DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (neuvième chambre)

17 novembre 2021 (*)

« Dessin ou modèle communautaire – Procédure de nullité – Dessin ou modèle communautaire enregistré représentant un linge de table – Divulgation du dessin ou modèle antérieur – Article 7 du règlement (CE) no 6/2002 – Motif de nullité – Absence de caractère individuel – Article 6 et article 25, paragraphe 1, sous b), du règlement no 6/2002 – Irrecevabilité de la demande en nullité – Article 52, paragraphe 3, du règlement no 6/2002 »

Dans l’affaire T‑538/20,

Marcos Guasch Pubill, demeurant à Barcelone (Espagne), représenté par Mes R. Guerras Mazón et M. Centell Ribas, avocats,

partie requérante,

contre

Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), représenté par Mme S. Palmero Cabezas, en qualité d’agent,

partie défenderesse,

l’autre partie à la procédure devant la chambre de recours de l’EUIPO, intervenant devant le Tribunal, étant

Nap-Kings, SL, établie à Madrid (Espagne), représentée par Me A. Otero Iglesias, avocate,

ayant pour objet un recours formé contre la décision de la troisième chambre de recours de l’EUIPO du 23 juin 2020 (affaire R 1051/2019‑3), relative à une procédure de nullité entre Nap-Kings et M. Guasch Pubill,

LE TRIBUNAL (neuvième chambre),

composé de Mmes M. J. Costeira, présidente, M. Kancheva (rapporteure) et T. Perišin, juges,

greffier : Mme A. Juhasz-Toth, administratrice,

vu la requête déposée au greffe du Tribunal le 26 août 2020,

vu le mémoire en réponse de l’EUIPO déposé au greffe du Tribunal le 24 novembre 2020,

vu le mémoire en réponse de l’intervenante déposé au greffe du Tribunal le 26 novembre 2020,

vu l’attribution de l’affaire à une nouvelle juge rapporteure et la désignation d’un autre juge pour compléter la chambre à la suite du décès de M. le juge Berke, survenu le 1er août 2021,

à la suite de l’audience du 15 septembre 2021,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        Le 12 janvier 2007, le requérant, M. Guasch Pubill, a présenté une demande d’enregistrement d’un dessin ou modèle communautaire à l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), en vertu du règlement (CE) no 6/2002 du Conseil, du 12 décembre 2001, sur les dessins ou modèles communautaires (JO 2002, L 3, p. 1).

2        Le dessin ou modèle communautaire dont l’enregistrement a été demandé et qui est contesté en l’espèce est représenté dans la vue suivante :

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3        Les produits dans lesquels le dessin ou modèle contesté est destiné à être incorporé relèvent de la classe 6.13 au sens de l’arrangement de Locarno du 8 octobre 1968 instituant une classification internationale pour les dessins et modèles industriels, tel que modifié, et correspondent à la description suivante : « Tissus pour nettoyer, linge de table ».

4        Le dessin ou modèle contesté a été enregistré le 12 janvier 2007 en tant que dessin ou modèle communautaire sous le numéro 650627-0003 et publié au Bulletin des dessins ou modèles communautaires no 2007/020, du 13 février 2007.

5        Le 15 février 2016, l’intervenante, Nap-Kings, SL, a introduit, en vertu de l’article 52 du règlement no 6/2002, une demande de nullité du dessin ou modèle contesté.

6        Les motifs invoqués à l’appui de la demande en nullité étaient ceux visés à l’article 25, paragraphe 1, sous b), lu conjointement avec les articles 4 à 6 et 8, paragraphe 1, du règlement no 6/2002.

7        La demande en nullité était fondée, entre autres, sur l’absence de nouveauté et de caractère individuel du dessin ou modèle contesté, notamment par rapport au dessin d’une serviette de table qui apparaît dans la publication The Classics of Magic, de Tom Osborne, Napkin Folding, divulguée antérieurement, reproduit ci‑après :

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8        Le 26 mars 2019, la division d’annulation a fait droit à la demande en nullité en se référant au dessin ou modèle visé au point 7 ci-dessus sur la base du motif visé à l’article 25, paragraphe 1, sous b), lu conjointement avec les articles 4 et 6 du règlement no 6/2002, et a déclaré nul le dessin ou modèle contesté.

9        Le 14 mai 2019, le requérant a formé un recours auprès de l’EUIPO, au titre des articles 55 à 60 du règlement no 6/2002, contre la décision de la division d’annulation.

10      Par décision du 23 juin 2020 (ci-après la « décision attaquée »), la troisième chambre de recours de l’EUIPO a rejeté le recours. En particulier, elle a rejeté, en premier lieu, l’exception de chose jugée soulevée par le requérant, au motif que la décision antérieure invoquée à l’appui de ladite exception n’avait pas examiné le dessin ou modèle antérieur mentionné au point 7 ci-dessus. En deuxième lieu, s’agissant des motifs de nullité tirés de l’absence de nouveauté et de caractère individuel, du fait de la divulgation préalable à la demande d’enregistrement du dessin ou modèle contesté d’un dessin similaire dans la publication The Classics of Magic, de Tom Osborne, Napkin Folding, de 1945, la chambre de recours a retenu que cette divulgation permettait de présumer que ce dessin avait été connu des milieux spécialisés du secteur concerné également dans l’Union européenne et que le requérant n’avait pas renversé cette présomption par les éléments de preuve qu’il avait présentés. En troisième lieu, la chambre de recours a confirmé que les dessins ou modèles en conflit n’étaient pas identiques au sens de l’article 5 du règlement no 6/2002. En quatrième lieu, quant au caractère individuel, elle a considéré que celui-ci faisait défaut. En effet, premièrement, les deux dessins ou modèles seraient des carrés avec un encadré. Deuxièmement, l’élément cousu (et non imprimé ou dessiné) du périmètre cadré et pointillé n’altérerait pas la similitude entre eux. Troisièmement, le fait que cet élément cousu puisse remplir une fonction technique, à savoir celle d’éviter l’effilochage, n’altérerait pas la perception des deux dessins ou modèles, dès lors que l’encadré remplirait contextuellement une fonction esthétique ou ornementale, car il aurait été possible de choisir une autre forme géométrique. Quatrièmement, ces deux dessins ou modèles produiraient une impression globale identique sur l’utilisateur averti, à savoir le consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, de torchons et de linge de table. La chambre de recours en a conclu que le dessin ou modèle contesté ne répondait pas aux exigences prévues à l’article 6 du règlement no 6/2002 et, partant, devait être déclaré nul, en vertu de l’article 25, paragraphe 1, sous b), dudit règlement.

 Conclusions des parties

11      Le requérant conclut, après avoir restreint ses prétentions lors de l’audience, à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        à titre subsidiaire, annuler et réformer ladite décision ;

–        le cas échéant, renvoyer l’affaire devant l’EUIPO pour qu’il se prononce sur les « moyens additionnels » qui n’ont pas été examinés dans la décision attaquée ;

–        condamner l’EUIPO aux dépens.

12      L’EUIPO et l’intervenante concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner le requérant aux dépens.

 En droit

13      Le requérant soulève, en substance, trois moyens, tirés, le premier, de la violation de l’article 52, paragraphe 3, du règlement no 6/2002 et de l’exception de chose jugée, le deuxième, de la violation de l’article 7 de ce règlement et, le troisième, de la violation de l’article 25, paragraphe 1, sous b), du même règlement, lu en combinaison avec l’article 6 de ce dernier.

 Sur le premier moyen, tiréde la violation de l’article 52, paragraphe 3, du règlement no 6/2002

14      Le requérant allègue que la décision attaquée a été adoptée en violation de l’article 52, paragraphe 3, du règlement no 6/2002. Selon lui, l’EUIPO aurait dû rejeter la demande en nullité en raison de l’identité substantielle de cette demande avec une autre demande en nullité ayant donné lieu à une procédure nationale antérieure, ayant opposé devant le Tribunal Español de Dibujos y Modelos Comunitarios (Tribunal espagnol des dessins ou modèles communautaires, Espagne) les mêmes parties, ayant le même objet et la même cause et qui avait été rejetée en dernière instance. En particulier, le requérant soutient que le fait que la demande en nullité devant l’EUIPO soit fondée notamment sur le dessin ou modèle mentionné au second tiret du point 7 ci-dessus, qui existait déjà au moment de la procédure devant la juridiction nationale et que l’intervenante aurait dû invoquer dans le cadre de cette procédure dans les délais prévus, rendrait irrecevable cette seconde demande, en vertu de l’article 52, paragraphe 3, du règlement no 6/2002 et des articles 222 et 400 de la Ley de Enjuiciamiento Civil (code de procédure civile espagnol).

15      L’EUIPO et l’intervenante contestent ces arguments.

16      Aux termes de l’article 52, paragraphe 3, du règlement no 6/2002, la demande en nullité est irrecevable si un tribunal des dessins ou modèles communautaires a statué entre les mêmes parties sur une demande ayant le même objet et la même cause et que cette décision a acquis l’autorité de la chose jugée.

17      La chambre de recours, en confirmant la décision de la division d’annulation, a considéré, aux points 21 à 24 de la décision attaquée, que l’exception d’irrecevabilité fondée sur l’article 52, paragraphe 3, du règlement no 6/2002 n’était pas fondée, dès lors que l’intervenante avait invoqué devant l’EUIPO un dessin ou modèle antérieur non invoqué devant le tribunal national, à savoir le dessin figurant au point 7 ci-dessus.

18      À cet égard, s’agissant de ce qu’il faut entendre par « cause » de la demande, il convient de préciser que, lors de l’audience l’EUIPO a rappelé que, selon l’arrêt no 254/15 du Tribunal supremo espagnol (Cour suprême, Espagne), la causa petendi couvre non seulement l’indication du fondement juridique, à savoir l’absence de caractère nouveau ou de caractère individuel, mais également le dessin ou modèle concret, divulgué antérieurement, considéré comme identique ou comme produisant une impression globale par rapport à laquelle l’impression globale produite par le dessin ou modèle en cause ne serait pas différente.

19      En outre, ainsi que l’avocat général Bobek l’a relevé dans ses conclusions dans l’affaire Apple and Pear Australia et Star Fruits Diffusion/EUIPO (C‑226/15 P, EU:C:2016:250, point 35, note de bas de page 5), par « cause », il convient d’entendre les faits et les dispositions légales sur lesquels la demande est fondée et par « objet » à la fois le résultat que le requérant cherche à obtenir et l’objet « concret » de la demande.

20      Il convient, partant, de considérer que l’identité de cause implique non seulement le même fondement juridique, c’est-à-dire l’invocation des mêmes dispositions légales à l’appui des demandes, mais également sur les mêmes faits, et notamment sur les mêmes dessins ou modèles en conflit.

21      En l’espèce, il existe certes une identité en ce qui concerne les parties et l’objet de l’affaire, dès lors qu’il s’agit dans les deux procédures d’une demande de nullité du même dessin ou modèle. Toutefois, comme le soutient à juste titre l’EUIPO, la cause diffère dans la mesure où la nullité du dessin ou modèle contesté est demandée dans le cadre de la procédure devant l’EUIPO par rapport à un dessin ou modèle non invoqué devant la juridiction nationale et sur lequel celle-ci ne s’était donc pas prononcée.

22      Ainsi, contrairement à ce qu’affirme le requérant, ce ne sont pas de moyens nouveaux dont la production dans le cadre de la nouvelle procédure serait interdite en raison de la préexistence de ceux-ci à l’introduction de la première affaire devant la juridiction nationale et du fait que l’intervenante ne les avait pas invoqués devant celle-ci dans les délais, mais un défaut d’une des conditions d’identité exigées pour l’application de l’exception de chose jugée, à savoir l’identité de la cause de la demande.

23      Par ailleurs, comme l’a souligné à juste titre la chambre de recours au point 23 de la décision attaquée, l’intérêt protégé par l’article 52, paragraphe 3, du règlement no 6/2002 est la prévention de l’adoption de décisions contradictoires relatives à la validité d’un dessin ou modèle communautaire. Or, en l’espèce, un tel risque n’existe pas, dès lors qu’aucun jugement antérieur n’a statué sur la nullité du dessin ou modèle contesté par rapport au dessin ou modèle mentionné au point 7 ci-dessus, sur lequel porte en revanche la décision attaquée.

24      Dans ces conditions, il convient de constater que l’intervenante était en droit d’introduire la demande en nullité devant l’EUIPO.

25      Il découle de ce qui précède que la chambre de recours n’a commis aucune erreur en excluant l’application de l’exception de chose jugée en l’espèce.

26      Partant, il y a lieu de rejeter le premier moyen comme non fondé.

 Sur le deuxième moyen, tiréde la violation de l’article 7 du règlement no 6/2002

27      Le requérant conteste l’appréciation de la chambre de recours concernant la divulgation du dessin ou modèle mentionné au point 7 ci-dessus. Premièrement, il allègue que la publication The Classics of Magic, de Tom Osborne, Napkin Folding, serait un livre de magie publié aux États-Unis, qui n’aurait pas pu être connu des milieux spécialisés dans le secteur des serviettes et du linge de table dans l’Union, sinon par hasard. Deuxièmement, il considère que l’existence d’un droit d’auteur conféré en 1945 ne saurait suffire pour établir la diffusion concrète de ce livre antérieurement à la demande d’enregistrement du dessin ou modèle contesté. Troisièmement, les autres éléments de preuve présentés par l’intervenante, notamment un acte notarié attestant de l’achat dudit livre sur Internet le 2 février 2016 et un accès contemporain à la page Internet de l’entreprise Amazon, dans laquelle ce livre serait classifié dans la rubrique « livres d’humour et de divertissements dans la sous-catégorie de puzzles et jouets », ne seraient pas pertinents pour démontrer ladite divulgation, car ils sont postérieurs à la date d’enregistrement du dessin ou modèle contesté (12 février 2007).

28      L’EUIPO et l’intervenante contestent ces arguments.

29      L’article 7, paragraphe 1, du règlement no 6/2002 prévoit qu’un dessin ou modèle est réputé avoir été divulgué au public s’il a été publié à la suite de l’enregistrement ou autrement, ou exposé, utilisé dans le commerce ou rendu public de toute autre manière, avant la date de dépôt de la demande d’enregistrement ou, si une priorité est revendiquée, avant la date de priorité, sauf si ces faits, dans la pratique normale des affaires, ne pouvaient raisonnablement être connus des milieux spécialisés du secteur industriel concerné, opérant dans l’Union.

30      Aux fins d’établir la divulgation d’un dessin ou modèle antérieur, il convient de procéder à une analyse en deux étapes, consistant à examiner, en premier lieu, si les éléments présentés dans la demande en nullité démontrent, d’une part, des faits constitutifs d’une divulgation d’un dessin ou modèle et, d’autre part, le caractère antérieur de cette divulgation par rapport à la date de dépôt ou de priorité du dessin ou modèle contesté et, en second lieu, dans l’hypothèse où le titulaire du dessin ou modèle contesté aurait allégué le contraire, si lesdits faits pouvaient, dans la pratique normale des affaires, raisonnablement être connus des milieux spécialisés du secteur concerné opérant dans l’Union, faute de quoi une divulgation sera considérée comme sans effets et ne sera pas prise en compte [arrêt du 13 juin 2019, Visi/one/EUIPO – EasyFix (Porte-affichette pour véhicules), T‑74/18, EU:T:2019:417, point 24].

31      Il ressort de la jurisprudence que la question de savoir si les personnes faisant partie des milieux spécialisés du secteur concerné pouvaient raisonnablement avoir connaissance d’événements s’étant produits en dehors du territoire de l’Union est une question de fait dont la réponse dépend de l’appréciation des circonstances propres à chaque affaire [voir arrêt du 21 mai 2015, Senz Technologies/OHMI – Impliva (Parapluies), T‑22/13 et T‑23/13, EU:T:2015:310, point 28 et jurisprudence citée] et que la divulgation d’un dessin ou modèle antérieur ne peut pas être démontrée par des probabilités ou des présomptions, mais doit reposer sur des éléments concrets et objectifs qui prouvent une divulgation effective du dessin ou modèle antérieur sur le marché [voir arrêt du 9 mars 2012, Coverpla/OHMI – Heinz-Glas (Flacon), T‑450/08, non publié, EU:T:2012:117, point 24 et jurisprudence citée].

32      En outre, une fois démontré qu’un dessin ou modèle a été exposé, utilisé dans le commerce ou rendu public de toute autre manière, il est présumé que ledit dessin ou modèle a été divulgué au sens de l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 6/2002 et il incombe à la partie qui conteste la divulgation de réfuter cette présomption en démontrant à suffisance de droit que les circonstances de l’espèce pouvaient raisonnablement faire obstacle à ce que ces faits fussent connus des milieux spécialisés du secteur concerné dans la pratique normale des affaires [voir, en ce sens, arrêt du 14 mars 2018, Crocs/EUIPO – Gifi Diffusion (Chaussures), T‑651/16, non publié, EU:T:2018:137, point 54].

33      Toujours selon la jurisprudence, aux fins d’apprécier si, dans la pratique normale des affaires, les faits de divulgation ne pouvaient raisonnablement être connus des milieux spécialisés du secteur concerné opérant dans l’Union, il convient d’examiner la question de savoir si, sur la base des éléments factuels qui doivent être fournis par la partie qui conteste la divulgation, il y a lieu de considérer que ces milieux n’avaient réellement pas la possibilité de prendre connaissance des faits constitutifs de la divulgation, tout en tenant compte de ce qui peut raisonnablement être exigé de la part de ces milieux pour connaître l’état de l’art antérieur. Ces éléments factuels peuvent, à titre d’exemple, porter sur la composition des milieux spécialisés, leurs qualifications, coutumes et comportements, l’étendue de leurs activités, leur présence aux événements lors desquels des dessins ou modèles sont présentés, les caractéristiques du dessin ou modèle en cause, telles que son interdépendance avec d’autres produits ou secteurs, et les caractéristiques des produits dans lesquels le dessin ou modèle en cause a été intégré, notamment le degré de technicité des produits concernés. En tout état de cause, un dessin ne peut être réputé être connu dans la pratique normale des affaires si les milieux spécialisés du secteur concerné ne pouvaient le découvrir que par hasard (voir arrêt du 14 mars 2018, Chaussures, T‑651/16, non publié, EU:T:2018:137, point 56 et jurisprudence citée).

34      En l’espèce, la chambre de recours a considéré que le dessin ou modèle antérieur invoqué par l’intervenante avait été divulgué dans la publication The Classics of Magic, de Tom Osborne, Napkin Folding, préalablement à l’enregistrement du dessin ou modèle contesté, qu’il n’existait pas d’indice que ce livre ne pouvait pas avoir été connu des milieux intéressés dans l’Union et que le requérant n’avait pas fourni d’élément permettant de démontrer à suffisance de droit que ces milieux n’avaient pas eu réellement la possibilité de prendre connaissance des faits constitutifs de la divulgation et donc de renverser la présomption de divulgation. La chambre de recours a estimé, en effet, que les livres publiés aux États-Unis sont communément lus dans l’Union, que le livre en question était disponible sur Internet et que, bien que les éléments de preuve produits aient été postérieurs à l’enregistrement du dessin ou modèle contesté, rien ne permettait de supposer que ce livre n’ait pas été disponible avant cette date. Enfin, elle a relevé que ledit livre, bien que classifié par l’entreprise Amazon parmi les livres humoristiques et de divertissement, était entièrement consacré à exposer différentes façons de plier les serviettes de table.

35      À cet égard, il convient de constater, en premier lieu, que la publication du livre The Classics of Magic, de Tom Osborne, Napkin Folding, constitue un élément concret et objectif, au sens de la jurisprudence rappelée au point 31 ci-dessus. En outre, la chambre de recours n’a pas commis d’erreur d’appréciation en considérant, au point 33 de la décision attaquée, que des livres publiés aux États-Unis sont communément lus dans l’Union, l’anglais étant la langue officielle de plusieurs États membres et, d’une manière générale, largement parlé dans l’Union, et donc que la divulgation au sein de l’Union de cet ouvrage pouvait être tenue pour établie.

36      Par ailleurs, c’est à juste titre que la chambre de recours a retenu, au point 33 de la décision attaquée, que le fait que les preuves de la disponibilité de ce livre sur Internet, via le site de vente en ligne de l’entreprise Amazon, étaient postérieures à la date d’enregistrement du dessin ou modèle contesté ne saurait, en soi, permettre d’exclure une diffusion par Internet (par exemple par l’intermédiaire d’autres sites) antérieure à cette date, compte tenu de l’époque de publication dudit livre (et d’octroi du droit d’auteur sous l’empire du US Copyright Act de 1909), à savoir 1945. L’EUIPO a confirmé lors de l’audience que ledit livre est toujours en vente sur le marché.

37      En deuxième lieu, malgré son titre et le fait que son auteur était un magicien, il ressort du contenu dudit livre que celui-ci est effectivement consacré exclusivement aux différentes manières de plier des serviettes, lesquelles constituent les produits concernés par le dessin ou modèle contesté.

38      En outre, force est de constater, comme le souligne à juste titre l’intervenante, que l’auteur de ce livre présente le dessin ou modèle antérieur comme étant la manière la plus habituelle et notoire de représenter une serviette de table ainsi que les différentes manières de plier des serviettes se trouvant déjà dans le domaine public. Il y a donc lieu d’écarter l’allégation selon laquelle les professionnels du secteur concerné, à savoir le secteur du linge de table, n’auraient pu avoir connaissance de ce dessin que par hasard.

39      Par ailleurs, cette constatation n’est pas affectée par l’argument du requérant tiré de la catégorisation subjective du livre en question sur le site de vente en ligne de l’entreprise Amazon. Or, contrairement à ce que soutient le requérant, cette catégorisation, qui n’a pas valeur de référence en matière de classification de produits, ne saurait être considérée comme un élément susceptible de démontrer que les milieux spécialisés du secteur concerné ne pouvaient pas raisonnablement avoir eu connaissance du dessin ou modèle antérieur sinon par hasard.

40      Dans ces conditions, il y a lieu de constater, contrairement à ce qu’allègue le requérant, que c’est à juste titre que la chambre de recours a considéré que le dessin ou modèle antérieur pouvait être raisonnablement connu des milieux spécialisés du secteur concerné opérant dans l’Union antérieurement à la date d’enregistrement du dessin ou modèle contesté.

41      Partant, le deuxième moyen doit être rejeté comme non fondé.

 Sur le troisième moyen, tiré de la violation de l’article 25, paragraphe 1, sous b), du règlement no 6/2002 lu en combinaison avec l’article 6 de ce dernier

42      Le requérant conteste l’appréciation de la chambre de recours selon laquelle le dessin ou modèle contesté serait dépourvu de caractère individuel et allègue que, outre la différence concernant le périmètre du dessin (cousu dans le dessin ou modèle antérieur et dessiné ou imprimé dans le dessin ou modèle contesté), le dessin ou modèle antérieur présente non pas des pointillés, mais des lignes ou des segments clairement identifiables et de diverses longueurs, séparés par des espaces notables. La différenciation dans le type de bordure, son graphisme ainsi que la répétition, la taille et le nombre de répétitions s’avéreraient déterminants dans l’impression générale, compte tenu du patrimoine des dessins ou modèles existant pour les serviettes. En outre, à la différence du dessin ou modèle antérieur, tant le périmètre extérieur que le périmètre intérieur du dessin ou modèle contesté seraient rectilignes, la marge entre ces deux périmètres se distinguerait clairement et le périmètre intérieur serait composé de points fins et consécutifs, presque continus, ce qui provoquerait un effet optique de mouvement et non un effet visuel de surpiqûre, au contraire du dessin ou modèle antérieur.

43      L’EUIPO et l’intervenante réfutent ces arguments.

44      En vertu de l’article 25, paragraphe 1, sous b), du règlement no 6/2002, un dessin ou modèle communautaire doit être déclaré nul s’il ne remplit pas les conditions fixées aux articles 4 à 9 dudit règlement, parmi lesquelles celles relatives à la nouveauté et au caractère individuel.

45      Selon l’article 6, paragraphe 1, sous b), du règlement no 6/2002, un dessin ou modèle communautaire enregistré est considéré comme présentant un caractère individuel si l’impression globale qu’il produit sur l’utilisateur averti diffère de celle que produit sur un tel utilisateur tout dessin ou modèle qui a été divulgué au public avant la date de dépôt de la demande d’enregistrement ou, si une priorité est revendiquée, avant la date de priorité. L’article 6, paragraphe 2, du règlement no 6/2002 précise en outre que, pour apprécier ce caractère individuel, il doit être tenu compte du degré de liberté du créateur dans l’élaboration du dessin ou modèle.

46      L’appréciation du caractère individuel d’un dessin ou modèle communautaire procède, en substance, d’un examen en quatre étapes. Cet examen consiste à déterminer, premièrement, le secteur des produits auxquels le dessin ou modèle est destiné à être incorporé ou auxquels il est destiné à être appliqué, deuxièmement, l’utilisateur averti desdits produits selon leur finalité et, en référence à cet utilisateur averti, le degré de connaissance de l’art antérieur ainsi que le niveau d’attention aux similitudes et aux différences dans la comparaison des dessins ou modèles, troisièmement, le degré de liberté du créateur dans l’élaboration du dessin ou modèle, dont l’influence sur le caractère individuel est en proportion inverse, et, quatrièmement, en tenant compte de celui-ci, le résultat de la comparaison, directe si possible, des impressions globales produites sur l’utilisateur averti par le dessin ou modèle contesté et par tout dessin ou modèle antérieur divulgué au public, pris individuellement (voir arrêt du 13 juin 2019, Porte-affichette pour véhicules, T‑74/18, EU:T:2019:417, point 66 et jurisprudence citée).

47      Selon une jurisprudence constante, le caractère individuel d’un dessin ou modèle résulte d’une impression globale de différence, ou d’absence de « déjà vu », du point de vue de l’utilisateur averti, par rapport à toute antériorité au sein du patrimoine des dessins ou modèles, sans tenir compte de différences demeurant insuffisamment marquées pour affecter ladite impression globale, bien qu’excédant des détails insignifiants, mais en ayant égard à des différences suffisamment marquées pour créer des impressions d’ensemble dissemblables [voir arrêt du 16 février 2017, Antrax It/EUIPO – Vasco Group (Thermosiphons pour radiateurs), T‑828/14 et T‑829/14, EU:T:2017:87, point 53 et jurisprudence citée].

48      Lorsqu’il existe un degré considérable de liberté du créateur, des différences mineures entre les dessins ou modèles en conflit ne suffisent pas à produire une impression globale différente [voir, en ce sens, arrêt du 29 novembre 2018, Sata/EUIPO – Zhejiang Auarita Pneumatic Tools (Pistolet à peinture), T‑651/17, non publié, EU:T:2018:855, point 45].

49      En l’espèce, la chambre de recours a, en premier lieu, défini, au point 40 de la décision attaquée, l’utilisateur averti comme étant le consommateur moyen normalement informé et raisonnablement attentif et avisé de serviettes et de linge de table dans l’Union. En second lieu, elle a considéré, au point 44 de la décision attaquée, que le degré de liberté du créateur n’était pas restreint, puisqu’il existait des possibilités infinies pour modifier la forme des éléments des produits concernés, leur position et leur apparence générale, et que le créateur jouissait d’une grande liberté en ce qui concerne les contours, les lignes, les matériaux et d’autres éléments du dessin appliqué aux serviettes de table.

50      Il n’y a pas lieu de remettre en cause ces appréciations, au demeurant non contestées par le requérant. Il convient cependant de préciser que, selon la jurisprudence, la notion d’utilisateur averti doit être comprise comme une notion intermédiaire entre celle de consommateur moyen, applicable en matière de marques, auquel il n’est demandé aucune connaissance spécifique et qui en général n’effectue pas de rapprochement direct entre les marques en conflit, et celle d’un expert doté de compétences techniques approfondies. Ainsi, la notion d’utilisateur averti peut s’entendre comme désignant un utilisateur doté non d’une attention moyenne, mais d’une vigilance particulière, que ce soit en raison de son expérience personnelle ou de sa connaissance étendue du secteur considéré (arrêt du 20 octobre 2011, PepsiCo/Grupo Promer Mon Graphic, C‑281/10 P, EU:C:2011:679, point 53). En l’espèce, toutefois, cette précision s’avère sans incidence sur le résultat de la comparaison des dessins ou modèles et sur l’appréciation du caractère individuel du dessin ou modèle contesté.

51      En troisième lieu, la chambre de recours a retenu, aux points 46 et 47 de la décision attaquée, que les dessins ou modèles en conflit étaient carrés et présentaient tous les deux un périmètre carré en pointillé, la différence résidant dans le seul fait que ce périmètre aurait été cousu pour le dessin ou modèle antérieur et imprimé ou dessiné pour le dessin ou modèle contesté. Elle a ajouté que cette différence n’altérait en rien la similitude entre ces dessins ou modèles et l’impression globale qu’ils produisaient chacun. Enfin, elle a précisé que le fait que l’élément cousu remplisse une fonction technique, à savoir celle d’éviter l’effilochage, n’altérait en rien cette perception. Dès lors, selon la chambre de recours, bien que, du fait de ces différences, le dessin ou modèle contesté pût remplir la condition de nouveauté visée à l’article 5 du règlement no 6/2002, il n’en était pas de même s’agissant de la condition relative au caractère individuel prévue à l’article 6 de ce règlement. Elle en a conclu que le dessin ou modèle contesté devait être déclaré nul.

52      Le requérant vise, en substance, à remettre en cause l’appréciation de la chambre de recours selon laquelle les dessins ou modèles en conflit produisent la même impression globale sur l’utilisateur averti, en s’appuyant sur l’existence de prétendues différences susceptibles d’être perçues par ce dernier.

53      À cet égard, force est de constater d’emblée, à l’instar de la chambre de recours, que les deux dessins ou modèles en conflit sont carrés et présentent tous deux un périmètre carré en pointillé.

54      Le requérant invoque, notamment, la différence relative aux bords intérieurs respectifs des deux dessins ou modèles, qui, bien que constitués tous deux d’un encadré intérieur en pointillé, seraient formés par des traits plus longs et plus distanciés dans le cas du dessin ou modèle antérieur et, s’agissant du dessin ou modèle contesté, par des points plus courts et moins distanciés créant une impression à la fois de continuité et de discontinuité, donc de mouvement, et remplissant une fonction ornementale qui irait au-delà de la simple fonction technique visant à éviter l’effilochage des bords de la serviette.

55      Toutefois, à cet égard, il convient de relever, comme l’a souligné à juste titre l’EUIPO, que cette différence est visible uniquement en raison du fait que le dessin ou modèle antérieur est dessiné à main levée, ce qui rend le pointillé irrégulier, et donc dépourvu de la précision du dessin ou modèle contesté, la perception essentielle donnée par les deux dessins étant celle d’éléments discontinus, mais formant une même ligne de périmètre. Ainsi, ladite différence est insuffisamment marquée pour affecter l’impression globale produite par chacun des dessins ou modèles en conflit, bien qu’elle excède la notion de « détails insignifiants » au sens de l’article 5, paragraphe 2, du règlement no 6/2002.

56      En outre, compte tenu du patrimoine des dessins ou modèles ainsi que du degré considérable de liberté du créateur, que le requérant ne conteste pas, la différence invoquée est mineure, la forme du périmètre du dessin ou modèle contesté étant la plus habituelle, alors que le créateur aurait pu choisir de nombreuses autres formes de périmètre s’il voulait conférer à celui-ci une fonction ornementale distincte de la simple fonction technique de ce bord. Ainsi, conformément à la jurisprudence rappelée au point 48 ci-dessus, à supposer même que le créateur dudit dessin ou modèle cherchait un effet visuel à la fois de continuité et de discontinuité, comme l’affirme le requérant, la différence invoquée par ce dernier ne suffit pas pour considérer que les dessins ou modèles en conflit produisent des impressions globales différentes.

57      Par ailleurs, contrairement à ce que soutient le requérant, il y a lieu de considérer que le cadre figurant sur le dessin ou modèle contesté n’a pas une fonction ornementale distincte de la fonction technique qu’il remplit. En effet, ce périmètre remplit tout au plus une double fonction, à la fois, technique et ornementale, cette dernière ayant pu être recherchée de manière autonome par de nombreuses autres formes de bordures par rapport au périmètre extérieur de la serviette. En revanche, le fait que le périmètre intérieur se situe à peu de distance du périmètre extérieur et est parallèle à ce dernier confirme que la fonction principale de celui-ci est d’éviter l’effilochage des bords de la serviette.

58      Ainsi, il y a lieu de considérer que, eu égard aux similitudes constatées au point 53 ci-dessus, les différences invoquées par le requérant sont insuffisamment marquées, à elles seules et considérées dans leur ensemble, pour que le dessin ou modèle contesté produise sur l’utilisateur averti une impression globale dissemblable de celle produite par le dessin ou modèle antérieur, en tenant compte du degré élevé de liberté du créateur dans l’élaboration du dessin ou modèle. Ces différences ne sont donc pas de nature à conférer un caractère individuel au dessin ou modèle contesté.

59      Par conséquent, c’est sans commettre d’erreur que la chambre de recours, tout en prenant en compte dans son appréciation les différences invoquées par le requérant, a considéré que les dessins ou modèles en conflit produisaient une même impression globale sur l’utilisateur averti et, de ce fait, que le dessin ou modèle contesté était dépourvu de caractère individuel.

60      Il découle de ce qui précède que le troisième moyen doit être rejeté comme non fondé.

61      Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, et sans qu’il soit nécessaire d’examiner la demande d’audition de témoin présentée par le requérant, dès lors qu’elle concerne une antériorité autre que celle sur laquelle est fondée l’annulation du dessin ou modèle contesté, il y a lieu de rejeter le recours dans son intégralité.

 Sur les dépens

62      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

63      Le requérant ayant succombé, il y a lieu de le condamner aux dépens, conformément aux conclusions de l’EUIPO et de l’intervenante.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (neuvième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      M. Marcos Guasch Pubill est condamné aux dépens.

Costeira

Kancheva

Perišin

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 17 novembre 2021.

Signatures


*      Langue de procédure : l’espagnol.