Arrêt de la Cour

ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)
14 septembre 2004 (1)


«Politique économique et monétaire – Règlement (CE) n° 1103/97 – Introduction de l'euro – Conversion entre les unités monétaires nationales et l'unité euro – Arrondissage des sommes d'argent à payer ou à comptabiliser après application de la conversion – Contrat conclu dans le secteur des télécommunications – Notion de ‘sommes d'argent à payer ou à comptabiliser’ – Tarification à la minute des communications téléphoniques»

Dans l'affaire C-19/03,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l'article 234 CE,

introduite par le Landgericht München I (Allemagne), par décision du 17 décembre 2002, enregistrée à la Cour le 20 janvier 2003, dans la procédure:

Verbraucher-Zentrale Hamburg eV

contre

O2 (Germany) GmbH & Co. OHG



LA COUR (grande chambre),



composée de M. V. Skouris, président, MM. P. Jann, C. W. A. Timmermans, A. Rosas, C. Gulmann, J.-P. Puissochet (rapporteur) et J. N. Cunha Rodrigues, présidents de chambre, M. R. Schintgen, Mmes F. Macken et N. Colneric, et M. S. von Bahr, juges,

avocat général: M. M. Poiares Maduro,
greffier: Mme M. Múgica Arzamendi,administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de l'audience du 13 janvier 2004,

considérant les observations présentées:

pour O2 (Germany) GmbH & Co. OHG, par Me P. Neuwald, Rechtsanwalt,

pour la Commission des Communautés européennes, par MM. U. Wölker et P. Aalto, en qualité d'agents,

ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 25 mars 2004,

rend le présent



Arrêt



1
La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 5 du règlement (CE) n° 1103/97 du Conseil, du 17 juin 1997, fixant certaines dispositions relatives à l’introduction de l’euro (JO L 162, p. 1).

2
Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant la Verbraucher-Zentrale Hamburg eV (ci‑après la «Verbraucher‑Zentrale») à O2 (Germany) GmbH & Co. OHG (ci‑après «O2») et portant sur les conditions dans lesquelles cette dernière a converti en euros et arrondi le prix à la minute des communications téléphoniques figurant dans ses contrats, jusqu’alors exprimé en marks allemands.


Le cadre juridique communautaire

3
Aux termes de l’article 3 du règlement n° 1103/97,

«[l]’introduction de l’euro n’a pas pour effet de modifier les termes d’un instrument juridique ou de libérer ou de dispenser de son exécution, et elle ne donne pas à une partie le droit de modifier un tel instrument ou d’y mettre fin unilatéralement. La présente disposition s’applique sans préjudice de ce dont les parties sont convenues.»

4
L’article 4 du même règlement dispose:

«1.    Les taux de conversion qui sont arrêtés sont exprimés pour la contre‑valeur d’un euro dans chacune des monnaies nationales des États membres participants. Ils comportent six chiffres significatifs.

2.      Les taux de conversion ne peuvent pas être en arrondis ou tronqués lors des conversions.

3.      Les taux de conversion sont utilisés pour les conversions entre l’unité euro et les unités monétaires nationales et vice-versa. Il est interdit d’utiliser des taux inverses calculés à partir des taux de conversion.

4.      Toute somme d’argent à convertir d’une unité monétaire nationale dans une autre doit d’abord être convertie dans un montant exprimé dans l’unité euro; ce montant ne pouvant être arrondi à moins de trois décimales est ensuite converti dans l’autre unité monétaire nationale. Aucune autre méthode de calcul ne peut être utilisée, sauf si elle produit les mêmes résultats.»

5
L’article 5 dudit règlement prévoit:

«Les sommes d’argent à payer ou à comptabiliser, lorsqu’il y a lieu de les arrondir après conversion dans l’unité euro conformément à l’article 4, sont arrondies au cent supérieur ou inférieur le plus proche. Les sommes d’argent à payer ou à comptabiliser qui sont converties dans une unité monétaire nationale sont arrondies à la subdivision supérieure ou inférieure la plus proche ou, à défaut de subdivision, à l’unité la plus proche ou, selon les lois ou pratiques nationales, à un multiple ou à une fraction de la subdivision ou de l’unité monétaire nationale. Si l’application du taux de conversion donne un résultat qui se situe exactement au milieu, la somme est arrondie au chiffre supérieur.»

6
Le règlement (CE) n° 974/98 du Conseil, du 3 mai 1998, concernant l’introduction de l’euro (JO L 139, p. 1), dispose, à son article 14:

«Les références aux unités monétaires nationales qui figurent dans des instruments juridiques existant à la fin de la période transitoire doivent être lues comme des références à l’unité euro en appliquant les taux de conversion respectifs. Les règles relatives à l’arrondissage des sommes d’argent arrêtées par le règlement (CE) nº 1103/97 s’appliquent.»

7
Selon l’article 13 du règlement n° 974/98, l’article 14 précité, notamment, s’applique «à compter de la fin de la période transitoire», période qui est définie, à l’article 1er de ce règlement, comme «la période commençant le 1er janvier 1999 et prenant fin le 31 décembre 2001».

8
En vertu de l’article 1er du règlement (CE) n° 2866/98 du Conseil, du 31 décembre 1998, concernant les taux de conversion entre l’euro et les monnaies des États membres adoptant l’euro (JO L 359, p. 1), le taux de conversion irrévocablement fixé entre l’euro et le mark allemand est de 1 euro pour 1,95583 mark.


Le litige au principal et les questions préjudicielles

9
O2, qui s’appelait VIAG Interkom GmbH & Co. jusqu’en avril 2002, est établie à Munich (Allemagne). Elle exploite un réseau de téléphonie mobile. Ses contrats de téléphonie mobile stipulent que ses tarifs sont basés sur un prix à la minute, qui varie selon l’offre tarifaire choisie par le client, et que les temps de communication donnant lieu à facturation sont décomptés par tranche de dix secondes.

10
Avant le passage à l’euro, le prix à la minute des différentes offres tarifaires d’O2 était libellé en DEM, avec deux chiffres après la virgule, par exemple 0,05 DEM pour l’un des tarifs (tarif «Genion Home», appliqué aux appels passés après 21 heures vers le réseau fixe). Le prix de la tranche était, à ce tarif, de 0,00833 DEM et le prix d’un appel de dix minutes de 0,5 DEM.

11
Durant l’été 2001, O2 a converti en euros les montants libellés en DEM dans ses contrats. En appliquant le taux de conversion de 1,95583 DEM pour 1 EUR, fixé à l’article 1er du règlement nº 2866/98, le prix à la minute au tarif mentionné ci-dessus, qui s’établissait à 0,02556 EUR — en ne retenant que les cinq premiers chiffres après la virgule —, a été arrondi au cent d’euro le plus proche, c’est-à-dire le cent d’euro supérieur, et fixé en conséquence à 0,03 EUR.

12
Constatant que l’application du taux de conversion et l’arrondissage avaient pour effet de majorer le prix des appels soumis à ce tarif, le prix d’un appel de dix minutes s’établissant à 0,3 EUR, soit 0,59 DEM au lieu de 0,5 DEM auparavant, la Verbraucher-Zentrale (organisme habilité à poursuivre les violations des lois de protection des consommateurs) a estimé que O2 avait violé les principes de continuité des contrats et de précision maximale de la conversion qui seraient énoncés par les règlements nºs 1103/97 et 2866/98.

13
Par requête du 20 février 2002, elle a saisi le Landgericht, en faisant valoir devant cette juridiction que le prix à la minute figurant dans les contrats d’O2 n’était pas une somme à payer ou à comptabiliser, au sens de l’article 5 du règlement nº 1103/97. Selon elle, ce prix serait seulement un montant intermédiaire, qui ne devrait pas faire l’objet d’une opération d’arrondissage. La conversion et l’arrondissage de ce prix auraient des conséquences négatives pour les consommateurs, alors que le règlement nº 1103/97 aurait précisément pour objet de protéger ces derniers.

14
O2 a soutenu, à l’inverse, que le prix à la minute constituait à la fois l’élément déterminant de comparaison des prix entre les opérateurs de téléphonie mobile et, comme tout prix, une somme à payer par le consommateur, au sens de l’article 5 du règlement nº 1103/97, ainsi qu’une somme à comptabiliser, au sens du même article. L’affichage d’un prix à la minute qui serait composé de plus de chiffres après la virgule serait contraire aux principes de clarté et de vérité des prix inscrits dans le règlement national sur l’indication des prix. O2 a indiqué, en outre, que les prix à la minute d’appels relevant d’autres tarifs que celui cité en exemple par la Verbraucher‑Zentrale avaient diminué du fait des opérations de conversion et d’arrondissage, de sorte que les clients d’O2 n’auraient pas, dans l’ensemble, pâti des conditions dans lesquelles s’est effectué le passage de cette société à l’euro.

15
Le Landgericht a considéré que la protection des consommateurs était un objectif poursuivi par le règlement nº 1103/97. Il a relevé que O2 n’était en rien tenue par le règlement national sur l’indication des prix de convertir en euros et d’arrondir ses prix à la minute et qu’un affichage en marks pouvait satisfaire aux exigences de ce règlement national. Il a souligné qu’une violation de l’article 5 du règlement nº 1103/97 ne pouvait être reconnue que si les prix à la minute figurant dans les contrats n’étaient pas des sommes à payer ou à comptabiliser au sens de cette disposition et s’il ressortait dudit règlement que les sommes autres que celles qui devaient être payées ou comptabilisées ne pouvaient pas être arrondies.

16
Le Landgericht, s’attachant d’abord à la lettre de l’article 5 du règlement nº 1103/97, a estimé que le prix à la minute n’était qu’une base de calcul et n’était donc ni la somme payée par le client ni celle comptabilisée par O2. Il a considéré que, par cette opération de conversion et d’arrondissage, O2 s’était écartée de son engagement contractuel de fournir des services téléphoniques à un prix à la minute déterminé, alors que l’article 3 du règlement nº 1103/97 prévoit que l’introduction de l’euro et les nécessaires conversions qui y sont liées ne peuvent justifier le non-respect d’obligations légales. Il a cependant relevé que le prix à la minute représentait effectivement le critère de comparaison déterminant pour les consommateurs et qu’il n’était pas opportun, dans la perspective du passage à l’euro, de continuer à indiquer ce prix en monnaie nationale ou avec un nombre illimité de chiffres après la virgule.

17
Estimant qu’apparaissait ainsi une opposition entre l’interprétation littérale et l’interprétation téléologique du règlement nº 1103/97, le Landgericht München a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)
L’article 5, première phrase, du règlement nº 1103/97 est-il à interpréter en ce sens que, dans le cadre de relations contractuelles de droit privé, le montant final d’une facture ou un montant individuel indiqué dans la facture sont les seuls qui peuvent ou doivent être arrondis ou le prix de l’unité/tarif (ici, le prix à la minute) également fixé par contrat constitue-t-il une somme à payer ou à comptabiliser au sens de la disposition citée? Est‑il déterminant pour juger de la question de savoir si un tarif est une somme à payer ou à comptabiliser au sens de l’article 5 du règlement nº 1103/97 que ce tarif repose sur un multiple déterminé (en l’espèce le sextuple) de l’unité prise comme base (en l’espèce une tranche de dix secondes) pour le calcul du montant final de la facture ou que le tarif représente du point de vue du consommateur le critère déterminant?

2)
Le règlement n° 1103/97 (en particulier l’article 5) est‑il à interpréter en ce sens qu’il contient une réglementation exhaustive en vertu de laquelle les sommes autres que celles qui doivent être payées ou comptabilisées (si elles devaient exister) ne peuvent pas être arrondies de la manière décrite à l’article 5 de sorte qu’elles doivent continuer à être indiquées dans l’ancienne monnaie nationale ou qu’il convient d’indiquer avec précision le résultat de la conversion?»


Sur la première question

18
Par sa première question, la juridiction de renvoi demande en substance si un tarif, tel que le prix à la minute auquel O2 facture les communications téléphoniques à ses clients, constitue une somme d’argent à payer ou à comptabiliser au sens de l’article 5, première phrase, du règlement nº 1103/97 ou si seul le montant final effectivement facturé au consommateur peut constituer une telle somme.

Observations soumises à la Cour

19
O2 soutient qu’elle a correctement appliqué la règle d’arrondissage énoncée par l’article 5, première phrase, du règlement n° 1103/97 et que, dans l’ensemble, ses clients n’ont pas été pénalisés par ce choix, le passage à l’euro se traduisant, selon les différents prix à la minute qu’elle pratique, par des hausses comme par des baisses de tarifs.

20
O2 considère que le litige au principal porte uniquement sur la possibilité de convertir en euros et d’arrondir les prix à la minute et non sur les modalités d’arrondissage de ces prix après conversion. Seule importerait donc l’interprétation de l’article 4 du règlement nº 1103/97, relatif aux possibilités de conversion et d’arrondissage, l’article 5, première phrase, de ce règlement ne fixant que les modalités d’arrondissage des sommes d’argent.

21
O2 fait valoir qu’elle s’est conformée aux dispositions de l’article 4, paragraphes 2 et 3, du règlement nº 1103/97. Elle n’aurait ni arrondi ni tronqué les taux de conversion lors de ses opérations de conversion et elle aurait appliqué le taux fixé pour la conversion des marks allemands en euros. Quant à l’article 4, paragraphe 4, du même règlement, il ne serait pas applicable en l’espèce, dans la mesure où aucune somme d’argent n’a été convertie d’une monnaie nationale dans une autre.

22
Ni ces articles ni aucune autre disposition de droit communautaire ne limiteraient l’application de la règle d’arrondissage figurant à l’article 5, première phrase, du règlement nº 1103/97 au montant total effectivement facturé au consommateur. En particulier, l’article 4 dudit règlement ne contiendrait aucune règle interdisant la conversion et l’arrondissage d’une somme telle que le prix à la minute, qui constituerait la somme déterminante convenue avec le consommateur en tant qu’unité de facturation des appels. La Commission aurait d’ailleurs admis que les deux méthodes de conversion, la première consistant à convertir chacun des montants intermédiaires, la seconde consistant à ne convertir que le montant final, seraient toutes les deux compatibles avec les règles d’arrondissage définies par les règlements relatifs à l’euro.

23
O2 soutient enfin que le prix à la minute constitue la somme d’argent à payer convenue avec le consommateur et correspond donc effectivement à une «somme d’argent à payer» au sens de l’article 5, première phrase, du règlement nº 1103/97, à laquelle la règle d’arrondissage s’applique. En tout état de cause, ce prix, à la base de la facturation des appels, devrait être analysé comme une «somme d’argent à comptabiliser» au sens de la même disposition. Il serait sans importance, pour l’examen de la question préjudicielle, de savoir si un tarif tel que le prix à la minute repose sur un multiple déterminé de l’unité prise comme base pour le calcul de la somme finale de la facture ou si le tarif constitue, du point de vue du consommateur, la référence décisive.

24
La Commission considère que le règlement nº 1103/97 ne donne pas de définition des sommes d’argent «à payer ou à comptabiliser». Il résulterait du onzième considérant de ce texte, selon lequel l’introduction de l’euro «requiert» d’arrondir les sommes d’argent, que les règles d’arrondissage ne devraient régir que les éléments indispensables au passage à l’euro.

25
La plus petite subdivision de l’euro étant le cent, tous les montants pour lesquels des raisons pratiques interdisent de descendre au-dessous de cette plus petite subdivision devraient être considérés comme à payer ou à comptabiliser et, partant, être arrondis au cent le plus proche. Il en irait ainsi, par exemple, des dettes d’argent ou des montants mentionnés dans les relevés de compte ou les bilans.

26
En revanche, un montant servant uniquement à calculer de telles sommes, tel que le prix à la minute en cause dans le litige au principal, pour lequel un degré plus élevé de précision n’entraînerait aucun problème pratique, devrait être considéré comme un montant intermédiaire, n’ayant pas à être arrondi dans les conditions fixées par l’article 5 du règlement nº 1103/97. Le fait que le prix à la minute constitue pour le consommateur le critère de comparaison déterminant serait sans incidence sur cette analyse. D’ailleurs, certains opérateurs concurrents d’O2 auraient arrondi leur prix à la minute converti en euro à la quatrième décimale et non au cent le plus proche.

27
L’article 5, première phrase, du règlement nº 1103/97 devrait donc être interprété en ce sens qu’il ne régit pas des sommes telles que les prix à la minute figurant dans les contrats d’O2.

Réponse de la Cour

28
Le règlement nº 1103/97 ne donne aucune définition de la notion de «sommes d’argent à payer ou à comptabiliser» figurant à son article 5, première phrase.

29
Si le libellé de cette disposition implique clairement que sont incluses dans cette notion, d’une part, des sommes qui donnent lieu à paiement de la part du consommateur, c’est‑à‑dire toutes les dettes d’argent, et, d’autre part, des sommes inscrites dans des documents comptables ou des relevés de compte, il ne permet pas d’emblée de déterminer si ladite notion recouvre également des montants monétaires, tels que les prix à la minute pratiqués par O2, qui servent de base au calcul du prix à payer par le consommateur.

30
En l’absence d’autre indication résultant du libellé du règlement nº 1103/97, il convient de s’attacher aux finalités de ce dernier.

31
Il ressort de l’ensemble de ses motifs et de ses dispositions que ce règlement vise à assurer que le passage à la monnaie unique s’effectue sans affecter les engagements déjà souscrits par les citoyens et les entreprises. Dans cette perspective, son quatrième considérant énonce que «[...] l’établissement précoce de la sécurité juridique permettra aux citoyens et aux entreprises de se préparer dans de bonnes conditions». En vertu de son septième considérant, «[...] selon un principe général du droit, la continuité des contrats et autres instruments juridiques n’est pas affectée par l’introduction d’une nouvelle monnaie». Le même considérant précise que l’objectif des dispositions du règlement n° 1103/97 relatives à la continuité des contrats «est de fournir la sécurité juridique et la transparence pour les agents économiques, en particulier les consommateurs […]». L’article 3, première phrase, du règlement n° 1103/97 dispose que «[l]’introduction de l’euro n’a pas pour effet de modifier les termes d’un instrument juridique ou de libérer ou de dispenser de son exécution, et elle ne donne pas à une partie le droit de modifier un tel instrument ou d’y mettre fin unilatéralement».

32
Participe de cet objectif de neutralité du passage à l’euro, la fixation de règles relatives aux opérations de conversion. En effet, la recherche de la plus grande neutralité possible de ces opérations, pour les citoyens comme pour les entreprises, suppose, comme l’indique le douzième considérant dudit règlement, que soit assuré «un degré élevé de précision pour les opérations de conversion». L’article 4, paragraphe 1, du règlement nº 1103/97 prévoit ainsi que les taux de conversion «comportent six chiffres significatifs». Le même article précise, à son paragraphe 2, que «[l]es taux de conversion ne peuvent pas être [...] arrondis ou tronqués lors des conversions» et, à son paragraphe 3, que «[i]l est interdit d’utiliser des taux inverses calculés à partir des taux de conversion», cette dernière prescription visant, selon le dixième considérant du règlement n° 1103/97, à éviter «des imprécisions significatives, notamment lorsque la conversion porte sur des montants élevés».

33
Au nom du même objectif de neutralité du passage à l’euro, le règlement nº 1103/97 prévoit, à son onzième considérant, que les règles pour arrondir les sommes d’argent «ne portent pas atteinte aux pratiques, conventions ou dispositions nationales relatives aux arrondis qui assurent un degré plus élevé de précision pour les calculs intermédiaires».

34
Il résulte de cet examen des finalités du règlement nº 1103/97 et, en particulier, du renvoi effectué par son onzième considérant aux règles nationales en matière d’arrondissage des sommes d’argent que ce règlement ne fixe que des règles minimales relatives aux arrondis de certaines sommes et laisse le soin aux autorités nationales de maintenir ou d’adopter des règles qui permettraient de mieux contribuer à l’objectif de neutralité du passage à la monnaie unique. Le libellé même de ce onzième considérant indique que les modalités d’arrondissage des sommes d’argent figurant dans le règlement nº 1103/97 n’ont pas pour objet de régir de façon exhaustive les calculs intermédiaires portant sur ces sommes.

35
Or, s’il était interprété en ce sens qu’il vise toutes les sommes d’argent, y compris celles qui ne donnent lieu ni à paiement ni à inscription comptable, l’article 5, première phrase, du règlement nº 1103/97 imposerait le respect d’une règle d’arrondissage qui ne correspondrait pas dans tous les cas au degré de précision qu’implique l’objectif de neutralité de l’introduction de l’euro et qui, par suite, pourrait porter atteinte à des règles plus précises existant au niveau national.

36
L’article 5, première phrase, du règlement nº 1103/97 ne doit donc pas recevoir une interprétation large. Il ne peut viser, comme l’indique à juste titre la Commission, que les sommes d’argent citées au point 29 du présent arrêt, pour lesquelles des raisons pratiques, qu’elles soient commerciales, comptables ou financières, non seulement justifient, mais aussi imposent un arrondissage au cent le plus proche.

37
En effet, la plus petite subdivision monétaire de l’euro étant le cent, le prix effectivement payé par le consommateur, lorsque ce dernier règle ce prix en espèces, ne peut être libellé qu’au cent près. De même, les factures étant arrondies au cent le plus proche, les écritures comptables et les relevés de compte correspondant à ces factures ne peuvent être présentés qu’avec un degré de précision identique.

38
Certes, le développement des moyens de paiement électroniques, tels que les cartes ou les virements bancaires, aurait pu laisser place à un degré de précision allant au-delà de cette subdivision. Toutefois, d’évidentes raisons pratiques excluaient que de telles exigences, qui ne pouvaient en tout état de cause être respectées pour les paiements en monnaie fiduciaire, fussent imposées aux citoyens et aux entreprises.

39
Conscient des inévitables imprécisions liées à l’arrondissage des sommes d’argent au cent le plus proche, le législateur communautaire s’est donc borné à prévoir que cette pratique devrait s’appliquer aux sommes d’argent donnant lieu à paiement ou à inscription comptable et à préciser, à l’article 5, dernière phrase, du règlement nº 1103/97, que, «[s]i l’application du taux de conversion donne un résultat qui se situe exactement au milieu, la somme est arrondie au chiffre supérieur».

40
En ce qui concerne un tarif, tel que le prix à la minute en cause dans le litige au principal, aucune raison pratique n’impose d’arrondir, dans tous les cas, son montant à deux chiffres après la virgule. Le tarif à l’unité des biens et services est en effet susceptible d’être présenté avec un degré de précision plus élevé, ainsi que l’attestent les pratiques de nombreux opérateurs économiques. Surtout, un tel montant n’est pas effectivement facturé au consommateur et payé par celui-ci et il n’est inscrit en tant que tel dans aucun document comptable ou relevé de compte. Dans ces conditions, il ne constitue pas une somme d’argent à payer ou à comptabiliser, au sens de l’article 5, première phrase, du règlement nº 1103/97. Il n’a donc pas à être arrondi, dans tous les cas, au cent le plus proche.

41
Le fait que ce tarif représente l’élément déterminant du prix des biens ou des services proposés au consommateur est sans incidence sur cette conclusion. En effet, l’affichage d’un tarif avec un degré de précision limité à deux décimales n’est pas nécessairement la meilleure façon d’assurer l’information complète du consommateur.

42
La circonstance que ce tarif repose sur un multiple déterminé (le sextuple) de l’unité prise comme base (une tranche de dix secondes) pour le calcul du montant final de la facture n’a pas davantage d’incidence sur la réponse à la question préjudicielle. Dès lors que ce tarif n’est pas la somme effectivement payée par le consommateur, il n’est pas une somme d’argent à payer ou à comptabiliser au sens du règlement nº 1103/97, quels que soient sa structure ou son mode de calcul.

43
Il convient donc de répondre à la première question préjudicielle qu’un tarif, tel que le prix à la minute en cause dans le litige au principal, ne constitue pas une somme d’argent à payer ou à comptabiliser au sens de l’article 5, première phrase, du règlement nº 1103/97 et n’a donc pas à être arrondi, dans tous les cas, au cent le plus proche. Le fait que ce tarif repose sur un multiple déterminé de l’unité prise comme base pour le calcul du montant final de la facture ou que ledit tarif représente l’élément déterminant du prix des biens ou des services pour le consommateur est sans incidence sur cette appréciation.


Sur la seconde question

44
Par sa seconde question, la juridiction de renvoi demande en substance si le règlement n° 1103/97, en particulier son article 5, première phrase, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce que les sommes autres que celles qui doivent être payées ou comptabilisées soient arrondies au cent le plus proche.

Observations soumises à la Cour

45
O2 soutient que toutes les sommes d’argent constituent des sommes à payer ou à comptabiliser et qu’elles peuvent toutes faire l’objet d’opérations de conversion ainsi que, par conséquent, d’arrondissage selon les modalités définies par l’article 5, première phrase, du règlement nº 1103/97. Si des sommes d’argent n’étaient ni à payer ni à comptabiliser, elles seraient soustraites aux règles d’arrondissage visées par le règlement et devraient rester exprimées dans l’ancienne monnaie nationale ou avec une indication précise du résultat de la conversion, ce qui serait incompatible avec l’objectif d’un passage rapide à l’euro.

46
O2 fait valoir, à titre subsidiaire, dans l’hypothèse où le prix à la minute ne serait pas analysé comme une somme à payer ou à comptabiliser au sens de l’article 5, première phrase, du règlement nº 1103/97, que cette disposition doit être interprétée en ce sens qu’elle ne s’oppose pas à ce que d’autres sommes, telles que le prix à la minute en cause dans le litige au principal, puissent être arrondies au cent le plus proche.

47
La Commission estime que l’on ne peut déduire de l’absence de mention d’autres sommes d’argent dans ladite disposition une interdiction formelle d’arrondir d’autres sommes, interdiction qui eût exigé une mention expresse, même si le règlement est fondé sur le principe selon lequel la conversion doit s’effectuer avec le maximum de précision possible. L’article 5 ne régirait donc que l’arrondissage des sommes qui y sont visées, en fixant un degré minimal de précision et en ne faisant pas obstacle à ce que le droit national vise à atteindre, pour d’autres sommes, un degré de précision plus élevé, notamment à partir des calculs intermédiaires.

Réponse de la Cour

48
Ainsi qu’il ressort de la réponse à la première question, l’article 5, première phrase, du règlement nº 1103/97 fixe une règle d’arrondissage ne s’appliquant qu’aux sommes d’argent qu’il vise. Quant aux autres dispositions de ce règlement, elles ne prévoient aucune règle d’arrondissage relative aux autres sommes d’argent, telles que les tarifs à l’unité des biens et des services ou les montants intermédiaires permettant de calculer les sommes d’argent à payer ou à comptabiliser. Le règlement nº 1103/97 ne pouvait en effet, compte tenu notamment des différences de valeur existant entre les anciennes unités monétaires des États membres, déterminer de façon homogène pour l’ensemble des États membres ayant adopté l’euro quel degré de précision serait requis pour les opérations d’arrondissage portant sur lesdits tarifs ou montants intermédiaires.

49
Toutefois, la circonstance que le règlement n° 1103/97 ne fixe pas lui‑même le degré de précision des opérations d’arrondissage portant sur les autres sommes d’argent n’implique pas que ces opérations soient soustraites au principe général de continuité des contrats, dont l’article 3 dudit règlement constitue l’expression, ni qu’elles puissent méconnaître l’objectif de neutralité du passage à l’euro poursuivi par ce règlement.

50
D’une part, la règle d’arrondissage au cent le plus proche énoncée à l’article 5, première phrase, du règlement n° 1103/97 et celle qui la complète, prévue à la dernière phrase du même article, d’arrondir certaines sommes d’argent au cent supérieur, ne sont prescrites aux opérateurs économiques qu’en raison de nécessités pratiques.

51
L’effet combiné de ces deux règles entraîne une relative imprécision dans le résultat de la conversion en euros de la valeur des biens et des services, imprécision qui peut aller jusqu’à modifier de façon non négligeable des prix convenus par contrat et, ainsi, être à l’origine d’une violation des impératifs de continuité des contrats et de neutralité du passage à l’euro. Il s’ensuit qu’un arrondissage limité à deux décimales des autres sommes d’argent que celles visées à l’article 5, première phrase, du règlement n° 1103/97 ne peut dans tous les cas répondre à l’exigence de précision qu’imposent lesdits impératifs, à supposer même qu’une telle pratique d’arrondissage ne soit pas exclue en vertu de dispositions nationales.

52
D’autre part, il ressort du onzième considérant du règlement nº 1103/97, qui indique que les règles d’arrondissage de ce règlement «ne portent pas atteinte aux pratiques, conventions ou dispositions nationales relatives aux arrondis qui assurent un degré plus élevé de précision pour les calculs intermédiaires», que les auteurs du règlement n’ont pas habilité les autorités nationales à déroger aux impératifs de continuité et de neutralité dans la fixation des modalités d’arrondissage applicables aux tarifs ou aux montants intermédiaires.

53
Il résulte de ces considérations que, si le règlement nº 1103/97 ne s’oppose pas de façon générale à ce que d’autres sommes d’argent que celles visées à son article 5, première phrase, soient arrondies au cent le plus proche, encore faut‑il que cette méthode d’arrondissage n’affecte pas les engagements contractuels souscrits par les agents économiques, y compris les consommateurs, et qu’elle n’ait pas d’incidence réelle sur les prix à payer effectivement.

54
Ainsi, lorsque le prix à payer résulte de la prise en compte d’un nombre élevé de calculs intermédiaires, l’arrondissage au cent le plus proche du tarif à l’unité de ces biens et services ou de chacun des montants intermédiaires entrant dans la facturation est susceptible d’avoir une incidence réelle sur le prix effectivement supporté par les consommateurs. Or, si elle n’a pas été préalablement convenue entre les parties au contrat concerné, une telle variation du prix est contraire au principe de continuité des contrats et à l’objectif de neutralité du passage à l’euro que vise à garantir le règlement n° 1103/97.

55
Il appartient au juge national de vérifier, dans le litige dont il est saisi, si l’application de la règle d’arrondissage au cent le plus proche a eu une incidence réelle sur le montant que doivent régler les consommateurs et si l’application de cette règle a porté atteinte aux engagements contractuels souscrits par les parties.

56
Il incombe ainsi au juge de renvoi de vérifier si la décision d’O2 d’arrondir au cent le plus proche l’ensemble de ses tarifs à la minute a eu une incidence réelle sur les prix et si elle traduit une violation des engagements contractuels que cette société a souscrits à l’égard de sa clientèle.

57
Il convient dès lors de répondre à la seconde question que le règlement n° 1103/97 doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à ce que les sommes autres que celles qui doivent être payées ou comptabilisées soient arrondies au cent le plus proche, à condition que cette pratique d’arrondissage soit respectueuse du principe de continuité des contrats garanti par l’article 3 de ce règlement et de l’objectif de neutralité du passage à l’euro poursuivi par ledit règlement, c’est‑à‑dire que cette pratique d’arrondissage n’affecte pas les engagements contractuels souscrits par les agents économiques, y compris les consommateurs, et qu’elle n’ait pas d’incidence réelle sur le prix à payer effectivement.


Sur les dépens

58
La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement.




Par ces motifs, la Cour (grande chambre) dit pour droit:

1)
Un tarif, tel que le prix à la minute en cause dans le litige au principal, ne constitue pas une somme d’argent à payer ou à comptabiliser au sens de l’article 5, première phrase, du règlement (CE) n° 1103/97 du Conseil, du 17 juin 1997, fixant certaines dispositions relatives à l’introduction de l’euro, et n’a donc pas à être arrondi, dans tous les cas, au cent le plus proche. Le fait que ce tarif repose sur un multiple déterminé de l’unité prise comme base pour le calcul du montant final de la facture ou que ledit tarif représente l’élément déterminant du prix des biens ou des services pour le consommateur est sans incidence sur cette appréciation.

2)
Le règlement n° 1103/97 doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à ce que les sommes autres que celles qui doivent être payées ou comptabilisées soient arrondies au cent le plus proche, à condition que cette pratique d’arrondissage soit respectueuse du principe de continuité des contrats garanti par l’article 3 de ce règlement et de l’objectif de neutralité du passage à l’euro poursuivi par ledit règlement, c’est‑à‑dire que cette pratique d’arrondissage n’affecte pas les engagements contractuels souscrits par les agents économiques, y compris les consommateurs, et qu’elle n’ait pas d’incidence réelle sur le prix à payer effectivement.


Signatures.


1
Langue de procédure: l'allemand.