ARRÊT DU TRIBUNAL (cinquième chambre)

15 janvier 2015 (*)

« Responsabilité non contractuelle – Concurrence – Marché des services de déménagements internationaux en Belgique – Déménagements des fonctionnaires et autres agents de l’Union – Décision constatant une infraction à l’article 101 TFUE – Devis de complaisance – Portée de la responsabilité d’une institution – Autorité de la chose jugée – Devoir de diligence – Lien de causalité »

Dans les affaires jointes T‑539/12 et T‑150/13,

Ziegler SA, établie à Bruxelles (Belgique),

Ziegler Relocation SA, établie à Bruxelles,

représentées par Mes J.-F. Bellis, M. Favart et A. Bailleux, avocats,

parties requérantes,

contre

Commission européenne, représentée par MM. J. Baquero Cruz et A. Bouquet, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande de réparation, d’une part, d’un prétendu préjudice résultant de l’adoption de la décision C (2008) 926 final de la Commission, du 11 mars 2008, relative à une procédure d’application de l’article 81 CE et de l’article 53 de l’accord EEE (affaire COMP/38543 – Services de déménagements internationaux), et, d’autre part, d’un prétendu préjudice résultant de la continuation de la pratique des « devis de complaisance » postérieurement à l’adoption de la décision C (2008) 926, entre le 11 mars 2008 et le 1er janvier 2014,

LE TRIBUNAL (cinquième chambre),

composé de MM. A. Dittrich (rapporteur), président, J. Schwarcz et Mme V. Tomljenović, juges,

greffier : Mme S. Bukšek Tomac, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 8 septembre 2014,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        Ziegler Relocation SA est une filiale de Ziegler SA (ces deux sociétés étant ci-après dénommées ensemble les « requérantes »). Depuis 2003, Ziegler Relocation est la société au sein du groupe Ziegler qui est chargée de la réalisation des services de déménagements. Elle a effectué des déménagements internationaux, notamment, pour des fonctionnaires et pour d’autres agents de la Commission européenne.

2        Aux termes de l’article 20 du statut des fonctionnaires de l’Union européenne (ci-après le « statut »), un fonctionnaire est tenu de résider au lieu de son affectation ou à une distance telle de celui-ci qu’il ne soit pas gêné dans l’exercice de ses fonctions. Dans les conditions fixées à l’annexe VII du statut, le fonctionnaire a droit, selon l’article 71 du statut, au remboursement des frais qu’il a exposés à l’occasion de son entrée en fonctions, de sa mutation ou de la cessation de ses fonctions, ainsi que des frais qu’il a exposés dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions.

3        Jusqu’au 31 décembre 2013, l’article 9, paragraphe 1, de l’annexe VII du statut prévoyait que les dépenses effectuées pour le déménagement du mobilier personnel, y compris les frais d’assurance pour la couverture des risques simples (bris, vol, incendie), étaient remboursées au fonctionnaire qui se trouvait obligé de déplacer sa résidence pour se conformer aux dispositions de l’article 20 du statut. Ce remboursement était effectué dans les limites d’un devis préalablement approuvé. Deux devis au moins devaient être présentés aux services compétents de l’institution. Selon les articles 22 et 92 du régime applicable aux autres agents de l’Union européenne (ci-après le « RAA »), ladite disposition s’appliquait, sous certaines conditions, également aux agents temporaires et aux agents contractuels.

4        L’article 21 de l’annexe X du statut contenant des dispositions particulières applicables aux fonctionnaires de l’Union affectés dans un pays tiers énonce :

« Le fonctionnaire obligé de déplacer sa résidence afin de se conformer à l’article 20 du statut, lors de l’entrée en fonctions ou en cas de mutation, bénéficie de la prise en charge par l’institution, dans les conditions fixées par l’autorité investie du pouvoir de nomination, et en fonction des conditions de logement pouvant être assurées à celui-ci au lieu d’affectation :

a)      des frais de déménagement de tout ou partie de son mobilier personnel du lieu effectif où se trouve ce mobilier vers le lieu d’affectation, ainsi que de transport des effets personnels, en cas de mise à disposition d’un logement non meublé ;

b)      des frais de transport de ses effets personnels et de garde-meuble du mobilier et de ses effets personnels, en cas de mise à disposition d’un logement meublé.

[…] »

5        Aux termes de l’article 118 du RAA, ladite disposition s’applique, sous certaines conditions, également aux agents contractuels.

6        En application de ces dispositions du statut et du RAA, certains services de la Commission ont créé des lignes directrices internes. Les requérantes fondent leurs recours notamment sur le document intitulé « Comment organiser un déménagement », en date de mars 2007, qui s’adresse aux fonctionnaires de l’Union en poste en dehors de l’Union européenne et sur le Guide du déménagement s’adressant aux agents contractuels affectés dans des pays tiers, en date d’avril 2007 (ci-après le « guide du déménagement de 2007 »), de la direction K de la direction générale (DG) des relations extérieures de la Commission. À la suite d’une demande du Tribunal dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 64 du règlement de procédure du Tribunal, la Commission a fourni, premièrement, un document interne de l’Office de gestion et de liquidation des droits individuels (PMO), sans ses annexes, mis à jour le 15 juillet 2009 et en octobre 2013, lequel décrit la procédure de remboursement des frais de déménagement, deuxièmement, en ce qui concerne les agents affectés dans des pays tiers, la décision C (2004) 1597 de la Commission, du 28 avril 2004, relative au remboursement des frais dus au fonctionnaire affecté dans un pays tiers et, troisièmement, le Manuel des déménagements de 2010 de la DG des relations extérieures de la Commission concernant les fonctionnaires. Tous ces documents exigent, pour le remboursement des frais de déménagement, que l’agent fournisse préalablement plusieurs devis établis par des entreprises de déménagement différentes, dont·le meilleur est préalablement approuvé.

7        L’article 9 de l’annexe VII du statut a été modifiée par le règlement (UE, Euratom) n° 1023/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 22 octobre 2013, modifiant le statut et le RAA (JO L 287, p. 15), qui a introduit, à la place du système de l’établissement de plusieurs devis par des sociétés de déménagement, celui des plafonds de coûts de déménagement prédéterminés qui tiennent compte de la situation familiale du fonctionnaire, lequel a pris effet le 1er janvier 2014.

8        Par sa décision C (2008) 926 final, du 11 mars 2008, relative à une procédure d’application de l’article 81 CE et de l’article 53 de l’accord EEE (affaire COMP/38543 – Services de déménagements internationaux) (ci-après la « décision du 11 mars 2008 »), la Commission a infligé à Ziegler, une amende de 9 200 000 euros, pour avoir participé à une entente sur le marché des services de déménagements internationaux en Belgique, portant sur la fixation, directe et indirecte, des prix, sur la répartition du marché et sur la manipulation de la procédure faisant appel à la soumission d’offres.

9        Selon la décision du 11 mars 2008, les membres de l’entente ont, pendant près de 19 ans (d’octobre 1984 à septembre 2003), fixé les prix, présenté des devis, dits « devis de complaisance » (ci-après les « DDC »), aux clients et se sont dédommagés entre eux pour les offres rejetées par le biais d’un système de compensations financières.

10      S’agissant de la coopération portant sur les DDC, la Commission a constaté, dans la décision du 11 mars 2008, qu’un DDC était un devis factice soumis au client ou à la personne qui déménageait en ayant recours aux services d’une société de déménagement qui n’avait pas l’intention d’exécuter le déménagement. La société qui voulait remporter le contrat (ci-après la « société demandeur ») aurait fait en sorte que l’institution ou l’entreprise qui remboursait les frais du déménagement reçoive plusieurs devis soit directement soit indirectement par le biais de la personne qui envisageait de déménager. À cette fin, la société demandeur aurait indiqué à ses concurrents le prix, le taux d’assurance et les frais d’entreposage auxquels ils devaient facturer le service. Ce prix, plus élevé que le prix proposé par la société demandeur, aurait ensuite été indiqué dans les DDC. Selon la Commission, étant donné qu’un employeur autorise normalement à choisir la société de déménagement qui offre le prix le plus bas, les sociétés impliquées dans un même déménagement international savaient en principe d’avance laquelle d’entre elles pourrait remporter le contrat pour ce déménagement.

11      Ziegler a formé un recours en vue d’obtenir l’annulation de la décision du 11 mars 2008 devant le Tribunal et une réduction du montant de l’amende qui lui avait été infligée. Par arrêt du 16 juin 2011, Ziegler/Commission (T‑199/08, Rec, EU:T:2011:285), le Tribunal a rejeté ce recours.

12      Par arrêt du 11 juillet 2013, Ziegler/Commission (C‑439/11 P, Rec, EU:C:2013:513), la Cour a rejeté le pourvoi introduit par Ziegler contre cet arrêt du Tribunal.

13      Depuis 2010, Ziegler a envoyé une série de lettres à différentes personnes au sein de la Commission dans lesquelles elle a fait valoir, notamment, que la pratique des DDC n’avait pas cessé parmi ses concurrents. À la suite d’une plainte déposée par Ziegler concernant une continuation de la pratique des DDC, l’Office européen de lutte antifraude (OLAF) a organisé, le 16 février 2010, une audition conformément à l’article 4 du règlement (CE) n° 1073/1999 du Parlement européen et du Conseil, du 25 mai 1999, relatif aux enquêtes effectuées par l’OLAF (JO L 136, p. 1), avec un représentant de Ziegler. Par lettre du 19 février 2010, Ziegler s’est plainte auprès de l’OLAF de ce que la DG de la concurrence n’avait pas transmis à celui-ci les pièces de son dossier administratif concernant les cas des devis qui étaient en cause (ci-après les « devis en cause ») et de ce que la pratique des devis en cause continuait au sein de la Commission. Par courriel du 7 avril 2010 et par lettre du 8 juin 2010, l’OLAF a demandé à Ziegler de spécifier ses allégations. Par courriel du 23 avril 2010 et par lettre du 1er juillet suivant, Ziegler a fourni des informations supplémentaires à l’OLAF. Par lettre du 9 février 2011, l’OLAF a informé Ziegler du fait qu’il avait adressé une note contenant des recommandations aux services concernés de la Commission et du fait qu’il n’avait pas identifié d’irrégularités dans les faits rapportés concernant un ancien membre de la Commission. Par lettre du 7 mars 2011, Ziegler a réitéré à l’OLAF ses observations, notamment ses allégations à l’encontre d’un ancien membre de la Commission, la communication tardive en 2010, par la DG de la concurrence, du dossier administratif à l’OLAF, la gestion de l’affaire d’entente par la DG de la concurrence et les carences dans les procédures internes de la Commission concernant les remboursements des déménagements. Par lettre du 20 octobre 2011, adressée au vice-président de la Commission chargé de la politique de la concurrence, Ziegler a communiqué ses observations concernant ses difficultés financières et s’est plainte du fait que la Commission continuait à protéger ses fonctionnaires qui avaient été à l’origine de la pratique des DDC.

14      En outre, par lettres des 4 février et 15 juillet 2010 et du 10 juin 2011, adressées au président de la Commission, Ziegler s’est plainte, notamment, de la continuation, au sein de la Commission, de la pratique des DDC et de l’absence de mesures de la part de l’administration visant à mettre un terme à cette pratique. Par lettre du 15 juillet 2010 adressée au chef de cabinet du vice-président de la Commission chargé des relations interinstitutionnelles et de l’administration, Ziegler a formulé des suggestions pour améliorer la gestion des déménagements au sein de la Commission, auxquelles celui-ci a répondu par lettre du 25 octobre 2010.

15      Les devis en cause contestés par les requérantes dans ces lettres comme dans les présents recours, d’une part, ne comprennent que des devis fournis à la demande de « fonctionnaires de l’Union » et, d’autre part, couvrent deux types de devis : premièrement, des devis factices où le fonctionnaire souhaite confier son déménagement à l’entreprise de déménagement de son choix et lui demande d’obtenir des devis factices plus chers d’autres sociétés de déménagement ; deuxièmement, des devis dans lesquels un fonctionnaire souhaite inclure des prestations qui ne sont pas remboursables selon les règles internes de son institution. Dans ce deuxième cas, les requérantes considèrent que les autres devis nécessaires pour compléter le dossier administratif du fonctionnaire, afin de masquer de telles prestations, ne peuvent être que des DDC.

16      S’agissant des suites ayant été données au sein de la Commission, la DG des ressources humaines de cette dernière a communiqué au PMO des recommandations, par note interne du 21 mai 2010, afin de réduire le risque d’irrégularités à la suite d’enquêtes internes diligentées en ce qui concerne des cas de DDC. Le 27 décembre 2010, l’OLAF a communiqué ses recommandations à la DG des ressources humaines, au secrétariat général de la Commission et au PMO. Par note interne du 8 avril 2011, le PMO a communiqué ses observations sur lesdites notes à la DG des ressources humaines et à l’OLAF. Par note interne du 21 février 2012, le PMO a informé le secrétariat général de la Commission de la clôture de l’enquête interne diligentée et des mesures pratiques adoptées. De plus, selon la Commission, une série de procédures disciplinaires a eu lieu dans des cas signalés par les requérantes.

 Procédure et conclusions des parties

17      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 12 décembre 2012 dans l’affaire T‑539/12, Ziegler a introduit un recours en indemnité.

18      Par ordonnance du 20 février 2013, Ziegler/Commission (T‑539/12, non publiée au Recueil), le président de la septième chambre du Tribunal a suspendu la procédure dans cette affaire jusqu’à la décision mettant fin à l’instance dans l’affaire C‑439/11 P, Ziegler/Commission.

19      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 11 mars 2013 dans l’affaire T‑150/13, Ziegler Relocation a introduit un recours en indemnité.

20      Par ordonnance du 17 mai 2013, Ziegler/Commission (T‑150/13, non publiée au Recueil), le président de la septième chambre du Tribunal a suspendu la procédure dans cette affaire jusqu’à la décision mettant fin à l’instance dans l’affaire C‑439/11 P, Ziegler/Commission.

21      La composition des chambres du Tribunal ayant été modifiée, le juge rapporteur a été affecté à la cinquième chambre, à laquelle la présente affaire a, par conséquent, été attribuée.

22      Par ordonnance du 6 septembre 2013, les affaires T‑539/12 et T‑150/13 ont été jointes aux fins de la procédure écrite, de la procédure orale et de la décision mettant fin à l’instance.

23      Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal a décidé d’ouvrir la procédure orale et, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 64 du règlement de procédure, a posé une question écrite à la Commission et a demandé aux parties de produire certains documents. Les parties ont répondu à la question écrite et ont produit les documents demandés dans le délai imparti.

24      Par lettre datée du 27 août 2014, les requérantes ont fourni au Tribunal cinq pièces supplémentaires. Le Tribunal a invité la Commission à présenter des observations à ce sujet lors de l’audience du 8 septembre 2014.

25      Ziegler conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        déclarer le recours recevable et fondé ;

–        dire pour droit que l’Union a engagé sa responsabilité non contractuelle à son égard ;

–        condamner l’Union à lui verser la somme de 1 472 000 euros, majorée des intérêts à compter du 11 mars 2008 jusqu’au « parfait paiement » ;

–        condamner l’Union à lui verser la somme de 112 872,50 euros par an à compter du 11 mars 2008, majorée des intérêts jusqu’au parfait paiement ;

–        condamner l’Union aux dépens.

26      Ziegler Relocation conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        déclarer le recours recevable et fondé ;

–        dire pour droit que l’Union a engagé sa responsabilité non contractuelle à son égard ;

–        condamner l’Union à lui verser la somme de 112 872,50 euros par an à compter du 11 mars 2008, majorée des intérêts jusqu’au parfait paiement ;

–        condamner l’Union aux dépens.

27      Dans leur réplique, les requérantes ont précisé que, dans la mesure où les deux recours avaient le même objet, le recours de Ziegler Relocation avait été déposé à titre subsidiaire par rapport à celui de Ziegler dans l’hypothèse où ce dernier serait rejeté.

28      Lors de l’audience, les requérantes ont déclaré, en réponse à une question du Tribunal, que les premiers et deuxièmes chefs de conclusions, tels qu’exposés au points 25 et 26 ci-dessus, avaient été présentés « à titre introductif » et se confondaient donc en réalité avec les troisième et quatrième chefs de conclusions de Ziegler, exposés au point 25 ci-dessus, et avec le troisième chef de conclusions de Ziegler Relocation, exposé au point 26 ci-dessus. Ces derniers seraient donc les seuls chefs de conclusions précis concernant les demandes d’indemnisation des requérantes. Dès lors, il convient de n’examiner que les troisième à cinquième chefs de conclusions du recours de Ziegler et les troisième et quatrième chefs de conclusions du recours de Ziegler Relocation.

29      Également lors de l’audience, les requérantes ont précisé en réponse à une question du Tribunal que le quatrième chef de conclusions exposé au point 25 ci-dessus et le troisième chef de conclusions exposé au point 26 ci-dessus concernent la période allant du 11 mars 2008 au 1er janvier 2014.

30      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter les recours comme étant partiellement irrecevables et partiellement infondés ou comme étant infondés dans leur ensemble ;

–        condamner les requérantes aux dépens.

 En droit

31      Dans l’affaire T‑539/12, Ziegler présente deux demandes d’indemnisation. Dans l’affaire T‑150/13, Ziegler Relocation présente une demande d’indemnisation qui est en substance identique à la seconde demande d’indemnisation formulée par Ziegler dans l’affaire T‑539/12 et qui est présentée à titre subsidiaire par rapport au recours de Ziegler dans l’affaire T‑539/12.

32      Dans sa première demande d’indemnisation, Ziegler demande la réparation d’un préjudice qu’elle aurait prétendument subi du fait de l’adoption de la décision du 11 mars 2008 et de l’amende infligée. Dans la seconde demande d’indemnisation, les requérantes demandent la réparation d’un préjudice qu’elles auraient prétendument subi entre l’adoption de la décision du 11 mars 2008 et le 1er janvier 2014, compte tenu de la continuation de la pratique des devis en cause, lesquels auraient été sollicités par des « fonctionnaires européens » et les concurrents de Ziegler sur le marché des déménagements internationaux en Belgique.

 Sur la recevabilité

33      Sans soulever formellement une exception d’irrecevabilité au titre de l’article 114 du règlement de procédure, la Commission fait valoir l’irrecevabilité partielle des présents recours pour plusieurs motifs. En premier lieu, il convient d’examiner les motifs d’irrecevabilité portant sur l’autorité de la chose jugée et sur le retrait partiel de la décision du 11 mars 2008, ainsi que la nécessité d’écarter certaines pièces du dossier administratif de la procédure de concurrence. En second lieu, il convient d’examiner la recevabilité des recours pour autant qu’ils visent les comportements des institutions et organes de l’Union autres que la Commission.

 Sur l’autorité de la chose jugée et le retrait partiel de la décision du 11 mars 2008

34      La Commission fait observer que les recours sont partiellement irrecevables dans la mesure où les arguments des requérantes auraient déjà été écartés par le Tribunal et la Cour dans les affaires ayant donné lieu à l’arrêt Ziegler/Commission, point 11 supra (EU:T:2011:285), et à l’arrêt Ziegler/Commission, point 12 supra (EU:C:2013:513). L’autorité de la chose jugée s’opposerait à ce qu’ils soient de nouveau soulevés devant le Tribunal.

35      Les requérantes considèrent que l’autorité de la chose jugée ne s’applique pas dans le cadre des présents recours. En effet, Ziegler Relocation n’aurait pas été partie à la procédure dans les affaires ayant donné lieu à l’arrêt Ziegler/Commission, point 11 supra (EU:T:2011:285), et à l’arrêt Ziegler/Commission, point 12 supra (EU:C:2013:513). De plus, les présents recours n’auraient pas le même objet et ne seraient pas fondés sur la même cause.

36      De surcroît, les requérantes font observer dans leur réplique, et ont réaffirmé lors de l’audience en réponse à une question du Tribunal, que rien ne les empêche de se retourner contre l’Union pour une partie du montant de l’amende infligée en raison de la faute de la Commission. Les requérantes ont précisé lors de l’audience ne pas chercher à annihiler l’amende infligée dans la décision du 11 mars 2008.

37      Il convient de rappeler que l’exception fondée sur l’autorité de la chose jugée suppose que le recours dont l’irrecevabilité est alléguée et celui ayant abouti à la décision revêtue de l’autorité de la chose jugée opposent les mêmes parties, aient le même objet et soient fondés sur la même cause (arrêts du 8 janvier 2002, France/Monsanto et Commission, C‑248/99 P, Rec, EU:C:2002:1, point 37, et du 26 février 2013, Espagne/Commission, T‑65/10, T‑113/10 et T‑138/10, EU:T:2013:93, point 60). De plus, l’autorité de la chose jugée ne s’attache pas qu’au dispositif d’un arrêt d’annulation. Elle s’étend aux motifs de cet arrêt qui constituent le soutien nécessaire de son dispositif et en sont, de ce fait, indissociables (arrêt du 15 novembre 2012, Gothaer Allgemeine Versicherung e.a, C‑456/11, Rec, EU:C:2012:719, point 40).

38      À cet égard, une identité d’objet des deux affaires en cause, en ce sens qu’elles reposent sur la même situation de fait et de droit, constitue l’une des conditions nécessaires pour que la première décision juridictionnelle puisse se voir reconnaître l’autorité de la chose jugée au regard des présentes affaires (voir, en ce sens, arrêt du 24 janvier 2013, Commission/Espagne, C‑529/09, Rec, EU:C:2013:31, point 78).

39      Le litige dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Ziegler/Commission, point 11 supra (EU:T:2011:285), avait pour objet une demande d’annulation de la décision du 11 mars 2008 ainsi qu’une demande de suppression de l’amende infligée à Ziegler ou de réduction du montant de celle-ci. Le présent litige a pour objet deux demandes d’indemnisation portant sur le préjudice que les requérantes auraient prétendument subi en raison de ladite amende et sur le préjudice qu’elles auraient prétendument subi à la suite de l’adoption de la décision du 11 mars 2008. Dans ces conditions, il ne peut être valablement soutenu que le présent litige et l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Ziegler/Commission, point 11 supra (EU:T:2011:285), ont le même objet.

40      Il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, le recours en indemnité est une voie de recours autonome, ayant sa fonction particulière dans le cadre du système des voies de recours et subordonnée à des conditions d’exercice conçues en vue de son objet spécifique (arrêt du 28 avril 1971, Lütticke/Commission, 4/69, Rec, EU:C:1971:40, point 6, et ordonnance du 21 juin 1993, Van Parijs e.a./Conseil et Commission, C‑257/93, EU:C:1993:249, point 14). Alors que les recours en annulation et en carence visent à sanctionner l’illégalité d’un acte juridiquement contraignant ou l’absence d’un tel acte, le recours en indemnité a pour objet la demande en réparation d’un préjudice découlant d’un acte ou d’un comportement illicite imputable à une institution ou à un organe de l’Union (voir arrêt du 23 mars 2004, Médiateur/Lamberts, C‑234/02 P, Rec, EU:C:2004:174, point 59 et jurisprudence citée ; arrêt du 18 décembre 2000, Arizmendi e.a./Conseil et Commission, T‑440/03, T‑121/04, T‑171/04, T‑208/04, T‑365/04 et T‑484/04, Rec, EU:T:2009:530, point 64).

41      Le principe de l’autonomie du recours en indemnité trouve ainsi sa justification dans le fait qu’un tel recours se singularise, par son objet, du recours en annulation (arrêt du 24 octobre 2000, Fresh Marine/Commission, T‑178/98, Rec, EU:T:2000:240, point 45).

42      Cela dit, c’est sur ce fondement qu’il a été jugé, par exception au principe de l’autonomie des voies de recours, qu’un recours en indemnité devait être déclaré irrecevable lorsqu’il tend, en réalité, au retrait d’un acte devenu définitif et qu’il aurait pour effet, s’il était accueilli, d’annihiler les effets juridiques de l’acte en question (arrêts du 15 mars 1995, Cobrecaf e.a./Commission, T‑514/93, Rec, EU:T:1995:49, point 59, et Fresh Marine/Commission, point 41 supra, EU:T:2000:240, point 50).

43      La jurisprudence a reconnu que tel était le cas lorsque le recours en indemnité tend au paiement d’une somme dont le montant correspond exactement au montant des droits qui ont été payés – ou dont la partie requérante a été privée ? en exécution d’une décision individuelle et que, de ce fait, le recours en indemnité tend, en réalité, au retrait de cette décision individuelle (arrêts du 26 février 1986, Krohn Import-Export/Commission, 175/84, Rec, EU:C:1986:85, point 33, et Cobrecaf e.a./Commission, point 42 supra, EU:T:1995:49, point 60).

44      En l’espèce, Ziegler affirme avoir subi un prétendu préjudice en raison de l’amende de 9 200 000 euros qui lui a été infligée dans le cadre de la décision du 11 mars 2008 au titre d’une infraction pour laquelle elle considère l’Union partiellement responsable. Ziegler considère, au point 56 de la requête dans l’affaire T‑539/12, que la Commission a décidé de lui « infliger le préjudice » et souligne, au point 40 de sa réplique, qu’elle vise à « se disculper au moins partiellement » des faits qui lui étaient reprochés dans la décision du 11 mars 2008.

45      Dès lors, il est manifeste que, par son recours, Ziegler tend au retrait partiel de la décision du 11 mars 2008 dans la mesure où elle tient l’Union pour responsable, quoique partiellement, de l’amende que la Commission lui a infligée. Cependant, depuis l’arrêt Ziegler/Commission, point 12 supra (EU:C:2013:513), la décision du 11 mars 2008 est devenue définitive au motif qu’il a été jugé que cette décision n’était pas entachée d’illégalité pour autant qu’elle concernait Ziegler. Si la première demande d’indemnisation de Ziegler dans l’affaire T‑539/12 était accueillie, cela aurait donc pour effet d’annihiler une partie des effets juridiques de l’amende infligée par la décision du 11 mars 2008.

46      Au vu de ce qui précède, la première demande d’indemnisation de Ziegler dans l’affaire T‑539/12 doit être déclarée irrecevable.

47      Cependant, la fin de non-recevoir tirée de l’irrecevabilité opposée par la Commission à l’encontre la seconde demande d’indemnisation et fondée sur l’autorité de la chose jugée doit être rejetée au motif que la seconde demande d’indemnisation n’a pas le même objet que le litige dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Ziegler/Commission, point 11 supra (EU:T:2011:285).

48      De plus, dans la mesure où la première demande d’indemnisation de Ziegler dans l’affaire T‑539/12 doit être déclarée irrecevable dans son intégralité (voir points 34 à 46 ci-dessus), il n’y a pas lieu d’examiner la question de savoir si certaines pièces provenant du dossier administratif de la procédure de concurrence, qui ont été produites par Ziegler dans l’affaire T‑539/12, dans le contexte de la première demande d’indemnisation, doivent être écartées en l’espèce.

 Sur les comportements des institutions et organes de l’Union autres que la Commission

49      Dans sa duplique, la Commission fait valoir que les requérantes ont dirigé leurs recours contre « l’Union européenne, représentée par la Commission ». D’après la Commission, les recours sont irrecevables pour autant qu’ils visent les agissements des institutions, offices, organes et agences de l’Union autres que ceux de la Commission.

50      Les requérantes ont dirigé leurs recours contre « l’Union européenne, représentée par la Commission » en tant que partie défenderesse. Cependant, elles mettent en cause, dans leurs requêtes et leur réplique, les agissements de « fonctionnaires européens », y compris dans des cas concernant « d’autres institutions ou agences européennes au sens large ». Selon elles, la Commission n’intervient pas dans les présentes affaires en son nom propre, mais en tant que représentante de l’Union et donc de l’ensemble de ses institutions.

51      À cet égard, force est de constater que, selon la jurisprudence, une action visant à obtenir la réparation d’un préjudice causé par le comportement d’une institution ou d’un organe de l’Union doit être dirigée contre cette institution ou cet organe (arrêt Médiateur/Lamberts, point 40 supra, EU:C:2004:174, point 67 ; voir également, en ce sens, arrêt du 9 novembre 1989, Briantex et Di Domenico/CEE et Commission, 353/88, Rec, EU:C:1989:415, point 7) à qui le fait générateur de responsabilité est reproché (arrêt du 13 novembre 1973, Werhahn Hansamühle e.a./Conseil et Commission, 63/72 à 69/72, Rec, EU:C:1973:121, point 7).

52      Il découle de cette jurisprudence que la Commission étant la partie défenderesse en l’espèce, elle ne peut être tenue de répondre que des comportements qui lui sont attribuables.

53      S’agissant des services pour lesquels la Commission a géré les déménagements des agents, il convient de relever que cette dernière déclare gérer les déménagements de ses agents ainsi que ceux des agents du Service européen pour l’action extérieure dans le cadre d’un accord de prestation de services.

54      En ce qui concerne le fait générateur de responsabilité reproché à l’Union, il convient de relever que, dans le cadre de la seconde demande d’indemnisation, les requérantes font valoir, contrairement à ce que Ziegler affirme dans le cadre de la première demande d’indemnisation, l’absence de modification des règles administratives de l’Union applicables aux déménagements de « fonctionnaires européens » et que, dès lors, elles ne font pas valoir la responsabilité de l’Union pour un comportement actif de ses agents. En substance, les requérantes font observer que l’Union n’a pas modifié sa pratique ni ses règles administratives, concernant la gestion des dossiers de déménagement, et sa gestion des procédures disciplinaires dans le contexte d’une continuation de la pratique des devis en cause.

55      De plus, dans la réplique et lors de l’audience, les requérantes ont précisé que, par leurs recours, elles ne soulevaient pas une illégalité du statut, mais qu’elles mettaient en cause sa mise en œuvre par l’administration. Lors de l’audience, les requérantes ont également expliqué que, en l’espèce, elles ne demandaient pas que le statut soit nécessairement modifié.

56      Bien que les requérantes fassent référence, dans leurs recours, aux déménagements de « fonctionnaires européens », il ressort de l’ensemble des écritures des requérantes et de la Commission que les présentes affaires ne visent, en réalité, pas uniquement les agissements de fonctionnaires de la Commission au sens strict de l’article 1er du statut, mais également les agissements d’un ancien membre de la Commission comme ceux des agents de cette dernière qui sont engagés par contrat, au sens de l’article 1er du RAA, pour autant que les règles du statut portant sur les déménagements s’appliquent également à ces agents (voir points 3 et 5 ci-dessus). Lors de l’audience, les requérantes ont également confirmé, en réponse à une question du Tribunal, que le terme « fonctionnaire européen », tel qu’utilisé dans leurs écrits, devait être entendu dans un sens large et ne couvrait pas seulement les fonctionnaires au sens du statut.

57      Au vu de ce qui précède, force est de constater que, concernant la seconde demande d’indemnisation, la Commission n’est tenue de répondre que de sa propre gestion administrative et du comportement de ses agents, dans l’exercice de leurs fonctions, ainsi que de toute responsabilité qui découle de la gestion des dossiers de déménagements, par la Commission, pour d’autres services de l’Union en vertu d’un accord de prestation de services. Dès lors, la seconde demande d’indemnisation doit être déclarée irrecevable pour autant qu’elle vise la responsabilité de l’Union pour un comportement actif ou une abstention d’agir qui sont reprochés aux institutions ou organes de l’Union autres que la Commission, en tant que fait générateur de cette responsabilité.

 Sur le bien-fondé de la seconde demande d’indemnisation, tirée d’un préjudice prétendument subi par les requérantes postérieurement à l’adoption de la décision du 11 mars 2008 en raison de la continuation de la pratique des devis en cause

58      Étant donné que les arguments soulevés dans l’affaire T‑539/12 concernant la seconde demande d’indemnisation et ceux soulevés dans l’affaire T‑150/13 sont en substance identiques, il convient de les examiner ensemble.

 Observations liminaires

59      Il résulte d’une jurisprudence constante que l’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union, au sens de l’article 340, deuxième alinéa, TFUE, pour comportement illicite de ses organes est subordonné à la réunion d’un ensemble de conditions, à savoir l’illégalité du comportement reproché à l’institution, la réalité du dommage et l’existence d’un lien de causalité entre le comportement allégué et le préjudice invoqué (arrêts du 29 novembre 1982, Oleifici Mediterranei/CEE, 26/81, Rec, EU:C:1982:318, point 16, et du 14 décembre 2005, Beamglow/Parlement e.a., T‑383/00, Rec, EU:T:2005:453, point 95).

60      Dès lors que l’une des trois conditions d’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union n’est pas remplie, les prétentions indemnitaires doivent être rejetées, sans qu’il soit nécessaire d’examiner si les deux autres conditions sont réunies (arrêt du 20 février 2002, Förde-Reederei/Conseil et Commission, T‑170/00, Rec, EU:T:2002:34, point 37 ; voir également, en ce sens, arrêt du 15 septembre 1994, KYDEP/Conseil et Commission, C‑146/91, Rec, EU:C:1994:329, point 81). Par ailleurs, le juge de l’Union n’est pas tenu d’examiner ces conditions dans un ordre déterminé (arrêt du 9 septembre 1999, Lucaccioni/Commission, C‑257/98 P, Rec, EU:C:1999:402, points 13 à 15).

61      En l’espèce, il convient de relever que les requérantes reprochent à la Commission de ne pas avoir modifié ses procédures administratives et de ne pas avoir mené de procédures disciplinaires à la suite de l’adoption de la décision du 11 mars 2008 dans le cadre prévu par le statut pour mettre un terme, parmi ses agents, à la pratique des devis en cause. Ainsi, l’Union aurait encouragé une distorsion de concurrence au détriment des requérantes. Il s’ensuit que le comportement qui, selon les requérantes, leur fait grief est, en fait, une prétendue abstention d’agir de la Commission (voir également point 53 ci-dessus). Ce constat a également été confirmé par les requérantes lors de l’audience.

 Sur l’existence d’un lien de causalité entre le comportement allégué et le préjudice invoqué

62      Il convient d’examiner tout d’abord s’il existe un lien de causalité entre le comportement reproché à la Commission et le dommage prétendument subi par les requérantes.

63      En ce qui concerne un tel lien, il y a lieu de rappeler que les principes communs aux droits des États membres auxquels renvoie l’article 340, deuxième alinéa, TFUE ne sauraient être invoqués au soutien de l’existence d’une obligation incombant à l’Union de réparer toute conséquence préjudiciable, même éloignée, de comportements de ses organes (voir ordonnance du 31 mars 2011, Mauerhofer/Commission, C‑433/10 P, EU:C:2011:204, point 127 et jurisprudence citée).

64      La condition relative au lien de causalité exigée par l’article 340, deuxième alinéa, TFUE suppose l’existence d’un lien suffisamment direct de cause à effet entre le comportement des institutions et le dommage (arrêt Fresh Marine/Commission, point 41 supra, EU:T:2000:240, point 118, et ordonnance du 17 décembre 2008, Portela/Commission, T‑137/07, EU:T:2008:589, point 79) dont la preuve doit être rapportée par les requérantes (voir, en ce sens, arrêt du 24 avril 2002, EVO/Conseil et Commission, T‑220/96, Rec, EU:T:2002:104, point 41 et jurisprudence citée).

65      S’agissant d’une abstention d’agir, il importe de rappeler que la responsabilité de l’Union pour le dommage invoqué par les requérantes ne saurait être engagée que si les omissions prétendument illégales de la Commission sont directement à l’origine de l’apparition du préjudice et, dès lors, qu’à la condition que, si les mesures que les requérantes reprochent à cette institution de ne pas avoir prises l’avaient été, ce dommage ne se serait vraisemblablement pas produit (voir, en ce sens, ordonnance du 30 juin 2011, Tecnoprocess/Commission et Délégation de l’Union au Maroc, T‑264/09, EU:T:2011:319, point 122 et jurisprudence citée).

66      Il a également été jugé que la personne lésée, au risque de devoir supporter elle-même le dommage, devait faire preuve d’une diligence raisonnable pour éviter le préjudice ou en limiter la portée (arrêt du 19 juillet 2007, FG Marine/Commission, T‑360/04, EU:T:2007:235, point 51 ; voir également, en ce sens, arrêt du 19 mai 1992, Mulder e.a./Conseil et Commission C‑104/89 et C‑37/90, Rec, EU:C:1992:217, point 33). Un tel comportement négligent peut, notamment, consister dans le fait que la personne lésée n’a pas utilisé les voies de droit qui étaient à sa disposition pour éviter le préjudice (arrêt FG Marine/Commission, précité, EU:T:2007:235, point 53).

67      En l’espèce, s’agissant de l’existence d’un lien de causalité entre le comportement allégué et le préjudice invoqué, les requérantes font valoir que le non-respect de l’obligation de diligence par l’Union, c’est-à-dire l’absence de modification des règles administratives applicables aux déménagements et l’absence de procédures disciplinaires, est directement à l’origine de leur perte de chiffres d’affaires, à savoir l’exclusion et la mise à l’écart des requérantes de nombreux marchés de déménagements de « fonctionnaires européens ».

68      La Commission conteste l’existence d’un tel lien dès lors que l’explication et cause première du prétendu dommage consisterait dans un comportement de concurrents des requérantes, qu’une série d’autres facteurs pourrait expliquer le « faible succès des requérantes » sur le marché et que ces dernières ne se seraient pas retournées contre les entreprises qui, selon elles, ont continué la pratique des devis en cause.

69      Plus précisément, en premier lieu, la Commission fait valoir que le « faible succès des requérantes » sur le marché dû à la continuation d’une pratique anticoncurrentielle résulte principalement du fait que les concurrents de ces dernières ont échangé entre eux des DDC. Pour démontrer l’existence d’un lien de causalité entre le comportement reproché à la Commission et le dommage prétendument subi par les requérantes, il ne suffirait pas que quelques « fonctionnaires européens » aient demandé un devis tel que les devis en cause à une entreprise de déménagement.

70      Il y a lieu de rappeler que les requérantes ne visent pas, par leur seconde demande d’indemnisation, la réparation d’un préjudice prétendument subi en raison des seuls actes frauduleux des agents de la Commission envers cette dernière, mais qu’elles font valoir la continuation de la pratique anticoncurrentielle que la Commission a sanctionnée dans la décision du 11 mars 2008, et qui pourtant, selon elles, perdure au sein même des effectifs de celle-ci.

71      À cet égard, il convient de relever que la pratique des DDC qui a été établie dans la décision du 11 mars 2008 concernait une entente entre entreprises actives sur le marché des déménagements internationaux en Belgique. Une telle pratique requiert un élément de coordination anticoncurrentielle entre entreprises qui substitue sciemment une coopération pratique entre elles aux risques de la concurrence (arrêt du 4 juin 2009, T-Mobile Nederland e.a., C‑8/08, Rec, EU:C:2009:343, point 26). Or, ni la Commission ni ses agents n’ont la qualité d’entreprise au sens de l’article 101 TFUE.

72      Dès lors, il convient de relever que, même à supposer que la pratique anticoncurrentielle dont font état les requérantes soit avérée, leur prétendue perte de chiffres d’affaires ne saurait découler directement d’une abstention d’agir de la Commission, mais présupposerait l’existence d’activités anticoncurrentielles de leurs concurrents.

73      De plus, les requérantes considèrent que cette pratique anticoncurrentielle a eu lieu à la suite des sollicitations d’agents de la Commission. Or, ainsi que le fait observer la Commission, les demandes des devis en cause par ses agents à des sociétés de déménagement portant sur l’organisation de leurs propres déménagements n’ont pas été effectuées par ceux-ci au nom de la Commission, ni dans l’exercice de leurs fonctions (voir, en ce sens, arrêts du 10 juillet 1969, Sayag et Zürich, 9/69, Rec, EU:C:1969:37, point 7, et du 12 septembre 2007, Nikolaou/Commission, T‑259/03, EU:T:2007:254, point 193). Il s’ensuit que les requérantes ne peuvent pas reprocher à la Commission ces activités de ses agents au motif que l’article 340, paragraphe 2, TFUE exclut la responsabilité non contractuelle de l’Union pour des dommages causés par ses agents en dehors de l’exercice de leurs fonctions.

74      Les arguments des requérantes selon lesquels un agent qui déménage utiliserait des formulaires d’un service de la Commission, le déménagement pourrait être exclusivement motivé par des raisons professionnelles, la Commission s’engagerait à rembourser les frais de déménagement à l’agent ou même à l’entreprise de déménagement, ou selon lesquels l’agent n’aurait pas suivi les procédures de la Commission si le déménagement avait été un déménagement privé, ne sont donc pas pertinents pour la question de la responsabilité de l’Union en l’espèce. Les agissements en question des agents n’étaient pas effectués au nom de la Commission et les concurrents des requérantes auraient dû savoir, à la suite de l’adoption de la décision du 11 mars 2008, que les demandes de DDC étaient illégales. De plus, ainsi que le relève à juste titre la Commission, dans le cas où un agent omet de demander le remboursement ou ne remplit pas les formalités administratives de la Commission, les frais du déménagement restent à sa charge.

75      Étant donné que les agissements en question des agents de la Commission n’ont pas été accomplis dans le cadre de l’exercice des fonctions de ces derniers, les arguments de Ziegler à ce sujet sont inopérants.

76      Dès lors que les demandes des devis en cause n’ont pas été effectuées par les agents de la Commission dans l’exercice de leurs fonctions, la prétendue perte de chiffres d’affaires des requérantes ne saurait non plus découler directement d’une abstention d’agir de la Commission.

77      En second lieu, ainsi que le relève à juste titre la Commission, une série d’autres causes peut expliquer le prétendu « faible succès des requérantes » sur le marché, telles que leur situation financière délicate, les prix qu’elles peuvent proposer, une perte de réputation due à la participation de Ziegler à une entente, les services rendus ou le ciblage plus actif sur un autre segment du marché.

78      Sans contester l’existence de ces facteurs, les requérantes considèrent pourtant qu’elles n’ont vu leur chiffre d’affaires baisser qu’avec les « institutions européennes », et non avec leurs autres clients.

79      À cet égard, il y a lieu de relever que les requérantes n’ont pas étayé cette affirmation par des éléments concrets. De plus, une telle affirmation ne suffit pas pour mettre en cause l’existence desdits facteurs soulevés par la Commission.

80      En particulier concernant sa situation financière, il convient de relever que Ziegler a envoyé, à la suite de l’adoption de la décision du 11 mars 2008, plusieurs lettres à la Commission dans lesquelles elle a fait état de difficultés financières sévères rencontrées par son groupe. Ainsi que le fait observer la Commission, de telles déclarations figurent notamment dans les lettres adressées, le 20 octobre 2011, au vice-président de la Commission chargé de la politique de la concurrence et, les 30 avril et 26 juin 2012, au comptable de la Commission. Il convient de relever que les agents qui déménageaient supportaient le risque de ce déménagement, ce qui peut expliquer une diminution des demandes de devis comme celle du nombre de déménagements effectués par les requérantes pour des agents de la Commission.

81      En troisième lieu, la Commission fait observer que les requérantes ne se sont pas retournées contre les entreprises qui, selon elles, ont continué la pratique en cause et qu’elles n’ont pas porté plainte auprès de la DG de la concurrence ou de l’autorité nationale compétente, ni saisi les juridictions nationales.

82      Les requérantes arguent qu’elles ont envoyé de nombreuses lettres à différents membres de la Commission et à l’OLAF. La Commission n’aurait pas fait usage de ses moyens d’investigation considérables, et ce même à la suite des nombreuses dénonciations effectuées par les requérantes. Selon les requérantes, c’est en effet la Commission qui aurait dû poursuivre leurs concurrents.

83      Il y a lieu de constater que les entreprises de déménagement actives sur le marché des déménagements internationaux en Belgique auraient dû savoir, en particulier à la suite de l’adoption de la décision du 11 mars 2008, que la pratique des DDC violait les règles du droit de la concurrence. En effet, il y a lieu de rappeler que la Commission n’a pas, par sa décision du 11 mars 2008, sanctionné uniquement Ziegler, mais aussi un certain nombre d’autres entreprises qui avaient participé à l’entente des déménagements internationaux en Belgique et qu’elle a, selon l’article 3 de ladite décision, ordonné à ces entreprises et à Ziegler de mettre fin à l’infraction en question et de s’abstenir dorénavant de tout acte ou comportement ayant un objet ou un effet identique ou similaire.

84      Si les requérantes considéraient que les actions entreprises par la Commission n’étaient pas suffisantes, étant donné que le prétendu dommage avait été causé par leurs concurrents et non par la Commission, les requérantes auraient pu saisir les juridictions nationales compétentes. Selon la jurisprudence, l’article 101, paragraphe 1, TFUE produisant des effets directs dans les relations entre les particuliers et engendrant des droits chez les justiciables, l’effet utile de l’interdiction énoncée à cette disposition serait mis en cause si toute personne ne pouvait demander réparation du dommage que lui aurait causé un contrat ou un comportement susceptible de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence. Pourtant, il incombe aux juridictions nationales chargées d’appliquer, dans le cadre de leurs compétences, les dispositions du droit de l’Union d’assurer non seulement le plein effet de ces normes, mais également de protéger les droits qu’elles confèrent aux particuliers (voir arrêt du 6 juin 2013, Donau Chemie e.a., C‑536/11, Rec, EU:C:2013:366, points 21 à 22 et jurisprudence citée).

85      De plus, elles auraient pu mettre fin aux pratiques dont elles font état en dénonçant à tout moment une continuation ou une reprise de l’entente des entreprises de déménagements internationaux auprès de la Commission ou porter plainte auprès de l’autorité nationale compétente pour éviter que le dommage allégué ne se produise. En particulier, il importe de relever que les requérantes auraient pu introduire, auprès de la Commission, une plainte formelle au titre de l’article 7, paragraphe 1, du règlement du règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles [101 TFUE] et [102 TFUE] (JO 2003, L 1, p. 1). Selon la jurisprudence, la Commission est tenue d’examiner attentivement l’ensemble des éléments de fait et de droit qui sont portés à sa connaissance par les plaignants et un plaignant est en droit d’être fixé sur le sort de sa plainte par une décision de la Commission, susceptible de faire l’objet d’un recours juridictionnel. À cet égard, la Commission est astreinte à une obligation de motivation lorsqu’elle refuse de poursuivre l’examen d’une plainte (voir ordonnance du 31 mars 2011, EMC Development/Commission, C‑367/10 P, EU:C:2011:203, points 74 à 75 et jurisprudence citée).

86      S’agissant de l’argument des requérantes selon lequel elles ont envoyé de nombreuses lettres à différents membres de la Commission et à l’OLAF, il convient de constater qu’elles auraient pu à tout moment avoir recours à une des mesures mentionnées aux points 84 et 85 ci-dessus et qu’elles n’ont donc pas utilisé les voies de droit et administratives qui étaient à leur disposition.

87      De plus, les requérantes font valoir qu’elles ont effectué de nombreuses dénonciations concernant la continuation de la pratique des DDC, notamment le 20 octobre 2011 au vice-président de la Commission chargé de la politique de la concurrence. À cet égard, ainsi que l’affirme la Commission, un certain nombre de ces lettres de Ziegler à la Commission portait principalement sur le souhait de Ziegler que l’amende infligée par la décision du 11 mars 2008 soit supprimée. Il y a également lieu de relever que ces lettres concernaient en partie la période précédant le 11 mars 2008 et d’autres thèmes tels que des propositions générales visant à améliorer les règles administratives au sein de la Commission en ce qui concerne les déménagements des agents. S’agissant de la lettre de 20 octobre 2011 adressée au vice-président de la Commission chargé de la politique de la concurrence, force est de constater que cette lettre porte essentiellement sur la difficile situation financière de Ziegler. Au point 5 de la page 5 de ladite lettre, elle mentionne que la Commission protège ses propres « fonctionnaires » à l’origine de la pratique des DDC et fait référence à un ancien membre de la Commission. Il y a lieu de constater que cette lettre ne contient aucun élément concret concernant l’existence d’une pratique anticoncurrentielle entre les concurrents des requérantes.

88      Partant, il convient de constater que les requérantes auraient pu éviter la survenance du préjudice invoqué en utilisant les voies administratives et juridictionnelles qui étaient à leur disposition.

89      En quatrième lieu, les requérantes font observer que, dès qu’un comportement illicite ou tout autre fait générateur de responsabilité est la cause d’un dommage, il n’importe plus de savoir dans quelle mesure il en est la cause.

90      À cet égard, il convient de rappeler que, dans des cas où le comportement prétendument à l’origine du dommage invoqué consiste en une abstention d’agir, il est nécessaire d’avoir la certitude que ledit dommage a effectivement été causé par les inactions reprochées et n’a pas pu être provoqué par des comportements distincts de ceux reprochés à l’institution défenderesse (voir, en ce sens, arrêt du 13 décembre 2006, É.R. e.a./Conseil et Commission, T‑138/03, Rec, EU:T:2006:390, point 134, et ordonnance Portela/Commission, point 64 supra, EU:T:2008:589, point 80). Dès lors, cet argument des requérantes doit être rejeté.

91      Au vu des considérations qui précèdent, il y a lieu de conclure qu’il ne résulte pas des arguments soulevés par les requérantes que le préjudice allégué découlait de façon suffisamment directe de l’abstention d’agir qu’elles reprochent à la Commission. Partant, pour autant qu’elle soit recevable, la seconde demande d’indemnisation doit être rejetée comme étant non fondée.

92      À cet égard, il convient de relever que l’obligation d’apporter une telle preuve ne nécessite aucune participation active à des activités illicites, ce qui est contraire à l’argument des requérantes selon lequel elles ont été empêchées de rassembler des preuves plus nombreuses et tangibles de la persistance de la pratique des devis en cause parce qu’elles auraient refusé toutes les sollicitations concernant de tels devis. Les requérantes ne peuvent donc pas se décharger de cette obligation en alléguant qu’elles n’ont pas exercé d’activités frauduleuses ou anticoncurrentielles.

 Sur l’illégalité du comportement reproché à l’institution

93      À titre surabondant, il convient également d’examiner s’il existe une illégalité du comportement reproché à la Commission.

94      S’agissant de la première condition évoquée au point 59 ci-dessus, relative au comportement illégal reproché à l’institution ou à l’organe concerné, la jurisprudence exige que soit établie une violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers. Le critère décisif permettant de considérer qu’une violation est suffisamment caractérisée consiste en la méconnaissance manifeste et grave, par l’institution ou l’organe de l’Union concerné, des limites qui s’imposent à son pouvoir d’appréciation. C’est seulement lorsque cette institution ou cet organe ne dispose que d’une marge d’appréciation considérablement réduite, voire inexistante, que la simple infraction au droit de l’Union peut suffire pour établir l’existence d’une violation suffisamment caractérisée (arrêts du 4 juillet 2000, Bergaderm et Goupil/Commission, C‑352/98 P, Rec, EU:C:2000:361, points 42 à 44, et du 10 décembre 2002, Commission/Camar et Tico, C‑312/00 P, Rec, EU:C:2002:736, point 54).

95      Il a également été jugé que les omissions des institutions de l’Union n’étaient susceptibles d’engager la responsabilité de l’Union que dans la mesure où les institutions avaient violé une obligation légale d’agir résultant d’une disposition du droit de l’Union (arrêts KYDEP/Conseil et Commission, point 60 supra, EU:C:1994:329, point 58, et du 13 novembre 2008, SPM/Conseil et Commission, T‑128/05, EU:T:2008:494, point 128).

96      S’agissant de l’obligation de diligence, la jurisprudence a reconnu que l’administration de l’Union pouvait engager sa responsabilité non contractuelle pour comportement illicite lorsqu’elle n’agissait pas avec toute la diligence requise et causait, de ce fait, un préjudice [voir arrêt du 16 décembre 2008, Masdar (UK)/Commission, C‑47/07 P, Rec, EU:C:2008:726, point 91 et jurisprudence citée]. L’illégalité découle de la constatation d’une irrégularité qu’une administration normalement prudente et diligente n’aurait pas commise dans des circonstances analogues (voir, en ce sens, arrêt du 9 septembre 2008, MyTravel/Commission, T‑212/03, Rec, EU:T:2008:315, point 49 et jurisprudence citée).

97      L’obligation de diligence s’applique de manière générale à l’action de l’administration de l’Union dans ses relations avec le public [arrêt Masdar (UK)/Commission, point 96 supra, EU:C:2008:726, point 92]. Le caractère protecteur de l’obligation de diligence à l’égard des particuliers impose à l’institution compétente, lorsque celle-ci dispose d’un pouvoir d’appréciation, d’examiner avec soin et impartialité tous les éléments pertinents du cas d’espèce (voir, en ce sens, arrêt MyTravel/Commission, point 96 supra, EU:T:2008:315, point 49 et jurisprudence citée).

98      En l’espèce, les requérantes invoquent, pour la période courant à compter du 11 mars 2008, le non-respect de la part de l’Union de son obligation de diligence. En effet, elles font valoir la continuation de la pratique anticoncurrentielle que la Commission a déjà sanctionnée dans la décision du 11 mars 2008 « mais qui perdure pourtant en son sein ». En ne modifiant pas les règles administratives concernant les déménagements, l’Union encouragerait, de manière négligente, une distorsion de concurrence au détriment des requérantes qui refuseraient de fournir les devis en cause.

99      Plus précisément, les requérantes font valoir que, en dépit de leurs nombreuses lettres et autres interventions, l’Union n’a pas modifié ses procédures administratives dans le cadre prévu par le statut pour mettre un terme à la pratique des devis en cause et que la Commission n’a pas mené des procédures disciplinaires à l’encontre des agents impliqués.

100    La Commission conteste toute illégalité du comportement de l’Union. Elle soutient que les institutions ont poursuivi certains « fonctionnaires » et qu’elles leur ont infligé des sanctions disciplinaires. Elle considère avoir tiré des enseignements de ses enquêtes internes et adapté ses procédures de gestion et de contrôle dans le cadre statutaire existant avant la réforme du statut et du RAA par le règlement n° 1023/2013.

101    Certes, s’agissant de la période allant du 11 mars 2008 à l’introduction des présents recours, il ressort du dossier que, dans certains cas, des agents, dont la Commission gérait les remboursements du déménagement, auraient été impliqués dans des agissements frauduleux relatifs à la déclaration de leurs frais de déménagement à la Commission. La Commission considère que ces cas frauduleux, même si chacun d’eux est « hautement regrettable », sont, contrairement aux affirmations des requérantes, assez limités.

102    Cependant, en premier lieu, il convient de relever que l’obligation de diligence n’a pas la portée que les requérantes lui attribuent. En effet, ce sont les activités anticoncurrentielles exercées par des concurrents des requérantes, à les supposer avérées, qui auraient constitué un comportement illégal dont les effets se seraient produits au détriment de ces dernières et non l’abstention d’agir que les requérantes reprochent à la Commission. L’obligation de diligence ne peut pas impliquer que la Commission soit tenue, premièrement, d’intervenir contre le comportement anticoncurrentiel dont les requérantes font état, ni, deuxièmement, de modifier ses règles administratives relatives aux déménagements de ses agents afin d’écarter tout risque de préjudice qui pourrait découler, pour des opérateurs économiques tels que les requérantes, d’un comportement illégal de leurs concurrents.

103    Concernant l’obligation de la Commission d’intervenir contre un comportement anticoncurrentiel, il y a lieu de constater que, selon une jurisprudence constante, même un plaignant au titre de l’article 7 du règlement n° 1/2003, en dépit du fait qu’il ait les droits mentionnés au point 85 ci-dessus, n’a pas le droit d’exiger de la Commission une décision définitive quant à l’existence ou à l’inexistence de l’infraction alléguée et que la Commission n’est pas obligée à poursuivre en tout état de cause la procédure jusqu’au stade d’une décision finale (voir, en ce sens, ordonnance EMC Development/Commission, point 85 supra, EU:C:2011:203, point 73 et jurisprudence citée). Il s’ensuit que les requérantes, qui d’ailleurs n’ont pas introduit une telle plainte formelle, n’ont pas, à plus forte raison, le droit d’exiger que la Commission sanctionne la pratique anticoncurrentielle dont elles font état.

104    Concernant la prétendue obligation pour la Commission de modifier ses règles administratives relatives aux déménagements des agents, force est de constater que la Commission dispose d’un large pouvoir d’appréciation quant à l’organisation de ses procédures administratives concernant le remboursement des déménagements d’agents de l’Union, quant au choix des moyens pour protéger ses intérêts financiers et dans l’application des dispositions disciplinaires du statut et du RAA, y compris concernant l’ouverture et la conduite d’enquêtes disciplinaires, à condition qu’il existe un soupçon raisonnable qu’une infraction disciplinaire ait été commise.

105    Il en résulte que la Commission ne peut pas être tenue de modifier ses procédures administratives concernant le remboursement des déménagements d’agents de l’Union afin d’écarter tout risque de préjudice qui pourrait découler, pour des opérateurs économiques tels que les requérantes, d’un comportement illégal de leurs concurrents.

106    En tout état de cause, ainsi que le fait valoir la Commission, elle a mené des enquêtes disciplinaires contre les agents dénoncés par Ziegler pour la période postérieure au 11 mars 2008 et elle a, dans certains cas, infligé des sanctions disciplinaires. Il s’ensuit que les requérantes considèrent à tort que la Commission a toléré le comportement en cause de la part de ses agents. Les requérantes ne peuvent pas valablement reprocher à la Commission de ne pas avoir infligé des sanctions disciplinaires dans les cas où une relation avec la Commission ou une violation des règles disciplinaires ne pouvait pas suffisamment être établie. De plus, afin de protéger les agents de l’Union de toute possibilité d’ingérence dans l’exercice de leurs fonctions, le droit d’exiger que des sanctions disciplinaires soient prises à l’encontre de ces derniers ne peut être reconnu à des tiers tels que les requérantes.

107    Pour la même raison, les requérantes ne peuvent pas reprocher à la Commission d’avoir attendu plusieurs années après le début de l’enquête sur l’entente avant d’entamer des procédures disciplinaires, dont une grande partie aurait été clôturée au motif du temps écoulé depuis l’activité illégale présumée.

108    Il découle des motifs exposés aux points 102 à 107 ci-dessus que les arguments des requérantes selon lesquels la Commission aurait dû modifier ses procédures administratives pour mettre un terme à la pratique des devis en cause et mener des procédures disciplinaires supplémentaires à l’encontre de certains de ses agents doivent être rejetés.

109    En second lieu, la Commission fait valoir que les requérantes n’ont pas démontré que leurs concurrents avaient exercé des activités illégales. Plus précisément, elle affirme que les requérantes n’ont avancé aucun élément factuel qui démontrerait que certains de leurs concurrents avaient participé à une pratique anticoncurrentielle en donnant suite à des sollicitations de devis en cause émanant d’agents de la Commission.

110    Les requérantes font valoir que, si un agent souhaite être remboursé pour une prestation non remboursable qui ne figure pas dans les devis fournis à la Commission, une telle prestation doit être masquée dans les trois devis, ce qui impliquerait une forme de « coordination ‘complaisante’ » dans l’établissement de ces devis.

111    À cet égard, il y a lieu de rappeler, ainsi qu’il a déjà été expliqué au point 15 ci-dessus, que les requérantes visent, dans leurs recours, deux types de devis. Il s’agit, premièrement, de DDC, c’est-à-dire de devis factices, lorsque l’agent souhaite confier son déménagement à l’entreprise de déménagement de son choix et lui demande d’obtenir des devis factices plus élevés d’autres sociétés de déménagement et, deuxièmement, de devis dans lesquels un agent souhaite inclure des prestations qui ne sont pas remboursables selon les règles internes de son institution. Les devis en cause qui appartiennent à cette seconde catégorie ne correspondent donc pas nécessairement aux DDC tels que définis dans la décision du 11 mars 2008.

112    Cependant, s’agissant de cette seconde catégorie de devis, il y a lieu de relever que, contrairement à ce qui est soutenu par les requérantes, il ne résulte pas du fait qu’un agent souhaite inclure dans un devis des prestations qui ne sont pas remboursables selon les règles de son institution que des DDC sont fournis par la suite. Les requérantes considèrent à tort que ce type de cas implique nécessairement une forme de « coordination ‘complaisante’ » dans l’établissement des trois devis lorsque la même prestation non remboursable est cachée dans trois devis.

113    Force est de constater que, pour démontrer l’existence d’une pratique anticoncurrentielle sur le fondement de la conduite des entreprises en cause sur le marché, il ne suffit pas de n’avancer qu’une des éventuelles explications plausibles des faits.

114    Il importe de relever que, contrairement à ce que les requérantes affirment, le fait qu’un agent souhaite inclure dans un devis des prestations qui ne sont pas remboursables selon les règles internes de son institution n’a pas automatiquement pour conséquence que les entreprises de déménagement impliquées substituent sciemment une coopération pratique entre elles aux risques de la concurrence. Si cet élément n’a pas été démontré, il est envisageable que trois devis omettant la même prestation soient fournis par des sociétés différentes qui ne sont pas au courant de l’existence de telles demandes aux autres sociétés, et cela sans qu’aucune coordination anticoncurrentielle entre elles n’ait eu lieu. Il incombe donc aux requérantes de prouver cet élément de coordination.

115    Dans leurs requêtes, les requérantes font, tout d’abord, valoir que huit cas communiqués à l’OLAF les 16 février et 23 avril 2010 démontrent l’existence de « demandes de devis de complaisance » émanant d’agents de l’Union et d’un ancien membre de la Commission, c’est-à-dire des demandes visant à obtenir d’une entreprise de déménagement qu’elle fournisse à l’agent ou à l’ancien membre de la Commission plusieurs devis. Les requérantes en déduisent que la pratique de certains agents de la Commission de solliciter des DDC n’a jamais cessé et que leurs concurrents n’ont « apparemment » pas refusé, comme l’auraient fait les requérantes, de fournir des devis tels que les devis en cause à des agents de la Commission. Or, il y a lieu de constater que les requérantes n’ont pas précisé, dans leurs écritures, sur quels éléments factuels elles avaient fondé leurs affirmations à ce sujet pour la période postérieure au 11 mars 2008. Le seul fait qu’elles ont effectué moins de déménagements pour les agents de l’Union n’est pas suffisant.

116    Ensuite, le seul cas parmi ceux mentionnés au point 115 ci-dessus qui, selon les requérantes, indique qu’une autre société « persévère dans la pratique des devis de complaisance » figure en annexe A.4 de la requête dans l’affaire T‑539/12 (pages 437 à 438) et en annexe A.4 de la requête dans l’affaire T‑150/13 (pages 276 à 277). Dans ce cas, un employé de Ziegler Relocation a reçu un courriel, début avril 2008, d’un concurrent qui était également impliqué dans l’affaire COMP/38543 – Services de déménagements internationaux et qui lui demandait si Ziegler voulait rendre visite à un agent de la Commission, qu’il désignait comme étant un « oldtimer […] qui pens[ait] qu’il p[ouvait] encore obtenir qu’une entreprise organis[ât] les trois devis », pour une estimation. Le concurrent avait ajouté qu’un autre concurrent allait également remettre une offre et concluait par la formule « Que le meilleur gagne ». L’employé de Ziegler Relocation avait répondu par courriel que son entreprise ne réalisait plus de déménagements « pour la Commission », car cette dernière choisissait toujours l’offre la moins chère, ce qu’il considérait être une perte de temps. Le concurrent avait ensuite demandé dans un autre courriel si cela aiderait que Ziegler puisse faire une offre plus élevée que d’habitude parce que le client voulait déménager avec ce concurrent.

117    Il y a lieu de constater qu’il ressort de ce courriel que le concurrent de Ziegler a d’abord essayé de convaincre l’employé de Ziegler Relocation et un troisième concurrent de fournir des devis de déménagements pour un client indépendamment l’un de l’autre, c’est-à-dire sans aucune coordination entre eux. Le concurrent a également déjà précisé au début de l’échange qu’il ne proposait pas de s’entendre sur les conditions des devis. C’est seulement lorsque l’employé de Ziegler Relocation a indiqué ne pas avoir d’intérêt à fournir un devis dans les conditions du déménagement en question que le concurrent a essayé de le convaincre de fournir quand même un devis quelconque même s’il n’était pas intéressé. Il convient de relever que, même à supposer que cette dernière partie de la communication indique une tentative de coordination anticoncurrentielle entre des sociétés de déménagement, il ressort néanmoins du document en cause que le concurrent des requérantes n’a qu’exceptionnellement accepté la demande d’un client de lui trouver des entreprises de déménagement qui fournissent indépendamment l’un de l’autre un devis à ce client. Ce document, qui d’ailleurs date du tout début de la période en question, ne peut donc pas démontrer l’existence d’une pratique anticoncurrentielle persistante entre les concurrents des requérantes pour toute la période en question.

118    De plus, les requérantes ont fourni, en annexes C.3 et C.7 à C.13 de leur réplique, plusieurs documents qui démontrent, selon elles, des « cas récents de devis de complaisance et/ou d’irrégularités sollicités par des fonctionnaires européens ». Selon leur description au point 132 de la réplique, ces documents ne démontrent que l’existence de demandes de la part d’agents à une seule entreprise de déménagement de fournir plusieurs devis ou de cacher des frais non remboursables.

119    Sans qu’il soit nécessaire de statuer, au regard de l’article 48, paragraphe 1, du règlement de procédure, sur la recevabilité de ces annexes de la réplique, force est de constater que les requérantes n’allèguent pas que les documents mentionnés aux points 115 et 118 ci-dessus, à l’exception de celui mentionné au point 116 ci-dessus, démontrent l’existence d’une coordination anticoncurrentielle entre des sociétés de déménagement, mais qu’elles considèrent qu’une telle coordination entre concurrents résulte automatiquement du simple fait que des demandes de plusieurs devis ont été effectuées par des agents à une seule société de déménagement ou que, pour un devis, l’agent ne souhaitait pas faire apparaître des frais non remboursables. Même à supposer que l’existence de ces demandes de devis soit prouvée, l’allégation des requérantes de l’existence d’une pratique anticoncurrentielle sur le marché en question doit, pour les motifs exposés aux points 112 à 114 ci-dessus, être rejetée comme non fondée.

120    De surcroît, les articles des journaux La Libre Belgique des 1er et 9 mars 2013, Le Jeudi du 18 au 24 avril 2013 et Der Spiegel n° 24/2013 ne font pas non plus la preuve d’une coordination de nature anticoncurrentielle entre des sociétés de déménagement.

121    Enfin, après la fin de la procédure écrite, les requérantes ont fourni au Tribunal une lettre datée du 27 août 2014. L’annexe E.2 de cette lettre fait référence à un cas dans lequel le contrat d’un agent de la Commission, affecté au service qui gérait les déménagements, a été résilié à la suite du traitement irrégulier de dossiers de déménagements. Sans qu’il soit nécessaire de statuer, au titre de l’article 48, paragraphe 1, du règlement de procédure, sur la recevabilité de ce document, il convient de relever que ce dernier ne contient aucune référence à une pratique anticoncurrentielle et n’est donc, en tout état de cause, pas pertinent en l’espèce.

122    Dès lors, les requérantes n’ont pas démontré l’existence de la pratique anticoncurrentielle dont elles font état dans leurs recours.

123    Il résulte de chacun des deux constats exposés aux points 102 à 122 ci-dessus que la Commission n’a pas méconnu de façon suffisamment manifeste et grave les limites que lui imposait l’obligation de diligence. Il s’ensuit que, en l’espèce, elle n’a violé aucune obligation légale d’agir résultant du principe de diligence.

124    Partant, les requérantes n’ont pas établi l’illégalité des omissions reprochées à la Commission et leurs recours, pour autant qu’ils concernent la partie recevable de la seconde demande d’indemnisation, doivent être rejetés comme non fondés.

125    Il résulte de ce qui précède que les arguments soulevés par les requérantes dans les présents recours ne sont pas suffisants pour établir l’existence d’un lien de causalité entre l’abstention d’agir alléguée et le préjudice invoqué ou l’illégalité de l’abstention d’agir reprochée à la Commission.

126    Selon la jurisprudence rappelée au point 60 ci-dessus, il n’est donc pas nécessaire d’examiner la réalité du dommage allégué par les requérantes. La seconde demande d’indemnisation doit donc en tout état de cause être rejetée comme non fondée.

 Sur le caractère subsidiaire du recours dans l’affaire T‑150/13

127    Dans le recours dans l’affaire T‑150/13, Ziegler Relocation considère que Ziegler, étant la société faitière du groupe Ziegler, a effectivement elle-même été « victime du prétendu dommage eu égard au préjudice subi par sa filiale », c’est-à-dire Ziegler Relocation. Elle estime que, dans l’hypothèse où l’« atteinte au patrimoine propre » de Ziegler serait mise en cause, Ziegler Relocation a subi le préjudice soulevé dans la seconde demande d’indemnisation.

128    Étant donné que le recours dans l’affaire T‑539/12 doit être rejeté dans son ensemble pour les motifs développés ci-dessus et que le recours dans l’affaire T‑150/13 doit être rejeté pour les mêmes motifs que ceux dans l’affaire T‑539/12 pour autant que cette dernière porte sur la seconde demande d’indemnisation, il n’y a pas lieu d’examiner si le prétendu préjudice s’est produit dans le patrimoine de Ziegler ou dans celui de Ziegler Relocation.

129    Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de rejeter les présents recours.

 Sur les dépens

130    Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Les requérantes ayant succombé, il y a lieu de les condamner à supporter, outre leurs propres dépens, ceux exposés par la Commission, conformément aux conclusions de cette dernière.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (cinquième chambre)

déclare et arrête :

1)      Les recours sont rejetés.

2)      Ziegler SA supportera, outre ses propres dépens, ceux exposés par la Commission européenne dans l’affaire T‑539/12.

3)      Ziegler Relocation SA supportera, outre ses propres dépens, ceux exposés par la Commission dans l’affaire T‑150/13.

Dittrich

Schwarcz

Tomljenović

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 15 janvier 2015.

Signatures


* Langue de procédure : le français.