ORDONNANCE DU TRIBUNAL (quatrième chambre)

23 octobre 1998 (1)

«Agriculture - Règlement de portée générale -

Recours d'une entité régionale - Irrecevabilité»

Dans l'affaire T-609/97,

Regione Puglia, représentée par Mes Francesco Rosi et Antonio Campagnola, avocats au barreau de Rome, ayant élu domicile à Luxembourg en l'étude de Me Penning et associés, 31, Grand-rue,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par M. Francesco P. Ruggeri Laderchi, membre du service juridique, en qualité d'agent, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. Carlos Gómez de la Cruz, membre du service juridique, Centre Wagner, Kirchberg,

et

Royaume d'Espagne,

parties défenderesses,

ayant pour objet une demande d'annulation du règlement (CE) n° 1979/97 de la Commission, du 10 octobre 1997, fixant, pour la campagne de commercialisation 1996/1997, la production estimée d'huile d'olive ainsi que le montant de l'aide unitaire à la production qui peut être avancé (JO L 278, p. 12),

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (quatrième chambre),

composé de M. R. M. Moura Ramos, président, Mme V. Tiili et M. P. Mengozzi, juges,

greffier: M. H. Jung,

rend la présente

Ordonnance

Cadre juridique et procédure

1.
    L'article 5 du règlement n° 136/66/CEE du Conseil, du 22 septembre 1966, portant établissement d'une organisation commune des marchés dans le secteur des matières grasses (JO 1966, 172, p. 3025, ci-après «règlement de base»), modifié à plusieurs reprises, a institué une aide à la production d'huile d'olive. Selon cette disposition, le Conseil fixe la quantité maximale d'huile d'olive à laquelle s'applique l'aide, dont le montant est proportionnellement réduit lorsque la production dépasse ladite quantité maximale.

2.
    Le règlement (CEE) n° 2261/84 du Conseil, du 17 juillet 1984, arrêtant les règles générales relatives à l'octroi de l'aide à la production d'huile d'olive et aux organisations de producteurs (JO L 208, p. 3, ci-après «règlement d'application»), modifié à plusieurs reprises, prévoit que la Commission fixe avant le 1er juillet pour la campagne en cours la production estimée et le montant de l'aide unitaire à la production qui peut être avancé.

3.
    Le règlement (CE) n° 1979/97 de la Commission, du 10 octobre 1997 (JO L 278, p. 12, ci-après «règlement litigieux»), a fixé, pour la campagne de commercialisation 1996/1997, la production estimée d'huile d'olive ainsi que lemontant de l'aide unitaire à la production qui peut être avancé, sur la base des données communiquées par les États membres.

4.
    Par requête déposée au greffe du Tribunal le 23 décembre 1997, la partie requérante a introduit, sur la base de l'article 173 du traité CE, le présent recours, dirigé contre la Commission et le royaume d'Espagne, et tendant à l'annulation du règlement litigieux.

5.
    Par acte enregistré au greffe du Tribunal le 3 mars 1998, la Commission a, en vertu de l'article 114, paragraphe 1, du règlement de procédure, soulevé une exception d'irrecevabilité, sur laquelle la partie requérante a déposé ses observations le 8 mai 1998.

6.
    Par requête déposée au greffe du Tribunal le 23 avril 1998, le royaume d'Espagne a demandé à être admis à intervenir au soutien des conclusions de la Commission.

Conclusions des parties

7.
    La partie requérante conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

-     rejeter l'exception d'irrecevabilité;

-     annuler entièrement le règlement litigieux ou, à titre subsidiaire, l'annuler dans la mesure où il reconnaît comme correctes les données fournies par le royaume d'Espagne;

-    prendre toute autre mesure «que le Tribunal jugera opportune et juste»;

-    condamner la Commission aux dépens.

8.
    La Commission conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

-    rejeter le recours comme irrecevable;

-    condamner la partie requérante aux dépens.

Sur la recevabilité du recours en tant qu'il est dirigé contre le royaume d'Espagne

9.
    En vertu de l'article 111 du règlement de procédure, lorsque le Tribunal est manifestement incompétent pour connaître d'un recours, il peut, sans poursuivre la procédure, statuer par voie d'ordonnance motivée.

10.
    Les compétences du Tribunal sont celles énumérées par les traités et par l'article 3 de la décision 88/591/CECA, CEE, Euratom du Conseil, du 24 octobre 1988, instituant un Tribunal de première instance des Communautés européennes (JOL 319, p. 1), tel que modifié par la décision 93/350/Euratom, CECA, CEE du Conseil, du 8 juin 1993 (JO L 144, p. 21). En vertu de ces dispositions, le Tribunal n'est compétent que pour connaître des recours introduits par des personnes physiques ou morales contre une institution ou un organe des Communautés européennes, créés par les traités ou les actes pris pour leur exécution. En conséquence, le Tribunal n'est pas compétent pour connaître d'un recours introduit par une personne physique ou morale contre un État membre (voir l'ordonnance du Tribunal du 8 mai 1998, Müller/Conseil et Allemagne, T-69/98, non publiée au Recueil, point 4).

11.
    Il s'ensuit que le Tribunal est manifestement incompétent pour connaître du présent recours, en tant que celui-ci est dirigé contre le royaume d'Espagne, sans qu'il soit nécessaire de le notifier préalablement à ce dernier.

Sur la recevabilité du recours en tant qu'il est dirigé contre la Commission

Argumentation des parties

12.
    La Commission souligne que la requérante n'a pas précisé dans sa requête si elle fondait son recours en annulation sur le deuxième ou sur le quatrième alinéa de l'article 173 du traité. Dans l'hypothèse où le recours serait fondé sur le deuxième alinéa dudit article 173 du traité, la requérante n'aurait - selon la Commission - pas qualité pour agir, ne pouvant en aucune manière être assimilée à un État membre. Dans l'hypothèse où le recours serait fondé sur le quatrième alinéa de l'article 173 du traité, la requérante n'en remplirait pas les conditions de recevabilité dans la mesure où le règlement litigieux, ayant manifestement une portée générale, ne concernerait pas individuellement cette dernière. Par conséquent, quelle que soit la base juridique du recours, il devrait être rejeté comme irrecevable.

13.
    La partie requérante affirme être recevable à agir contre le règlement litigieux sur la base du deuxième alinéa de l'article 173 du traité, en vertu d'une prétendue «délégation» de la République italienne, qui lui aurait confié l'exercice de ses compétences «en matière d'exécution d'actes communautaires», notamment dans le domaine agricole, lui ouvrant, par voie de conséquence, la possibilité de les «contester devant les autorités juridictionnelles communautaires» lorsqu'elle estime qu'ils lèsent ses intérêts.

14.
    A titre subsidiaire, la partie requérante estime que son recours devrait être considéré comme recevable sur la base, au moins, du quatrième alinéa de l'article 173 du traité. Le règlement litigieux, en effet, posséderait la «nature d'une décision», dans la mesure où le montant de l'aide unitaire à la production qui peut être avancé, découlant de l'estimation de la production d'huile d'olive de chaque État membre concerné, est fixé par référence à un «nombre déterminé de producteurs». La requérante serait individuellement concernée par ce règlement, en raison de la «vocation agricole» de son territoire, où la «culture de l'olivieroccupe une place fondamentale et représente plus d'un cinquième de la superficie agricole utile», avec une production d'huile d'olive qui serait, en chiffres absolus, la plus importante dans l'ensemble de la Communauté, à égalité avec l'Andalousie. La qualité pour agir de la requérante reposerait donc sur le «caractère territorial» de son intérêt spécifique à attaquer le règlement litigieux qui, en réduisant l'aide qui peut être avancée, porterait «atteinte à l'économie régionale»: cet intérêt spécifique représenterait la «somme des intérêts des producteurs» d'huile d'olive et individualiserait la requérante sans qu'il soit nécessaire de se poser la question de savoir si cette dernière est ou non productrice directe d'huile d'olive.

Appréciation du Tribunal

15.
    Selon l'article 114 du règlement de procédure, si une partie demande que le Tribunal statue sur l'irrecevabilité sans engager le débat au fond, la suite de la procédure sur l'exception d'irrecevabilité est orale, sauf décision contraire du Tribunal. En l'espèce, le Tribunal s'estime suffisamment éclairé par les pièces du dossier et considère qu'il y a lieu, en conséquence, de statuer sur la demande sans engager de procédure orale et sans prendre les mesures d'instruction préalables suggérées par la requérante.

16.
    La requérante ne saurait, en sa qualité d'entité régionale, se prévaloir du deuxième alinéa de l'article 173 du traité. En effet, il ressort clairement de l'économie générale du traité que la notion d'État membre, au sens des dispositions portant sur les recours juridictionnels, vise les seules autorités gouvernementales des États membres des Communautés européennes et ne saurait être étendue aux gouvernements des régions, quelle que soit l'étendue des compétences qui leur sont reconnues (ordonnances de la Cour du 21 mars 1997, Région wallonne/Commission, C-95/97, Rec. p. I-1787, point 6, et du 1er octobre 1997, Regione Toscana/Commission, C-180/97, Rec. p. I-5245, point 6; arrêt du Tribunal du 30 avril 1998, Vlaams Gewest/Commission, T-214/95, Rec. p. II-717, point 28, et ordonnance du Tribunal du 16 juin 1998, Comunidad Autónoma de Cantabria/Conseil, T-238/97, Rec. p. II-2271, point 42).

17.
    En revanche, jouissant de la personnalité juridique en vertu du droit interne italien - ce qui n'est pas contesté par la Commission -, la requérante peut, en principe, introduire un recours en annulation en vertu de l'article 173, quatrième alinéa, du traité, aux termes duquel toute personne physique ou morale peut former un recours contre les décisions dont elle est le destinataire et contre les décisions qui, bien que prises sous l'apparence d'un règlement ou d'une décision adressée à une autre personne, la concernent directement et individuellement.

18.
    Par le règlement litigieux, la Commission a fixé, pour la campagne de commercialisation 1996/1997, la production estimée d'huile d'olive ainsi que le montant de l'aide unitaire à la production qui peut être avancé. Contrairement aux allégations de la requérante, force est de constater que le règlement en questions'adresse à tous les producteurs d'huile d'olive établis dans la Communauté qui pourraient bénéficier de l'aide à la production, et qu'il n'y a donc aucun élément permettant de lui attribuer la «nature d'une décision».

19.
    Quant à la question de savoir si le règlement attaqué concerne la requérante directement et individuellement au sens de l'article 173, quatrième alinéa, du traité, la requérante prétend que le règlement litigieux la concerne individuellement parce que la réduction de l'aide qui peut être avancée aux producteurs d'huile d'olive a des conséquences socio-économiques importantes sur son territoire, caractérisé par une production d'huile d'olive qui serait la plus importante dans la Communauté avec celle de l'Andalousie.

20.
    Or, le Tribunal constate que le règlement litigieux porte essentiellement sur le montant de l'aide unitaire à la production qui peut être avancé aux producteurs d'huile d'olive, à partir du mois d'octobre 1997, pour la campagne de commercialisation 1997/1998, sous réserve du recouvrement de la différence éventuelle entre le montant avancé et le montant définitivement établi à la fin de la campagne de commercialisation. Le règlement litigieux concerne donc les producteurs communautaires d'huile d'olive.

21.
    Ainsi que le Tribunal l'a récemment rappelé dans son ordonnance Comunidad Autónoma de Cantabria/Conseil, précitée (point 49), l'intérêt général qu'une région, en tant qu'entité compétente pour les questions d'ordre économique et social sur son territoire, peut avoir à obtenir un résultat favorable pour la prospérité économique de ce dernier ne saurait, à lui seul, suffire pour la considérer comme étant concernée, au sens de l'article 173, quatrième alinéa, du traité, par les dispositions du règlement litigieux ni - a fortiori - comme individuellement concernée par celui-ci (voir aussi, dans le même sens, les ordonnances de la Cour du 30 septembre 1992, Landbouwschap/Commission, C-295/92, Rec. p. I-5003, point 12, et du 8 avril 1981, Ludwigshafener Walzmühle Erling e.a./Conseil et Commission, 197/80, 198/80, 199/80, 200/80, 243/80, 245/80 et 247/80, Rec. p. 1041, points 8 et 9).

22.
    Il ne suffit donc pas, pour admettre la recevabilité d'un recours introduit par une collectivité régionale d'un État membre, telle que la Regione Puglia, que celle-ci se prévale du fait que l'application, ou la mise en oeuvre, d'un acte communautaire est susceptible d'affecter, de manière générale, les conditions socio-économiques sur son territoire (voir l'ordonnance Comunidad Autónoma de Cantabria/Conseil, précitée, point 50).

23.
    Il résulte de l'ensemble des considérations qui précèdent que le recours, en tant qu'il est dirigé contre la Commission, doit être rejeté comme irrecevable.

Sur la demande d'intervention du royaume d'Espagne

24.
    Étant donné que le Tribunal est manifestement incompétent pour connaître du présent recours en tant qu'il est dirigé contre le royaume d'Espagne et que le même recours, en tant qu'il est dirigé contre la Commission, doit être déclaré irrecevable, il n'y a pas lieu de statuer sur la demande d'intervention au soutien des conclusions de la Commission présentée par le royaume d'Espagne (voir, à cet égard, l'ordonnance Comunidad Autónoma de Cantabria/Conseil, précitée, point 54).

Sur les dépens

25.
    En vertu de l'article 87, paragraphe 2, premier alinéa, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La partie requérante ayant succombé en ses conclusions et la Commission ayant conclu en ce sens, il y a lieu de la condamner aux dépens.

26.
    Compte tenu du fait qu'il n'y a pas lieu de statuer sur la demande d'intervention, la demanderesse en intervention supportera ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre)

ordonne:

1)    Le recours est rejeté comme irrecevable.

2)    La partie requérante est condamnée aux dépens.

3)    La demanderesse en intervention supportera ses propres dépens.

Fait à Luxembourg, le 23 octobre 1998.

Le greffier

Le président

H. Jung

R. M. Moura Ramos


1: Langue de procédure: l'italien.