DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (septième chambre)

14 juillet 2021 (*)

« Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives prises au regard de la situation au Venezuela – Gel des fonds – Listes des personnes, entités et organismes auxquels s’applique le gel des fonds et des ressources économiques – Inscription du nom du requérant sur les listes – Obligation de motivation – Droits de la défense – Principe de bonne administration – Droit à une protection juridictionnelle effective – Erreur d’appréciation »

Dans l’affaire T‑245/18,

Antonio José Benavides Torres, demeurant à Caracas (Venezuela), représenté par Mes L. Giuliano et F. Di Gianni, avocats,

partie requérante,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté par Mme S. Kyriakopoulou, M. V. Piessevaux, Mme P. Mahnič et M. A. Antoniadis, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 263 TFUE et tendant à l’annulation, d’une part, de la décision (PESC) 2018/90 du Conseil, du 22 janvier 2018, modifiant la décision (PESC) 2017/2074 concernant des mesures restrictives en raison de la situation au Venezuela (JO 2018, L 16 I, p. 14), et, d’autre part, du règlement d’exécution (UE) 2018/88 du Conseil, du 22 janvier 2018, mettant en œuvre le règlement (UE) 2017/2063 concernant des mesures restrictives en raison de la situation au Venezuela (JO 2018, L 16 I, p. 6), en ce que ces actes concernent le requérant,

LE TRIBUNAL (septième chambre),

composé de M. R. da Silva Passos, président, Mme I. Reine (rapporteure) et M. L. Truchot, juges,

greffier : M. B. Lefebvre, administrateur,

vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience du 3 septembre 2020,

rend le présent

Arrêt

 Antécédent du litige

1        Le requérant, M. Antonio José Benavides Torres, était chef du gouvernement du Distrito Capital (district de la capitale) du Venezuela jusqu’au 3 janvier 2018 et général commandant la Guardia Nacional Bolivariana (Garde nationale bolivarienne) jusqu’au 21 juin 2017.

 Mise en place du régime de mesures restrictives : la décision (PESC) 2017/2074 et le règlement (UE) 2017/2063

2        Le 13 novembre 2017, le Conseil de l’Union européenne a adopté la décision (PESC) 2017/2074, concernant des mesures restrictives en raison de la situation au Venezuela (JO 2017, L 295, p. 60). Selon son considérant 1, cette décision était motivée par la dégradation constante de la démocratie, de l’état de droit et des droits de l’homme au Venezuela.

3        La décision 2017/2074 comporte, en substance, premièrement, une interdiction d’exporter, vers le Venezuela, des armes, des équipements militaires ou tout autre équipement susceptible d’être utilisé à des fins de répression interne ainsi que des équipements, de la technologie ou des logiciels de surveillance et, deuxièmement, une interdiction de fournir des services financiers, techniques ou autres en rapport avec ces biens et ces technologies.

4        L’article 6, paragraphe 1, de la décision 2017/2074 prévoit en outre ce qui suit :

« Les États membres prennent les mesures nécessaires pour empêcher l’entrée ou le passage en transit sur leur territoire :

a)      des personnes physiques qui sont responsables de violations graves des droits de l’homme ou d’atteintes graves à ceux-ci ou d’actes de répression à l’égard de la société civile et de l’opposition démocratique au Venezuela ; ou

b)      des personnes physiques dont les actions, les politiques ou les activités portent atteinte d’une quelconque autre manière à la démocratie ou à l’état de droit au Venezuela,

dont la liste figure à l’annexe I. »

5        L’article 7 de la décision 2017/2074 dispose :

« 1. Sont gelés tous les fonds et ressources économiques appartenant aux personnes, entités ou organismes ci-après, de même que tous les fonds et ressources économiques possédés, détenus ou contrôlés par les personnes, entités ou organismes ci-après :

a)      les personnes physiques ou morales, les entités ou les organismes qui sont responsables de violations graves des droits de l’homme ou d’atteintes graves à ceux-ci ou d’actes de répression à l’égard de la société civile et de l’opposition démocratique au Venezuela ;

b)      les personnes physiques ou morales, les entités ou les organismes dont les actions, les politiques ou les activités portent atteinte d’une quelconque autre manière à la démocratie ou à l’état de droit au Venezuela,

dont la liste figure à l’annexe I.

2. Sont gelés tous les fonds et ressources économiques appartenant aux personnes physiques ou morales, entités et organismes associés aux personnes, entités ou organismes visés au paragraphe 1 dont la liste figure à l’annexe II, de même que tous les fonds et ressources économiques que ces personnes, ces entités ou ces organismes ont en leur possession, détiennent ou contrôlent.

3. Aucun fonds ni aucune ressource économique n’est mis à la disposition, directement ou indirectement, des personnes physiques ou morales, des entités ou des organismes dont la liste figure à l’annexe I ou II, ni n’est dégagé à leur profit.

[…] »

6        L’article 8 de la décision 2017/2074 est libellé comme suit :

« 1. Le Conseil, statuant à l’unanimité sur proposition d’un État membre ou du haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, établit et modifie les listes figurant aux annexes I et II.

2. Le Conseil communique la décision visée au paragraphe 1 à la personne physique ou morale, à l’entité ou à l’organisme concerné, y compris les motifs de son inscription sur la liste, soit directement si son adresse est connue, soit par la publication d’un avis, en lui donnant la possibilité de présenter des observations.

3. Si des observations sont formulées, ou si de nouveaux éléments de preuve substantiels sont présentés, le Conseil réexamine la décision visée au paragraphe 1 et en informe la personne physique ou morale, l’entité ou l’organisme concerné en conséquence. »

7        L’article 13, second alinéa, de la décision 2017/2074 dispose que cette décision fait l’objet d’un suivi constant et est prorogée, ou modifiée, le cas échéant, si le Conseil estime que ses objectifs n’ont pas été atteints.

8        À la date de l’adoption de la décision 2017/2074, ses annexes I et II ne comportaient encore le nom d’aucune personne ou entité.

9        Sur le fondement de l’article 215 TFUE et de la décision 2017/2074, le Conseil a adopté, le 13 novembre 2017, le règlement (UE) 2017/2063, concernant des mesures restrictives en raison de la situation au Venezuela (JO 2017, L 295, p. 21). En ce qui concerne le gel des fonds des personnes visées, ce règlement reprend, en substance, les dispositions de la décision 2017/2074. En particulier, les annexes IV et V dudit règlement correspondent respectivement aux annexes I et II de la décision 2017/2074. En vertu de l’article 17, paragraphe 4, du même règlement, ces deux annexes sont réexaminées à intervalles réguliers, et au moins tous les douze mois.

10      À la date de l’adoption du règlement 2017/2063, ses annexes IV et V ne comportaient encore le nom d’aucune personne ou entité.

11      L’article 13, premier alinéa, de la décision 2017/2074 prévoyait, dans sa version initiale, que cette décision était applicable jusqu’au 14 novembre 2018.

12      En revanche, le règlement 2017/2063 n’est assorti d’aucun terme.

 Inscription du nom du requérant sur les listes : la décision (PESC) 2018/90 et le règlement d’exécution (UE) 2018/88

13      Le 22 janvier 2018, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2018/90, modifiant la décision 2017/2074 (JO 2018, L 16 I, p. 14). Le même jour le Conseil a adopté le règlement d’exécution (UE) 2018/88, mettant en œuvre le règlement 2017/2063 (JO 2018, L 16 I, p. 6). Cette décision et ce règlement d’exécution (ci-après, ensemble, les « actes attaqués ») ont été publiés le jour même au Journal officiel de l’Union européenne. Selon les considérants 4 des actes attaqués, « la situation au Venezuela ne cessant de se dégrader, il conv[enai]t d’inscrire sept personnes sur la liste des personnes physiques et morales, des entités et des organismes faisant l’objet de mesures restrictives » figurant à l’annexe I de la décision 2017/2074 et à l’annexe IV du règlement 2017/2063. Les actes attaqués ont par conséquent modifié ces annexes. Le nom du requérant y a ainsi été inscrit de la manière suivante : « 4 – Nom : Antonio José Benavides Torres – Informations d’identification : Date de naissance : 13.6.1961 – Motifs de l’inscription : Chef du gouvernement du district de la capitale (Distrito Capital). Général de la Garde nationale bolivarienne jusqu’au 21 juin 2017. Impliqué dans la répression de la société civile et de l’opposition démocratique vénézuéliennes et responsable de graves violations des droits de l’homme commises sous son commandement par la Garde nationale bolivarienne. Ses actions et les politiques qu’il a menées en tant que général de la Garde nationale bolivarienne, notamment lorsque celle-ci a joué un rôle de premier plan en ce qui concerne le maintien de l’ordre lors de manifestations civiles et lorsqu’il s’est prononcé publiquement en faveur de la compétence des tribunaux militaires pour juger des civils, ont porté atteinte à l’état de droit au Venezuela. – Date de l’inscription : 22.1.2018 ».

14      Le 23 janvier 2018 a été publié au Journal officiel un avis à l’attention des personnes faisant l’objet des mesures restrictives prévues par la décision 2017/2074, modifiée par la décision 2018/90, et par le règlement 2017/2063, mis en œuvre par le règlement d’exécution 2018/88, concernant des mesures restrictives en raison de la situation au Venezuela (JO 2018, C 23, p. 4).

15      Par courriel du 20 février 2018, le représentant du requérant a demandé au Conseil d’avoir accès au dossier contenant les éléments de preuve, les documents et les informations justifiant les actes attaqués. Le Conseil a accusé réception de cette demande le lendemain.

16      Par courriel du 3 avril 2018, le Conseil a envoyé au représentant du requérant les deux documents sur lesquels les actes attaqués étaient fondés, à savoir un document de travail daté du 22 mars 2018 portant la référence WK 3501/2018 INIT et l’extrait 4 d’une annexe à un document daté du 27 mars 2018 et portant la référence COREU CFSP/0702/17.

17      En réponse à une demande d’éclaircissement du représentant du requérant, le Conseil a précisé, le 6 avril 2018, que les documents WK 3501/2018 INIT et COREU CFSP/0702/17 dataient en réalité du 6 décembre 2017 mais, ayant dû être déclassifiés en raison de la demande d’accès, ils portaient respectivement les dates du 22 et du 27 mars 2018.

 Procédure et conclusions des parties

18      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 16 avril 2018, le requérant a introduit le présent recours.

19      La phase écrite de la procédure a été close le 19 décembre 2018.

20      Le 28 mars 2019, l’ancienne quatrième chambre du Tribunal a décidé d’ouvrir la phase orale de la procédure, de fixer ultérieurement la date de l’audience de plaidoiries et de poser une question aux parties, pour réponse écrite, dans le cadre d’une mesure d’organisation de la procédure prévue à l’article 89 du règlement de procédure du Tribunal. Les parties ont déposé leurs réponses dans le délai imparti.

21      Le 3 mai 2019, les parties ont été informées de la décision du président du Tribunal d’attribuer la présente affaire à la juge rapporteure, en application de l’article 27, paragraphe 1, du règlement de procédure.

22      Le 26 septembre 2019, la composition des chambres du Tribunal ayant été modifiée, en application de l’article 27, paragraphe 5, du règlement de procédure, la juge rapporteure a été affectée à la septième chambre. Après que les parties ont été invitées à s’exprimer et à défaut d’objections de leur part, la présente affaire a été réattribuée à la septième chambre par décision du président du Tribunal du 10 décembre 2019.

23      Par lettre du 20 décembre 2019, les parties ont été invitées à présenter des observations sur une éventuelle jonction des affaires T‑245/18, Benavides Torres/Conseil, T‑246/18, Moreno Pérez/Conseil, T‑247/18, Lucena Ramírez/Conseil, T‑248/18, Cabello Rondón/Conseil, T‑249/18, Saab Halabi/Conseil et T‑35/19, Benavides Torres/Conseil, aux fins de la phase orale de la procédure. Les parties ont répondu ne pas avoir d’objections à une telle jonction.

24      Par décision du 28 janvier 2020, le président de la septième chambre du Tribunal a décidé de joindre lesdites affaires (ci-après les « affaires jointes »), aux fins de la phase orale de la procédure. Le même jour, la phase orale de la procédure a été ouverte et la date de l’audience de plaidoiries a été fixée au 23 avril 2020.

25      Le 7 février 2020, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 89 du règlement de procédure, le Tribunal a invité les parties dans les affaires jointes à répondre à des questions pour réponse écrite avant l’audience et pour réponse orale lors de l’audience. Les parties dans les affaires jointes ont répondu aux questions pour réponse écrite dans le délai imparti. Le 13 mars 2020, le Tribunal les a invitées à présenter leurs observations éventuelles sur les réponses de l’autre partie. Les parties dans les affaires jointes ont présenté leurs observations dans le délai imparti.

26      L’audience de plaidoiries initialement prévue le 23 avril 2020 ayant été reportée en raison de la crise sanitaire, les parties dans les affaires jointes ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales posées par le Tribunal lors de l’audience du 3 septembre 2020.

27      Le requérant conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler les actes attaqués, en tant que leurs dispositions le concernent ;

–        condamner le Conseil aux dépens.

28      Le Conseil conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner le requérant aux dépens.

 En droit

29      À l’appui de son recours, le requérant invoque deux moyens tirés, le premier, de la violation de l’obligation de motivation, du principe de bonne administration et de ses droits de la défense ainsi que de son droit à une protection juridictionnelle effective et, le second, d’« erreurs manifestes d’appréciation ».

 Sur le premier moyen, tiré de la violationde l’obligation de motivation, du principe de bonne administration et des droits de la défense ainsi que du droit à une protection juridictionnelle effective

30      D’une part, le requérant prétend, en substance, que les actes attaqués ne sont pas suffisamment motivés. En ce sens, il soutient que les motifs figurant à l’annexe I de la décision 2017/2074 et à l’annexe IV du règlement 2017/2063, telles que modifiées par les actes attaqués, étaient trop vagues pour qu’il puisse apprécier pleinement à quels faits concrets le Conseil faisait référence. D’autre part, il fait valoir que, malgré ses démarches entamées le 20 février 2018, le Conseil ne lui a accordé l’accès aux documents justifiant les actes attaqués que le 3 avril suivant, c’est-à-dire à un moment où il ne lui restait plus que treize jours calendaires ou neuf jours ouvrables pour introduire son recours. Dès lors, le requérant conclut que le Conseil n’a pas satisfait, dans un délai raisonnable, à sa demande d’accès à son dossier et a ainsi violé le principe de bonne administration, ses droits de la défense et son droit à une protection juridictionnelle effective.

31      Le Conseil conteste les arguments du requérant.

 Sur la violation de l’obligation de motivation

32      Conformément à la jurisprudence, l’obligation de motiver un acte faisant grief, telle que prévue à l’article 296, deuxième alinéa, TFUE et consacrée à l’article 41, paragraphe 2, sous c), de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »), constitue un corollaire du principe du respect des droits de la défense. Il convient de rappeler, à cet égard, que la motivation a précisément pour but, d’une part, de fournir à l’intéressé une indication suffisante pour savoir si l’acte est bien fondé ou s’il est éventuellement entaché d’un vice permettant d’en contester la validité devant le juge de l’Union et, d’autre part, de permettre à ce dernier d’exercer son contrôle sur la légalité de cet acte (voir arrêts du 26 juillet 2017, Conseil/LTTE, C‑599/14 P, EU:C:2017:583, point 29 et jurisprudence citée, et du 26 octobre 2016, Kaddour/Conseil, T‑155/15, non publié, EU:T:2016:628, points 56 et 57 et jurisprudence citée).

33      La motivation d’un acte faisant grief doit exposer les faits et les considérations juridiques revêtant une importance essentielle dans l’économie de cet acte (voir arrêt du 26 juillet 2017, Conseil/LTTE, C‑599/14 P, EU:C:2017:583, point 30 et jurisprudence citée).

34      En ce qui concerne les mesures restrictives adoptées dans le cadre de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC), dans la mesure où la personne concernée ne dispose pas d’un droit d’audition préalable à l’adoption d’une décision initiale de gel des fonds, le respect de l’obligation de motivation est d’autant plus important, puisqu’il constitue l’unique garantie permettant à l’intéressé, à tout le moins après l’adoption de cette décision, de se prévaloir utilement des voies de recours à sa disposition pour contester la légalité de ladite décision (arrêts du 15 novembre 2012, Conseil/Bamba, C‑417/11 P, EU:C:2012:718, point 51, et du 26 octobre 2016, Kaddour/Conseil, T‑155/15, non publié, EU:T:2016:628, point 58).

35      Partant, à moins que des considérations impérieuses touchant à la sûreté de l’Union européenne ou de ses États membres ou à la conduite de leurs relations internationales ne s’opposent à la communication de certains éléments, le Conseil est tenu de porter à la connaissance d’une personne ou d’une entité visée par des mesures restrictives les raisons spécifiques et concrètes pour lesquelles il considère qu’elles devaient être adoptées. Il doit ainsi énoncer les éléments de fait et de droit dont dépend la justification légale des mesures concernées et les considérations qui l’ont amené à les prendre (arrêt du 9 juillet 2009, Melli Bank/Conseil, T‑246/08 et T‑332/08, EU:T:2009:266, point 144).

36      Cependant, la motivation doit être adaptée à la nature de l’acte en cause et au contexte dans lequel il a été adopté. L’exigence de motivation doit être appréciée en fonction des circonstances de l’espèce, notamment du contenu de l’acte, de la nature des motifs invoqués et de l’intérêt que les destinataires ou d’autres personnes concernées directement et individuellement par l’acte peuvent avoir à recevoir des explications. Il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où le caractère suffisant d’une motivation doit être apprécié au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée. En particulier, un acte faisant grief est suffisamment motivé dès lors qu’il est intervenu dans un contexte connu de l’intéressé, qui lui permet de comprendre la portée de la mesure prise à son égard (arrêts du 15 novembre 2012, Conseil/Bamba, C‑417/11 P, EU:C:2012:718, points 53 et 54, et du 25 avril 2013, Gossio/Conseil, T‑130/11, non publié, EU:T:2013:217, points 45 et 46).

37      Il convient également de rappeler que l’obligation de motiver un acte constitue une forme substantielle qui doit être distinguée de la question du bien-fondé des motifs, celui-ci relevant de la légalité au fond de l’acte litigieux (voir arrêt du 30 janvier 2019, Stavytskyi/Conseil, T‑290/17, EU:T:2019:37, point 57 et jurisprudence citée).

38      C’est à la lumière de ces principes qu’il convient d’examiner le présent grief.

39      En l’espèce, s’agissant des motifs pour lesquels le Conseil a considéré que le requérant devait spécifiquement faire l’objet de mesures restrictives, la motivation, reproduite au point 13 ci-dessus, qui figure aux points 3 de l’annexe I de la décision 2017/2074 et de l’annexe IV du règlement 2017/2063, telles que modifiées par les actes attaqués, identifie, contrairement à ce que soutient en substance le requérant, les éléments spécifiques et concrets qui révèlent, selon le Conseil, l’implication de celui-ci dans des atteintes à la démocratie et à l’état de droit au Venezuela.

40      En effet, il convient de relever que les préambules des actes attaqués visent, respectivement, la décision 2017/2074 et le règlement 2017/2063. Or, aux considérants 1 et 5 à 8 de la décision 2017/2074, ainsi qu’aux considérants 1 et 2 du règlement 2017/2063, le Conseil a exposé le contexte général l’ayant conduit à prévoir des mesures restrictives à l’encontre du Venezuela et de certaines personnes ou entités vénézuéliennes. Il en ressort que ce contexte général se caractérisait par la détérioration constante de la démocratie, de l’état de droit et des droits de l’homme au Venezuela, résultant notamment de l’usage excessif de la force, ainsi que des actes de répression à l’égard de la société civile et de l’opposition démocratique. Eu égard à sa fonction de général de la Garde nationale bolivarienne, le requérant ne pouvait ignorer ce contexte.

41      De plus, ainsi que cela a été indiqué aux points 4 et 5 ci-dessus, conformément à l’article 6, paragraphe 1, et à l’article 7, paragraphe 1, de la décision 2017/2074, les critères généraux d’inscription établis par le Conseil visent, d’une part, les personnes physiques qui « sont responsables de violations graves des droits de l’homme ou d’atteintes graves à ceux-ci ou d’actes de répression à l’égard de la société civile et de l’opposition démocratique au Venezuela » et, d’autre part, les personnes physiques « dont les actions, les politiques ou les activités portent atteinte d’une quelconque autre manière à la démocratie ou à l’état de droit au Venezuela ».

42      Dès lors, la lecture des motifs d’inscription du requérant permet de comprendre que les raisons spécifiques et concrètes ayant conduit le Conseil à adopter des mesures restrictives à l’encontre du requérant sont fondées sur sa prétendue implication dans la répression de la société civile et de l’opposition démocratique au Venezuela, sur sa prétendue responsabilité relative à de graves violations des droits de l’homme commises sous son commandement par la Garde nationale bolivarienne et sur le prétendu fait que, dans l’exercice de ses fonctions de général de cette garde, il a porté atteinte à l’état de droit au Venezuela, notamment lorsque celle-ci a joué un rôle de premier plan en ce qui concerne le maintien de l’ordre lors de manifestations civiles et lorsqu’il s’est prononcé publiquement en faveur de la compétence des tribunaux militaires pour juger des civils.

43      De surcroît, il convient de relever que le fait que le requérant a pu comprendre les motifs qui, selon le Conseil, justifiaient l’adoption de mesures restrictives à son égard est confirmé par la teneur du second moyen du présent recours. En effet, le requérant a été capable d’identifier les faits précis qui lui étaient reprochés et de contester leur exactitude. Il a pu avancer l’argument que le Conseil n’apportait pas de preuve suffisamment précise et concrète au soutien des actes attaqués. Notamment, il a été en mesure de contester la crédibilité et la force probante des éléments sur lesquels le Conseil s’est fondé. Le requérant a pu également exposer le cadre juridique définissant le rôle et l’action de la Garde nationale bolivarienne et soutenir ainsi que les actes attaqués étaient le résultat d’une méconnaissance de ce cadre, en particulier en ce qui concerne le recours à la force. Le requérant a, de surcroît, pu décrire le contexte factuel dans lequel les forces de l’ordre étaient intervenues lors de manifestations et le contexte dans lequel il avait fait la déclaration controversée concernant la possibilité de déférer des civils aux tribunaux militaires. Il a, en outre, pu contester l’imputation, par le Conseil, à la Garde nationale bolivarienne, de la répression d’une manifestation. Finalement, le requérant a pu exposer les raisons pour lesquelles l’adoption de mesures restrictives à son égard ne permettait pas aux actes attaqués d’atteindre leur objectif.

44      Il s’ensuit que la motivation des actes attaqués a mis le requérant en mesure de comprendre et de contester les motifs de l’inscription de son nom sur les listes litigieuses.

45      Compte tenu de ce qui précède, il y a lieu de rejeter le grief tiré de la violation de l’obligation de motivation par le Conseil.

 Sur la violation du principe de bonne administration, des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective

46      À titre liminaire, il y a lieu de remarquer que le grief du requérant selon lequel le Conseil a violé le principe de bonne administration, son droit à une protection juridictionnelle effective et ses droits de la défense n’est pas étayé par des arguments spécifiques à chacune de ces violations, mais se borne à renvoyer à une argumentation commune. Dans ces circonstances, il y a lieu d’examiner conjointement lesdites violations.

47      Il convient de rappeler que le respect des droits de la défense, qui est consacré à l’article 41, paragraphe 2, sous a), de la Charte, à laquelle le traité UE reconnaît la même valeur juridique que les traités, comporte notamment le droit d’accès au dossier, tandis que le droit à une protection juridictionnelle effective, qui est affirmé à l’article 47 de ladite Charte, exige que l’intéressé puisse connaître les motifs sur lesquels est fondée la décision prise à son égard (voir, en ce sens, arrêt du 15 septembre 2016, Klyuyev/Conseil, T‑340/14, EU:T:2016:496, point 55).

48      Plus précisément, les droits de la défense et le droit à une protection juridictionnelle effective impliquent que l’autorité de l’Union qui adopte des mesures restrictives communique à l’intéressé les éléments sur lesquels ces mesures sont fondées ou lui accorde le droit d’en prendre connaissance dans un délai raisonnable après l’édiction de ces mesures (voir, en ce sens, arrêts du 21 mars 2014, Yusef/Commission, T‑306/10, EU:T:2014:141, point 90, et du 13 décembre 2016, Al-Ghabra/Commission, T‑248/13, EU:T:2016:721, point 49).

49      À cet égard, il y a lieu de rappeler que, dans le cas d’une décision initiale de gel de fonds, le Conseil n’est pas tenu de communiquer au préalable à la personne ou à l’entité concernée les motifs sur lesquels cette institution entend fonder l’inclusion du nom de cette personne ou de cette entité dans la liste pertinente, afin de garantir l’effet de surprise nécessaire à l’efficacité d’une telle mesure. Dans un tel cas, il suffit, en principe, que l’institution procède à la communication des motifs à la personne ou à l’entité concernée et ouvre le droit à l’audition de celle-ci concomitamment avec ou immédiatement après l’adoption de la décision (voir, en ce sens, arrêt du 21 décembre 2011, France/People’s Mojahedin Organization of Iran, C‑27/09 P, EU:C:2011:853, point 61).

50      En l’espèce, dans le contexte particulier de l’inscription initiale sur les listes litigieuses nécessitant d’assurer un effet de surprise, indépendamment de la question de savoir si le Conseil a communiqué son dossier au requérant dans un délai raisonnable, il convient de déterminer si le requérant n’était pas en mesure de contester les éléments dudit dossier devant le Tribunal (voir, par analogie, arrêts du 18 septembre 2014, Georgias e.a./Conseil et Commission, T‑168/12, EU:T:2014:781, point 106, et du 15 juin 2017, Kiselev/Conseil, T‑262/15, EU:T:2017:392, point 153). Or, force est de constater que ce dernier a été mis en mesure de contester les éléments dudit dossier devant le Tribunal, ainsi qu’il ressort des arguments invoqués dans la requête décrits au point 43 ci-dessus.

51      Certes, lors de l’audience, le requérant a indiqué qu’il aurait pu mentionner, dès la requête, que le 4 janvier 2018, il avait cessé d’exercer les fonctions de chef du gouvernement du district de la capitale. Toutefois, force est de constater, d’une part, que c’est dans les motifs mêmes des actes attaqués que le Conseil a fait référence aux fonctions de chef du gouvernement du district de la capitale exercées par le requérant, de sorte que ce dernier était en mesure de faire valoir un tel argument dès sa prise de connaissance desdits motifs. D’autre part, le requérant a été en mesure d’invoquer cet argument dans sa réplique (voir, par analogie, arrêt du 22 avril 2015, Tomana e.a./Conseil et Commission, T‑190/12, EU:T:2015:222, points 201 à 203).

52      Par conséquent, le requérant n’a pas démontré que la communication prétendument tardive du dossier du Conseil a porté atteinte à ses droits de la défense, à son droit à une protection juridictionnelle effective et au principe de bonne administration.

53      À la lumière des considérations qui précèdent, il y a lieu de rejeter le présent grief et, partant, le premier moyen dans son ensemble.

 Sur le second moyen, tiré d’une absence d’éléments de preuve et d’« erreurs manifestes d’appréciation »

54      Le requérant fait valoir, en premier lieu, que le Conseil a apprécié erronément le faisceau d’indices sur lequel l’inscription sur les listes litigieuses était fondée. Tout d’abord, le requérant conteste le résumé par le Conseil d’un article publié sur le site Internet « Notitotal.com », selon lequel, pendant une manifestation s’étant tenue à Caracas (Venezuela) le 19 juin 2017, « contrôlée par la Garde nationale bolivarienne », 48 personnes ont été blessées. Ensuite, les articles de presse recueillis par le Conseil sur Internet renverraient souvent à d’autres sources d’information, alors qu’un tel « recyclage » d’informations affecterait la fiabilité de leur contenu. Enfin, de nombreux articles de presse invoqués par le Conseil seraient partiaux au motif qu’ils auraient été publiés dans des journaux et sur des sites Internet soutenant l’opposition.

55      En deuxième lieu, le requérant conteste que le Conseil ait disposé d’éléments de preuve suffisants pour établir que des violations graves et systématiques des droits de l’homme ont été commises en raison du recours excessif à la force par la Garde nationale bolivarienne.

56      Pour apprécier le rôle de la Garde nationale bolivarienne et le rôle du requérant, il aurait, en effet, été nécessaire de tenir compte des dispositions régissant celle-ci. Ainsi, la Garde nationale bolivarienne serait un organe constitutionnel faisant partie des forces armées vénézuéliennes. Elle serait notamment responsable de la conduite des opérations exigées pour le maintien de l’ordre dans le pays. En outre, les dispositions applicables à la Garde nationale bolivarienne prévoiraient des degrés progressifs de recours à la force en fonction du niveau de résistance et d’opposition et réglementeraient notamment l’utilisation de gaz lacrymogènes et d’armes à feu. Le cadre juridique vénézuélien relatif au fonctionnement de la Garde nationale bolivarienne serait ainsi conforme aux « principes de base sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu par les responsables de l’application des lois », adoptés par le huitième Congrès des Nations unies pour la prévention du crime et le traitement des délinquants qui s’est tenu à La Havane (Cuba) du 27 août au 7 septembre 1990.

57      Par ailleurs, le Conseil aurait également dû tenir compte du fait que, dès le début de l’année 2016, le président du Venezuela de l’époque avait déclaré un état d’urgence et du fait que, en raison de la grave crise sociale dans laquelle le Venezuela a plongé en 2017, celui-ci a également déclaré, le 13 mai 2017, un état d’exception s’appliquant à l’ensemble du territoire vénézuélien.

58      Sous le commandement du requérant, la Garde nationale bolivarienne n’aurait jamais reçu l’ordre d’intervenir en recourant à la force ou en faisant usage d’armes à feu. Elle n’aurait utilisé que des balles en caoutchouc et du gaz lacrymogène et aurait ainsi agi dans les limites des compétences qui lui étaient attribuées par la législation relative au contrôle et au maintien de l’ordre public.

59      En troisième lieu, le requérant prétend que ses déclarations auraient dû être appréciées dans le contexte dans lequel elles avaient été faites, c’est-à-dire au vu de la situation politique, sociale et économique troublée caractérisant le Venezuela. Il invoque à cet égard sa déclaration contenue dans la vidéo publiée sur le site Internet « Notimpacto.com ».

60      Par ailleurs, il conviendrait de noter que la juridiction pénale militaire fait partie du pouvoir judiciaire et que, selon le code militaire du 17 septembre 1998, les tribunaux militaires sont compétents pour juger des civils, notamment en cas de rébellion. La Garde nationale bolivarienne n’aurait, en revanche, aucune compétence pour décider si un prévenu doit comparaître devant une juridiction civile ou une juridiction militaire.

61      En quatrième lieu, et en tout état de cause, le requérant fait observer qu’il a quitté ses fonctions auprès de la Garde nationale bolivarienne et a été déchargé de celles de chef du gouvernement du district de la capitale avant l’adoption des actes attaqués. Aussi, dans la mesure où le requérant n’exerçait plus aucune charge publique, les actes attaqués ne pouvaient atteindre l’objectif poursuivi par le Conseil.

62      Le Conseil conteste les arguments du requérant.

63      Il convient de rappeler que l’effectivité du contrôle juridictionnel, garantie par l’article 47 de la Charte, exige notamment que le juge de l’Union s’assure que la décision, qui revêt une portée individuelle pour la personne ou l’entité concernée, repose sur une base factuelle suffisamment solide. Cela implique une vérification des faits allégués dans l’exposé des motifs qui sous-tend ladite décision, de sorte que le contrôle juridictionnel ne soit pas limité à l’appréciation de la vraisemblance abstraite des motifs invoqués, mais porte sur la question de savoir si ces motifs, ou, à tout le moins, l’un d’eux considéré comme suffisant en soi pour soutenir cette même décision, sont étayés (arrêts du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 119, et du 28 novembre 2013, Conseil/Fulmen et Mahmoudian, C‑280/12 P, EU:C:2013:775, point 64).

64      À cette fin, il incombe au juge de l’Union de procéder à cet examen en demandant, le cas échéant, à l’autorité compétente de l’Union de produire des informations ou des éléments de preuve, confidentiels ou non, pertinents aux fins d’un tel examen (voir arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 120 et jurisprudence citée ; arrêt du 28 novembre 2013, Conseil/Fulmen et Mahmoudian, C‑280/12 P, EU:C:2013:775, point 65).

65      C’est en effet à l’autorité compétente de l’Union qu’il appartient, en cas de contestation, d’établir le bien-fondé des motifs retenus à l’encontre de la personne concernée, et non à cette dernière d’apporter la preuve négative de l’absence de bien-fondé desdits motifs (arrêts du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 121, et du 28 novembre 2013, Conseil/Fulmen et Mahmoudian, C‑280/12 P, EU:C:2013:775, point 66).

66      À cette fin, il n’est pas requis que ladite autorité produise devant le juge de l’Union l’ensemble des informations et des éléments de preuve inhérents aux motifs allégués dans l’acte dont il est demandé l’annulation. Il importe toutefois que les informations ou les éléments produits étayent les motifs retenus à l’encontre de la personne concernée (arrêts du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 122, et du 28 novembre 2013, Conseil/Fulmen et Mahmoudian, C‑280/12 P, EU:C:2013:775, point 67).

67      En ce qui concerne les moyens de preuve qui peuvent être invoqués, le principe qui prévaut en droit de l’Union est celui de la libre administration des preuves [arrêt du 6 septembre 2013, Persia International Bank/Conseil, T‑493/10, EU:T:2013:398, point 95 (non publié)]. À cet égard, il importe de rappeler que, en l’absence de pouvoirs d’enquête dans des pays tiers, l’appréciation des autorités de l’Union doit, de fait, se fonder sur des sources d’information accessibles au public, des rapports, des articles de presse ou d’autres sources d’information similaires (voir, en ce sens, arrêt du 14 mars 2018, Kim e.a./Conseil et Commission, T‑533/15 et T‑264/16, EU:T:2018:138, point 107). Notamment, il ressort de la jurisprudence que le juge de l’Union peut prendre en considération des rapports d’organisations internationales (voir, en ce sens, arrêt du 18 juin 2015, Ipatau/Conseil, C‑535/14 P, EU:C:2015:407, point 48).

68      Par ailleurs, selon une jurisprudence constante, eu égard à la nature préventive des mesures restrictives adoptées par le Conseil, si, dans le cadre de son contrôle de la légalité des actes attaqués, le juge de l’Union considère que, à tout le moins, l’un des motifs mentionnés dans ces actes à l’égard d’une personne visée par ces mesures est suffisamment précis et concret, qu’il est étayé et qu’il constitue en soi une base suffisante pour soutenir la décision d’inscrire ou de maintenir le nom de cette personne sur les listes annexées auxdits actes, la circonstance que d’autres motifs ne le seraient pas ne saurait justifier l’annulation de ces actes (voir, en ce sens, arrêts du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 130 ; du 28 novembre 2013, Conseil/Manufacturing Support & Procurement Kala Naft, C‑348/12 P, EU:C:2013:776, point 72, et du 26 mars 2019, Boshab e.a./Conseil, T‑582/17, non publié, EU:T:2019:193, point 221).

69      C’est au vu de ces principes qu’il y a lieu d’examiner si sont entachés d’erreurs d’appréciation les motifs de l’inscription du requérant sur les listes litigieuses.

70      Ainsi que cela a été indiqué aux points 4 et 5 ci-dessus, conformément à l’article 6, paragraphe 1, et à l’article 7, paragraphe 1, de la décision 2017/2074, les critères généraux d’inscription établis par le Conseil visent, d’une part, les personnes physiques qui « sont responsables de violations graves des droits de l’homme ou d’atteintes graves à ceux-ci ou d’actes de répression à l’égard de la société civile et de l’opposition démocratique au Venezuela » et, d’autre part, les personnes physiques « dont les actions, les politiques ou les activités portent atteinte d’une quelconque autre manière à la démocratie ou à l’état de droit au Venezuela ».

71      À cet égard, il convient de rappeler que, en ce qui concerne le contexte général au Venezuela, il ressort des considérants 1 et 5 à 8 de la décision 2017/2074 et des considérants 1 et 2 du règlement 2017/2063 que les actes attaqués ont été adoptés en raison de la détérioration constante de la démocratie, de l’état de droit et des droits de l’homme au Venezuela, résultant notamment de l’usage excessif de la force, ainsi que des actes de répression à l’égard de la société civile et de l’opposition démocratique. Au considérant 5 de la décision 2017/2074, il est indiqué que, le 26 juillet 2017, l’Union a exprimé sa préoccupation face aux nombreuses informations faisant état de violations des droits de l’homme et d’usage excessif de la force, et a appelé les autorités vénézuéliennes à respecter la Constitution vénézuélienne et l’état de droit et à veiller à ce que les libertés et les droits fondamentaux, y compris le droit de manifester pacifiquement, soient garantis.

72      Ce contexte général de la situation au Venezuela a également été invoqué par le Conseil devant le Tribunal, sans qu’il soit contredit par le requérant. Le Conseil a ainsi rappelé que, après le mois de décembre 2015, à la suite des élections de l’Assemblée nationale, une coalition de partis d’opposition avait gagné la majorité des sièges. Au mois de janvier 2016, le président du Venezuela de l’époque a décrété l’état d’urgence et a gouverné par décrets. Au mois d’avril 2017, des manifestations quasi quotidiennes se sont déroulées pendant plusieurs mois, ayant pour conséquence un grand nombre de décès et de blessés parmi les civils et des milliers d’arrestations. Au mois de mai 2017, le président du Venezuela de l’époque a annoncé la création d’une Assemblée constituante dont les membres avaient été élus le 30 juillet 2017 par un processus électoral boycotté par l’opposition.

73      En l’espèce, le Conseil a considéré que le requérant était impliqué dans la répression de la société civile et de l’opposition démocratique vénézuéliennes, qu’il était responsable de graves violations des droits de l’homme commises sous son commandement par la Garde nationale bolivarienne et que les actions et les politiques qu’il a menées en tant que général de la Garde nationale bolivarienne, notamment lorsque celle-ci a joué un rôle de premier plan en ce qui concerne le maintien de l’ordre lors de manifestations civiles et lorsqu’il s’est prononcé publiquement en faveur de la compétence des tribunaux militaires pour juger des civils, ont porté atteinte à l’état de droit au Venezuela.

74      À cet égard, dans son dossier, le Conseil a notamment invoqué les éléments de preuve suivants :

–        un article du 29 juin 2017, publié sur le site Internet « www.efectococuyo.com » et intitulé « Le bureau du procureur général convoque Benavides Torres pour violations des [droits de l’homme] pendant des manifestations » ;

–        un article du 30 juin 2017, publié sur le site Internet « https ://konzapata.com » et intitulé « Le dossier et la double accusation contre le général Antonio Benavides Torres » ;

–        un article du 20 juin 2017, publié sur le site Internet « http ://notitotal.com » et intitulé «  Au moins 48 blessés dans la répression de manifestants à Caracas » ;

–        un article du 19 juin 2017, publié sur le site Internet « http ://eltubazo.com.ve » et intitulé «  La Garde nationale tire sur des manifestants à Altamira » ;

–        le rapport du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH), du 30 août 2017 ;

–        la déclaration du secrétaire général de l’Organisation des États américains (OEA), du 16 mai 2017.

75      À cet égard, ainsi que l’indique le Conseil, il ressort du rapport du HCDH du 30 août 2017 que, du mois d’avril au mois de juillet 2017, les forces de sécurité vénézuéliennes ont utilisé des armes à feu chargées de chevrotines, de billes ou de pièces métalliques lors de la répression des manifestations, qu’au moins quatorze manifestants ont été tués par ces types de munitions et que, au cours de ces manifestations, la Garde nationale bolivarienne était la seule force de sécurité présente.

76      En outre, comme l’invoque le Conseil, le secrétaire général de l’OEA, dans sa déclaration du 16 mai 2017 sur le Venezuela, a indiqué que le requérant et le ministre de l’Intérieur dirigeaient les deux institutions accusées d’avoir recours à la force au Venezuela et que, en ce sens, ils étaient responsables de chaque agression, de chaque coup de feu et de chaque mort.

77      Par ailleurs, trois articles de presse, figurant au dossier du Conseil, font également état de l’usage excessif de la force dans la répression des manifestations en 2017. Premièrement, il ressort de l’article du 29 juin 2017, publié sur le site Internet « www.efectococuyo.com », que le bureau du procureur général a délivré une injonction à comparaître envers le requérant, pour violations graves et systématiques présumées des droits de l’homme lors des manifestations de 2017 au Venezuela par l’usage excessif de la force dans la répression des manifestations.

78      Deuxièmement, l’article du 19 juin 2017, publié sur le site Internet « http ://eltubazo.com.ve », rapporte l’usage d’armes à feu par la Garde nationale bolivarienne en répression à une manifestation tenue le même jour dans le quartier d’Altamira à Caracas. Cet article reproduit des tweets du ministre de l’Intérieur vénézuélien, portant la même date, dont il résulte que, si celui-ci déplorait les violences des manifestants, il admettait néanmoins que, lors de la manifestation en question, plusieurs personnes avaient été blessées et une personne tuée par une arme à feu. Il précisait également qu’une enquête avait été ouverte pour recours indu et disproportionné à la force.

79      Troisièmement, l’article du 20 juin 2017, publié sur le site Internet « http ://notitotal.com », fait référence aux 48 blessés lors d’une manifestation du lundi 19 juin 2017 à Caracas. Il ressort également de l’article en cause que les porte-paroles des centres de santé ayant reçu les blessés ont indiqué que ceux-ci avaient présenté des traumatismes et de multiples blessures causées par des balles de caoutchouc et que certains d’entre eux étaient intoxiqués par le gaz lacrymogène. Certes, ainsi que l’indique le requérant, l’article du 20 juin 2017, publié sur le site Internet « http ://notitotal.com », fait référence d’une manière générale aux « forces de sécurité » et ne mentionne pas explicitement la Garde nationale bolivarienne. Toutefois, deux éléments du dossier du Conseil permettent de considérer que la référence aux « forces de sécurité » concernait la Garde nationale bolivarienne. D’une part, l’article publié sur le site Internet « eltubazo.com », cité au point 78 ci-dessus, fait bien mention de l’implication de la Garde nationale bolivarienne dans la répression de la manifestation du 19 juin 2017. D’autre part, dans l’article publié sur le site Internet « konzapata.com » du 30 juin 2017, consacré au requérant, il est fait référence au recours à des tirs de balles réelles contre des manifestants le 19 juin 2017 et à la destitution consécutive du requérant, le jour suivant, de ses fonctions de commandant de la Garde nationale bolivarienne.

80      Par ailleurs, comme le fait observer le requérant, il est vrai que l’article du 29 juin 2017, publié sur le site Internet « www.efectococuyo.com », et l’article du 19 juin 2017, publié sur le site Internet « http ://eltubazo.com.ve », se réfèrent à d’autres sources d’information, à savoir, respectivement, à un communiqué de presse du bureau du procureur général et à des tweets du ministre de l’intérieur vénézuélien.

81      Il y a toutefois lieu de rappeler que, conformément à une jurisprudence constante, l’activité de la Cour et du Tribunal est régie par le principe de libre appréciation des preuves et que le seul critère pour apprécier la valeur des preuves produites réside dans leur crédibilité. En outre, pour apprécier la valeur probante d’un document, il faut vérifier la vraisemblance de l’information qui y est contenue et tenir compte, notamment, de l’origine du document, des circonstances de son élaboration, de son destinataire, et se demander si, d’après son contenu, il semble sensé et fiable (voir arrêt du 26 octobre 2016, Kaddour/Conseil, T‑155/15, non publié, EU:T:2016:628, point 85 et jurisprudence citée).

82      En l’espèce, il convient de constater que les articles de presse se référant à d’autres sources d’information, mentionnés au point 80 ci-dessus, émanent de deux différentes sources d’information numériques. De plus, ils ont été publiés à différentes dates. En outre, chaque source d’information numérique apporte des éléments d’information différents, et ce en dépit du fait que toutes ces sources concordent, en substance, quant au caractère excessif du recours à la force par la Garde nationale bolivarienne agissant sous l’autorité du requérant.

83      Le requérant prétend également que de nombreux articles de presse invoqués par le Conseil ont été publiés dans des journaux et sur des sites Internet soutenant l’opposition et qu’ils seraient, dès lors, partiaux. Toutefois, force est de constater qu’il ne conteste pas expressément le manque d’impartialité des éléments produits par le Conseil concernant le recours excessif à une force, mentionnés aux points 75 à 79 ci-dessus. En tout état de cause, cet argument du requérant doit être rejeté. En effet, le requérant est resté en défaut de démontrer que les éléments, mentionnés aux points 75 à 79 ci-dessus, relayeraient des informations erronées, de sorte que, même à supposer que l’auteur ait émis un avis subjectif sur les faits qu’il a mentionnés dans ces éléments, cela ne prive pas sa présentation de ces faits de toute véracité.

84      En ce qui concerne les arguments du requérant, tirés de ce que le Conseil n’aurait pas tenu compte de tous les éléments pertinents quant au recours à la force, le requérant prétend, tout d’abord, que, pour apprécier le rôle de la Garde nationale bolivarienne sous son commandement, le Conseil aurait dû tenir compte des dispositions régissant celle-ci, notamment en ce qui concerne le recours à la force. Il fait valoir, à cet égard, que ces dispositions respectent les standards internationaux en la matière, en particulier en ce qu’elles consacrent le principe d’un recours progressif à la force en fonction du niveau de résistance et d’opposition des citoyens.

85      Toutefois, il ressort du dossier (voir points 75 à 79 ci-dessus) que le Conseil ne s’est pas basé sur les dispositions réglementant les activités de la Garde nationale bolivarienne, mais qu’il s’est limité à constater que, sous le commandement du requérant, la Garde nationale bolivarienne a fait, en pratique, un usage excessif de la force pour contenir les manifestations organisées entre le 1er avril et le 20 juin 2017.

86      Le requérant fait ensuite valoir que le Conseil aurait dû tenir compte du fait que, dès le début de l’année 2016, le président du Venezuela de l’époque avait déclaré un état d’urgence et du fait que, en raison de la grave crise sociale dans laquelle le Venezuela a plongé en 2017, celui-ci a également déclaré, le 13 mai 2017, un état d’exception s’appliquant à l’ensemble du territoire vénézuélien, afin de préserver l’ordre public interne. Le requérant prétend encore que le Conseil aurait dû prendre en considération le fait que les manifestations d’avril et de mai 2017 n’avaient pas été autorisées. Le requérant soutient également que le Conseil aurait dû tenir compte de la violence des manifestants eux-mêmes. Le requérant renvoie en particulier, à cet égard, à la vidéo mentionnée dans l’article du 20 juin 2017, publié sur le site Internet « http ://notitotal.com » , qui montrerait des émeutiers armés dont la violence expliquerait la réaction des forces de l’ordre.

87      Toutefois, le fait que le président du Venezuela de l’époque avait déclaré un état d’urgence et que les manifestations d’avril et de mai 2017 n’aient pas été autorisées ne saurait justifier que la Garde nationale bolivarienne ait brutalisé des personnes non armées et ait recouru à des tirs de cartouches de gaz lacrymogène, à des tirs de balles de caoutchouc et même à des tirs de balles réelles qui ont conduit, selon le HCDH, au décès de quatorze manifestants. En effet, un usage excessif de la force porte atteinte à la dignité humaine et constitue, en principe, une violation des droits fondamentaux. Or, même en prenant en considération la vidéo en question, ainsi que d’autres documents du dossier révélant la présence de fauteurs de troubles parmi les manifestants, le requérant n’établit pas que les manifestations en cause aient été d’une agressivité telle qu’elles n’auraient pu être maîtrisées que par le recours à du gaz lacrymogène, à des tirs de balles de caoutchouc et même de balles réelles, qui ont occasionné le décès de plusieurs manifestants et des centaines de blessés.

88      Au vu de ce qui précède, le Conseil a pu, sans commettre d’erreur d’appréciation, considérer que la Garde nationale bolivarienne, sous le commandement du requérant, avait fait un usage excessif de la force dans le cadre du maintien de l’ordre lors de manifestations civiles. Partant, c’est également sans commettre d’erreur d’appréciation que le Conseil a considéré que, au vu du contexte général de la situation au Venezuela, décrit au point 72 ci-dessus, le requérant avait été impliqué dans la répression de la société civile et de l’opposition démocratique vénézuéliennes et qu’il était responsable de graves violations des droits de l’homme commises sous son commandement par la Garde nationale bolivarienne, sans qu’il soit nécessaire d’examiner, conformément à la jurisprudence citée au point 68 ci-dessus, la pertinence et la force probante des autres éléments retenus par le Conseil.

89      Cette conclusion ne saurait être remise en cause par les arguments du requérant, tirés de ce que, au moment de l’adoption des actes attaqués, il n’occupait plus aucune fonction officielle. Plus particulièrement, le requérant rappelle qu’il a cessé d’exercer les fonctions de chef du gouvernement du district de la capitale le 4 janvier 2018.

90      Il ne ressort pas du dossier et il n’est pas davantage allégué par le requérant, qui a été spécifiquement interrogé sur ce point lors de l’audience, que la cessation de ses différentes fonctions publiques aurait été une décision qu’il aurait prise lui-même en réaction aux atteintes à l’état de droit et à la démocratie au Venezuela afin de se distancier de telles atteintes [voir, par analogie, arrêts du 26 mars 2019, Boshab e.a./Conseil, T‑582/17, non publié, EU:T:2019:193, point 152, et du 12 février 2020, Kande Mupompa/Conseil, T‑170/18, EU:T:2020:60, point 131 (non publié)]. Au surplus, il convient de tenir compte du laps de temps très court qui s’est écoulé entre, d’une part, la cessation, par le requérant, de ses fonctions de chef du gouvernement du district de la capitale, le 4 janvier 2018, et, d’autre part, l’inscription initiale de son nom sur les listes litigieuses, le 22 janvier 2018. Dans ces conditions, le Conseil pouvait légitimement considérer que le requérant était demeuré lié au régime qui était au pouvoir au Venezuela lorsqu’il a, dans le cadre de ses fonctions de commandant de la Garde nationale bolivarienne, porté atteinte à la démocratie et à l’état de droit au Venezuela.

91      Les considérations qui précèdent ne sauraient être considérées comme impliquant l’établissement d’une présomption ou un renversement de la charge de la preuve au détriment du requérant, contrairement à ce qu’il soutient. Elles signifient simplement que la référence, dans les motifs des actes attaqués, aux fonctions précédemment exercées par le requérant révèle que le Conseil a considéré que, pour cette raison, il demeurait lié au régime au pouvoir au Venezuela et que le Conseil ne disposait d’aucun élément susceptible de remettre en cause cette thèse (voir, par analogie, arrêt du 22 avril 2015, Tomana e.a./Conseil et Commission, T‑190/12, EU:T:2015:222, point 167).

92      Dès lors, il convient d’écarter le deuxième moyen et, partant, de rejeter le recours dans son ensemble.

 Sur les dépens

93      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Le requérant ayant succombé, il y a lieu de le condamner aux dépens, conformément aux conclusions du Conseil.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (septième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      M. Antonio José Benavides Torres est condamné aux dépens.

da Silva Passos

Reine

Truchot

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 14 juillet 2021.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.