ARRÊT DE LA COUR (neuvième chambre)

21 décembre 2021 (*)

« Pourvoi – Établissement d’une liste des substances soumises à autorisation – Liste de substances identifiées en vue d’une inclusion à terme dans l’annexe XIV du règlement (CE) no 1907/2006 – Mise à jour de l’inscription de la substance bisphénol A comme substance extrêmement préoccupante »

Dans l’affaire C‑876/19 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 29 novembre 2019,

PlasticsEurope AISBL, établie à Bruxelles (Belgique), représentée initialement par Mes R. Cana, E. Mullier et F. Mattioli, puis par Mes R. Cana et E. Mullier, avocats,

partie requérante,

les autres parties à la procédure étant :

Agence européenne des produits chimiques (ECHA), représentée par M. W. Broere ainsi que par Mmes A. K. Hautamäki et M. Heikkilä, en qualité d’agents, assistés de Me S. Raes, advocaat,

partie défenderesse en première instance,

République française, représentée par MM. T. Stehelin et E. Leclerc, en qualité d’agents,

ClientEarth, établie à Londres (Royaume-Uni), représentée par Me P. Kirch, avocat,

parties intervenantes en première instance,

soutenues par :

République fédérale d’Allemagne, représentée par M. D. Klebs, en qualité d’agent,

partie intervenante au pourvoi,

LA COUR (neuvième chambre),

composée de Mme K. Jürimäe, présidente de la troisième chambre, faisant fonction de président de la neuvième chambre, MM. S. Rodin (rapporteur) et N. Piçarra, juges,

avocat général : M. M. Szpunar,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1        Par son pourvoi, PlasticsEurope AISBL demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 20 septembre 2019, PlasticsEurope/ECHA (T‑636/17, ci-après l’« arrêt attaqué », EU:T:2019:639), par lequel celui-ci a rejeté son recours tendant à l’annulation de la décision ED/30/2017 du directeur exécutif de l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA), du 6 juillet 2017 (ci-après la « décision litigieuse »), par laquelle l’entrée existante relative au bisphénol A sur la liste des substances identifiées en vue d’une inclusion à terme dans l’annexe XIV du règlement (CE) no 1907/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 18 décembre 2006, concernant l’enregistrement, l’évaluation et l’autorisation des substances chimiques, ainsi que les restrictions applicables à ces substances (REACH), instituant une agence européenne des produits chimiques, modifiant la directive 1999/45/CE et abrogeant le règlement (CEE) no 793/93 du Conseil et le règlement (CE) no 1488/94 de la Commission ainsi que la directive 76/769/CEE du Conseil et les directives 91/155/CEE, 93/67/CEE, 93/105/CE et 2000/21/CE de la Commission (JO 2006, L 396, p. 1, et rectificatif JO 2007, L 136, p. 3), tel que modifié par le règlement (UE) no 253/2011 de la Commission, du 15 mars 2011 (JO 2011, L 69, p. 7) (ci-après le « règlement REACH »), a été complétée en ce sens que le bisphénol A a été également identifié en tant que substance au sens de l’article 57, sous f), du règlement REACH.

 Le cadre juridique

2        Les considérants 12, 16, 69 et 70 du règlement REACH énoncent :

« (12)      Un objectif important du nouveau système établi par le présent règlement est d’inciter et, dans certains cas, de veiller à ce que les substances très préoccupantes soient remplacées à terme par des substances ou des technologies moins dangereuses lorsque des solutions de remplacement appropriées économiquement et techniquement viables existent. Le présent règlement est sans effet sur l’application des directives relatives à la protection des travailleurs et à l’environnement, et notamment de la directive 2004/37/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 concernant la protection des travailleurs contre les risques liés à l’exposition à des agents cancérigènes ou mutagènes au travail (sixième directive particulière au sens de l’article 16, paragraphe 1, de la directive 89/391/CEE du Conseil) [(JO 2004, L 158, p. 50, et rectificatif JO 2004, L 229, p. 23)] et de la directive 98/24/CE du Conseil du 7 avril 1998 concernant la protection de la santé et de la sécurité des travailleurs contre les risques liés à des agents chimiques sur le lieu de travail (quatorzième directive particulière au sens de l’article 16, paragraphe 1, de la directive 89/391/CEE) [(JO 1998, L 131, p. 11)], qui font obligation aux employeurs d’éliminer les substances dangereuses, lorsque cela est techniquement possible, ou de les remplacer par des substances moins dangereuses.

[...]

(16)      Le présent règlement fixe les devoirs et les obligations des fabricants, des importateurs et des utilisateurs en aval des substances telles quelles et des substances contenues dans des préparations ou des articles. Il est fondé sur le principe que le secteur doit produire, importer ou utiliser des substances ou les mettre sur le marché de façon responsable et avec la prudence nécessaire pour éviter, dans des conditions raisonnablement prévisibles, les effets néfastes sur la santé humaine et l’environnement.

[...]

(69)      Pour assurer un niveau suffisamment élevé de protection de la santé humaine, y compris en ce qui concerne les groupes de population humaine concernés et, éventuellement, certaines sous-populations vulnérables, et de l’environnement, il convient, conformément au principe de précaution, d’accorder une attention particulière aux substances extrêmement préoccupantes. Il convient d’octroyer l’autorisation lorsque les personnes physiques ou morales qui la demandent apportent la preuve à l’autorité octroyant l’autorisation que les risques qu’entraîne l’utilisation de la substance pour la santé humaine ou l’environnement sont valablement maîtrisés. Dans le cas contraire, l’utilisation peut néanmoins être autorisée s’il peut être démontré que les avantages socio-économiques qu’offre l’utilisation de la substance en cause l’emportent sur les risques liés à son utilisation et qu’il n’existe pas de substances ou de technologies de remplacement appropriées qui soient économiquement et techniquement viables. Eu égard à l’impératif de bon fonctionnement du marché intérieur, il convient que la Commission soit l’autorité octroyant les autorisations.

(70)      Il conviendrait d’éviter les effets néfastes sur la santé humaine et l’environnement des substances très préoccupantes en appliquant des mesures de gestion des risques appropriées pour faire en sorte que tout risque lié à l’utilisation d’une substance soit valablement maîtrisé, le but étant de remplacer progressivement ces substances par des substances plus sûres appropriées. Les mesures de gestion des risques devraient être appliquées pour faire en sorte que, lorsque des substances sont fabriquées, mises sur le marché et utilisées, l’exposition à ces substances, notamment celle liée aux rejets, émissions et fuites, tout au long de leur cycle de vie, reste inférieure au seuil sous lequel les effets néfastes ne sont pas susceptibles d’avoir lieu. S’agissant d’une substance pour laquelle l’autorisation a été accordée ou d’une substance pour laquelle il n’est pas possible d’établir un niveau sûr d’exposition, des mesures devraient dans tous les cas être prises pour réduire au minimum, dans la mesure de ce qui est possible techniquement et pratiquement, l’exposition et les émissions, afin de réduire au minimum la possibilité d’effets néfastes. Tout rapport sur la sécurité chimique devrait identifier les mesures permettant d’assurer une maîtrise appropriée. Ces mesures devraient être appliquées et, le cas échéant, recommandées aux autres acteurs de la chaîne d’approvisionnement. »

3        L’article 1er de ce règlement, intitulé « Objet et champ d’application », prévoit :

« 1.      Le présent règlement vise à assurer un niveau élevé de protection de la santé humaine et de l’environnement, y compris la promotion de méthodes alternatives pour l’évaluation des dangers liés aux substances, ainsi que la libre circulation des substances dans le marché intérieur tout en améliorant la compétitivité et l’innovation.

2.      Le présent règlement prévoit des dispositions relatives aux substances et auxmélanges, au sens de l’article 3. Ces dispositions sont applicables à la fabrication, à la mise sur le marché ou à l’utilisation de ces substances, telles quelles ou contenues dans desmélanges ou des articles, et à la mise sur le marché desmélanges.

3.      Le présent règlement repose sur le principe qu’il incombe aux fabricants, aux importateurs et aux utilisateurs en aval de veiller à fabriquer, à mettre sur le marché ou à utiliser des substances qui n’ont pas d’effets nocifs pour la santé humaine ou l’environnement. Ses dispositions reposent sur le principe de précaution. »

4        L’article 2, paragraphe 8, dudit règlement dispose :

« Les intermédiaires isolés restant sur le site et les intermédiaires isolés transportés sont exemptés :

a)      du chapitre 1 du titre II, à l’exception des articles 8 et 9 ; et

b)      du titre VII. »

5        L’article 3, point 15, du même règlement se lit comme suit :

« Aux fins du présent règlement, on entend par :

[...]

15)      “intermédiaire” : une substance fabriquée en vue d’une transformation chimique et consommée ou utilisée dans le cadre de cette transformation en vue de faire l’objet d’une opération de transformation en une autre substance (ci-après dénommée “synthèse”) :

a)      “intermédiaire non isolé” : un intermédiaire qui, pendant la synthèse, n’est pas retiré intentionnellement (sauf à des fins d’échantillonnage) des dispositifs dans lesquels a lieu la synthèse. Ces dispositifs comprennent la cuve de réaction, le matériel annexe et tout matériel par lequel la ou les substances passent au cours d’un processus à flux continu ou d’un processus discontinu, ainsi que les tuyauteries permettant le transfert d’une cuve à l’autre en vue de la prochaine étape de la réaction. Ils ne comprennent pas les réservoirs et autres récipients dans lesquels la ou les substances sont conservées après la fabrication ;

b)      “intermédiaire isolé restant sur le site” : un intermédiaire ne répondant pas aux critères définissant un intermédiaire non isolé, dans les cas où la fabrication de l’intermédiaire et la synthèse d’une ou de plusieurs autres substances à partir de cet intermédiaire ont lieu sur le même site, exploité par une ou plusieurs personnes morales ;

c)      “intermédiaire isolé transporté”: un intermédiaire ne répondant pas aux critères définissant un intermédiaire non isolé, transporté entre différents sites ou fourni à d’autres sites ».

6        Aux termes de l’article 7, paragraphe 2, du règlement REACH :

« Tout producteur ou importateur d’articles notifie à [l’ECHA] conformément au paragraphe 4 du présent article, si une substance répond aux critères énoncés à l’article 57 et est identifiée conformément à l’article 59, paragraphe 1, si les deux conditions suivantes sont remplies :

a)      la substance est présente dans ces articles dans des quantités supérieures au total à 1 tonne par producteur ou importateur par an ;

b)      la substance est présente dans ces articles dans une concentration supérieure à 0,1 % masse/masse (w/w). »

7        L’article 10, sous a), iii), de ce règlement prévoit :

« Un enregistrement visé à l’article 6 ou à l’article 7, paragraphes 1 ou 5, comprend toutes les informations suivantes :

a)      un dossier technique contenant :

[...]

iii)      des informations sur la fabrication et la ou les utilisations de la substance, conformément à l’annexe VI, section 3. Ces informations couvrent l’ensemble des utilisations identifiées du déclarant. Ces informations peuvent inclure, si le déclarant le juge utile, les catégories pertinentes d’usage et d’exposition ».

8        L’article 17, paragraphe 3, dudit règlement dispose :

« Le paragraphe 2 est applicable aux intermédiaires isolés restant sur le site seulement si le fabricant confirme que la substance est fabriquée et utilisée uniquement dans des conditions strictement contrôlées du fait de son confinement rigoureux par des moyens techniques tout au long de son cycle de vie. Des procédures et des techniques de contrôle sont utilisées pour réduire, autant que possible, les émissions et toute exposition en résultant.

Si ces conditions ne sont pas remplies, l’enregistrement comprend les informations visées à l’article 10. »

9        L’article 18, paragraphe 4, du même règlement énonce :

« Les paragraphes 2 et 3 ne s’appliquent qu’aux intermédiaires isolés transportés, si le fabricant ou l’importateur confirme lui-même ou déclare qu’il a reçu confirmation de l’utilisateur que la synthèse d’une ou de plusieurs autres substances dérivées de cet intermédiaire a lieu sur d’autres sites dans les conditions suivantes, strictement contrôlées : [...] »

10      L’article 31, paragraphes 1 à 3, du règlement REACH se lit comme suit :

1.      Le fournisseur d’une substance ou d’un mélange fournit au destinataire de la substance ou du mélange une fiche de données de sécurité établie conformément à l’annexe II :

a)      lorsqu’une substance ou un mélange répond aux critères de classification comme produit dangereux conformément au règlement (CE) no 1272/2008 [du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2008, relatif à la classification, à l’étiquetage et à l’emballage des substances et des mélanges, modifiant et abrogeant les directives 67/548/CEE et 1999/45/CE et modifiant le règlement REACH (JO 2008, L 353, p. 1)], ou

b)      lorsqu’une substance est persistante, bioaccumulable et toxique ou très persistante et très bioaccumulable, conformément aux critères énoncés à l’annexe XIII ; ou

c)      lorsqu’une substance est incluse sur la liste établie conformément à l’article 59, paragraphe 1, pour des raisons autres que celles visées aux points a) et b).

2.      Tout acteur de la chaîne d’approvisionnement qui est tenu, en vertu des articles 14 ou 37, d’effectuer une évaluation de la sécurité chimique d’une substance veille à ce que les informations contenues dans la fiche de données de sécurité correspondent à celles contenues dans ladite évaluation. Si la fiche de données de sécurité est établie pour un mélange et si l’acteur de la chaîne d’approvisionnement a élaboré une évaluation de la sécurité chimique pour ledit mélange, il suffit que les informations figurant sur la fiche de données de sécurité correspondent au rapport sur la sécurité chimique du mélange, et il n’est pas nécessaire qu’elles correspondent aux informations du rapport sur la sécurité chimique pour chaque substance contenue dans le mélange.

3.      Le fournisseur fournit au destinataire à sa demande une fiche de données de sécurité établie conformément à l’annexe II, lorsque le mélange ne répond pas aux critères de classification comme mélange dangereux conformément aux titres I et II du règlement (CE) no 1272/2008, mais contient :

a)      en concentration individuelle ≥ à 1 % en poids pour les mélanges autres que gazeux et égale ou supérieure à 0,2 % en volume pour les mélanges gazeux, au moins une substance présentant un danger pour la santé ou l’environnement ; ou

b)      en concentration individuelle ≥ à 0,1 % en poids pour les mélanges non gazeux, au moins une substance cancérigène de la catégorie 2 ou toxique pour la reproduction de la catégorie 1A, 1B et 2, un sensibilisant cutané de la catégorie 1, un sensibilisant respiratoire de la catégorie 1, ou ayant des effets sur ou via l’allaitement, ou qui est persistante, bioaccumulable et toxique (substance chimique PBT) conformément aux critères énoncés à l’annexe XIII ou très persistante et très bioaccumulable (substance chimique vPvB) conformément aux critères énoncés à l’annexe XIII, ou a été incluse, pour des raisons autres que celles qui sont visées au point a), dans la liste établie conformément à l’article 59, paragraphe 1 ; ou

c)      une substance pour laquelle il existe, en vertu des dispositions communautaires, des limites d’exposition sur le lieu de travail. »

11      Aux termes de l’article 33 du règlement REACH :

« 1.      Tout fournisseur d’un article contenant une substance répondant aux critères énoncés à l’article 57 et identifiée conformément à l’article 59, paragraphe 1, avec une concentration supérieure à 0,1 % masse/masse (w/w), fournit au destinataire de l’article des informations suffisantes dont il dispose pour permettre l’utilisation dudit article en toute sécurité et comprenant, au moins, le nom de la substance.

2.      Sur demande d’un consommateur, tout fournisseur d’un article contenant une substance répondant aux critères énoncés à l’article 57 et identifiée conformément à l’article 59, paragraphe 1, avec une concentration supérieure à 0,1 % masse/masse (w/w), fournit au consommateur des informations suffisantes dont il dispose pour permettre l’utilisation dudit article en toute sécurité et comprenant, au moins, le nom de la substance.

Les informations pertinentes sont fournies, gratuitement, dans les quarante-cinq jours qui suivent la réception de la demande. »

12      L’article 55 de ce règlement, intitulé « But de l’autorisation et examen des solutions de remplacement », qui fait partie du titre VII de celui-ci, intitulé « Autorisation », dispose :

« Le but du présent titre est d’assurer le bon fonctionnement du marché intérieur tout en garantissant que les risques résultant de substances extrêmement préoccupantes seront valablement maîtrisés et que ces substances seront progressivement remplacées par d’autres substances ou technologies appropriées, lorsque celles-ci sont économiquement et techniquement viables. À cette fin, l’ensemble des fabricants, des importateurs et des utilisateurs en aval qui demandent une autorisation analysent la disponibilité de solutions de remplacement et examinent les risques qu’elles comportent ainsi que leur faisabilité technique et économique. »

13      L’article 57 dudit règlement, intitulé « Substances à inclure dans l’annexe XIV », se lit comme suit :

« Les substances suivantes peuvent être incluses dans l’annexe XIV conformément à la procédure prévue à l’article 58 :

a)      les substances répondant aux critères de classification comme substances cancérogènes, de catégorie 1A ou 1B, conformément à l’annexe I, section 3.6, du règlement (CE) no 1272/2008 ;

b)      les substances répondant aux critères de classification comme substances mutagènes sur les cellules germinales, de catégorie 1A ou 1B, conformément à l’annexe I, section 3.5, du règlement (CE) no 1272/2008 ;

c)      les substances répondant aux critères de classification comme substances toxiques pour la reproduction, de catégorie 1A ou 1B, ayant des effets néfastes sur la fonction sexuelle et la fertilité ou sur le développement, conformément à l’annexe I, section 3.7, du règlement (CE) no 1272/2008 ;

d)      les substances qui sont persistantes, bioaccumulables et toxiques conformément aux critères énoncés à l’annexe XIII du présent règlement ;

e)      les substances qui sont très persistantes et très bioaccumulables, conformément aux critères énoncés à l’annexe XIII du présent règlement ;

f)      les substances – telles que celles possédant des propriétés perturbant le système endocrinien ou celles possédant des propriétés persistantes, bioaccumulables et toxiques ou très persistantes et très bioaccumulables, qui ne remplissent pas les critères visés aux points d) ou e) – pour lesquelles il est scientifiquement prouvé qu’elles peuvent avoir des effets graves sur la santé humaine ou l’environnement qui suscitent un niveau de préoccupation équivalent à celui suscité par l’utilisation d’autres substances énumérées aux points a) à e) et qui sont identifiées, cas par cas, conformément à la procédure prévue à l’article 59. »

14      Aux termes du point 0.3 de l’annexe I du règlement REACH :

« L’évaluation de la sécurité chimique par un fabricant porte sur la fabrication d’une substance et l’ensemble des utilisations identifiées. L’évaluation de la sécurité chimique par un importateur porte sur l’ensemble des utilisations identifiées. L’évaluation de la sécurité chimique couvre l’utilisation de la substance telle quelle (y compris, le cas échéant, les impuretés et les additifs importants) ou contenue dans un mélange ou un article, telle que définie par les utilisations identifiées. L’évaluation couvre toutes les étapes du cycle de vie de la substance, découlant de la fabrication et des utilisations identifiées. L’évaluation de la sécurité chimique est fondée sur une comparaison des effets nocifs potentiels d’une substance avec l’exposition connue ou raisonnablement prévisible de l’homme et/ou de l’environnement à cette substance, en tenant compte des conditions d’exploitation et des mesures de gestion des risques mises en œuvre ou recommandées. »

15      Le préambule de l’annexe XIII de ce règlement énonce :

« [...]

Une détermination par force probante fondée sur l’avis d’experts est appliquée pour l’identification des substances PBT et vPvB, en comparant toutes les informations pertinentes et disponibles visées à la section 3.2 aux critères fixés à la section 1. Cette détermination est notamment appliquée lorsque les critères de la section 1 ne peuvent être appliqués directement aux informations disponibles.

La détermination par force probante des données signifie que toutes les informations disponibles ayant une incidence sur l’identification d’une substance PBT ou vPvB sont prises en considération conjointement, telles que des résultats de surveillance et de modélisation, des essais in vitro appropriés, des données pertinentes provenant d’essais sur des animaux, des informations provenant de l’application de l’approche par catégories (regroupement, références croisées), des résultats de R(Q)SA, des effets observés chez l’homme, par exemple des données provenant du suivi des travailleurs et de bases de données sur les accidents, des études épidémiologiques et cliniques, ainsi que des informations obtenues par des études de cas et des observations bien documentées. Il convient d’accorder à la qualité et à la cohérence des données une importance appropriée. Quelles que soient leurs conclusions respectives, les résultats disponibles sont rassemblés et l’ensemble est pris en considération pour déterminer la force probante des données.

[...] »

16      La section 1.1.3, sous b), de l’annexe XIII dudit règlement prévoit :

« Une substance remplit le critère de toxicité (T) dans l’un des cas suivants :

[...]

b)      lorsque la substance remplit les critères de classement comme cancérogène (catégorie 1A ou 1B), mutagène sur les cellules germinales (catégorie 1A ou 1B), ou toxique pour la reproduction (catégorie 1A, 1B ou 2) conformément au règlement (CE) no 1272/2008 ».

17      La section 1.1.1.4 de l’annexe I du règlement no 1272/2008 dispose :

« Aux fins de la classification des dangers pour la santé (partie 3), les effets dangereux établis dans le cadre d’études animales appropriées ou au vu de l’expérience sur l’homme qui répondent aux critères de classification permettent normalement de justifier la classification. Lorsque des données concluantes, provenant d’essais sur l’homme et sur l’animal, existent et font apparaître des résultats divergents, la qualité et la fiabilité des deux types de données sont évaluées afin de permettre la classification. D’une manière générale, des données humaines appropriées, fiables et représentatives (notamment des études épidémiologiques, des études de cas valides d’un point de vue scientifique conformément à la présente annexe ou des expériences statistiquement fondées) sont utilisées de préférence à d’autres données. Cependant, même des études épidémiologiques bien conçues et correctement réalisées peuvent avoir porté sur un nombre d’individus trop réduit pour permettre de détecter des effets relativement rares, mais significatifs, ou de discerner des facteurs de confusion potentiels. En l’absence de données positives sur l’homme, les résultats positifs provenant d’études valables sur des animaux ne doivent donc pas être écartés, mais il convient toutefois d’évaluer la robustesse, la qualité et la puissance statistique des données humaines et animales. »

18      La section 3.6.2.1 de l’annexe I de ce règlement énonce :

« La classification pour la cancérogénicité répartit les substances entre deux catégories suivant la force probante des données et d’autres considérations (poids des indices). Dans certaines circonstances, une classification en fonction de la voie d’exposition peut être justifiée, s’il peut être prouvé formellement qu’aucune autre voie d’exposition ne conduit au même danger. »

19      La section 3.7.2.1.1 de l’annexe I dudit règlement prévoit :

« La classification pour la toxicité pour la reproduction répartit les substances entre deux catégories. Dans chaque catégorie, les effets sur la fonction sexuelle et la fertilité, d’une part, et sur le développement, d’autre part, sont considérés séparément. De plus, les effets sur l’allaitement sont classés dans une catégorie de danger distincte. »

 Les antécédents du litige

20      Le bisphénol A [BPA, 2,2-bis(4-hydroxyphényl)propane ou 4,4’-isopropylidènediphénol, no CE 201-245-8, no CAS 0000080-05-7] est un composé organique de la famille des aromatiques, utilisé principalement dans la fabrication de plastiques et de résines. Obtenue par réaction entre deux équivalents de phénol et un équivalent d’acétone, sa molécule comporte deux groupements fonctionnels phénol.

21      Le 4 janvier 2017, l’ECHA a adopté la décision ED/01/2017 par laquelle le bisphénol A doit être inscrit sur la liste des substances candidates, à savoir la liste des substances identifiées en vue de leur inclusion à terme dans l’annexe XIV du règlement REACH, au motif que cette substance avait été identifiée comme une substance toxique pour la reproduction, au sens de l’article 57, sous c), de ce règlement.

22      Le 2 mars 2017, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (France) (ci-après l’« autorité française compétente ») a, en vertu de l’article 59, paragraphe 3, du règlement REACH, présenté un dossier conforme à l’annexe XV de ce règlement (ci-après le « dossier élaboré conformément à l’annexe XV »), en proposant que le bisphénol A soit identifié comme étant une substance perturbant le système endocrinien pour laquelle il était scientifiquement prouvé qu’elle pouvait avoir des effets graves sur la santé humaine. Ce dossier visait à compléter l’entrée relative au bisphénol A sur la liste des substances candidates, qui y figurait depuis le 12 janvier 2017, en vue d’identifier cette substance également comme une substance extrêmement préoccupante au titre de l’article 57, sous f), dudit règlement.

23      Le 9 mars 2017, l’ECHA a publié le dossier élaboré conformément à l’annexe XV, tel que soumis par l’autorité française compétente.

24      À cette même date, conformément à l’article 59, paragraphe 4, du règlement REACH, l’ECHA a invité toutes les parties intéressées à soumettre leurs observations sur ledit dossier.

25      Le 21 mars 2017, la requérante a formé devant le Tribunal un recours en annulation, enregistré sous le numéro d’affaire T‑185/17, contre la décision ED/01/2017 de l’ECHA.

26      Le 21 avril 2017, la requérante a présenté, au nom de ses membres, des observations sur le dossier élaboré conformément à l’annexe XV.

27      Par la suite, l’autorité française compétente a préparé un document (ci-après le « document RCOM »), qui porte la date du 14 juin 2017 et contient les réponses de cette autorité à tous les commentaires reçus par l’ECHA lors de la consultation publique.

28      Le 14 juin 2017, le comité des États membres de l’ECHA est parvenu à un accord unanime sur l’identification du bisphénol A en tant que substance répondant aux critères prévus à l’article 57, sous f), du règlement REACH, « dès lors qu’il s’agi[rai]t d’une substance possédant des propriétés de perturbation endocrinienne pour lesquelles il [était] scientifiquement prouvé qu’elles [pouvaient] avoir des effets graves sur la santé humaine qui suscit[ai]ent [...] un niveau de préoccupation équivalent à celui suscité par l’utilisation d’autres substances énumérées aux points a) à e) de l’article 57 du règlement [REACH] ». Le dossier élaboré conformément à l’annexe XV a servi de base pour l’élaboration du document sur lequel s’est appuyé ce comité avant de parvenir à cet accord unanime (ci-après le « document d’appui »).

29      Le 6 juillet 2017, le directeur exécutif de l’ECHA a adopté la décision litigieuse, par laquelle l’entrée existante relative à la substance bisphénol A sur la liste des substances identifiées en vue d’une inclusion à terme dans l’annexe XIV du règlement REACH, conformément à l’article 59 de ce règlement, a été complétée en ce sens que cette substance a été identifiée également en tant que substance possédant des propriétés perturbant le système endocrinien et pouvant avoir des effets graves sur la santé humaine qui suscitent un niveau de préoccupation équivalent à celui suscité par l’utilisation d’autres substances énumérées à l’article 57, sous a) à e), dudit règlement, le tout au sens de l’article 57, sous f), du même règlement.

30      Par arrêt du 11 juillet 2019, PlasticsEurope/ECHA (T‑185/17, non publié, EU:T:2019:492), le Tribunal a rejeté le recours dirigé contre la décision ED/01/2017 de l’ECHA.

 La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

31      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 15 septembre 2017, la requérante a introduit un recours tendant à l’annulation de la décision litigieuse.

32      À l’appui de son recours, la requérante a invoqué six moyens. Par ses premier et troisième moyens, la requérante a fait valoir une violation du principe de sécurité juridique et du principe de protection de la confiance légitime. Le deuxième moyen était tiré de l’existence d’erreurs manifestes d’appréciation ainsi que d’une violation par l’ECHA de son devoir de diligence. Le quatrième moyen visait une prétendue violation de l’article 57, sous f), et de l’article 59 du règlement REACH. Par les cinquième et sixième moyens, la requérante a invoqué une violation de l’article 2, paragraphe 8, sous b), de ce règlement et du principe de proportionnalité.

33      Par l’arrêt attaqué, le Tribunal a rejeté ce recours et a condamné la requérante aux dépens.

 La procédure et les conclusions des parties devant la Cour

34      Par ordonnance du président de la Cour du 2 septembre 2020, PlasticsEurope/ECHA (C‑876/19 P, non publiée, EU:C:2020:667), la République fédérale d’Allemagne a été admise à intervenir au soutien des conclusions de l’ECHA, de la République française et de ClientEarth.

35      La requérante demande à la Cour :

–        d’annuler l’arrêt attaqué ;

–        d’annuler la décision litigieuse et, à titre subsidiaire, de renvoyer l’affaire au Tribunal afin qu’il se prononce sur son recours en annulation, et

–        de condamner l’ECHA aux dépens de la présente procédure, en ce compris les frais exposés au cours de la procédure devant le Tribunal, y compris par les parties intervenantes.

36      L’ECHA demande à la Cour :

–        de rejeter le pourvoi et

–        de condamner la requérante aux dépens.

37      La République française demande à la Cour de rejeter le pourvoi.

38      ClientEarth demande à la Cour :

–        de rejeter le pourvoi et

–        de condamner la requérante à ses propres dépens, aux dépens de l’ECHA, de la République française et d’elle-même, y compris les dépens exposés en première instance.

39      La République fédérale d’Allemagne demande à la Cour de rejeter le pourvoi.

 Sur le pourvoi

40      À l’appui de son pourvoi, la requérante invoque quatre moyens. Le premier moyen est tiré d’une interprétation erronée de l’article 57, sous f), du règlement REACH. Le deuxième moyen, divisé en six branches, est tiré d’un défaut de motivation de l’arrêt attaqué et d’erreurs de droit dans l’appréciation des éléments de preuve dont disposait le Tribunal, voire d’une dénaturation de certains d’entre eux. Le troisième moyen est tiré d’une violation du principe d’égalité de traitement et le quatrième moyen est tiré d’une interprétation erronée de l’article 2, paragraphe 8, sous b), du règlement REACH et de la violation de l’obligation de motivation à cet égard.

41      Dès lors que l’appréciation du premier moyen dépend de l’appréciation du deuxième moyen, le deuxième moyen sera apprécié en premier lieu, le premier moyen en deuxième lieu et les autres moyens dans l’ordre dans lequel ils ont été soulevés.

 Sur le deuxième moyen

42      Le deuxième moyen est divisé en six branches.

 Sur la première branche du deuxième moyen, tirée d’un défaut de motivation de l’arrêt attaqué

–       Argumentation des parties

43      Par la première branche du deuxième moyen, la requérante affirme que le Tribunal a commis une erreur, aux points 100 et 101 de l’arrêt attaqué, dans l’appréciation de ses arguments selon lesquels l’ECHA n’a pas démontré l’existence d’effets graves « probables » du bisphénol A. La requérante aurait soutenu, aux points 49 à 97 de sa requête, non pas que l’ECHA a omis de déclarer que les effets graves du bisphénol A étaient probables, mais que l’affirmation de celle-ci relative à ces effets était dénuée de fondement dans la mesure où elle n’a pas démontré que de tels effets étaient probables. Lors de son évaluation de cette substance, l’ECHA aurait conclu que ladite substance a des propriétés de perturbation endocrinienne, sans établir que les effets causés sont graves et probables.

44      La motivation de l’arrêt attaqué ne répondant pas aux observations de la requérante figurant aux points 49 à 97 de sa requête, elle doit, selon la requérante, être considérée comme insuffisante.

45      En effet, la constatation générale faite par le Tribunal, au point 100 de l’arrêt attaqué, selon laquelle le caractère probable des effets du bisphénol A pourrait être déduit « notamment et également » de deux phrases des réponses aux observations de l’ECHA sur les niveaux d’œstradiol, figurant dans le document RCOM, ne répondrait pas aux arguments de la requérante, ne permettrait pas de comprendre la motivation de l’arrêt attaqué et ne démontrerait pas que l’ECHA a établi que les effets de cette substance étaient probables et graves.

46      Le Tribunal se serait appuyé aussi sur des études in vitro à court terme qui sont inappropriées pour conclure que les effets attribuables à la substance en cause sont probables, puisqu’elles ont été menées à des concentrations irréalistes non pertinentes physiologiquement pour les animaux ou les humains, ce que l’ECHA aurait également, selon son commentaire 64 dans le document RCOM, confirmé. L’ECHA n’aurait, en outre, pas pris en considération les mécanismes alternatifs potentiels à médiation non endocrinienne tels que la cytotoxicité, qui peuvent également constituer une explication raisonnable des effets décrits.

47      Selon la requérante, les prétendus effets identifiés par l’ECHA comme étant possibles s’agissant des cycles œstraux n’étaient par ailleurs en réalité ni possibles ni probables. En effet, l’ECHA a fondé son analyse sur l’étude Lee (2013a) alors que diverses études de haute qualité, telles que les études Goodman (2009, 2006), Gray (2004), Center for the Evaluation of Risks to Human Reproduction (2008), EFSA (2015) et CSLEP (2014), ne font pas apparaître d’effets sur les cycles œstraux par référence à un niveau d’exposition humain pertinent. En outre, l’ECHA aurait également déclaré, ainsi qu’il ressort du commentaire 81 du document RCOM, qu’il existe des « résultats contradictoires que l’[autorité française compétente] n’a pas été en mesure d’expliquer ».

48      La requérante soutient d’ailleurs que l’étude principale Clarity-BPA, selon laquelle aucun effet lié au traitement sur la durée du cycle œstral n’a été constaté, est d’une fiabilité scientifique nettement supérieure à celle de l’étude Lee (2013a) en raison, notamment, de la solide conception des essais, conforme aux bonnes pratiques de laboratoire, de la large gamme de groupes de doses, y compris deux bras de dosage, de la fenêtre d’exposition sensible couverte et de données individuelles sur les animaux accessibles au public.

49      L’ECHA, la République française, ClientEarth et la République fédérale d’Allemagne soutiennent que la première branche du deuxième moyen est irrecevable et en tout cas non fondée.

–       Appréciation de la Cour

50      Par la première branche du deuxième moyen, la requérante fait valoir que le Tribunal a méconnu son obligation de motivation dès lors qu’il n’a pas répondu à ses observations figurant aux points 49 à 97 de sa requête relatives à l’obligation de l’ECHA de démontrer l’existence d’effets graves « probables » du bisphénol A, mais s’est contenté de reprendre, aux points 100 et 101 de l’arrêt attaqué, les constatations de l’ECHA à cet égard.

51      Il y a lieu de rappeler que l’obligation de motivation constitue une formalité substantielle qui doit être distinguée de la question du bien-fondé de la motivation, celui-ci relevant de la légalité au fond de l’acte litigieux (voir, en ce sens, arrêt du 14 septembre 2016, Trafilerie Meridionali/Commission, C-519/15 P, EU:C:2016:682, point 40).

52      Cette obligation vise à permettre aux intéressés de connaître les raisons qui ont conduit celui-ci à adopter l’arrêt en question et à la Cour de disposer des éléments suffisants pour exercer son contrôle juridictionnel (arrêt du 7 juin 2018, Equipolymers e.a./Conseil, C‑363/17 P, non publié, EU:C:2018:402, point 45).

53      Cela étant, l’obligation de motivation n’impose pas au Tribunal de fournir un exposé qui suivrait, de manière exhaustive et un par un, tous les raisonnements articulés par les parties au litige, la motivation pouvant être implicite à condition qu’elle permette aux intéressés de connaître les raisons pour lesquelles le Tribunal n’a pas fait droit à leurs arguments et à la Cour de disposer des éléments suffisants pour exercer son contrôle (arrêt du 7 juin 2018, Equipolymers e.a./Conseil, C‑363/17 P, non publié, EU:C:2018:402, point 46). De même, le Tribunal n’est pas tenu de motiver chacun de ses choix lorsqu’il retient, à l’appui de sa décision, un élément de preuve plutôt qu’un autre (arrêt du 7 juin 2018, Equipolymers e.a./Conseil, C‑363/17 P, non publié, EU:C:2018:402, point 44).

54      En premier lieu, il convient de relever que, aux points 47 à 63 de la requête figurent les arguments de la requérante relatifs aux exigences juridiques qui incombent à l’ECHA lorsqu’elle apprécie si une substance relève de l’article 57, sous f), du règlement REACH et non les arguments de la requérante portant sur le fait que l’ECHA n’a pas démontré les effets graves probables sur la santé humaine.

55      En deuxième lieu, les points 41 à 43 de l’arrêt attaqué contiennent la motivation par laquelle le Tribunal a répondu aux arguments invoqués à l’appui du premier grief de la première branche du deuxième moyen figurant aux points 64 à 68 de la requête par lesquels la requérante faisait valoir que l’ECHA, en s’appuyant sur le fait que le bisphénol A est classifié comme un perturbateur endocrinien, a omis d’établir le niveau de préoccupation visé à l’article 57, sous f), du règlement REACH pour cette substance spécifiquement.

56      En troisième lieu, les points 58 à 114 de l’arrêt attaqué contiennent la motivation par laquelle le Tribunal a répondu aux arguments de la requérante invoqués à l’appui du deuxième grief de la première branche du deuxième moyen figurant aux points 69 à 84 de la requête.

57      Dans le cadre de cette motivation, les points 100 et 101 de l’arrêt attaqué visent plus spécifiquement à répondre à l’argument soulevé par la requérante selon lequel l’ECHA s’était fondée sur un critère de « plausibilité » des effets néfastes plutôt que sur celui de « probabilité » requis à l’article 57, sous f), du règlement REACH.

58      Or en se fondant sur des constatations effectuées par l’ECHA dans la décision litigieuse, mais également sur des éléments figurant dans le document d’appui et dans le document RCOM, le Tribunal a tiré la conclusion que l’ECHA avait procédé à la constatation du caractère probable et non seulement possible des effets graves sur la santé ou sur l’environnement.

59      Par ailleurs, il apparaît des points 61 à 85 et 103 à 114 de l’arrêt attaqué que le Tribunal a aussi répondu aux arguments de la requérante invoqués à l’appui du deuxième grief de la première branche du deuxième moyen par lesquels elle contestait les appréciations des éléments de preuve effectuées par l’ECHA, à savoir, d’une part, les arguments relatifs au fait que l’ECHA s’était appuyée sur un ensemble d’études qui ne respecteraient pas le principe d’excellence et serait, pour partie, parvenue à des conclusions différentes de celles de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA), et, d’autre part, le fait que l’ECHA n’aurait pas démontré que les effets néfastes allégués du bisphénol A suscitaient un « niveau de préoccupation équivalent » à celui suscité par les effets des substances répondant aux critères de l’article 57, sous a) à e), du règlement REACH.

60      Il convient de relever en particulier que c’est aux points 103 à 112 de l’arrêt attaqué, lesquels ne sont pas contestés par la requérante, que le Tribunal a répondu aux arguments de celle-ci relatifs à l’appréciation par l’ECHA des éléments de preuve qui concernent le mode d’action du bisphénol A et des effets de cette substance sur la santé humaine.

61      En effet, d’une part, au point 106 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a répondu à l’argument de la requérante relatif à la section 4.6, deuxième alinéa, du document d’appui, en relevant que cette section n’est citée que partiellement par la requérante dès lors que celle-ci n’a pas mentionné la conclusion de l’évaluation d’ensemble dont il ressort que « la perturbation des voies œstrogènes est un mode d’action commun, constamment impliqué dans chacun des quatre effets ».

62      D’autre part, au point 107 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a constaté que « la requérante n’a nullement étayé ses affirmations selon lesquelles, en substance, l’ECHA n’a pas démontré de manière concluante qu’il existait un “mode d’action ou un mécanisme d’action propre qui [était] pertinent pour l’effet néfaste observé” ». La motivation développée par le Tribunal repose à la fois sur plusieurs parties du document d’appui qu’il a cité, en partie, au point 108 de l’arrêt attaqué, et synthétisé, en partie, au point 109 de cet arrêt, et sur le fait, relevé au point 110 dudit arrêt et développé au point 111 de celui-ci, que les griefs de la requérante sont de nature générale si bien qu’ils ne privent pas de plausibilité les appréciations de l’ECHA.

63      En quatrième lieu, le Tribunal a répondu, aux points 118 à 125 de l’arrêt attaqué, aux arguments présentés à l’appui du troisième grief de la première branche du deuxième moyen et formulés aux points 85 et 86 de la requête qui portaient sur l’erreur manifeste d’appréciation commise par l’ECHA en ce qu’elle n’aurait pas pris en compte le niveau de sécurité pour l’utilisation du bisphénol A exigé dans d’autres dispositions du droit de l’Union.

64      En cinquième lieu, le Tribunal a répondu, aux points 128 à 131 de l’arrêt attaqué, aux arguments développés dans le cadre de la seconde branche du deuxième moyen et formulés aux points 87 à 97 de la requête qui concernait une violation du devoir de diligence par l’ECHA.

65      Il s’ensuit que le Tribunal a examiné, aux points 39 à 131 de l’arrêt attaqué, tous les arguments formulés aux points 64 à 97 de la requête et il y a répondu. En particulier, aux points 103 à 112 de cet arrêt, il a répondu aux arguments de la requérante portant sur l’application par l’ECHA du niveau de preuve visé à l’article 57, sous f), du règlement REACH.

66      Dès lors que le Tribunal n’a pas méconnu son obligation de motivation, il convient de rejeter la première branche du deuxième moyen comme étant non fondée.

 Sur la deuxième branche du deuxième moyen, tirée d’une erreur de droit commise par le Tribunal dans l’appréciation du niveau de préoccupation équivalent

–       Argumentation des parties

67      Par la deuxième branche du deuxième moyen, la requérante soutient que le Tribunal a, aux points 41 à 44 de l’arrêt attaqué, commis une erreur de droit en s’étant contenté de considérer que les obligations de l’ECHA en la matière étaient remplies parce que celle-ci l’a déclaré alors qu’il aurait dû déterminer si l’ECHA était effectivement parvenue aux conclusions que la substance en cause suscite un niveau de préoccupation équivalent à celui suscité par l’utilisation d’autres substances énumérées à l’article 57, sous a) à e), du règlement REACH sur la base des éléments de preuve dont elle disposait. Ainsi, le Tribunal n’aurait pas répondu à son grief à cet égard.

68      L’ECHA, ClientEarth et la République fédérale d’Allemagne contestent l’argumentation de la requérante et font valoir que la deuxième branche du deuxième moyen est non fondée.

–       Appréciation de la Cour

69      Il convient de rappeler, d’une part, que, conformément à l’article 256, paragraphe 1, TFUE et à l’article 58, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, le pourvoi est limité aux questions de droit. Le Tribunal est seul compétent pour constater et apprécier les faits pertinents ainsi que pour apprécier les éléments de preuve. Il s’ensuit que, dans le cadre d’un pourvoi, la Cour n’est pas compétente pour constater les faits ni, en principe, pour examiner les preuves que le Tribunal a retenues à l’appui de ces faits (ordonnance du 20 janvier 2021, ZU/SEAE, C‑266/20 P, non publiée, EU:C:2021:42, point 7).

70      Le pouvoir de contrôle de la Cour sur les constatations de fait opérées par le Tribunal s’étend donc, notamment, à l’inexactitude matérielle de ces constatations résultant des pièces du dossier, à la dénaturation des éléments de preuve, à la qualification juridique de ceux-ci et à la question de savoir si les règles en matière de charge et d’administration de la preuve ont été respectées (ordonnance du 20 janvier 2021, ZU/SEAE, C‑266/20 P, non publiée, EU:C:2021:42, point 8).

71      D’autre part, en vertu d’une jurisprudence constante de la Cour, un pourvoi doit indiquer de façon précise les éléments critiqués de l’arrêt dont l’annulation est demandée ainsi que les arguments juridiques qui soutiennent de manière spécifique cette demande et ne doit pas constituer en réalité une demande visant à obtenir un simple réexamen de la requête présentée devant le Tribunal (arrêt du 31 octobre 2019, Repower/EUIPO, C‑281/18 P, EU:C:2019:916, point 44).

72      Ainsi, lorsqu’un requérant fait valoir que le Tribunal a commis une erreur de droit, il doit indiquer quelle erreur de droit celui-ci aurait commise (voir, en ce sens, arrêt du 10 juillet 2014, Telefónica et Telefónica de España/Commission, C‑295/12 P, EU:C:2014:2062, point 72 ; ordonnances du 20 juin 2019, FCA US/EUIPO, C‑795/18 P, non publiée, EU:C:2019:525, point 6 ; du 19 novembre 2019, Nonnemacher/EUIPO, C‑659/19 P, non publiée, EU:C:2019:995, point 16, ainsi que du 30 avril 2020, Hochmann Marketing/Parlement, C‑557/19 P, non publiée, EU:C:2020:315, point 21).

73      En ce qui concerne l’argument de la requérante selon lequel le Tribunal a, aux points 41 à 44 de l’arrêt attaqué, commis une erreur de droit en ce qu’il n’a pas déterminé si l’ECHA s’est effectivement conformée à l’obligation d’examiner les informations dont elle disposait pour parvenir à la conclusion qu’il existait un niveau de préoccupation équivalent, force est de relever qu’elle ne précise pas quelle erreur de droit le Tribunal aurait commise à ces points.

74      S’agissant de l’argument de la requérante selon lequel le Tribunal n’a pas répondu, aux points 41 à 44 de l’arrêt attaqué, à son grief en première instance, il y a lieu de noter qu’elle ne précise pas la partie de sa requête dans laquelle elle aurait formulé ce grief.

75      Partant, il convient de rejeter la deuxième branche du deuxième moyen comme étant irrecevable.

 Sur la troisième branche du deuxième moyen, tirée d’une erreur de droit commise par le Tribunal dans l’appréciation de la pertinence des conclusions de l’EFSA

–       Argumentation de parties

76      Par la troisième branche du deuxième moyen, la requérante fait grief au Tribunal de ne pas avoir jugé que l’ECHA avait à tout le moins le devoir d’apprécier la pertinence des conclusions de l’EFSA sur la qualité des études sur lesquelles elle-même s’est fondée, en particulier lorsque ces études ont été considérées comme essentielles par l’ECHA, alors qu’elles avaient été écartées par l’EFSA au motif que leur qualité et leur fiabilité n’étaient pas adéquates ou suffisantes. Le Tribunal aurait, aux points 62 à 70 et 83 de l’arrêt attaqué, rejeté cet argument pour la seule et unique raison que l’EFSA et l’ECHA ont des rôles différents et agissent dans des cadres juridiques différents.

77      En effet, l’EFSA aurait évalué les mêmes études et les mêmes informations que celles examinées par l’ECHA et elle serait parvenue à des conclusions foncièrement opposées sur leur fiabilité et leur valeur intrinsèques. Une étude qu’un organe de l’Union européenne juge irrecevable à des fins réglementaires ne peut être retenue, selon la requérante, comme étant une preuve valable par un autre organe de l’Union ou, à tout le moins, comme l’a suggéré la requérante, les divergences apparaissant dans les conclusions de l’organe qui a évalué l’étude en cause en premier lieu doivent être reconnues et discutées.

78      La République française et ClientEarth soutiennent que la troisième branche du deuxième moyen est irrecevable et, à l’instar de l’ECHA, qu’elle est dénuée de fondement.

–       Appréciation de la Cour

79      Par la troisième branche du deuxième moyen, la requérante fait grief au Tribunal de ne pas avoir jugé que l’ECHA avait à tout le moins le devoir d’apprécier la pertinence des conclusions de l’EFSA sur la qualité des études sur lesquelles elle-même s’est fondée. En effet, le Tribunal aurait, aux points 62 à 70 et 83 de l’arrêt attaqué, rejeté l’argument de la requérante selon lequel les études que l’ECHA a considérées comme essentielles avaient été écartées par l’EFSA.

80      Il suffit de relever, à cet égard, que la requérante tend en réalité à obtenir, par cette argumentation, un réexamen des appréciations factuelles opérées par le Tribunal, pour lequel la Cour n’est pas compétente dans le cadre d’un pourvoi, ainsi qu’il résulte de la jurisprudence rappelée aux points 71 et 72 du présent arrêt.

81      Dès lors, la troisième branche du deuxième moyen doit être rejetée comme étant irrecevable.

 Sur la quatrième branche du deuxième moyen, tirée d’une erreur de droit commise par le Tribunal dans l’appréciation de l’avis de l’EFSA du 25 mars 2015

–       Argumentation des parties

82       Par la quatrième branche du deuxième moyen, la requérante soutient que le Tribunal a, au point 68 de l’arrêt attaqué, commis une erreur de droit en considérant que l’avis de l’EFSA du 25 mars 2015 confirme de manière indirecte la conclusion de l’ECHA selon laquelle le bisphénol A exerce une influence sur le système endocrinien chez l’homme. Il serait parvenu à cette considération sans disposer d’éléments de preuve et en dénaturant le sens global des preuves citées par la requérante.

83      En effet, le Tribunal n’aurait pas démontré, au point 69 de l’arrêt attaqué, que les études mentionnées à ce point pouvaient conduire à la conclusion que l’un quelconque des effets observés remplit les critères énoncés à l’article 57, sous f), du règlement REACH et, plus particulièrement, suscite un niveau de préoccupation équivalent à celui que suscitent les substances cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction relevant des catégories 1A ou 1B.

84      Selon la requérante, l’EFSA a abouti à la conclusion inverse en déclarant, dans son avis du 25 mars 2015, que le bisphénol A est « aussi susceptible » d’avoir des effets sur les fonctions pertinentes pour cette évaluation « que de ne pas en avoir » et a résumé son analyse en indiquant sur son site internet que « [c]’est la raison pour laquelle, sur la base des critères de [l’Organisation mondiale de la santé (OMS)], les experts ont considéré qu’il n’était pas possible de conclure que le [bisphénol A] était un perturbateur endocrinien ».

85      L’ECHA, la République française et ClientEarth contestent le bien-fondé de la quatrième branche du deuxième moyen.

–       Appréciation de la Cour

86      Par la quatrième branche du deuxième moyen, la requérante soutient que le Tribunal a, aux points 68 et 69 de l’arrêt attaqué, commis une erreur de droit en considérant que l’avis de l’EFSA du 25 mars 2015 confirme de manière indirecte la conclusion de l’ECHA selon laquelle le bisphénol A exerce une influence sur le système endocrinien chez l’homme. Il serait parvenu à cette considération sans disposer d’éléments de preuve et en dénaturant le sens global des preuves citées par la requérante.

87      Lorsqu’il allègue une dénaturation d’éléments de preuve par le Tribunal, un requérant doit, en application de l’article 256 TFUE, de l’article 58, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne et de l’article 168, paragraphe 1, sous d), du règlement de procédure de la Cour, indiquer de façon précise les éléments qui auraient été dénaturés par celui-ci et démontrer les erreurs d’analyse qui, dans son appréciation, auraient conduit le Tribunal à cette dénaturation. Par ailleurs, il est de jurisprudence constante de la Cour qu’une dénaturation doit apparaître de façon manifeste des pièces du dossier, sans qu’il soit nécessaire de procéder à une nouvelle appréciation des faits et des preuves (arrêt du 29 avril 2021, Fortischem/Commission, C‑890/19 P, non publié, EU:C:2021:345, point 70).

88      Il y lieu de relever, à cet égard, que la partie de la motivation figurant aux points 68 et 69 de l’arrêt attaqué, qui repose sur plusieurs études citées par l’EFSA, fait partie de la motivation figurant aux points 63 à 69 de cet arrêt visant à justifier la considération effectuée au point 62 dudit arrêt selon laquelle l’avis de l’EFSA ne contient aucune conclusion précise quant à la question de savoir si le bisphénol A possède des propriétés de perturbation endocrinienne qui suscitent le niveau de préoccupation visé à l’article 57, sous f), du règlement REACH.

89      En effet, ainsi qu’il ressort des points 63 à 67 de l’arrêt attaqué, le Tribunal s’est appuyé sur le fait que cette absence de conclusion précise de l’EFSA quant à la question de savoir si le bisphénol A est un perturbateur endocrinien est, de manière générale, fondée sur une évaluation du risque lié à une utilisation particulière de la substance concernée et non pas sur une analyse des dangers issus des propriétés intrinsèques de celle-ci telle qu’effectuée par l’ECHA.

90      Partant, ladite conclusion de l’EFSA n’est pas manifestement contradictoire avec la considération faite par le Tribunal, au point 68 de l’arrêt attaqué, selon laquelle l’avis de l’EFSA du 25 mars 2015 confirme de manière indirecte la conclusion de l’ECHA selon laquelle le bisphénol A exerce une influence sur le système endocrinien chez l’homme.

91      Il s’ensuit qu’il convient de rejeter la quatrième branche du deuxième moyen comme étant non fondée.

 Sur la cinquième branche du deuxième moyen, tirée de la dénaturation par le Tribunal des éléments de preuve et des conclusions de la requérante

–       Argumentation des parties

92      Par la cinquième branche du deuxième moyen, qui est divisée en cinq griefs, la requérante fait valoir que le Tribunal a dénaturé les éléments de preuve qui lui ont été présentés ainsi que ses conclusions.

93      Par le premier grief de la cinquième branche du deuxième moyen, la requérante soutient, dans le cadre de son premier argument, que le Tribunal a, au point 75 de l’arrêt attaqué, dénaturé les éléments de preuve en considérant que l’étude du groupe de travail de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) sur les tests et l’évaluation concernant les perturbateurs endocriniens du programme de lignes directrices pour les essais (ci-après l’« étude du groupe de travail de l’OCDE ») ne constituait pas une preuve à l’appui de ses arguments tendant à contester l’étude Lee (2013a) sur laquelle s’est appuyée l’ECHA. En effet, selon l’étude du groupe de travail de l’OCDE, l’augmentation du poids corporel est un effet observable chez tous les inhibiteurs de l’aromatase, alors que l’étude Lee (2013a) ne mentionne pas un tel effet du bisphénol A, bien que ce dernier soit un inhibiteur de l’aromatase. Par un second argument, la requérante affirme que la constatation faite par le Tribunal à ce point 75, selon laquelle elle n’a renvoyé à aucune autre étude que l’étude du groupe de travail de l’OCDE, a dénaturé le fait qu’elle s’est appuyée, au point 20 de son mémoire en réplique, sur l’étude Yamasaki (2002).

94      Par le deuxième grief de la cinquième branche du deuxième moyen, la requérante fait valoir que le Tribunal a dénaturé les éléments de preuve dans la mesure où il a constaté, au point 76 de l’arrêt attaqué, que les études Yamasaki (2002), Hengstler (2011), EFSA (2015) et ECHA (2014) n’ont pas été versées au dossier ni résumées de manière compréhensible et concluante dans les mémoires présentés par elle, alors qu’elle a résumé, au point 70 de sa requête, les conclusions de ces études et les a citées ainsi que référencées dans l’annexe 10 de sa requête. En outre, le Tribunal aurait cité l’étude de l’EFSA (2015) dans plusieurs parties de l’arrêt attaqué.

95      Par le troisième grief de la cinquième branche du deuxième moyen, la requérante affirme que le Tribunal a, au point 79 de l’arrêt attaqué, dénaturé les éléments de preuve dans la mesure où il a constaté que rien n’indique à quelles études de niveaux 4 et 5 elle se réfère, alors qu’elles ont été citées au point 50 du document d’appui.

96      Par le quatrième grief de la cinquième branche du deuxième moyen, la requérante allègue que le Tribunal a, au point 82 de l’arrêt attaqué, commis une dénaturation des éléments de preuve et des faits dans la mesure où il n’a pas répondu à son argument selon lequel les résultats des études sur la neurotoxicité, résumés au point 70 de la requête, ne confirment pas les conclusions de l’ECHA, mais a uniquement relevé que « la requérante n’explicite pas le lien existant entre la neurotoxicité et le caractère d’un perturbateur endocrinien extrêmement préoccupant ». Or, le lien entre la neurotoxicité du bisphénol A et sa nature en tant que perturbateur endocrinien aurait été établi implicitement par l’ECHA, au point 161 du document d’appui, dans la mesure où cette dernière s’est fondée sur ce lien pour établir les propriétés de perturbation endocrinienne du bisphénol A.

97      Par le cinquième grief de la cinquième branche du deuxième moyen, la requérante soutient que le Tribunal a, au point 85 de l’arrêt attaqué, dénaturé les éléments de preuve en considérant que le ToxRTool a été utilisé uniquement pour compléter les résultats provenant de l’approche fondée sur la force probante alors qu’il ne fait aucun doute, ainsi qu’il découle de la page 21 du document d’appui cité en annexe A.13 de la requête, que c’est précisément cet outil qui a été utilisé aux fins de l’appréciation de la force probante des éléments de preuve. En effet, selon le document d’appui, « le ToxRtool a été utilisé pour évaluer la fiabilité des études expérimentales jugées les plus instructives pour parvenir aux conclusions recherchées » et « dans leurs observations, les études les plus récentes [...] ont été intégrées dans une approche par éléments de preuve et le ToxRtool a été utilisé pour évaluer les études considérées comme des études clés, pour confirmer de manière transparente qu’elles étaient fiables ». Si le Tribunal n’avait pas commis une telle erreur, il aurait analysé les arguments de la requérante tirés du manque de transparence et de l’absence de protocole dans l’application du ToxRTool ainsi que de la manière dont ces lacunes ont abouti à une évaluation erronée des preuves.

98      L’ECHA et ClientEarth contestent le bien-fondé des cinq griefs de la cinquième branche du deuxième moyen.

–       Appréciation de la Cour

99      En ce qui concerne le premier argument du premier grief de la cinquième branche du deuxième moyen, tiré de la dénaturation, au point 75 de l’arrêt attaqué, des éléments de preuve relatifs à l’étude du groupe de travail de l’OCDE, il suffit de relever que cette étude a été sans pertinence pour la critique de l’étude Lee (2013a). En effet, le Tribunal a constaté, à ce point, qu’il est impossible de savoir si l’étude Lee (2013a) fait mention du poids corporel des animaux après exposition au bisphénol A et si le poids corporel a effectivement augmenté au cours de cette étude dès lors que la requérante n’a pas fourni ladite étude, ce que la requérante ne conteste pas dans le cadre de son pourvoi.

100    En ce qui concerne le second argument du premier grief de la cinquième branche du deuxième moyen, tiré de la dénaturation, au point 75 de l’arrêt attaqué, des éléments de preuve relatifs à l’étude Yamasaki (2002), et s’agissant du deuxième grief de cette branche, tiré de la dénaturation, au point 76 de cet arrêt, des éléments de preuve relatifs à cette étude ainsi qu’aux études Hengstler (2011), EFSA (2015) et ECHA (2014), il convient de relever que, audit point, le Tribunal a constaté, dans le cadre de son analyse de l’argumentation de la requérante selon laquelle les conclusions de l’ECHA ne sont pas étayées par les études que cette agence a considérées comme étant convaincantes, qu’il n’était pas en mesure de vérifier les données que ces études contiennent, dès lors qu’elles n’ont pas été versées au dossier, ni résumées de manière compréhensible et concluante dans les mémoires que la requérante a présentés.

101    La référence à l’annexe10 de sa requête, par laquelle la requérante considère qu’elle démontre la dénaturation des éléments de preuve par le Tribunal, ne renvoie que vers la page 7 des observations de la requérante sur le dossier conforme à l’annexe XIV du règlement REACH, cette page ne comportant que les mêmes allégations que celles qui figurent au point 70 de la requête et non pas les études en cause elles-mêmes. Ainsi, le Tribunal n’a pas été en mesure de vérifier les allégations de la requérante figurant au point 70 de sa requête, même si elles résumaient de manière compréhensible et concluante les études Yamasaki (2002), Hengstler (2011), EFSA (2015) et ECHA (2014).

102    Il y a donc lieu de rejeter les premier et deuxième griefs de la cinquième branche du deuxième moyen comme étant non fondés.

103    En ce qui concerne le troisième grief de la cinquième branche du deuxième moyen, tiré de la dénaturation, au point 79 de l’arrêt attaqué, des éléments de preuve relatifs aux études de niveaux 4 et 5, force est de relever que la requérante ne précise pas le point de sa requête dont il découlerait qu’elle a fait une référence au point 50 du document d’appui figurant en annexe A.13 de la requête en relation avec ses allégations relatives à ces études.

104    Partant, ce troisième grief doit être rejeté comme irrecevable.

105    S’agissant du quatrième grief de la cinquième branche du deuxième moyen, tiré de la dénaturation, au point 82 de l’arrêt attaqué, des éléments de preuve et des faits relatifs à la neurotoxicité du bisphénol A, il convient de relever que la requérante n’a pas précisé, au point 70 de sa requête, contrairement à ce qu’elle allègue dans le cadre de ce grief, ni le lien entre la neurotoxicité du bisphénol A et sa nature en tant que perturbateur endocrinien ni le fait que c’est l’ECHA qui a établi ce lien.

106    Dès lors, le quatrième grief de la cinquième branche du deuxième moyen doit être rejeté comme étant non fondé.

107    Quant au cinquième grief de la cinquième branche du deuxième moyen, tiré de la dénaturation, au point 85 de l’arrêt attaqué, des éléments de preuve relatifs au ToxRTool, force est de constater qu’il ne ressort pas de manière manifeste de la page 21 du document d’appui, contrairement à ce qu’affirme la requérante, que le ToxRTool a été utilisé par l’ECHA à d’autres fins que pour compléter les résultats provenant de l’approche fondée sur la force probante. En effet, il ressort de cette page que les études expérimentales ont été jugées « les plus instructives pour parvenir aux conclusions recherchées » et « clés ».

108    Il résulte de ce qui précède qu’il y a lieu de rejeter le cinquième grief de la cinquième branche du deuxième moyen comme étant non fondé.

109    Il s’ensuit que la cinquième branche du deuxième moyen doit être rejetée comme étant en partie irrecevable et en partie non fondée.

 Sur la sixième branche du deuxième moyen, tirée d’erreurs de droit commises par le Tribunal dans l’appréciation des preuves

–       Argumentation des parties

110    La sixième branche du deuxième moyen est divisée en six griefs.

111    Par le premier grief de la sixième branche du deuxième moyen, la requérante affirme que le Tribunal a commis une erreur de droit en ne déterminant pas par lui-même si l’ECHA a ou non commis une erreur, mais s’est fondé, au point 82 de l’arrêt attaqué, sur le seul raisonnement de cette dernière.

112    Par le deuxième grief de la sixième branche du deuxième moyen, la requérante fait valoir que le Tribunal a, au point 73 de l’arrêt attaqué, dénaturé les preuves en considérant que les études Tyl (2008) et Delclos (2014) démontrent que le bisphénol A a des effets néfastes sur le cycle œstral, sans tenir compte du fait que l’étude Tyl (2008) ne fait apparaître aucun effet sur le cycle œstral et sans tenir compte d’autres études citées au point 19 de son mémoire en réplique et auxquelles notamment l’EFSA a accordé une force probante différente. En outre, le Tribunal n’aurait pas justifié sa décision de ne pas prendre en considération ces autres éléments de preuve.

113    Par le troisième grief de la sixième branche du deuxième moyen, la requérante soutient que, au point 75 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a commis une erreur dans l’appréciation des preuves en écartant l’étude du groupe de travail de l’OCDE citée spécifiquement par elle pour confirmer que l’augmentation du poids corporel serait un effet observable chez tous les inhibiteurs de l’aromatase. En effet, l’affirmation du Tribunal à ce point serait contradictoire, dans la mesure où il a considéré que l’allégation de la requérante ne peut être vérifiée sur la base des éléments de preuve mêmes dans lesquels elle trouve son origine au lieu de vérifier si cette étude était susceptible d’étayer la thèse de la requérante.

114    En outre, la requérante affirme que la dernière phrase du point 75 de l’arrêt attaqué est vide de sens ou d’objet dès lors qu’elle a présenté au point 70 de sa requête les conclusions tirées des résultats de l’étude Lee (2013a) que l’ECHA ne conteste pas. Par ailleurs, le Tribunal n’aurait pas suffisamment expliqué quelle étude fait défaut et n’aurait pas permis à la requérante de comprendre les motifs de ses conclusions.

115    Par le quatrième grief de la sixième branche du deuxième moyen, la requérante fait valoir que le Tribunal a, au point 85 de l’arrêt attaqué, non seulement commis une dénaturation, comme elle le prétend dans le cadre du cinquième grief de la cinquième branche du deuxième moyen, mais également une erreur de droit en rejetant ses arguments comme étant inopérants, alors qu’il aurait dû analyser l’erreur commise par l’ECHA qui n’avait pas expliqué la manière selon laquelle elle avait utilisé le ToxRTool, bien qu’elle se soit appuyée sur les résultats de celui-ci pour construire et étayer ses conclusions.

116    Par le cinquième grief de la sixième branche du deuxième moyen, la requérante fait valoir que le Tribunal n’a aucunement justifié sa référence à une « approche commune dans le monde scientifique », figurant au point 77 de l’arrêt attaqué.

117    Par le sixième grief de la sixième branche du deuxième moyen, la requérante affirme que le Tribunal a commis une erreur de droit en observant, au point 130 de l’arrêt attaqué, qu’il n’incombait pas à l’ECHA de reporter l’adoption de la décision litigieuse dans l’attente de la publication des résultats du programme Clarity-BPA. En effet, le Tribunal aurait dû répondre à son argument, souligné au point 91 de sa requête, selon lequel « l’ECHA aurait au moins dû indiquer les raisons pour lesquelles elle estime qu’elle peut décider de l’application au bisphénol A de critères de perturbation endocrinienne qu’elle a elle-même choisis, alors que d’autres organes scientifiques de l’Union ont estimé ne pas pouvoir le faire ».

118    L’ECHA fait valoir que le sixième grief de la sixième branche du deuxième moyen est irrecevable et en tout cas non fondé, alors que les autres griefs de cette branche sont non fondés. ClientEarth soutient que les premier, deuxième et sixième griefs de ladite branche sont irrecevables et en tout cas non fondés tandis que les autres griefs de celle-ci sont irrecevables.

–       Appréciation de la Cour

119    En ce qui concerne le premier grief de la sixième branche du deuxième moyen, la requérante estime que le Tribunal a commis une erreur de droit en ne déterminant pas lui-même si l’ECHA avait commis une erreur dans sa réponse aux arguments qu’elle avait invoqués à propos des études sur la neurotoxicité et du lien entre cette neurotoxicité et le caractère d’un perturbateur endocrinien extrêmement préoccupant. Il convient de relever, à cet égard, que la requérante se contente donc de suggérer un défaut de motivation de l’arrêt attaqué sans préciser davantage l’erreur de droit que le Tribunal aurait commise ni dans quelle partie de sa requête elle aurait contesté ledit raisonnement de l’ECHA.

120    En outre, force est de constater que ce grief n’est, en réalité, qu’une répétition de l’allégation de défaut de motivation soulevée par la requérante dans le cadre de la première branche du deuxième moyen. Or il ressort, en particulier, des points 55 à 64 du présent arrêt que cette allégation est non fondée.

121    Partant, ce premier grief doit être rejeté comme étant irrecevable et, en tout état de cause, non fondé.

122    S’agissant du deuxième grief de la sixième branche du deuxième moyen, tiré de la dénaturation, au point 73 de l’arrêt attaqué, des éléments de preuve relatifs à l’étude Tyl (2008) et aux autres études citées par la requérante au point 19 de son mémoire en réplique, il y a lieu de rappeler que le Tribunal a, aux points 72 et 73 de cet arrêt, motivé le rejet de l’argument de la requérante selon lequel l’ECHA n’aurait pas tenu compte de certaines données qui ont été reconnues scientifiquement valides et fiables par d’autres organismes régulateurs de l’Union ou aurait donné un poids insuffisant à ces études.

123    Au point 72 de l’arrêt attaqué, il a constaté que « les organismes régulateurs et les comités scientifiques autres que l’ECHA, dont l’EFSA et le [Comité scientifique en matière de limites d’exposition professionnelle à des agents chimiques (CSLEP)], n’ont pas les mêmes missions que l’ECHA et rédigent leurs avis scientifiques à des fins autres que celles envisagées par l’ECHA ».

124    Au point 73 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a ajouté qu’« il est vrai qu’il résulte des observations figurant à la page 24 du document d’appui que les études Tyl (2002) et Ema (2001) n’ont pas mis en évidence de différences significatives dans le schéma du cycle œstral. Cependant, contrairement à ce que semble soutenir la requérante et ainsi qu’il a été relevé par l’ECHA, qui n’a pas été contestée sur ce point, il existe de nombreuses autres études, dont les études Tyl (2008) et Delclos (2014) évoquées par la requérante, qui, à l’inverse, démontrent que le bisphénol A a des effets néfastes sur le cycle œstral. La requérante passe sous silence les résultats de ces autres études et n’explique pas quelles conclusions précises, différentes de celles de l’ECHA, les organismes régulateurs et les comités scientifiques auraient tirées de ces autres études. »

125    Il ressort de ces deux points de l’arrêt attaqué que le Tribunal a rejeté l’argument de la requérante selon lequel l’ECHA n’aurait pas tenu compte de certaines données qui ont été reconnues scientifiquement valides et fiables par les organismes régulateurs et les comités scientifiques ou aurait donné un poids insuffisant à ces études au motif que la requérante n’a pas expliqué quelles conclusions ces organismes et comités auraient tirées des études qui démontrent que le bisphénol A a des effets néfastes sur le cycle œstral, dont les études Tyl (2008) et Delclos (2014).

126    Or, d’une part, la requérante ne précise pas, dans le cadre du deuxième grief de la sixième branche du deuxième moyen, dans quelle partie de sa requête elle aurait cité la partie de l’étude Tyl (2008) dont il ressortirait, d’une manière manifeste, que le Tribunal a dénaturé les conclusions de cette étude.

127    D’autre part, elle part de la prémisse erronée que le Tribunal a lui-même établi, au point 73 de l’arrêt attaqué, que le bisphénol A a des effets néfastes sur le cycle œstral alors qu’il a seulement repris les conclusions des études Tyl (2008) et Delclos (2014) afin de mettre en évidence leurs conclusions contraires aux allégations de la requérante, laquelle n’a, en revanche, pas expliqué quelles conclusions précises, différentes de celles de l’ECHA, les organismes régulateurs et les comités scientifiques auraient tirées de ces études. Par ailleurs, le point 19 du mémoire en réplique devant le Tribunal ne contenant aucune mention du contenu des études qui y sont citées, le Tribunal n’a pas été en mesure de vérifier les allégations de la requérante à l’égard de ces études.

128    Dès lors, le deuxième grief de la sixième branche du deuxième moyen doit être rejeté comme étant en partie irrecevable et en partie non fondé.

129    Quant au troisième grief de la sixième branche du deuxième moyen, tiré de l’erreur de droit commise par le Tribunal, au point 75 de l’arrêt attaqué, dans l’appréciation de l’étude du groupe de travail de l’OCDE, il y a lieu de constater, ainsi qu’il a été dit au point 99 du présent arrêt, que cette étude a été sans pertinence pour la critique de l’étude Lee (2013a).

130    Partant, il convient de rejeter ce troisième grief comme étant inopérant.

131    En ce qui concerne le quatrième grief de la sixième branche du deuxième moyen, tiré de l’erreur de droit commise par le Tribunal, au point 85 de l’arrêt attaqué, dans l’appréciation de l’utilisation du ToxRTool, il suffit de relever que la requérante ne précise pas quelle erreur de droit le Tribunal aurait commise à ce point ni n’explique la raison pour laquelle ses arguments en première instance ne pouvaient pas être considérés comme inopérants par le Tribunal.

132    Partant, il y a lieu de rejeter ce quatrième grief comme étant irrecevable.

133    S’agissant du cinquième grief de la sixième branche du deuxième moyen, tiré de l’erreur de droit commise par le Tribunal, au point 77 de l’arrêt attaqué, en ce qu’il n’a pas justifié la référence à une « approche commune dans le monde scientifique », il y a lieu de relever que le Tribunal a considéré, audit point, que les études épidémiologiques négatives ou simplement non concluantes, telles que celles en cause devant le Tribunal, ne peuvent pas invalider des études positives chez l’animal et non pas qu’elles sont sans pertinence, ce que l’autorité française compétente a relevé au commentaire no 89 du document RCOM. Or, la requérante n’a pas contesté l’approche de cette autorité ni en première instance ni dans le cadre du pourvoi.

134    Il s’ensuit que l’argument de la requérante analysé par le Tribunal au point 77 de l’arrêt attaqué n’a pas pu prospérer indépendamment du fait de savoir si l’approche de ladite autorité est ou non commune dans le monde scientifique.

135    Partant, le cinquième grief de la sixième branche du deuxième moyen est inopérant.

136    Quant au sixième grief de la sixième branche du deuxième moyen, tiré de l’erreur de droit commise par le Tribunal, au point 130 de l’arrêt attaqué, dans l’application des principes de bonne administration et de sécurité juridique, il y a lieu de rappeler que, selon la jurisprudence constante de la Cour, le principe de sécurité juridique exige que tout acte adopté par les institutions de l’Union soit clair et précis, afin de permettre aux personnes concernées de connaître avec exactitude les droits et les obligations qui en découlent et de prendre leurs dispositions en conséquence (voir, par analogie, arrêt du 10 avril 2014, Areva e.a./Commission, C‑247/11 P et C‑253/11 P, EU:C:2014:257, point 128).

137    C’est donc à bon droit que le Tribunal a constaté, au point 163 de l’arrêt attaqué, auquel renvoie le point 130 de celui-ci, que le principe de sécurité juridique n’exige pas qu’une institution de l’Union attende l’élaboration d’une certaine étude scientifique avant de prendre une décision, une telle attente n’étant pas susceptible d’influencer l’exactitude avec laquelle les personnes concernées sont en mesure de connaître leurs droits et obligations découlant de cette décision ou de prendre leurs dispositions en conséquence.

138    Partant, il convient de rejeter le sixième grief de la sixième branche du deuxième moyen comme étant non fondé, et, par conséquent, cette sixième branche doit être rejetée dans son ensemble.

139    Il s’ensuit que le deuxième moyen doit être rejeté comme étant en partie irrecevable et en partie non fondé.

 Sur le premier moyen, tiré d’une interprétation erronée de l’article 57, sous f), du règlement REACH

140    Le premier moyen est divisé en deux branches.

 Sur la première branche du premier moyen, tirée d’une erreur de droit dans l’application du critère de plausibilité

–       Argumentation des parties

141    Par la première branche du premier moyen, la requérante souligne que le terme « plausibilité » est tiré des recommandations du Centre commun de recherche de la Commission (ci-après le « CCR »). Selon le CCR, les effets néfastes d’une substance sur la santé humaine doivent avoir un lien de causalité biologiquement plausible avec un mode d’action endocrinien. Toutefois, le Tribunal aurait étendu à tort, aux points 92 à 94 et 99 de l’arrêt attaqué, le critère de plausibilité à l’ensemble des preuves scientifiques requises à l’article 57, sous f), du règlement REACH, alors que ce critère n’est pertinent que pour vérifier l’existence d’un lien entre un mode d’action et les effets néfastes attribués à une substance.

142    Une telle application ne serait pas étayée, tout d’abord, par le libellé explicite de l’article 57, sous f), du règlement REACH, qui exige que les effets néfastes de la substance concernée soient scientifiquement prouvés, sans limiter cette obligation à une simple plausibilité. Ensuite, une telle application ne serait pas non plus justifiée par l’arrêt du 11 mai 2017, Deza/ECHA (T‑115/15, EU:T:2017:329), cité par le Tribunal au point 92 de l’arrêt attaqué, dès lors qu’elle porte non pas sur le niveau de preuve qu’implique l’expression « pour lesquelles il est scientifiquement prouvé qu’elles peuvent avoir des effets graves », mais sur l’existence d’effets graves probables. Enfin, selon la requérante, l’expression « plausible sur le plan biologique » figurant dans les recommandations du CCR ne saurait conduire à une extension du critère de plausibilité à l’obligation imposée à cet article 57, sous f), dès lors qu’elle s’applique à un niveau de preuve différent. La question de savoir s’il existe un lien biologique plausible entre les effets néfastes d’une substance et son mode d’action serait pertinente aux fins de déterminer si cette substance peut être qualifiée de perturbateur endocrinien au sens des recommandations du CCR, mais cette qualification ne dispenserait pas l’ECHA de démontrer que l’ensemble des conditions énoncées à cette disposition sont remplies dans les cas où elle souhaiterait identifier la substance concernée en tant que substance extrêmement préoccupante. En outre, toutes les preuves scientifiques devraient être évaluées et considérées en fonction de leur fiabilité, de leur pertinence et de leur adéquation, comme cela résulte des orientations de l’OCDE pour l’évaluation des dangers, des orientations de l’ECHA sur l’évaluation de la sécurité chimique et du droit, et non en fonction d’un simple critère de plausibilité sorti de son contexte.

143    L’ECHA, la République française, ClientEarth et la République fédérale d’Allemagne soutiennent qu’il y a lieu de rejeter la première branche du premier moyen comme étant non fondée.

–       Appréciation de la Cour

144    Par la première branche du premier moyen, la requérante fait valoir que le Tribunal a estimé, aux points 91 à 94 et 99 de l’arrêt attaqué, que, contrairement aux dispositions de l’article 57, sous f), du règlement REACH, le critère de plausibilité était un critère auquel devait satisfaire l’ensemble des éléments de preuve recueillis par l’ECHA, alors que ce critère n’est pertinent que pour vérifier l’existence d’un lien entre un mode d’action et les effets néfastes attribués à une substance.

145    Il y a lieu de relever d’emblée que la première branche du premier moyen repose sur une lecture erronée des points 92 à 94 et 99 de l’arrêt attaqué.

146    Tout d’abord, au point 99 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a constaté que « [c]ompte tenu de ce qui précède, c’est en vain que la requérante reproche à l’ECHA d’avoir “ajouté” un critère de “plausibilité” au critère de “probabilité” visé à l’article 57, sous f), du règlement REACH. En effet, l’ECHA n’a “ajouté” aucun critère supplémentaire à cette disposition. En réalité, l’argument de la requérante mentionné au point 88 ci-dessus repose sur une confusion entre la question de la “plausibilité” en tant que critère auquel doivent satisfaire l’ensemble des éléments de preuve recueillis par l’ECHA (voir points 91 à 94 ci-dessus), d’une part, et la question de la nature possible ou probable des effets d’une substance (voir points 95 à 98 ci-dessus), d’autre part ».

147    Ensuite, contrairement à ce que soutient la requérante, il ressort du point 94 de l’arrêt attaqué, qui est résumé au point 99 de cet arrêt conjointement avec les points 91 à 93 de celui-ci, que le Tribunal a relevé que, selon les recommandations figurant dans le rapport du CCR, le lien de causalité entre le mode d’action endocrinien d’une substance et les effets indésirables sur la santé humaine doit être plausible pour que cette substance puisse être considérée comme un perturbateur endocrinien.

148    Enfin, les points 92 à 94 et 99 de l’arrêt attaqué figurent, ainsi qu’il ressort du point 86 de celui-ci, dans la partie de cet arrêt dans laquelle le Tribunal a répondu aux arguments par lesquels la requérante remet en cause la conclusion de l’ECHA relative au mode d’action du bisphénol A.

149    Il s’ensuit que le Tribunal n’a fait référence au critère de plausibilité que dans le contexte de la vérification de l’existence d’un lien de causalité entre un mode d’action et les effets néfastes attribués à une substance, ce que la requérante ne conteste pas, et ne l’a donc pas étendu à l’ensemble des éléments de preuve recueillis par l’ECHA.

150    Partant, la première branche du premier moyen doit être rejetée comme étant non fondée.

 Sur la seconde branche du premier moyen, tirée d’une erreur de droit résultant de la substitution de la notion d’effets possibles à celle d’effets probables d’une substance sur la santé humaine

–       Argumentation des parties

151    Par la seconde branche du premier moyen, la requérante soutient que le Tribunal a, aux points 98 et 101 de l’arrêt attaqué, commis une erreur de droit dans son interprétation de l’article 57, sous f), du règlement REACH en estimant que cette disposition exige seulement que l’ECHA démontre que la substance concernée a des effets possibles, et non pas qu’elle a des effets probables, sur la santé humaine.

152    La requérante souligne que le sens littéral de l’article 57, sous f), du règlement REACH était clair pour les parties en présence. La langue utilisée par les parties pendant toute la procédure ayant abouti à l’adoption de la décision litigieuse aurait été la langue anglaise et toutes les parties prenantes auraient eu à l’esprit la version anglaise de ce règlement. L’interprétation contextuelle et téléologique de l’article 57, sous f), dudit règlement aboutirait à la même conclusion.

153    Selon la requérante, l’article 57 du règlement REACH constitue une exception qui doit être interprétée d’une manière restrictive. Le caractère exceptionnel de la procédure prévue à cet article s’exprimerait par le fait que, à chacun des points dudit article, les substances concernées doivent remplir certaines conditions qui correspondent au niveau de préoccupation jugé le plus élevé. La requérante soutient que le législateur de l’Union a fait le choix de classer les substances en fonction du degré de certitude, au regard des preuves scientifiques disponibles, selon lequel elles peuvent effectivement avoir des effets graves sur la santé humaine. Ainsi, le législateur de l’Union aurait décidé que seules les substances cancérogènes classées dans les catégories 1A ou 1B, conformément à l’annexe I, section 3.6, du règlement no 1272/2008, pouvaient être identifiées comme étant des substances extrêmement préoccupantes en vertu de l’article 57, sous a), du règlement REACH. Les substances qui ne sont que des cancérogènes présumés, à savoir de catégorie 2, et pour lesquelles il n’existe donc pas un degré élevé de certitude qu’elles auront effectivement des effets cancérogènes, seraient exclues du processus d’identification, en application de cette disposition. En outre, à l’article 57, sous d) et e), de ce règlement, le législateur de l’Union aurait considéré que le seuil de préoccupation s’applique aux substances qui réunissent l’ensemble des critères cumulatifs énoncés à l’annexe XIII dudit règlement, et non à celles qui répondent à un seul de ces critères et qui, en conséquence, ne sont pas considérées comme des substances extrêmement préoccupantes aux fins d’une indentification au titre de cet article 57, sous d) ou e).

154    Par ailleurs, le législateur de l’Union aurait expressément souhaité que l’article 57, sous f), du règlement REACH fixe un seuil aussi élevé et restrictif que les autres points de cet article 57, cela en exigeant que les substances identifiées sur la base de l’article 57, sous f), de ce règlement suscitent un niveau de préoccupation équivalent à celui suscité par l’utilisation des substances répondant aux critères énumérés à l’article 57, sous a) à e), dudit règlement.

155    En outre, limiter l’identification de substances en tant que substances extrêmement préoccupantes à celles pour lesquelles il est non seulement hypothétiquement possible qu’elles puissent provoquer des effets graves sur la santé humaine, mais également réellement probable qu’elles aient de tels effets, serait conforme aux objectifs du processus d’autorisation dans le cadre du règlement REACH, aux termes de l’article 55 de ce règlement, et à l’objet et au champ d’application visés à l’article 1er de celui-ci.

156    Selon la requérante, la jurisprudence sur les notions de risque et de danger citée par le Tribunal, aux points 97 et 98 de l’arrêt attaqué, à l’appui de l’interprétation par celui-ci de l’article 57, sous f), du règlement REACH, n’est pas applicable à l’interprétation de cette disposition. La requérante observe qu’il est de jurisprudence constante, notamment au regard de l’arrêt du 15 mars 2017, Hitachi Chemical Europe et Polynt/ECHA (C‑324/15 P, EU:C:2017:208, points 34 à 36), que l’identification d’une substance en vertu de ladite disposition ne se limite pas à une simple catégorisation des propriétés intrinsèques de celle-ci. La distinction entre risque et danger ne serait donc pas appropriée pour exclure que cette même disposition exige la démonstration d’effets graves probables sur la santé humaine. Il ressortirait des points de l’article 57 du règlement REACH, autres que le point f) de cet article, que les preuves scientifiques disponibles doivent démontrer la présence probable de certaines propriétés intrinsèques d’une substance. Sinon, la classification d’une substance comme agent cancérogène de catégorie 1A, 1B ou 2 dépendrait de l’exposition à celle-ci, ce qui entraînerait indirectement une requalification du processus de classification prévu par le règlement no 1272/2008 en une évaluation des risques, contrairement à ce qui résulte de l’arrêt du 21 juillet 2011, Nickel Institute (C‑14/10, EU:C:2011:503, points 81 à 83).

157    La requérante reconnaît que l’article 57, sous d) et e), du règlement REACH ne renvoie pas au règlement no 1272/2008, mais elle l’explique par le fait que ce dernier ne contient pas de critères permettant d’identifier la persistance ou la bioaccumulation d’une substance et souligne que les critères spécifiques pour l’identification de substances en tant que substances extrêmement préoccupantes sont définis conformément à l’annexe XIII du règlement REACH, qui prévoit une détermination par force probante, à laquelle renvoie l’article 57, sous d) et e), de ce règlement. Le niveau de certitude que les éléments de preuve doivent présenter au regard de ces dernières dispositions devrait être le même que celui fixé à l’article 57, sous a) à c), du règlement REACH, mais il requerrait des dispositions spécifiques, développées dans l’annexe XIII de ce règlement, dès lors que les critères de persistance et de bioaccumulation ne sont pas fixés dans le cadre du règlement no 1272/2008.

158    En outre, l’affirmation du Tribunal, au point 98 de l’arrêt attaqué, selon laquelle l’approche du législateur de l’Union serait conforme au principe de précaution, ne pourrait pas préjuger le sens de l’article 57, sous f), du règlement REACH. La décision litigieuse serait non pas une mesure préventive adoptée par l’ECHA sur la base du principe de précaution en tant que tel, mais un acte juridique adopté conformément au cadre juridique établi par ce règlement pour l’identification des substances extrêmement préoccupantes. De surcroît, l’ensemble de la procédure d’autorisation relevant du titre VII dudit règlement constituerait elle-même une expression directe du principe de précaution qui ne s’oppose pas au critère de probabilité, selon l’arrêt du 11 mai 2017, Deza/ECHA (T‑115/15, EU:T:2017:329).

159    Enfin, la requérante soutient que ledit arrêt, cité par le Tribunal au point 96 de l’arrêt attaqué, étaye sa position en raison de la mention de l’existence d’un critère de probabilité en vertu de l’article 57, sous f), du règlement REACH.

160    L’ECHA fait valoir que la seconde branche du premier moyen est non fondée et inopérante alors que la République française, ClientEarth et la République fédérale d’Allemagne soutiennent qu’elle est non fondée.

–       Appréciation de la Cour

161    Par la seconde branche du premier moyen, la requérante soutient que le Tribunal a commis une erreur de droit, aux points 98 et 101 de l’arrêt attaqué, en jugeant que l’article 57, sous f), du règlement REACH exige que l’ECHA démontre qu’une substance a des effets graves possibles, et non pas qu’elle a des effets probables, sur la santé humaine.

162    Il convient de rappeler, d’une part, que le Tribunal a considéré, au point 101 de l’arrêt attaqué, que l’ECHA a, conformément à ce que prétend la requérante dans le cadre de la seconde branche du premier moyen, établi le caractère probable des effets graves sur la santé humaine du bisphénol A, alors même qu’elle était uniquement obligée d’établir qu’il est possible que le bisphénol A produise de tels effets.

163    D’autre part, à ce même point, le Tribunal a rejeté, sans que ce rejet soit contesté par la requérante, l’allégation selon laquelle l’ECHA n’avait pas correctement appliqué le niveau de preuve visé à l’article 57, sous f), du règlement REACH dans le cas d’espèce au regard du mode d’action du bisphénol A et des effets de cette substance sur la santé humaine.

164    Il s’ensuit que, même si le Tribunal avait erronément interprété l’article 57, sous f), du règlement REACH, l’argumentation de la requérante n’est pas susceptible de remettre en cause la conclusion de l’ECHA selon laquelle il est scientifiquement prouvé que le bisphénol A présente un mode d’action qui permet de considérer que cette substance est un perturbateur endocrinien extrêmement préoccupant au sens de l’article 57, sous f), de ce règlement.

165    Dès lors, la seconde branche du premier moyen doit être rejetée comme étant inopérante.

166    Il s’ensuit que le premier moyen doit être rejeté comme étant en partie inopérant et en partie non fondé.

 Sur le troisième moyen, tiré d’une violation du principe d’égalité de traitement

 Argumentation des parties

167    Par son troisième moyen, la requérante fait valoir que le Tribunal a violé le principe d’égalité de traitement dans la mesure où, en ce qui concerne le degré de reconnaissance du bien-fondé des observations de chacune des parties, le Tribunal l’a traitée moins favorablement que l’ECHA, notamment aux points 100 et 75 de l’arrêt attaqué.

168    En premier lieu, le Tribunal se serait fondé, au point 100 de l’arrêt attaqué, sur les propres déclarations de l’ECHA relatives au caractère probable des effets identifiés du bisphénol A sur la santé humaine pour estimer que l’ECHA avait en réalité démontré que ces effets étaient probables. En deuxième lieu, il aurait présumé, au point 75 de cet arrêt, que des études que l’ECHA a invoquées sans les lui avoir fournies étayaient les hypothèses formulées par celle-ci dans la décision litigieuse, alors qu’il a considéré que le fait que la requérante ne lui a pas fourni ces études le privait de la possibilité de vérifier une allégation. En troisième lieu, le Tribunal n’aurait pas accordé aux allégations de la requérante le même bénéfice du doute et n’aurait pas non plus utilisé les moyens dont il disposait pour vérifier ces allégations. Cette inégalité de traitement ne pourrait être justifiée par le principe selon lequel il appartient à la partie requérante d’établir la preuve de ses allégations ou que les arguments d’une partie sont plus crédibles en raison de sa seule qualité de défenderesse.

169    En outre, la requérante affirme que, en vertu de l’article 57, sous f), du règlement REACH, il incombe à l’ECHA de démontrer que toutes les conditions requises par cette disposition sont remplies.

170    L’ECHA, la République française, ClientEarth et la République fédérale d’Allemagne font valoir que le troisième moyen est non fondé.

 Appréciation de la Cour

171    En ce que, par son troisième moyen, la requérante invoque une violation du principe d’égalité de traitement, il convient de rappeler que le Tribunal a constaté, au point 75 de l’arrêt attaqué, que, « du fait que la requérante n’a pas fourni [l’étude Lee (2013a)], il est impossible de savoir si celle-ci fait mention du poids corporel des animaux après exposition au bisphénol A et si le poids corporel a effectivement augmenté dans le cadre de cette étude ».

172    Or, selon la jurisprudence de la Cour, le Tribunal ne viole ni le principe d’égalité des armes ni le droit à un procès équitable lorsqu’il exige que, afin d’établir qu’un organisme de l’Union a commis une erreur d’appréciation des faits de nature à justifier l’annulation de la décision qu’elle a prise, les éléments de preuve apportés par la partie requérante soient suffisants pour priver de plausibilité l’appréciation des faits retenue dans cette décision (voir, par analogie, arrêt du 7 mai 2020, BTB Holding Investments et Duferco Participations Holding/Commission, C‑148/19 P, EU:C:2020:354, point 76).

173    Dès lors, dans la mesure où le Tribunal a rejeté, au point 75 de l’arrêt attaqué, les allégations de la requérante par lesquelles celle-ci visait à priver de plausibilité l’appréciation des faits retenue dans la décision litigieuse en raison du fait que la requérante n’a pas fourni d’éléments de preuve permettant au Tribunal de vérifier ces allégations, il n’a pas violé le principe d’égalité des armes.

174    En outre, au point 100 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a constaté quelles étaient les conclusions finales de l’ECHA, lesquelles n’ont été contestées en tant que telles par la requérante ni en première instance ni dans le cadre du pourvoi.

175    Partant, en procédant aux constats opérés aux points 75 et 100 de l’arrêt attaqué, le Tribunal n’a pas violé le principe d’égalité des armes.

176    Il s’ensuit que le troisième moyen doit être rejeté comme étant non fondé.

 Sur le quatrième moyen, tiré d’une interprétation erronée de l’article 2, paragraphe 8, sous b), du règlement REACH et de la violation de l’obligation de motivation à cet égard

 Argumentation des parties

177    Par son quatrième moyen, la requérante soutient que le Tribunal a commis une erreur de droit en considérant, aux points 186 à 213 de l’arrêt attaqué, que les intermédiaires n’échappent pas à la procédure d’identification prévue aux articles 57 et 59 du règlement REACH au motif que ces dispositions visent uniquement les propriétés intrinsèques d’une substance et non pas ses utilisations et qu’il n’était pas disproportionné pour l’ECHA de procéder à une telle identification. En effet, le Tribunal, au lieu d’apprécier tous les arguments pertinents soulevés dans la requête, se serait basé sur les arrêts rendus dans des affaires précédentes et similaires. Ce faisant, il aurait gravement manqué à l’obligation de motivation qui lui incombe.

178    À cet égard, la requérante fait tout d’abord valoir, citant l’arrêt du 25 octobre 2017, PPG et SNF/ECHA (C‑650/15 P, EU:C:2017:802, point 59), que l’interprétation faite par le Tribunal de l’article 2, paragraphe 8, sous b), du règlement REACH est contraire à l’interprétation littérale de cette disposition, qui exempte, sans exception, les intermédiaires du titre VII de ce règlement, étant donné qu’ils ont une existence temporaire puisqu’ils sont destinés, ainsi qu’il résulte de la définition figurant à l’article 3, point 15, dudit règlement, à être transformés en d’autres substances.

179    Ensuite, la requérante conteste les constatations faites par le Tribunal aux points 196 et 197 de l’arrêt attaqué selon lesquelles les intermédiaires, en tant que substances extrêmement préoccupantes, n’échappent pas à la procédure d’identification et aux obligations en matière d’information. Les exigences de l’article 7, paragraphe 2, et de l’article 33 du règlement REACH n’auraient pas été conçues pour couvrir les intermédiaires, mais seraient déclenchées par la présence, dans des articles qui sont des objets fabriqués à partir de substances chimiques, de substances répondant aux critères énoncés à l’article 57 de ce règlement.

180    Enfin, la requérante soutient, d’une part, que le Tribunal a commis une erreur de droit en considérant que la notion d’intermédiaire fait référence aux utilisations d’une substance et, d’autre part, que les utilisations d’une substance ne sont pas pertinentes aux fins de l’identification en tant que substance extrêmement préoccupante. Il serait nécessaire d’opérer une distinction entre les termes d’« utilisation intermédiaire », tels qu’employés correctement dans la requête, et ceux d’« intermédiaire en tant qu’utilisation », tels qu’employés par l’ECHA et également interprétés et systématiquement employés par le Tribunal aux points 191, 193 et 206 de l’arrêt attaqué et dans ses arrêts précédents. Ces derniers leur auraient donné un sens contraire à la définition figurant à l’article 3, point 15, du règlement REACH, dans la mesure où ils les ont considérés en tant qu’usage spécifique d’une substance. En revanche, en raison de leur existence temporaire, les intermédiaires constitueraient une classe spéciale de substances qui bénéficient d’exemptions spécifiques.

181    En outre, la requérante fait valoir que le Tribunal a méconnu son obligation de motivation en ne répondant pas à plusieurs arguments figurant dans sa requête, différents des arguments avancés dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 25 octobre 2017, PPG et SNF/ECHA (C‑650/15 P, EU:C:2017:802), invoqué par le Tribunal dans l’arrêt attaqué.

182    Premièrement, elle affirme avoir insisté, au point 122 de sa requête, sur le fait que les substances qui sont des intermédiaires sont soumises à des exigences d’enregistrement spécifiques énoncées aux articles 17 à 19 du règlement REACH, applicables à des intermédiaires compris non pas au sens d’utilisations intermédiaires, mais en tant que substances. En effet, l’utilisation d’une substance serait déterminée par ses utilisateurs en aval dans le cadre de leurs activités industrielles ou professionnelles. En revanche, le statut d’enregistrement d’une substance serait décidé par le fabricant ou l’importateur, au moment de l’enregistrement. Ce serait donc le fabricant qui décide d’enregistrer une substance en tant qu’intermédiaire, sur la base des informations provenant de sa chaîne d’approvisionnement. Différentes utilisations pourraient être couvertes par le dossier d’enregistrement d’une substance, alors que les substances intermédiaires auraient leurs propres règles d’enregistrement.

183    Deuxièmement, la requérante soutient avoir développé des arguments supplémentaires détaillés au point 122 de sa requête, relatifs au fait que l’article 17, paragraphe 3, et l’article 18, paragraphe 4, du règlement REACH prévoient des conditions spécifiques selon lesquelles les dossiers d’enregistrement des substances intermédiaires peuvent contenir moins d’informations que les dossiers d’enregistrement des substances non intermédiaires. En effet, le statut juridique d’un intermédiaire ne devrait pas être affecté par la circonstance fortuite que les exigences limitées en matière d’information fixées aux articles 17 et 18 de ce règlement ne s’appliquent pas aux monomères, tels que le bisphénol A en tant qu’intermédiaire, et que, par conséquent, les informations fournies pour l’enregistrement pourraient potentiellement permettre leur identification en tant que substances extrêmement préoccupantes modifiant ainsi leur statut juridique par rapport à celui des autres intermédiaires. L’exemption des intermédiaires monomères de la dérogation prévue aux articles 17 et 18 dudit règlement devrait être interprétée et utilisée de manière restrictive et uniquement dans le but pour lequel cette exemption a été prévue.

184    Troisièmement, la requérante fait valoir qu’elle a présenté, au point 125 de sa requête, l’argument selon lequel « seules les informations existantes disponibles doivent être soumises pour l’enregistrement des intermédiaires soumis à des conditions strictement contrôlées ». Si le législateur de l’Union avait souhaité soumettre les intermédiaires à une identification en tant que substances extrêmement préoccupantes, il aurait rédigé l’exemption énoncée à l’article 2, paragraphe 8, sous b), du règlement REACH en ce sens et prévu que la non-communication des données nécessaires pouvait entraîner l’identification d’un intermédiaire en tant que substance extrêmement préoccupante et son inscription sur la liste des substances candidates.

185    Quatrièmement, la requérante affirme que le Tribunal aurait dû répondre à l’argument soulevé au point 126 de sa requête selon lequel non seulement les intermédiaires soumis à des conditions strictement contrôlées peuvent être enregistrés avec des informations limitées, par rapport à l’enregistrement des substances, mais les intermédiaires isolés restant sur le site qui sont utilisés dans des conditions strictement contrôlées sont également explicitement exemptés de l’évaluation de la substance au titre de l’article 49 du règlement REACH. Si les intermédiaires étaient simplement des utilisations de substances, comme le prétend l’ECHA, ces exemptions spécifiques pourraient être attachées à leurs obligations réglementaires, sans qu’il soit possible de les expliquer.

186    Cinquièmement, la requérante soutient avoir soulevé un argument, au point 127 de sa requête par lequel elle a expliqué que, pour l’enregistrement des monomères, qui sont par définition des intermédiaires, les exemptions prévues aux articles 17 et 18 du règlement REACH ne sont pas applicables et que les données relatives à tous les paramètres utiles sont requises pour leur enregistrement même s’ils sont fabriqués dans des conditions strictement contrôlées. Ces conditions ne modifieraient en rien la nature particulière des intermédiaires dans le cadre de ce règlement.

187    Enfin, la requérante conteste le rejet par le Tribunal de son sixième moyen tiré de la violation du principe de proportionnalité par l’ECHA. Même si dans des applications très mineures, le bisphénol A n’est pas destiné à être transformé en une autre substance, ces utilisations représenteraient de faibles volumes et seraient très contemporaines. En effet, la principale utilisation non intermédiaire du bisphénol A ferait déjà l’objet de restrictions et d’une inscription dans l’annexe XVII du règlement REACH.

188    L’ECHA, la République française et la République fédérale d’Allemagne considèrent le quatrième moyen comme étant non fondé alors que ClientEarth le considère comme étant en partie irrecevable et en partie non fondé.

 Appréciation de la Cour

189    En ce qui concerne le grief tiré de la prétendue interprétation erronée de l’article 2, paragraphe 8, sous b), du règlement REACH et de la violation de l’obligation de motivation à cet égard, il y a lieu de relever que, aux points 196 à 198 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a cité les points 59, 62 et 63 de l’arrêt du 25 octobre 2017, PPG et SNF/ECHA (C‑650/15 P, EU:C:2017:802).

190    Il convient de rappeler que, au point 63 de l’arrêt du 25 octobre 2017, PPG et SNF/ECHA (C‑650/15 P, EU:C:2017:802), la Cour a jugé que l’exemption prévue à l’article 2, paragraphe 8, sous b), du règlement REACH n’est pas applicable aux dispositions du titre VII de ce règlement qui régissent les substances en fonction de leurs propriétés intrinsèques et que ladite disposition ne s’oppose donc pas à ce qu’une substance puisse être identifiée comme extrêmement préoccupante sur la base des critères prévus à l’article 57 dudit règlement, et ce quand bien même elle ne serait utilisée que comme intermédiaire isolé restant sur le site ou comme intermédiaire isolé transporté.

191    Étant donné que le Tribunal a fait reposer son interprétation de l’article 2, paragraphe 8, sous b), du règlement REACH sur la jurisprudence de la Cour pertinente pour répondre à la question de savoir si une substance telle que le bisphénol A, au sujet de laquelle la requérante a soutenu, dans le cadre de son cinquième moyen devant le Tribunal, qu’elle est principalement fabriquée et utilisée sur le territoire de l’Union en tant qu’intermédiaire, est exemptée des exigences figurant sous le titre VII du règlement REACH, notamment celles figurant à l’article 57, sous f), de ce règlement, le Tribunal n’a pas erronément interprété cet article 2, paragraphe 8, sous b), et a permis à la requérante de connaître les raisons pour lesquelles il a rejeté son cinquième moyen, si bien qu’il n’a pas violé son obligation de motivation.

192    Partant, les griefs tirés de l’interprétation erronée de l’article 2, paragraphe 8, sous b), du règlement REACH et de la violation de l’obligation de motivation de l’arrêt attaqué doivent être rejetés comme étant non fondés.

193    S’agissant du grief tiré de ce que le Tribunal a rejeté le sixième moyen de la requête tiré de la violation du principe de proportionnalité, il convient de relever que, par ce grief, la requérante vise à obtenir un simple réexamen de l’analyse effectuée par le Tribunal, sans invoquer une erreur de droit qu’aurait commise celui-ci.

194    Dès lors, ledit grief doit être rejeté comme étant irrecevable.

195    Il s’ensuit que le quatrième moyen doit être rejeté comme étant en partie irrecevable et en partie non fondé.

196    Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que le pourvoi doit être rejeté dans son ensemble.

 Sur les dépens

197    En vertu de l’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure, lorsque le pourvoi n’est pas fondé, la Cour statue sur les dépens. L’article 138, paragraphe 1, de ce règlement, rendu applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de celui-ci, dispose que toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

198    L’article 140, paragraphe 1, du même règlement, rendu applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de celui-ci, prévoit que les États membres qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dépens.

199    L’article 184, paragraphe 4, du règlement de procédure dispose que, lorsqu’elle n’a pas, elle-même, formé le pourvoi, une partie intervenante en première instance ne peut être condamnée aux dépens dans la procédure de pourvoi que si elle a participé à la phase écrite ou orale de la procédure devant la Cour. Lorsqu’une telle partie participe à la procédure, la Cour peut décider qu’elle supporte ses propres dépens.

200    L’ECHA et ClientEarth ayant conclu à la condamnation de PlasticsEurope et cette dernière ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.

201    La République française ayant participé à la phase écrite devant la Cour mais n’ayant pas conclu à la condamnation de PlasticsEurope supportera ses propres dépens.

202    La République fédérale d’Allemagne supportera ses propres dépens.

Par ces motifs, la Cour (neuvième chambre) déclare et arrête :

1)      Le pourvoi est rejeté.

2)      PlasticsEurope AISBL est condamnée à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA) et ClientEarth.

3)      La République française et la République fédérale d’Allemagne supportent leurs propres dépens.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.