ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)

9 juillet 2009 (*)

«Règlement (CE) n° 44/2001 – Article 5, point 1, sous b), second tiret – Règlement (CE) n° 261/2004 – Articles 5, paragraphe 1, sous c), et 7, paragraphe 1, sous a) – Convention de Montréal – Article 33, paragraphe 1 – Transports aériens – Demandes d’indemnisation des passagers à l’encontre de compagnies aériennes en cas d’annulation de vols – Lieu d’exécution de la prestation – Compétence judiciaire en cas de transport aérien d’un État membre vers un autre État membre par une compagnie aérienne établie dans un État membre tiers»

Dans l’affaire C‑204/08,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduite par le Bundesgerichtshof (Allemagne), par décision du 22 avril 2008, parvenue à la Cour le 19 mai 2008, dans la procédure

Peter Rehder

contre

Air Baltic Corporation,

LA COUR (quatrième chambre),

composée de M. K. Lenaerts, président de chambre, Mme R. Silva de Lapuerta, MM. E. Juhász (rapporteur), G. Arestis et J. Malenovský, juges,

avocat général: M. M. Poiares Maduro,

greffier: M. N. Nanchev, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 1er avril 2009,

considérant les observations présentées:

–        pour M. Rehder, par Me J. Kummer, Rechtsanwalt,

–        pour Air Baltic Corporation, par Me G.‑S. Hök, Rechtsanwalt,

–        pour le gouvernement allemand, par M. M. Lumma et Mme J. Kemper, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement tchèque, par M. M. Smolek, en qualité d’agent,

–        pour le gouvernement letton, par Mme E. Eihmane et M. U. Dreimanis, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement du Royaume-Uni, par M. L. Seeboruth, en qualité d’agent,

–        pour la Commission des Communautés européennes, par Mmes A.‑M. Rouchaud-Joët et S. Grünheid, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 5, point 1, sous b), second tiret, du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2001, L 12, p. 1).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant M. Rehder à Air Baltic Corporation (ci-après «Air Baltic») à la suite de l’annulation du vol qu’il avait réservé auprès de cette compagnie pour se rendre de Munich (Allemagne) à Vilnius (Lituanie).

 Le cadre juridique

 La réglementation communautaire

3        Le règlement n° 44/2001 est entré en vigueur le 1er mars 2002 et, conformément à son article 68, paragraphe 1, il remplace la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, telle que modifiée ultérieurement (JO 1998, C 27, p. 1, ci-après la «convention de Bruxelles»).

4        Le premier considérant de ce règlement énonce que «[l]a Communauté s’est donné pour objectif de maintenir et de développer un espace de liberté, de sécurité et de justice au sein duquel la libre circulation des personnes est assurée. Pour mettre en place progressivement un tel espace, il convient que la Communauté adopte, entre autres, les mesures dans le domaine de la coopération judiciaire en matière civile qui sont nécessaires au bon fonctionnement du marché intérieur».

5        Aux termes de la seconde phrase du deuxième considérant du règlement nº 44/2001, «[d]es dispositions permettant d’unifier les règles de conflit de juridictions en matière civile et commerciale ainsi que de simplifier les formalités en vue de la reconnaissance et de l’exécution rapides et simples des décisions émanant des États membres liés par [ledit] règlement sont indispensables».

6        La première phrase du onzième considérant dudit règlement expose que «[l]es règles de compétence doivent présenter un haut degré de prévisibilité et s’articuler autour de la compétence de principe du domicile du défendeur et cette compétence doit toujours être disponible, sauf dans quelques cas bien déterminés où la matière en litige ou l’autonomie des parties justifie un autre critère de rattachement».

7        Le douzième considérant du même règlement énonce que «[l]e for du domicile du défendeur doit être complété par d’autres fors autorisés en raison du lien étroit entre la juridiction et le litige ou en vue de faciliter une bonne administration de la justice».

8        Les règles de compétence édictées par le règlement nº 44/2001 figurent au chapitre II de celui-ci, constitué des articles 2 à 31.

9        L’article 2, paragraphe 1, du même règlement, qui fait partie de la section 1 dudit chapitre II, intitulée «Dispositions générales», prévoit:

«Sous réserve des dispositions du présent règlement, les personnes domiciliées sur le territoire d’un État membre sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet État membre.»

10      L’article 3, paragraphe 1, du même règlement, qui figure dans la même section 1, dispose:

«Les personnes domiciliées sur le territoire d’un État membre ne peuvent être attraites devant les tribunaux d’un autre État membre qu’en vertu des règles énoncées aux sections 2 à 7 du présent chapitre.»

11      Aux termes de l’article 5, point 1, du règlement n° 44/2001, qui figure sous le chapitre II, section 2, de celui-ci, intitulée «Compétences spéciales»:

«Une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut être attraite, dans un autre État membre:

1)      a)     en matière contractuelle, devant le tribunal du lieu où l’obligation qui sert de base à la demande a été ou doit être exécutée;

b)      aux fins de l’application de la présente disposition, et sauf convention contraire, le lieu d’exécution de l’obligation qui sert de base à la demande est:

–        pour la vente de marchandises, le lieu d’un État membre où, en vertu du contrat, les marchandises ont été ou auraient dû être livrées,

–        pour la fourniture de services, le lieu d’un État membre où, en vertu du contrat, les services ont été ou auraient dû être fournis;

c)      le point a) s’applique si le point b) ne s’applique pas».

12      L’article 60, paragraphe 1, dudit règlement prévoit:

«Pour l’application du présent règlement, les sociétés et les personnes morales sont domiciliées là où est situé:

a)      leur siège statutaire;

b)      leur administration centrale, ou

c)      leur principal établissement.»

13      L’article 71, paragraphe 1, du même règlement dispose:

«Le présent règlement n’affecte pas les conventions auxquelles les États membres sont parties et qui, dans des matières particulières, règlent la compétence judiciaire, la reconnaissance ou l’exécution des décisions.»

14      Le règlement (CE) n° 261/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 11 février 2004, établissant des règles communes en matière d’indemnisation et d’assistance des passagers en cas de refus d’embarquement et d’annulation ou de retard important d’un vol, et abrogeant le règlement (CEE) n° 295/91 (JO L 46, p. 1), établit le principe de l’indemnisation des passagers dans le cadre des transports aériens internationaux en cas d’annulation d’un vol. L’article 5 de ce règlement, intitulé «Annulations», dispose:

«1.      En cas d’annulation d’un vol, les passagers concernés:

[…]

c)      ont droit à une indemnisation du transporteur aérien effectif conformément à l’article 7, à moins qu’ils [ne] soient informés de l’annulation du vol:

[…]»

15      L’article 7, paragraphe 1, du même règlement, intitulé «Droit à indemnisation», prévoit:

«Lorsqu’il est fait référence au présent article, les passagers reçoivent une indemnisation dont le montant est fixé à:

a)      250 euros pour tous les vols de 1 500 kilomètres ou moins;

[…]»

16      Aux termes de l’article 12, paragraphe 1, dudit règlement:

«Le présent règlement s’applique sans préjudice du droit d’un passager à une indemnisation complémentaire. L’indemnisation accordée en vertu du présent règlement peut être déduite d’une telle indemnisation.»

 La convention de Montréal

17      La convention pour l’unification de certaines règles relatives au transport aérien international, qui a été conclue à Montréal le 28 mai 1999 (ci-après la «convention de Montréal»), a été signée par la Communauté européenne le 9 décembre 1999 et approuvée au nom de celle-ci par la décision 2001/539/CE du Conseil, du 5 avril 2001 (JO L 194, p. 38), et elle est entrée en vigueur, en ce qui concerne la Communauté, le 28 juin 2004. L’article 19 de cette convention, intitulé «Retard», prévoit:

«Le transporteur est responsable du dommage résultant d’un retard dans le transport aérien de passagers, de bagages ou de marchandises. [...]»

18      L’article 33, paragraphe 1, de la convention de Montréal, intitulé «Juridiction compétente», est libellé comme suit:

«L’action en responsabilité devra être portée, au choix du demandeur, dans le territoire d’un des États Parties, soit devant le tribunal du domicile du transporteur, du siège principal de son exploitation ou du lieu où il possède un établissement par le soin duquel le contrat a été conclu, soit devant le tribunal du lieu de destination.»

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

19      M. Rehder, résidant à Munich, avait réservé auprès d’Air Baltic, dont le siège social est à Riga (Lettonie), un vol de Munich à Vilnius. La distance entre Munich et Vilnius est légèrement inférieure à 1 500 kilomètres. Environ 30 minutes avant l’heure de départ prévue à Munich, les passagers ont été informés de l’annulation de leur vol. Après une modification de sa réservation par Air Baltic, le demandeur a pris un vol pour Vilnius via Copenhague et il est arrivé à destination plus de 6 heures après l’heure à laquelle il aurait normalement dû y parvenir par le vol initialement réservé.

20      Par une demande introduite devant l’Amtsgericht Erding, dans le ressort duquel est situé l’aéroport de Munich, M. Rehder a demandé qu’Air Baltic soit condamnée à lui verser une indemnisation d’un montant de 250 euros conformément aux articles 5, paragraphe 1, sous c), et 7, paragraphe 1, sous a), du règlement n° 261/2004. Considérant que les services de transport aérien sont fournis au lieu de départ de l’avion, ce qui implique que le lieu d’exécution de l’obligation contractuelle, au sens de l’article 5, point 1, sous b), second tiret, du règlement n° 44/2001, est celui de l’aéroport de départ, en l’occurrence celui de Munich, l’Amtsgericht Erding s’est déclaré compétent pour connaître de la demande d’indemnisation de M. Rehder.

21      Sur appel interjeté par Air Baltic, l’Oberlandesgericht München, considérant que les services de transport aérien sont fournis au lieu du siège social de la compagnie qui assure le vol, a annulé la décision de la juridiction de première instance. À l’encontre de cet arrêt de la juridiction d’appel, M. Rehder a introduit une demande en «Revision» devant le Bundesgerichtshof.

22      La juridiction de renvoi observe que la question de savoir si l’Amtsgericht Erding est en l’occurrence compétent dépend de l’interprétation de l’article 5, point 1, sous b), second tiret, du règlement n° 44/2001. Elle relève que, à propos du premier tiret de la même disposition, concernant la vente de marchandises, la Cour a tout d’abord jugé que cette règle de compétence spéciale en matière contractuelle consacre le lieu de livraison en tant que critère de rattachement autonome, qui a vocation à s’appliquer à toutes les demandes fondées sur un même contrat de vente de marchandises et pas seulement à celles fondées sur l’obligation de livraison elle-même (arrêt du 3 mai 2007, Color Drack, C‑386/05, Rec. p. I‑3699, point 26). La Cour aurait jugé ensuite que ladite règle est également applicable en cas de pluralité de lieux de livraison de marchandises et que, dans ce cas, il faut entendre par lieu d’exécution le lieu qui assure le lien de rattachement le plus étroit entre le contrat et la juridiction compétente, ce lien de rattachement le plus étroit se vérifiant, en règle générale, au lieu de la livraison principale, laquelle doit être déterminée en fonction de critères économiques (arrêt Color Drack, précité, point 40). La Cour aurait enfin considéré que, à défaut de pouvoir déterminer le lieu de la livraison principale, chacun des lieux de livraison présente un lien suffisant de proximité avec les éléments matériels du litige et que, dans un tel cas, le demandeur peut attraire le défendeur devant le tribunal du lieu de livraison de son choix (arrêt Color Drack, précité, point 42).

23      Toutefois, le Bundesgerichtshof souligne que la Cour a par ailleurs indiqué expressément, au point 16 de l’arrêt Color Drack, précité, que ses considérations se limitaient au seul cas d’une pluralité de lieux de livraison dans un seul État membre et ne préjugeaient pas de la réponse à apporter en cas de pluralité de lieux de livraison dans plusieurs États membres.

24      Le Bundesgerichtshof se demande donc si, eu égard aux objectifs du règlement n° 44/2001, selon lesquels il convient d’unifier et de rendre prévisibles les règles de compétence ainsi que de déterminer un lieu unique d’exécution, lequel est, en principe, celui qui présente le lien de rattachement le plus étroit entre la contestation et la juridiction compétente, il ne conviendrait pas d’interpréter de la même manière l’article 5, point 1, sous b), second tiret, du règlement n° 44/2001 et de concentrer en principe en un seul lieu d’exécution également la compétence judiciaire pour des litiges concernant les obligations contractuelles résultant d’un contrat de transport aérien international, malgré le fait que, dans le cadre d’un tel contrat, il n’est pas aisé de déterminer de manière univoque le lieu où sont fournies, pour l’essentiel, les prestations de services.

25      Eu égard à ces considérations, le Bundesgerichtshof a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)      L’article 5, point 1, sous b), second tiret, du règlement [n° 44/2001] doit-il être interprété en ce sens qu’il y a lieu, également dans le cas de voyages aériens d’un État membre de la Communauté dans un autre État membre de la Communauté, de considérer qu’il existe un lieu d’exécution unique pour l’ensemble des prestations résultant du contrat et que celui-ci se situe au lieu de la prestation principale qu’il convient de déterminer selon des critères économiques?

2)      S’il y a lieu de déterminer un lieu d’exécution unique: quels sont les critères pertinents pour une telle détermination; le lieu d’exécution unique doit-il notamment s’apprécier en fonction du lieu du départ ou du lieu de l’arrivée de l’avion?»

 Sur les questions préjudicielles

26      Avant de procéder à l’examen des questions posées par la juridiction de renvoi, il y a lieu de relever, à titre liminaire, que certaines des observations déposées devant la Cour ont soulevé la question de l’applicabilité, dans une situation telle que celle au principal, de l’article 33 de la convention de Montréal aux fins de déterminer la juridiction compétente.

27      Il convient de relever à cet égard que le droit dont le demandeur au principal se prévaut en l’occurrence, qui est tiré de l’article 7 du règlement n° 261/2004, constitue un droit à indemnisation forfaitaire et uniformisée du passager, à la suite de l’annulation d’un vol, droit qui est indépendant de la réparation du dommage dans le cadre de l’article 19 de la convention de Montréal (voir arrêt du 10 janvier 2006, IATA et ELFAA, C‑344/04, Rec. p. I‑403, points 43 à 46). Les droits fondés respectivement sur lesdites dispositions du règlement n° 261/2004 et de la convention de Montréal relèvent ainsi de cadres réglementaires différents.

28      Il s’ensuit que la demande au principal ayant été introduite sur le fondement du seul règlement n° 261/2004, elle doit être examinée au regard du règlement n° 44/2001.

29      Par ses questions, qu’il convient d’examiner conjointement, la juridiction de renvoi demande en substance à la Cour de préciser de quelle manière il convient d’interpréter les termes «le lieu d’un État membre où, en vertu du contrat, les services ont été ou auraient dû être fournis» figurant à l’article 5, point 1, sous b), second tiret, du règlement n° 44/2001, en cas de transport aérien de personnes d’un État membre à destination d’un autre État membre, dans le contexte d’une demande d’indemnisation fondée sur le règlement n° 261/2004.

30      En réalité, par ces questions, il est demandé à la Cour si, dans le cas d’une prestation de services telle que celle en cause au principal, il y a lieu de conférer auxdits termes la même interprétation que celle donnée par la Cour au premier tiret de ladite disposition dans son arrêt Color Drack, précité, en cas de pluralité de lieux de livraison de marchandises dans un même État membre.

31      Au point 18 de l’arrêt Color Drack, précité, la Cour s’est fondée, aux fins de répondre à la question posée, sur la genèse, les objectifs et le système du règlement n° 44/2001.

32      À cet égard, la Cour a rappelé, tout d’abord, que la règle de compétence spéciale prévue à l’article 5, point 1, du règlement n° 44/2001 en matière contractuelle, qui complète la règle de compétence de principe du for du domicile du défendeur, répond à un objectif de proximité et est motivée par le lien de rattachement étroit entre le contrat et le tribunal appelé à en connaître (arrêt Color Drack, précité, point 22).

33      La Cour a relevé ensuite que, en ce qui concerne le lieu d’exécution des obligations découlant de contrats de vente de marchandises, le règlement n° 44/2001 définit, à son article 5, point 1, sous b), premier tiret, de manière autonome ce critère de rattachement, afin de renforcer les objectifs d’unification des règles de compétence judiciaire et de prévisibilité. Ainsi, dans de tels cas, le lieu de livraison des marchandises est consacré en tant que critère de rattachement autonome, qui a vocation à s’appliquer à toutes les demandes fondées sur le même contrat de vente (arrêt Color Drack, précité, points 24 et 26).

34      À la lumière des objectifs de proximité et de prévisibilité, la Cour a jugé que la règle énoncée à l’article 5, point 1, sous b), premier tiret, du règlement n° 44/2001 est également applicable en cas de pluralité de lieux de livraison de marchandises dans un même État membre, étant entendu qu’un seul tribunal doit être compétent pour connaître de toutes les demandes fondées sur le contrat (arrêt Color Drack, précité, points 36 et 38).

35      Enfin, dans un tel cas de pluralité de lieux de livraison des marchandises dans un même État membre, la Cour a considéré que le lieu qui assure le lien de rattachement le plus étroit entre le contrat et la juridiction compétente est celui de la livraison principale, laquelle doit être déterminée en fonction de critères économiques, et que, à défaut de pouvoir déterminer le lieu de la livraison principale, chacun des lieux de livraison présente un lien suffisant de proximité avec les éléments matériels du litige, le demandeur pouvant, dans ce cas, attraire le défendeur devant le tribunal du lieu de livraison de son choix (arrêt Color Drack, précité, points 40 et 42).

36      Il convient de souligner que les considérations sur lesquelles la Cour s’est fondée pour parvenir à l’interprétation formulée dans l’arrêt Color Drack, précité, sont également valables en ce qui concerne les contrats de fourniture de services, y compris dans les cas où cette fourniture n’est pas effectuée dans un seul État membre. En effet, les règles de compétence spéciale prévues par le règlement n° 44/2001 en matière de contrats de vente de marchandises et de fourniture de services ont la même genèse, poursuivent la même finalité et occupent la même place dans le système établi par ce règlement.

37      Les objectifs de proximité et de prévisibilité, qui sont poursuivis par la concentration de la compétence judiciaire au lieu de fourniture des services, en vertu du contrat en cause, et par la détermination d’une compétence judiciaire unique pour toutes les prétentions fondées sur ce contrat, ne sauraient recevoir une approche différenciée en cas de pluralité de lieux de fourniture des services en question dans des États membres différents. En effet, une telle différenciation, outre le fait qu’elle ne trouverait pas de fondement dans les dispositions du règlement n° 44/2001, serait en contradiction avec la finalité qui a présidé à l’adoption de celui-ci, qui, par l’unification des règles de conflit de juridictions en matière civile et commerciale, contribue au développement d’un espace de liberté, de sécurité et de justice ainsi qu’au bon fonctionnement du marché intérieur au sein de la Communauté (voir premier et deuxième considérants du règlement n° 44/2001).

38      Par conséquent, en cas de pluralité de lieux de fourniture de services dans des États membres différents, il convient également de rechercher le lieu qui assure le rattachement le plus étroit entre le contrat en cause et la juridiction compétente, notamment celui où, en vertu de ce contrat, doit être effectuée la fourniture principale des services.

39      À cet égard, il convient de constater d’emblée que, ainsi que l’a relevé la juridiction de renvoi, le lieu du siège ou du principal établissement de la compagnie aérienne concernée ne présente pas le lien étroit nécessaire avec le contrat. En effet, les opérations et actions entreprises depuis ce lieu, telles que, notamment, la mise à disposition d’un appareil et d’un équipage adéquats, constituent des mesures logistiques et préparatoires en vue de l’exécution du contrat de transport aérien et non pas des services dont la fourniture serait liée au contenu proprement dit du contrat. Il en va de même du lieu de la conclusion du contrat de transport aérien et de celui de la délivrance du billet.

40      Les services dont la fourniture correspond à l’exécution des obligations découlant d’un contrat de transport aérien de personnes sont, en effet, l’enregistrement ainsi que l’embarquement des passagers et l’accueil de ces derniers à bord de l’avion au lieu de décollage convenu dans le contrat de transport en cause, le départ de l’appareil à l’heure prévue, le transport des passagers et de leurs bagages du lieu de départ au lieu d’arrivée, la prise en charge des passagers pendant le vol et, enfin, le débarquement de ceux-ci, dans des conditions de sécurité, au lieu d’atterrissage et à l’heure convenus dans ce contrat. Sous cet angle, les lieux d’escale éventuels de l’appareil ne présentent pas non plus un lien suffisant avec l’essentiel des services résultant dudit contrat.

41      Or, les seuls lieux qui présentent un lien direct avec lesdits services, fournis en exécution des obligations liées à l’objet du contrat, sont ceux de départ et d’arrivée de l’avion, étant précisé que les termes «lieux de départ et d’arrivée» doivent être entendus comme étant ceux convenus dans le contrat de transport en cause conclu avec une seule compagnie aérienne qui est le transporteur effectif.

42      Il convient toutefois de relever à cet égard que, à la différence des livraisons de marchandises en des lieux différents, qui constituent des opérations distinctes et quantifiables aux fins de déterminer la livraison principale en fonction de critères économiques, les transports aériens constituent, en raison même de leur nature, des services fournis d’une manière indivisible et unitaire du lieu de départ au lieu d’arrivée de l’avion, en sorte que ne saurait être distinguée dans de tels cas, en fonction d’un critère économique, une partie distincte de la prestation qui constituerait la prestation principale, laquelle serait fournie en un lieu précis.

43      Dans ces conditions, tant le lieu de départ que le lieu d’arrivée de l’avion doivent être considérés, au même titre, comme les lieux de fourniture principale des services faisant l’objet d’un contrat de transport aérien.

44      Chacun de ces deux lieux présente un lien suffisant de proximité avec les éléments matériels du litige et, partant, assure le rattachement étroit, voulu par les règles de compétence spéciale énoncées à l’article 5, point 1, du règlement n° 44/2001, entre le contrat et la juridiction compétente. Par conséquent, le demandeur d’une indemnisation fondée sur le règlement n° 261/2004 peut attraire, en vertu d’un choix qu’il lui appartient d’effectuer, le défendeur devant le tribunal dans le ressort duquel se trouve l’un desdits lieux sur le fondement de l’article 5, point 1, sous b), second tiret, du règlement n° 44/2001.

45      Une telle faculté de choix reconnue au demandeur, outre le respect du critère de proximité, satisfait également à l’exigence de prévisibilité, dans la mesure où elle permet tant au demandeur qu’au défendeur d’identifier facilement les juridictions susceptibles d’être saisies. Au surplus, elle est conforme à l’objectif de sécurité juridique, le choix du demandeur étant limité, dans le cadre de l’article 5, point 1, sous b), second tiret, du règlement n° 44/2001, à deux juridictions. Il convient en outre de rappeler que le demandeur conserve la possibilité de s’adresser à la juridiction du domicile du défendeur prévue à l’article 2, paragraphe 1, dudit règlement, c’est-à-dire, en l’occurrence, en vertu de l’article 60, paragraphe 1, du même règlement, la juridiction dans le ressort de laquelle le transporteur aérien a son siège statutaire, son administration centrale ou son principal établissement, ce qui est conforme à l’article 33 de la convention de Montréal.

46      Au demeurant, une telle faculté de choix, même lorsqu’il s’agit de juridictions situées dans des États membres différents, est également reconnue au demandeur par la jurisprudence constante de la Cour dans le cadre de la compétence spéciale en matière délictuelle ou quasi délictuelle, prévue à l’article 5, point 3, de la convention de Bruxelles et reprise également à l’article 5, point 3, du règlement n° 44/2001 (voir, notamment, arrêts du 30 novembre 1976, Bier, dit «Mines de potasse d’Alsace», 21/76, Rec. p. 1735, points 24 et 25, ainsi que du 10 juin 2004, Kronhofer, C‑168/02, Rec. p. I‑6009, point 16 et jurisprudence citée).

47      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre aux questions posées que l’article 5, point 1, sous b), second tiret, du règlement n° 44/2001 doit être interprété en ce sens que, en cas de transport aérien de personnes d’un État membre à destination d’un autre État membre, effectué sur le fondement d’un contrat conclu avec une seule compagnie aérienne qui est le transporteur effectif, le tribunal compétent pour connaître d’une demande d’indemnisation fondée sur ce contrat de transport et sur le règlement n° 261/2004 est celui, au choix du demandeur, dans le ressort duquel se trouve le lieu de départ ou le lieu d’arrivée de l’avion, tels que ces lieux sont convenus dans ledit contrat.

 Sur les dépens

48      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) dit pour droit:

L’article 5, point 1, sous b), second tiret, du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, doit être interprété en ce sens que, en cas de transport aérien de personnes d’un État membre à destination d’un autre État membre, effectué sur le fondement d’un contrat conclu avec une seule compagnie aérienne qui est le transporteur effectif, le tribunal compétent pour connaître d’une demande d’indemnisation fondée sur ce contrat de transport et sur le règlement (CE) n° 261/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 11 février 2004, établissant des règles communes en matière d’indemnisation et d’assistance des passagers en cas de refus d’embarquement et d’annulation ou de retard important d’un vol, et abrogeant le règlement (CEE) n° 295/91, est celui, au choix du demandeur, dans le ressort duquel se trouve le lieu de départ ou le lieu d’arrivée de l’avion, tels que ces lieux sont convenus dans ledit contrat.

Signatures


* Langue de procédure: l’allemand.