ORDONNANCE DU TRIBUNAL DE LA FONCTION PUBLIQUE
DE L’UNION EUROPÉENNE (première chambre)

29 avril 2008 (*)

« Fonction publique – Fonctionnaires – Sécurité sociale – Assurance accidents et maladies professionnelles – Durée de la procédure médicale – Recours en indemnité – Absence de réclamation – Irrecevabilité manifeste »

Dans l’affaire F‑133/07,

ayant pour objet un recours introduit au titre des articles 236 CE et 152 EA,

André Hecq, fonctionnaire de la Commission des Communautés européennes, demeurant à Bonlez (Belgique), représenté par ML. Vogel, avocat,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par MM. J. Currall et D. Martin, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

LE TRIBUNAL (première chambre),

composé de MM. H. Kreppel, président, H. Tagaras et S. Gervasoni (rapporteur), juges,

greffier : Mme W. Hakenberg,

rend la présente

Ordonnance

1        Par requête déposée au greffe du Tribunal le 9 novembre 2007, M. Hecq demande, notamment, l’annulation de la décision du 12 juillet 2007 par laquelle la Commission des Communautés européennes a statué sur sa réclamation, dans la mesure où, par cette décision, la Commission a rejeté sa demande tendant, d’une part, à l’obtention d’intérêts moratoires sur les sommes qui pourraient lui être allouées en application de l’article 73 du statut des fonctionnaires des Communautés européennes (ci-après le « statut ») et, d’autre part, au versement d’une somme de 2 000 euros en réparation du préjudice moral qu’il aurait subi du fait de la lenteur inacceptable de l’administration dans le traitement de son dossier.

 Faits à l’origine du litige

2        Le requérant a été recruté par la Commission en 1967, en qualité de technicien chauffagiste. Affecté au service technique de la Commission, il a notamment travaillé à l’achèvement, à l’aménagement et à l’entretien du bâtiment dénommé « Berlaymont » à Bruxelles (Belgique). Il a ainsi été particulièrement exposé à de l’amiante.

3        En 1997, dans le cadre d’examens médicaux organisés par la Commission, une « fibro-hialinose pleurale d’origine asbestique » a été diagnostiquée chez le requérant.

4        Par décision du 23 juin 1998, la Commission a reconnu que le requérant était atteint d’une maladie professionnelle mais a considéré, conformément à l’avis du médecin-conseil de l’institution, que les lésions du requérant « ne pouv[ai]ent actuellement donner lieu à la reconnaissance d’un taux d’invalidité permanente partielle, [ces lésions n’ayant] aucune incidence invalidante sur la fonction respiratoire ».

5        Par une note du 29 avril 2003, le requérant a sollicité la révision de son dossier, en communiquant à l’administration un rapport de son médecin traitant faisant apparaître un « déficit de diffusion CO significatif » ainsi qu’une anxiété grandissante face au risque de développement d’affections pulmonaires. Il cherchait ainsi à obtenir la reconnaissance d’un taux d’invalidité permanente partielle (ci-après « IPP »), en application de l’article 73 du statut.

6        Entre-temps, la Commission avait constitué une commission d’invalidité et chargé celle-ci d’apprécier l’aptitude du requérant à poursuivre ses activités professionnelles, conformément à l’article 78 du statut. Dans son rapport du 24 juin 2003, cette commission a estimé que le requérant était atteint d’une invalidité permanente totale et qu’il était tenu, pour ce motif, de suspendre son service à la Commission. La commission d’invalidité a également relevé que cette invalidité résultait d’une maladie professionnelle et que, en raison du « caractère fixe » de la pathologie du requérant, aucun examen médical de révision ne serait nécessaire.

7        Par décision du 10 juillet 2003, l’autorité investie du pouvoir de nomination (ci-après l’« AIPN ») a mis le requérant à la retraite, en lui allouant une pension d’invalidité fixée conformément à l’article 78, deuxième alinéa, du statut, dans sa version alors en vigueur.

8        La demande du requérant du 29 avril 2003, tendant à la fixation d’un taux d’IPP, a fait l’objet d’un projet de décision de rejet, daté du 18 mai 2004. Dans ce projet, notifié au requérant, établi au vu des examens subis par lui auprès du docteur C., médecin-conseil de la Commission, et du professeur D., la Commission considérait que les lésions du requérant ne pouvaient toujours pas donner lieu à la reconnaissance d’une quelconque IPP.

9        Le requérant a contesté ce projet de décision, par lettre du 7 juillet 2004, en estimant notamment que la commission médicale, en refusant de reconnaître un taux d’IPP, contredisait l’appréciation de la commission d’invalidité. Dans cette lettre, le requérant demandait, en application de l’article 21 de la réglementation relative à la couverture des risques d’accident et de maladie professionnelle des fonctionnaires des Communautés européennes (ci-après la « réglementation de couverture »), la consultation de la commission médicale prévue à l’article 23 de la réglementation de couverture.

10      En dépit de plusieurs lettres du requérant ou d’appels téléphoniques de relance de sa part, la commission médicale n’a établi son rapport que le 9 mai 2006. La Commission n’en aurait été destinataire, selon le requérant, que le 14 novembre 2006.

11      À la lumière de ce rapport, l’AIPN a, par décision du 15 décembre 2006, notifiée au requérant le 20 décembre 2006, confirmé le projet de décision du 18 mai 2004.

12      Le 19 mars 2007, le requérant a formé une réclamation contre la décision du 15 décembre 2006. Dans cette réclamation, il a soutenu, d’abord, que ladite décision n’était pas cohérente par rapport à celle du 10 juillet 2003, la Commission ne pouvant à la fois refuser de lui reconnaître un taux d’IPP et estimer qu’il n’était plus en mesure d’assumer normalement ses fonctions. Ensuite, il a fait valoir que la commission médicale avait négligé les aspects psychologiques de sa maladie professionnelle. Enfin, il a souligné que les retards et lenteurs dans le traitement de son dossier devraient être compensés par le paiement d’intérêts moratoires sur les sommes qui lui seraient versées sur le fondement de l’article 73 du statut et que la longueur anormale de la procédure justifiait d’ores et déjà le versement d’une indemnité de 2 000 euros en réparation du préjudice moral qu’il aurait subi de ce fait.

13      Par décision du 12 juillet 2007, notifiée au requérant le 30 juillet suivant, l’AIPN a accueilli partiellement la réclamation de l’intéressé. L’AIPN a en effet décidé de saisir à nouveau la commission médicale, pour que celle-ci motive davantage son appréciation et qu’elle examine les raisons qui avaient conduit la commission d’invalidité à reconnaître l’état d’invalidité permanente totale du requérant. En revanche, elle a estimé que le dossier du requérant n’avait pas souffert de retards de traitement et, en conséquence, rejeté le principe du paiement d’intérêts moratoires de même que la demande d’indemnisation du préjudice moral allégué par le requérant. C’est ce rejet dont le requérant poursuit l’annulation dans la présente instance (ci-après la « décision de rejet litigieuse »).

 Conclusions des parties

14      Le requérant conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision de rejet litigieuse ;

–        condamner la partie défenderesse au paiement d’une indemnité de 2 000 euros en réparation du préjudice moral subi, augmentée des intérêts au taux de 6 % ;

–        condamner la partie défenderesse au paiement des intérêts moratoires calculés au taux de 6 % l’an, sur toutes les indemnités qui pourraient lui être allouées, ultérieurement, sur la base de l’article 73 du statut ;

–        condamner la Commission aux dépens.

15      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        déclarer le recours irrecevable et, à titre subsidiaire, le rejeter pour partie comme irrecevable et pour partie comme non fondé ;

–        condamner le requérant aux dépens.

 En droit

16      En vertu de l’article 76 du règlement de procédure, lorsqu’un recours est, en tout ou en partie, manifestement irrecevable, le Tribunal peut, sans poursuivre la procédure, statuer par voie d’ordonnance motivée.

17      En l’espèce, le Tribunal s’estime suffisamment éclairé par les pièces du dossier et décide, en application de ces dispositions, de statuer sans poursuivre la procédure.

18      Par des conclusions en annulation dirigées contre la décision de rejet litigieuse, le requérant ne poursuit pas d’autre objet que l’obtention d’indemnités que ladite décision lui a refusées. Les conclusions en annulation se confondent ainsi avec les conclusions en indemnité. Le présent recours constitue donc bien un recours en indemnité qui n’est recevable, dans le système des voies de recours instauré par les articles 90 et 91 du statut, conformément à une jurisprudence constante, que s’il a été précédé d’une procédure précontentieuse conforme aux dispositions statutaires. Cette procédure diffère selon que le dommage dont la réparation est demandée résulte d’un acte faisant grief au sens de l’article 90, paragraphe 2, du statut, ou d’un comportement de l’administration dépourvu de caractère décisionnel. Dans le premier cas, il appartient à l’intéressé de saisir, dans les délais impartis, l’AIPN d’une réclamation dirigée contre l’acte en cause. Dans le second cas, en revanche, la procédure administrative doit débuter par l’introduction d’une demande au sens de l’article 90, paragraphe 1, du statut, visant à obtenir un dédommagement. Ce n’est que le rejet explicite ou implicite de cette demande qui constitue une décision faisant grief contre laquelle une réclamation peut être dirigée et ce n’est qu’après le rejet explicite ou implicite de cette réclamation qu’un recours en indemnité peut être formé devant le Tribunal (voir, en ce sens, ordonnance du Tribunal de première instance du 25 février 1992, Marcato/Commission, T‑64/91, Rec. p. II‑243, points 31 à 33, et la jurisprudence citée, ainsi que arrêt du Tribunal de première instance du 13 juillet 1995, Saby/Commission, T‑44/93, RecFP p. I‑A‑175 et II‑541, point 31).

19      En l’espèce, il convient de relever, en premier lieu, que les prétentions indemnitaires du requérant portent sur les retards de traitement de son dossier et l’application future par la Commission d’intérêts moratoires sur des sommes que l’administration n’a pas encore décidé de lui allouer. Ces prétentions sont indépendantes de la contestation, développée par ailleurs dans la réclamation du 19 mars 2007, du contenu et de la légalité des appréciations de la commission médicale ainsi que de la décision du 15 décembre 2006 de l’AIPN. Elles sont donc fondées non pas sur la contestation d’un quelconque acte faisant grief qu’aurait adopté l’administration, mais sur la critique d’un comportement de l’administration dépourvu de caractère décisionnel (voir, en ce sens, ordonnance Marcato/Commission, précitée, points 39 à 41 ; à propos du défaut d’établissement d’un rapport de notation, arrêts du Tribunal de première instance du 1er décembre 1994, Schneider/Commission, T‑54/92, RecFP p. I‑A‑281 et II‑887, points 54 et 58 à 62, ainsi que, à propos de l’établissement tardif de rapports de notation, du 28 mai 1997, Burban/Parlement, T‑59/96, RecFP p. I‑A‑109 et II‑331, points 25 à 28), dont la recevabilité devant le Tribunal suppose la présentation d’une demande à l’administration, une décision de l’administration sur cette demande et une réclamation dirigée contre cette décision.

20      Or, le requérant n’a pas respecté les différentes étapes de cette procédure avant la saisine du Tribunal. Il n’a soumis, pour la première fois, ses prétentions indemnitaires à la Commission que dans sa réclamation du 19 mars 2007. Ainsi, à supposer même que la partie de la réclamation contenant ces prétentions puisse être analysée comme une demande, au sens de l’article 90, paragraphe 1, du statut, la seule décision faisant grief adoptée par la Commission sur ces prétentions indemnitaires est, en tout état de cause, la décision de rejet litigieuse.

21      Or, ladite décision, contenue dans la réponse à la réclamation du 19 mars 2007, n’a fait l’objet d’aucune réclamation, préalablement à la saisine du Tribunal, en méconnaissance de l’article 91, paragraphe 2, du statut.

22      En second lieu, les prétentions indemnitaires du requérant ne sont pas au nombre de celles qui, liées à des conclusions en annulation, peuvent être dispensées de l’exigence d’une procédure administrative en deux étapes, préalablement à l’introduction de son recours.

23      En effet, s’il est admis qu’une action en indemnité puisse être introduite de manière régulière au stade de la réclamation et, en conséquence, ne pas être nécessairement précédée d’une demande au titre de l’article 90, paragraphe 1, du statut, c’est à la condition que cette action en indemnité soit fondée sur l’illégalité de l’acte à l’encontre duquel ladite réclamation est formée. Dans cette hypothèse, il existe un lien direct entre le recours en annulation et le recours en indemnité, de sorte que ce dernier, en tant qu’accessoire du recours en annulation, est recevable, sans devoir être nécessairement précédé d’une demande invitant l’AIPN à réparer le préjudice prétendument subi (voir, en ce sens, arrêts du Tribunal de première instance du 12 mai 1998, O’Casey/Commission, T‑184/94, RecFP p. I‑A‑183 et II‑565, point 98, et du 28 janvier 2003, F/Cour des comptes, T‑138/01, RecFP p. I‑A‑25 et II‑137, point 57). En l’absence d’acte faisant grief, il ne suffit pas que l’indemnisation soit demandée, pour la première fois, lorsque l’intéressé introduit une réclamation (arrêt de la Cour du 27 juin 1989, Giordani/Commission, 200/87, Rec. p. 1877, point 22).

24      Or, dans le présent litige, l’action en indemnité du requérant n’est pas fondée sur la critique d’un acte faisant grief. Elle est, ainsi qu’il a été dit, indépendante de toute action en annulation. En l’absence de lien direct entre les conclusions en annulation et les prétentions indemnitaires du requérant, ce dernier ne pouvait introduire son recours en indemnité sans avoir préalablement contesté devant l’administration la décision de rejet litigieuse.

25      Par ailleurs, en ce qui concerne spécifiquement la demande tendant à la condamnation de la Commission au versement d’une indemnité de 2 000 euros en réparation du préjudice moral allégué, le requérant ne peut bénéficier de la jurisprudence du Tribunal de première instance, initiée par l’arrêt du 11 avril 2006, Angeletti/Commission (T‑394/03, RecFP p. II‑A‑2‑441), arrêt auquel il se réfère de manière cursive au point 67 de sa requête.

26      Dans cet arrêt, le Tribunal de première instance a, certes, jugé qu’il pouvait, d’office, accorder une indemnité en réparation du préjudice moral subi par un fonctionnaire en raison de la durée anormale d’une procédure médicale au titre de l’article 73 du statut (arrêt Angeletti/Commission, précité, points 162 à 167). Il a ainsi admis qu’une indemnité puisse être allouée à un fonctionnaire, alors même que celui-ci n’avait pas engagé une action en indemnité sur le fondement des articles 90 et 91 du statut et que les conditions procédurales prévues par ces articles n’avaient, par définition, pas été respectées.

27      Toutefois, le Tribunal ne saurait faire usage d’une telle faculté dans le présent litige.

28      En effet, d’une part, dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Angeletti/Commission, précité, la requête dont le Tribunal de première instance était saisi était bien recevable, tandis que dans le présent litige, le recours n’a pas fait l’objet d’une procédure précontentieuse régulière. Or, le Tribunal ne peut user de ses prérogatives juridictionnelles, notamment la compétence de pleine juridiction dont il dispose dans les litiges de caractère pécuniaire, que s’il est régulièrement saisi.

29      D’autre part, à la différence de l’affaire Angeletti/Commission, précitée, la procédure dont la durée est contestée n’est, à la date de la présente ordonnance, pas clôturée et son issue n’est pas connue, ce qui fait obstacle à ce que le Tribunal puisse d’ores et déjà apprécier la réalité et l’étendue du préjudice moral allégué (voir, en ce sens, ordonnance du Tribunal du 1er février 2008, Labate/Commission, F‑77/07, non encore publiée au Recueil, points 20 à 22).

30      En tout état de cause, il n’existe aucune raison de procéder à une démarche compensatrice du type de celle retenue par le Tribunal de première instance dans l’arrêt Angeletti/Commission, précité. Le Tribunal de première instance n’a en effet condamné la Commission, d’office, à verser une indemnité à la requérante dans l’affaire Angeletti/Commission, précitée, qu’après avoir relevé que la durée de la procédure médicale avait été anormale et que cette irrégularité ne pouvait justifier l’annulation des décisions contestées dans cette affaire, seule demande présentée par la requérante. C’est pour donner un effet utile à la constatation de la durée anormale de la procédure médicale que le Tribunal de première instance a décidé d’accorder cette réparation indemnitaire à la requérante, faute de quoi cette dernière n’aurait pu retirer un quelconque bénéfice de son recours. Or, de telles considérations sont absentes dans la présente affaire, le Tribunal n’étant saisi que d’un recours en indemnité et ne pouvant le considérer comme d’ores et déjà fondé.

31      Il résulte de tout ce qui précède que le recours doit être rejeté comme manifestement irrecevable.

 Sur les dépens

32      Aux termes de l’article 87, paragraphe 1, du règlement de procédure, sous réserve des autres dispositions du présent chapitre, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. En vertu du paragraphe 2 du même article, le Tribunal peut décider, lorsque l’équité l’exige, qu’une partie qui succombe n’est condamnée que partiellement aux dépens, voire qu’elle ne doit pas être condamnée à ce titre.

33      Il résulte des motifs ci-dessus énoncés de la présente ordonnance que le requérant est la partie qui succombe. En outre, la Commission a, dans ses conclusions, expressément demandé qu’il soit condamné aux dépens. Les circonstances de l’espèce ne justifiant pas l’application des dispositions de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, il y a donc lieu de condamner le requérant aux dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (première chambre)

ordonne :

1)      Le recours est rejeté comme manifestement irrecevable.

2)      M. Hecq est condamné aux dépens.

Fait à Luxembourg, le 29 avril 2008.

Le greffier

 

       Le président

W. Hakenberg

 

       H. Kreppel

Les textes de la présente décision ainsi que des décisions des juridictions communautaires citées dans celle-ci et non encore publiées au Recueil sont disponibles sur le site internet de la Cour de justice : www.curia.europa.eu


* Langue de procédure : le français.