CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL
MME VERICA TRSTENJAK
présentées le 8 septembre 2011 (1)
Affaire C‑282/10
Maribel Dominguez
contre
Centre informatique du Centre Ouest Atlantique
contre
Préfet de la région Centre
[demande de décision préjudicielle formée par la Cour de cassation (France)]
«Article 31, paragraphe 2, de la charte — Droits sociaux fondamentaux — Principes généraux du droit — Effet horizontal des directives — Article 7 de la directive 2003/88/CE — Conditions de travail — Aménagement du temps de travail — Droit au congé annuel payé — Naissance du droit au congé indépendamment de la nature de l’absence du travailleur et de sa durée — Réglementation nationale subordonnant l’octroi de ce congé à un travail effectif minimal de dix jours — Obligation pour la juridiction nationale d’écarter l’application de dispositions nationales contraires au droit de l’Union»
Table des matières
I — Introduction
II — Cadre juridique
A — Le droit de l’Union
1. Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne
2. La directive 2003/88
B — Le droit national
III — Faits, procédure au principal et questions préjudicielles
IV — Procédure devant la Cour
V — Principaux arguments des parties
A — Sur la première question
B — Sur la deuxième question
C — Sur la troisième question
VI — Analyse juridique
A — Sur la première question préjudicielle
B — Sur la deuxième question
1. Généralités
a) Aspects juridiques essentiels
b) Existence d’un litige entre des particuliers
2. Le rôle du juge national dans un litige entre particuliers
a) Les limites du droit de l’Union à l’applicabilité des directives
b) Approches alternatives possibles
i) Applicabilité directe du droit fondamental résultant de l’article 31, paragraphe 2, de la charte
– Applicabilité de la charte
– Qualité de droit fondamental
– Absence d’effets à l’égard des tiers
– Conclusion
ii) Applicabilité directe d’un éventuel principe général du droit
– Place du droit au congé annuel dans l’ordre juridique de l’Union
– Conclusions
– Applicabilité du principe général du droit entre particuliers
– Caractère transposable du droit au congé annuel payé
– Conclusion
iii) Application du principe général du droit tel que concrétisé par la directive 2003/88
– L’approche de la Cour dans l’arrêt Kücükdeveci
– Caractère transposable de cette approche au droit au congé annuel
– Conclusion
c) Conclusion définitive
3. À titre subsidiaire, responsabilité de l’État membre pour violation du droit de l’Union
4. Conclusion
C — Sur la troisième question
VII — Conclusion
I – Introduction
1. Dans la présente procédure préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, la Cour de cassation (France, ci-après la «juridiction de renvoi») pose à la Cour trois questions sur l’interprétation de l’article 7 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil, du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail (2).
2. Ce recours préjudiciel trouve son origine dans un litige opposant Mme Maribel Dominguez (ci-après la «demanderesse au principal») et son employeur, le Centre informatique du Centre Ouest Atlantique (ci-après le «défendeur au principal»), qui porte sur la question de savoir si, et, le cas échéant, dans quelle mesure, ce dernier est obligé de lui verser une indemnité financière au titre des congés annuels qu’elle n’a pas pu prendre pour cause d’accident. Selon la juridiction de renvoi, les modalités de calcul de la durée de ce congé constituent un point important à éclaircir, étant précisé que la particularité de cette affaire tient au fait, d’une part, que le droit national applicable subordonne la naissance du droit au congé annuel à un nombre de jours de travail minimal du travailleur et, d’autre part, que tout type d’absence du lieu de travail pour cause d’accident n’est pas considéré comme du temps de travail.
3. Toutefois, on ne peut pas constater l’existence d’un droit au congé ni, le cas échéant, en déterminer l’étendue exacte, avant de savoir de façon certaine si les dispositions nationales précitées peuvent, d’une manière générale, être considérées comme compatibles avec l’article 7 de la directive 2003/88, et si la demanderesse peut se prévaloir directement de cette directive à l’encontre du défendeur. D’un côté, la présente espèce soulève des questions juridiques auxquelles la Cour a déjà apporté une réponse claire, de sorte qu’elle peut en principe s’en tenir à un renvoi aux arrêts pertinents. D’un autre côté, la Cour est invitée à se prononcer sur la place du droit au congé annuel payé dans la hiérarchie des normes de l’ordre juridique de l’Union et sur la question de savoir si le travailleur peut éventuellement s’en prévaloir directement à l’encontre de son employeur également.
4. À cette fin, il convient d’examiner quatre approches distinctes qui doivent permettre au travailleur de faire valoir ses droits vis-à-vis de l’employeur. Tout d’abord, la possibilité d’un effet horizontal des directives doit être examinée. Puis, l’applicabilité directe de l’article 31, paragraphe 2, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne doit être envisagée compte tenu de la force juridique obligatoire que ladite charte a acquise entre-temps. L’applicabilité directe d’un éventuel principe général du droit qui garantirait un droit du travailleur au congé annuel constitue une approche alternative à étudier. Enfin, j’examinerai dans quelle mesure la thèse développée par la Cour dans l’arrêt Kücükdeveci (3) peut s’appliquer. Ce faisant, j’analyserai les avantages et les inconvénients de cette approche de manière détaillée. La présente espèce offre à la Cour l’occasion d’aborder cette approche de manière dogmatique afin de l’affiner si nécessaire.
II – Cadre juridique
A – Le droit de l’Union (4)
1. Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne
5. Le chapitre IV («Solidarité») de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la «charte») mentionne, à l’article 31, le droit de tout travailleur à des «conditions de travail justes et équitables». L’article 31, paragraphe 2, énonce ce qui suit:
«Tout travailleur a droit à une limitation de la durée maximale du travail et à des périodes de repos journalier et hebdomadaire, ainsi qu’à une période annuelle de congés payés.»
6. Le chapitre VII («Dispositions générales») fixe le champ d’application de la charte. L’article 51, paragraphe 1, est libellé comme suit:
«Les dispositions de la présente Charte s’adressent aux institutions, organes et organismes de l’Union dans le respect du principe de subsidiarité, ainsi qu’aux États membres uniquement lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union. En conséquence, ils respectent les droits, observent les principes et en promeuvent l’application, conformément à leurs compétences respectives.»
2. La directive 2003/88
7. L’article 1er de la directive 2003/88 dispose ce qui suit:
«Objet et champ d’application
1. La présente directive fixe des prescriptions minimales de sécurité et de santé en matière d’aménagement du temps de travail.
2. La présente directive s’applique:
a) […] aux périodes minimales […] de congé annuel […]
[…]»
8. L’article 7 de cette directive prévoit:
«Congé annuel
1. Les États membres prennent les mesures nécessaires pour que tout travailleur bénéficie d’un congé annuel payé d’au moins quatre semaines, conformément aux conditions d’obtention et d’octroi prévues par les législations et/ou pratiques nationales.
2. La période minimale de congé annuel payé ne peut être remplacée par une indemnité financière, sauf en cas de fin de relation de travail.»
9. Conformément à l’article 17 de la directive 2003/88, les États membres peuvent déroger à certaines dispositions de cette directive. Il est interdit de déroger à son article 7.
B – Le droit national
10. Selon l’article L. 223‑2, premier alinéa, du code du travail, qui est applicable à la procédure au principal:
«Le travailleur qui, au cours de l’année de référence, justifie avoir été occupé chez le même employeur pendant un temps équivalent à un minimum d’un mois de travail effectif a droit à un congé dont la durée est déterminée à raison de deux jours et demi ouvrables par mois de travail sans que la durée totale du congé exigible puisse excéder trente jours ouvrables.»
11. Conformément à l’article L. 3141‑3 du nouveau code du travail, dans sa rédaction issue de la loi du 20 août 2008:
«Le salarié qui justifie avoir travaillé chez le même employeur pendant un temps équivalent à un minimum de dix jours de travail effectif a droit à un congé de deux jours et demi ouvrables par mois de travail. La durée totale du congé exigible ne peut excéder trente jours ouvrables.»
12. Selon l’article L. 223‑4 du code du travail alors applicable:
«Sont assimilées à un mois de travail effectif pour la détermination de la durée du congé les périodes équivalentes à quatre semaines ou vingt-quatre jours de travail. Les périodes de congé payé, les repos compensateurs prévus par l’article L. 212‑5‑1 du présent code et par l’article L. 713‑9 du code rural, les périodes de repos des femmes en couches prévues aux articles L. 122‑25 à L. 122‑30, les jours de repos acquis au titre de la réduction du temps de travail et les périodes limitées à une durée ininterrompue d’un an pendant lesquelles l’exécution du contrat de travail est suspendue pour cause d’accident du travail ou de maladie professionnelle sont considérés comme périodes de travail effectif. (Sont également considérées comme périodes de travail effectif pour la détermination de la durée du congé, les périodes pendant lesquelles un salarié ou un apprenti se trouve maintenu ou rappelé au service national à un titre quelconque.)»
13. L’actuel article L. 3141‑5 du code du travail dispose, quant à lui:
«Sont considérées comme périodes de travail effectif pour la détermination de la durée du congé:
1. les périodes de congé payé;
2. les périodes de congé maternité, paternité et d’adoption, adoption et éducation des enfants;
3. les repos compensateurs obligatoires prévus par l’article L. 3121‑26 du présent code et l’article L. 713‑9 du code rural;
4. les jours de repos acquis au titre de la réduction du temps de travail;
5. les périodes, dans la limite d’une durée ininterrompue d’un an, pendant lesquelles l’exécution du contrat de travail est suspendue pour cause d’accident du travail ou de maladie professionnelle;
6. les périodes pendant lesquelles un salarié se trouve maintenu ou rappelé au service national à un titre quelconque.»
14. L’article XIV du règlement type annexé à la convention collective nationale de travail du personnel des organismes de sécurité sociale prévoit, en son quatrième alinéa, que le droit aux congés annuels n’est pas ouvert dans une année déterminée par les absences pour maladie ou longue maladie, ayant motivé une interruption de travail égale ou supérieure à douze mois consécutifs, par les absences pour service militaire obligatoire, par les congés sans solde prévus aux articles 410, 44 et 46 de la convention collective; qu’il est ouvert à nouveau à la date de la reprise du travail, la durée du congé étant établie proportionnellement au temps de travail effectif n’ayant pas encore donné lieu à l’attribution d’un congé annuel.
III – Faits, procédure au principal et questions préjudicielles
15. La demanderesse au principal est, depuis le 10 janvier 1987, employée du défendeur au principal, relevant de la convention collective du personnel des organismes de sécurité sociale.
16. Le 3 novembre 2005, elle a été victime d’un accident de trajet entre son domicile et son lieu de travail. À la suite de cet accident, elle a été en arrêt de travail du 3 novembre 2005 au 7 janvier 2007.
17. Elle a repris son travail à mi-temps, le 8 janvier 2007, puis à temps plein, à compter du 8 février 2007. Après son retour, le défendeur au principal lui a communiqué le nombre de jours de congé auxquels elle avait droit, selon ses calculs, au titre de sa période d’absence. La demanderesse au principal a contesté ce calcul et a réclamé à son employeur 22,5 jours de congés payés au titre de cette période, et subsidiairement, le paiement d’une indemnité compensatrice s’élevant à 1 971,39 euros.
18. Elle a d’abord fait valoir ses droits devant le conseil de prud’hommes de Limoges, qui l’a déboutée de ses demandes dans une décision du 15 janvier 2008. Elle a ensuite fait appel de cette décision devant la cour d’appel de Limoges. Toutefois, son appel a été rejeté par un arrêt du 16 septembre 2008, dans lequel la cour d’appel a notamment constaté que le défendeur au principal, en tant qu’employeur, avait à bon droit fait application des dispositions pertinentes du droit du travail et refusé de reconnaître la naissance d’un droit au congé, puisque la demanderesse avait été absente pendant plus de douze mois à la suite de son accident de trajet et qu’elle n’avait pas exercé d’activité effective pendant cette période. La cour d’appel a également considéré que la demanderesse au principal ne saurait se prévaloir des dispositions applicables en cas d’accident du travail.
19. Par son pourvoi devant la Cour de cassation, elle conteste cet arrêt en soutenant, d’une part, qu’un accident de trajet doit être assimilé à un accident du travail et qu’elle doit dès lors bénéficier de la même réglementation, et, d’autre part, que la période de suspension de son contrat de travail consécutive à l’accident de trajet doit être assimilée à du temps de travail effectif pour le calcul des congés payés.
20. À la lumière de la jurisprudence de la Cour qui est largement citée, la juridiction de renvoi émet des doutes tant sur la compatibilité des dispositions nationales de droit du travail pertinentes que sur l’obligation pour la juridiction nationale d’écarter l’application de dispositions nationales contraires au droit de l’Union.
21. Dans ce contexte, la Cour de cassation a sursis à statuer et posé à la Cour les questions préjudicielles suivantes:
«1) L’article 7, paragraphe 1, de la directive 2003/88 doit-il être interprété en ce sens qu’il s’oppose à des dispositions ou à des pratiques nationales qui prévoient que le droit au congé annuel payé est subordonné à un travail effectif minimal de dix jours (ou d’un mois) pendant la période de référence?
2) Dans l’affirmative, l’article 7 de la directive 2003/88, qui crée une obligation particulière pour l’employeur, en ce qu’il ouvre droit à un congé payé au bénéfice du travailleur absent pour raison de santé pendant une durée égale ou supérieure à un an, impose-t-il au juge national, saisi d’un litige entre des particuliers, d’écarter une disposition nationale contraire, subordonnant en ce cas l’ouverture du droit au congé payé annuel à un travail effectif d’au moins dix jours pendant l’année de référence?
3) Dans la mesure où l’article 7 de la directive 2003/88 n’opère aucune distinction entre les travailleurs suivant que leur absence du travail pendant la période de référence a pour origine un accident du travail, une maladie professionnelle, un accident de trajet ou une maladie non professionnelle, les travailleurs ont-ils, en vertu de ce texte, droit à un congé payé d’une durée identique quelle que soit l’origine de leur absence pour raison de santé, ou ce texte doit-il être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à ce que la durée du congé payé puisse être différente suivant l’origine de l’absence du travailleur, dès lors que la loi nationale prévoit dans certaines conditions une durée de congé payé annuel supérieure à celle minimale de quatre semaines prévue par la directive?»
IV – Procédure devant la Cour
22. La décision de renvoi datée du 2 juin 2010 est parvenue au greffe de la Cour le 7 juin 2010.
23. Les parties au principal, les gouvernements français, danois et néerlandais, ainsi que la Commission européenne, ont déposé des observations écrites dans le délai imparti par l’article 23 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne.
24. Lors de l’audience du 17 mai 2011, les mandataires ad litem des parties au principal, des gouvernements français, danois et néerlandais, ainsi que de la Commission, ont présenté des observations.
V – Principaux arguments des parties
A – Sur la première question
25. Toutes les parties intéressées s’accordent à considérer que la réponse à la première question préjudicielle résulte de la jurisprudence de la Cour, et surtout des arrêts BECTU (5) et Schultz-Hoff e.a. (6). Elles suggèrent de répondre à cette question préjudicielle en ce sens que l’article 7, paragraphe 1, de la directive 2003/88 s’oppose à des dispositions ou à des pratiques nationales subordonnant le droit à congé annuel payé à un travail effectif minimal de dix jours (ou d’un mois) pendant la période de référence.
B – Sur la deuxième question
26. Tant les argumentations que les réponses proposées par les parties intéressées à cette question préjudicielle divergent sensiblement les unes des autres.
27. La demanderesse au principal renvoie aux arrêts Simmenthal (7) et Melki et Abdeli (8), et explique à ce sujet que l’applicabilité directe de l’article 7 de la directive 2003/88 n’est pas remise en cause par les déclarations formulées par la Cour dans l’arrêt BECTU. Selon elle, la situation est simple pour le juge national, dans la mesure où il est obligé d’écarter l’application d’une disposition nationale qui subordonne l’exercice du droit au congé payé annuel au respect d’une condition incompatible avec le droit de l’Union.
28. Le défendeur au principal invoque la jurisprudence citée par la juridiction de renvoi et en tire la conclusion contraire. Selon lui, il résulte des principes développés dans cette jurisprudence que le juge national ne peut pas écarter une disposition du droit interne au motif qu’elle serait contraire à une directive communautaire, dans le cadre d’un litige entre particuliers. Cette démarche serait en effet équivalente à une interprétation contra legem. Compte tenu de la définition même de la directive 2003/88, qui constitue une prescription adressée aux États membres et ne crée pas d’obligations directes à l’égard des citoyens, aucune raison ne justifierait de revenir sur cette jurisprudence constante, car cela reviendrait à abolir la distinction entre les directives et les règlements.
29. Les gouvernements français et néerlandais vont encore un peu plus loin dans leur analyse de la jurisprudence.
30. Par exemple, le gouvernement français ne rappelle pas seulement la jurisprudence citée par la Cour de cassation, mais également les arrêts Mangold (9) et Kücükdeveci (10). Dans ces arrêts, la Cour a, selon lui, continué à développer sa jurisprudence sur la situation du juge national confronté à des dispositions nationales contraires au droit de l’Union. Selon cette jurisprudence, en cas de conflit entre une disposition nationale et un principe général du droit de l’Union, le juge national doit nécessairement laisser inappliquée la disposition nationale. À cet égard, le gouvernement français indique que, si le droit au congé annuel payé de chaque travailleur doit être considéré comme un «principe de droit social de l’Union revêtant une importance particulière», il n’a toutefois pas été, à ce jour, consacré par la Cour comme un principe général du droit de l’Union, à l’instar du principe de non-discrimination en fonction de l’âge. Par conséquent, la jurisprudence précitée ne saurait être étendue au principe du droit au congé annuel payé.
31. C’est pourquoi le gouvernement français propose de répondre à la deuxième question préjudicielle en ce sens que, dans l’hypothèse où l’article 7, paragraphe l, de la directive 2003/88 s’opposerait à une réglementation nationale qui prévoit que l’ouverture du droit au congé annuel est subordonnée à un travail effectif minimal de dix jours (ou d’un mois) pendant la période de référence, cette disposition ne permettrait pas au juge national, lorsqu’il est saisi d’un litige entre particuliers, d’écarter la réglementation nationale.
32. Le gouvernement néerlandais limite ses observations à cette question préjudicielle. Il estime, conformément à la jurisprudence constante de la Cour citée par la Cour de cassation, que le juge saisi d’un litige opposant des particuliers n’est pas obligé de laisser inappliquée une disposition nationale contraire à une disposition d’une directive. Au contraire, le juge national doit interpréter et appliquer le droit national à la lumière de la directive.
33. Selon le gouvernement néerlandais, l’arrêt Kücükdeveci et le fait que le droit au congé annuel soit considéré comme un «principe du droit social communautaire revêtant une importance particulière» ne conduisent pas à une conclusion différente, d’autant plus que ce principe ne constitue pas un principe général du droit.
34. Alors que les gouvernements français et néerlandais parviennent à la conclusion que les considérations de la Cour dans l’arrêt Kücükdeveci ne sont pas applicables, la Commission ne voit aucune raison pour laquelle ce raisonnement ne s’appliquerait pas mutatis mutandis à la présente espèce.
35. Selon la Commission, il convient de répondre à la deuxième question préjudicielle en ce sens qu’il incombe au juge national d’assurer, dans le cadre de ses compétences, la protection juridique découlant pour les justiciables du droit de l’Union et de garantir le plein effet de celui-ci en laissant au besoin inappliquée toute disposition nationale contraire au droit au congé annuel payé.
C – Sur la troisième question
36. La demanderesse au principal propose de répondre à cette question préjudicielle en ce sens que l’article 7 de la directive 2003/88 s’oppose à ce que la durée du congé payé soit différente suivant l’origine de l’absence du salarié. Cette disposition de la directive prévoirait au contraire que les travailleurs ont droit à un congé payé d’égale durée indépendamment de l’origine de l’absence du travailleur.
37. Le défendeur au principal exprime le point de vue contraire. Selon lui, l’article 7 de la directive 2003/88 ne s’oppose pas à ce que les règles régissant la détermination de la durée du congé annuel payé soient plus favorables pour les salariés absents en raison d’une maladie ou d’un accident professionnels que pour les salariés absents en raison d’une maladie ou d’un accident non professionnels au regard de l’assimilation de la période d’absence à une période de travail effectif.
38. Le gouvernement français déduit de la jurisprudence de la Cour précitée que l’article 7 de la directive 2003/88 doit être interprété en ce sens que la durée du congé annuel payé peut varier en fonction du motif de l’absence du travailleur, dès lors que la durée minimale du congé annuel de quatre semaines, telle que prévue par ce même article, est garantie.
39. La Commission relève que l’ordonnance de renvoi ne décrit pas clairement la situation en droit interne qui est à l’origine de cette question, mais propose néanmoins de répondre dans le même sens que celui suggéré par le gouvernement français.
VI – Analyse juridique
A – Sur la première question préjudicielle
40. Par sa première question, la juridiction de renvoi demande si l’article 7, paragraphe 1, de la directive 2003/88 autorise un État membre à subordonner l’exercice du droit au congé annuel payé à une période de travail minimale dont la durée est précisée par le droit national, sachant que cette période comptait initialement un mois en droit français, et qu’elle a été ramenée à dix jours à la suite d’une modification légale.
41. La réponse à cette question résulte de la jurisprudence de la Cour, mais surtout des arrêts BECTU et Schultz-Hoff e.a. C’est pourquoi il convient de rappeler les observations pertinentes formulées respectivement par la Cour et d’examiner ensuite si elles sont transposables à la présente espèce.
42. Comme la Cour l’a souligné dans une jurisprudence constante, le droit au congé annuel payé doit être considéré comme un principe du droit social de l’Union revêtant une importance particulière, auquel il ne saurait être dérogé et dont la mise en œuvre par les autorités nationales compétentes ne peut être effectuée que dans les limites expressément énoncées par la directive 2003/88 elle-même (11). Cette consécration du droit au congé annuel payé sur le plan du droit dérivé exprime la volonté du législateur de l’Union de garantir au travailleur dans tous les États membres le bénéfice d’un repos effectif, «dans un souci de protection efficace de sa sécurité et de sa santé» (12). Comme la Cour l’a indiqué dans sa jurisprudence, la finalité du droit au congé annuel payé est de permettre au travailleur de se reposer et de disposer d’une période de détente et de loisirs (13).
43. C’est surtout en raison de l’importance prépondérante que l’ordre juridique de l’Union accorde à ce principe que la Cour a considéré, au point 52 de l’arrêt BECTU précité, que l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/104/CE du Conseil, du 23 novembre 1993, concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail (JO L 307, p. 18), dont le libellé est identique à celui de l’article 7, paragraphe 1, de la directive 2003/88 qui l’a remplacé, «fait obstacle à ce que les États membres limitent unilatéralement le droit au congé annuel payé conféré à tous les travailleurs, en appliquant une condition d’ouverture dudit droit qui a pour effet d’exclure certains travailleurs du bénéfice de ce dernier».
44. Au point 53 du même arrêt, la Cour a ensuite relevé qu’il était loisible à ceux-ci «de définir, dans leur réglementation interne, les conditions d’exercice et de mise en œuvre du droit au congé annuel payé, en précisant les circonstances concrètes dans lesquelles les travailleurs peuvent faire usage dudit droit dont ils bénéficient au titre de l’intégralité des périodes de travail accomplies, sans toutefois pouvoir subordonner à quelque condition que ce soit la constitution même de ce droit qui résulte directement de la directive 93/104».
45. Au point 55 de cet arrêt, la Cour a ajouté que «les mesures prises par les États membres pour mettre en œuvre les prescriptions peuvent comporter certaines divergences quant aux conditions d’exercice du droit au congé annuel payé, puisque la directive 93/104 se limite finalement à édicter des prescriptions minimales d’harmonisation au niveau communautaire en matière d’aménagement du temps de travail et confie aux États membres le soin d’adopter les modalités d’exécution et d’application nécessaires. À cet égard, la Cour souligne que cette directive ne permet pas aux États membres d’exclure la naissance même d’un droit expressément accordé à tous les travailleurs».
46. La jurisprudence reproduite ci-dessus doit être comprise en ce sens que la Cour reconnaît en principe la compétence des États membres en ce qui concerne l’adoption des modalités dites d’exécution, par lesquelles ils sont habilités à réglementer de manière détaillée certains aspects de l’exercice du droit au congé annuel, comme la façon dont les travailleurs peuvent prendre le congé auquel ils ont droit au titre des premières semaines de leur activité. Toutefois, cette compétence réglementaire nationale atteint sa limite lorsque la réglementation choisie affecte l’effectivité du droit au congé annuel payé au point que la réalisation de l’objectif du droit au congé annuel n’est plus garantie. C’est notamment le cas s’agissant d’une réglementation nationale qui ne régit pas le «comment», mais le «si» de l’exercice de ce droit.
47. Comme le gouvernement français l’a lui-même reconnu, c’est manifestement le cas de la réglementation en cause dans la présente espèce, d’autant plus que la naissance même du droit est subordonnée à la condition que le travailleur accomplisse une période de travail minimale d’un mois (dans le cas de l’article L. 223‑2, premier alinéa, du code du travail qui a été modifié entre-temps) ou de dix jours (dans le cas de l’actuel article L. 3141‑3 du code du travail). Comme le gouvernement français l’a justifié de manière détaillée dans ses observations écrites, le choix de cette période minimale de dix jours s’explique par les modalités de détermination de la durée du congé annuel. Celui-ci correspondrait à un certain nombre de jours ouvrables, et un jour de congé correspondrait, d’après cette méthode de calcul, à dix jours ouvrables.
48. Toutefois, comme le gouvernement français l’a lui-même admis, la référence à la nécessité d’un calcul exact du congé annuel au cas particulier ne change rien au fait que la jurisprudence de la Cour ne prévoit aucune dérogation à la règle selon laquelle la réalisation du droit au congé annuel payé, lors de sa mise en œuvre au niveau national, ne saurait être compromise par des mesures nationales. Dans ce contexte, il semble indiqué de préciser que les faits ayant donné lieu à l’arrêt BECTU sont analogues à ceux qui ont abouti à la présente espèce, de sorte que les principes généraux du droit qui y ont été développés sont directement transposables à cette affaire. Dans cette affaire, la Cour devait en effet se prononcer sur la question de savoir si l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/104 permettait qu’un État membre adopte une réglementation nationale en vertu de laquelle un travailleur ne commence à acquérir un droit au congé annuel payé qu’à la condition d’avoir accompli une période minimale de treize semaines de travail ininterrompu auprès d’un même employeur. La Cour ayant expressément répondu par la négative à cette question, il me semble évident que la réglementation française litigieuse ne peut pas être considérée comme conforme à la directive 2003/88.
49. En effet, une autre question de droit, qui a été soulevée dans le cadre du litige au principal — que le défendeur au principal souligne à juste titre dans son mémoire écrit (14) —, et qui requiert également des éclaircissements aux fins de la présente procédure préjudicielle, consiste à déterminer si les périodes durant lesquelles le travailleur a été absent pour cause de maladie génèrent également un droit à congé. La nécessité d’éclaircir cette question de droit tient au fait qu’elle permettra en définitive de déterminer si la demanderesse au principal bénéficie d’un droit au congé au titre de cette période ou si son absence du lieu de travail peut lui être opposée.
50. La jurisprudence livre des indications utiles pour répondre à cette question également. L’arrêt Schultz-Hoff e.a., dans lequel la Cour a tout d’abord constaté, au point 39, que l’article 7, paragraphe 1, de la directive 2003/88 s’appliquait à «tout travailleur» en matière de droit au congé annuel payé, s’avère particulièrement instructif. À cet égard, les autres remarques que la Cour a formulées au point 40 de cet arrêt, en relevant que, «s’agissant de ce dernier droit, la directive 2003/88 n’opère aucune distinction entre les travailleurs qui sont absents du travail en vertu d’un congé de maladie, de courte ou de longue durée, pendant la période de référence et ceux qui ont effectivement travaillé au cours de ladite période», doivent être considérées comme pertinentes.
51. Au point 41 de l’arrêt, la Cour en a tiré une conclusion qui me paraît importante aux fins de la présente procédure préjudicielle, à savoir que, «s’agissant de travailleurs en congé de maladie dûment prescrit, le droit au congé annuel payé conféré par la directive 2003/88 elle-même à tous les travailleurs […] ne peut pas être subordonné par un État membre à l’obligation d’avoir effectivement travaillé pendant la période de référence établie par ledit État».
52. La jurisprudence reproduite ci-dessus doit donc être comprise en ce sens qu’une absence pour cause de maladie d’un travailleur au cours de l’année de référence ne s’oppose pas à la naissance de son droit au congé annuel, dès lors que celui-ci était en congé de maladie dûment prescrit. D’un point de vue juridique, cela signifie que les absences du travail pour des motifs indépendants de la volonté de la personne employée intéressée, telles que les absences dues à une maladie, seront comptées dans la période de service. C’est ce qui résulte également de la réglementation figurant à l’article 5, paragraphe 4, de la convention no 132 de l’Organisation internationale du travail, du 24 juin 1970, concernant les congés annuels payés (révisée), sur laquelle la Cour a fondé ses réflexions sur le rapport entre congé annuel et congé de maladie.
53. En résumé, il convient de constater que la réglementation litigieuse n’est pas en conformité avec la directive 2003/88. C’est également la conclusion du gouvernement français, qui a annoncé, dans ses observations, que l’article L. 3141‑3 du code du travail allait être modifié (15). Par conséquent, il convient de répondre à la première question que l’article 7, paragraphe 1, de la directive 2003/88 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à des dispositions ou à des pratiques nationales qui prévoient que le droit au congé annuel payé est subordonné à un travail effectif minimal de dix jours (ou d’un mois) pendant la période de référence.
B – Sur la deuxième question
1. Généralités
a) Aspects juridiques essentiels
54. La deuxième question n’est expressément posée que dans l’hypothèse où, comme c’était le cas ci-dessus, l’incompatibilité de la disposition nationale litigieuse avec le droit de l’Union serait constatée. Comme cela ressort de l’argumentation exposée dans l’ordonnance de renvoi concernant cette question préjudicielle en particulier (16), la juridiction de renvoi souhaite savoir, en substance, si l’article 7 de la directive 2003/88 lui impose l’obligation résultant du droit de l’Union d’écarter la disposition nationale litigieuse dans une affaire opposant des particuliers.
55. La réponse à cette question requiert quelques remarques sur deux aspects juridiques essentiels qui sont liés. Il s’agit, d’une part, du rôle des juridictions nationales dans l’application du droit de l’Union, tel que prévu par la jurisprudence de la Cour et, d’autre part, de l’importance que l’ordre juridique de l’Union accorde au droit au congé annuel ainsi qu’à sa mise en œuvre.
b) Existence d’un litige entre des particuliers
56. Avant de me pencher sur ces aspects centraux de la question préjudicielle, je souhaite souligner, dans un souci d’exhaustivité, que la circonstance que l’affaire au principal oppose deux particuliers est, à mon avis, hors de propos.
57. Tout d’abord, il convient de rappeler que, selon la jurisprudence de la Cour, il incombe exclusivement à la juridiction de renvoi de définir l’objet des questions qu’elle entend poser. Il appartient en effet aux seules juridictions nationales qui sont saisies du litige et qui doivent assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir d’apprécier, au regard des particularités de chaque affaire, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre leur jugement que la pertinence des questions qu’elles posent à la Cour (17).
58. Dès lors que la juridiction de renvoi évoque clairement, dans sa décision de renvoi, un litige entre des particuliers et qu’elle n’examine de toute façon pas explicitement la question d’une appartenance éventuelle du défendeur au principal à l’État français, et, en particulier, à l’administration, cette appréciation lie également la Cour.
59. Toutefois, la Cour peut, à titre exceptionnel, apprécier les motifs qui ont amené le juge national à poser une question préjudicielle donnée. Selon la jurisprudence, tel est le cas lorsqu’il est manifeste que la demande de décision préjudicielle tend, en réalité, à l’amener à statuer par le biais d’un litige construit ou à formuler des opinions consultatives sur des questions générales ou hypothétiques, que l’interprétation du droit de l’Union demandée n’ait aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige, ou encore que la Cour ne dispose pas des éléments de fait ou de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (18).
60. Or, les conditions pour cela ne sont pas remplies en l’espèce. D’après les éclaircissements apportés par les parties intéressées lors de l’audience, la procédure au principal porte sur un litige issu d’un contrat de travail, dans lequel le défendeur au principal a la qualité de particulier et en aucun cas celle d’une autorité investie de prérogatives de puissance publique vis-à-vis de la demanderesse au principal. Ces observations confirment en définitive l’appréciation de la juridiction de renvoi.
2. Le rôle du juge national dans un litige entre particuliers
a) Les limites du droit de l’Union à l’applicabilité des directives
61. Concernant le rôle du juge national saisi d’un litige entre particuliers, dans lequel il apparaît que la réglementation nationale en cause est contraire aux dispositions du droit de l’Union — comme en l’espèce —, la Cour a jugé que c’est aux juridictions nationales qu’il incombe d’assurer la protection juridique découlant pour les justiciables des dispositions du droit de l’Union et de garantir le plein effet de celles-ci (19). À cet égard, il subsiste toutefois une restriction importante dans les litiges entre particuliers, dans la mesure où la jurisprudence considère qu’une directive ne peut pas, par elle-même, créer d’obligations dans le chef d’un particulier et ne peut donc être invoquée en tant que telle à son encontre (20).
62. Il s’ensuit, selon la Cour, que même une disposition claire, précise et inconditionnelle d’une directive visant à conférer des droits ou à imposer des obligations aux particuliers ne saurait trouver application en tant que telle dans le cadre d’un litige qui oppose exclusivement des particuliers. La Cour justifie sa position par le fait que, dans le cas contraire, cela reviendrait à reconnaître à l’Union le pouvoir d’édicter avec effet immédiat des obligations à la charge des particuliers, alors qu’elle ne détient cette compétence que là où lui est attribué le pouvoir d’adopter des règlements (21). Cette position est respectueuse de la nature particulière de la directive qui, par définition, n’engendre directement d’obligations qu’à la charge des États membres qui en sont destinataires en vertu de l’article 288, troisième alinéa, TFUE, et ne peut imposer d’obligations aux particuliers que par la médiation des mesures nationales de transposition respectives.
63. On ne peut que souscrire à cette jurisprudence. Par conséquent, il convient également de rejeter la distinction entre un effet direct positif et négatif des directives qui est présentée différemment en matière de rapports horizontaux (22). Selon cette thèse, si les directives non transposées ne peuvent pas créer directement d’obligations dans le chef d’un particulier vis-à-vis d’autres particuliers, le droit national contraire à une directive doit toutefois être écarté, même dans les litiges entre particuliers, en vertu du principe de primauté du droit de l’Union. D’aucuns estiment à juste titre que cette approche nuirait à la sécurité juridique (23). En effet, selon le contexte normatif dont relève une disposition de droit national contraire à une directive, sa non-application peut précisément entraîner quand même une extension des obligations des sujets de droit privé; la question de savoir si c’est le cas dépend de facteurs relativement hasardeux — du point de vue du droit de l’Union —, et notamment de l’existence en droit national d’une autre disposition (générant des obligations) pouvant s’appliquer en cas de suspension du droit contraire à la directive.
64. La demanderesse au principal ne pourrait pas donc pas, en vertu de cette jurisprudence, se prévaloir de l’article 7, paragraphe 1, de la directive 2003/88 afin de demander à la juridiction de renvoi de conclure à l’inapplicabilité de la réglementation nationale contraire au droit de l’Union.
65. Pour compenser le défaut d’effet direct horizontal des directives, la Cour a néanmoins évoqué l’existence de solutions alternatives aptes à donner satisfaction au particulier qui s’estime lésé par l’absence ou la mauvaise transposition d’une directive. Celles-ci consistent, d’une part, dans la possibilité d’interpréter le droit national dans un sens conforme à la directive, et, d’autre part, dans l’application des principes du droit de l’Union relatifs à la responsabilité de l’État membre en cas de violation de ce même droit.
66. La Cour a justifié la méthode de l’interprétation conforme par l’obligation qui s’impose à toutes les autorités des États membres, y compris, dans le cadre de leurs compétences, aux autorités juridictionnelles, d’atteindre le résultat prévu par une directive, ainsi que de prendre toutes mesures générales ou particulières propres à assurer l’exécution de cette obligation (24). Elle suppose que, dans le cadre de l’application du droit national, ce droit soit interprété à l’aide de toutes les méthodes d’interprétation disponibles, et dans toute la mesure du possible à la lumière du texte ainsi que de la finalité de cette directive pour atteindre le résultat fixé par celle-ci et se conformer ainsi à l’article 288, troisième alinéa, TFUE (25). Dans l’arrêt Pfeiffer e.a. (26), la Cour a expliqué comment la juridiction nationale devait procéder lorsqu’elle était saisie d’un litige entre particuliers. À cet égard, si le droit national, par l’application des méthodes d’interprétation reconnues par celui-ci, permet, dans certaines circonstances, d’interpréter une disposition de l’ordre juridique interne de telle manière qu’un conflit avec une autre norme de droit interne soit évité ou de réduire à cette fin la portée de cette disposition en ne l’appliquant que pour autant qu’elle est compatible avec ladite norme, la juridiction a l’obligation d’utiliser les mêmes méthodes en vue d’atteindre le résultat poursuivi par la directive.
67. Toutefois, comme l’a Cour l’a expliqué à maintes reprises, l’obligation d’interprétation conforme trouve ses limites dans les principes généraux du droit, notamment dans celui de sécurité juridique, en ce sens qu’elle ne peut pas servir de fondement à une interprétation contra legem du droit national (27).
68. L’ordonnance de renvoi n’indique pas clairement si, d’une manière générale, une interprétation conforme du droit national est possible. Toutefois, une appréciation globale de la demande préjudicielle permet de conclure que la juridiction de renvoi n’a manifestement aucune autre option, pour parvenir à un résultat d’interprétation conforme, que d’écarter la réglementation litigieuse. Compte tenu du fait que la juridiction de renvoi a repris, dans son ordonnance, la jurisprudence de la Cour relative aux limites de cette méthode d’interprétation, on peut considérer qu’une interprétation conforme n’est pas possible dans la présente affaire sans interpréter le droit national contra legem.
b) Approches alternatives possibles
69. Il reste donc à examiner si la juridiction nationale serait quand même autorisée, sous certaines conditions, à écarter la réglementation litigieuse dans le cadre d’une relation entre des particuliers. On peut, à mon avis, envisager trois approches différentes, que j’expliquerai en détail et dont j’examinerai l’applicabilité.
70. Tout d’abord, il convient d’examiner si une applicabilité directe du droit fondamental résultant de l’article 31, paragraphe 2, de la charte est envisageable (28). Puis, il convient d’analyser la question de savoir si le droit au congé annuel payé a valeur de principe général du droit de l’Union et s’il est directement applicable à une relation entre particuliers (29). Enfin, une discussion critique s’impose sur la thèse développée par la Cour dans l’arrêt Kücükdeveci afin d’évaluer le caractère transposable de cette thèse à la présente espèce (30).
i) Applicabilité directe du droit fondamental résultant de l’article 31, paragraphe 2, de la charte
71. Comme cela a déjà été indiqué, une première approche pourrait résider dans l’application directe du droit fondamental au droit au congé annuel payé, consacré par l’article 31, paragraphe 2, de la charte.
– Applicabilité de la charte
72. Si la charte n’avait initialement à cet égard qu’une valeur déclarative, en tant qu’expression de l’engagement de l’Union à respecter les droits fondamentaux, avec l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, ce texte a désormais définitivement acquis dans l’ordre juridique de l’Union — en application de l’article 6, paragraphe 1, TUE — le statut de norme de droit primaire (31). La conséquence en est que les actes des institutions de l’Union qui concernent cette matière doivent désormais être examinés à l’aune de ce texte, par le jeu de l’article 51, paragraphe 1, de la charte, qui pose le principe du caractère contraignant des droits fondamentaux. Les États membres y sont également désormais soumis, dans le cadre de la mise en œuvre du droit de l’Union (32).
73. Étant donné que les faits ayant donné lieu au litige au principal se sont déroulés entre les années 2005 et 2007, soit à un moment où la charte n’était pas encore entrée en vigueur, son applicabilité ratione temporis à la situation qui est à l’origine de la présente espèce devrait être rejetée stricto sensu. Toutefois, ce rejet ne tiendrait pas compte de l’importance que les juridictions de l’Union lui accordaient déjà bien avant son incorporation formelle dans l’ordre juridique de l’Union en interprétant le droit de l’Union (33). Le recours à la charte en tant qu’instrument d’interprétation n’est pas contestable, d’autant plus que celle-ci renforce les droits qui sont consacrés dans de nombreux instruments juridiques et qui découlent des traditions constitutionnelles communes aux États membres, de sorte qu’elle peut, en définitive, être considérée comme l’expression de l’échelle des valeurs européennes.
74. Depuis l’entrée en vigueur de la charte, intervenue entre-temps, son caractère obligatoire au regard de l’interprétation ne devrait plus être contesté désormais, ce qui a été confirmé notamment par le fait que la Cour l’a intégrée dans son raisonnement juridique, au point 22 de l’arrêt Kücükdeveci, en dépit de son inapplicabilité ratione temporis évidente (34). Il semble donc logique d’appliquer également à la présente espèce les dispositions respectivement pertinentes de la charte comme base de l’interprétation de toutes les autres normes du droit de l’Union, dont les principes généraux du droit et le droit dérivé. Il y a lieu, en particulier, d’éviter toute interprétation des normes qui pourrait éventuellement être contraire aux valeurs de la charte.
– Qualité de droit fondamental
75. À mon avis, la classification du droit des travailleurs au congé annuel payé, reconnu par l’article 31, paragraphe 2, de la charte en tant que droit social fondamental, ne pose aucune difficulté particulière. Comme je l’ai expliqué dans mes conclusions relatives à l’affaire Schultz-Hoff e.a. (35), par son adoption dans la charte, ce droit trouve confirmation de sa nature de droit fondamental. À cet égard, je rejoins le point de vue de l’avocat général Tizzano, qui l’avait déjà exposé dans ses conclusions relatives à l’affaire BECTU (36). À ma connaissance, une grande partie de la doctrine partage également ce point de vue (37) en avançant des arguments similaires. Elle s’appuie, en substance, sur le libellé ainsi que sur la construction juridique de cette norme consacrant un droit fondamental.
76. En effet, le libellé même de cette disposition donne à penser que le droit au congé annuel payé a été conçu comme un «droit fondamental», ce qui exclut d’office tout rattachement aux «principes» cités à l’article 51, paragraphe 1, de la charte, qui ne fondent aucun droit subjectif direct, mais requièrent au contraire des précisions de la part des destinataires de la charte dans le cadre de leurs compétences. En effet, l’article 31, paragraphe 2, de la charte prévoit que «[t]out travailleur a droit à une limitation de la durée maximale du travail et à des périodes de repos journalier et hebdomadaire, ainsi qu’à une période annuelle de congés payés». L’appartenance de cette garantie aux droits de l’homme est d’autant plus manifeste que cette disposition place la dignité de l’homme au travail au premier plan (38). Elle se distingue nettement en cela d’autres dispositions du chapitre IV («Solidarité») de la charte, qui sont formulées dans le sens d’une garantie de droit objectif, à savoir que les droits qu’elle confère sont «reconnus» ou «respectés». Ces divergences de formulation font ressortir une gradation dans le niveau de protection en fonction du bien juridique concerné (39).
77. Selon ce système de protection graduelle, les dispositions n’édictant que des «principes» et qui lient donc en premier lieu le législateur dans leur mise en œuvre, conformément à l’article 52, paragraphe 5, première phrase, de la charte, prévoient également souvent que la protection n’est accordée que «selon les modalités établies par le droit communautaire et les législations et pratiques nationales» (40). Les principes ont comme caractéristique essentielle que leur application implique souvent l’adoption de mesures d’exécution, qui est du reste soumise au respect de la répartition des compétences fixée dans le traité et du principe de subsidiarité (41). Le fait que les principes requièrent des mesures d’ordre légal, organisationnel ou pratique de la part de l’Union et de ses États membres pour produire des effets résulte du passage «en promeuvent l’application» visé à l’article 51, paragraphe 1, deuxième phrase, de la charte qui leur est également applicable.
78. Ce n’est pourtant pas le cas de l’article 31, paragraphe 2, de la charte, lequel est fondé, à cet égard, sur une exigence individuelle. La circonstance que l’article 31, paragraphe 1, de la charte, qui fait référence au «droit à des conditions de travail qui respectent [la] santé, [la] sécurité et [la] dignité», soit formulé de manière relativement abstraite et requière les précisions du paragraphe 2 ne saurait être invoquée aux fins d’une classification de cette disposition dans son ensemble en tant que «principe» au sens de l’article 51, paragraphe 1, de la charte, d’autant plus que les normes consacrant des droits fondamentaux peuvent en principe être rédigées de manière très abstraite, notamment pour pouvoir tenir compte des changements politiques ou sociaux (42). Cela est d’autant plus vrai en matière de droits sociaux, lesquels appellent souvent des précisions, notamment parce que les dépenses qu’ils représentent peuvent en définitive subordonner la réalisation de ces droits aux possibilités économiques effectives de l’État (43).
79. Une interprétation systématique n’aboutit à aucun autre résultat. Les articles 28 et 29 de la charte disposent également que les titulaires concernés des droits fondamentaux ont un «droit», étant précisé que ces deux dispositions confèrent des droits subjectifs (44). En raison de la proximité de ces dispositions avec l’article 31 de la charte, de leur connexité et de leur similitude, l’article 31 de la charte doit également être assimilé à un droit subjectif.
– Absence d’effets à l’égard des tiers
Le système de protection des droits fondamentaux prévu par la charte
80. La formulation de l’article 31 de la charte pourrait, à première vue, laisser supposer que la norme produit des effets à l’égard des tiers (45) et qu’elle s’applique directement à la relation entre l’employeur et le travailleur. Ainsi les particuliers seraient-ils théoriquement eux-mêmes tenus de garantir des conditions de travail justes et équitables. Cependant, conformément à l’article 51, paragraphe 1, première phrase, de la charte, ses dispositions ne s’adressent qu’«aux institutions et organes de l’Union dans le respect du principe de subsidiarité, ainsi qu’aux États membres uniquement lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union». En outre, l’article 52, paragraphe 2, prévoit que «[l]es droits reconnus par la présente Charte qui trouvent leur fondement dans les traités communautaires ou dans le traité sur l’Union européenne s’exercent dans les conditions et limites définies par ceux-ci». À mon avis, ces dispositions soulignent une limitation intentionnelle du cercle des destinataires des droits fondamentaux, laquelle montre à son tour le type de protection des droits fondamentaux souhaité par le législateur de l’Union.
81. Selon ces dispositions, il ne devrait y avoir d’atteinte au domaine de garantie de l’article 31 de la charte que lorsque l’Union ou les États membres ne garantissent pas des conditions de travail justes et équitables à leurs agents ou lorsqu’ils n’adoptent pas les réglementations permettant de garantir les droits visés à l’article 31 de la charte, bien qu’ils disposent des compétences pour le faire (46). Cette disposition confère donc un droit subjectif aux particuliers, qui consiste, en premier lieu, dans une obligation de protection à son égard incombant à l’Union et à ses États membres.
82. D’après le libellé clair de l’article 51, paragraphe 1, première phrase, de la charte, une atteinte au droit fondamental résultant d’une action des États membres ne pourrait survenir que lors de la mise en œuvre du droit de l’Union, par exemple dans la transposition de directives en droit national (47). Cette disposition confirme en définitive le caractère contraignant des droits fondamentaux à l’égard des États membres lors de la mise en œuvre du droit de l’Union, qui est reconnu dans la jurisprudence de la Cour (48). À cet égard, il ne faut toutefois pas oublier que les destinataires de l’obligation de respecter les droits fondamentaux jouissent d’un large pouvoir d’appréciation dans la mise en œuvre, puisque l’article 31 de la charte, en tant que droit fondamental de protection, implique précisément l’adoption de règles d’application (49).
83. Compte tenu du fait, premièrement, que l’article 51, paragraphe 1, première phrase, de la charte détermine, en termes clairs, le cercle des destinataires de l’obligation de respecter les droits fondamentaux et, deuxièmement, que la fonction du droit fondamental résultant de l’article 31 de la charte, qui s’apprécie au regard de sa finalité, trouve ses limites dans la création d’une obligation de protection à la charge de l’Union et des États membres, il convient de considérer que les particuliers ne sont pas directement liés par ce droit fondamental (50). On peut ajouter, comme autre argument contre un effet direct des droits fondamentaux envers les tiers en général, que les particuliers ne peuvent pas non plus respecter la réserve légale prévue à l’article 52, paragraphe 1, de la charte («Toute limitation de l’exercice des droits et libertés reconnus par la présente Charte doit être prévue par la loi»). Cette condition, propre à un État de droit, et à laquelle sont subordonnées les atteintes aux droits fondamentaux, ne peut, par nature, s’adresser qu’à l’Union et à ses États membres en tant que représentants de la puissance publique. C’est pourquoi les réglementations destinées à mettre en œuvre l’obligation de protection peuvent, tout au plus, lier les particuliers de manière indirecte (51). En outre, l’interprétation conforme s’impose également dans les dispositions de droit privé. Toutefois, ce point n’est pas pertinent aux fins de la présente procédure. En revanche, la constatation que le droit fondamental au congé annuel payé, consacré par l’article 31, paragraphe 2, de la charte, n’est pas d’application directe entre particuliers est pertinente.
Le système de la protection des droits fondamentaux prévu par la CEDH
84. Le système de protection des droits fondamentaux prévu dans la CEDH prouve qu’un effet direct obligatoire des droits fondamentaux envers les particuliers n’est pas nécessaire pour garantir une protection appropriée des droits fondamentaux dans les rapports dits horizontaux, mais qu’il suffit au contraire que les individus puissent se prévaloir d’une obligation de protection du législateur pour interdire les atteintes portées aux droits fondamentaux par les particuliers.
85. La CEDH ne prévoit certes pas de droit au congé annuel analogue à celui de l’article 31, paragraphe 2, de la charte, mais il ne faut pas oublier que, conformément aux articles 52, paragraphe 3, et 53 de la charte, le niveau de protection des droits fondamentaux contenu dans la CEDH s’applique à l’ordre juridique de l’Union. En effet, compte tenu de leur esprit et de leur finalité, ces dispositions doivent être comprises en ce sens que le niveau de protection des droits fondamentaux garanti par la charte ne peut pas être inférieur au niveau minimal fixé dans la CEDH (52). C’est la raison pour laquelle — mais également en vue d’une future adhésion de l’Union à la CEDH, telle que prévue à l’article 6, paragraphe 2, première phrase, TUE —, la prise en compte des solutions offrant ce système paneuropéen de protection des droits fondamentaux semble indispensable.
86. À cet égard, il convient de constater qu’aucune des garanties relatives aux droits fondamentaux de la CEDH ne comporte d’indication concernant un effet envers les tiers, même si certaines dispositions semblent le sous-entendre (53). Pour des raisons procédurales, la reconnaissance d’un effet envers les tiers rencontrerait des difficultés presque insurmontables, car, conformément à l’article 35 de la CEDH, les requêtes individuelles relatives aux violations des garanties découlant de la CEDH sont d’office irrecevables ratione personae (54). En revanche, la protection des droits de l’homme dans les rapports entre particuliers résulte de l’obligation de protection incombant à l’État, que ce dernier doit remplir par l’adoption de mesures positives («obligations positives»). Conformément à ce concept, il appartient à l’État de défendre la position juridique des bénéficiaires concernés des droits de l’homme (victimes) contre les atteintes commises par des particuliers (auteurs du trouble) (55), mission pour laquelle il dispose d’une grande liberté dans le choix des moyens. La CEDH n’exige d’interdictions légales assorties de sanctions aux fins de la protection d’un droit fondamental que dans des cas particuliers, comme dans le domaine de la protection du droit à la vie prévu à l’article 2 de la CEDH contre des atteintes émanant de particuliers. L’État respecte son obligation de protection par des lois et en assurant leur exécution, par exemple en veillant, en droit privé, à maintenir un équilibre des intérêts conforme à la CEDH, en prévoyant une protection pénale suffisante pour les bénéficiaires des droits fondamentaux contre des abus commis par des particuliers ou en réglementant équitablement, en droit administratif, les questions relevant des troubles de voisinage (56). La Cour européenne des droits de l’homme a constaté de manière contraignante la violation de cette obligation de protection en condamnant l’État concerné (57). Cependant, à défaut de légitimation passive des particuliers, une telle condamnation n’engage pas la responsabilité de l’auteur du trouble auquel l’atteinte aux droits fondamentaux est finalement imputable.
87. Ce bref aperçu suffit à montrer que la thèse tirée de l’obligation de protection, sur laquelle repose le système de protection des droits fondamentaux de la CEDH, met en évidence le caractère superflu de l’effet des droits fondamentaux envers les particuliers, puisqu’elle apporte des solutions équitables aux questions de droit qui sont habituellement discutées dans le cadre de l’effet envers les tiers (58). Par conséquent, on ne saurait soutenir que le niveau de protection des droits fondamentaux dans l’Union serait inférieur à celui de la CEDH si l’effet direct des droits fondamentaux de la charte n’était pas reconnu dans les rapports horizontaux.
– Conclusion
88. Dès lors, la juridiction de renvoi ne peut pas se fonder sur l’article 31, paragraphe 2, de la charte pour laisser inappliquée une réglementation nationale contraire au droit de l’Union, qui ne pourrait pas être interprétée dans un sens conforme à la directive, dans un litige entre personnes privées.
ii) Applicabilité directe d’un éventuel principe général du droit
89. L’application aux rapports entre particuliers d’un éventuel principe général du droit de l’Union qui prévoirait, le cas échéant, un droit du travailleur au congé annuel payé constituerait une approche alternative envisageable.
90. Toutefois, cette approche impliquerait d’éclaircir deux questions essentielles. D’une part, il conviendrait d’examiner la question de savoir si le droit au congé annuel payé a, d’une manière générale, valeur de principe général du droit dans l’ordre juridique de l’Union et, d’autre part, si ce principe général du droit serait, le cas échéant, également applicable aux rapports entre les particuliers.
– Place du droit au congé annuel dans l’ordre juridique de l’Union
Notion de principe général du droit
91. En introduction de l’examen de la première question, il convient de rappeler brièvement la notion ainsi que la fonction des principes généraux du droit dans le droit de l’Union.
92. Les principes généraux du droit dans le droit de l’Union occupent une place particulière dans la jurisprudence de la Cour. Cependant, la notion de principes généraux du droit fait encore débat (59). La terminologie n’est pas uniforme, que ce soit dans la doctrine ou dans la jurisprudence. En partie, les différences ne portent que sur les termes retenus, lorsque la Cour et les avocats généraux parlent d’une «règle de droit généralement admise» (60), de «principe généralement admis» (61), de «principe élémentaire du droit» (62), de «principe fondamental» (63), de simple «principe» (64), de «règle» (65) ou de «principe général d’égalité qui appartient aux principes fondamentaux du droit communautaire» (66).
93. Tous s’accordent cependant à considérer que les principes généraux du droit revêtent une grande importance dans la jurisprudence pour combler des lacunes ou à titre d’outil d’interprétation (67). Cela résulte en particulier du fait que le droit de l’Union constitue un ordre juridique en développement qui, parce qu’il accompagne l’évolution de l’intégration, doit nécessairement être lacunaire et soumis à interprétation. Sur le fondement de cette constatation, la Cour semble, elle aussi, avoir renoncé à classer de manière précise les principes généraux du droit pour ne pas se priver de la flexibilité nécessaire pour pouvoir statuer sur les questions de fait qui se posent indépendamment des différences de terminologie (68). En outre, les principes généraux du droit revêtent une importance dans leur fonction en tant que critère d’appréciation de la légalité et de la validité des actes juridiques (69) de l’Union ainsi que comme base de l’évolution du droit par voie prétorienne (70).
94. Selon une définition proposée dans la doctrine, les principes généraux du droit sont les dispositions fondamentales du droit communautaire primaire non écrit qui sont inhérentes à l’ordre juridique de l’Union européenne lui-même ou qui sont communes aux ordres juridiques des États membres (71). Il est en principe possible de distinguer entre les principes généraux du droit de l’Union au sens étroit, à savoir ceux qui sont exclusivement dégagés de l’esprit et de l’économie des traités et qui se rapportent à des problèmes spécifiques du droit de l’Union, et les principes généraux du droit qui sont communs aux ordres juridiques et constitutionnels des États membres (72). Tandis que la première catégorie de principes généraux du droit peut être tirée directement du droit primaire de l’Union, la Cour se livre essentiellement, pour dégager les principes relevant de la deuxième catégorie, à un exercice critique de droit comparé (73), sans toutefois appliquer la méthode du plus petit dénominateur commun. Il n’est pas non plus jugé nécessaire à cet égard que les principes ainsi dégagés, tels qu’ils sont formulés concrètement sur le plan de l’Union, apparaissent toujours simultanément dans tous les ordres juridiques comparés (74).
95. Les principes généraux du droit se caractérisent par le fait qu’ils traduisent des principes fondamentaux de l’Union et de ses États membres, ce qui explique leur rang de droit primaire au sein de la hiérarchie des normes de l’ordre juridique de l’Union (75). La protection des droits fondamentaux au sens étroit, développée et assurée par la juridiction de l’Union sous cette dénomination générique, revêt une importance toute particulière, tout comme la formulation des droits procéduraux assimilés à des droits fondamentaux qui ont été élevés au rang de droit constitutionnel de l’Union au titre des principes généraux de l’État de droit (76). Relèvent, par conséquent, également des principes généraux du droit les principes qui sont étroitement liés aux principes structurels de l’Union européenne et qui découlent de ces derniers, tels que la liberté, la démocratie, le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ainsi que de l’État de droit au sens de l’article 2 TUE. La violation de ces principes par un État membre peut déclencher le mécanisme de sanction spécial de l’article 7 TUE.
96. Des principes importants de l’État de droit ont notamment été reconnus à titre de principes généraux du droit de l’Union, tels que le principe de proportionnalité (77), la clarté juridique (78) ou le droit du justiciable à une protection juridictionnelle effective (79). Dans ce contexte, on peut également citer différents principes généraux de bonne administration tels que le principe de la protection de la confiance légitime (80), le principe ne bis in idem (81), le droit d’être entendu (82), qui revêt également la forme de la possibilité de s’exprimer pour le destinataire de mesures affectant ses intérêts (83), l’obligation de motivation des actes juridiques (84) ou le principe de l’enquête d’office (85). L’invocation de la «force majeure» (86) en fait également partie. Toutefois, on peut également citer des principes qui ne sont pas étrangers au droit des contrats, tels que le principe général du droit pacta sunt servanda (87) ou le principe clausula rebus sic stantibus (88).
97. La reconnaissance du principe de solidarité (89) ou le devoir de sollicitude de l’administration à l’égard de ses agents (90), notamment, ont une orientation sociale. Le rappel fréquent du principe de coopération entre les États membres et les obligations de collaboration de ceux-ci à l’égard de l’Union relèvent de la reconnaissance des liens fédéraux au sein de l’Union. En invoquant l’article 10 CE, la Cour a ainsi développé le principe de la loyauté communautaire réciproque (91). La Cour a proclamé en outre le principe démocratique, par exemple lorsqu’elle a rappelé la nécessité de la participation effective du Parlement européen au processus législatif de l’Union, selon les procédures prévues par le traité (92).
98. Les droits fondamentaux et les droits de l’homme qui caractérisent les sociétés libérales et démocratiques, tels que la liberté d’expression (93) et la liberté d’association (94), figurent au nombre des droits fondamentaux de l’Union que la Cour a reconnus au moyen de l’analyse critique de droit comparé déjà évoquée et de la prise en compte des conventions internationales et européennes en matière de droits de l’homme. Ceux-ci comprennent également les principes fondamentaux qui découlent directement des traités, tels que le principe de non‑discrimination en raison de la nationalité (95) ainsi que l’interdiction des discriminations fondées sur le sexe (96).
Concernant le droit au congé annuel payé dans l’Union européenne
99. On peut se demander si le droit au congé annuel payé remplit les conditions posées par la jurisprudence en matière de principes généraux du droit. Un tel principe juridique devrait pour cela revêtir en droit de l’Union du travail, tout comme les autres exemples mentionnés ci-dessus, une importance si fondamentale qu’il a trouvé une expression dans de nombreuses normes du droit primaire ou du droit de l’Union dérivé.
100. Les nombreux traités de droit international public concernant la protection des droits de l’homme ainsi que les droits des travailleurs, auxquels les États membres de l’Union ont adhéré, constituent d’autres sources à prendre en considération.
101. Enfin, le droit des États membres doit lui-même être examiné. En effet, le recours à l’approche de droit comparé souvent utilisée par la Cour pourrait clarifier la question de savoir si les traditions constitutionnelles (97) ou, tout au moins, les dispositions essentielles du droit du travail national accordent à ce droit une place prépondérante dans les ordres juridiques nationaux.
Dispositions du droit de l’Union
102. En ce qui concerne les dispositions pertinentes du droit de l’Union, on peut se reporter ci-après aux observations précédemment formulées sur la classification du droit au congé annuel payé comme droit fondamental. Comme cela a déjà été mentionné, sa codification dans l’article 31, paragraphe 1, de la charte est une confirmation de la place prépondérante qu’il occupe dans l’ordre juridique de l’Union. À cet égard, il convient de rappeler que, comme cela ressort du cinquième considérant de son préambule, la charte «réaffirme […] les droits qui résultent notamment des traditions constitutionnelles et des obligations internationales communes aux États membres […], de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, des Chartes sociales adoptées par la Communauté et par le Conseil de l’Europe, ainsi que de la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes et de la Cour européenne des droits de l’homme». En d’autres termes, la charte n’offre rien de moins favorable que l’acquis actuel de l’Union européenne en matière de droits fondamentaux.
103. S’il est clair que l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/104 — disposition ayant précédé l’article 7, paragraphe 1, de la directive 2003/88 — a servi de modèle à la formulation de l’article 31, paragraphe 1, de la charte, on ne saurait toutefois en conclure que le droit au congé annuel minimal payé n’a été reconnu qu’avec la directive relative au temps de travail. Au contraire, ce droit compte, depuis longtemps, parmi les droits sociaux fondamentaux reconnus en droit international, indépendamment de la durée du congé garanti.
Dispositions de droit international
104. Au niveau international, ce droit fondamental est mentionné à l’article 24 de la déclaration universelle des droits de l’homme (98), qui reconnaît à chacun «le droit au repos et au temps libre et notamment à des limites raisonnables aux horaires de travail ainsi qu’un congé périodique rétribué». Par ailleurs, ce droit fondamental est reconnu à l’article 2, paragraphe 3, de la charte sociale européenne (99) ainsi qu’à l’article 7, sous d), du pacte international sur les droits économiques, sociaux et culturels (100) en tant qu’expression du droit qu’a toute personne de jouir de conditions de travail justes et favorables. L’article 8 de la charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs prévoit, lui aussi, le droit de tout travailleur à un congé annuel payé (101). Cette dernière disposition est pertinente, car elle revêt une grande importance dans la jurisprudence de la Cour en tant que source de décision. En effet, elle reflète les intentions et les traditions nationales communes et est considérée comme une déclaration de principes fondamentaux auxquels l’Union et les États membres souhaitent se tenir (102). Dans le cadre de l’Organisation internationale du travail en tant qu’institution spécialisée des Nations unies, le droit au congé annuel minimal payé relève jusqu’à présent de deux conventions multilatérales, à savoir la convention no 132 (103), qui porte révision de la convention no 52 en vigueur à l’époque (104). Elles contiennent des dispositions contraignantes pour les États contractants en vue de la mise en œuvre de ce droit social fondamental dans leurs ordres juridiques nationaux.
105. Toutefois, ces divers instruments internationaux se distinguent entre eux tant par leur contenu que par leur portée normative, car il s’agit dans certains cas de traités de droit international public et dans d’autres cas de simples déclarations solennelles sans effet contraignant (105). Par ailleurs, le champ d’application personnel de ces instruments prévoit des modalités variées en sorte que le cercle de leurs destinataires n’est jamais identique. De plus, un pouvoir d’appréciation supplémentaire est en règle générale reconnu aux États signataires en tant que destinataires de ces instruments, en sorte que les individus bénéficiaires ne peuvent se prévaloir directement de ce droit (106). Toutefois, il convient de noter que le droit au congé annuel est considéré clairement par l’ensemble de ces instruments internationaux comme faisant partie des droits fondamentaux des travailleurs.
Ordres juridiques des États membres
106. Au niveau du droit constitutionnel, les droits sociaux connaissent de grandes disparités. Ainsi, si plusieurs textes constitutionnels contiennent des garanties en matière de conditions de travail qui mentionnent le droit du travailleur au repos, toutes les Constitutions ne le prévoient pas.
107. Par exemple, l’article 11, paragraphe 5, de la Constitution luxembourgeoise, et l’article 40, paragraphe 2, de la Constitution espagnole imposent à l’État l’obligation de créer des conditions de travail saines et d’assurer le repos des travailleurs et/ou d’y veiller (107). On peut trouver à l’article 36 de la Constitution italienne une réglementation nettement plus précise que la formulation prévue à l’article 31 de la charte des droits fondamentaux, article qui prévoit notamment un droit au repos hebdomadaire et à des congés annuels rétribués. La Constitution portugaise semble avoir été un des modèles des règles prévues par la charte, car son article 59, paragraphe 1, sous d), prévoit le droit à la détente et aux loisirs, à une limitation de la journée de travail, au repos hebdomadaire et à des congés payés périodiques (108). Toutefois, il convient de constater que les droits sociaux fondamentaux exposés de manière détaillée et subjective dans ces Constitutions doivent simplement être compris, en règle générale, comme relevant d’une simple mission de service public, et non comme des droits susceptibles d’être invoqués directement en justice (109).
108. Dans la plupart des anciens États membres de l’Union européenne, le droit au congé annuel minimal payé se fonde en revanche sur de simples dispositions législatives qui reflètent les règles pertinentes du droit dérivé des directives, dans la mesure où le champ d’application du droit de l’Union est concerné. C’est notamment le cas du droit allemand, qui, s’il reconnaît, à l’article 20, paragraphe 1, de la Loi fondamentale, le «principe de l’État social», dont découlent plusieurs droits sociaux minimaux, comme un objectif de l’État, charge toutefois le législateur de la réglementation relative au congé annuel (110). Cependant, indépendamment de cela, les Constitutions des Länder allemands contiennent de nombreux garanties et principes sociaux, qui imposent notamment aussi au législateur du Land l’obligation de fixer un congé payé suffisant (111).
109. En revanche, les nouveaux États membres, à l’exception de la République de Chypre, prévoient une codification très détaillée de ce droit. Il en va ainsi notamment de l’article 36, sous f), de la Constitution slovaque, de l’article 66, paragraphe 2, de la Constitution polonaise, de l’article 70/B, paragraphe 4, de la Constitution hongroise, de l’article 107 de la Constitution lettone, de l’article 41, paragraphe 2, de la Constitution roumaine, de l’article 48, paragraphe 5, de la Constitution bulgare, de l’article 13, paragraphe 2, de la Constitution maltaise, ainsi que de l’article 49, paragraphe 1, de la Constitution lituanienne qui garantissent expressément le droit au congé minimal annuel payé. Les conditions de travail sont abordées de manière générale dans la Constitution slovène (article 56), dans la Constitution tchèque (article 28) ainsi que dans la Constitution estonienne (article 29, paragraphe 4) (112).
– Conclusions
110. La jurisprudence de la Cour reconnaît depuis longtemps l’importance du droit au congé payé annuel. En vertu d’une jurisprudence constante, il doit être considéré comme un «principe de droit social de l’Union revêtant une importance particulière» auquel il ne saurait être dérogé et dont la mise en œuvre par les autorités nationales compétentes ne peut être effectuée que dans les limites expressément énoncées par la directive 2003/88. Cependant, la Cour n’a pas encore tranché la question de savoir s’il constituait un principe général du droit de l’Union. L’absence de terminologie uniforme dans la jurisprudence pour désigner ces principes généraux du droit rend une classification claire encore plus difficile (113).
111. L’analyse de droit comparé qui précède montre toutefois que l’idée selon laquelle le travailleur devrait avoir droit à un repos régulier est inscrite en filigrane dans l’ordre juridique de l’Union et de ses États membres. Le seul fait que ce principe ait valeur constitutionnelle, tant au niveau de l’Union (114) que dans de nombreux États membres (115), plaide en faveur d’une position prépondérante de ce droit, qui suggère de lui reconnaître la qualité de principe général du droit de l’Union.
112. À cet égard, peu importe que tous les États membres ne lui reconnaissent pas valeur constitutionnelle à l’intérieur de leurs ordres juridiques (116), puisqu’il est, en toute hypothèse, considéré comme un élément essentiel du droit national, et ce indépendamment du fait que la relation de travail relève du droit privé ou du droit public, ce que la jurisprudence de la Cour reconnaît d’ailleurs également (117). Étant donné qu’il ne se limite pas à un domaine juridique déterminé, mais qu’il s’étend au contraire à plusieurs secteurs, c’est-à-dire à de nombreux domaines d’activité qui relèvent tant du droit du travail que du droit applicable aux agents publics dans tous les États membres, le droit au congé annuel a une portée générale qui est caractéristique des principes généraux du droit et qui le distingue de règles de droit spécifiques (118). Il en va de même en matière de réglementation de l’Union, car, comme je l’ai souligné dans les conclusions relatives à l’affaire Williams e.a. (C‑155/10) (119), les directives relatives à l’aménagement du temps de travail, qui, en raison des particularités de certains secteurs professionnels, contiennent des règles sectorielles spécifiques (120), susceptibles dès lors d’être considérées comme une lex specialis par rapport aux dispositions de la directive 2003/88, prévoient également des dispositions spécifiques au droit au congé.
113. En outre, le droit au congé annuel payé présente un minimum de précision normative, ce qui est habituellement considéré comme une condition de la reconnaissance d’un principe général du droit. C’est ce que confirme, d’une part, la comparaison avec certains principes de droit reconnus dans la jurisprudence, tels que le «principe de démocratie» ou la «solidarité» précités, lesquels se caractérisent par leur abstraction. D’autre part, cela ressort de la clarté de l’objectif du droit. Indépendamment de l’aménagement nécessaire du législateur, le droit au congé annuel vise, en substance, à libérer temporairement le travailleur de l’obligation contractuelle de travailler. Ce droit respectant en toute hypothèse les exigences minimales de précision quant au fond, il remplit également les conditions d’une reconnaissance en tant que principe général du droit (121).
114. Au vu de ces éléments, il convient de constater que de nombreux arguments plaident en faveur d’une reconnaissance du droit au congé annuel en tant que principe général du droit dans l’ordre juridique de l’Union.
– Applicabilité du principe général du droit entre particuliers
115. En outre, il convient de déterminer si ce principe général du droit serait applicable, le cas échéant, aux rapports entre particuliers.
Possibilité d’une application directe
116. La jurisprudence de la Cour reconnaît que les particuliers peuvent se prévaloir des principes généraux du droit dans leurs rapports avec l’État (122). En revanche, la Cour ne s’est pas encore expressément prononcée sur la question principale de savoir si les droits fondamentaux sont, d’une manière générale, applicables en tant que principes généraux du droit.
117. Compte tenu de l’importance de la protection individuelle des droits fondamentaux, cette question mérite précisément d’être étudiée avec une attention particulière. D’un côté, on pourrait en effet soutenir que, compte tenu de l’origine et de la finalité des principes généraux du droit, ceux-ci servent en premier lieu à protéger les individus contre les atteintes de la puissance publique, ce qui conduirait à devoir rejeter l’hypothèse d’une application directe entre les particuliers. D’un autre côté, on pourrait considérer que l’opposition traditionnelle «public/privé» n’est plus d’actualité dans un État moderne. En effet, on peut imaginer des cas dans lesquels la protection des droits fondamentaux s’avère aussi nécessaire contre des organismes privés que contre des autorités administratives, ce qui aurait pour effet de mettre sur le même plan l’absence de protection des droits fondamentaux et une violation de ces droits (123).
118. Ce serait, par exemple, le cas dans les rapports de travail tels que ceux de la présente espèce, d’autant plus que, indépendamment du fait qu’elle relève du droit privé ou du droit public, une relation de travail se caractérise en général par un rapport de forces déséquilibré entre l’employeur et le travailleur (124). Toutefois, étant donné que la nature de sujet de droit privé ou d’entité publique de l’employeur est souvent le fruit du hasard (125), la différence qu’il conviendrait de faire, selon les cas, dans la protection des droits fondamentaux serait difficilement justifiable.
119. C’est essentiellement le principe de l’effet utile en droit de l’Union et l’unité de l’ordre juridique de l’Union qui plaident en faveur d’une applicabilité des droits fondamentaux aux particuliers en tant que principes généraux du droit. La reconnaissance d’un effet des droits fondamentaux envers les tiers dans certains domaines permettrait une effectivité accrue dans la mise en œuvre du droit de l’Union. Alors que les États membres sont contraints d’appliquer le droit de l’Union dans le respect des droits fondamentaux qui les lient, les particuliers pourraient compromettre l’effet utile du droit de l’Union dans le cadre de leurs relations juridiques s’ils étaient autorisés à violer les droits fondamentaux dans des domaines établis par le droit de l’Union. Cela risquerait de compromettre l’unité du droit de l’Union (126).
120. L’examen de la jurisprudence actuelle montre que l’argumentation de la Cour contient des éléments dans ce sens.
121. Les indications d’une applicabilité directe des principes généraux du droit dans les rapports entre particuliers résultent par exemple de l’arrêt Defrenne (127), dans lequel la Cour a considéré que le principe fixé par l’article 119 CEE (actuel article 157 TFUE) fondait un droit à l’égalité entre travailleurs féminins et travailleurs masculins, susceptible d’être invoqué devant les juridictions nationales, et ce de la même manière dans une relation avec un employeur public ou privé.
122. La jurisprudence relative à l’application des libertés fondamentales à l’égard des particuliers contient également des éléments dans ce sens, notamment l’arrêt Walrave et Koch (128), dans lequel la Cour a jugé que l’interdiction de discrimination fondée sur la nationalité prévue aux articles 7 CEE, 48 CEE et 59 CEE (actuels articles 18 TFUE, 45 TFUE et 56 TFUE) non seulement s’imposait à l’action des autorités publiques, mais s’étendait également aux réglementations d’une autre nature — au cas particulier d’une association sportive — visant à régler, de façon collective, le travail salarié et les prestations de services. La Cour a motivé sa décision en relevant que l’abolition entre les États membres des obstacles à la libre circulation des personnes et à la prestation des services serait compromise si l’abolition des barrières d’origine étatique pouvait être neutralisée par des obstacles résultant de l’exercice de leur autonomie juridique par des associations ou des organismes ne relevant pas du droit public. En outre, les conditions de travail étant, dans les différents États membres, régies tantôt par la voie de dispositions d’ordre législatif ou réglementaire, tantôt par des conventions et d’autres actes conclus ou adoptés par des personnes privées, une limitation des interdictions en cause aux actes de l’autorité publique risquerait de créer des inégalités quant à leur application (129). Par la suite, la Cour a considéré, dans l’arrêt Bosman (130), que les dispositions de droit primaire en matière de libre circulation des travailleurs s’étendaient aux règles relatives aux transferts de la FIFA (Fédération internationale de football association) et de l’UEFA (Union des associations européennes de football).
123. D’un autre côté, on peut se demander si l’on doit nécessairement conclure, sur la base des arrêts Walrave et Koch, et Bosman, à une application directe générale des principes généraux du droit aux relations entre particuliers, d’autant plus que ces deux affaires portaient respectivement sur l’applicabilité des libertés fondamentales à des organisations privées, qui disposaient, en quelque sorte, d’une compétence réglementaire et avaient dès lors quasiment le caractère d’organismes de droit public. Il y aurait donc lieu d’admettre que la décision de la Cour était justifiée par les circonstances particulières de ces affaires. Si l’on suit ce raisonnement, on doit s’interdire toute comparaison eu égard au fait que la défenderesse au principal n’était pas une organisation privée de ce genre, dotée de compétences réglementaires.
124. On peut citer, comme autre indice d’une applicabilité directe des principes généraux du droit dans les rapports entre particuliers, l’arrêt Angonese, qui concernait l’accès à l’emploi dans une banque privée, et dans lequel la Cour avait considéré que «l’interdiction de la discrimination sur le fondement de la nationalité, énoncée à l’article [45 TFUE], s’applique […] aux personnes privées» (131).
125. Enfin, on ne doit pas oublier, dans ce contexte, de citer l’arrêt Kücükdeveci (132), dans lequel la Cour a appliqué à une relation de travail entre des particuliers le principe de non-discrimination en fonction de l’âge, dont le caractère de principe général du droit dans l’ordre juridique de l’Union a été reconnu pour la première fois dans l’arrêt Mangold (133). À cet égard, il est à noter que, pour justifier l’applicabilité directe du principe général du droit, la Cour a fait application de sa propre approche, laquelle requiert un examen théorique approfondi en particulier du fait de son caractère innovant. C’est pourquoi je renvoie d’ores et déjà à mes autres remarques relatives à cette approche (134), sur laquelle je reviendrai séparément et dans le détail.
126. Pour résumer, il convient de constater que, conformément à cette jurisprudence, l’applicabilité directe de droits fondamentaux sous la forme de principes généraux du droit dans les rapports entre particuliers ne peut pas être exclue par principe (135).
Risque de contradiction concernant les dispositions de la charte
127. Avec l’entrée en vigueur de la charte, le droit au congé annuel payé trouve désormais un fondement dans son article 31, paragraphe 2. Un principe général du droit prévoyant en substance le même droit, que la Cour sera amené à développer, le cas échéant, sur la base des considérations qui précèdent, devrait toutefois subsister de manière autonome, puisque l’article 6 TUE mentionne expressément, l’un à côté de l’autre, la charte et les droits fondamentaux résultant des principes généraux du droit dans ses paragraphes 1 et 3 (136). Concernant le lien entre les droits tirés de la charte et les droits résultant des principes généraux du droit, il convient de déduire de ces dispositions qu’elles sont sur un pied d’égalité (137). Par conséquent, elles peuvent également s’appliquer de manière cumulative, de sorte qu’il n’est pas interdit au particulier de se prévaloir de la garantie la plus étendue. Sur le fond, elles devraient se recouper dans une large mesure, car, comme cela ressort de son préambule, la charte réaffirme, d’une part, les droits qui découlent des sources de décision utilisées par la Cour, et constitue, d’autre part, une indication du contenu des traditions constitutionnelles communes aux États membres. Cependant, on ne saurait exclure que les droits fondamentaux résultant des principes généraux du droit et qui continuent à évoluer couvrent un domaine de protection plus étendu que celui de la charte (138).
128. Si l’on considère, dans les développements suivants, que les droits fondamentaux résultant de la charte et des principes généraux du droit sont applicables de manière parallèle au sein de l’ordre juridique de l’Union, il convient de noter que l’application directe d’un principe général du droit, qui prévoit un droit au congé annuel, comporte, tout au moins dans le cadre d’un litige entre particuliers, un risque de contradiction. Comme cela a déjà été expliqué, l’article 51, paragraphe 1, première phrase, de la charte doit être interprété en ce sens que le droit fondamental au congé annuel payé consacré par l’article 31, paragraphe 2, de la charte ne s’applique pas directement aux particuliers entre eux. Le fait de permettre, dans le même temps, aux particuliers de se prévaloir du principe général du droit aurait toutefois pour conséquence de contourner la limitation du cercle des personnes tenues de respecter les droits fondamentaux opérée par le législateur de l’Union dans la charte.
129. Cependant, l’exigence tirée d’une protection cohérente des droits fondamentaux impose une interprétation aussi coordonnée que possible de ces deux droits fondamentaux (139). Étant donné que les droits fondamentaux résultant des principes généraux du droit et, en particulier, la jurisprudence de la Cour qui s’y rapporte doivent, conformément au cinquième considérant du préambule de la charte, être intégrés dans l’interprétation des droits fondamentaux découlant de la charte, il ne saurait y avoir de contradiction de fond entre les deux catégories de droits fondamentaux. Il convient au contraire d’adopter une interprétation harmonisée, dès que le droit fondamental résultant de la charte le permet (140).
130. En l’espèce, une interprétation harmonisée serait impossible en cas d’application directe du principe général du droit dans les rapports entre le travailleur et l’employeur. La décision du législateur de l’Union de ne garantir la protection des droits fondamentaux — dans le litige au principal, par le biais de l’article 31, paragraphe 2, de la charte — que de manière indirecte, en imposant une obligation de protection à l’Union et à ses États membres, serait affaiblie dès lors que les principes généraux du droit non écrits laisseraient finalement subsister la possibilité d’un effet envers les tiers, y compris le droit d’exiger du juge national qu’il écarte l’application du droit national contraire au droit de l’Union, y compris dans les rapports entre particuliers. Pour éviter toute contradiction, une applicabilité directe du principe général du droit devrait être rejetée (141).
131. Il convient toutefois de souligner que ces remarques ne sont applicables que dans la mesure où le droit fondamental résultant de l’article 31, paragraphe 2, de la charte et le principe général du droit constituent le même droit fondamental, c’est-à-dire des droits fondamentaux ayant le même niveau de protection. Comme cela a été expliqué en introduction, on ne doit cependant pas exclure que les droits fondamentaux résultant de principes généraux du droit et qui continuent à évoluer confèrent une protection plus importante que les droits fondamentaux résultant de la charte. Dans ce cas, la contradiction par rapport à l’article 51, paragraphe 1, première phrase, de la charte pourrait éventuellement devenir obsolète.
132. Les remarques qui suivent ne sont pertinentes que dans l’hypothèse où la Cour ne verrait, dans l’application d’un principe général du droit portant sur l’octroi d’un congé annuel dans les rapports entre particuliers, aucune contradiction par rapport à l’article 51, paragraphe 1, première phrase, de la charte.
– Caractère transposable du droit au congé annuel payé
133. L’applicabilité directe de droits fondamentaux sous la forme de principes généraux du droit ne pouvant pas être exclue par principe dans les rapports entre particuliers, il convient d’examiner à présent si les conditions pour cela sont remplies.
Octroi d’un droit subjectif
134. À cette fin, le droit à un congé annuel en cause devrait avoir pour objet l’octroi de droits subjectifs. Comme cela a déjà été expliqué, le principe général du droit confère un droit subjectif en fondant un droit du travailleur à l’égard de l’employeur, qui consiste en substance à le libérer temporairement de l’obligation contractuelle de travail pour bénéficier d’un temps de repos approprié. Dans cette mesure, il remplit la première condition d’une applicabilité directe.
Inconditionnel et suffisamment précis du point de vue du contenu
135. En outre, le principe général du droit devrait, du point de vue de son contenu, être inconditionnel et suffisamment précis pour pouvoir être invoqué à l’encontre de l’employeur en tant que personne privée. Une disposition est inconditionnelle lorsqu’elle n’est assortie d’aucune réserve ou condition et ne nécessite l’intervention d’aucun acte, soit des organes des États membres, soit de l’Union (142). Une disposition est suffisamment précise lorsqu’elle énonce une obligation dans des termes non équivoques (143), c’est-à-dire qu’elle est juridiquement parfaite et susceptible, comme telle, d’être appliquée par toute juridiction (144).
136. On peut se demander si ces conditions sont remplies dans le cas du droit au congé annuel, d’autant que l’on ne connaît pas vraiment l’étendue réelle du domaine de protection du principe général du droit. Sa portée n’étant pas définissable d’emblée ni de manière exhaustive, il conviendrait d’examiner, dans chaque cas, si une mesure de l’Union et/ou de ses États membres affecterait éventuellement le domaine de protection. Une telle mission incomberait à la Cour, saisie aux fins de l’interprétation des principes généraux du droit de l’Union (145).
137. Pour pouvoir être suffisamment précis, le principe général du droit devrait couvrir plusieurs aspects du droit au congé annuel payé, lesquels ne devraient toutefois être régis raisonnablement que par le législateur, pour tenir compte de manière appropriée et suffisamment flexible des exigences de délai. Ces aspects devant être réglementés concernent notamment, pour ne citer que quelques exemples, le nombre de jours de congé à accorder, ce qui soulève entre autres la question de savoir s’il s’agit d’un nombre précis ou, au contraire, d’un nombre minimal de jours. En outre, le principe général du droit devrait, pour être directement opposable à l’employeur, déterminer comment les jours de congé doivent être répartis dans l’année pour que le congé annuel puisse remplir sa fonction de repos. Par ailleurs, le principe général du droit devrait tenir compte des particularités de chaque branche économique en comprenant, au besoin, des règles spécifiques à certains domaines d’activité.
138. Il est évident que cela n’est pas possible. En effet, il ne saurait, d’une part, y avoir de principe général du droit d’une portée aussi large qui ne remette en cause, en même temps, la définition des règles de droit spécifiques (146). D’autre part, on ne doit pas oublier que la réglementation de ces spécificités relève de la compétence essentielle du législateur. C’est surtout pour cette raison que les Constitutions des États membres, qui reconnaissent explicitement le droit au congé annuel comme un droit fondamental, confient également au législateur national la détermination des modalités d’exécution. Il en va de même, au niveau de l’Union, dans le rapport entre l’article 31 de la charte et la directive 2003/88.
139. Conformément aux traités, la compétence législative de l’Union est exercée en commun par le Conseil de l’Union européenne et par le Parlement. Les prérogatives de réglementation qu’ils exercent en tant que législateurs en matière de droit au congé dans le cadre du droit social doivent en toute hypothèse être préservées. Cela ne tient pas seulement aux raisons pratiques précitées, mais également à l’équilibre institutionnel au sein de l’Union. Cet équilibre repose non sur le principe de la séparation des pouvoirs au sens du droit constitutionnel, mais sur le principe de la séparation des fonctions, en vertu duquel les fonctions de l’Union doivent être exercées par les institutions auxquelles le traité a confié les moyens les plus appropriés à cet égard. À la différence du principe de la séparation des pouvoirs, qui vise notamment à protéger l’individu en atténuant le pouvoir de l’État, le principe de la séparation des fonctions dans le droit de l’Union a pour objet de garantir que les objectifs de l’Union soient effectivement atteints (147).
140. Comme je l’ai expliqué dans mes conclusions dans l’affaire Audiolux e.a. (C‑101/08), en tant qu’institution de l’Union au sens de l’article 12, paragraphe 1, UE, la Cour est également partie à cet équilibre institutionnel (148). Il en découle que, en sa qualité d’organe juridictionnel de l’Union qui est appelé à assurer, dans le cadre de ses compétences, le respect du droit dans l’interprétation et l’application du traité, elle respecte les compétences législatives du Conseil et du Parlement (149). Cela implique nécessairement, d’une part, qu’elle laisse au législateur de l’Union la tâche de légiférer dans le domaine de l’aménagement du temps de travail qui a été confiée à celui-ci par le traité et, d’autre part, qu’elle continue à faire preuve de la réserve nécessaire dans le cadre du développement de principes généraux du droit de l’Union qui peuvent, dans certains cas, être contraires aux objectifs du législateur.
141. Dès lors, l’applicabilité directe d’un principe général du droit prévoyant un droit du travailleur au congé annuel opposable à l’employeur impliquerait donc d’abord que la Cour lui donne un contenu normatif suffisamment précis par la voie d’une interprétation, ce qui l’amènerait toutefois à exercer, en définitive, des compétences qui sont traditionnellement réservées au législateur de l’Union compte tenu du nombre de réglementations nécessaires. Cette situation n’étant pas autorisée pour les raisons précitées, on ne saurait considérer que le contenu de ce principe général du droit est inconditionnel sur la forme, sa définition légale requérant au contraire l’intervention du législateur.
142. Par conséquent, le principe général du droit ne remplit pas les conditions pour être directement applicable aux rapports entre les particuliers.
– Conclusion
143. Il résulte des considérations qui précèdent que la juridiction de renvoi ne peut pas se fonder sur un principe général du droit pour laisser inappliquée, dans un litige entre personnes privées, une réglementation nationale contraire au droit de l’Union dont une interprétation conforme à la directive s’avère impossible.
iii) Application du principe général du droit tel que concrétisé par la directive 2003/88
144. Une autre approche possible consisterait à appliquer le principe général du droit précité tel que concrétisé par la directive 2003/88 (150).
– L’approche de la Cour dans l’arrêt Kücükdeveci
145. Dans l’arrêt Kücükdeveci, que certaines parties à la procédure ont cité dans leurs observations, la Cour a utilisé une approche similaire et a confirmé, à cette occasion, l’obligation de tout juge national d’appliquer le principe de non-discrimination en fonction de l’âge, tel que concrétisé par la directive 2000/78/CE du Conseil, du 27 novembre 2000, portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail (151), en laissant, le cas échéant, inappliquée toute disposition de droit national contraire à ce principe (152).
146. Par cette constatation, la Cour a étendu aux rapports horizontaux le principe de primauté du droit de l’Union sur le droit national (153). À cet égard, cette approche est conforme à la jurisprudence actuelle relative à l’absence d’effet horizontal direct des directives (154), la Cour n’ayant par exemple pas jugé que la directive 2000/78 devait s’appliquer aux rapports entre particuliers, mais uniquement le principe de non-discrimination en fonction de l’âge que celle-ci concrétise, lequel — comme elle l’avait déjà constaté dans l’arrêt Mangold (155) — est un principe général du droit de l’Union en tant qu’application spécifique du principe général de l’égalité de traitement (156). L’approche suivie par la Cour dans l’arrêt Kücükdeveci repose en substance sur l’idée qu’un principe général tel que le principe de non-discrimination en fonction de l’âge doit également être appliqué de manière cohérente au niveau national dans l’intérêt de la protection juridique individuelle et de l’efficacité du droit de l’Union (157). D’un point de vue dogmatique, cette approche constitue un prolongement de la jurisprudence Mangold.
147. Cependant, d’après les observations de la Cour, l’applicabilité directe du principe de non-discrimination en fonction de l’âge, tel que concrétisé par la directive 2000/78, n’est manifestement envisageable dans les rapports entre particuliers que lorsque certaines conditions sont remplies. En premier lieu, l’affaire au principal doit être caractérisée par une inégalité de traitement fondée sur l’âge objectivement injustifiée, laquelle doit être établie au regard des conditions d’application de la directive 2000/78 (158). En second lieu, la réglementation nationale en cause doit couvrir l’un des domaines régis par la directive (159).
– Caractère transposable de cette approche au droit au congé annuel
Conditions d’application
148. Une application analogique de cette approche à la présente espèce tendant à reconnaître au juge national la faculté de laisser au besoin inappliquée une réglementation nationale contraire au droit de l’Union supposerait entre autres que le droit au congé annuel payé ait, outre sa codification, en droit dérivé, par l’article 7, paragraphe 1, de la directive 2003/88, valeur de principe général du droit au sein de l’ordre juridique de l’Union, comme le suggèrent les arguments déjà évoqués (160).
149. Une autre condition consisterait à imposer l’existence d’une relation de travail, laquelle est manifestement remplie dans l’affaire au principal. Enfin, un droit au congé devrait exister en application des conditions de la directive. Ce dernier point garantirait que le principe général du droit ne s’applique pas sans réserve, mais uniquement dans la mesure où la réglementation nationale concernée relève du champ d’application de la directive 2003/88. Cette condition est également remplie dans la présente espèce, puisque l’objet de la réglementation litigieuse porte sur une condition posée par le législateur national pour bénéficier d’un congé annuel (161).
150. Enfin, pour que le principe général du droit s’applique et puisse être opposé au droit national, une violation du droit au congé consacré par la directive devrait être matérialisée. Ce dernier point a déjà été confirmé dans le cadre de mon examen de la première question préjudicielle (162).
151. D’un point de vue formel, les conditions d’une application directe du droit au congé annuel en tant que principe général du droit, tel que concrétisé par la directive 2003/88, seraient en fait remplies. Toutefois, il convient d’analyser les avantages et inconvénients d’une telle approche avant d’envisager de l’appliquer à la présente espèce (163).
Avantages et inconvénients de cette approche
152. Cette approche a l’avantage d’éliminer les insuffisances précitées qui sont liées à une application directe du principe général du droit en tan que tel (164). Cela est surtout vrai en ce qui concerne l’exigence tirée de la «précision suffisante». Grâce à sa concrétisation par la directive, le contenu du principe général acquiert finalement la précision nécessaire à une applicabilité directe.
153. Toutefois, il convient d’émettre des réserves sur la justesse dogmatique de cette approche, que j’expliquerai dans les développements suivants.
Risque de confusion des sources juridiques
154. Mes réserves portent tout d’abord sur le risque, que l’on ne saurait exclure, d’une confusion illicite de sources juridiques n’ayant pas la même valeur dans l’ordre juridique de l’Union, résultant d’une application combinée du principe général du droit et de la directive.
155. D’un point de vue objectif, cette approche est fondée, en substance, sur l’idée que le contenu du principe général du droit doit se refléter dans le contenu de la directive, et qu’une définition autonome de ce contenu par la voie d’une interprétation est dès lors inutile par principe. En définitive, cette approche présuppose simplement que le domaine de protection du principe général du droit et celui de la disposition de concrétisation de la directive se recoupent largement (165).
156. Toutefois, elle a l’inconvénient de passer totalement sous silence la portée réelle du domaine de protection du principe général du droit correspondant, et de ne pas préciser si la directive comporte éventuellement des règles plus spécifiques ne relevant pas du tout du domaine de protection (166). L’idée sur laquelle repose cette approche est trompeuse en ce sens que la coïncidence du contenu de la directive avec celui du droit primaire n’est non seulement absolument pas obligatoire, mais constitue en fait une exception, car le droit dérivé comporte la plupart du temps des règles plus spécifiques (167). Cela pose un problème dans la mesure où une telle situation exclurait un recours à cette approche. Si, comme l’admet la Cour, cette approche tend à faire application du principe général du droit, il serait quand même juste, d’un point de vue dogmatique, de procéder d’abord à une définition autonome de son contenu au lieu, à l’inverse, de tirer des conclusions sur le contenu du principe général du droit à partir des dispositions de la directive (168).
157. Étant donné que cette approche prend finalement la directive comme point de départ de la détermination du domaine de protection de la norme et non le principe général du droit lui-même (169), cette pratique comporte le risque que de plus en plus de contenus normatifs de la directive soient assimilés au principe de droit. En d’autres termes, la directive pourrait théoriquement devenir une source inépuisable de normes venant enrichir le domaine de protection du principe général du droit, ce qui entraînerait, à long terme, une fusion de sources de droit de rang distinct dans la hiérarchie des normes (170). Finalement, cette pratique aboutirait à une «paralysie» irréversible de ces contenus normatifs. En effet, l’intégration du nombre croissant de contenus normatifs tirés de la directive dans le domaine de protection du principe général du droit empêcherait le législateur de modifier la directive, d’autant plus que ces contenus normatifs accéderaient au rang de droit primaire sur lequel il ne saurait influer.
158. Compte tenu du fait que le droit au congé annuel payé constitue un droit social fondamental qui, par sa nature, requiert une importante concrétisation, et dont la garantie est, en outre, souvent uniquement fonction de la réalité économique et sociale (171), cette approche ne pourrait pas avoir de conséquences prévisibles sur l’Union et ses États membres. Il convient d’indiquer que la concrétisation d’un tel principe général du droit par le législateur requiert une certaine souplesse, puisque la représentation collective de ce qui doit être considéré comme «social» ou «socialement juste» peut évoluer avec le temps, d’une part, et repose souvent sur des compromis, d’autre part (172). En outre, il ne faut pas oublier que la mise en œuvre de la politique de protection sociale pourrait dépendre de la situation économique respective de l’Union et de ses États membres. C’est pourquoi le maintien de normes sociales sans prise en compte de la réalité économique et sociale doit être évité.
159. Cependant, cela ne veut pas dire que l’Union doit négliger la dimension sociale de l’intégration. La promotion de la cohésion sociale au sens de la notion de «solidarité» est et reste un objectif important de l’intégration européenne, comme cela ressort clairement de l’article 2 TUE («solidarité» comme valeur de l’Union) et de l’article 3, paragraphe 3, TUE («combat l’exclusion sociale»; «la justice et la protection sociales»; l’«égalité entre les femmes et les hommes»; «solidarité entre les générations»; «protection des droits de l’enfant») ainsi que de l’article 9 TFUE («promotion d’un niveau d’emploi élevé»; «garantie d’une protection sociale adéquate»; «lutte contre l’exclusion sociale»). On doit au contraire respecter la marge de manœuvre dont jouit le législateur de l’Union dans l’exercice de son obligation de protection.
Pas de concrétisation exhaustive par la directive
160. Quand bien même la Cour ne partagerait pas ces doutes, il n’est pas sûr que l’approche utilisée dans l’arrêt Kücükdeveci soit transposable à la présente espèce, d’autant plus que la directive 2003/88 ne concrétise pas suffisamment le principe général du droit pour en permettre une application directe dans les rapports entre les particuliers.
161. La directive 2003/88 n’instaure pas seulement une série de règles particulières en prévoyant par exemple, à l’article 15, l’introduction de dispositions nationales plus favorables ou en autorisant, à l’article 17, des dérogations et des exceptions à certaines dispositions essentielles de la directive (173). Elle confère également une importante marge de manœuvre aux États membres. L’article 7, paragraphe 1, de la directive 2003/88 prévoit expressément que les États membres doivent «[prendre] les mesures nécessaires» pour que tout travailleur bénéficie d’un congé annuel payé, «conformément aux conditions d’obtention et d’octroi prévues par les législations et/ou pratiques nationales». Les réponses concrètes à des questions essentielles ayant trait au droit au congé, telles que l’étendue du congé à accorder, ne résultent pas directement de la directive ni des dispositions de l’article 31, paragraphe 2, de la charte (174), dont le libellé, en ce qui concerne les garanties du droit fondamental au congé annuel, est même plus succinct que la réglementation de transposition pertinente de l’article 7 de la directive 2003/88.
162. Cela constitue une différence essentielle par rapport aux principes de non-discrimination, pour lesquels l’approche utilisée dans l’arrêt Kücükdeveci a été développée. Les principes de non-discrimination ont ceci de particulier que l’essentiel de leur contenu est substantiellement identique au niveau du droit primaire et dérivé. L’interprétation des principes de non-discrimination de droit primaire permet également de définir la notion de discrimination. À cet égard, les règles contenues dans les directives ne sont rien d’autre que l’expression plus détaillée des principes de droit primaire. Ce n’est que lorsqu’elles régissent le champ d’application personnel et matériel ainsi que les conséquences juridiques et la procédure que les directives concernent des réglementations dont le contenu ne résulte pas non plus directement du droit primaire. Il en va différemment des droits fondamentaux des travailleurs visés aux articles 27 et suivants de la charte, car ceux-ci sont d’emblée subordonnés à une concrétisation du législateur (175).
163. Le fait que la directive 2003/88 ne régisse pas le congé annuel de manière exhaustive, mais renvoie, dans une large mesure, au droit national, soulève la question de savoir si la réglementation nationale de transposition peut également être invoquée dans le cadre de la concrétisation du principe général du droit. À mon avis, cette approche se heurterait toutefois à des obstacles. En effet, compte tenu du grand nombre de règles nationales différentes dans le domaine du droit au congé, le caractère réalisable d’une telle approche ne serait pas le seul point d’achoppement. En outre, l’application uniforme du droit de l’Union ne serait pas garantie dans tous les États membres.
Défaut de sécurité juridique pour les particuliers
164. Par ailleurs, la compatibilité de cette approche avec l’impératif de sécurité juridique suscite des inquiétudes. Celui-ci constitue également un principe général du droit de l’Union (176). Comme la Cour l’a itérativement jugé, le principe de sécurité juridique exige qu’une réglementation entraînant des conséquences défavorables à l’égard de particuliers soit claire et précise et son application prévisible pour les justiciables (177). Or, un particulier ne pouvant jamais savoir quand un principe général du droit non écrit, tel que concrétisé par la directive correspondante, primera sur le droit national écrit, il pourrait y avoir, de son point de vue, la même incertitude sur la validité du droit national que celle qui résulterait d’une application directe de la directive dans les rapports entre particuliers, que la Cour, comme elle l’a si souvent rappelé dans sa jurisprudence (178), veut précisément éviter (179). C’est justement dans le domaine du droit du travail, qui régit les particularités d’un nombre incalculable de relations de travail, que cela pourrait avoir de graves conséquences.
165. En effet, on ne doit pas exclure le risque que cette approche puisse contraindre les juridictions nationales à laisser inappliquée une réglementation nationale qui relève à un titre quelconque du champ d’application matériel d’une directive, bien qu’elle ait été adoptée sans aucun rapport avec celle-ci, au motif que les dispositions en cause de la directive concrétisent des principes généraux du droit de l’Union ou consacrent des droits subjectifs ayant valeur de droit primaire (180), et ce indépendamment du fait que le droit national leur accorde cette faculté. Ce risque est d’autant plus élevé qu’il ressort expressément de l’arrêt Kücükdeveci que, dans une telle situation, le juge national n’est pas contraint de saisir au préalable la Cour d’une demande de décision préjudicielle (181).
166. Si cette approche devait s’imposer dans la jurisprudence de la Cour, les directives se verraient accorder une place qui, d’après le droit primaire, ne leur revient pas. Elles permettraient une application démesurée du droit primaire, dépassant largement le domaine que les organes de réglementation de l’Union leur avaient accordé et voulaient leur accorder. Associée à la conséquence de droit primaire tirée de l’inapplicabilité de la norme nationale et de la compétence que la Cour reconnaît aux juges nationaux, toutes instances confondues, d’écarter l’application des normes sans engager au préalable de procédure préjudicielle, cette situation risquerait d’entraîner une importante érosion des dispositions nationales, eu égard au fait qu’un grand nombre de domaines juridiques sont, d’une manière ou d’une autre, influencés par des directives.
167. Cependant, il n’est pas sûr que cela soit conforme au système d’élaboration et d’exécution du droit que les traités ont créé.
Risque de contradiction par rapport aux dispositions de la charte
168. L’objection que j’ai soulevée au sujet d’une application directe du principe général du droit au regard du risque de contradiction par rapport à l’article 51 de la charte (182) vaut également dans l’hypothèse d’une application de cette approche. À cet égard, je renvoie aux arguments que j’ai évoqués sur cette problématique. La limitation du cercle des personnes tenues de respecter les droits fondamentaux établie à l’article 51, paragraphe 1, première phrase, de la charte s’oppose donc également à une application du principe général du droit, tel que concrétisé par la directive 2003/88.
– Conclusion
169. Au vu de ces éléments, je parviens à la conclusion qu’une application directe du principe général du droit, telle que pratiquée dans l’arrêt Kücükdeveci, afin d’éliminer une réglementation nationale contraire au droit de l’Union ne serait pas possible dans la présente espèce.
c) Conclusion définitive
170. Pour résumer, il convient de constater que le droit de l’Union ne permet pas au législateur national de laisser inappliquée la réglementation litigieuse dans une relation entre des particuliers. La question préjudicielle étant formulée de manière à clarifier la question de savoir si le droit de l’Union impose une telle obligation au juge national, il conviendrait de répondre, par analogie, à cette question que, à défaut de prescriptions du droit de l’Union, le juge national n’y est pas non plus obligé.
3. À titre subsidiaire, responsabilité de l’État membre pour violation du droit de l’Union
171. S’il s’avère, comme c’est le cas dans l’affaire au principal, qu’il y a violation du droit de l’Union pour défaut de transposition de l’article 7 de la directive 2003/88, mais qu’une déclaration d’inapplicabilité de la réglementation nationale contraire au droit de l’Union par le juge national n’est pas possible, cela ne signifie en aucun cas que la demanderesse au principal est dépourvue de droits.
172. Comme cela a été indiqué en introduction (183), celle-ci conserve au contraire la possibilité d’une action en responsabilité contre l’État membre contrevenant afin de faire appliquer son droit à un congé annuel découlant du droit de l’Union. Le concept juridique de la responsabilité de l’État en droit de l’Union permet aux citoyens d’obtenir satisfaction dans une telle situation en ce qu’il oblige l’État membre concerné à l’indemniser des dommages qui résultent des infractions de l’État au droit de l’Union.
173. Le droit de l’Union reconnaît un droit à réparation à trois conditions: la règle de droit violée doit avoir pour objet de conférer des droits aux particuliers, la violation doit être suffisamment caractérisée et il doit exister un lien de causalité directe entre la violation de l’obligation qui incombe à l’État et le dommage subi par la personne lésée (184). Dans l’arrêt Dillenkofer e.a. (185), la Cour a formulé la première condition de manière légèrement différente en ce qui concerne plus particulièrement des situations dans lesquelles des mesures de transposition faisaient défaut, à savoir que l’objectif poursuivi par la directive inclut la reconnaissance de droits aux particuliers, dont le contenu peut être déterminé sur la base des dispositions de la directive, mais elle a souligné en même temps que les formulations étaient en substance identiques (186).
174. S’agissant de la répartition des compétences entre les juridictions de l’Union et celles des États membres, il convient de noter qu’il appartient en principe aux juridictions nationales de constater si les conditions de la responsabilité des États membres pour une violation du droit de l’Union sont réunies en l’espèce (187). En revanche, la question de l’existence et de l’étendue de la responsabilité d’un État pour un dommage découlant d’une telle violation concerne l’interprétation du traité qui, comme telle, relève de la compétence de la Cour (188).
4. Conclusion
175. Au vu de tous ces éléments, il convient de répondre à la deuxième question préjudicielle que l’article 7 de la directive 2003/88 n’impose pas au juge national, saisi d’un litige entre des particuliers, d’écarter une disposition nationale contraire, subordonnant l’ouverture du droit au congé annuel payé à un travail effectif d’au moins dix jours pendant l’année de référence et dont une interprétation conforme à la directive s’avère impossible.
C – Sur la troisième question
176. En formulant sa troisième question préjudicielle, la juridiction de renvoi se fonde manifestement sur un cadre juridique national déterminé prévoyant un droit au congé annuel distinct suivant l’origine de l’absence pour cause de maladie des travailleurs, étant précisé qu’il opère, selon toute vraisemblance, une distinction selon que celui-ci était lié à un accident du travail, une maladie professionnelle, un accident de trajet ou une maladie non professionnelle. L’ordonnance de renvoi ne précise pas la durée respective du congé. Il est simplement établi que, dans certaines conditions, ce cadre juridique national prévoit une durée de congé annuel payé supérieure à la période minimale de quatre semaines prévue par la directive.
177. J’ai déjà expliqué, dans le cadre de mes observations sur la première question préjudicielle, que le droit au congé annuel payé garanti par l’article 7 de la directive 2003/88 prenait naissance indépendamment de l’absence éventuelle du travailleur pour cause de maladie au cours de la période de référence, dès lors que le congé de maladie était dûment prescrit (189). Comme le souligne à juste titre la juridiction de renvoi dans son ordonnance, l’article 7 de la directive 2003/88 n’opère aucune distinction selon l’origine de l’absence du travailleur en congé de maladie. Au contraire, cette disposition de la directive relative au droit au congé annuel payé s’applique à «tout travailleur». Par conséquent, tous les travailleurs ont droit à un congé annuel minimal de quatre semaines, conformément à l’article 7, paragraphe 1, y compris ceux qui ont bénéficié d’un congé de maladie pour l’une des raisons précitées.
178. Toutefois, cela ne signifie pas qu’il serait interdit aux États membres de fixer, dans leurs dispositions nationales, un congé annuel d’une durée supérieure à la période de quatre semaines prévue par le droit de l’Union, puisque, comme cela ressort du libellé même de cette disposition, il ne s’agit que d’une durée minimale. En effet, cette disposition doit être interprétée dans le contexte de la finalité générale de la directive 2003/88, qui, conformément à l’article 1er, paragraphe 1, consiste à fixer des «prescriptions minimales de sécurité et de santé en matière d’aménagement du temps de travail», la directive ne portant d’ailleurs pas atteinte, conformément à l’article 15, «à la faculté des États membres d’appliquer ou d’introduire des dispositions législatives, réglementaires ou administratives plus favorables à la protection de la sécurité et de la santé des travailleurs ou de favoriser ou de permettre l’application de conventions collectives ou d’accords conclus entre partenaires sociaux plus favorables à la protection de la sécurité et de la santé des travailleurs». La faculté qui en résulte pour les États membres d’adopter des règles plus favorables en matière de droit au congé annuel payé est prescrite au niveau du droit de l’Union.
179. Pour sa part, la directive 2003/88 n’empêche pas non plus les États membres de soumettre à certaines conditions les règles prévoyant un traitement plus favorable, sous réserve que cela ne porte pas atteinte à la protection minimale garantie par la directive. À cet égard, il y a lieu de rappeler l’arrêt Merino Gómez (190), dans lequel la Cour a déclaré que l’article 7, paragraphe 1, de la directive 2003/88, selon lequel les États membres prennent les mesures nécessaires «conformément aux conditions d’obtention et d’octroi prévues par les législations et/ou pratiques nationales», doit s’entendre comme signifiant que «les modalités d’application nationales doivent en tout état de cause respecter le droit à un congé annuel payé d’au moins quatre semaines» (191). Cela signifie, s’agissant du problème qui se pose dans l’affaire au principal, qu’un État membre est en principe libre de traiter différemment les travailleurs en ce qui concerne la durée minimale du congé annuel selon la cause de l’absence du travailleur en congé de maladie, pour autant que la durée minimale de quatre semaines prescrite par l’article 7, paragraphe 1, de la directive soit respectée.
180. Les dispositions régissant le droit au congé de maladie et les modalités de son exercice ne prévoient pas non plus d’éventuelles exigences susceptibles d’aboutir à une autre appréciation, car, comme la Cour l’a relevé à juste titre dans l’arrêt Schultz-Hoff e.a., ce droit «[n’est] pas en l’état actuel du droit [de l’Union], régi par ce dernier» (192). Ce droit relève au contraire de la compétence réglementaire des États membres. Par conséquent, ces derniers sont libres d’adopter des réglementations qui peuvent éventuellement entraîner une baisse de la durée du congé annuel, pour autant que la condition posée par la directive 2003/88 liée au respect de la durée minimale de quatre semaines de congé annuel soit respectée en toute hypothèse.
181. Le défaut de prise en compte d’une absence pour cause de maladie comme du temps de travail lié à une réglementation nationale, par exemple dans le cas d’un accident de trajet ou d’une maladie non professionnelle, ne saurait avoir d’incidence sur le congé annuel minimal de quatre semaines. Il convient de donner raison au gouvernement français (193) sur le fait que cela doit être empêché en donnant au travailleur la possibilité de récupérer son congé pendant une longue période de report tenant compte de l’objectif de repos poursuivi par la directive 2003/88. Comme la Cour l’a constaté dans l’arrêt Federatie Nederlandse Vakbeweging (194), l’effet positif du congé annuel pour la sécurité et la santé du travailleur se déploie certes pleinement s’il est pris dans l’année prévue à cet effet, à savoir l’année en cours. Toutefois, ce temps de repos ne perd pas son intérêt à cet égard s’il est pris au cours d’une période ultérieure, par exemple pendant la période de report.
182. Il convient donc de conclure des précédentes observations que l’article 7, paragraphe 1, de la directive 2003/88 doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à des législations ou à des pratiques nationales prévoyant une durée de congé annuel différente suivant l’origine de l’absence du travailleur, dès lors que la durée minimale de quatre semaines prévue dans cette disposition de la directive est de toute façon garantie.
VII – Conclusion
183. À la lumière des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre comme suit aux questions préjudicielles posées par la Cour de cassation:
«1) L’article 7, paragraphe 1, de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil, du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à des dispositions ou à des pratiques nationales qui prévoient que le droit au congé annuel payé est subordonné à un travail effectif minimal de dix jours (ou d’un mois) pendant la période de référence.
2) L’article 7 de la directive 2003/88 n’impose pas au juge national, saisi d’un litige entre des particuliers, d’écarter une disposition nationale subordonnant l’ouverture du droit au congé payé annuel à un travail effectif d’au moins dix jours pendant l’année de référence et dont une interprétation conforme à la directive s’avère impossible.
3) L’article 7, paragraphe 1, de la directive 2003/88 doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à des législations ou à des pratiques nationales prévoyant une durée de congé annuel payé différente suivant l’origine de l’absence du travailleur, dès lors que la durée minimale de quatre semaines prévue dans cette disposition de la directive est de toute façon garantie.»