ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)

21 avril 2016 (*)

«Renvoi préjudiciel – Directive 2003/86/CE – Article 7, paragraphe 1, sous c) – Regroupement familial – Conditions requises pour l’exercice du droit au regroupement familial – Ressources stables, régulières et suffisantes – Réglementation nationale permettant une évaluation prospective de la probabilité que le regroupant conservera ses ressources – Compatibilité»

Dans l’affaire C‑558/14,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Tribunal Superior de Justicia del País Vasco (Cour supérieure de justice du Pays basque, Espagne), par décision du 5 novembre 2014, parvenue à la Cour le 5 décembre 2014, dans la procédure

Mimoun Khachab

contre

Subdelegación del Gobierno en Álava,

LA COUR (quatrième chambre),

composée de M. T. von Danwitz, président de chambre, MM. C. Lycourgos (rapporteur) et C. Vajda, juges,

avocat général: M. P. Mengozzi,

greffier: M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées:

–        pour le gouvernement espagnol, par M. L. Banciella Rodríguez-Miñón, en qualité d’agent,

–        pour le gouvernement allemand, par MM. T. Henze et B. Beutler, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement français, par MM. D. Colas et F.‑X. Bréchot, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement hongrois, par MM. G. Szima et M. Z. Fehér, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement néerlandais, par Mmes M. Bulterman et B. Koopman, en qualité d’agents,

–        pour la Commission européenne, par Mmes M. Condou-Durande et L. Lozano Palacios, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 23 décembre 2015,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 7, paragraphe 1, sous c), de la directive 2003/86/CE du Conseil, du 22 septembre 2003, relative au droit au regroupement familial (JO L 251, p. 12).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant M. Khachab à la Subdelegación del Gobierno en Álava (représentation du gouvernement dans la province de Álava, ci-après la «représentation du gouvernement»), au sujet du refus opposé à M. Khachab d’approuver sa demande de titre de séjour temporaire au titre du regroupement familial en faveur de sa conjointe.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

3        Les considérants 2, 4 et 6 de la directive 2003/86 sont libellés comme suit:

«(2)      Les mesures concernant le regroupement familial devraient être adoptées en conformité avec l’obligation de protection de la famille et de respect de la vie familiale qui est consacrée dans de nombreux instruments du droit international. La présente directive respecte les droits fondamentaux et observe les principes qui sont reconnus notamment par l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales [, signée à Rome le 4 novembre 1950, ] et par la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne [ci-après la ‘Charte’].

[...]

(4)      Le regroupement familial est un moyen nécessaire pour permettre la vie en famille. Il contribue à la création d’une stabilité socioculturelle facilitant l’intégration des ressortissants de pays tiers dans les États membres, ce qui permet par ailleurs de promouvoir la cohésion économique et sociale, objectif fondamental de la Communauté [européenne] énoncé dans le traité [CE].

[...]

(6)      Afin d’assurer la protection de la famille ainsi que le maintien ou la création de la vie familiale, il importe de fixer, selon des critères communs, les conditions matérielles pour l’exercice du droit au regroupement familial.»

4        Aux termes de l’article 1er de la directive 2003/86, «[l]e but de la présente directive est de fixer les conditions dans lesquelles est exercé le droit au regroupement familial dont disposent les ressortissants de pays tiers résidant légalement sur le territoire des États membres».

5        L’article 3, paragraphe 1, de cette directive dispose:

«La présente directive s’applique lorsque le regroupant est titulaire d’un titre de séjour délivré par un État membre d’une durée de validité supérieure ou égale à un an, ayant une perspective fondée d’obtenir un droit de séjour permanent, si les membres de sa famille sont des ressortissants de pays tiers, indépendamment de leur statut juridique.»

6        Conformément à l’article 4, paragraphe 1, sous a), de la directive 2003/86, les États membres autorisent l’entrée et le séjour, notamment du conjoint du regroupant, conformément à ladite directive et sous réserve du respect des conditions visées au chapitre IV de celle-ci ainsi qu’à l’article 16 de cette dernière.

7        Sous le chapitre IV, intitulé «Conditions requises pour l’exercice du droit au regroupement familial», de la directive 2003/86, l’article 7, paragraphe 1, de celle-ci dispose:

«Lors du dépôt de la demande de regroupement familial, l’État membre concerné peut exiger de la personne qui a introduit la demande de fournir la preuve que le regroupant dispose:

a)      d’un logement considéré comme normal pour une famille de taille comparable dans la même région et qui répond aux normes générales de salubrité et de sécurité en vigueur dans l’État membre concerné;

b)      d’une assurance maladie couvrant l’ensemble des risques normalement couverts pour ses propres ressortissants dans l’État membre concerné, pour lui-même et les membres de sa famille;

c)      de ressources stables, régulières et suffisantes pour subvenir à ses propres besoins et à ceux des membres de sa famille sans recourir au système d’aide sociale de l’État membre concerné. Les États membres évaluent ces ressources par rapport à leur nature et leur régularité et peuvent tenir compte du niveau des rémunérations et des pensions minimales nationales ainsi que du nombre de membres que compte la famille.»

8        L’article 15, paragraphe 1, de cette directive prévoit:

«Au plus tard après cinq ans de résidence et dans la mesure où les membres de la famille n’ont pas reçu de titre de séjour pour d’autres motifs que le regroupement familial, le conjoint ou le partenaire non marié et l’enfant devenu majeur ont droit, au besoin sur demande, à un titre de séjour autonome, indépendant de celui du regroupant.»

9        L’article 16, paragraphe 1, sous a), de ladite directive est libellé comme suit:

«Les États membres peuvent rejeter une demande d’entrée et de séjour aux fins du regroupement familial ou, le cas échéant, retirer le titre de séjour d’un membre de la famille ou refuser de le renouveler dans un des cas suivants:

a)      lorsque les conditions fixées par la présente directive ne sont pas ou plus remplies.»

10      Aux termes de l’article 17 de cette même directive:

«Les États membres prennent dûment en considération la nature et la solidité des liens familiaux de la personne et sa durée de résidence dans l’État membre, ainsi que l’existence d’attaches familiales, culturelles ou sociales avec son pays d’origine, dans les cas de rejet d’une demande, de retrait ou de non-renouvellement du titre de séjour, ainsi qu’en cas d’adoption d’une mesure d’éloignement du regroupant ou des membres de sa famille.»

 Le droit espagnol

11      La loi organique 4/2000 sur les droits et libertés des étrangers en Espagne et leur intégration sociale (Ley Orgánica 4/2000 sobre derechos y libertades de los extranjeros en España y su integración social), du 11 janvier 2000 (BOE no 10, du 12 janvier 2000), dans sa version applicable au litige au principal (ci-après la «loi organique 4/2000»), dispose, à son article 16, paragraphes 1 et 2:

«1.      Les étrangers résidents ont droit à une vie de famille et à l’intimité de celle‑ci dans la forme prévue par la présente loi organique et conformément aux dispositions des traités internationaux ratifiés par l’Espagne.

2.      Les étrangers résidant en Espagne ont droit au regroupement des membres de leur famille visés à l’article 17.»

12      L’article 17, paragraphe 1, sous a), de cette loi organique énonce:

«L’étranger résident a droit au regroupement familial en Espagne des membres de sa famille suivants:

a)      le conjoint du résident, à condition qu’il ne soit séparé ni en fait ni en droit et que le mariage n’ait pas été contracté en fraude de la loi. [...]»

13      Sous le titre «Conditions du regroupement familial», l’article 18 de la loi organique 4/2000 dispose, à son paragraphe 2:

«Le regroupant devra démontrer, dans les conditions fixées par voie réglementaire, qu’il dispose d’un logement adéquat et de ressources suffisantes pour subvenir à ses propres besoins et à ceux de sa famille une fois regroupée.

Pour le calcul des revenus aux fins du regroupement, ne sont pas prises en considération les ressources provenant du régime de l’assistance sociale, mais sont pris en compte les autres revenus fournis par leur conjoint résidant en Espagne et vivant avec le regroupant.

[...]»

14      Le décret royal 557/2011, du 20 avril 2011, a approuvé le règlement de la loi organique 4/2000, telle que modifiée par la loi organique 2/2009 (BOE no 103, du 30 avril 2011). L’article 54 de ce règlement, intitulé «Ressources dont un étranger doit démontrer qu’il dispose pour pouvoir obtenir un permis de séjour en vue du regroupement des membres de sa famille», prévoit:

«1.      L’étranger qui demande un permis de séjour en vue du regroupement des membres de sa famille devra présenter, au moment du dépôt de sa demande, les documents attestant qu’il dispose de ressources suffisantes pour subvenir aux besoins de sa famille, y compris en matière de soins médicaux en cas de non-couverture par la sécurité sociale, ressources dont le montant minimum au moment du dépôt de la demande sera libellé ci-après en euros ou en son équivalent légal en monnaie étrangère, en fonction du nombre de personnes qu’il désire regrouper en tenant compte également des membres de sa famille qui vivent déjà avec lui en Espagne et dont il a la charge:

a)      Dans le cas d’unités familiales comportant deux membres, dont le regroupant et la personne bénéficiant du regroupement familial lorsqu’elle arrive en Espagne: un revenu représentant 150 % de l’[indicateur public de la rente à effets multiples (IPREM)] par mois.

[...]

2.      Le permis de séjour sera refusé s’il est établi avec certitude qu’il n’existe pas une perspective de maintien des ressources durant l’année suivant la date de présentation de la demande. Pour le déterminer, la prévision de maintien d’une source de revenus durant l’année en question sera évaluée en tenant compte de l’évolution des ressources que le regroupant a perçues au cours des six mois précédant la date de présentation de la demande.

[...]»

 Le litige au principal et la question préjudicielle

15      M. Khachab, ressortissant d’un pays tiers, résidant en Espagne, est titulaire d’un permis de séjour de longue durée dans cet État membre. Il a demandé, le 20 février 2012, aux autorités espagnoles un permis de séjour temporaire au titre du regroupement familial en faveur de son épouse, Mme Aghadar. Par décision du 26 mars 2012, la représentation du gouvernement a rejeté sa demande au motif que M. Khachab n’avait pas démontré qu’il disposait de ressources suffisantes pour subvenir aux besoins de sa famille une fois regroupée.

16      M. Khachab a alors introduit un recours administratif contre cette décision devant la représentation du gouvernement, qui a été rejeté par décision du 25 mai 2012, pour les motifs suivants:

«[...] À l’appui de sa demande, [M. Khachab] a présenté le contrat de travail à durée déterminée qu’il avait conclu avec l’entreprise ‘Construcciones y distribuciones constru-label SL’. Le système d’information du travail de la sécurité sociale a néanmoins fait apparaître qu’il avait cessé de travailler pour cette entreprise le 1er mars 2012, qu’il n’avait travaillé que 15 jours cette année-là et 48 sur toute l’année 2011. Il résulte de ce qui précède que, à la date à laquelle la décision a été adoptée, il n’avait aucune activité professionnelle, ce qui est toujours le cas, et qu’il n’avait pas démontré qu’il disposait de ressources suffisantes pour subvenir aux besoins de sa famille une fois regroupée. À la même date, rien n’indiquait qu’il disposerait de pareilles ressources pour l’année suivant la présentation de la demande de regroupement familial. Aucune des conditions d’octroi du permis de séjour pour regroupement familial n’était donc remplie.»

17      M. Khachab a alors saisi le Juzgado de lo Contencioso-Administrativo no 1 de Vitoria-Gasteiz (tribunal administratif au niveau provincial no 1 de Vitoria-Gasteiz) d’un recours contre cette décision. Par jugement du 29 janvier 2013, cette juridiction a confirmé ladite décision en se fondant essentiellement sur les mêmes motifs que ceux figurant dans la décision du 26 mars 2012.

18      M. Khachab a alors interjeté appel de ce jugement devant le Tribunal Superior de Justicia del País Vasco (Cour supérieure de justice du Pays basque). À l’appui de son recours, M. Khachab affirme que la juridiction de première instance n’a pas tenu compte d’un fait nouveau sur lequel il avait attiré son attention au cours de la procédure, selon lequel, depuis le 26 novembre 2012, il travaille pour une entreprise agricole à la récolte d’agrumes et dispose, de ce fait, d’un travail qui lui apporte des revenus suffisants. Il ajoute qu’il est titulaire d’un permis de séjour de longue durée et qu’il est marié avec Mme Aghadar depuis l’année 2009. Il affirme, en outre, qu’il dispose d’un logement adéquat et qu’il a versé des cotisations en Espagne pendant plus de cinq ans. Par ailleurs, il considère qu’il convient de tenir compte de la conjoncture économique actuelle, dans laquelle il serait extrêmement difficile de disposer effectivement d’un travail de manière continue.

19      À cet égard, la juridiction de renvoi nourrit des doutes quant à l’interprétation de l’article 7, paragraphe 1, sous c), de la directive 2003/86, selon lequel le droit au regroupement familial est conditionné par le fait que, lors du dépôt de la demande de regroupement, «le regroupant dispose de ressources stables, régulières et suffisantes». Elle s’interroge, en particulier, sur la compatibilité avec cette disposition de la réglementation espagnole, qui permet aux autorités nationales de refuser le bénéfice du regroupement familial, et ainsi la délivrance d’un titre de séjour temporaire à un membre de la famille du regroupant, lorsque, sur le fondement de l’évolution des revenus de celui-ci au cours des six mois qui ont précédé la date de dépôt de la demande de regroupement familial, il est probable que ce dernier ne pourra pas conserver, durant l’année suivant cette date, le même niveau de ressources que celui dont il disposait à ladite date.

20      Selon la juridiction de renvoi, la version en langue espagnole ainsi que les versions en langues anglaise et française de l’article 7, paragraphe 1, sous c), de la directive 2003/86 emploieraient le verbe «disposer» à l’indicatif présent et non au futur. De ce fait, cette juridiction se demande si, aux fins de pouvoir bénéficier du regroupement familial, il convient de rechercher si le regroupant doit disposer, à la date du dépôt de la demande de regroupement, de «ressources stables, régulières et suffisantes» ou s’il peut être tenu compte du fait qu’il en disposera encore au cours de l’année suivant cette date.

21      Dans ces conditions, le Tribunal Superior de Justicia del País Vasco (Cour supérieure de justice du Pays basque) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

«L’article 7, paragraphe 1, sous c), de la directive [2003/86] doit-il être interprété en ce sens qu’il fait obstacle à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, qui permet de refuser le regroupement familial lorsque le regroupant ne dispose pas de revenus stables, réguliers et suffisants pour subvenir à ses propres besoins et à ceux des membres de sa famille, les autorités nationales fondant leur refus sur une évaluation prospective de la probabilité que le regroupant conservera ses ressources durant l’année suivant la date de dépôt de la demande et sur l’évolution de ses revenus au cours des six mois qui ont précédé ce dépôt?»

 Sur la question préjudicielle

22      Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 7, paragraphe 1, sous c), de la directive 2003/86 doit être interprété en ce sens qu’il permet aux autorités compétentes d’un État membre de fonder le refus d’une demande de regroupement familial sur une évaluation prospective de la probabilité de maintien ou non des ressources stables, régulières et suffisantes dont doit disposer le regroupant pour subvenir à ses propres besoins et à ceux des membres de sa famille sans recourir au système d’aide sociale de cet État membre, durant l’année suivant la date de dépôt de cette demande, cette évaluation étant fondée sur l’évolution des revenus du regroupant au cours des six mois qui ont précédé cette date.

23      Conformément à l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2003/86, les États membres autorisent l’entrée et le séjour, notamment du conjoint du regroupant aux fins du regroupement familial, dans la mesure où les conditions visées au chapitre IV de cette directive, intitulé «Conditions requises pour l’exercice du droit au regroupement familial», sont respectées.

24      Parmi les conditions visées à ce chapitre IV, l’article 7, paragraphe 1, sous c), de ladite directive permet aux États membres d’exiger la preuve que le regroupant dispose de ressources stables, régulières et suffisantes pour subvenir à ses propres besoins et à ceux des membres de sa famille, sans recourir au système d’aide sociale de l’État membre concerné. Cette même disposition précise que les États membres évaluent ces ressources par rapport à leur nature et à leur régularité et peuvent tenir compte du niveau des rémunérations et des pensions minimales nationales ainsi que du nombre de membres que compte la famille.

25      La Cour a déjà jugé que l’autorisation du regroupement familial étant la règle générale, la faculté prévue à l’article 7, paragraphe 1, sous c), de la directive 2003/86 doit être interprétée de manière stricte. La marge de manœuvre reconnue aux États membres ne doit donc pas être utilisée par ceux-ci d’une manière qui porterait atteinte à l’objectif de cette directive et à l’effet utile de celle-ci (arrêt O e.a., C‑356/11 et C‑357/11, EU:C:2012:776, point 74 ainsi que jurisprudence citée).

26      Il ressort, à cet égard, du considérant 4 de la directive 2003/86 que celle-ci a pour objectif général de faciliter l’intégration des ressortissants de pays tiers dans les États membres en permettant une vie de famille grâce au regroupement familial (voir Parlement/Conseil, C‑540/03, EU:C:2006:429, point 69).

27      En outre, la Cour a déjà jugé que l’article 7, paragraphe 1, sous c), de la directive 2003/86 ne saurait être appliqué d’une manière telle que cette application méconnaîtrait les droits fondamentaux énoncés, notamment, à l’article 7 de la Charte (voir arrêt O e.a., C‑356/11 et C‑357/11, EU:C:2012:776, point 77).

28      Si cet article 7 de la Charte ne saurait être interprété en ce sens qu’il prive les États membres de la marge d’appréciation dont ils disposent lorsqu’ils examinent des demandes de regroupement familial, les dispositions de la directive 2003/86 doivent, cependant, être interprétées et appliquées au cours de cet examen, notamment, à la lumière dudit article 7 de la Charte, ainsi qu’il ressort d’ailleurs des termes du considérant 2 de cette directive, qui imposent aux États membres d’examiner les demandes de regroupement aux fins de favoriser la vie familiale (voir, en ce sens, arrêt O e.a., C‑356/11 et C‑357/11, EU:C:2012:776, points 79 ainsi que 80).

29      C’est au regard des éléments susmentionnés qu’il convient, en premier lieu, de déterminer si l’article 7, paragraphe 1, sous c), de la directive 2003/86 doit être interprété en ce sens qu’il permet à l’autorité compétente de cet État membre d’évaluer le maintien de la condition relative aux ressources stables, régulières et suffisantes du regroupant, au-delà de la date de dépôt de ladite demande.

30      Si cette disposition ne prévoit pas expressément une telle faculté, il découle toutefois de la lettre même de celle-ci, et notamment de l’emploi des termes «stables» et «régulières», que ces ressources financières doivent présenter une certaine permanence et une certaine continuité. À cet égard, aux termes de la seconde phrase de l’article 7, paragraphe 1, sous c), de la directive 2003/86, les États membres évaluent lesdites ressources par rapport, notamment, à leur «régularité», ce qui implique une analyse périodique de l’évolution de celles-ci.

31      Il résulte ainsi de l’article 7, paragraphe 1, sous c), de la directive 2003/86 que son libellé ne saurait être interprété comme s’opposant à ce que l’autorité compétente de l’État membre concerné par une demande de regroupement familial puisse examiner si la condition de ressources du regroupant est remplie en tenant compte d’une évaluation quant au maintien de ces ressources au-delà de la date de dépôt de cette demande.

32      Cette interprétation n’est pas contredite par la circonstance, soulevée par la juridiction de renvoi, que l’article 7, paragraphe 1, de la directive 2003/86 utilise le présent de l’indicatif, lorsqu’il prévoit que l’État membre concerné peut exiger de la personne qui a introduit la demande de regroupement familial qu’elle fournisse la preuve que le regroupant «dispose» des éléments énumérés à ce paragraphe 1, sous a) à c). En effet, le regroupant doit prouver qu’il dispose de tous ces éléments, dont notamment des «ressources suffisantes», au moment où sa demande de regroupement familial est examinée, ce qui justifie l’utilisation du présent de l’indicatif. Cependant, dans la mesure où il ressort des termes de l’article 7, paragraphe 1, sous c), de cette directive que les ressources du regroupant doivent être non seulement «suffisantes», mais également «stables et régulières», de telles exigences impliquent un examen prospectif desdites ressources de la part de l’autorité nationale compétente.

33      Cette interprétation est corroborée par l’article 7, paragraphe 1, sous a) et b), de la directive 2003/86. En effet, il importe de souligner que les conditions relatives à la possession d’un «logement considéré comme normal» et d’une «assurance maladie», prévues, respectivement, auxdits points a) et b) de cette disposition, doivent également être interprétées en ce sens qu’elles confèrent aux États membres, aux fins d’assurer une stabilité et une permanence du regroupant sur leur territoire, la faculté de se fonder, lors de l’examen de la demande de regroupement familial, sur la probabilité que ce regroupant continuera à remplir ces conditions au-delà de la date de dépôt de la demande de regroupement familial.

34      L’interprétation de l’article 7, paragraphe 1, sous c), de la directive 2003/86 exposée au point 31 du présent arrêt est également confortée par les articles 3, paragraphe 1, et 16, paragraphe 1, sous a), de ladite directive.

35      En effet, d’une part, cet article 3, paragraphe 1, de la directive 2003/86 limite le champ d’application personnel de cette directive au regroupant qui a obtenu un titre de séjour d’au moins un an et qui a une perspective fondée d’obtenir un titre de séjour permanent. Or, l’évaluation de l’existence d’une telle perspective exige nécessairement que l’autorité compétente de l’État membre concerné effectue un examen de l’évolution future de la situation du regroupant par rapport à l’obtention dudit titre de séjour.

36      Dans ces conditions, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 33 de ses conclusions, une interprétation de l’article 7, paragraphe 1, sous c), de la directive 2003/86 selon laquelle ladite autorité ne pourrait effectuer une évaluation du maintien des ressources stables, régulières et suffisantes du regroupant au-delà de la date de dépôt de la demande de regroupement ne serait pas cohérente avec le système prévu par cette directive.

37      D’autre part, il importe de souligner que, lorsque les conditions fixées par la directive 2003/86 ne sont plus remplies, l’article 16, paragraphe 1, sous a), de celle-ci permet aux États membres de retirer le titre de séjour d’un membre de la famille ou de refuser de le renouveler.

38      Selon cette disposition, l’autorité compétente de l’État membre concerné peut ainsi, notamment, retirer l’autorisation de regroupement familial lorsque le regroupant ne dispose plus de ressources stables, régulières et suffisantes, au sens dudit article 7, paragraphe 1, sous c). Une telle possibilité de retrait de cette autorisation implique que cette autorité puisse exiger que le regroupant dispose de ces ressources au-delà de la date de dépôt de sa demande.

39      Il convient, enfin, de relever que cette interprétation est confirmée par l’objectif de cet article 7, paragraphe 1, de la directive 2003/86. En effet, la preuve de la condition de ressources, prévue au point c) de ce paragraphe 1, permet à l’autorité compétente de s’assurer que, une fois le regroupement familial effectué, tant le regroupant que les membres de sa famille ne risquent pas de devenir, pendant leur séjour, une charge pour le système d’aide sociale de l’État membre concerné (voir, en ce sens, arrêt Chakroun, C‑578/08, EU:C:2010:117, point 46).

40      Il résulte de ce qui précède que la faculté prévue à l’article 7, paragraphe 1, sous c), de la directive 2003/86 implique nécessairement que l’autorité compétente de l’État membre concerné évalue de manière prospective le maintien des ressources stables, régulières et suffisantes du regroupant au-delà de la date de dépôt de la demande de regroupement familial.

41      Eu égard à cette conclusion, il convient, en second lieu, de s’interroger sur la question de savoir si cette disposition permet à l’autorité compétente de l’État membre concerné de subordonner l’autorisation du regroupement familial à la probabilité de maintien de ces ressources durant l’année suivant la date de dépôt de la demande de regroupement, en tenant compte des revenus du regroupant au cours des six mois qui ont précédé cette date.

42      Il convient de relever, à cet égard, que, conformément au principe de proportionnalité, qui fait partie des principes généraux du droit de l’Union, les moyens mis en œuvre par la réglementation nationale transposant l’article 7, paragraphe 1, sous c), de la directive 2003/86 doivent être aptes à réaliser les objectifs visés par cette réglementation et ne doivent pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour les atteindre (voir, s’agissant de l’article 7, paragraphe 2, de la directive 2003/86, arrêt K et A, C‑153/14, EU:C:2015:453, point 51).

43      Il convient, enfin, de rappeler qu’il découle de la jurisprudence de la Cour que l’article 17 de la directive 2003/86 impose une individualisation de l’examen des demandes de regroupement (arrêts Chakroun, C‑578/08, EU:C:2010:117, point 48, ainsi que K et A, C‑153/14, EU:C:2015:453, point 60) et que les autorités nationales compétentes, lors de la mise en œuvre de la directive 2003/86 et de l’examen des demandes de regroupement familial, doivent procéder à une appréciation équilibrée et raisonnable de tous les intérêts en jeu (voir, en ce sens, arrêt O e.a., C‑356/11 et C‑357/11, EU:C:2012:776, point 81).

44      En l’espèce, l’article 54, paragraphe 2, premier alinéa, du décret royal 557/2011 prévoit que le permis de séjour en vue du regroupement familial sera refusé s’il est établi avec certitude qu’il n’existe pas une perspective de maintien des ressources durant l’année suivant la date de présentation de la demande. Cette disposition indique que la prévision de maintien d’une source de revenus durant ladite année sera évaluée en tenant compte de l’évolution des ressources que le regroupant a perçues au cours des six mois précédant la date de présentation de cette demande.

45      Il y a lieu, à cet égard, de relever que la durée d’une année, pendant laquelle le regroupant devrait vraisemblablement disposer des ressources suffisantes, présente un caractère raisonnable et ne va pas au‑delà de ce qui est nécessaire afin de permettre d’évaluer, de manière individuelle, le risque potentiel que le regroupant ait à recourir au système d’aide sociale de cet État une fois le regroupement familial effectué. En effet, cette période d’un an correspond à la durée de validité du titre de séjour dont le regroupant doit, au moins, disposer, en vertu de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2003/86, pour pouvoir demander le regroupement familial. En outre, selon l’article 16, paragraphe 1, sous a), de celle-ci, les autorités compétentes de l’État membre concerné ont la faculté de retirer le permis de séjour du membre de la famille du regroupant si le regroupant ne dispose plus de ressources stables, régulières et suffisantes pendant la durée du séjour de ce membre de la famille et jusqu’à ce que ce dernier obtienne un titre de séjour autonome, soit, conformément à l’article 15, paragraphe 1, de la directive 2003/86, au plus tard après cinq ans de résidence dans cet État membre.

46      En ce qui concerne l’application de l’obligation de proportionnalité au niveau national, il convient également de tenir compte de la circonstance que, selon les termes de l’article 54, paragraphe 2, premier alinéa, du décret royal 557/2011, l’autorité nationale compétente ne peut refuser le permis de séjour en vue du regroupement familial que s’il est établi «avec certitude» que le regroupant ne pourra pas conserver les ressources suffisantes durant l’année suivant la date de présentation de sa demande. Cette disposition n’impose ainsi au regroupant qu’une exigence de maintien prévisible de ses ressources pour lui permettre d’obtenir ledit permis de séjour en vue du regroupement familial.

47      S’agissant de la fixation à six mois de la période antérieure au dépôt de la demande sur laquelle peut se fonder l’évaluation prospective des ressources du regroupant, il convient de constater que la directive 2003/86 ne contient aucune précision sur ce point. En tout état de cause, une telle période n’est pas susceptible de porter atteinte à l’objectif de cette directive.

48      Par conséquent, il découle de tout ce qui précède que l’article 7, paragraphe 1, sous c), de la directive 2003/86 doit être interprété en ce sens qu’il permet aux autorités compétentes d’un État membre de fonder le refus d’une demande de regroupement familial sur une évaluation prospective de la probabilité de maintien ou non des ressources stables, régulières et suffisantes dont doit disposer le regroupant pour subvenir à ses propres besoins et à ceux des membres de sa famille sans recourir au système d’aide sociale de cet État membre, durant l’année suivant la date de dépôt de cette demande, cette évaluation étant fondée sur l’évolution des revenus du regroupant au cours des six mois qui ont précédé cette date.

 Sur les dépens

49      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) dit pour droit:

L’article 7, paragraphe 1, sous c), de la directive 2003/86/CE du Conseil, du 22 septembre 2003, relative au droit au regroupement familial, doit être interprété en ce sens qu’il permet aux autorités compétentes d’un État membre de fonder le refus d’une demande de regroupement familial sur une évaluation prospective de la probabilité de maintien ou non des ressources stables, régulières et suffisantes dont doit disposer le regroupant pour subvenir à ses propres besoins et à ceux des membres de sa famille sans recourir au système d’aide sociale de cet État membre, durant l’année suivant la date de dépôt de cette demande, cette évaluation étant fondée sur l’évolution des revenus du regroupant au cours des six mois qui ont précédé cette date.

Signatures


* Langue de procédure: l’espagnol.