ORDONNANCE DE LA COUR (sixième chambre)

7 septembre 2017 (*)

« Pourvoi – Article 181 du règlement de procédure de la Cour – Marque de l’Union européenne – Demande d’enregistrement de la marque figurative Natural Instinct Dog and Cat food as nature intended − Procédure d’opposition – Usage sérieux de la marque antérieure »

Dans l’affaire C‑218/17 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 26 avril 2017,

Natural Instinct Ltd, établie à Camberley (Royaume-Uni), représentée par Mes C. Spintig et S. Pietzcker, Rechtsanwälte, ainsi que par M. B. Brandreth, barrister,

partie requérante,

les autres parties à la procédure étant :

M. I. Industries, Inc., établie à Lincoln (États-Unis),

partie demanderesse en première instance,

Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO),

partie défenderesse en première instance,

LA COUR (sixième chambre),

composée de M. E. Regan, président de chambre, MM. J.‑C. Bonichot (rapporteur) et C.G. Fernlund, juges,

avocat général : M. P. Mengozzi,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de statuer par voie d’ordonnance motivée, conformément à l’article 181 du règlement de procédure de la Cour,

rend la présente

Ordonnance

1        Par son pourvoi, Natural Instinct Ltd demande l’annulation partielle de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne, du 15 février 2017, M. I. Industries/EUIPO – Natural Instinct (Natural Instinct Dog and Cat food as nature intended) (T‑30/16, non publié, ci-après l’« arrêt attaqué », EU:T:2017:77), en ce que celui-ci a annulé la décision de la cinquième chambre de recours de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), du 26 novembre 2015 (affaire R 2944/2014-5), relative à une procédure d’opposition entre M. I. Industries et Natural Instinct (ci-après la « décision litigieuse »), pour autant qu’elle a conclu à l’absence d’usage sérieux de la marque verbale antérieure INSTINCT (ci-après la « marque antérieure »).

2        À l’appui de son pourvoi, Natural Instinct soulève deux moyens tirés, le premier, d’une interprétation erronée de la décision litigieuse et, le second, d’erreurs dans l’appréciation des éléments de preuve ainsi que d’un défaut de motivation.

 Sur le pourvoi

3        En vertu de l’article 181 de son règlement de procédure, lorsque le pourvoi est, en tout ou en partie, manifestement irrecevable ou manifestement non fondé, la Cour peut, à tout moment, sur proposition du juge rapporteur, l’avocat général entendu, décider de rejeter ce pourvoi, totalement ou partiellement, par voie d’ordonnance motivée.

4        M. l’avocat général a, le 10 juillet 2017, pris la position suivante :

« 1.      Pour les raisons que je vais évoquer ci-après, je propose à la Cour de rejeter le pourvoi dans la présente affaire, en application de l’article 181 du règlement de procédure de la Cour, comme étant en partie manifestement irrecevable et en partie manifestement non fondé et de décider que Natural Instinct supportera ses propres dépens, conformément à l’article 137 de ce règlement, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, du même règlement.

2.      Par son premier moyen, dirigé contre les points 29 et 31 de l’arrêt attaqué, Natural Instinct reproche au Tribunal d’avoir mal interprété le raisonnement de la chambre de recours dans la décision litigieuse. Ce moyen est, à mon sens, manifestement non fondé.

3.      Tout d’abord, contrairement à ce que prétend Natural Instinct, la chambre de recours n’a pas confirmé, fut-ce de manière implicite, la conclusion de la division d’opposition, reproduite au point 33 de la décision litigieuse, selon laquelle les éléments de preuve apportés par M. I. Industries (ci-après l’“opposante”) afin de démontrer l’usage sérieux de la marque antérieure ne fournissaient pas suffisamment d’informations sur le volume commercial, l’étendue territoriale, la durée, et la fréquence de l’usage de cette marque dans l’Union européenne.

4.      Ensuite, il résulte du point 34 de la décision litigieuse que, ainsi que l’a souligné le Tribunal au point 29 de l’arrêt attaqué, la chambre de recours s’est focalisée sur la nature de l’usage de la marque antérieure et, notamment, sur la question de savoir si celle-ci avait été utilisée publiquement et vers l’extérieur. Dans ce contexte, la chambre de recours a relevé, toujours au point 34 de la décision litigieuse, que pas la “moindre preuve“ n’avait été apportée, que ce soit devant elle ou devant la division d’opposition, de ce que les produits livrés par l’opposante à son distributeur en Allemagne, la société Cats’ Country, avaient été réellement écoulés sur le marché allemand. Au point 36 de cette décision, la chambre de recours a réitéré qu’aucun exemple de “ventes ou de distributions à d’autres endroits en Allemagne ou ailleurs” n’avait été apporté par l’opposante, bien que de tels éléments “auraient dû être faciles à présenter, compte tenu de l’importance revendiquée des ventes sous [la marque antérieure] aux consommateurs finaux allemands”.

5.      Dès lors, le Tribunal n’a pas interprété erronément la décision litigieuse lorsqu’il a considéré, au point 31 de l’arrêt attaqué, que la chambre de recours avait fondé, implicitement, mais nécessairement, son raisonnement sur la prémisse selon laquelle l’usage d’une marque ne saurait être qualifié de sérieux que si son titulaire apporte la preuve que les produits couverts par celle-ci ont été commercialisés auprès des consommateurs finaux. Le Tribunal n’a pas non plus dénaturé, ni mal interprété, le raisonnement de la chambre de recours lorsqu’il a affirmé, aux points 57 et 58 de l’arrêt attaqué, que celle-ci avait exclu par principe que l’usage d’une marque prouvé par des actes commerciaux adressés uniquement à des professionnels du secteur concerné puisse être considéré comme étant un usage conforme à la fonction essentielle de la marque.

6.      Par son second moyen, Natural Instinct soulève deux griefs à l’encontre de l’arrêt attaqué. D’une part, elle fait valoir, à titre principal, que le Tribunal a commis une erreur de droit en reprochant à la chambre de recours d’avoir reconnu une force probante trop faible à la déclaration sous serment de Mme S., propriétaire de la société Cats’ Country et, à titre subsidiaire, que le Tribunal a abordé la question de la force probante “de manière binaire”, c’est-à-dire en faisant dépendre la valeur à accorder à une déclaration sous serment de la seule question de savoir si celle-ci a été établie par un “tiers” ou non. D’autre part, Natural Instinct soutient que l’arrêt attaqué est entaché, en ce qui concerne l’appréciation de la valeur probante de la déclaration sous serment de Mme S., d’un défaut de motivation.

7.      S’agissant du premier grief, l’argumentation de Natural Instinct procède pour partie d’une lecture erronée de l’arrêt attaqué. En effet, contrairement à ce qu’elle soutient, le Tribunal n’a pas entendu exclure que l’éventuelle existence de liens entre, d’une part, la personne dont émane une déclaration sous serment présentée comme moyen de preuve de l’usage d’une marque et, d’autre part, le titulaire de cette marque puisse être prise en compte en tant que circonstance pertinente afin d’apprécier la crédibilité et la force probatoire d’une telle déclaration. Il s’est, en revanche, borné à reprocher à la chambre de recours d’avoir à tort considéré que la seule existence de liens contractuels entre deux entités distinctes, en l’occurrence l’opposante et la société Cats’ Country, suffise pour conclure que la déclaration sous serment émanant d’une de ces entités ne serait pas celle d’un tiers, avec la conséquence qu’une telle déclaration aurait une valeur probante moindre (voir point 42 de l’arrêt attaqué).

8.      Par ailleurs, contrairement à ce que semble lui reprocher Natural Instinct, le Tribunal a bien pris en considération la circonstance que la société Cats’ Country était le seul importateur et distributeur de l’opposante. Au point 46 de l’arrêt attaqué, en écartant l’argumentation contraire développée par l’EUIPO et par Natural Instinct, le Tribunal a estimé que cette circonstance ne permettait en tout état de cause pas de considérer que les liens que ladite société entretenait avec l’opposante, en sa qualité de cliente de cette dernière, étaient comparables à ceux qui lient un consultant externe à son employeur et qui ont été considérés, dans l’arrêt du 18 mars 2015, Naazneen Investments/OHMI – Energy Brands (SMART WATER) (T‑250/13, non publié, EU:T:2015:160), comme suffisamment étroits pour exclure que la déclaration sous serment émanant d’un tel consultant puisse être regardée comme provenant d’un tiers.

9.      Enfin, force est de constater que c’est en procédant à une évaluation globale de l’ensemble des éléments probatoires à sa disposition que le Tribunal a conclu, au point 55 de l’arrêt attaqué, que la chambre de recours avait commis une erreur d’appréciation en considérant que ces éléments ne suffisaient pas pour prouver que les produits livrés à Cats’ Country “avaient effectivement fait leur entrée dans le marché allemand”. Dans ce contexte, le Tribunal a reproché à la chambre de recours d’avoir fait une appréciation partielle desdits éléments, en ce qu’elle n’aurait considéré comme pertinents que ceux permettant de prouver un usage de la marque antérieure orienté vers les consommateurs finaux (voir points 56 à 58).

10.      La partie restante de l’argumentation développée par Natural Instinct dans le cadre de ce premier grief de son second moyen de pourvoi peut s’analyser comme une remise en question de l’appréciation portée par le Tribunal sur la valeur probante de la déclaration de Mme S. Or, selon une jurisprudence constante, le Tribunal est seul compétent pour constater et apprécier les faits et, en principe, pour examiner les preuves qu’il retient à l’appui de ces faits. En effet, dès lors que ces preuves ont été obtenues régulièrement, que les principes généraux du droit ainsi que les règles de procédure applicables en matière de charge et d’administration de la preuve ont été respectés, il appartient au seul Tribunal d’apprécier la valeur qu’il convient d’attribuer aux éléments qui lui ont été soumis. Cette appréciation ne constitue donc pas, sous réserve du cas de la dénaturation de ces éléments, une question de droit soumise, comme telle, au contrôle de la Cour (arrêt du 16 juin 2016, Evonik Degussa et AlzChem/Commission, C‑155/14 P, EU:C:2016:446, point 23). Natural Instinct n’ayant pas démontré, ni même allégué que le Tribunal aurait dénaturé la déclaration sous serment de Mme S., cette partie de son argumentation doit être rejetée comme irrecevable.

11.      En ce qui concerne le second grief du second moyen de pourvoi, tiré d’un défaut de motivation, je relève que, contrairement à ce que fait valoir Natural Instinct, le Tribunal a expliqué pour quelle raison il a estimé que, en sa qualité de client de l’opposante et bien qu’étant son seul importateur et distributeur, la société Cats’ Country ne pouvait pas être considérée comme présentant des “liens étroits” avec l’opposante, de nature à exclure son indépendance vis-à-vis de cette dernière. En effet, au point 47 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a précisé, en renvoyant aux arrêts du 18 mars 2015, Naazneen Investments/OHMI – Energy Brands (SMART WATER) (T‑250/13, non publié, EU:T:2015:160) et du 16 juin 2015, H.P. Gauff Ingenieure/OHMI – Gauff (Gauff JBG Ingenieure) (T‑585/13, non publié, EU:T:2015:386), ainsi qu’à la jurisprudence citée au point 28 de ce dernier arrêt, que l’expression “une personne présentant des liens étroits avec la partie concernée” devait être considérée comme faisant référence, en substance, “à des employés de cette partie concernée, à des employés de sa filiale ou bien au prestataire de service externe qui, à cet égard, peut être assimilé à un employé de la partie concernée”. Au même point 47 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a conclu que, puisque Cats’ Country ne rentrait dans aucune de ces catégories, elle ne pouvait être considérée comme entretenant des “liens étroits”, au sens de la jurisprudence citée, avec l’opposante et devait, dès lors, être considérée comme indépendante par rapport à celle-ci. À cet égard, il importe de souligner que Natural Instinct ne conteste pas le bien-fondé de cette conclusion − ni de l’interprétation sur laquelle celle-ci repose −, mais uniquement son caractère suffisamment motivé.

12.      Pour les raisons que je viens d’exposer, le second moyen du pourvoi doit, à mon sens, être rejeté comme étant en partie manifestement irrecevable et en partie manifestement non fondé.

13.      À la lumière de l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de rejeter le pourvoi dans son intégralité. »

5        Pour les mêmes motifs que ceux retenus par M. l’avocat général, il y a lieu de rejeter le pourvoi comme étant, pour partie, manifestement irrecevable et, pour partie, manifestement non fondé.

 Sur les dépens

6        En application de l’article 137 du règlement de procédure de la Cour, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, du même règlement, il est statué sur les dépens dans l’ordonnance qui met fin à l’instance. En l’espèce, la présente ordonnance étant adoptée avant que le pourvoi ne soit signifié à M. I. Industries ainsi qu’à l’EUIPO et, par conséquent, avant que ceux-ci n’aient pu exposer des dépens, il convient de décider que Natural Instinct supportera ses propres dépens.

Par ces motifs, la Cour (sixième chambre) ordonne :

1)      Le pourvoi est rejeté.

2)      Natural Instinct Ltd supporte ses propres dépens.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.