait posé des questions quant à savoir si ces factures ou reçus constituaient une documentation appropriée ouvrant le droit à leur remboursement. En présence de telles circonstances, le directoire a estimé qu’il incombait aux membres du personnel d’en informer au minimum spontanément l’administration et de coopérer avec celle-ci. Le directoire est dès lors parvenu à la conclusion que le requérant était coupable, premièrement, d’avoir méconnu son devoir de loyauté envers l’institution, deuxièmement, d’avoir manqué à son obligation de respecter les valeurs communes de la BCE et de mener ses vies professionnelle et privée en accord avec le statut de celle-ci, troisièmement, d’avoir manqué, de manière continue, à son devoir de préserver les intérêts financiers de l’institution et, quatrièmement, d’avoir risqué la réputation de la Banque.

23      Entretemps, le 30 avril 2019, le ministère public a informé le requérant que l’enquête relative aux factures de soutien scolaire était close en application de l’article 170, paragraphe 2, du code de procédure pénale, et ce au motif qu’il n’y avait pas de soupçons suffisants pour engager l’action publique.

24      Par courrier du même jour, enregistré par la BCE le 15 mai suivant, le ministère public a également informé la BCE que cette enquête avait été classée. Dans ce courrier, le ministère public ajoutait que des recherches avaient révélé qu’il n’existait pas d’enregistrement officiel de C et que le numéro fiscal figurant sur ses factures n’avait pas été attribué. Toutefois, le ministère public estimait qu’il ne pouvait être exclu que les factures en question eussent bien été émises et payées par l’accusé et que les faux renseignements qu’elles contenaient pouvaient s’expliquer par « d’autres raisons ».

25      Par lettre du 12 juin 2019, le requérant a informé le secrétaire général des services du résultat de la procédure diligentée par le ministère public à propos des factures de soutien scolaire et a demandé que la BCE revoie sa décision de licenciement.

26      Par lettre du 26 juin 2019, le secrétaire général des services a informé le requérant de la décision du directoire du 25 juin précédent de ne pas rouvrir la procédure disciplinaire (ci-après le « refus de rouvrir la procédure »). Cette décision repose sur deux motifs. La BCE a, tout d’abord, fait valoir que le ministère public devait rechercher si les faits allégués constituaient une violation du droit pénal allemand au vu des critères de preuve applicables aux procédures pénales, tandis qu’elle devait rechercher si les faits allégués constituaient une violation de ses propres règles en matière d’emploi au vu de critères de preuve différents applicables aux procédures disciplinaires. Elle a, ensuite, exposé que le ministère public avait confirmé qu’il n’existait pas d’enregistrement officiel de C et que le numéro fiscal figurant sur les factures n’était pas vrai.

II.    Procédure et conclusions des parties

27      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 18 juillet 2019, le requérant a introduit le présent recours.

28      La BCE a déposé le mémoire en défense le 8 novembre 2019.

29      Le 22 janvier 2020, le requérant a déposé la réplique.

30      Le 6 mars 2020, la BCE a déposé la duplique.

31      Le 7 juillet 2020, le Tribunal a invité la BCE, par la voie d’une mesure d’organisation de la procédure fondée sur l’article 89, paragraphe 3, sous d), de son règlement de procédure, à produire deux documents. La BCE a déféré à la mesure d’organisation de la procédure dans le délai imparti.

32      Sur proposition de la quatrième chambre, le Tribunal a décidé, en application de l’article 28 du règlement de procédure, de renvoyer l’affaire devant une formation de jugement élargie.

33      Sur proposition de la juge rapporteure, le Tribunal (quatrième chambre élargie) a décidé d’ouvrir la phase orale de la procédure et, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 89 du règlement de procédure, a posé aux parties des questions écrites, en les invitant à y répondre lors de l’audience.

34      Le requérant conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision de licenciement et la décision de ne pas rouvrir la procédure (ci-après, prises ensemble, les « décisions attaquées ») ;

–        en conséquence, ordonner sa réintégration dans ses fonctions à compter du 11 mai 2019, assortie de tous les droits financiers y afférents et de la publicité appropriée afin de le rétablir dans son honneur ;

–        en tout état de cause, condamner la BCE à l’indemniser du préjudice moral qu’il a subi et qu’il évalue ex æquo et bono à 20 000 euros ;

–        condamner la BCE aux dépens.

35      La BCE conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner le requérant aux dépens ;

–        pour autant que de besoin, citer comme témoin le requérant, son épouse et ses enfants, ainsi éventuellement que B, pour les entendre au sujet des factures de physiothérapie, ou, à tout le moins, entendre à ce propos le requérant en tant que partie au présent litige.

III. En droit

A.      Sur le premier chef de conclusions, tendant à l’annulation des décisions attaquées

1.      Remarques liminaires

36      À l’appui de ses conclusions en annulation, le requérant soulève neuf moyens. Au vu du contenu de la requête, il y a toutefois lieu d’en dénombrer dix, tirés :

–        le premier, de l’incompétence de l’auteur des décisions attaquées ;

–        le deuxième, de la violation de l’article 8.3.2 des règles applicables au personnel et du principe de sécurité juridique ;

–        le troisième, de la violation de l’adage « le pénal tient le disciplinaire en l’état », du principe de bonne administration et du devoir de sollicitude ;

–        le quatrième, de la violation de l’article 8.3.7 des règles applicables au personnel et du principe d’impartialité tel qu’il est consacré à l’article 41 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte ») ;

–        le cinquième, d’une violation des droits de la défense ;

–        le sixième, d’erreurs manifestes d’appréciation ;

–        le septième, de la violation du droit à la présomption d’innocence et de l’article 48 de la Charte ;

–        le huitième, de la violation du délai raisonnable et du devoir de sollicitude ;

–        le neuvième, de la violation de l’obligation de motivation ;

–        le dixième, formulé à titre subsidiaire, de la violation du principe de proportionnalité.

37      Toutefois, il y a lieu d’examiner ensemble les troisième et septième moyens ci-dessus.

38      Par ailleurs, la BCE fait valoir, de manière générale, que seul le premier moyen, tiré de l’incompétence de l’auteur de l’acte, est susceptible d’être rattaché à la demande tendant à l’annulation du refus de rouvrir la procédure.

39      Il convient néanmoins de relever que, même si le requérant dirige essentiellement ses griefs contre la décision de licenciement, les troisième et septième moyens, tirés en substance de la méconnaissance de l’adage « le pénal tient le disciplinaire en l’état » et de la violation du droit à la présomption d’innocence, sont tout autant dirigés contre le refus de rouvrir la procédure au vu de la décision du ministère public de clore l’enquête concernant les factures de soutien scolaire. De plus, dans le cas où la décision de licenciement devrait être annulée, le refus de rouvrir la procédure devrait l’être également, par voie de conséquence et par souci de sécurité juridique, afin d’éliminer toute entrave potentielle à l’obligation pour la BCE de prendre, conformément à l’article 266 TFUE, les mesures qu’impliquerait l’exécution de l’arrêt.

2.      Sur le premier moyen, tiré de l’incompétence de l’auteur des décisions attaquées

40      En vertu de l’article 44, sous ii), des conditions d’emploi du personnel de la BCE (ci-après les « conditions d’emploi »), le directoire peut imposer un licenciement avec ou sans préavis comme sanction disciplinaire. L’article 8.3.17 des règles applicables au personnel dispose cependant que « [l]e secrétaire général des services, agissant pour le compte du directoire, pour les membres du personnel situés au grade de salaire I ou en dessous, […] décide de la sanction disciplinaire la plus appropriée ».

41      En l’espèce, le directoire a pris les décisions attaquées, alors que, selon le requérant, elles relevaient de la compétence du secrétaire général des services, en vertu de la délégation de compétence prévue par l’article 8.3.17 des règles applicables au personnel.

42      Comme le fait toutefois valoir la BCE, le 10 juillet 2018, soit avant d’adopter la décision de licenciement, le directoire a pris la décision d’exercer lui-même le pouvoir disciplinaire envers le requérant (voir point 16 ci-dessus).

43      Le requérant estime cependant que le retrait de la délégation au secrétaire général des services nécessitait la consultation préalable du comité du personnel. Il considère dès lors que, en l’absence d’une telle consultation, la décision du 10 juillet 2018 était irrégulière, avec pour conséquence que le directoire a pris la décision de licenciement en lieu et place de l’autorité légalement compétente.

44      Pour justifier le fait que le comité du personnel aurait dû être consulté, le requérant fait valoir, en premier lieu, que la décision du 10 juillet 2018 constituait une modification des règles applicables au personnel et qu’une telle modification exige la consultation de ce comité conformément à l’article 21 du règlement intérieur de la BCE et du principe du parallélisme des procédures.

45      Toutefois, contrairement à ce que soutient le requérant, la décision du 10 juillet 2018 n’a pas abrogé l’article 8.3.17 des règles applicables au personnel. Comme il le reconnaît lui-même dans la réplique, cette décision n’a concerné que lui et uniquement l’affaire en cause. Elle a donc seulement une portée individuelle.

46      Or, l’obligation de consultation du comité du personnel est limitée à la modification d’actes de portée générale (ordonnance du 9 novembre 2017, Bowles/BCE, T‑564/16, non publiée, EU:T:2017:816, point 48). En effet, l’article 48 des conditions d’emploi dispose que le comité du personnel « représente les intérêts généraux de tous les membres du personnel en matière de contrats de travail, de réglementations du personnel et de rémunérations, de conditions d’emploi, de travail, de santé et de sécurité à la BCE, de couverture sociale et de régimes de retraite ». Par ailleurs, selon l’article 49 des mêmes conditions d’emploi, « le comité du personnel est consulté préalablement à toute modification des présentes conditions d’emploi, des règles applicables au personnel et des questions connexes, telles que définies à l’article 48 ci-dessus ».

47      Le requérant fait néanmoins valoir, en second lieu, que, même s’il était seul concerné par la décision du 10 juillet 2018, la possibilité pour le directoire d’évoquer des cas individuels a pour conséquence que l’article 8.3.17 des règles applicables au personnel ne saurait être regardé comme une disposition définitive, mais comme une disposition modifiable au gré de la BCE. Or, en matière disciplinaire, la sécurité juridique et la publicité seraient indispensables. Dans ces conditions, le requérant estime que la consultation du comité du personnel aurait présenté une utilité.

48      Il convient d’observer, à cet égard, que le directoire est responsable de la gestion courante de la BCE en vertu de l’article 11.6 du protocole sur les statuts du Système européen de banques centrales et de la BCE et que l’article 44, ii), des conditions d’emploi lui reconnaît plus précisément la compétence d’adopter des décisions de licenciement sans préavis.

49      Dans ces conditions, en confiant au secrétaire général des services le soin d’adopter des décisions individuelles de licenciement « pour le compte du directoire », l’article 8.3.17 des règles applicables au personnel s’inscrit dans le cadre du large pouvoir d’appréciation dont les institutions de l’Union européenne disposent sur le plan interne pour s’organiser en fonction de leurs besoins (voir, en ce sens, arrêt du 26 mai 2005, Tralli/BCE, C‑301/02 P, EU:C:2005:306, point 58). Or, si le principe de sécurité juridique, invoqué par le requérant, impose à l’administration, lorsqu’elle adopte des normes, de les rédiger de façon à ce qu’elles soient suffisamment claires pour que les justiciables puissent connaître sans ambiguïté leurs droits et obligations et ainsi prendre leurs dispositions en conséquence, ce principe n’impose pas à la BCE de restreindre le pouvoir d’appréciation dont elle dispose pour s’organiser (voir, par analogie, arrêt du 24 septembre 2019, US/BCE, T‑255/18, non publié, EU:T:2019:680, point 90). Partant, le principe de sécurité juridique ne s’oppose pas à ce que l’article 8.3.17 susmentionné soit interprété en ce sens que les décisions du secrétaire général des services en la matière expriment celles du directoire, qui en assume pleinement la responsabilité et auquel elles sont imputables juridiquement.

50      Par ailleurs, les règles d’une bonne administration en matière de gestion du personnel supposent certes que la répartition des compétences au sein de la BCE soit clairement définie et dument publiée (arrêt du 9 juillet 2008, Kuchta/BCE, F‑89/07, EU:F:2008:97, point 62). En l’espèce, l’article 8.3.17 des règles applicables au personnel est publié et la BCE a justifié le choix de ne pas rendre publique la décision du 10 juillet 2018 dans l’intérêt du requérant, pour préserver sa réputation à un moment où il ne pouvait être préjugé du résultat final de la procédure disciplinaire. De plus, le requérant a reçu notification de cette décision et en a ainsi été informé.

51      Par conséquent, la décision du directoire d’exercer directement le pouvoir disciplinaire dans le cas individuel du requérant n’aboutit pas à une modification des règles applicables au personnel qui aurait nécessité la consultation du comité du personnel dans un souci de sécurité juridique et de publicité, comme le prétend le requérant.

52      Au demeurant, il convient de relever que le requérant n’a été privé d’aucune garantie. Au contraire, l’exercice collégial d’une compétence, comme en l’espèce, offre, en principe, plus de protection aux destinataires des mesures à prendre qu’une compétence exercée par une seule personne (voir, en ce sens, arrêt du 19 septembre 2019, GE Healthcare/Commission, T‑783/17, EU:T:2019:624, point 182).

53      Le premier moyen n’est donc pas fondé.

3.      Sur le deuxième moyen, tiré de la violation de l’article 8.3.2 des règles applicables au personnel et du principe de sécurité juridique

54      L’article 8.3.2, troisième tiret, des règles applicables au personnel dispose que « [l]a procédure disciplinaire doit être ouverte au plus tard cinq ans après la survenance des faits et dans l’année de leur découverte, sauf en cas de faute grave susceptible d’entraîner un licenciement, hypothèse dans laquelle les délais sont respectivement de 10 ans et d’un an ».

55      Le requérant fait valoir que les faits étaient prescrits en vertu de cette disposition en raison de l’expiration du délai d’un an à compter de la découverte des faits.

a)      Sur le caractère obligatoire ou non du délai d’un an

56      La BCE soutient que le délai d’un an prévu par l’article 8.3.2 des règles applicables au personnel n’est pas impératif. Elle soutient que, selon la jurisprudence, le dépassement d’un délai n’emporterait l’annulation d’un acte que s’il est déraisonnable, en ce sens qu’il affecterait les droits de la défense, ce que le requérant ne prétendrait pas.

57      Bien qu’il soit présenté à titre subsidiaire, cet argument doit être examiné en premier lieu.

58      Il convient de rappeler, à cet égard, qu’un délai de prescription a pour fonction d’assurer la sécurité juridique et que cette exigence fondamentale s’oppose à ce que l’administration puisse retarder indéfiniment l’exercice de ses pouvoirs (voir, en ce sens, arrêts du 10 juin 2004, François/Commission, T‑307/01, EU:T:2004:180, points 45 et 46, et du 8 mars 2012, Kerstens/Commission, F‑12/10, EU:F:2012:29, points 122 et 123). Par conséquent, en présence de dispositions fixant des délais de prescription pour l’ouverture d’une procédure disciplinaire, toute considération liée à un délai raisonnable doit être écartée (voir, en ce sens et par analogie, arrêts du 13 novembre 2014, Nencini/Parlement, C‑447/13 P, EU:C:2014:2372, points 52 à 54, et du 18 juin 2008, Hoechst/Commission, T‑410/03, EU:T:2008:211, point 224). S’il a été admis que les délais en matière disciplinaire n’étaient pas péremptoires, il n’en a été jugé ainsi que pour ceux relatifs au déroulement de la procédure (arrêt du 17 mars 2015, AX/BCE, F‑73/13, EU:F:2015:9, point 174 ; voir également, en ce qui concerne les délais mentionnés à la section 5 de l’annexe IX du statut des fonctionnaires de l’Union européenne, arrêt du 8 mars 2012, Kerstens/Commission, F‑12/10, EU:F:2012:29, point 124), et non pour ceux concernant son déclenchement.

59      C’est dès lors à tort que la BCE soutient que le délai de prescription d’un an prévu à l’article 8.3.2 des règles applicables au personnel n’est pas impératif.

60      Cela étant, la BCE soutient que les faits n’étaient pas prescrits en l’espèce.

b)      Sur la question de savoir si les faits étaient prescrits

1)      Sur la notion de « découverte des faits » faisant courir le délai de prescription d’un an

61      La BCE fait observer que, selon l’article 8.3.2 des règles applicables au personnel, le délai de prescription d’un an ne commence à courir qu’à compter de la découverte des faits. Il convient, dès lors, d’établir ce que recouvre cette notion.

62      Il résulte, à cet égard, de l’article 8.3.15 des règles applicables au personnel que la mission du comité de discipline consiste notamment à rechercher et à établir les faits aussi minutieusement que possible. De plus, aux termes de l’article 8.3.14 desdites règles, ledit comité peut demander à l’un de ses membres d’effectuer des enquêtes supplémentaires s’il considère que son information n’est pas suffisante. Il s’ensuit que l’objet de la procédure disciplinaire consiste à déterminer définitivement les faits et à les établir au terme d’un processus contradictoire.

63      Partant, la notion de découverte des faits ne saurait exiger une connaissance précise et circonstanciée de tous les faits constitutifs d’un manquement disciplinaire (voir, par analogie, arrêt du 8 novembre 2012, Evropaïki Dynamiki/Commission, C‑469/11 P, EU:C:2012:705, point 37). En outre, cette notion ne requiert pas que les faits soient définitivement établis, car leur découverte renvoie à leur connaissance, et non à leur preuve (voir, par analogie, ordonnance du 27 avril 2017, CJ/ECDC, T‑696/16 REV et T‑697/16 REV, non publiée, EU:T:2017:318, point 39).

64      Dès lors, il y a lieu d’admettre, comme le soutient la Banque, que la découverte des faits au sens de l’article 8.3.2 des règles applicables au personnel se situe au moment où les faits connus sont suffisants pour permettre une appréciation prima facie de l’existence d’un manquement à des obligations professionnelles, laquelle dépend à son tour des obligations potentiellement violées et des exigences inhérentes à chacune d’entre elles. Le requérant ne conteste d’ailleurs pas réellement cette interprétation.

65      Il convient néanmoins d’écarter d’emblée l’argument de la BCE tiré de ce que, en raison des graves conséquences qui s’attachent à l’expiration du délai de prescription, le point de départ de celui-ci doive être certain pour garantir la sécurité juridique.

66      À cet égard, il convient de relever que les délais de prescription visent à garantir la sécurité juridique des personnes susceptibles d’être poursuivies plutôt que celle de l’autorité poursuivante (voir, par analogie, arrêt du 13 novembre 2014, Nencini/Parlement, C‑447/13 P, EU:C:2014:2372, point 52). De plus, la notion de « découverte des faits » utilisée par la BCE à l’article 8.3.2 des règles applicables au personnel comporte elle-même un certain degré d’incertitude. Enfin, il y a lieu de rappeler que le principe de sécurité juridique n’exige pas que les conséquences de tout acte soient prévisibles avec une certitude absolue au regard des dispositions applicables (voir, par analogie, arrêt du 16 septembre 2013, Hansa Metallwerke e.a./Commission, T‑375/10, non publié, EU:T:2013:475, point 51 et jurisprudence citée). Il suffit qu’elles puissent l’être à un degré raisonnable (voir, en ce sens, arrêt du 22 octobre 2015, AC-Treuhand/Commission, C‑194/14 P, EU:C:2015:717, point 42), sans préjudice du contrôle du juge de l’Union.

67      Cela étant précisé, il convient d’examiner in concreto si les faits étaient effectivement prescrits en l’espèce.

2)      Sur l’éventuelle prescription de la procédure disciplinaire relative aux factures de physiothérapie

68      Il ressort du dossier que la société A a communiqué à la BCE, les 13 et 18 décembre 2013, des informations concernant de possibles fraudes du requérant en ce qui concernait le remboursement des factures de physiothérapie. Elle lui a ensuite fourni des précisions complémentaires les 20 février, 20 mars, 27 mai, 13 juin, 15 juillet et 13 et 21 octobre 2014.

69      La BCE soutient que les informations mentionnées au point 68 ci-dessus, fournies par la société A, ne sauraient constituer la « découverte des faits », parce que, en tant qu’assureur, celle-ci pouvait avoir un intérêt personnel à soulever le caractère indu des remboursements effectués au profit du requérant et que ses informations devaient dès lors être prises avec prudence.

70      Cependant, il ne ressort pas du dossier que la BCE aurait accueilli les informations de la société A avec la réserve qu’implique une suspicion de conflit d’intérêts.

71      Au contraire, il ressort d’un rapport de la société A du 20 novembre 2014 que la BCE a considéré, dès le mois de décembre 2013, que les premières informations fournies par ladite société étaient suffisantes pour lancer ses propres procédures statutaires prévues en cas de soupçon de fraude.

72      De plus, sur la foi des informations obtenues de la société A, la BCE a dénoncé au ministère public les faits concernant le remboursement des factures de physiothérapie le 14 mai 2014 (voir point 3 ci-dessus).

73      De surcroît, selon le rapport du 20 novembre 2014, la BCE avait demandé à la société A, le 17 novembre précédent, d’entamer les préparatifs pour obtenir la répétition des montants défrayant le requérant de ses frais de physiothérapie et de pharmacie, cela au vu du volume considérable de demandes de remboursement potentiellement frauduleuses.

74      Enfin, les informations communiquées par la société A étaient accompagnées de témoignages et d’autres documents qui les étayaient et les rendaient ainsi crédibles.

75      La BCE fait également valoir que les informations obtenues de la société A étaient parcellaires par comparaison aux demandes de remboursement qui s’étaient échelonnées sur une période d’environ cinq ans.

76      Toutefois, par son rapport du 13 octobre 2014, la société A a signalé à la BCE un total de 91 factures de physiothérapie pour un montant global de 56 041,09 euros, ce qui ne saurait être considéré comme une donnée parcellaire, puisque ce montant correspond à celui indiqué dans la décision de licenciement.

77      De plus, le rapport du 13 octobre 2014 a conduit la BCE à prendre la décision de suspendre le requérant de ses fonctions dès le 21 octobre 2014 (voir point 4 ci-dessus).

78      La BCE soutient certes que, selon l’article 46 des conditions d’emploi, une suspension peut être décidée « en cas d’allégation de manquement grave » qui nécessiterait un niveau de preuve inférieur à celui d’une « découverte des faits » au sens de l’article 8.3.2 des règles applicables au personnel.

79      Toutefois, le directoire a motivé sa décision de suspendre le requérant par la circonstance selon laquelle, compte tenu des informations fournies par la société A, il y avait des éléments suffisamment précis et pertinents permettant de considérer soit que celui-ci avait falsifié les factures en question, soit qu’il était à tout le moins conscient de leur inauthenticité. Au vu de ces éléments, le directoire a considéré que, s’ils s’avéraient établis, ces faits constitueraient un manquement grave aux devoirs de l’intéressé et qu’il convenait de préserver notamment les suites disciplinaires.

80      Aussi, si la Banque a justifié la décision de suspension par des éléments qu’elle-même a qualifiés de suffisamment précis et pertinents pour présumer l’existence d’un manquement grave passible de poursuites disciplinaires, lesdits éléments de preuve fournis par la société A étaient nécessairement suffisants pour constituer la « découverte des faits » au sens de l’article 8.3.2 des règles applicables au personnel, tel que retenu au point 64 ci-dessus.

81      Il s’ensuit que, dans la mesure où les faits révélés par la société A à la BCE au mois d’octobre 2014 étaient suffisants pour relever de la notion de découverte des faits au sens de l’article 8.3.2 des règles applicables au personnel, il convient d’écarter les autres arguments de la BCE selon lesquels, pour ouvrir la procédure disciplinaire, il aurait été raisonnable d’attendre que les autorités judiciaires allemandes recueillent de plus amples informations, notamment à la suite d’une perquisition, ou d’avoir la possibilité de consulter le dossier du ministère public pour y trouver des éléments additionnels. En toute hypothèse, à supposer même que la BCE ait estimé avoir besoin d’éléments supplémentaires pour diligenter la procédure disciplinaire, elle aurait pu entamer celle-ci et la suspendre dans l’attente des résultats de la procédure pénale. En effet, même si aucune disposition en vigueur au sein de la BCE ni aucun principe général n’imposait cette suspension (voir points 105 à 107 ci-après), elle aurait pu agir de la sorte, dès lors que les délais relatifs au déroulement de la procédure disciplinaire ne sont pas péremptoires (voir point 58 ci-dessus), que rien ne permet de penser que les besoins de l’enquête pénale s’y opposaient et que la décision de suspension du 21 octobre 2014 faisait au contraire déjà allusion à celle-ci.

82      Il ressort de l’ensemble de ces considérations que plus d’un an s’est écoulé entre la découverte des faits en ce qui concerne les frais de physiothérapie en octobre 2014 et la décision du 18 novembre 2016 d’ouvrir la procédure disciplinaire.

83      Le deuxième moyen est donc fondé en tant qu’il concerne le volet de l’affaire relatif aux factures de physiothérapie.

3)      Sur l’éventuelle prescription de la procédure disciplinaire relative aux reçus de frais pharmaceutiques

84      Ainsi que cela a déjà été exposé (voir points 4 et 73 ci-dessus), il convient de rappeler que le requérant a été suspendu de ses fonctions le 21 octobre 2014 et que, dès le 17 novembre suivant, la BCE a demandé à la société A d’entamer les préparatifs pour obtenir la répétition des montants défrayant le requérant de ses dépenses de santé.

85      Il ressort par ailleurs du dossier que, le 21 novembre 2014, la société A a communiqué à la BCE un rapport, daté de la veille et documenté, tendant à établir de possibles fraudes du requérant (voir points 71 et 73 ci-dessus). Ce rapport concernait non seulement les factures de physiothérapie, mais aussi le remboursement de reçus pharmaceutiques manuscrits. Il précisait que le propriétaire des pharmacies en question avait déclaré que ses reçus étaient imprimés et que ceux portant des montants manuscrits n’avaient pas été délivrés par l’une d’entre elles, que les montants renseignés sur les exemplaires de reçus qui lui avaient été transmis ne correspondaient pas aux tarifs pratiqués, que plusieurs produits mentionnés n’avaient jamais été commandés ou n’étaient pas vendus et que les cachets figurant sur ceux-ci avaient probablement été falsifiés. La société A évaluait les sommes à récupérer du fait de ces reçus à 88 289,65 euros. Une liste des reçus litigieux était jointe audit rapport.

86      La société A a complété son rapport du 20 novembre 2014 par deux courriels des 22 et 23 janvier 2015.

87      Enfin, il résulte du rapport no 1 que les informations transmises par la société A ont suffi pour amener la BCE à communiquer les faits concernant les reçus pharmaceutiques aux autorités judiciaires allemandes le 23 janvier 2015.

88      Au vu de ce qui précède, il apparaît que, en ce qui concerne le volet de l’affaire relatif aux reçus pharmaceutiques, les faits portés à la connaissance de la BCE entre le 21 novembre 2014 et le 23 janvier 2015 étaient suffisants pour lui permettre de porter une appréciation prima facie de l’existence d’un manquement du requérant à ses obligations professionnelles.

89      Pour ce motif, et pour ceux déjà exposés au point 66 ci-dessus, il y a lieu de considérer que, en ce qui concerne les reçus pharmaceutiques, le délai de prescription d’un an a commencé à courir au plus tard le 23 janvier 2015, et non à la date à laquelle la BCE a eu accès au dossier pénal du ministère public, le 20 novembre suivant, comme celle-ci l’invoque. Par conséquent, le 18 novembre 2016, date à laquelle la procédure disciplinaire a été ouverte, le délai de prescription d’un an était déjà échu en ce qui concernait les reçus pharmaceutiques.

90      Le deuxième moyen est donc fondé en ce qui concerne ce volet de l’affaire.

4)      Sur l’éventuelle prescription de la procédure disciplinaire relative aux factures de soutien scolaire

91      Le secrétaire général des services a décidé d’étendre le mandat du comité de discipline aux faits relatifs aux factures de soutien scolaire le 19 septembre 2017 et donc d’ouvrir à cette date la procédure disciplinaire à leur égard.

92      Le requérant soutient que l’élément qui a conduit à l’ouverture de ce volet de l’affaire résidait dans le fait que les factures de la répétitrice C portaient un numéro fiscal quasiment identique à celui de la présumée physiothérapeute B. Or, ajoute-t-il, la BCE connaissait les faits à l’origine de la procédure disciplinaire concernant les factures de physiothérapie depuis la communication des rapports de la société A et les factures de C se trouvaient dans son dossier et étaient à la disposition de la Banque plus d’un an avant la décision d’étendre le mandat du comité de discipline. Par conséquent, estime le requérant, la découverte des faits concernant les factures de soutien scolaire ne saurait résulter des investigations menées en 2017 par le comité de discipline dans le cadre des volets de l’affaire concernant les factures de physiothérapie et les reçus de pharmacies.

93      Il est vrai que le fait qui a attiré l’attention de la BCE sur les factures de soutien scolaire, à savoir la quasi-identité des numéros fiscaux de B et de C, figurait dans le dossier du requérant. Toutefois, si, en réponse à des questions tendant à déterminer si les prestations de la présumée physiothérapeute B étaient bien réelles, le conseil du requérant a fait état le 3 février 2016 de la circonstance que celui-ci rémunérait ses services en liquide, il n’en a fourni aucune preuve à ce moment-là, malgré une demande expresse en ce sens. Ce n’est que le 29 septembre suivant que le requérant a communiqué des extraits de ses comptes bancaires à la BCE et ce n’est qu’en annexe à une note de plaidoirie en vue de l’audition par le comité de discipline le 13 février 2017 qu’il a fourni un tableau des dates et des endroits où il procédait à ses retraits d’argent. Aussi, la BCE n’avait aucune raison de s’intéresser aux factures de soutien scolaire du dossier du requérant pour vérifier si elles venaient corroborer ses allégations avant que celui-ci ne mette l’accent sur sa manière de rémunérer B et ne dépose des pièces à l’appui de ses affirmations. C’est uniquement au cours de cet examen approfondi, mené dans le cadre du volet relatif aux factures de physiothérapie, que le comité de discipline a été amené à opérer un rapprochement entre ces dernières et celles de soutien scolaire. Il en va d’autant plus ainsi que seule une réelle nécessité pouvait justifier l’examen de données sensibles dans le dossier du requérant, telles que celles afférentes au soutien de ses enfants, dont il avait été reconnu qu’ils souffraient de problèmes médicaux et nécessitaient des besoins éducatifs particuliers.

94      Il ressort plus précisément du dossier que le comité de discipline a procédé aux investigations qui ont attiré son attention sur les factures de soutien scolaire de C au mois de mars 2017 et que, après quelques vérifications rapidement effectuées auprès des administrations fiscale et municipale de Francfort-sur-le-Main, il a demandé, le 24 avril suivant, l’extension de son mandat aux faits relatifs auxdites factures.

95      Par conséquent, le requérant n’établit pas que la BCE ait découvert les faits relatifs aux factures de soutien scolaire plus d’un an avant l’ouverture du volet de la procédure disciplinaire les concernant le 19 septembre 2017.

96      Il s’ensuit que le deuxième moyen n’est pas fondé en ce qui concerne le volet de l’affaire relatif aux factures de soutien scolaire.

c)      Conclusion sur le deuxième moyen 

97      Au vu de ce qui précède, le deuxième moyen est fondé dans la mesure où les faits relatifs aux factures de physiothérapie et aux reçus de pharmacies étaient prescrits au moment de l’ouverture de la procédure disciplinaire les concernant. Le deuxième moyen n’est, en revanche, pas fondé en ce qui concerne le volet de l’affaire relatif aux factures de soutien scolaire.

98      S’agissant des incidences de la violation du délai de prescription en ce qui concerne les deux premiers volets mentionnés au point 97 ci-dessus sur la légalité de la décision de licenciement, il convient d’observer que chacun des trois volets de l’affaire concernait des manquements d’ordre pécuniaire consistant, à tout le moins, en un manque prolongé de vigilance de la part du requérant quant aux exigences minimales requises pour l’établissement des preuves documentaires suffisantes de prestations et de transactions dont le coût était, en tout ou en partie, à la charge des dispositifs de protection sociale mis en place par la BCE au profit de son personnel. Il convient également de relever que la BCE a notamment situé ces manquements dans le contexte de ses compétences en matière financière et en a déduit que le requérant avait non seulement méconnu son devoir de loyauté, mais aussi qu’il n’avait pas respecté ses valeurs communes et qu’il avait ainsi risqué la réputation de celle-ci.

99      Dans ces conditions, la BCE a pu estimer, au point 37 de la décision de licenciement, que chacun des trois volets de l’affaire, même pris isolément, avait de manière irréversible affecté la confiance à la base de sa relation avec son personnel.

100    Il s’ensuit que le caractère partiellement fondé du deuxième moyen ne suffit pas pour justifier l’annulation de la décision de licenciement, puisque celle-ci demeure a priori justifiée par le troisième volet de l’affaire.

101    Il y a par conséquent lieu de poursuivre l’examen des autres moyens en le limitant au volet relatif aux factures de soutien scolaire.

4.      Sur le troisième et le septième moyen, tirés, respectivement, d’une part, de la violation de l’adage « le pénal tient le disciplinaire en l’état », du principe de bonne administration et du devoir de sollicitude et, d’autre part, de la violation du droit à la présomption d’innocence et de l’article 48 de la Charte 

a)      Sur la violation de l’adage selon lequel « le pénal tient le disciplinaire en l’état »

102    Le requérant soutient que l’adage selon lequel le pénal tient le disciplinaire en l’état constitue un principe général du droit de l’Union qui s’applique même en l’absence de disposition explicite en ce sens.

103    Cet adage est consacré par l’article 25 de l’annexe IX du statut des fonctionnaires de l’Union européenne. Toutefois, comme le fait observer la BCE et comme l’a déjà relevé le Tribunal de la fonction publique de l’Union européenne dans son arrêt du 17 mars 2015, AX/BCE (F‑73/13, EU:F:2015:9, point 125), une disposition analogue qui figurait dans les conditions d’emploi a été supprimée à compter du 1er janvier 2009.

104    Par ailleurs, l’article 9, sous c), des conditions d’emploi dispose certes que, « [p]our l’interprétation des droits et obligations prévus par les présentes conditions […], les principes établis, consacrés par les règlements, les règles et la jurisprudence applicables en matière de personnel des institutions [de l’Union], sont dûment pris en compte ». Toutefois, la BCE soutient avec raison que cette disposition a pour objet de combler d’éventuelles lacunes et qu’elle ne saurait être utilisée pour réintroduire une règle qu’elle a abrogée.

105    De surcroît, la jurisprudence fondée sur l’article 25 de l’annexe IX du statut des fonctionnaires de l’Union européenne (voir, en ce sens, arrêt du 30 juin 2015, Dybman/SEAE, F‑129/14, EU:F:2015:71, points 35 et 37) qualifie certes l’adage selon lequel le pénal tient le disciplinaire en l’état de principe, mais ne lui reconnaît pas pour autant la valeur d’un principe général de droit. Le requérant lui-même n’étaye pas son point de vue selon lequel il en constituerait un.

106    Il s’ensuit que l’adage selon lequel le pénal tient le disciplinaire en l’état ne s’impose pas à la BCE.

107    Le requérant soutient dès lors vainement que cet adage a été méconnu en ce que la procédure disciplinaire relative aux factures de soutien scolaire a été lancée alors que la procédure pénale était en cours. À défaut de disposition expresse le rendant applicable à la BCE, c’est tout aussi vainement que, sur son fondement, le requérant lui reproche d’avoir adopté la décision de licenciement avant l’issue de l’enquête pénale relative auxdites factures.

b)      Sur la violation du droit à la présomption d’innocence et de l’article 48 de la Charte

108    Le requérant fait valoir que le droit à la présomption d’innocence, garanti désormais par l’article 48 de la Charte, impose qu’une personne accusée d’une infraction soit présumée innocente aussi longtemps que sa culpabilité n’a pas été légalement établie au-delà de tout doute raisonnable au cours d’une procédure judiciaire. Il soutient, notamment, que la BCE a méconnu ce droit en négligeant la procédure pénale diligentée contre lui ainsi que son issue et en se fondant sur des faits qui n’avaient pas été établis par les autorités judiciaires allemandes.

109    En l’espèce, la décision du ministère public du 30 avril 2019 de classer sans suite le volet de l’affaire relatif aux factures de soutien scolaire en application de l’article 170, paragraphe 2, du code de procédure pénale est antérieure à la décision de licenciement, qui a été adoptée le 7 mai suivant. Il n’est toutefois pas contesté que la BCE n’en avait pas connaissance à cette date.

110    La légalité d’un acte s’appréciant au vu des éléments de fait et de droit dont l’administration disposait au moment de l’adopter (voir arrêt du 12 février 2014, Beco/Commission, T‑81/12, EU:T:2014:71, point 44 et jurisprudence citée), le requérant ne peut donc se prévaloir de ce classement pour contester la validité de la décision de licenciement au motif que la BCE aurait méconnu l’issue favorable de la procédure pénale.

111    En revanche, la question se pose de savoir si le droit du requérant à être présumé innocent empêchait la Banque de fonder sa décision de licenciement sur le volet des factures de soutien scolaire avant d’avoir pris connaissance des conclusions des autorités judiciaires.

112    Il ressort de la jurisprudence que la présomption d’innocence régit l’ensemble de la procédure pénale, parce qu’elle a notamment pour objet de garantir à toute personne qu’elle ne sera pas désignée ni traitée comme coupable d’une infraction avant que sa culpabilité n’ait été établie par un tribunal (arrêts du 8 juillet 2008, Franchet et Byk/Commission, T‑48/05, EU:T:2008:257, point 210, et du 12 juillet 2012, Commission/Nanopoulos, T‑308/10 P, EU:T:2012:370, point 91).

113    Par ailleurs, l’article 6, paragraphe 1, troisième alinéa, TUE et l’article 52, paragraphe 7, de la Charte disposent que les explications relatives à la Charte (JO 2007, C 303, p. 17) doivent être prises en considération en vue de son interprétation (arrêt du 20 novembre 2017, Petrov e.a./Parlement, T‑452/15, EU:T:2017:822, point 38). Or, selon lesdites explications, l’article 48 de la Charte a le même sens et la même portée que l’article 6, paragraphe 2, de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la « CEDH »).

114    Dans ces conditions, il convient de prendre en considération l’article 6, paragraphe 2, de la CEDH aux fins de l’interprétation de l’article 48 de la Charte, en tant que seuil de protection minimale [arrêt du 5 septembre 2019, AH e.a. (Présomption d’innocence), C‑377/18, EU:C:2019:670, point 41]. Partant, il convient aussi de se référer à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (ci-après la « Cour EDH »), conformément à l’article 52, paragraphe 3, de la Charte (voir, en ce sens, arrêts du 28 février 2013, Réexamen Arango Jaramillo e.a./BEI, C‑334/12 RX‑II, EU:C:2013:134, point 43 ; du 18 décembre 2014, Abdida, C‑562/13, EU:C:2014:2453, point 47, et du 3 septembre 2015, Inuit Tapiriit Kanatami e.a./Commission, C‑398/13 P, EU:C:2015:535, point 61).

115    Or, selon la jurisprudence de la Cour EDH, l’article 6, paragraphe 2, de la CEDH protège, notamment, le droit à la présomption d’innocence des suspects dès l’ouverture à leur égard d’enquêtes préliminaires au sens du droit allemand (voir, en ce sens, Cour EDH, 27 février 2014, Karaman c. Allemagne, CE:ECHR:2014:0227JUD001710310, point 43).

116    Par conséquent, le requérant peut se prévaloir du droit à la présomption d’innocence dans la mesure où il faisait précisément l’objet, à la demande de la Banque elle-même, d’une enquête préliminaire au sens du droit allemand sur la question des factures de soutien scolaire, dont le résultat n’était pas encore connu lorsque la BCE a adopté la décision de licenciement.

117    Il convient, dès lors, de rappeler, premièrement, que la présomption d’innocence ne se limite pas à une garantie procédurale en matière pénale, mais que sa portée est plus étendue, deuxièmement, qu’une atteinte à la présomption d’innocence peut émaner de n’importe quelle autorité publique (voir, en ce sens, arrêts du 8 juillet 2008, Franchet et Byk/Commission, T‑48/05, EU:T:2008:257, point 211, et du 12 juillet 2012, Commission/Nanopoulos, T‑308/10 P, EU:T:2012:370, point 92) et, troisièmement, que cette atteinte peut résulter de déclarations ou de décisions qui reflètent le sentiment que la personne est coupable, qui incitent le public à croire en sa culpabilité ou qui préjugent de l’appréciation des faits au plan pénal (voir, en ce sens, arrêt du 12 juillet 2012, Commission/Nanopoulos, T‑308/10 P, EU:T:2012:370, point 91).

118    La jurisprudence a souligné à cet égard l’importance du choix des termes employés par les autorités publiques. Il importe, à ce propos, de tenir compte du sens réel des déclarations en question, et non de leur forme littérale, ainsi que des circonstances particulières dans lesquelles celles-ci ont été formulées [voir, en ce sens, arrêts du 5 septembre 2019, AH e.a. (Présomption d’innocence), C‑377/18, EU:C:2019:670, point 43, et du 8 juillet 2008, Franchet et Byk/Commission, T‑48/05, EU:T:2008:257, point 211 et jurisprudence citée ; Cour EDH, 28 mai 2020, Farzaliyev c. Azerbaïdjan, CE:ECHR:2020:0528JUD002962007, point 64].

119    En l’espèce, le requérant faisait l’objet d’une enquête pour escroquerie au sens de l’article 263, paragraphe 1, du code pénal allemand au regard des factures de soutien scolaire. Or, dans sa décision de licenciement, le directoire a retenu à la charge de celui-ci le fait de ne pas avoir relevé les similitudes entre les numéros fiscaux et les adresses figurant sur les factures de physiothérapie de B et sur celles de soutien scolaire de C, alors qu’il pouvait être inféré de ces similitudes que ces dernières n’étaient pas sincères et véritables. Dans ce contexte, le directoire a considéré que le droit de demander le remboursement de dépenses de soutien scolaire ne dispensait pas les membres du personnel d’être vigilants et de s’assurer que la documentation relative aux services en question était appropriée. Aussi, en présence de circonstances objectives suscitant des doutes quant au droit audit remboursement, le directoire a estimé qu’il incombait au membre du personnel en question d’en informer au minimum l’administration. En conséquence, le directoire est parvenu à la conclusion que le requérant était coupable d’avoir, premièrement, méconnu son devoir de loyauté envers l’institution, deuxièmement, d’avoir manqué à son obligation de respecter les valeurs communes de la BCE et de mener ses vies professionnelle et privée en accord avec le statut de celle-ci, troisièmement, d’avoir, de manière continue, manqué à son devoir de préserver les intérêts financiers de l’institution et, quatrièmement, d’avoir risqué la réputation de la Banque.

120    Par conséquent, il ressort de l’ensemble de la décision de licenciement que la BCE a considéré que les factures présentées par le requérant étaient inappropriées aux fins du remboursement des frais de soutien scolaire, sans lui imputer formellement la responsabilité du fait qu’elles n’étaient pas sincères et véritables. La Banque dans sa décision de licenciement, s’est bornée, en substance, à sanctionner une négligence qui lui est apparue particulièrement grave s’agissant d’un agent d’une institution financière. Cette décision ne renferme ainsi aucun constat de culpabilité du requérant au regard du délit d’escroquerie qui faisait l’objet de l’enquête pénale (voir, en ce sens, Cour EDH, 25 août 1987, Englert c. Allemagne, CE:ECHR:1987:0825JUD001028283, point 39) et s’inscrit dans le cadre de l’autonomie de la qualification juridique par l’administration d’un manquement disciplinaire par rapport à la répression pénale visant les mêmes faits.

121    Partant, la BCE n’a pas méconnu le droit du requérant à la présomption d’innocence en adoptant la décision de licenciement en tant qu’elle porte sur le volet de l’affaire relatif aux factures de soutien scolaire avant d’avoir pris connaissance de l’issue de la procédure judiciaire le concernant.

122    Le refus de rouvrir la procédure est, quant à lui, intervenu après que la BCE avait été informée du classement sans suite des poursuites pénales dirigées contre le requérant du fait des factures de soutien scolaire en application de l’article 170, paragraphe 2, du code de procédure pénale, c’est-à-dire au motif qu’il n’y avait pas de soupçons de culpabilité suffisants pour saisir le tribunal répressif.

123    Or, selon la jurisprudence de la Cour EDH, la présomption d’innocence a notamment pour but d’empêcher que des individus qui ont bénéficié d’un abandon des poursuites soient traités par les autorités publiques comme s’ils étaient en fait coupables de l’infraction qui leur avait été imputée (Cour EDH, 28 juin 2018, G.I.E.M. S.R.L. et autres c. Italie, CE:ECHR:2018:0628JUD000182806, point 314). Aucune différence ne doit être faite à cet égard entre une relaxe faute de preuves et une relaxe résultant de la constatation formelle de l’innocence de l’accusé (Cour EDH, 27 septembre 2007, Vassilios Stavropoulos c. Grèce, CE:ECHR:2007:0927JUD003552204, point 39, et 23 octobre 2014, Melo Tadeu c. Portugal, CE:ECHR:2014:1023JUD002778510, point 60).

124    En l’espèce, le directoire a justifié par deux motifs son refus de rouvrir la procédure après avoir pris connaissance du classement sans suite de l’enquête sur les factures de soutien scolaire : premièrement, par la différence existant entre les missions respectives du ministère public et de la BCE, l’une consistant à rechercher si les faits allégués constituent une infraction pénale et l’autre à examiner sur la base d’un niveau de preuve moins exigeant s’ils révèlent une faute disciplinaire ; deuxièmement, par le fait que le ministère public avait confirmé qu’il n’existait pas d’enregistrement officiel de la répétitrice C et que le numéro fiscal figurant sur ses factures n’était pas vrai.

125    Ces motifs ne comportent aucun constat de culpabilité pénale à la charge du requérant. Aussi, le refus de rouvrir la procédure n’a pas méconnu son droit à la présomption d’innocence.

126    Le requérant soutient toutefois encore que la BCE a méconnu son droit à la présomption d’innocence en voulant conclure à tout prix à sa culpabilité.

127    Il a déjà été jugé, à cet égard, qu’une violation du droit à la présomption d’innocence pouvait être constatée en présence d’éléments de nature à démontrer que l’AIPN avait décidé, dès le début de la procédure disciplinaire, d’infliger en tout état de cause une sanction disciplinaire à la partie requérante, indépendamment des explications fournies par elle et de l’issue de la procédure pénale en cours (arrêts du 13 mars 2003, Pessoa e Costa/Commission, T‑166/02, EU:T:2003:73, point 56 ; du 19 octobre 2006, Pessoa e Costa/Commission, T‑503/04, EU:T:2006:331, point 118, et du 17 mars 2015, AX/BCE, F‑73/13, EU:F:2015:9, point 162).

128    Le requérant déduit tout d’abord l’existence d’un préjugé de la part de la BCE du fait qu’elle aurait négligé la procédure pénale diligentée contre lui ainsi que son issue. Toutefois, ce reproche vient d’être examiné et rejeté. Le requérant déduit ensuite ce préjugé du fait que la Banque aurait étendu le mandat du comité de discipline à la suite d’une investigation illégale d’un de ses membres et de ce qu’elle n’aurait pas pris en compte les observations qu’il a présentées au cours de la procédure disciplinaire. Toutefois, ces griefs recoupent, l’un, le quatrième moyen et, l’autre, les cinquième et neuvième moyens. Ils seront dès lors examinés dans le cadre respectif de ceux-ci.

c)      Sur la violation du principe de bonne administration et du devoir de sollicitude

129    Le requérant soutient que, en lançant la procédure disciplinaire relative aux factures de soutien scolaire alors que l’enquête pénale était en cours et en ignorant son issue, la BCE a violé le principe de bonne administration et le devoir de sollicitude, qui imposent aux institutions d’examiner avec soin et impartialité tous les éléments pertinents du cas d’espèce.

130    Toutefois, le requérant ne développe pas d’argument permettant de considérer que, en l’occurrence, le principe de bonne administration et le devoir de sollicitude devraient se voir reconnaître une portée plus large que celle du droit à la présomption d’innocence. En particulier, il ne saurait être jugé que la BCE a méconnu son obligation d’examiner avec soin et impartialité les éléments pertinents du cas d’espèce dès lors que le ministère public a confirmé, dans sa lettre du 30 avril 2019, les éléments sur la base desquels la Banque avait fondé sa décision de licenciement, à savoir qu’il n’existait pas d’enregistrement officiel de C et que le numéro fiscal figurant sur ses factures n’était pas vrai.

131    De surcroît, le requérant a bénéficié de toutes les autres garanties applicables aux procédures disciplinaires, ainsi qu’il résulte de la réponse aux griefs qu’il formule à cet égard (voir l’examen des quatrième et cinquième moyens ci-après). Il n’est donc pas fondé à soutenir que la BCE aurait méconnu le devoir de sollicitude et le principe de bonne administration.

d)      Conclusion sur les troisième et septième moyens

132    Au vu de ce qui précède, les troisième et septième moyens ne sont pas fondés.

5.      Sur le quatrième moyen, tiré de la violation de l’article 8.3.7 des règles applicables au personnel et du principe d’impartialité tel qu’il est consacré à l’article 41 de la Charte

133    Le requérant soutient que les membres du comité de discipline ont confondu leur rôle au sein de celui-ci avec leurs autres fonctions en recherchant activement de nouveaux faits à sa charge. Il soulève à cet égard quatre griefs et considère dès lors que le comité de discipline a méconnu l’article 8.3.7 des règles applicables au personnel et son devoir d’impartialité.

134    L’article 8.3.7 des règles applicables au personnel dispose que les membres du comité de discipline doivent « agir à titre personnel et exécuter leurs obligations en toute indépendance ».

a)      Sur le premier grief du requérant

135    Le requérant fait valoir que le comité de discipline a examiné son dossier personnel et, en particulier, l’ensemble des remboursements qu’il avait reçus pour vérifier leur régularité et que cet examen a abouti à la décision du secrétaire général des services, du 19 septembre 2017, étendant le mandat dudit comité aux factures de soutien scolaire. Selon le requérant, cet examen excédait les limites du mandat conféré initialement au comité de discipline. Le rapport no 1 et la décision du 18 novembre 2016 du secrétaire général des services en auraient en effet circonscrit l’étendue et ils ne contiendraient aucune allusion aux factures de soutien scolaire.

136    La BCE fait néanmoins valoir à juste titre que, dans les limites de son mandat, une part essentielle de la mission d’un comité de discipline consiste à rechercher et à établir les faits aussi minutieusement que possible. Aux termes de l’article 8.3.15 des règles applicables au personnel, ce comité a pour tâche d’émettre un avis notamment sur la matérialité des faits.

137    La BCE soutient plus précisément que le comité de discipline pouvait vérifier la crédibilité des déclarations du requérant lors de son audition le 13 février 2017 et consulter son dossier pour examiner si et comment les paiements qu’il prétendait avoir effectués pour les soins de physiothérapie et pour les produits pharmaceutiques pouvaient être conciliés avec d’autres paiements, en liquide ou par carte de crédit, auxquels il avait procédé. Selon la BCE, ce serait à cette occasion que le comité de discipline aurait, légitimement, découvert les factures de soutien scolaire établies par C.

138    Le requérant fait cependant observer que, selon l’article 8.3.14 des règles applicables au personnel, le comité de discipline pouvait uniquement procéder à des investigations complémentaires si les éléments à sa disposition s’avéraient insuffisants. Or, il aurait fourni d’amples informations et de nombreuses preuves du fait qu’il avait l’habitude d’effectuer ses paiements tant par virement bancaire qu’en liquide, de sorte que le comité de discipline n’avait aucune raison valable d’examiner plus avant son dossier.

139    Il y a lieu de rappeler, à cet égard, que le principe qui prévaut en droit de l’Union est celui de la libre administration des preuves, mais aussi que les institutions ne peuvent pas pour autant utiliser sciemment des preuves manifestement recueillies en violation des formes substantielles prévues pour leur établissement et visant à protéger les droits fondamentaux des intéressés (voir, en ce sens, arrêts du 16 juin 2015, FSL e.a./Commission, T‑655/11, EU:T:2015:383, points 42 et 44, et du 8 septembre 2016, Goldfish e.a./Commission, T‑54/14, EU:T:2016:455, points 42 et 47).

140    Dès lors, ce ne serait que si les vérifications du comité de discipline avaient manifestement été effectuées en méconnaissance des règles encadrant ses pouvoirs d’investigation qu’il conviendrait de conclure à l’illégalité des preuves à l’origine du volet de l’affaire relatif aux factures de soutien scolaire et, partant, à l’irrégularité de la procédure qui en a découlé.

141    Or, en l’espèce, les éléments qui, selon le requérant, étaient suffisants pour finaliser le rapport no 1 consistaient en une liste de retraits d’argent liquide qu’il avait établie et en quelque 109 pages de relevés bancaires prouvant ceux-ci. Ils consistaient également en des argumentaires déposés par son conseil et en un procès-verbal relatant sa propre audition le 13 février 2017. Le requérant y prétendait payer ses factures de physiothérapie grâce à ces retraits. Toutefois, en enquêtant dans ce cadre, le comité de discipline n’a pas agi de manière déraisonnable lorsqu’il a estimé nécessaire de vérifier la véracité de cette affirmation en recherchant dans les données dont la BCE disposait si le requérant avait effectivement l’habitude de payer en liquide les factures dont il demandait le remboursement. Il en va d’autant plus ainsi que, lors de l’audition du requérant le 3 février 2016, son précédent conseil avait lui-même douté qu’à chaque paiement de B correspondait un retrait.

142    Le requérant fait encore valoir que la recherche que le comité de discipline a effectuée dans son dossier personnel était sans fondement, car celui-ci ne comporterait pas de preuves de paiements (voir point 128 ci-dessus).

143    Le dossier du requérant constitué par la BCE n’était cependant pas limité au recrutement et à la carrière de celui-ci. Dans la mesure où il avait obtenu l’octroi d’allocations familiales majorées en application de l’article 3.8.4 des règles applicables au personnel, où il avait ainsi obtenu le remboursement des factures de soutien scolaire et où l’article 3.3.1 des mêmes règles dispose que les intéressés fournissent les preuves de leur droit aux allocations avant tout paiement par la BCE, celle-ci avait à sa disposition les factures de la répétitrice C. Il ressort d’ailleurs du dossier soumis au Tribunal que ces factures étaient réceptionnées par la division « Recrutement et compensation » de la Banque.

144    Dans ces conditions, pour tenter d’établir que les factures de la présumée physiothérapeute B correspondaient à des frais réellement supportés, le comité de discipline a pu vouloir comparer les éléments fournis par le requérant avec les autres débours dont il demandait le remboursement et dont la BCE conservait les preuves.

145    Enfin, l’article 8.3.15 des règles applicables au personnel imposait au comité de discipline de suggérer « toute sanction disciplinaire » appropriée. Il lui imposait ainsi de rechercher d’éventuelles circonstances atténuantes, telle la manière selon laquelle le requérant exerçait ses fonctions, laquelle pouvait ressortir de son dossier. Or, le comité de discipline n’aurait pu constater, dans son avis, que les faits de la cause constituaient le premier manquement du requérant s’il n’avait pas été en droit de consulter son dossier.

146    Dans ces conditions, il n’est pas établi que la recherche effectuée par le comité de discipline dans le dossier du requérait ait été partiale.

b)      Sur le deuxième grief du requérant

147    Le requérant expose qu’il ressort du rapport no 2 qu’un membre du personnel faisant partie de la DG « Affaires juridiques » a contacté les autorités fiscales allemandes afin d’obtenir des informations en ce qui concernait les factures de soutien scolaire. Il fait valoir que cette personne pourrait être l’un des membres du comité de discipline ou qu’elle pourrait avoir agi sur instruction de ce dernier.

148    Le requérant reste cependant en défaut d’expliquer en quoi de tels contacts méconnaîtraient le principe d’impartialité et l’article 8.3.7 des règles applicables au personnel. Au demeurant, l’article 8.3.14 de ces règles autorise le comité de discipline à prendre toute mesure nécessaire pour compléter ses informations.

149    Le deuxième grief du requérant n’est donc pas établi.

c)      Sur les troisième et quatrième griefs du requérant

150    Le requérant fait valoir que la DG « Ressources humaines, budget et organisation » a rédigé le rapport no 2, relatif aux factures de soutien scolaire, alors que son directeur général était membre du comité de discipline. Il relève également que ce même directeur général a signé la lettre l’informant de l’extension du mandat du comité de discipline. Il en déduit des violations du principe d’impartialité auquel sont tenus les membres du comité de discipline.

151    Le rapport no 2 a certes été rédigé sur une lettre à entête de la DG « Ressources humaines, budget et organisation » et il est également exact que le directeur général de celle-ci était membre du comité de discipline. Toutefois, cela ne permet pas de conclure que ce directeur général, en tant que membre du comité de discipline, aurait méconnu son devoir d’impartialité et l’article 8.3.7 des règles applicables au personnel. En outre, la lettre en question se limite à notifier au requérant la décision d’étendre le mandat du comité de discipline aux faits relatifs aux factures de soutien scolaire, décision qui a été prise et signée par le secrétaire général des services agissant au nom du directoire, conformément en cela à l’article 8.3.2 des règles applicables au personnel.

152    Les troisième et quatrième griefs du requérant ne sont donc pas établis.

d)      Conclusion sur le quatrième moyen

153    Il découle de tout ce qui précède que le quatrième moyen doit être écarté.

6.      Sur le cinquième moyen, tiré d’une violation des droits de la défense

154    Le requérant tire une violation des droits de la défense de ce que, de manière générale, la BCE n’a pas tenu compte des observations qu’il avait présentées au cours de la procédure (voir point 128 ci-dessus).

155    Le requérant n’a cependant pas développé son grief et n’a pas indiqué explicitement s’il visait l’ensemble de ses observations ou une partie de celles-ci et, dans ce cas, lesquelles. Ainsi, ce grief n’est pas recevable, en application de l’article 76, sous d), du règlement de procédure.

156    En tout état de cause, il doit être rejeté comme non fondé. L’ampleur de la motivation de l’avis du comité de discipline et de la décision de licenciement ainsi que les échanges de courriers entre la BCE et le requérant au cours de la procédure démontrent que celle-ci a pris ses arguments en considération. Il convient, de surcroît, de rappeler qu’une partie requérante ne saurait confondre le non-respect des droits de la défense avec l’absence d’obtention du résultat souhaité par l’exercice de ces droits (voir, en ce sens, arrêt du 6 septembre 2013, Sepro Europe/Commission, T‑483/11, non publié, EU:T:2013:407, point 78).

157    Le cinquième moyen doit dès lors être rejeté.

7.      Sur le sixième moyen, tiré d’erreurs manifestes d’appréciation

a)      Remarque liminaire

158    Le requérant soutient que de nombreux motifs de la décision de licenciement sont entachés d’erreurs manifestes d’appréciation.

159    Il y a toutefois lieu d’observer que le requérant fonde, en substance, son sixième moyen sur des griefs tirés de ce que la BCE n’aurait pas procédé à un examen complet des circonstances de la cause, qu’elle n’aurait pas correctement apprécié des éléments de preuve qui lui étaient soumis et qu’elle aurait violé le droit au respect de la vie privée.

160    Dans ces conditions, il y a lieu de rappeler que l’effectivité du contrôle juridictionnel garanti par l’article 47 de la Charte exige que le juge de l’Union exerce un contrôle entier sur la matérialité des faits (voir, en ce sens, arrêts du 11 septembre 2013, L/Parlement, T‑317/10 P, EU:T:2013:413, point 70, et du 10 janvier 2019, RY/Commission, T‑160/17, EU:T:2019:1, point 38). À cet égard, il doit vérifier l’exactitude matérielle des éléments de preuve invoqués, leur fiabilité et leur cohérence (voir, en ce sens, arrêt du 23 octobre 2018, McCoy/Comité des régions, T‑567/16, EU:T:2018:708, point 98 ; voir également, par analogie, arrêts du 15 février 2005, Commission/Tetra Laval, C‑12/03 P, EU:C:2005:87, point 39, et du 7 avril 2016, ArcelorMittal Tubular Products Ostrava e.a./Hubei Xinyegang Steel, C‑186/14 P et C‑193/14 P, EU:C:2016:209, point 36). Dans cette perspective, l’appréciation de la valeur probante d’un document est également l’objet d’un contrôle entier (voir, en ce sens, arrêt du 16 septembre 2004, Valmont/Commission, T‑274/01, EU:T:2004:266, point 43). Ainsi, même les appréciations complexes ou délicates auxquelles l’administration procède doivent être étayées par des preuves solides (voir, en ce sens, arrêts du 15 février 2005, Commission/Tetra Laval, C‑12/03 P, EU:C:2005:87, point 41, et du 7 avril 2016, Akhras/Conseil, C‑193/15 P, EU:C:2016:219, point 56). Il incombe, dès lors, au juge de procéder, même dans ce contexte, à un examen approfondi des éléments de preuve (voir, en ce sens, arrêt du 10 juillet 2008, Bertelsmann et Sony Corporation of America/Impala, C‑413/06 P, EU:C:2008:392, point 146).

161    Par ailleurs, dans le cadre de son contrôle de légalité, le juge exerce également un contrôle complet quant à la bonne application des règles de droit pertinentes (arrêt du 7 novembre 2007, Allemagne/Commission, T‑374/04, EU:T:2007:332, point 81).

162    Au vu de ce qui précède, il y a dès lors lieu de requalifier le sixième moyen comme étant tiré, non pas d’erreurs manifestes d’appréciation, mais d’un examen incomplet des circonstances de la cause, d’erreurs dans l’appréciation d’éléments de preuve et d’une erreur de droit.

b)      Sur l’examen incomplet des circonstances de la cause, sur les erreurs dans l’appréciation d’éléments de preuve et sur l’erreur de droit entachant le volet de l’affaire relatif aux factures de soutien scolaire

163    En premier lieu, le requérant fait grief à la BCE de ne pas avoir tenu compte du classement sans suite des poursuites pénales relatives aux factures de soutien scolaire.

164    Ce grief se confond toutefois avec les troisième et septième moyens, qui ont été jugés non fondés.

165    En deuxième lieu, le requérant prétend qu’en considérant que les factures de la répétitrice C n’étaient pas sincères et véritables, la BCE a négligé ses déclarations et celles de sa famille selon lesquelles C apportait effectivement un soutien à ses enfants et qu’elle était rémunérée en espèces. Le requérant ajoute que la BCE n’a pas davantage tenu compte de ses déclarations selon lesquelles la similitude des factures de la présumée physiothérapeute B et de C s’expliquait par le fait que son épouse avait montré à C comment les établir. Enfin, la BCE n’aurait pas non plus pris en considération l’amélioration des résultats scolaires d’un de ses enfants dans les matières dans lesquelles C lui donnait des leçons.

166    Toutefois, le requérant se limite ainsi à reproduire ses déclarations et celles de son épouse au cours de la procédure administrative, sans expliquer pourquoi la BCE aurait commis une erreur d’appréciation en ne les jugeant pas convaincantes et en relevant qu’il n’avait pas produit d’élément probant les étayant.

167    En troisième lieu, le requérant soutient que la BCE s’est fondée à tort sur le fait qu’il serait, selon elle, anormal qu’il ne connaisse pas les coordonnées de la répétitrice C, alors que celle-ci se rendait régulièrement chez lui.

168    Tout d’abord, selon le requérant, un tel grief violerait son droit d’organiser sa vie privée à sa guise et aucune règle de la BCE n’imposerait à ses fonctionnaires de connaître les coordonnées des professeurs donnant des cours à domicile. La circonstance que leur rémunération est remboursable ne serait pas pertinente pour justifier une telle ingérence.

169    Il convient de relever, cependant, que la BCE n’a aucunement interféré dans la vie privée du requérant en refusant de croire qu’il ne disposait pas d’un minimum d’informations sur la répétitrice C qui venait régulièrement donner chez lui des cours à ses enfants. En réalité, la BCE n’a pas entendu régir la façon dont le requérant prétend organiser sa vie, mais a seulement estimé que cette prétendue manière de la conduire était hautement improbable et partant peu crédible.

170    De surcroît, la BCE puise dans son régime de couverture des besoins éducatifs particuliers des enfants des membres de son personnel le droit d’interroger l’un d’eux lorsqu’il présente des demandes de remboursement dans des circonstances qu’elle estime anormales. Elle y puise également le droit de tirer de ces circonstances toute conclusion appropriée.

171    Ensuite, le requérant soutient que la BCE ne pouvait se fonder sur le fait qu’il était anormal qu’il lui fût impossible de fournir la moindre information sur la personne venue, pendant des années, donner des cours à son domicile, car le caractère anormal d’un fait ne constitue pas pour autant la preuve qu’il n’est pas réel.

172    Cet argument ne saurait toutefois prospérer. En effet, la seule éventualité qu’une situation puisse exister ne suffit pas à exclure son éventuel caractère anormal, lequel a au demeurant été dument justifié dans la décision de licenciement.

173    Enfin, compte tenu de ce qui précède et à défaut d’étayer solidement son propos, le requérant soutient tout aussi vainement que la BCE a négligé le fait que l’état d’un de ses enfants ne nécessitait pas de connaître les coordonnées de C pour organiser les leçons.

174    Le sixième moyen n’est donc pas fondé.

8.      Sur le huitième moyen, tiré de la violation du délai raisonnable et du devoir de sollicitude

175    Le requérant prétend que la BCE n’a pas mené la procédure disciplinaire en cause avec la diligence requise et qu’elle n’a pas veillé à ce que chacune des phases de celle-ci suive la précédente dans un délai raisonnable.

176    En l’espèce, les articles 8.3.15 à 8.3.17 des règles applicables au personnel prévoient des délais pour différentes étapes de la procédure disciplinaire. Toutefois, l’article 8.3.15 desdites règles dispose que, dans tous les cas, le délai imparti au comité de discipline pour transmettre son avis « doit être apprécié en fonction de la complexité du dossier ».

177    De plus, et de manière générale, il est de jurisprudence constante que, hormis les délais de prescription (voir point 58 ci-dessus), les délais prévus pour encadrer, d’un point de vue temporel, le déroulement d’une procédure disciplinaire ne sont, en principe, pas péremptoires. En l’absence d’une volonté clairement exprimée dans les textes applicables de limiter, par souci de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime, le temps pendant lequel l’administration peut agir, ces délais constituent avant tout une règle de bonne administration qui impose à l’institution de mener avec diligence la procédure disciplinaire et d’agir de sorte que chaque acte de poursuite intervienne dans un délai raisonnable par rapport à l’acte précédent (voir, en ce sens, arrêts du 12 septembre 2000, Teixeira Neves/Cour de justice, T‑259/97, EU:T:2000:208, point 123, et du 17 mars 2015, AX/BCE, F‑73/13, EU:F:2015:9, point 174).

178    Dans ces conditions, la méconnaissance d’un délai raisonnable ne peut justifier l’annulation d’une décision administrative que lorsque l’écoulement excessif du temps est susceptible d’avoir eu une incidence sur le contenu même de celle-ci (voir, en ce sens, arrêt du 10 avril 2019, AV/Commission, T‑303/18 RENV, non publié, EU:T:2019:239, point 87 et jurisprudence citée). Il en va ainsi lorsque l’écoulement excessif du temps a affecté la capacité des personnes concernées de se défendre effectivement (voir arrêt du 7 juin 2018, Winkler/Commission, T‑369/17, non publié, EU:T:2018:334, point 34 et jurisprudence citée).

179    En l’espèce, le requérant ne prétend ni que la BCE aurait eu l’intention de rendre péremptoires les délais prescrits par les articles 8.3.15 à 8.3.17 des règles applicables au personnel, ni que la durée de la procédure aurait nui à sa défense.

180    Quant au devoir de sollicitude, il a également été jugé que sa violation au titre d’une absence de célérité pouvait engager la responsabilité de l’institution concernée pour le préjudice éventuellement causé, mais qu’elle ne saurait affecter, par elle-même, la légalité de la décision attaquée (voir, en ce sens, arrêt du 13 juillet 2018, Curto/Parlement, T‑275/17, EU:T:2018:479, points 104 et 105).

181    Le huitième moyen, tiré de la violation du délai raisonnable et du devoir de sollicitude, ne saurait donc, en l’espèce, être reconnu fondé au titre des conclusions en annulation.

9.      Sur le neuvième moyen, tiré de la violation de l’obligation de motivation

182    Le requérant considère que la décision de licenciement est insuffisamment motivée. Pour la raison exposée au point 101 ci-dessus, il n’y a pas lieu d’examiner ce moyen en tant qu’il conteste spécifiquement la motivation de la décision de licenciement en ce qui concerne les volets relatifs aux soins de physiothérapie et aux reçus de pharmacie.

183    Cela étant, il y a lieu de rappeler que la question de savoir si une décision notamment de la BCE imposant une sanction à l’un de ses agents satisfait à l’obligation de motivation doit être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais également de son contexte, ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée, en l’occurrence la matière disciplinaire. Or, à cet égard, si le directoire est tenu de mentionner les éléments de fait et de droit dont dépend la justification légale de ses décisions, de même que les considérations qui l’ont amené à les prendre, il n’est pas pour autant exigé de celui-ci qu’il discute tous les points de fait et de droit qui ont été soulevés au cours de la procédure. En tout état de cause, une décision est suffisamment motivée dès lors qu’elle est intervenue dans un contexte connu de l’agent concerné qui lui permet de comprendre la portée de la mesure prise à son égard (voir arrêt du 17 mars 2015, AX/BCE, F‑73/13, EU:F:2015:9, point 189 et jurisprudence citée). Néanmoins, si, comme en l’espèce, la sanction infligée est finalement plus sévère que celle suggérée par le comité de discipline, il convient de considérer que, eu égard aux exigences propres à toute procédure disciplinaire, la décision de la BCE doit préciser les motifs qui l’ont conduite à s’écarter de l’avis émis par son comité de discipline (voir, en ce sens, arrêt du 17 mars 2015, AX/BCE, F‑73/13, EU:F:2015:9, point 190 et jurisprudence citée).

184    En l’espèce, le contexte dans lequel la décision de licenciement est intervenue était amplement connu du requérant, notamment au regard de la teneur des nombreuses observations écrites et orales qu’il avait formulées au cours de la procédure disciplinaire les 13 février, 9 mars, 17 octobre et 8 novembre 2017, les 30 avril et 14 septembre 2018, ainsi que le 31 janvier 2019.

185    De plus, la décision de licenciement rend compte des griefs reprochés au requérant, de l’avis du comité de discipline, des différentes règles et dispositions en vigueur à la BCE auxquelles le directoire a considéré que le requérant avait manqué, ainsi que des raisons pour lesquelles il était arrivé à cette conclusion. La requête démontre en outre que le requérant a bien compris ces éléments.

186    Le requérant fait cependant valoir, en particulier, que la décision de licenciement ne répond pas à ses observations concernant la prescription de l’action disciplinaire (voir point 128 ci-dessus).

187    Toutefois, la décision de licenciement se réfère à l’avis du comité de discipline, dont le requérant avait connaissance, et cet avis expose les raisons pour lesquelles, au vu de l’article 8.3.2 des règles applicables au personnel, la procédure disciplinaire n’était pas prescrite selon la BCE.

188    Le requérant soutient ensuite que, à supposer les faits établis, la décision de licenciement n’explique pas suffisamment pourquoi la BCE a adopté une sanction beaucoup plus sévère que celle proposée par le comité de discipline et, plus précisément, pourquoi, sur la base d’éléments identiques à ceux examinés par ce comité, elle a considéré que la relation de confiance était irrémédiablement rompue.

189    Ce grief n’est pas fondé. Il ressort de la décision de licenciement que, contrairement au comité de discipline, le directoire a considéré que le requérant avait demandé le remboursement de reçus de frais pharmaceutiques et de factures de soutien scolaire qui n’étaient pas sincères et véritables et que les manquements aux devoirs du requérant en ce qui concernait la présentation de ces demandes de remboursement étaient ainsi plus étendus et plus graves que la seule présentation de factures de physiothérapie douteuses sur laquelle ce comité s’était fondé.

190    Il a certes été jugé, au point 97 ci-dessus, que les faits relatifs aux factures de physiothérapie et aux reçus pharmaceutiques étaient prescrits au moment de l’ouverture de la procédure disciplinaire. Toutefois, selon une jurisprudence constante, l’obligation de motiver des décisions constitue une formalité substantielle qui doit être distinguée de la question du bien-fondé des motifs, celui-ci relevant de la légalité au fond de l’acte litigieux (voir arrêt du 24 septembre 2015, Italie et Espagne/Commission, T‑124/13 et T‑191/13, EU:T:2015:690, point 82 et jurisprudence citée).

191    De plus, et toujours contrairement au comité de discipline, le directoire a considéré que le grade et l’ancienneté plutôt réduits du requérant ne pouvaient avoir aucune incidence atténuante sur son devoir d’agir avec honnêteté et intégrité lors de la présentation de demandes de remboursements.

192    Enfin, la BCE a expliqué que chaque volet de l’affaire lui avait fait perdre irrémédiablement sa confiance dans le requérant. Elle a, à cet égard, mis l’accent sur le fait que sa crédibilité en tant qu’institution chargée de la politique monétaire et du contrôle bancaire était fondée sur sa réputation comme modèle d’administration efficace et responsable, gérée par un personnel intègre, et a exposé que le comportement du requérant était précisément de nature à nuire à sa réputation.

193    Le neuvième moyen n’est donc pas fondé.

10.    Sur le dixième moyen, formulé à titre subsidiaire et tiré de la violation du principe de proportionnali

a)      Remarque liminaire

194    Il y a lieu d’observer, à titre liminaire, que, contrairement à son intitulé, le dixième moyen ne se borne pas à faire valoir le non-respect en l’espèce du principe de proportionnalité. En effet, le requérant déduit, en substance, le caractère disproportionné de son licenciement, premièrement, de l’absence de pertinence et d’exactitude en fait des circonstances aggravantes retenues par le comité de discipline, deuxièmement, de l’illégalité et de l’absence de pertinence de celles retenues à titre supplémentaire par le directoire, troisièmement, du fait que le directoire ait méconnu la notion de circonstances atténuantes en ce qui concerne celles relevées par le comité de discipline et, quatrièmement, du fait que la BCE n’a pas tenu compte d’un certain nombre de circonstances atténuantes qu’il avait fait valoir au cours de la procédure. Les griefs du requérant ne critiquent ainsi pas directement le caractère disproportionné de la sanction. Le requérant le déduit plutôt tantôt de l’inexactitude de certains faits, tantôt des erreurs dans l’appréciation d’autres faits et dans leur qualification de circonstances aggravantes, tantôt d’erreurs de droit et tantôt, enfin, d’une absence d’examen complet de toutes les circonstances susceptibles d’être atténuantes.

195    Dans ces conditions, il y a lieu de rappeler que le Tribunal exerce un contrôle entier sur la matérialité des faits et sur la bonne application des règles de droit pertinentes (voir points 160 et 161 ci-dessus).

196    De même, le juge de l’Union exerce également un contrôle complet sur la qualification des faits (voir, en ce sens, arrêts du 21 juin 2012, BNP Paribas et BNL/Commission, C‑452/10 P, EU:C:2012:366, point 102, et du 7 novembre 2013, Cortivo/Parlement, F‑52/12, EU:F:2013:173, point 41) au regard de notions juridiques objectives. Il exerce, en particulier, un tel contrôle sur la question de savoir si un fait relève ou non des notions légales de circonstances aggravantes ou atténuantes.

197    Enfin, bien que les conditions d’emploi ne prévoient pas de rapport fixe entre les sanctions disciplinaires qu’elles indiquent et les différentes sortes de manquements commis par les fonctionnaires et qu’elles ne précisent pas dans quelle mesure l’existence de circonstances aggravantes ou atténuantes doit intervenir dans le choix de la sanction, le respect de l’article 47 de la Charte suppose qu’une « peine » imposée par une autorité administrative ne remplissant pas elle-même les conditions prévues à cet article, comme c’est le cas, en l’espèce, du directoire, subisse le contrôle ultérieur d’un organe juridictionnel ayant le pouvoir d’apprécier pleinement la proportionnalité entre la faute et la sanction (voir arrêt du 15 mai 2012, Nijs/Cour des comptes, T‑184/11 P, EU:T:2012:236, point 85 et jurisprudence citée ; voir également, en ce sens, arrêt du 9 septembre 2010, Andreasen/Commission, T‑17/08 P, EU:T:2010:374, points 146 et 147 ; Cour EDH, 31 mars 2015, Andreasen c. Royaume-Uni et 26 autres États membres de l’Union européenne, CE:ECHR:2015:0331DEC002882711, point 73). À ce titre, le juge de l’Union vérifie notamment si la pondération des circonstances aggravantes et atténuantes par l’autorité disciplinaire a été effectuée de façon proportionnée (arrêt du 16 mars 2004, Afari/BCE, T‑11/03, EU:T:2004:77, point 203).

b)      Sur le premier grief du requérant

198    Afin d’établir une violation du principe de proportionnalité, le requérant conteste la circonstance aggravante, retenue par le comité de discipline, puis par le directoire, tenant à ce qu’il n’avait pas proposé de restituer en tout ou en partie les sommes litigieuses.

199    Il y a lieu de rappeler que le comité de discipline a estimé que le requérant avait méconnu ses devoirs seulement en obtenant indument le remboursement des factures de physiothérapie, mais qu’il a en revanche considéré que les faits concernant les reçus pharmaceutiques et les factures de soutien scolaire n’étaient pas suffisamment établis. En conséquence, le comité de discipline a uniquement imputé au requérant la circonstance aggravante de ne pas avoir proposé de restituer les sommes irrégulièrement reçues en se limitant à celle de 56 041,09 euros correspondant au remboursement des factures de la présumée physiothérapeute B.

200    En revanche, dans la décision de licenciement, le directoire a considéré que le requérant avait indument obtenu, pendant plusieurs années, le remboursement de l’ensemble des factures et reçus litigieux. Dans ce contexte, il a ensuite indiqué que, aux circonstances aggravantes identifiées par le comité de discipline, il convenait d’ajouter le fait que le requérant n’avait absolument pas respecté la confiance que la BCE avait placée en lui (voir, à cet égard, points 207 et suivants ci-après).

201    Par conséquent, au vu de l’ensemble de la décision de licenciement, il y a lieu de comprendre le renvoi opéré très succinctement par le directoire aux circonstances aggravantes retenues par le comité de discipline comme visant le fait que le requérant n’avait pas proposé de restituer toutes les sommes qu’il avait reçues, y compris celles reçues au titre du remboursement des factures de soutien scolaire.

202    Cela étant précisé, le requérant expose, tout d’abord, à l’appui de son grief, qu’il n’avait pas à restituer le montant de 56 041,09 euros, parce que les factures de physiothérapie étaient sincères et véritables.

203    Cet argument est toutefois dépourvu de pertinence, puisque le directoire a retenu comme circonstance aggravante le fait que le requérant n’avait pas restitué les sommes notamment liées aux factures de soutien scolaire (voir point 201 ci-dessus) et qu’il a pu estimer, dans la décision de licenciement, que chacun des trois volets de l’affaire, qui concernaient des manquements dans le cadre de demandes de remboursement de frais, avait, compte tenu des compétences financières de la Banque, affecté de manière irréversible la confiance qu’elle avait placée en lui (voir point 99 ci-dessus).

204    Le requérant conteste ensuite n’avoir jamais proposé de restitution. Il fait valoir que, pour mettre un terme à la procédure, il a proposé de payer à la BCE l’équivalent de la sanction recommandée par le comité de discipline, à savoir une réduction temporaire de rémunération de 400 euros sur une période de douze mois, soit 4 800 euros. La BCE a toutefois pu ne pas tenir compte de cette proposition, qui était très éloignée des sommes en cause, fussent-elles limitées au montant de 29 070 euros représentant les remboursements des factures de soutien scolaire.

205    C’est enfin en vain que le requérant prétend avoir pleinement collaboré aux travaux du comité de discipline. Cette collaboration, à la supposer avérée, n’enlève rien au fait qu’il n’avait pas proposé de restituer la somme en question. Elle est, de plus, contestée par la BCE.

206    Il s’ensuit que la BCE a pu à juste titre (voir point 196 ci-dessus) retenir à la charge du requérant, comme circonstance aggravante, le fait qu’il n’avait pas proposé de restituer les sommes indument perçues.

c)      Sur le deuxième grief du requérant

207    Le requérant critique les circonstances aggravantes que la BCE a retenues dans la décision de licenciement, en complément de celles déjà invoquées par le comité de discipline.

208    Ainsi, le requérant considère, premièrement, que le directoire ne pouvait retenir, comme circonstance aggravante, le fait qu’il avait trahi la confiance que la BCE avait placée en lui, car ce constat n’était pas distinct des manquements qui lui étaient reprochés en eux-mêmes.

209    Il y a lieu de rappeler qu’une circonstance aggravante n’est pas un élément constitutif d’une infraction dont l’établissement nécessite la preuve d’éléments matériels et, le cas échéant, moraux. Partant, elle sert non à caractériser l’infraction en tant que telle, mais elle affecte le niveau de la peine une fois l’infraction établie, pour tenir compte de la gravité des faits dans leur ensemble et assurer au vu de tous ceux-ci l’effet répressif et dissuasif de la sanction.

210    Dans la décision de licenciement, le directoire a reproché au requérant d’avoir méconnu son devoir de loyauté envers la BCE, d’avoir manqué à son obligation d’en respecter les valeurs communes et de mener ses vies professionnelle et privée en accord avec son statut d’institution de l’Union, d’avoir, de manière continue, manqué à son devoir de préserver les intérêts financiers de l’institution et d’avoir risqué la réputation de la Banque. Il a, de surcroît, retenu comme circonstance aggravante le fait que le requérant n’avait absolument pas respecté la confiance que la BCE avait placée en lui.

211    Le devoir de loyauté a certes une incidence sur la préservation d’un lien de confiance personnel entre une institution et ses fonctionnaires qui conditionne le maintien d’une relation d’emploi. Ce devoir impose non seulement que les fonctionnaires s’abstiennent de conduites attentatoires à la dignité de la fonction et au respect dû à l’institution et à ses autorités, mais également qu’ils fassent preuve d’un comportement au-dessus de tout soupçon, afin que les liens de confiance existant entre cette institution et eux-mêmes soient toujours préservés (arrêt du 19 mai 1999, Connolly/Commission, T‑34/96 et T‑163/96, EU:T:1999:102, point 128). Il ne s’ensuit cependant pas pour autant que toute violation du devoir de loyauté entraînerait systématiquement la perte de cette confiance, et donc le licenciement comme résultat inéluctable. Cette violation peut n’être qu’occasionnelle ou n’avoir qu’un caractère mineur ou bénin. Dans ce cas, une rupture de la relation de travail serait incompatible avec la circonstance que les conditions d’emploi n’établissent pas de rapport fixe entre les différentes sortes de manquements et les sanctions disciplinaires possibles.

212    Par conséquent, la perte du lien de confiance n’est pas un élément constitutif de la faute disciplinaire consistant en un manque de loyauté, mais une circonstance aggravante due au niveau particulièrement dommageable et grave de ce manque, surtout si le fonctionnaire ou l’agent a fait preuve d’un manque absolu de respect envers l’institution.

213    Or, en l’occurrence, loin d’être occasionnels, les faits concernant le remboursement des factures de soutien scolaire se sont étalés sur plusieurs années, comme le requérant l’admet lui-même.

214    Partant, c’est à juste titre que la BCE a qualifié en l’espèce de circonstance aggravante le fait que le requérant n’avait absolument pas respecté la confiance qu’elle avait placée en lui.

215    Le requérant fait, deuxièmement, grief à la BCE d’avoir mentionné comme circonstance aggravante le fait qu’un grade peu élevé et une faible ancienneté n’avaient aucune incidence sur la capacité des membres du personnel à procéder de leur propre initiative, dans les circonstances telles que celles de la cause, à des vérifications simples. De nouveau, selon le requérant, cette prétendue circonstance aggravante ne serait pas distincte des infractions qui lui sont reprochées en elles-mêmes. Le requérant soutient, en outre, qu’il n’avait aucune raison d’effectuer de telles vérifications en l’espèce.

216    Ce grief repose cependant sur une lecture inexacte de la décision de licenciement. Contrairement à ce que suggère le requérant, le directoire n’a pas considéré que le caractère modeste de son grade et de son ancienneté pouvait contribuer à une circonstance aggravante, mais, à l’inverse du comité de discipline, a refusé d’y voir une circonstance atténuante. En tout état de cause, l’article 45, cinquième tiret, des conditions d’emploi dispose certes que le grade et l’ancienneté doivent être pris en compte lors de la détermination de la sanction. Néanmoins, la Banque a pu estimer qu’un grade et une ancienneté modeste ne constituaient pas une circonstance atténuante en l’occurrence, parce qu’un tel grade et une telle ancienneté ne justifiaient pas qu’un agent s’abstienne de procéder spontanément à des vérifications simples, ne demandant pas de compétence particulière, et parce que toute personne raisonnablement prudente les aurait effectuées en présence des circonstances de l’espèce qui devaient faire douter du droit au remboursement des sommes exposées.

217    Quant à l’argument selon lequel il n’y aurait eu, en l’espèce, aucune raison de procéder à quelque vérification que ce soit, il revient à contester l’existence des circonstances desquelles la BCE a déduit que les factures de la répétitrice C n’étaient pas sincères et véritables. Il se confond ainsi avec le sixième moyen, qui a été jugé non fondé.

218    Le requérant conteste, troisièmement, que la BCE ait pu invoquer, comme circonstance aggravante, le fait que sa crédibilité était en jeu, alors que celle-ci avait été préservée par l’issue positive des procédures pénales diligentées à sa charge et, en particulier, par la publicité donnée à l’arrêt du 18 octobre 2017 du Landgericht Frankfurt am Main (tribunal régional de Francfort-sur-le-Main) qui l’a acquitté des délits d’escroquerie et de falsification de documents concernant les factures de physiothérapie.

219    Toutefois, outre le fait que le requérant ne précise pas quelle publicité l’arrêt du Landgericht Frankfurt am Main (tribunal régional de Francfort-sur-le-Main) a reçu, la BCE a pu considérer que les faits avaient pu affecter sa réputation et, par-delà, sa crédibilité en tant qu’institution financière. Or, en vertu de l’article 45, deuxième tiret, des conditions d’emploi, la BCE peut précisément prendre en compte, au titre des circonstances aggravantes, le risque auquel le comportement du membre du personnel a exposé l’intégrité, la réputation ou les intérêts de l’institution, sans être tenue de démontrer si des personnes extérieures à celle-ci ont été au courant du comportement de l’intéressé et, si oui, combien (voir, par analogie, arrêt du 10 juin 2016, HI/Commission, F‑133/15, EU:F:2016:127, point 204 et jurisprudence citée).

220    De même, contrairement à ce que le requérant soutient, la BCE a pu retenir comme circonstance aggravante le fait qu’il avait agi contre les intérêts financiers de l’institution, qu’il était pourtant tenu de protéger. En effet, il suffit de constater à cet égard que les demandes de remboursement indues du requérant ont nécessairement eu un impact sur les finances de la BCE qui supportaient en définitive ces coûts.

d)      Sur le troisième grief du requérant

221    Le requérant soutient que le directoire a méconnu le rôle que jouent les circonstances atténuantes en soutenant que celles retenues par le comité de discipline ne réduisaient en aucune façon la perte de confiance de la BCE à son égard.

222    Le comité de discipline avait, en l’occurrence, retenu comme circonstances atténuantes le caractère modeste du grade et de l’ancienneté du requérant, l’absence d’antécédent disciplinaire et le fait qu’il ne pouvait être certain que la société A aurait refusé de rembourser les factures de B si le cachet « Kosmetikerin » n’avait pas été omis sur la première d’entre elles.

223    Cependant, sans méconnaître pour autant leur nature de circonstances atténuantes, le directoire a pu considérer que ces circonstances ne contrebalançaient en aucun cas la perte de confiance de la BCE envers le requérant.

224    En particulier, il résulte du point 216 ci-dessus que le directoire a pu, à l’inverse du comité de discipline, refuser de considérer le grade et l’ancienneté modeste du requérant comme une circonstance atténuante. De plus, l’article 45, huitième tiret, des conditions d’emploi dispose certes que, dans le choix de la sanction disciplinaire, il doit être tenu compte de la conduite du membre du personnel tout au long de sa carrière. Toutefois, cette disposition ne fait pas dépendre obligatoirement la perte du lien de confiance d’un état de récidive. Celle-ci peut résulter d’un seul fait ou comportement. Or, au vu des missions de la BCE, le directoire a pu, en l’espèce, mettre légitimement l’accent sur la rigueur requise de chaque agent sur le plan financier.

e)      Sur le quatrième grief du requérant

225    Le requérant considère qu’il convient d’avoir égard aux circonstances atténuantes dont il avait fait état devant le comité de discipline et dans ses observations du 30 avril 2018 et dont la BCE n’aurait pas tenu compte.

226    Le requérant évoque, premièrement, les souffrances que sa famille et lui ont dû endurer tout le long de la procédure, pendant laquelle il a été suspendu de ses fonctions. Il évoque également son droit à retrouver une paix intérieure et à pouvoir restaurer son honneur.

227    Toutefois, la durée de la procédure disciplinaire ne figure pas parmi les éléments mentionnés à l’article 45 des conditions d’emploi comme circonstances atténuantes et n’est pas pertinente pour déterminer la sanction disciplinaire qui, aux termes de cet article, doit être proportionnelle à la gravité de la faute commise (voir, par analogie, arrêt du 10 juin 2016, HI/Commission, F‑133/15, EU:F:2016:127, point 200).

228    De plus, le requérant n’étaye pas son grief. Il ne fournit pas d’élément concret précisant les souffrances que sa famille et lui auraient subies du fait de la procédure et de sa longueur, en particulier en quoi elles auraient excédé les inquiétudes et l’incertitude que génèrent inévitablement des procédures pénales et disciplinaires, et que la BCE aurait dû prendre en considération comme circonstance atténuante.

229    De même, le requérant ne développe pas le grief qu’il tire de son prétendu droit à retrouver la paix intérieure et au rétablissement de son honneur. Il en va tout spécialement ainsi dans le contexte du présent moyen, qui, invoqué à titre subsidiaire et limité à la contestation de la proportionnalité de la sanction, présuppose que la faute disciplinaire est établie.

230    Le requérant tire, deuxièmement, argument de son très bon bilan au sein de la BCE et soutient qu’il aurait dû être pris en considération en tant que circonstance atténuante.

231    Cependant, il résulte du point 224 ci-dessus que le directoire a pu considérer que la confiance de la BCE envers le requérant était perdue en dépit de la circonstance que les faits reprochés constituaient son premier manquement.

232    Pour le surplus, le requérant se limite à produire des rapports d’évaluation manifestement établis à la fin des années 2008 et 2010, ainsi qu’une brève appréciation figurant dans un courriel daté du 29 septembre 2011. Ces pièces ne sont pas probantes de sa manière de servir en général entre l’année 2011 et la date de sa suspension le 21 octobre 2014 à partir de laquelle il n’a plus fait l’objet d’une évaluation.

233    Par conséquent, c’est à juste titre que la BCE n’a pas retenu le bilan du requérant en son sein comme une circonstance atténuante (voir point 196 ci-dessus).

234    Troisièmement, le requérant reproche à la BCE de ne pas avoir pris en considération le fait qu’il n’avait pas eu l’intention de méconnaître ses obligations professionnelles, qu’il n’avait pas agi par intérêt personnel et que l’institution n’avait subi aucun dommage.

235    Aux termes de l’article 45, troisième tiret, des conditions d’emploi, le degré d’intentionnalité est un élément dont la BCE doit tenir compte pour déterminer la sanction disciplinaire.

236    Il ressort cependant de l’examen conjoint des troisième et septième moyens ainsi que du sixième moyen et, en outre, du point 216 ci-dessus que la BCE a pu considérer qu’il pouvait être inféré du libellé des factures de soutien scolaire que celles-ci n’étaient pas sincères et véritables, que les circonstances objectives de l’espèce, suscitant des doutes quant au droit au remboursement desdites factures, appelaient des vérifications simples qui étaient à la portée du requérant et que, à l’instar de toute personne raisonnablement prudente, il aurait au minimum dû en informer l’administration et collaborer avec elle.

237    Dans ces conditions, le directoire a pu à juste titre (voir point 196 ci-dessus) ne pas retenir comme circonstance atténuante l’absence d’intentionnalité dans le chef du requérant.

238    Il en va de même en ce qui concerne l’allégation du requérant selon laquelle il n’aurait pas agi par intérêt personnel, dès lors qu’il a bénéficié des remboursements litigieux.

239    Il en va de même encore du fait que la BCE n’aurait subi aucun dommage, puisque le requérant ne pouvait ignorer que le remboursement des frais scolaires était à la charge de la BCE. De surcroît, et au-delà de ce dommage matériel, il ressort de l’examen du deuxième grief soulevé par le requérant dans le cadre du présent moyen que la BCE a raisonnablement pu considérer que son comportement avait pu affecter sa réputation et, partant, sa crédibilité en tant qu’institution financière (voir point 219 ci-dessus), lui faisant ainsi subir aussi un préjudice moral.

240    Quatrièmement, le requérant tire argument de ce que la BCE n’a pas tenu compte de ce qu’aucun avertissement ne lui avait été adressé, alors que les faits litigieux se sont étendus au vu et au su de la BCE sur une période de quatre ans en ce qui concerne les factures de soutien scolaire.

241    Toutefois, ce volet de l’affaire concerne des demandes de remboursements introduites en 2010, en 2012 et en 2014, ainsi qu’en janvier 2017. Or, il résulte de l’examen du deuxième moyen que le comité de discipline n’a découvert les faits que dans le courant du mois de mars 2017, à l’occasion de l’examen approfondi du dossier du requérant auquel les volets de l’affaire relatifs aux factures de physiothérapie et aux reçus de pharmacies l’avaient conduit. De surcroît, à la suite de quelques investigations complémentaires, la BCE a notifié au requérant le projet du futur rapport no 2 le 19 juin 2017, soit environ trois mois seulement après cette découverte. Dans ces conditions, la Banque ne saurait encourir le reproche de ne pas avoir adressé d’avertissement au requérant au sujet des factures de soutien scolaire.

242    Le requérant soutient également que les faits relatifs aux factures de physiothérapie et aux reçus pharmaceutiques se sont déroulés sur une période de cinq ans sans plus d’avertissement.

243    Cependant, ce dernier argument est dépourvu de pertinence dès lors que la BCE a pu estimer que chacun des trois volets de l’affaire, fussent-ils pris isolément, avait de manière irréversible affecté la confiance qui était à la base de sa relation avec son personnel (voir point 99 ci-dessus) et donc que le volet de l’affaire relatif aux factures de soutien scolaire, qui n’est entaché d’aucune illégalité, suffisait à justifier la décision de licenciement.

f)      Conclusions sur le dixième moyen et sur les conclusions en annulation

244    Il ressort de ce qui précède que les griefs du requérant soulevés dans le cadre de son dixième moyen ne sont pas justifiés et que, par voie de conséquence, celui-ci n’établit pas le caractère disproportionné (voir point 197 ci-dessus) de la décision de licenciement.

245    Le dixième moyen n’est donc pas fondé.

246    Compte tenu de ce que le caractère partiellement fondé du deuxième moyen ne suffit pas pour justifier l’annulation de la décision de licenciement ni, partant, celle du refus de rouvrir la procédure (voir point 100 ci-dessus) et qu’aucun autre moyen n’est fondé, il y a lieu de rejeter les conclusions en annulation dans leur ensemble.

B.      Sur le deuxième chef de conclusions, tendant à ce que le Tribunal ordonne la réintégration du requérant

247    Par son deuxième chef de conclusions, le requérant demande au Tribunal d’ordonner sa réintégration.

248    Ces conclusions doivent cependant être rejetées comme portées devant une juridiction incompétente pour en connaître, car il n’appartient pas au Tribunal d’adresser des injonctions à l’administration (voir, en ce sens, ordonnance du 22 septembre 2016, Gaki/Commission, C‑130/16 P, non publiée, EU:C:2016:731, point 14 et jurisprudence citée). De plus, les conclusions en annulation ayant été rejetées, il y a également lieu de rejeter, par voie de conséquence, les présentes conclusions (voir, en ce sens, ordonnance du 25 mai 2011, Meierhofer/Commission, F‑74/07 RENV, EU:F:2011:63, point 69).

C.      Sur le troisième chef de conclusions, tendant à la réparation du préjudice qu’aurait subi par le requérant

249    Le requérant sollicite du Tribunal qu’il condamne la BCE à réparer le préjudice moral qu’il aurait subi et qu’il évalue ex æquo et bono à 20 000 euros.

250    Il convient de rappeler que l’engagement de la responsabilité d’une institution, d’un organe ou d’un organisme de l’Union est subordonné à la réunion d’un ensemble de conditions, à savoir l’illégalité du comportement qui lui est reproché, la réalité du préjudice allégué et l’existence d’un lien de causalité entre le comportement reproché et le préjudice allégué, ces trois conditions étant cumulatives (voir arrêt du 3 octobre 2019, DQ e.a./Parlement, T‑730/18, EU:T:2019:725, point 47 et jurisprudence citée).

251    S’agissant de la condition relative à l’illégalité du comportement, il y a lieu de relever que, selon une jurisprudence constante, des conclusions indemnitaires, présentées conjointement à des conclusions en annulation dépourvues de tout fondement en droit, sont elles-mêmes dépourvues d’un tel fondement si elles sont étroitement liées à ces dernières (arrêts du 30 septembre 2003, Martínez Valls/Parlement, T‑214/02, EU:T:2003:254, point 43, et du 28 février 2018, Paulini/BCE, T‑764/16, non publié, EU:T:2018:101, point 86).

252    Partant, dès lors que les conclusions en annulation sont rejetées comme dépourvues de tout fondement en droit (voir point 246 ci-dessus), il y a lieu d’écarter aussi les conclusions indemnitaires en tant que celles-ci sont fondées sur les termes prétendument « rudes » de la décision de licenciement, sur le fait que celle-ci serait fondée sur une atteinte à la relation de confiance qui serait prétendument irréversible, sans que la BCE ait expliqué en quoi cette confiance aurait été irrémédiablement affectée, et sur l’atteinte à la réputation du requérant née des décisions attaquées.

253    Le requérant déduit toutefois également son préjudice de l’incertitude dans laquelle il s’est trouvé du fait que la procédure aurait été déraisonnablement longue.

254    Or, si la violation du délai raisonnable ne peut, en principe, justifier l’annulation d’une décision prise à l’issue d’une procédure administrative (voir point 178 ci-dessus), cette violation peut être prise en compte dans le traitement des conclusions indemnitaires (voir, en ce sens, arrêt du 10 avril 2019, AV/Commission, T‑303/18 RENV, non publié, EU:T:2019:239, point 87 et jurisprudence citée).

255    À cet égard, il y a lieu de rappeler qu’une procédure disciplinaire place tout fonctionnaire ou agent dans une situation d’incertitude quant à son avenir professionnel, lui causant nécessairement un certain stress et une certaine anxiété et que, lorsque cette incertitude perdure pendant une période excessive, l’intensité du stress et de l’anxiété augmente au-delà de ce qui est justifiable (arrêt du 13 janvier 2010, A et G/Commission, F‑124/05 et F‑96/06, EU:F:2010:2, point 147) et peut, en principe, être constitutive d’un préjudice moral.

256    En l’espèce, il y a cependant lieu de rappeler, s’agissant du lien de causalité, que la jurisprudence est fixée en ce sens qu’il faut que la partie requérante apporte la preuve d’une relation directe et certaine de cause à effet entre la faute commise par l’institution et le préjudice invoqué (arrêts du 28 septembre 1999, Hautem/BEI, T‑140/97, EU:T:1999:176, point 85, et du 5 juillet 2011, V/Parlement, F‑46/09, EU:F:2011:101, point 158). Ainsi, le comportement reproché doit être la cause déterminante du préjudice (ordonnance du 31 mars 2011, Mauerhofer/Commission, C‑433/10 P, non publiée, EU:C:2011:204, point 127, et arrêt du 8 novembre 2018, Cocchi et Falcione/Commission, T‑724/16 P, non publié, EU:T:2018:759, point 96).

257    À l’appui de ses conclusions indemnitaires, le requérant produit un certificat médical daté du 30 octobre 2017 qui impute en une phrase le développement progressif d’insomnies, d’une perte de poids et de maux de tête dont il était sujet à la « situation de travail créée par la BCE ».

258    Afin d’apprécier la valeur probante de ce certificat, il convient de tenir compte de l’ensemble des circonstances de l’espèce.

259    À cet égard, il y a lieu, en particulier, de relever que, si le requérant a encouru le risque d’une sanction disciplinaire à compter de sa suspension, le 21 octobre 2014, et ce jusqu’à la décision de licenciement, le 7 mai 2019, il s’est trouvé concomitamment sous le coup de plusieurs procédures pénales. Le requérant a ainsi fait l’objet d’une enquête préliminaire du chef d’escroquerie et de falsification de documents au sens de l’article 263, paragraphe 1, ainsi que de l’article 267 du code pénal allemand en rapport avec les factures de physiothérapie (voir point 7 ci-dessus). Ces deux infractions étaient passibles d’un emprisonnement d’une durée maximale de cinq ans. Aussi, son domicile a été perquisitionné dès le 16 octobre 2014. Par la suite, l’enquête préliminaire a été étendue au volet de l’affaire relatif aux reçus pharmaceutiques. Le 12 septembre 2016, le requérant a fait l’objet d’un réquisitoire du ministère public qui, s’il a classé sans suite le volet relatif aux reçus pharmaceutiques, l’a, en revanche, inculpé formellement pour escroquerie et falsification de documents pour celui concernant les factures de physiothérapie et l’a renvoyé devant le juge pénal (voir point 7 ci-dessus). Par l’arrêt du 18 octobre 2017 du Landgericht Frankfurt am Main (tribunal régional de Francfort-sur-le-Main), le requérant a été acquitté pour ces faits (voir point 14 ci-dessus). Toutefois, dans le même temps, le requérant a été poursuivi pour escroquerie s’agissant des factures de soutien scolaire. Il n’a été informé de la fin des procédures pénales le concernant que par le courrier du ministère public du 30 avril 2019 (voir point 23 ci-dessus) lui annonçant le classement de ce dernier volet.

260    Il s’ensuit que le requérant a fait l’objet de procédures pénales, y compris d’une perquisition de domicile, et a été soumis à la perspective anxiogène d’une condamnation pénale pendant tout le temps, qu’il estime déraisonnable, qu’a duré la procédure litigieuse.

261    Par ailleurs, il importe de relever que le requérant a soutenu, avec une particulière insistance, tout au long de l’instruction disciplinaire, ainsi que dans le présent recours, que la BCE aurait dû suspendre cette procédure et ne pas la clore avant d’avoir connaissance de l’issue des procédures pénales. Le requérant a ainsi nécessairement considéré que ces dernières revêtaient une importance primordiale dans son cas.

262    Or, la BCE ne saurait être tenue pour responsable de la durée des procédures pénales nationales.

263    Aussi, dans ce contexte, l’unique certificat médical du 30 octobre 2017 que le requérant a déposé, qui n’est pas circonstancié, qui est dépourvu de toute anamnèse et qui ne fait même pas allusion aux procédures pénales, ne constitue pas une preuve suffisante de ce que les insomnies, la perte de poids et les maux de tête qui y sont évoqués trouvaient leur cause déterminante dans les incertitudes liées à la durée de la procédure disciplinaire.

264    Compte tenu de ce qui précède, il convient de conclure que le requérant, à qui incombe la charge de la preuve (voir point 256 ci-dessus), n’établit pas à suffisance de droit le lien de causalité entre le comportement prétendument fautif de la BCE et le préjudice qu’il allègue. Or, comme cela est exposé au point 256 ci-dessus, ce lien est l’une des conditions cumulatives qui doivent être remplies pour que la responsabilité d’une institution puisse être engagée.

265    Par conséquent, les conclusions indemnitaires du requérant doivent être rejetées.

266    Partant, le recours du requérant doit être rejeté dans son ensemble.

D.      Sur la demande de la BCE tendant à ce que le Tribunal entende le requérant, son épouse et ses enfants, ainsi éventuellement que B

267    Pour autant que de besoin, la BCE a demandé au Tribunal de citer comme témoin le requérant, son épouse et ses enfants, ainsi éventuellement que la présumée physiothérapeute B pour les entendre au sujet des factures de physiothérapie ou, à tout le moins, d’entendre à ce propos le requérant en tant que partie au litige.

268    Dans la mesure où il a été jugé que les faits relatifs à ces factures étaient prescrits (voir point 89 ci-dessus), il n’y a pas lieu de faire droit à cette demande.

IV.    Sur les dépens

269    Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Toutefois, selon l’article 135, paragraphe 1, du même règlement, lorsque l’équité l’exige, le Tribunal peut décider qu’une partie qui succombe supporte, outre ses propres dépens, uniquement une fraction des dépens de l’autre partie, voire qu’elle ne doit pas être condamnée à ce titre. En outre, selon l’article 135, paragraphe 2, dudit règlement, le Tribunal peut condamner une partie, même gagnante, partiellement ou totalement aux dépens, si cela apparaît justifié en raison de son attitude, y compris avant l’introduction de l’instance.

270    Or, en l’espèce, il ressort des points 82 et 89 ci-dessus que la BCE a mené à son terme la procédure disciplinaire et a retenu à la charge du requérant qu’il avait failli à ses devoirs dans les volets de l’affaire relatifs aux factures de physiothérapie et aux reçus de pharmacie nonobstant leur prescription.

271    Dans ces conditions, il sera fait une juste application des dispositions citées au point 269 ci-dessus en condamnant le requérant à supporter, outre ses propres dépens, les trois quarts des dépens de la BCE et en condamnant cette dernière à supporter le quart restant de ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre élargie)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      DI supportera ses propres dépens ainsi que trois quarts des dépens de la Banque centrale européenne (BCE), laquelle supportera le reste de ses dépens.

Gervasoni

Madise

Nihoul

Frendo

 

      Martín y Pérez de Nanclares

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 9 juin 2021.

Signatures


Table des matières


I. Antécédents du litige

II. Procédure et conclusions des parties

III. En droit

A. Sur le premier chef de conclusions, tendant à l’annulation des décisions attaquées

1. Remarques liminaires

2. Sur le premier moyen, tiré de l’incompétence de l’auteur des décisions attaquées

3. Sur le deuxième moyen, tiré de la violation de l’article 8.3.2 des règles applicables au personnel et du principe de sécurité juridique

a) Sur le caractère obligatoire ou non du délai d’un an

b) Sur la question de savoir si les faits étaient prescrits

1) Sur la notion de « découverte des faits » faisant courir le délai de prescription d’un an

2) Sur l’éventuelle prescription de la procédure disciplinaire relative aux factures de physiothérapie

3) Sur l’éventuelle prescription de la procédure disciplinaire relative aux reçus de frais pharmaceutiques

4) Sur l’éventuelle prescription de la procédure disciplinaire relative aux factures de soutien scolaire

c) Conclusion sur le deuxième moyen

4. Sur le troisième et le septième moyen, tirés, respectivement, d’une part, de la violation de l’adage « le pénal tient le disciplinaire en l’état », du principe de bonne administration et du devoir de sollicitude et, d’autre part, de la violation du droit à la présomption d’innocence et de l’article 48 de la Charte

a) Sur la violation de l’adage selon lequel « le pénal tient le disciplinaire en l’état »

b) Sur la violation du droit à la présomption d’innocence et de l’article 48 de la Charte

c) Sur la violation du principe de bonne administration et du devoir de sollicitude

d) Conclusion sur les troisième et septième moyens

5. Sur le quatrième moyen, tiré de la violation de l’article 8.3.7 des règles applicables au personnel et du principe d’impartialité tel qu’il est consacré à l’article 41 de la Charte

a) Sur le premier grief du requérant

b) Sur le deuxième grief du requérant

c) Sur les troisième et quatrième griefs du requérant

d) Conclusion sur le quatrième moyen

6. Sur le cinquième moyen, tiré d’une violation des droits de la défense

7. Sur le sixième moyen, tiré d’erreurs manifestes d’appréciation

a) Remarque liminaire

b) Sur l’examen incomplet des circonstances de la cause, sur les erreurs dans l’appréciation d’éléments de preuve et sur l’erreur de droit entachant le volet de l’affaire relatif aux factures de soutien scolaire

8. Sur le huitième moyen, tiré de la violation du délai raisonnable et du devoir de sollicitude

9. Sur le neuvième moyen, tiré de la violation de l’obligation de motivation

10. Sur le dixième moyen, formulé à titre subsidiaire et tiré de la violation du principe de proportionnalité

a) Remarque liminaire

b) Sur le premier grief du requérant

c) Sur le deuxième grief du requérant

d) Sur le troisième grief du requérant

e) Sur le quatrième grief du requérant

f) Conclusions sur le dixième moyen et sur les conclusions en annulation

B. Sur le deuxième chef de conclusions, tendant à ce que le Tribunal ordonne la réintégration du requérant

C. Sur le troisième chef de conclusions, tendant à la réparation du préjudice qu’aurait subi par le requérant

D. Sur la demande de la BCE tendant à ce que le Tribunal entende le requérant, son épouse et ses enfants, ainsi éventuellement que B

IV. Sur les dépens


*      Langue de procédure : l’anglais.