CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MACIEJ SZPUNAR

présentées le 28 février 2019 (1)

Affaire C‑377/17

Commission européenne

contre

République fédérale d’Allemagne

« Manquement d’État – Services dans le marché intérieur – Directive 2006/123/CE – Article 15 – Honoraires des architectes et ingénieurs – Tarifs obligatoires »






1.        Le présent recours en manquement introduit par la Commission européenne contre la République fédérale d’Allemagne relatif aux honoraires minimaux et maximaux pour des services fournis par les architectes et ingénieurs en Allemagne offre à la Cour l’occasion de clarifier la mesure dans laquelle l’article 15, paragraphe 2, de la directive 2006/123/CE (2) harmonise certaines restrictions à la liberté d’établissement ainsi que de se prononcer sur le critère de proportionnalité tel qu’établi à l’article 15, paragraphe 3, de cette directive.

I.      Le cadre juridique

A.      Le droit de l’Union

2.        L’article 2 de la directive 2006/123 s’intitule « Champ d’application ». Aux termes de son premier paragraphe, la directive « s’applique aux services fournis par les prestataires ayant leur établissement dans un État membre ».

3.        Le chapitre III (articles 9 à 15) de cette directive est consacré à la liberté d’établissement des prestataires de services. Sa section 2 (articles 14 et 15) concerne les exigences qui sont interdites ou soumises à évaluation.

4.        L’article 15 de cette directive, intitulé « Exigences à évaluer », est libellé comme suit :

« 1.      Les États membres examinent si leur système juridique prévoit les exigences visées au paragraphe 2 et veillent à ce que ces exigences soient compatibles avec les conditions visées au paragraphe 3. Les États membres adaptent leurs dispositions législatives, réglementaires ou administratives afin de les rendre compatibles avec ces conditions.

2.      Les États membres examinent si leur système juridique subordonne l’accès à une activité de service ou son exercice au respect de l’une des exigences non discriminatoires suivantes :

[...]

g)      les tarifs obligatoires minimum et/ou maximum que doit respecter le prestataire ;

[...]

3.      Les États membres vérifient que les exigences visées au paragraphe 2 remplissent les conditions suivantes :

a)      non-discrimination : les exigences ne sont pas directement ou indirectement discriminatoires en fonction de la nationalité ou, en ce qui concerne les sociétés, de l’emplacement de leur siège statutaire ;

b)      nécessité : les exigences sont justifiées par une raison impérieuse d’intérêt général ;

c)      proportionnalité : les exigences doivent être propres à garantir la réalisation de l’objectif poursuivi, ne pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif et d’autres mesures moins contraignantes ne doivent pas permettre d’atteindre le même résultat.

[...] »

B.      Le droit allemand

5.        En Allemagne, les honoraires des architectes et ingénieurs sont régis par un règlement du gouvernement fédéral intitulé « Honorarordnung für Architekten und Ingenieure » (Barème des honoraires des architectes et ingénieurs), du 10 juillet 2013 (3) (ci‑après le « HOAI »).

6.        L’article 1er de ce règlement définit le champ d’application de celui-ci et précise qu’il régit le calcul des rémunérations des prestations de base des architectes et ingénieurs établis en Allemagne, dès lors que ces prestations de base sont visées par ledit règlement.

7.        L’article 3 du HOAI relatif aux services et prestations est rédigé comme suit :

« 1.      Les honoraires des prestations de base de la planification de surfaces, d’ouvrages et spécialisée sont réglementés avec effet contraignant aux parties 2 à 4 du présent règlement. Les honoraires de services de conseil visés à l’annexe 1 ne sont pas réglementés avec effet contraignant.

2.      Les prestations de base qui sont généralement nécessaires à l’exécution conforme d’un mandat sont reprises dans les profils de prestation. Les profils de prestation sont subdivisés en phases de prestation, conformément aux dispositions des parties 2 à 4.

3.      La liste des prestations particulières visées par le présent règlement et les profils de prestation et leurs annexes n’est pas exhaustive. Les prestations particulières peuvent également être convenues pour les plans de profils de prestation et les phases de prestation dont elles ne relèvent pas, pour autant qu’elles ne constituent pas des prestations de base. Les honoraires des prestations spéciales peuvent être convenus librement.

4.      Il convient toujours de respecter l’efficacité économique de la prestation. »

8.        Aux termes de l’article 7 du HOAI, intitulé « Convention d’honoraires » :

« 1.      Les honoraires sont basés sur la convention écrite adoptée par les parties contractantes lors de l’attribution du mandat et s’inscrivent dans le cadre des montants minimaux et maximaux fixés par le présent règlement.

2.      Si les coûts ou surfaces éligibles déterminés se situent hors des barèmes fixés dans les tableaux d’honoraires du présent règlement, les honoraires peuvent être convenus librement.

3.      Les montants minimaux fixés dans le présent règlement peuvent être abaissés dans des cas exceptionnels, moyennant accord par écrit.

4.      Les montants maximaux fixés dans le présent règlement peuvent être dépassés uniquement en cas de prestations de base extraordinaires ou d’une durée inhabituellement longue, moyennant accord par écrit. Il n’est pas tenu compte dans ce cas de circonstances qui ont déjà été déterminantes pour le classement dans les tranches d’honoraires ou pour le classement dans le cadre des montants minimaux et maximaux. »

9.        Les parties 2 et 4 du HOAI, visées à l’article 3, paragraphe 1, de celui-ci, contiennent des dispositions détaillées concernant les montants minimaux et maximaux pour la planification de surfaces, d’ouvrages et spécialisée. Certaines de ces dispositions autorisent la diminution des prix minimaux dans des cas exceptionnels, conformément à l’article 7, paragraphe 3, du HOAI.

10.      Il découle de l’article 44, paragraphe 7, du HOAI que si la charge de planification d’ouvrages de génie civil qui ont une grande extension en longueur et sont érigés dans des conditions de construction égales est disproportionnée par rapport aux honoraires calculés, il convient d’appliquer l’article 7, paragraphe 3.

11.      L’article 52, paragraphe 5, du HOAI prévoit que si la charge de planification de structures portantes d’ouvrages de génie civil qui ont une grande extension en longueur et sont érigés dans des conditions de construction égales est disproportionnée par rapport aux honoraires calculés, il convient d’appliquer l’article 7, paragraphe 3.

12.      L’article 56 du HOAI dispose que si la charge de planification des équipements techniques d’ouvrages de génie civil qui ont une grande extension en longueur et sont érigés dans des conditions de construction égales est disproportionnée par rapport aux honoraires calculés, il convient d’appliquer l’article 7, paragraphe 3.

II.    Les antécédents du litige

A.      La procédure précontentieuse

13.      Après avoir recueilli les réponses de certains États membres aux questions relatives aux systèmes de tarifs obligatoires nationaux, la Commission a ouvert une procédure EU Pilot, dans le cadre de laquelle la République fédérale d’Allemagne a déposé ses observations pour justifier les dispositions relatives aux honoraires des architectes et ingénieurs le 10 mars 2015.

14.      Par lettre de mise en demeure du 18 juin 2015, la Commission a attiré l’attention des autorités allemandes sur une possible violation, par les dispositions du HOAI relatives aux tarifs, de l’article 15, paragraphe 1, de l’article 15, paragraphe 2, sous g), et de l’article 15, paragraphe 3, de la directive 2006/123 ainsi que de l’article 49 TFUE.

15.      Par réponse du 22 septembre 2015, la République fédérale d’Allemagne a contesté cette allégation. Selon cet État membre, le règlement en cause ne restreindrait pas la liberté d’établissement et, en tout état de cause, une éventuelle restriction de ce type serait justifiée par des raisons impérieuses d’intérêt général. En tout cas, il a observé que des situations de nature purement interne ne relevaient pas du champ d’application de la directive 2006/123.

16.      Le 25 février 2016, la Commission a émis un avis motivé dans lequel elle a réitéré ses arguments figurant déjà dans la lettre de mise en demeure et la République fédérale d’Allemagne y a répondu le 13 mai 2016 en renvoyant aux arguments déjà avancés dans sa réponse à la lettre de mise en demeure.

B.      La procédure devant la Cour

17.      La Commission n’ayant pas jugé suffisante la réponse de la République fédérale d’Allemagne du 13 mai 2016, elle a décidé d’introduire le présent recours. Ce dernier a été déposé au greffe de la Cour le 23 juin 2017.

18.      Par demande déposée au greffe de la Cour le 5 octobre 2017, le gouvernement hongrois a demandé à intervenir au soutien de la République fédérale d’Allemagne. Par décision du 7 novembre 2017, le président de la Cour a autorisé cette intervention.

19.      Le gouvernement allemand et la Commission ont présenté des observations orales à l’audience qui s’est tenue le 7 novembre 2018, de même que le gouvernement hongrois.

III. Appréciation

A.      Remarques préliminaires

1.      De la relation entre l’article 15 de la directive 2006/123 et l’article 49 TFUE

20.      Dans ses observations, la Commission se réfère systématiquement à l’article 15 de la directive 2006/123 et à l’article 49 TFUE conjointement. Ce n’est pas nécessaire, et je vais séparer ces dispositions pour les raisons exposées ci‑après.

21.      La directive 2006/123 constitue une forme particulière d’harmonisation (4) en ce qu’elle ne crée pas de standards harmonisés, mais entend plutôt éliminer les obstacles (5) à la liberté d’établissement des prestataires de services et à la libre prestation des services. Elle suit donc la même logique d’« intégration négative » que les libertés du traité. Les principes généraux relatifs à l’harmonisation s’appliquent néanmoins.

22.      Par conséquent, dans le champ d’application de la directive 2006/123, tel qu’établi à l’article 2, les dispositions de celle-ci constituent des leges speciales par rapport à celles du traité (6). Il s’ensuit que dès lors qu’une question relève du champ d’application de la directive 2006/123, il n’est nul besoin de l’examiner au regard des dispositions du traité (7).

23.      Ce sont donc les règles posées par la directive 2006/123 qui constituent le cadre juridique de détermination de la compatibilité du HOAI avec la liberté d’établissement conformément à celle-ci.

24.      La structure de l’article 15 de la directive 2006/123 est analogue à celle de l’article 49 TFUE, tel qu’interprété par la Cour depuis des décennies. L’article 15, paragraphes 1 et 2, et paragraphe 3, sous a), de cette directive prévoient l’interdiction de restrictions à la liberté d’établissement, y compris de mesures indistinctement applicables, c’est-à-dire de mesures qui s’appliquent en droit et en fait de la même manière à tous les prestataires de services et qui ne discriminent ni directement ni indirectement sur le fondement de la nationalité (8). L’article 15, paragraphe 3, sous b) et c), de la directive 2006/123 autorise des restrictions proportionnées justifiées par des raisons impérieuses d’intérêt général. Ces raisons impérieuses sont à leur tour définies à l’article 4, paragraphe 8, de cette directive. La liste n’est pas exhaustive dans la mesure où des développements sociétaux, économiques, technologiques ou d’autre nature sont susceptibles de donner naissance à de nouvelles raisons impérieuses avec le temps (9).

25.      Pour apporter la touche finale à ce tableau (10), il convient de préciser que même si l’article 15 de la directive 2006/123 s’adresse aux États membres sous la forme d’une obligation d’évaluation, cette disposition est directement applicable et les particuliers sont fondés à l’invoquer à l’encontre d’un État membre (11).

2.      Des situations purement internes

26.      Une partie substantielle des observations des parties porte sur l’applicabilité de l’article 15 de la directive 2006/123 à des situations purement internes, c’est-à-dire à des situations dans lesquelles les faits se cantonnent à l’intérieur d’un seul État membre.

27.      La Cour a répondu à cette question dans l’arrêt X et Visser en ce sens que« les dispositions du chapitre III de la directive 2006/123, relatif à la liberté d’établissement des prestataires, doivent être interprétées en ce sens qu’elles s’appliquent également à une situation dont tous les éléments pertinents se cantonnent à l’intérieur d’un seul État membre » (12).

28.      Il n’y a donc pas lieu d’aborder cette question dans les présentes conclusions.

B.      La restriction au regard de l’article 15, paragraphe 2, sous g), de la directive 2006/123

1.      Les arguments des parties

a)      La Commission

29.      La Commission estime que le système de prix minimaux et maximaux du HOAI gêne l’entrée de nouveaux prestataires de services d’autres États membres sur le marché, dans la mesure où celui-ci les empêche, en tant que prestataires pour qui il est plus difficile d’attirer des clients, d’offrir leurs services à des prix inférieurs à ceux prévus par les tarifs minimaux pour les prestataires établis en Allemagne ou d’offrir des services de plus grande valeur à des prix supérieurs aux tarifs maximaux.

30.      La Commission considère que, même si la densité du marché allemand des services architecturaux est très élevée, ce fait n’aurait aucune incidence sur l’existence de restrictions à la liberté d’établissement. À cet égard, elle fait valoir que l’article 15 de la directive 2006/123 ne fait pas référence à la situation du marché et que la Cour, dans son arrêt Cipolla e.a. (13), a jugé que la fixation d’honoraires minimaux pour des avocats constituerait une restriction à la libre prestation de services, alors que le marché était caractérisé par la présence d’un nombre extrêmement élevé d’avocats inscrits et en activité.

31.      Même si le HOAI ne régit pas l’accès au marché, la Commission observe que cela n’enlève rien au fait que celui-ci a des effets sur l’incitation à fournir les prestations qu’il vise. À cet égard, la Commission rappelle que la directive 2006/123 garantit non pas uniquement l’établissement formel, mais aussi la possibilité concrète de l’accès au marché.

b)      La République fédérale d’Allemagne

32.      La République fédérale d’Allemagne est d’avis que le HOAI ne méconnaît pas la directive 2006/123 dans la mesure où, d’une part, ce règlement ne prévoit des honoraires minimaux et maximaux que pour des prestations de planification, ce qui s’explique par le fait que, en ce qui les concerne, il existe un intérêt général particulier à garantir un standard de qualité élevé, tandis que les honoraires pour les prestations de conseil sont librement négociables entre les parties. D’autre part, le HOAI prévoit de nombreuses situations exceptionnelles et possibilités de s’écarter du barème, afin de garantir qu’il puisse être convenu d’un honoraire correct dans chaque cas particulier. Partant, il existe, selon cet État membre, un haut degré de flexibilité qui permet à des opérateurs provenant d’autres États membres de l’Union européenne de pénétrer le marché allemand dans des conditions de concurrence effective.

33.      La République fédérale d’Allemagne rappelle que la notion de « restriction » couvre les mesures prises par un État membre qui, quoiqu’indistinctement applicables, affectent l’accès au marché pour les entreprises d’autres États membres et entravent ainsi le commerce intracommunautaire. Selon la République fédérale d’Allemagne, il ressort de l’arrêt Commission/Italie (14) que des honoraires minimaux et maximaux ne constituent pas une restriction lorsque les exceptions existantes garantissent toujours le paiement d’un honoraire approprié. Cet État membre ajoute que la jurisprudence de la Cour démontre que les tarifs ne constituent pas un obstacle dès lors qu’un degré suffisant de flexibilité est assuré dans la législation en cause.

2.      Analyse

a)      L’exigence de tarifs minimaux et maximaux fixes constitue une restriction

34.      Aux termes de l’article 15, paragraphe 2, sous g), de la directive 2006/123 (15), disposition qui revêt une importance particulière pour les professions libérales (16), les États membres doivent examiner si leur système juridique subordonne l’accès à une activité de service ou son exercice au respect de l’exigence non discriminatoire de tarifs obligatoires minimum et/ou maximum que doit respecter le prestataire.

35.      À l’article 4, paragraphe 7, de la directive 2006/123, l’« exigence » est définie comme toute obligation, interdiction, condition ou limite prévue dans les dispositions législatives, réglementaires ou administratives des États membres (17).

36.      Je comprends l’article 15, paragraphe 2, de la directive 2006/123, tel qu’interprété par la Cour (18), en ce sens que, selon cette directive, il existe une restriction dès lors que les conditions qui y sont posées sont remplies. Il n’est donc pas nécessaire de poursuivre plus avant l’examen de cette question.

37.      En l’espèce, les dispositions litigieuses du HOAI imposant, pour les services de planification (19), des tarifs minimaux et maximaux (une exigence) (20) constituent des obligations (21) prévues dans la réglementation d’un État membre (22), ce qui subordonne l’accès à l’activité de prestation de services architecturaux (23) au respect de cette exigence. Rien ne permet de penser qu’elles ne sont pas non discriminatoires par nature (24).

38.      Par conséquent, l’exigence de tarifs minimaux ou maximaux fixes à respecter par le prestataire de services constitue une restriction à la liberté d’établissement.

39.      Toutefois, même l’application du critère classique, issu de la jurisprudence de la Cour en matière de liberté d’établissement au sens de l’article 49 TFUE, amène à conclure que nous sommes en présence d’une restriction. Un nouvel arrivant sur le marché qui souhaite s’y établir est entravé par cette exigence.

40.      Sur ce point, la Cour juge de manière constante que les règles nationales qui interdisent aux entreprises de déroger aux tarifs minimaux prévus par le droit national privent les entreprises établies dans un autre État membre de la possibilité de livrer, par la demande d’honoraires inférieurs à ceux fixés par le législateur national, une concurrence plus efficace aux entreprises établies de manière stable dans l’État membre concerné et disposant, de ce fait, de plus grandes facilités que les entreprises ayant leur siège dans un autre État membre pour s’attacher une clientèle (25).

41.      En outre, la Cour a jugé qu’un système exigeant l’approbation (étatique) préalable des tarifs dans le secteur des assurances « est susceptible [...] de dissuader les entreprises d’assurances dont le siège social se trouve dans un État membre autre que celui ayant instauré un tel système d’ouvrir une succursale dans ce dernier État » (26) et a constaté l’existence d’une restriction à la liberté d’établissement (27).

42.      De plus, la concurrence est, par sa nature même, déterminée par les prix. Priver un opérateur de la possibilité de descendre en dessous d’un prix déterminé le prive d’un facteur de compétitivité (28).

43.      En résumé, les mesures en cause représentent une interférence avec l’autonomie individuelle, affectent la capacité des entreprises de se livrer concurrence sur les prix et constituent une restriction à la liberté d’établissement.

b)      Les exceptions et dérogations au HOAI sont dénuées de pertinence

44.      Par souci d’exhaustivité, il convient de préciser que le système instauré par le HOAI, qui inclut d’éventuelles exceptions et dérogations aux dispositions de ce règlement, ne modifie en rien le constat de l’existence d’une restriction.

45.      Il est vrai que dans une affaire concernant des dispositions italiennes obligeant les avocats à respecter des tarifs maximaux, la Cour a jugé que la Commission n’avait pas réussi à démontrer que le régime en cause était conçu d’une manière qui portait atteinte à l’accès, dans des conditions de concurrence normales et efficaces, au marché italien des services en cause (29).

46.      La constatation faite dans cette affaire ne saurait toutefois être transposée en l’espèce.

47.      En premier lieu, le système italien des honoraires était caractérisé par une flexibilité beaucoup plus importante que celle prévue par le HOAI. Non seulement, il était loisible aux avocats de conclure un accord spécial avec leur client pour fixer le montant des honoraires dans plusieurs situations, mais il était possible d’augmenter les honoraires jusqu’au double des tarifs maximaux applicables par défaut dans les dossiers présentant une importance, une complexité ou une difficulté particulières, ou jusqu’au quadruple desdits tarifs pour ceux revêtant une importance exceptionnelle ou même au-delà en cas de disproportion manifeste, au regard des circonstances de l’espèce, entre les prestations de l’avocat et les tarifs maximaux prévus (30).

48.      Au contraire, les dispositions du HOAI prévoyant des exceptions et dérogations ont un champ d’application étroit, comme le démontre la position tant des auteurs du HOAI que des juridictions allemandes (31).

49.      En second lieu, et ce point est crucial, l’affaire italienne étant antérieure à l’entrée en vigueur de la directive 2006/123, j’ai du mal à croire qu’elle pourrait être tranchée aujourd’hui de la même manière qu’elle l’a été en 2017. Si la directive 2006/123 avait déjà été applicable, la Cour n’aurait pas eu besoin d’examiner la question d’une restriction. En effet, comme je l’ai indiqué, la directive 2006/123, en son article 15, paragraphe 2, sous g), a pour objectif précis d’éliminer les tarifs minimaux et maximaux fixes (32) en qualifiant juridiquement de telles mesures de restriction.

50.      La question de savoir s’il est possible de déroger à ces règles en vertu de l’article 15 de la directive 2006/123, et, le cas échéant, dans quelle mesure, est donc dénuée de pertinence.

c)      L’avis des associations professionnelles est dénué de pertinence aux fins de l’analyse juridique

51.      Cette conclusion n’est pas non plus remise en cause par le fait que des associations professionnelles telles que le Conseil des architectes d’Europe ou l’European Council of Engineers Chambers (Conseil européen des chambres d’ingénieurs) estiment que les mesures en cause n’empêchent pas l’accès au marché allemand et n’entravent pas la liberté d’établissement. Cette question a déjà été tranchée par l’article 15, paragraphe 2, de la directive 2006/123. Aucune association professionnelle ne peut remettre en cause cette disposition légale.

C.      Aucune justification en vertu de l’article 15, paragraphe 3, de la directive 2006/123

52.      Rien ne laisse penser que les dispositions du HOAI en cause constituent une discrimination sur le fondement de la nationalité (33). Par conséquent, la restriction en cause peut potentiellement être justifiée (34).

1.      Les arguments des parties

a)      La République fédérale d’Allemagne

53.      La République fédérale d’Allemagne considère que les dispositions du HOAI sont justifiées par des raisons impérieuses d’intérêt général, à savoir garantir la qualité des prestations de planification, protéger les consommateurs, garantir la sécurité des constructions, préserver la Baukultur (35) (intégrité du monde bâti) et parvenir à l’objectif de construction écologique. Selon cet État membre, l’objectif principal, qui est d’assurer un haut niveau de qualité, facilite aussi la réalisation des autres objectifs énoncés.

54.      La République fédérale d’Allemagne soutient ainsi que la planification de qualité sert la protection des consommateurs à deux égards. D’une part, une telle planification garantit la sécurité des constructions et protège, de ce fait, la santé et la vie de ceux qui y habitent. D’autre part, une planification de grande qualité empêche de nombreuses erreurs lors de l’exécution des travaux et garantit une exécution plus rapide et moins coûteuse. Sur ce point, cet État membre souligne que la fixation de tarifs minimaux est soutenue par des groupements d’intérêts liés à toutes les parties de la procédure (36).

55.      En outre, la République fédérale d’Allemagne considère, en s’appuyant sur l’arrêt Cipolla e.a. (37), que le tarif est propre à assurer l’objectif d’un niveau élevé de qualité. De plus, elle affirme que des études détaillées tant sur l’effet que sur la fixation précise des tarifs minimaux et maximaux obligatoires ont été utilisées dans le cadre de l’adoption du HOAI.

56.      À cet égard, selon la République fédérale d’Allemagne, des études et évaluations économiques de la situation ont démontré un lien étayé entre les tarifs minimaux obligatoires et la qualité des travaux de planification ainsi que, plus généralement, un lien entre dérégulation et qualité en ce qui concerne les professions libérales. Cet État membre soutient qu’il existe un lien entre le prix et la qualité dans la mesure où la charge de travail importante du personnel hautement qualifié se traduit par un prix plus élevé. Un prix inférieur à un niveau déterminé amènerait à supposer que ce prix ne peut être atteint que par un niveau de qualité inférieur.

57.      En outre, la République fédérale d’Allemagne considère qu’il existe, sur le marché des prestations de planification, le risque d’un phénomène de « sélection adverse » : si les consommateurs ne sont pas suffisamment informés, ils opteront toujours pour l’offre la moins chère, étant donné qu’ils ne sont pas en mesure de reconnaître les différences de qualité. Une telle pratique aboutirait inévitablement à un abaissement de la qualité, puisque les services de haute qualité ne seraient plus demandés. Tout en s’appuyant sur la théorie économique, cet État membre fait valoir qu’il est quasiment impossible de vérifier la qualité des « biens de confiance », tels que les travaux des professions libérales et les prestations des architectes et ingénieurs. Dans ces conditions, il ne serait pratiquement plus possible de réaliser des bénéfices qu’en offrant une qualité plus basse, de sorte qu’un phénomène d’« aléa moral » se produirait : les prestataires se rendraient compte qu’une qualité supérieure n’est pas récompensée en conséquence et pourraient, en raison de l’asymétrie de l’information, supposer que leurs clients ne remarqueront pas (du moins pas en temps utile) une qualité moindre.

58.      La République fédérale d’Allemagne affirme que si, par la fixation de tarifs minimaux, l’importance du prix en tant que facteur de concurrence est réduite, cela incite les prestataires à mettre l’accent sur la qualité en tant que facteur de concurrence, afin de se distinguer de leurs concurrents.

59.      De surcroît, cet État membre invoque une étude statistique qui démontre que, dans le cas de tarifs convenus inférieurs aux tarifs minimaux du HOAI, tant la probabilité d’un préjudice que le montant de celui-ci étaient nettement plus élevés (38).

60.      En outre, la préservation d’une structure fondée sur de petites et moyennes entreprises serait un objectif souhaitable dans la mesure où elle a pour effet de garantir l’existence d’un nombre élevé de prestataires, de sorte que la pression concurrentielle augmenterait et, en raison des tarifs minimaux imposés pour certaines prestations de planification, la concurrence serait fondée sur la qualité.

61.      S’agissant de la nécessité des dispositions litigieuses, la République fédérale d’Allemagne fait valoir qu’il n’existe pas de mesure moins restrictive susceptible de réaliser les objectifs énoncés. Les dispositions du HOAI contiendraient une gradation en fonction de l’intensité réglementaire, de sorte que la fixation des tarifs obligatoires serait faite uniquement dans le cas où le gouvernement allemand estimerait que des tarifs obligatoires minimaux et maximaux sont indispensables au regard de la protection voulue par le HOAI.

62.      S’agissant des mesures alternatives, cet État membre fait valoir que des règles relatives à l’accès à la profession ne peuvent pas remplacer les tarifs dans la mesure où de telles règles garantissent que les membres d’une profession ont la qualification requise alors que les tarifs garantissent la qualité d’une prestation concrète. L’introduction d’une quelconque réglementation régissant l’accès aux professions concernées constituerait une restriction à la liberté d’établissement bien plus importante que le HOAI actuel.

63.      En ce qui concerne les règles de responsabilité et d’assurance responsabilité professionnelle obligatoire, la République fédérale d’Allemagne considère que les tarifs fixés dans le HOAI et les dispositions régissant la responsabilité des architectes et des ingénieurs se situent à des niveaux différents : les premiers sont censés garantir, de manière préventive, une qualité élevée des prestations, alors que les seconds ne trouvent à s’appliquer que lorsqu’un dommage est déjà survenu. Partant, les dispositions relatives à la responsabilité ne seraient, par nature, pas appropriées pour défendre des intérêts généraux comme la sécurité des constructions, la culture architecturale ou l’écologie.

64.      En outre, la République fédérale d’Allemagne estime qu’on ne saurait soutenir que les prestataires doivent pouvoir prouver qu’ils remplissent toutes les exigences en matière de qualité, puisqu’il existe une asymétrie de l’information. Ainsi, selon cet État membre, les ingénieurs et les architectes accomplissent également indirectement les missions des autorités chargées de la surveillance de la construction et de l’octroi des permis de bâtir, en contrôlant, en parallèle de ces autorités, qu’ils respectent les normes de la législation relative à la surveillance des travaux, précisément en raison du fait que certaines de ces prestations ne peuvent pas être contrôlées par lesdites autorités.

65.      En ce qui concerne la possibilité de publication d’informations sur les prix, la République fédérale d’Allemagne fait valoir que la raison de la fixation de tarifs minimaux est l’asymétrie de l’information concernant la qualité des prestations de planification, de sorte que la publication de prix renforcerait même la « spirale vers le bas ». En effet, de telles informations aboutiraient à ce que les bénéficiaires des prestations se laissent encore davantage guider par les prix que ce que l’on peut déjà supposer. Cet État membre ajoute que, même s’il était possible de compenser l’asymétrie de l’information, cela ne permettrait pas de réaliser tous les objectifs de protection tels que la sécurité, des aspects liés à la Baukultur et à la durabilité ainsi que la protection de l’environnement.

66.      En ce qui concerne les tarifs maximaux, la République fédérale d’Allemagne soutient que ceux-ci servent à protéger les consommateurs, dans la mesure où ils empêchent que ces derniers supportent une charge exagérément lourde résultant d’honoraires excessifs.

b)      La Commission

67.      La Commission fait valoir que l’invocation d’une série d’objectifs, dont le plus important est celui d’assurer un haut niveau de qualité, est vague, et, par conséquent, ne permet ni l’examen du caractère approprié, ni celui de la nécessité de ces tarifs. De plus, selon la Commission, une appréciation n’est possible que si deux scénarios peuvent être comparés, par rapport à un résultat suffisamment défini et souhaité par le législateur, à savoir le scénario avec les prix du marché et le scénario dans lequel des prix minimaux doivent être respectés. À cet égard, la Commission fait valoir que la République fédérale d’Allemagne n’a pas démontré, s’agissant des objectifs de sécurité des constructions, de préservation de la culture architecturale et de construction écologique, en quoi les deux scénarios sont censés se distinguer concrètement.

68.      Selon la Commission, cet État membre n’a pas démontré le lien de causalité, à savoir qu’une prestation rémunérée au prix du marché, mais en dessous du tarif minimal, a des caractéristiques différentes, c’est-à-dire moins bonnes, qu’une prestation dont le prix est conforme au tarif minimal. Ainsi, la Commission observe que la République fédérale d’Allemagne n’explique pas comment le prétendu effet d’incitation des tarifs minimaux, ainsi que la possibilité de sélection adverse et d’aléa moral, conduisent aux conséquences déplorées, lesquelles sont, à leur tour, décrites de manière générale. En outre, la Commission observe que, afin d’obtenir le niveau de qualité recherché, les règles relatives aux qualifications professionnelles ainsi que celles relatives à la responsabilité devraient être mises en œuvre et ne peuvent pas être remplacées par des tarifs minimaux.

69.      En ce qui concerne l’objectif de protection des consommateurs, la Commission soutient qu’il n’existe pas de présomption légitime en ce sens que si le prix passe en dessous d’un certain seuil, il ne peut être maintenu que par un abaissement du niveau de qualité.

70.      La Commission soutient que les tarifs minimaux s’appliquent indépendamment du temps précis consacré à un travail déterminé, de sorte que, sauf dans des cas exceptionnels, la somme finale ne peut pas être inférieure aux tarifs minimaux et que les taux horaires peuvent varier d’un prestataire à l’autre, pour les motifs les plus divers, mais indépendants de la qualité de ses prestations. Selon la Commission, l’amendement du HOAI de 2009 qui a supprimé les taux horaires démontre que le fait d’atteindre les taux horaires généralement appliqués ou de rester sous ces taux ne renseigne pas sur la qualité de la prestation. La Commission conclut qu’un prix inférieur au tarif minimal n’implique pas un niveau de qualité inférieure et, à l’inverse, qu’un dépassement des tarifs minimaux ne donne pas naissance à une présomption de qualité plus élevée, ou même à une garantie de qualité.

71.      S’agissant de l’aspect de protection des consommateurs fondé sur l’objectif d’éviter la « sélection adverse » et l’« aléa moral », la Commission fait valoir, d’une part, que la République fédérale d’Allemagne n’a pas démontré que la suppression des tarifs minimaux entraîne une diminution de la qualité et, d’autre part, qu’une partie des arguments de cet État membre contredit cette conclusion. La Commission soutient que des prix artificiellement élevés ne remédient pas à l’asymétrie de l’information entre professionnels et clients. Le lien entre qualité de la prestation et prix minimal aurait été analysé lors de la préparation de la version du HOAI de 2009 (étude nommée le « Statusbericht 2000plus ») et même cette analyse, qui supposerait que les clients ne sont pas en mesure d’apprécier la qualité des prestations et font leur choix en fonction du prix, conclurait que les prix minimaux n’ont pas nécessairement un lien causal avec le niveau de qualité souhaité et que d’autres éléments de preuve sont nécessaires. Ainsi, cette analyse conclurait que la motivation des prestataires d’agir dans l’intérêt de leur client ne saurait être assurée par le barème des honoraires lui-même, mais uniquement par une culture adéquate de l’exercice de la profession.

72.      La Commission souligne que plusieurs mécanismes permettent d’assurer la qualité des prestations, telles que la publicité, la réglementation des organisations professionnelles, les systèmes de gestion de qualité ainsi que la possibilité pour les clients de s’informer de manière ciblée au moyen de sites internet spécialisés.

73.      La Commission précise qu’elle ne s’oppose pas à un système qui permettrait une orientation en matière de prix appropriée afin de permettre aux clients de détecter des offres irréalistes. De plus, elle remarque que la référence de la République fédérale d’Allemagne à la concurrence fondée sur la qualité indique également qu’il existe actuellement des différences de qualité, en dépit des tarifs minimaux, de sorte que ces derniers ne peuvent pas être considérés comme une condition de qualité efficace.

74.      La Commission n’est pas convaincue par les éléments de preuve empiriques présentés par la République fédérale d’Allemagne. Elle considère que les exemples donnés, à la différence de l’analyse faite en 2009, se limitent à montrer l’existence d’un parallélisme entre la pratique de prix inférieurs aux tarifs minimaux et la fréquence des demandes d’indemnisation, sans toutefois démontrer concrètement la causalité et que l’expert lui-même parle uniquement d’« indices » et non pas d’éléments de preuve. De plus, la Commission relève que l’analyse de 2009 a conclu qu’il n’est pas possible d’examiner s’il existe un lien entre les prix de construction et les demandes d’indemnisation au titre des dommages dus à de nombreux facteurs ne pouvant être ignorés.

75.      En outre, la Commission affirme que la protection de la structure du marché ne constitue pas une raison impérieuse d’intérêt général et que la République fédérale d’Allemagne, tout en fondant son argumentation sur l’existence d’une asymétrie de l’information, n’a pas indiqué qu’une telle asymétrie ne peut pas se produire dans le cas de prestations de conseil non soumises aux tarifs obligatoires. Ces prestations comprendraient aussi les études d’impact sur l’environnement, les études concernant la « physique de la construction » et la géotechnique, ainsi que les prestations de mensuration d’ingénieur, où il pourrait très bien exister une asymétrie de l’information. De plus, s’agissant des comparaisons avec le domaine des marchés publics, la Commission considère, d’une part, que les prix de prestations visées par le HOAI peuvent se situer en dessous des tarifs minimaux de ce barème tout en correspondant aux prix du marché, de sorte qu’ils ne seraient pas « anormalement bas », par définition et ne donneraient pas lieu à une vérification particulière. D’autre part, même si les prix dans une procédure de passation du marché public étaient « anormalement bas », il pourrait y avoir une explication plausible, de sorte que le pouvoir adjudicateur ne saurait rejeter l’offre uniquement en raison du niveau du prix.

76.      La Commission fait également valoir que l’analyse d’Eurostat montre que les bureaux d’architectes allemands comptent, en moyenne 2,1 salariés, chiffre bien au-dessus de la moyenne de l’Union, mais que le taux brut d’exploitation, qui est de 38,8 %, est toutefois le deuxième taux le plus élevé dans l’Union, de sorte que les allégations de la République fédérale d’Allemagne ne sauraient prospérer. De surcroît, la Commission considère que la République fédérale d’Allemagne n’a pas répondu à la question de savoir pourquoi le niveau de qualité n’a pas baissé pendant une période relativement longue, de 1996 à 2009, lors de laquelle les conventions sur les prix de construction étaient permises. La Commission ajoute que la suppression des tarifs minimaux entre le 20 octobre 1981 et le 14 juin 1985 ne s’est pas accompagnée d’une diminution de la qualité des constructions.

77.      Selon la Commission, le tarif minimal n’est pas nécessaire pour atteindre l’objectif recherché. À cet égard, elle indique ne pas souscrire à l’argument de la République fédérale d’Allemagne relatif aux règles sur l’accès à la profession dans la mesure où le système des honoraires minimaux n’est nullement approprié ou nécessaire pour garantir la qualité, indépendamment de la question de savoir si les activités concernées nécessitent, de par leur nature, une qualification particulière. En outre, s’agissant des règles de responsabilité et de l’assurance responsabilité, la Commission soutient que, d’une part, le régime de la responsabilité pour défauts peut avoir un effet préventif, ce que la République fédérale d’Allemagne n’a pas démontré en ce qui concerne les tarifs minimaux. D’autre part, le fait de convenir d’honoraires concernerait comme tel le rapport entre les parties, tout comme la responsabilité pour les prestations défectueuses.

78.      Tout en renvoyant à ses arguments relatifs aux règles sur l’exercice de la profession, la Commission soutient que la République fédérale d’Allemagne n’a pas réfuté ses arguments concernant les preuves du respect des exigences en matière de qualité, les obligations d’information ou la liberté de choix des consommateurs. Elle ajoute que, par conséquent, s’il est exact que les mesures imposées aux prestataires en vue de protéger les clients entraînent souvent des coûts qui sont ensuite normalement répercutés sur ceux-ci, en l’espèce, le client subit seulement des coûts plus élevés, sans contrepartie identifiable.

79.      Enfin, s’agissant des tarifs maximaux, la Commission soutient que la République fédérale d’Allemagne n’a pas expliqué en quoi de tels tarifs sont supposés contribuer à l’élimination des asymétries d’information au sujet de la qualité. En ce qui concerne la protection des clients d’exigences d’honoraires excessives, elle conclut qu’il suffit de mettre à disposition du client une orientation appropriée avec laquelle celui-ci peut évaluer comment le prix se situe par rapport aux prix usuels.

2.      Analyse

80.      La restriction en cause est justifiée si les conditions cumulatives (39) énumérées à l’article 15, paragraphe 3, de la directive 2006/123 sont remplies (40).

81.      En ce qui concerne l’article 15, paragraphe 3, sous a), de cette directive, il a déjà été établi que les dispositions du HOAI en cause sont de nature non discriminatoires.

a)      Raisons impérieuses invoquées, article 15, paragraphe 3, sous b), de la directive 2006/123

82.      En ce qui concerne l’article 15, paragraphe 3, sous b), de la directive 2006/123, les raisons impérieuses d’intérêt général invoquées, c’est-à-dire les justifications avancées par la République fédérale d’Allemagne, sont les suivantes : garantie de la qualité des prestations de planification, protection des consommateurs, sécurité des constructions, préservation de la Baukultur et objectif de construction écologique. Selon cet État membre, l’objectif principal serait d’assurer un haut niveau de qualité et un tel objectif faciliterait aussi la réalisation des autres objectifs énoncés. De plus, comme je l’ai déjà indiqué, la République fédérale d’Allemagne mentionne également, dans certains points, la préservation d’une structure fondée sur de petites et moyennes entreprises.

83.      Ainsi que le souligne à juste titre la République fédérale d’Allemagne, il ressort de la jurisprudence de la Cour que ces cinq justifications peuvent constituer des raisons impérieuses d’intérêt général susceptibles de justifier une restriction à la liberté d’établissement (41). Pourtant, et je partage la position de la Commission sur ce point, je ne vois pas en quoi les allégations de la République fédérale d’Allemagne concernent spécifiquement la sécurité des constructions, la préservation de la Baukultur ou l’objectif de construction écologique. Par contre, ces allégations sont entièrement tournées vers la garantie de la qualité des prestations de planification et la protection des consommateurs. Pour que les trois autres justifications soient efficaces en l’espèce, la République fédérale d’Allemagne aurait dû spécifiquement faire valoir pourquoi et comment les mesures litigieuses permettent d’atteindre ces objectifs.

84.      Concernant, en outre, la préservation d’une structure de marché fondée sur de petites et moyennes entreprises, il suffit de souligner que la protection des entreprises existantes est un argument économique qui n’est pas susceptible de justifier une restriction à la liberté d’établissement. Et pour autant que c’est la structure du marché que le HOAI entend préserver, je ne vois pas en quoi cet aspect est étayé par les allégations du gouvernement allemand (42).

85.      Les seules raisons impérieuses d’intérêt général qui peuvent donc être acceptées sont la protection des consommateurs et la garantie d’un haut niveau de qualité. Sur ce point, il appartient à la République fédérale d’Allemagne d’expliquer dans quelle mesure les dispositions litigieuses servent ces objectifs.

b)      Proportionnalité, article 15, paragraphe 3, de la directive 2006/123

86.      Cela nous conduit au critère de proportionnalité tel qu’établi à l’article 15, paragraphe 3, sous c), de la directive 2006/123. Les dispositions en cause doivent être propres à garantir la réalisation de l’objectif poursuivi et ne doivent pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour l’atteindre et il ne doit pas exister d’autres mesures moins contraignantes permettant d’atteindre le même résultat.

87.      S’il incombe aux États membres de déterminer le niveau de protection qu’ils souhaitent accorder, selon une jurisprudence constante, il appartient aux autorités nationales, lorsqu’elles adoptent une mesure dérogatoire à un principe consacré par le droit de l’Union, de prouver, dans chaque cas d’espèce, que ladite condition est remplie. Les raisons justificatives susceptibles d’être invoquées par un État membre doivent être accompagnées d’une analyse de l’adéquation et de la proportionnalité de la mesure adoptée par cet État membre ainsi que des éléments précis permettant d’étayer son argumentation (43). Cette jurisprudence, née des dispositions du traité FUE relatives aux libertés fondamentales, s’applique également dans le cadre de l’article 15, paragraphe 3, de la directive 2006/123 (44).

1)      Tarifs minimaux

i)      Le caractère approprié

88.      La question se pose de savoir si la fixation de tarifs minimaux est propre à (45) atteindre l’objectif d’assurer la qualité des services.

89.      En général, la Cour accorde aux États membres « une marge d’appréciation » (46) à ce stade, notamment parce que les objectifs d’intérêt public pertinents varient selon les États membres. Cela ne dispense toutefois pas un État membre de l’obligation de définir clairement les objectifs fixés et de démontrer de manière compréhensible et cohérente que la mesure en cause est appropriée pour parvenir à ces objectifs.

90.      J’estime que la République fédérale d’Allemagne n’a pas prouvé le caractère approprié des mesures litigieuses pour les raisons exposées ci-après.

91.      Contrairement à ce que suggère la République fédérale d’Allemagne, on ne saurait déduire de l’arrêt Cipolla e.a. (47) que des tarifs minimaux sont, par nature, appropriés pour atteindre la qualité de service désirée. Au contraire, la Cour a souligné qu’« il conviendra de vérifier, en particulier, s’il existe une corrélation entre le niveau des honoraires et la qualité des prestations fournies par les avocats et si, notamment, la fixation de tels honoraires minimaux constitue une mesure appropriée permettant d’atteindre les objectifs poursuivis, à savoir la protection des consommateurs et la bonne administration de la justice » (48).

92.      Le caractère approprié des tarifs minimaux pour promouvoir la qualité des prestations doit donc être démontré au cas par cas, en tenant compte de toutes les circonstances, ainsi que l’affirme à juste titre la Commission.

93.      Et c’est ici que la République fédérale d’Allemagne ne parvient pas à atteindre sa cible. Cet État membre, au lieu de démontrer que les dispositions du HOAI, dans leur version actuelle, sont appropriées pour obtenir des prestations d’ingénierie et d’architecture de qualité, se limite à formuler des considérations d’ordre général et des suppositions.

94.      Au lieu de prouver que la suppression des tarifs minimaux conduirait à une réduction du niveau de qualité, la République fédérale d’Allemagne le présuppose et s’en sert de fondement pour son argument.

95.      Au soutien de son argument, cet État membre invoque longuement les conclusions de l’avocat général Jacobs dans les affaires jointes Pavlov e.a. (49). Dans ces affaires, qui concernaient la compatibilité d’un système national d’affiliation obligatoire aux régimes de pension professionnels avec les règles de concurrence du traité CE, l’avocat général Jacobs a formulé des affirmations générales, sous la forme d’« observations liminaires » (50), sur les « [caractéristiques des] marchés des services des professions libérales » (51) « [d]ans la perspective du droit de la concurrence » (52). Dans ce contexte, il relève, notamment, que « certaines professions libérales ont entrepris d’établir des tarifs obligatoires en matière d’honoraires et de frais » (53). Il décrit ensuite « trois difficultés récurrentes » (54), dont l’une est que, « d’un point de vue économique, les marchés des services professionnels diffèrent sous deux aspects importants des marchés normaux de biens et de services » (55), ce qui s’explique en partie par le « problème important qualifié de problème de l’asymétrie de l’information » (56).

96.      S’appuyant sur une publication du domaine des sciences économiques (57), l’avocat général Jacobs explique ensuite : « Une telle asymétrie apparaît entre le vendeur et l’acheteur lorsque l’acheteur n’est pas à même d’apprécier pleinement la qualité du produit qu’il reçoit. Ce problème est particulièrement aigu dans le cas des professions libérales eu égard à la nature hautement technique de leurs services. Le consommateur n’est pas en mesure d’apprécier la qualité de ces services avant l’achat en l’examinant (comme il le pourrait par exemple en achetant du fromage) mais uniquement après l’avoir consommé. Pire, il lui arrive parfois de ne jamais comprendre pleinement si le professionnel (par exemple, médecin, architecte, avocat) a fourni un service de haute qualité. Il en résulte que, pour les professionnels, qui déterminent eux-mêmes le degré d’attention qu’ils accordent à un client déterminé, la tentation est grande de choisir délibérément une moindre qualité de service pour épargner du temps ou de l’argent ou amener les clients à avoir encore recours à leurs services alors que ce n’est pas nécessaire. C’est dans le cadre des professions libérales que l’on trouve les moyens habituels de surmonter ou d’amenuiser les effets négatifs d’une information asymétrique ou, en d’autres termes, de prévenir une “course au plus bas”. Des examens d’accès à la profession sont destinés à garantir un niveau initial élevé de capacités professionnelles. Des règles en matière de responsabilité professionnelle, les répercussions d’une bonne ou d’une mauvaise réputation ainsi que des régimes de certification constituent autant d’incitants les amenant à exploiter pleinement ces qualités professionnelles. Certains voient dans la publicité un moyen de surmonter ou d’amenuiser cette asymétrie de l’information, tandis que d’autres soutiennent que la publicité ne ferait qu’exacerber les problèmes. Nous pouvons en tout cas en conclure qu’un certain niveau de régulation de ces marchés est nécessaire pour contrer les effets de cette asymétrie. »

97.      Il m’est difficile de ne pas être d’accord avec ces remarques instructives sur l’asymétrie de l’information et de ne pas y souscrire. Celles-ci constituent une description éloquente de l’état des choses. Comme l’avocat général le souligne lui-même, et comme je l’ai déjà indiqué, il s’agit cependant d’observations liminaires. Celles-ci constituent la description d’un problème mais n’y apportent pas de solution. Par conséquent, de telles observations liminaires ne constituent pas une analyse des corrélations ou des liens de causalité entre la qualité et le prix et ne sauraient servir comme telles.

98.      Je n’examinerai donc pas ces observations plus avant, mais une chose mérite d’être relevée : bien que l’avocat général Jacobs constate un certain besoin d’intervention étatique en raison de l’asymétrie de l’information et qu’il fournisse quelques exemples d’interventions, la régulation des prix n’est pas l’un d’eux.

99.      J’ai conscience de ce que la République fédérale d’Allemagne, plutôt que de viser à réduire l’asymétrie de l’information (58), entend en atténuer les conséquences.

100. L’asymétrie de l’information entre le prestataire de services et le bénéficiaire de la prestation est indéniable. La République fédérale d’Allemagne déduit de cette constatation incontestée et abstraite que les tarifs minimaux suppriment cette asymétrie dans des cas concrets.

101. La République fédérale d’Allemagne a fourni à la Cour une expertise technique sur la fixation des tarifs dans le HOAI. Cet élément de preuve n’étaye cependant pas ses arguments (59). Il n’est aucunement prouvé qu’un système sans tarifs minimaux conduirait à une défaillance du marché (60) consistant à ce que des prestations de bonne qualité disparaissent du marché et soient remplacées par des prestations d’une nature inférieure. Il n’est également aucunement prouvé qu’une bonne qualité ne peut pas être assurée par le système habituel de l’offre et de la demande.

102. En résumé, le cœur de l’argument de la République fédérale d’Allemagne selon lequel une concurrence accrue par les prix conduit à un abaissement de la qualité des prestations n’a pas été étayé. La concurrence pour les activités de services, notamment en matière de prix, est en général considérée comme un mécanisme efficace, désirable et nécessaire de l’économie de marché. Or, c’est très souvent dans ces secteurs où les prestataires de services sont particulièrement bien qualifiés et sont soumis à de strictes conditions concernant leur qualification que la concurrence sur les prix est perçue comme une menace. Comment la compétition sur les prix devrait faire passer ces personnes bien qualifiées de « saints à pécheurs » (61) reste un mystère.

ii)    La nécessité

103. Même à supposer que les dispositions du HOAI en cause soient propres à atteindre l’objectif de prestations de qualité, elles ne seraient pas nécessaires au sens de l’article 15, paragraphe 3, sous c), de la directive 2006/123 (62), en ce sens qu’elles ne vont pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif poursuivi et qu’il n’est pas possible de remplacer les exigences en cause par d’autres mesures moins contraignantes qui conduiraient au même résultat.

104. À ce stade, il n’appartient pas à la Cour de trouver des mesures alternatives pour l’État membre. En revanche, il incombe à l’État membre d’expliquer pourquoi il ne peut pas recourir à d’autres mesures moins contraignantes.

105. L’argument selon lequel les règles relatives à l’accès à la profession garantissent simplement que les membres de cette catégorie professionnelle possèdent les qualifications abstraites adéquates, tandis que les règles relatives au tarif garantissent que les prestations concrètement fournies présentent une qualité suffisante présuppose ce qui doit être prouvé. Cet argument n’est rien de plus qu’un postulat.

106. Il existe tout un éventail de mesures semblant garantir la qualité de la prestation et la protection des consommateurs : des règles de déontologie de ces professions, des règles sur la responsabilité et les assurances, des obligations d’information, des obligations de publication des tarifs ou la présentation de tarifs indicatifs par l’État membre. La République fédérale d’Allemagne n’a pas prouvé que l’effet des dispositions en cause relatives aux tarifs minimaux garantit mieux la qualité des prestations et la protection des consommateurs. Plus précisément, l’argument selon lequel l’introduction d’une quelconque réglementation régissant l’accès aux professions concernées constituerait une restriction de la liberté d’établissement bien plus importante que l’actuel HOAI est une simple affirmation qui n’est pas étayée par des preuves.

107. C’est uniquement s’il était prouvé que ces autres mesures, citées au paragraphe précédent des présentes conclusions, ne permettent pas d’atteindre les objectifs de prestations de qualité et de protection des consommateurs que l’on pourrait se demander, en dernier ressort, si des tarifs minimaux permettraient de mieux réaliser ces objectifs (63).

2)      Tarifs maximaux

108. L’argument de la République fédérale d’Allemagne consiste à défendre le système établi par le HOAI, avec sa combinaison de tarifs minimaux et maximaux. Cet État membre souligne que les tarifs minimaux et maximaux ne doivent pas être considérés de manière isolée mais concernent les spécifications de réalisation des prestations décrites en détail dans le HOAI. Par conséquent, si la Cour estimait que les tarifs minimaux ne sont pas proportionnés, j’ai du mal à croire que la République fédérale d’Allemagne maintiendrait les tarifs maximaux, raison pour laquelle il pourrait sembler sophistique d’examiner ce volet séparément.

109. Néanmoins, et par souci d’exhaustivité, je vais brièvement examiner les tarifs maximaux.

i)      Le caractère approprié

110. Le caractère approprié des tarifs maximaux ne me semble poser aucun problème. Comme le fait valoir à juste titre la République fédérale d’Allemagne, les tarifs maximaux sont en effet propres à servir l’objectif de protection des consommateurs, puisqu’ils apportent transparence et protection contre des demandes d’honoraires excessives.

ii)    La nécessité

111. La République fédérale d’Allemagne n’a toutefois pas démontré qu’il n’est pas possible de remplacer les tarifs maximaux par d’autres mesures, moins contraignantes, qui conduiraient au même résultat. Il n’a notamment pas été prouvé en quoi une orientation en matière de prix permettant aux consommateurs de se faire une idée concrète de la rémunération usuelle d’une prestation ne protégerait pas leurs intérêts de manière efficace.

D.      L’article 49 TFUE

112. Les griefs de la Commission relatifs à l’article 15 de la directive 2006/123 ayant été accueillis, une analyse au regard de l’article 49 TFUE n’est pas nécessaire (64).

IV.    Conclusion

113. Eu égard aux considérations qui précèdent, je propose à la Cour de :

–        constater que la République fédérale d’Allemagne a violé l’article 15, paragraphe 1, l’article 15, paragraphe 2, sous g), et l’article 15, paragraphe 3, de la directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2006, relative aux services dans le marché intérieur, en soumettant les prestations de planification fournies par les architectes et les ingénieurs à des tarifs minimaux et maximaux obligatoires conformément au Honorarordnung für Architekten und Ingenieure (Barème des honoraires des architectes et ingénieurs) ;

–        condamner la République fédérale d’Allemagne aux dépens.


1      Langue originale : l’anglais.


2      Directive du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur (JO 2006, L 376, p. 36).


3      BGBl. I, p. 2276.


4      J’ai déjà avancé que les termes « coordination », « rapprochement » et « harmonisation » sont utilisés de manière interchangeable dans le traité : voir mes conclusions dans les affaires jointes Trijber et Harmsen (C‑340/14 et C‑341/14, EU:C:2015:505, point 52).


5      Voir considérants 5 et suivants de la directive 2006/123.


6      Il convient de souligner que la portée de l’harmonisation est établie à l’article 2 de la directive 2006/123. Cette directive s’applique aux services fournis par les prestataires ayant leur établissement dans un État membre (voir paragraphe 1), à moins que ne soit en cause l’une des activités énumérées au paragraphe 2 de cette disposition. La portée de l’harmonisation n’est pas définie par les exigences interdites de l’article 14 de cette directive ou les « exigences suspectes » (selon la terminologie de Barnard, C., « Unravelling the services directive », Common Market Law Review, 2008, vol. 45, p. 323 à 396, p. 357) de l’article 15 de ladite directive. En d’autres termes, le fait que des tarifs minimaux et maximaux à respecter par le prestataire [voir article 15, paragraphe 2, sous g), de la directive] soient en cause n’a pas d’incidence sur la portée de l’harmonisation de la directive 2006/123. Au contraire, comme nous le verrons ci-après, cela sera pertinent pour la question de l’existence d’une restriction.


7      Voir arrêts du 16 juin 2015, Rina Services e.a. (C‑593/13, EU:C:2015:399, points 23 et suivants) ; du 23 février 2016, Commission/Hongrie (C‑179/14, EU:C:2016:108, point 118), et du 30 janvier 2018, X et Visser (C‑360/15 et C‑31/16, EU:C:2018:44, point 137).


8      Au sein du champ d’application de la directive 2006/123, bien évidemment.


9      Il convient de souligner que cela ne vaut que pour les mesures non discriminatoires sur le fondement de la nationalité. Les exigences discriminatoires fondées directement ou indirectement sur la nationalité sont interdites ipso facto par l’article 14, paragraphe 1, de la directive 2006/123. Elles ne sauraient aucunement être justifiées : voir arrêt du 16 juin 2015, Rina Services e.a. (C‑593/13, EU:C:2015:399, point 28).


10      Bien entendu, la question de l’effet direct n’est pas décisive dans la présente affaire qui concerne un recours direct entre la Commission et la République fédérale d’Allemagne.


11      En effet, dans un premier temps, la Cour a appliqué l’article 15 de la directive 2006/123 ainsi, sans même examiner la question de l’effet direct. Voir arrêt du 23 décembre 2015, Hiebler (C‑293/14, EU:C:2015:843) ainsi que mes conclusions dans cette l’affaire (C‑293/14, EU:C:2015:472, point 28). Puis, dans l’arrêt du 30 janvier 2018, X et Visser (C‑360/15 et C‑31/16, EU:C:2018:44, point 130), la Cour a explicitement affirmé que l’article 15 de la directive 2006/123 était d’effet direct.


12      Voir arrêt du 30 janvier 2018, X et Visser (C‑360/15 et C‑31/16, EU:C:2018:44, point 110 et point 3 du dispositif). Voir également mes conclusions dans les affaires jointes X et Visser (C‑360/15 et C‑31/16, EU:C:2017:397, points 106 à 118).


13      Arrêt du 5 décembre 2006 (C‑94/04 et C‑202/04, EU:C:2006:758).


14      Arrêt du 28 avril 2009 (C‑518/06, EU:C:2009:270).


15      Cette disposition s’inspire de l’arrêt de la Cour du 5 décembre 2006, Cipolla e.a. (C‑94/04 et C‑202/04, EU:C:2006:758).


16      Voir Schlachter, M./Ohler, Chr., Europäische Dienstleistungsrichtlinie, Handkommentar, Nomos, Baden-Baden, 2008, Artikel 15, point 23.


17      Ou découlant de la jurisprudence, des pratiques administratives, des règles des ordres professionnels ou des règles collectives d’associations professionnelles ou autres organisations professionnelles adoptées dans l’exercice de leur autonomie juridique. Les règles énoncées dans des conventions collectives négociées par les partenaires sociaux ne doivent pas être considérées comme des exigences au sens de la directive 2006/123.


18      Voir arrêts du 23 décembre 2015, Hiebler (C‑293/14, EU:C:2015:843) ; du 30 janvier 2018, X et Visser (C‑360/15 et C‑31/16, EU:C:2018:44), et du 1er mars 2018, CMVRO (C‑297/16, EU:C:2018:141).


19      Pas pour les prestations de conseil, comme cela ressort de l’article 3, paragraphe 1, du HOAI.


20      Article 15, paragraphe 2, sous g), de la directive 2006/123.


21      Article 4, paragraphe 7, de la directive 2006/123.


22      Article 4, paragraphe 7, de la directive 2006/123.


23      Article 15, paragraphe 2, de la directive 2006/123.


24      Article 15, paragraphe 2, de la directive 2006/123.


25      Voir arrêt du 12 décembre 2013, SOA Nazionale Costruttori (C‑327/12, EU:C:2013:827, points 56 et 57 et jurisprudence citée).


26      Arrêt du 7 mars 2013, DKV Belgium (C‑577/11, EU:C:2013:146, point 34). Au point 35 de cet arrêt, la Cour a ajouté que « ces entreprises vont devoir non seulement modifier leurs conditions et leurs tarifs pour répondre aux exigences posées par ce système, mais également déterminer leur positionnement tarifaire, et donc leur stratégie commerciale, au moment de la fixation initiale des primes, avec le risque que les augmentations tarifaires à venir soient insuffisantes pour couvrir les frais auxquels elles vont devoir faire face ».


27      Voir arrêt du 7 mars 2013, DKV Belgium (C‑577/11, EU:C:2013:146, point 37).


28      Voir également mes conclusions dans l’affaire Deutsche Parkinson Vereinigung (C‑148/15, EU:C:2016:394, point 18), où j’ai fait valoir, concernant la libre circulation des marchandises, que la fixation des prix est une épine dans le pied de tout opérateur économique non encore présent sur un marché, la concurrence étant, par sa nature même, déterminée par les prix. Priver un opérateur de la possibilité de descendre en dessous d’un prix déterminé le prive d’un facteur de compétitivité.


29      Voir arrêt du 29 mars 2011, Commission/Italie (C‑565/08, EU:C:2011:188, point 53).


30      Voir arrêt du 29 mars 2011, Commission/Italie (C‑565/08, EU:C:2011:188, point 53).


31      Voir, en ce qui concerne les tarifs minimaux, arrêt de la Cour fédérale de justice allemande du 22 mai 1997, VII ZR 290/95, point III.2., Neue Juristische Wochenschrift, 1997, p. 2330 ; arrêt de la Cour fédérale de justice allemande du 15 avril 1999, VII ZR 309/98, point II.2.a), Neue Juristische Wochenschrift – Rechtsprechungsreport Zivilrecht, 1999, p. 1109 ; arrêt de la Cour fédérale de justice allemande du 27 octobre 2011, VII ZR 163/10, point 8, Neue Zeitschrift für Baurecht und Vergaberecht, 2012, p. 175. En ce qui concerne les tarifs maximaux, voir arrêt du tribunal régional supérieur de Stuttgart du 29 mai 2012, 10 U 142/11, point 46, Neue Zeitschrift für Baurecht und Vergaberecht, 2012, p. 584.


32      Sous réserve, il va sans dire, du critère de la justification, y compris la proportionnalité, prévu à l’article 15, paragraphe 3, de la directive 2006/123.


33      Voir article 15, paragraphe 2, de la directive 2006/123, selon lequel les exigences doivent être non discriminatoires. L’article 15, paragraphe 3, de cette directive réitère une fois de plus la nature non discriminatoire de la mesure. Je comprends cette deuxième mention comme ayant une nature purement déclarative.


34      Ce ne saurait être le cas si les mesures en cause étaient discriminatoires, voir article 14, paragraphe 1, de la directive 2006/123. Voir également arrêt du 16 juin 2015, Rina Services e.a. (C‑593/13, EU:C:2015:399, point 28).


35      C’est-à-dire l’intégrité du monde bâti.


36      Le Bauherrenschutzbund eV (association de protection des maîtres d’ouvrage), la Verbraucherzentrale Bundesverband (Fédération nationale des associations de consommateurs) et le Verband Privater Bauherren eV (groupement des maîtres d’ouvrage privés).


37      Arrêt du 5 décembre 2006 (C‑94/04 et C‑202/04, EU:C:2006:758).


38      Ce point de vue semble une fois encore être partagé par le Conseil des architectes d’Europe, qui trouve des avantages au système du HOAI.


39      Voir arrêt du 23 février 2016, Commission/Hongrie (C‑179/14, EU:C:2016:108, point 56).


40      Comme je l’ai déjà souligné dans mes conclusions dans les affaires jointes X et Visser (C‑360/15 et C‑31/16, EU:C:2017:397, point 144), le libellé de l’article 15, paragraphe 3, de la directive 2006/123 rappelle la formule employée par la Cour dans l’arrêt du 30 novembre 1995, Gebhard (C‑55/94, EU:C:1995:411, point 37). Voir également Davies, G., « The Services Directive : Extending the Country of Origin Principle, and Reforming Public Administration », European Law Review, vol. 32, 2007, p. 232 à 245, p. 234.


41      Voir arrêts du 3 octobre 2000, Corsten (C‑58/98, EU:C:2000:527, point 38), et du 5 décembre 2006, Cipolla e.a. (C‑94/04 et C‑202/04, EU:C:2006:758, point 64) pour la qualité des services ; du 8 septembre 2010, Stoß e.a. (C‑316/07, C‑358/07 à C‑360/07, C‑409/07 et C‑410/07, EU:C:2010:504, point 74) pour la protection des consommateurs ; du 15 octobre 2015, Grupo Itevelesa e.a. (C‑168/14, EU:C:2015:685, point 74) pour des aspects de sécurité ; du 26 février 1991, Commission/France (C‑154/89, EU:C:1991:76, point 17) pour l’héritage culturel, et du 13 mars 2001, PreussenElektra (C‑379/98, EU:C:2001:160, point 76) pour l’environnement.


42      Je souhaite également souligner les conclusions de l’avocat général Wahl dans l’affaire Grupo Itevelesa e.a. (C‑168/14, EU:C:2015:351, point 73), selon qui la Cour demeure à juste titre sceptique à l’égard des atteintes que les États membres portent à la liberté d’établissement en réglementant de manière détaillée une structure de marché ou une situation concurrentielle données, sous prétexte, notamment, d’assurer un service de haute qualité aux clients et aux consommateurs.


43      Voir arrêts du 7 juillet 2005, Commission/Autriche (C‑147/03, EU:C:2005:427, point 63) ; du 14 juin 2012, Commission/Pays-Bas (C‑542/09, EU:C:2012:346, point 81), et du 23 janvier 2014, Commission/Belgique (C‑296/12, EU:C:2014:24, point 33).


44      Voir arrêts du 23 février 2016, Commission/Hongrie (C‑179/14, EU:C:2016:108, point 69), et du 7 novembre 2018, Commission/Hongrie (C‑171/17, EU:C:2018:881, point 86).


45      Dans sa jurisprudence, la Cour utilise parfois le terme « aptitude ». Voir, par exemple, arrêt du 23 janvier 2014, Commission/Belgique (C‑296/12, EU:C:2014:24, point 33). J’emploierai les termes « propre à » et « approprié » tout au long des présentes conclusions, puisque ce sont les termes employés par la directive 2006/123.


46      Arrêt du 28 avril 2009, Commission/Italie (C‑518/06, EU:C:2009:270, point 84).


47      Arrêt du 5 décembre 2006 (C‑94/04 et C‑202/04, EU:C:2006:758).


48      Voir arrêt du 5 décembre 2006, Cipolla e.a. (C‑94/04 et C‑202/04, EU:C:2006:758, point 66). Dans les deux points suivants, la Cour a ajouté que « [s]’il est vrai qu’un tarif imposant des honoraires minimaux ne saurait empêcher des membres de la profession d’offrir des services de qualité médiocre, il ne saurait être a priori exclu qu’un tel tarif permette d’éviter que les avocats ne soient incités, dans un contexte tel que celui du marché italien, qui, ainsi qu’il ressort de la décision de renvoi, est caractérisé par la présence d’un nombre extrêmement élevé d’avocats inscrits et en activité, à se livrer une concurrence pouvant se traduire par l’offre de prestations au rabais, avec le risque d’une détérioration de la qualité des services fournis. Il conviendra également de tenir compte des particularités propres tant au marché en cause, telles que rappelées au point précédent, qu’aux services en cause et, notamment, du fait que, dans le domaine des prestations d’avocat, il existe normalement une asymétrie de l’information entre les “clients-consommateurs” et les avocats. En effet, les avocats disposent d’un niveau élevé de compétences techniques que les consommateurs ne possèdent pas nécessairement, de sorte que ces derniers éprouvent des difficultés pour apprécier la qualité des services qui leur sont fournis » (mis en italique par mes soins).


49      C‑180/98 à C‑184/98, EU:C:2000:151.


50      Voir conclusions de l’avocat général Jacobs dans les affaires jointes Pavlov e.a. (C‑180/98 à C‑184/98, EU:C:2000:151, point 71).


51      C’est-à-dire les services émanant de professions libérales.


52      Voir conclusions de l’avocat général Jacobs dans les affaires jointes Pavlov e.a. (C‑180/98 à C‑184/98, EU:C:2000:151, point 73).


53      Voir conclusions de l’avocat général Jacobs dans les affaires jointes Pavlov e.a. (C‑180/98 à C‑184/98, EU:C:2000:151, point 77). Au même point, il ajoute que « [c]e type de dispositions régulatrices va de la fixation d’honoraires minimaux par la profession elle-même à la fixation d’honoraires maximaux par l’État, après consultation préalable de la profession concernée. »


54      Voir conclusions de l’avocat général Jacobs dans les affaires jointes Pavlov e.a. (C‑180/98 à C‑184/98, EU:C:2000:151, point 82).


55      Voir conclusions de l’avocat général Jacobs dans les affaires jointes Pavlov e.a. (C‑180/98 à C‑184/98, EU:C:2000:151, point 84).


56      Voir conclusions de l’avocat général Jacobs dans les affaires jointes Pavlov e.a. (C‑180/98 à C‑184/98, EU:C:2000:151, point 86).


57      Référencé comme Carlton, D. W., Peloff, J. M., Modern Industrial Organization, 2e éd., New York 1994, p. 115.


58      Ce qui serait en tout état de cause presque impossible, puisque les clients tendent à faire appel aux services fournis par les architectes et les ingénieurs précisément en raison de l’asymétrie de l’information.


59      Comme exigé par la jurisprudence constante de la Cour. Voir arrêts du 7 juillet 2005, Commission/Autriche (C‑147/03, EU:C:2005:427, point 63) ; du 14 juin 2012, Commission/Pays-Bas (C‑542/09, EU:C:2012:346, point 81), et du 23 janvier 2014, Commission/Belgique (C‑296/12, EU:C:2014:24, point 33).


60      Ce que la République fédérale d’Allemagne appelle « sélection adverse ».


61      Voir conclusions de l’avocat général Poiares Maduro dans les affaires jointes Blanco Pérez et Chao Gómez (C‑570/07 et C‑571/07, EU:C:2009:587, point 26), où un argument comparable est avancé à propos des pharmaciens.


62      Il est quelque peu malencontreux que l’article 15, paragraphe 3, de la directive 2006/123 se réfère à la nécessité dans deux contextes différents : premièrement, sous b), en affirmant simplement qu’il doit exister une justification prenant la forme d’une raison impérieuse d’intérêt général et, deuxièmement, sous c), au sens traditionnel du second élément du critère de proportionnalité. C’est, bien entendu, le deuxième sens du terme qui est employé ici.


63      À supposer, bien évidemment, qu’ils remplissent le critère du caractère approprié, ce qui n’est pas le cas selon moi.


64      Voir arrêt du 23 février 2016, Commission/Hongrie (C‑179/14, EU:C:2016:108, point 118), et du 7 novembre 2018, Commission/Hongrie (C‑171/17, EU:C:2018:881, point 87).