ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)

30 mai 2013 (*)

«Manquement d’État – Directive 2006/24/CE – Conservation des données générées ou traitées dans le cadre de la fourniture de services de communications électroniques – Arrêt de la Cour constatant un manquement – Inexécution – Article 260 TFUE – Sanctions pécuniaires – Imposition d’une somme forfaitaire»

Dans l’affaire C‑270/11,

ayant pour objet un recours en manquement au titre de l’article 260, paragraphe 2, TFUE, introduit le 31 mai 2011,

Commission européenne, représentée par Mmes C. Tufvesson et D. Maidani ainsi que par M. F. Coudert, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

contre

Royaume de Suède, représenté par Mmes A. Falk et C. Meyer-Seitz, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

LA COUR (quatrième chambre),

composée de M. L. Bay Larsen, président de chambre, MM. J. Malenovský, U. Lõhmus (rapporteur), M. Safjan et Mme A. Prechal, juges,

avocat général: M. N. Jääskinen,

greffier: Mme C. Strömholm, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 9 janvier 2013,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1        Par sa requête, la Commission européenne demande à la Cour:

–        de constater que, en ne prenant pas les mesures nécessaires que comporte l’exécution de l’arrêt du 4 février 2010, Commission/Suède (C‑185/09), concernant la non-transposition dans son droit interne des dispositions de la directive 2006/24/CE du Parlement européen et du Conseil, du 15 mars 2006, sur la conservation de données générées ou traitées dans le cadre de la fourniture de services de communications électroniques accessibles au public ou de réseaux publics de communications, et modifiant la directive 2002/58/CE (JO L 105, p. 54), ainsi qu’en n’ayant pas adopté, dans le délai imparti, les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à ladite directive, le Royaume de Suède a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 260, paragraphe 1, TFUE;

–        de condamner le Royaume de Suède à verser à la Commission, sur le compte «Ressources propres de l’Union européenne», une astreinte de 40 947,20 euros par jour, pour chaque journée durant laquelle les mesures nécessaires pour exécuter l’arrêt Commission/Suède, précité, n’auront pas été prises, à compter du jour du prononcé du présent arrêt jusqu’au jour de son exécution;

–        de condamner le Royaume de Suède à verser à la Commission, sur le même compte, un montant forfaitaire de 9 597 euros par jour, pour chaque journée durant laquelle les mesures nécessaires pour exécuter l’arrêt Commission/Suède, précité, n’ont pas été prises, à compter du jour du prononcé de ce dernier arrêt jusqu’à celui du prononcé du présent arrêt ou, si cette date est antérieure, jusqu’à celui où les mesures nécessaires pour exécuter l’arrêt Commission/Suède, précité, auront été prises, et

–        de condamner le Royaume de Suède aux dépens.

 Le cadre juridique

2        Le considérant 22 de la directive 2006/24 énonce:

«La présente directive respecte les droits fondamentaux et observe les principes reconnus, notamment, par la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne [ci-après ‘la Charte’]. La présente directive ainsi que la [directive 2002/58/CE du Parlement européen et du Conseil, du 12 juillet 2002, concernant le traitement des données à caractère personnel et la protection de la vie privée dans le secteur des communications électroniques (directive vie privée et communications électroniques) (JO L 201, p. 37),] visent notamment à veiller à ce que les droits fondamentaux liés au respect de la vie privée et des communications des citoyens et à la protection des données à caractère personnel, tels que consacrés aux articles 7 et 8 de la [C]harte, soient pleinement respectés.»

3        L’article 1er de la directive 2006/24 dispose:

«1.      La présente directive a pour objectif d’harmoniser les dispositions des États membres relatives aux obligations des fournisseurs de services de communications électroniques accessibles au public ou de réseaux publics de communications en matière de conservation de certaines données qui sont générées ou traitées par ces fournisseurs, en vue de garantir la disponibilité de ces données à des fins de recherche, de détection et de poursuite d’infractions graves telles qu’elles sont définies par chaque État membre dans son droit interne.

2.      La présente directive s’applique aux données relatives au trafic et aux données de localisation concernant tant les entités juridiques que les personnes physiques, ainsi qu’aux données connexes nécessaires pour identifier l’abonné ou l’utilisateur enregistré. Elle ne s’applique pas au contenu des communications électroniques, notamment aux informations consultées en utilisant un réseau de communications électroniques.»

4        L’article 15 de cette directive énonce:

«1.      Les États membres mettent en vigueur les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la présente directive le 15 septembre 2007 au plus tard. Ils en informent immédiatement la Commission. Lorsque les États membres adoptent ces dispositions, celles-ci contiennent une référence à la présente directive ou sont accompagnées d’une telle référence lors de leur publication officielle. Les modalités de cette référence sont arrêtées par les États membres.

2.      Les États membres communiquent à la Commission le texte des dispositions essentielles de droit interne qu’ils adoptent dans le domaine régi par la présente directive.

3.      Chaque État membre peut, jusqu’au 15 mars 2009, différer l’application de la présente directive en ce qui concerne la conservation de données de communication concernant l’accès à l’internet, la téléphonie par l’internet et le courrier électronique par l’internet. Tout État membre qui a l’intention de recourir au présent paragraphe le notifie au Conseil et à la Commission au moyen d’une déclaration lors de l’adoption de la présente directive. La déclaration est publiée au Journal officiel de l’Union européenne

 L’arrêt Commission/Suède

5        Dans l’arrêt Commission/Suède, précité, la Cour a constaté que, en n’ayant pas adopté, dans le délai prescrit, les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la directive 2006/24, le Royaume de Suède a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de cette directive.

 La procédure précontentieuse

6        Par lettre du 28 juin 2010, la Commission a mis le Royaume de Suède en demeure de lui présenter ses observations quant aux mesures adoptées afin de se conformer aux obligations découlant de l’arrêt Commission/Suède, précité, dans un délai de deux mois à compter de la réception de cette mise en demeure.

7        Par lettres des 27 août et 23 novembre 2010 ainsi que du 21 janvier 2011, les autorités suédoises ont répondu à ladite lettre de mise en demeure en communiquant à la Commission l’état d’avancement du processus de transposition en droit national de la directive 2006/24 et, notamment, l’ont informée que le projet de loi à cet effet avait été transmis au parlement suédois le 8 décembre 2010 et que son traitement par celui-ci était prévu durant la seconde moitié du mois de mars 2011.

8        Par lettre du 25 mars 2011, le Royaume de Suède a informé la Commission que, le 16 mars 2011, ledit parlement avait décidé de reporter l’adoption dudit projet de loi d’un an. Cette décision aurait été adoptée par un sixième des membres du parlement, conformément à une procédure constitutionnelle particulière. Selon cet État membre, après l’écoulement de ce délai d’un an, la commission parlementaire saisie du dossier déposerait devant le parlement une proposition de transposition de la directive 2006/24 en droit national.

9        C’est dans ces conditions que la Commission, considérant que le Royaume de Suède n’avait pas pris les mesures que comporte l’exécution de l’arrêt Commission/Suède, précité, a décidé d’introduire le présent recours.

 Les développements intervenus au cours de la présente procédure

10      Le Royaume de Suède, d’une part, a fait savoir à la Commission, par lettre du 22 mars 2012, que le parlement suédois avait adopté, le 21 mars 2012, la proposition du gouvernement relative à la transposition, dans son ordre juridique interne, de la directive 2006/24, dont l’entrée en vigueur était fixée au 1er mai 2012, et, d’autre part, a communiqué, par lettre du 3 avril 2012, les mesures transposant ladite directive dans sa législation nationale. Par conséquent, la Commission a déclaré, le 7 juin 2012, qu’elle se désistait partiellement de son recours en ce qui concerne l’astreinte de 40 947,20 euros par jour. Toutefois, elle a maintenu ses conclusions quant au paiement d’une somme forfaitaire et au montant de celle-ci.

11      Pour ce qui est des dépens, la Commission a considéré que son désistement relatif à son chef de demande tendant à la condamnation du Royaume de Suède au paiement d’une astreinte ayant résulté de l’attitude adoptée par cet État membre postérieurement à la clôture de la procédure écrite, il appartient audit État de supporter les dépens liés à cet aspect de l’affaire.

12      Dans son mémoire en défense, le Royaume de Suède conteste, d’une part, la demande de la Commission portant sur le versement d’une somme forfaitaire et, d’autre part, le montant de celle-ci. Cet État membre conteste également la conclusion de la Commission concernant les dépens et demande à la Cour de faire supporter par chacune des parties ses propres dépens.

 Sur le manquement

 Argumentation des parties

13      S’agissant du manquement allégué, la Commission rappelle que, conformément à l’article 260, paragraphe 1, TFUE, lorsque la Cour constate qu’un État membre a manqué à l’une des obligations qui lui incombent en vertu du traité FUE, cet État membre est tenu de prendre les mesures que comporte l’exécution de l’arrêt de la Cour. Quant au délai dans lequel l’exécution d’un tel arrêt doit intervenir, la Commission précise qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour que l’intérêt qui s’attache à une application immédiate et uniforme du droit de l’Union européenne exige que cette exécution soit engagée immédiatement et aboutisse dans des délais aussi brefs que possible.

14      Le Royaume de Suède convient de ce qu’il n’a pas adopté les mesures en question dans le délai fixé dans la lettre de mise en demeure du 28 juin 2010 pour se conformer à l’arrêt Commission/Suède, précité.

 Appréciation de la Cour

15      Selon l’article 260, paragraphe 2, TFUE, si la Commission estime que l’État membre concerné n’a pas pris les mesures que comporte l’exécution de l’arrêt de la Cour, elle peut saisir cette dernière après avoir mis cet État en mesure de présenter ses observations en indiquant le montant de la somme forfaitaire ou de l’astreinte à payer par ledit État et qu’elle estime adapté aux circonstances.

16      À cet égard, la date de référence pour apprécier l’existence d’un manquement au titre de l’article 260, paragraphe 1, TFUE est celle de l’expiration du délai fixé dans la lettre de mise en demeure émise en vertu de cette disposition (arrêts du 11 décembre 2012, Commission/Espagne, C‑610/10, point 67, et du 19 décembre 2012, Commission/Irlande, C‑374/11, point 19).

17      Au cours de la procédure, le Royaume de Suède a indiqué que la mise en conformité de son droit national avec l’arrêt Commission/Suède, précité, avait notamment été réalisée au moyen de la proposition du gouvernement relative à la transposition de la directive 2006/24, dont l’entrée en vigueur était fixée au 1er mai 2012.

18      Ainsi, il est constant que, à l’issue de la période de deux mois suivant la réception par le Royaume de Suède de la lettre de mise en demeure mentionnée au point 6 du présent arrêt, à savoir le 28 août 2010, cet État membre n’avait, en tout état de cause, pas adopté toutes les mesures nécessaires pour assurer l’exécution de l’arrêt Commission/Suède, précité.

19      Dans ces conditions, il convient de constater que, en ne prenant pas les mesures nécessaires pour se conformer à l’arrêt Commission/Suède, précité, le Royaume de Suède a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 260 TFUE.

 Sur la somme forfaitaire

 Argumentation des parties

20      Pour le calcul de la somme forfaitaire, la Commission se fonde sur l’arrêt du 12 juillet 2005, Commission/France (C‑304/02, Rec. p. I‑6263), ainsi que sur sa communication du 13 décembre 2005, intitulée «Mise en œuvre de l’article 228 du traité CE» [SEC(2005) 1658], telle qu’actualisée par la communication du 20 juillet 2010, intitulée «Mise en œuvre de l’article 260 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne – Mise à jour des données utilisées pour le calcul des sommes forfaitaires et des astreintes que la Commission proposera à la Cour de justice dans le cadre de procédures d’infraction» [SEC(2010) 923/3, ci‑après la «communication de 2010»]. Selon la Commission, la fixation de sanctions financières doit se fonder sur la gravité de l’infraction, sur la durée de celle-ci et sur la nécessité d’assurer l’effet dissuasif de la sanction pour éviter les récidives.

21      S’agissant, tout d’abord, de la gravité de l’infraction, la Commission fait valoir qu’elle tient compte de l’importance des dispositions de l’Union ayant fait l’objet de l’infraction, des effets de cette infraction sur les intérêts généraux et individuels ainsi que de l’attitude de l’État défendeur.

22      En ce qui concerne, premièrement, l’importance desdites dispositions, la Commission considère que la non-exécution de l’arrêt Commission/Suède, précité, constitue un manquement particulièrement grave puisque celui-ci concerne l’absence de transposition d’une directive qui contient des dispositions d’une grande importance pour les fournisseurs de services de communications électroniques. Ces dispositions assureraient en outre, d’une part, un cadre juridique équilibré garantissant le fonctionnement du marché intérieur tout en veillant à ce que les autorités répressives puissent utiliser des données pertinentes afin de lutter contre la grande criminalité et, d’autre part, que les droits fondamentaux des citoyens soient préservés.

23      Deuxièmement, la Commission estime que les conséquences de l’infraction pour les intérêts généraux et individuels sont particulièrement graves dans la mesure où la non-transposition par le Royaume de Suède de la directive 2006/24 a engendré un préjudice financier pour des entreprises établies dans toute l’Union et pour d’autres États membres. Cette absence de transposition aurait conféré un avantage concurrentiel aux opérateurs privés de télécommunications suédois, lesquels ne seraient tenus ni de conserver des données que leurs concurrents dans d’autres États membres doivent conserver ni d’investir en main-d’œuvre ou en matériel destinés à fournir des données aux autorités.

24      Troisièmement, concernant les facteurs à prendre en considération lors de l’appréciation de la gravité de l’infraction au droit de l’Union, la Commission considère que le manquement reproché est clairement établi par le fait que le Royaume de Suède n’a ni adopté ni notifié les mesures nationales de transposition dans le délai imparti, à savoir le 15 septembre 2007 au plus tard. Il conviendrait néanmoins de tenir compte du fait que cet État membre n’a, auparavant, jamais omis d’exécuter un arrêt rendu par la Cour au titre de l’article 258 TFUE.

25      Eu égard aux éléments et aux circonstances susmentionnés, la Commission propose d’appliquer un coefficient de gravité de 10, sur une échelle de 1 à 20.

26      Ensuite, quant au critère relatif à la durée de l’infraction, dans le contexte de l’exécution de l’arrêt Commission/Suède, précité, prononcé le 4 février 2010, la Commission relève qu’un total de 426 jours s’est écoulé entre ledit arrêt et le 6 avril 2011, jour de la décision d’ouverture d’une procédure d’infraction de la Commission contre le Royaume de Suède.

27      Enfin, pour ce qui est de la nécessité d’une sanction dissuasive de nature à éviter les récidives, la Commission a fixé, en application de la communication de 2010, le facteur «n», fondé sur la capacité de paiement du Royaume de Suède ainsi que sur le nombre de voix dont celui‑ci dispose au Conseil de l’Union européenne, à 4,57.

28      Par conséquent, la Commission explique, dans sa requête, que le montant de la somme forfaitaire demandée, à savoir 9 597 euros par jour d’infraction, résulte, conformément aux critères prévus par la communication de 2010, de la multiplication du montant forfaitaire de base (210 euros par jour) par le coefficient de gravité de l’infraction fixé à 10 et par le facteur «n» s’élevant à 4,57. Le montant total ainsi obtenu serait de 4 088 322 euros pour 426 jours d’infraction.

29      Dans son mémoire en défense, le Royaume de Suède soutient, principalement, que l’évaluation par la Commission du manquement en cause est trop rigoureuse, tant du point du vue de la gravité que de celui de la nécessité de l’effet dissuasif. En particulier, la Commission n’aurait pas démontré l’existence de circonstances qui justifieraient l’application d’un coefficient de gravité aussi élevé que 10 pour l’infraction en question.

30      À cet égard, cet État membre fait valoir, d’une part, que la directive 2006/24 n’est pas aussi importante pour le fonctionnement du marché intérieur que l’affirme la Commission. Cette directive n’impliquerait qu’une harmonisation marginale des législations nationales en la matière. En effet, l’obligation faite aux opérateurs de conserver des données varierait en fonction des États membres en leur laissant le pouvoir de légiférer dans le domaine de l’accès des autorités aux données relatives au trafic des communications ou dans celui de la répartition des coûts de la conservation supportés par les opérateurs. Par ailleurs, selon le Royaume de Suède, il existe déjà, en droit de l’Union, des règles permettant, dans certaines conditions, la conservation de données relatives au trafic des communications en vue de la lutte contre la criminalité, notamment la directive vie privée et communications électroniques.

31      D’autre part, la Commission n’aurait pas démontré que le défaut de transposition de cette directive par le Royaume de Suède a eu les conséquences pour les intérêts généraux et particuliers qu’elle allègue. De plus, les règles actuellement en vigueur en droit suédois auraient justement permis d’éviter ces effets en garantissant la disponibilité de données à des fins de recherche, de détection et de poursuite d’infractions graves.

32      Cet État membre relève également que, dans son appréciation, la Commission n’a pas pris en compte le fait que l’arrêt Commission/Suède, précité, ne concerne qu’un défaut partiel de mise en œuvre de la directive 2006/24. À cet effet, le Royaume de Suède avance qu’il a fait usage de la faculté que laisse l’article 15, paragraphe 3, de cette directive de différer l’application de celle-ci jusqu’au 15 mars 2009 en ce qui concerne l’accès à Internet, le courrier électronique et la téléphonie par Internet. Dès lors, selon lui, l’arrêt Commission/Suède, précité, n’a porté que sur la non-transposition dans la législation nationale des dispositions de la directive pour lesquelles un report de l’échéance fixée au 15 septembre 2007 n’était pas possible.

33      Le Royaume de Suède relève, par ailleurs, qu’il n’a jamais manqué d’exécuter un arrêt de la Cour au titre de l’article 258 TFUE. De plus, il souligne qu’il accorde une grande importance à son devoir de coopération loyale. Il avance, au titre de justification du retard accusé dans l’exécution de l’arrêt Commission/Suède, précité, qu’il a dû faire face à un large débat politique sur la transposition de la directive 2006/24 dans son droit interne et que la mise en œuvre des mesures que nécessitait ladite transposition a suscité des problèmes sur le plan de la procédure législative ainsi que des choix difficiles à opérer, impliquant la mise en balance de la protection de la vie privée avec la nécessité d’une lutte efficace contre la criminalité.

34      Dans sa réplique, la Commission soutient, d’abord, que, même si la directive 2006/24 n’a pas pour objectif de réaliser une harmonisation complète, il ne saurait en être conclu que cette directive n’aurait pas de conséquences sur le marché intérieur ou sur des intérêts privés et publics. Les différences dans la mise en œuvre de ladite directive dans les États membres ne diminueraient en rien l’importance de l’obligation de conservation des données de communication établie par celle-ci.

35      Ensuite, s’agissant de la réglementation de l’Union déjà existante et dont le Royaume de Suède fait état, notamment la directive vie privée et communications électroniques, la Commission indique que celle-ci n’établit pas d’obligation applicable dans toute l’Union de conserver certaines données relatives au trafic durant une période définie.

36      En outre, en ce qui concerne les dispositions nationales existantes invoquées par l’État membre défendeur, la Commission relève que, même dans l’hypothèse où le Royaume de Suède devait disposer de certaines données à des fins de lutte contre la criminalité, cela ne serait pas le résultat de l’exécution de l’arrêt Commission/Suède, précité, la disponibilité de ces données étant totalement tributaire de décisions commerciales prises par les divers opérateurs de télécommunications.

37      Par ailleurs, quant à l’argumentation de cet État membre relative au fait que l’inexécution de l’arrêt Commission/Suède, précité, ne concernerait qu’une partie de la directive 2006/24, la Commission relève que, si les États membres pouvaient, en application de l’article 15, paragraphe 3, de cette directive, différer l’application de l’obligation de conservation jusqu’au 15 mars 2009, cela ne signifiait pas que lesdits États étaient autorisés à ne pas prendre la moindre mesure concernant l’obligation de conservation des données prévue à cette disposition avant le 15 mars 2009. Par conséquent, cet argument serait fondé sur une lecture erronée de l’arrêt Commission/Suède, précité.

38      Enfin, s’agissant de l’argument de l’État membre défendeur relatif aux difficultés internes liées à la procédure législative, la Commission rappelle la jurisprudence constante de la Cour selon laquelle ces difficultés internes ne sauraient être prises en considération dans le cadre de l’appréciation de l’infraction commise.

39      Quant aux difficultés d’ordre interne, cet État membre soutient qu’il les a invoquées non pas pour justifier la non-transposition de la directive 2006/24, mais afin d’établir que la transposition a, en l’espèce, été entourée de difficultés à ce point inhabituelles qu’elles ne peuvent pas être attribuées à l’approche et à l’attitude normales du Royaume de Suède lorsqu’il s’agit pour celui-ci de mettre en œuvre des directives et de se conformer à des arrêts de la Cour. Cet État membre insiste également sur le fait que la procédure législative susmentionnée n’est applicable que dans des cas exceptionnels.

 Appréciation de la Cour

40      À titre liminaire, il convient de rappeler que l’imposition d’une somme forfaitaire doit, dans chaque cas d’espèce, demeurer fonction de l’ensemble des éléments pertinents ayant trait tant aux caractéristiques du manquement constaté qu’à l’attitude propre à l’État membre concerné par la procédure initiée sur le fondement de l’article 260 TFUE. À cet égard, celui-ci investit la Cour d’un large pouvoir d’appréciation afin de décider de l’imposition ou non d’une telle sanction (arrêts précités Commission/Espagne, point 141, et Commission/Irlande, point 47).

41      Ainsi, les propositions de la Commission ne sauraient lier la Cour et ne constituent qu’une base de référence utile. De même, des lignes directrices telles que celles contenues dans les communications de la Commission ne lient pas la Cour, mais contribuent à garantir la transparence, la prévisibilité et la sécurité juridique de l’action menée par la Commission (voir arrêt du 7 juillet 2009, Commission/Grèce, C‑369/07, Rec. p. I‑5703, point 112).

42      S’agissant, en premier lieu, du principe même de l’imposition d’une somme forfaitaire, en vertu de l’article 260 TFUE, il importe de rappeler que ce principe repose essentiellement sur l’appréciation des conséquences du défaut d’exécution des obligations de l’État membre concerné sur les intérêts privés et publics, notamment lorsque le manquement a persisté pendant une longue période postérieurement à l’arrêt qui l’a initialement constaté (voir arrêt du 9 décembre 2008, Commission/France, C‑121/07, Rec. p. I‑9159, point 58).

43      Dans la présente affaire, force est de constater que, eu égard à l’objet de la directive 2006/24, qui vise, ainsi qu’il découle de l’article 1er, paragraphe 1, de celle-ci, à garantir la disponibilité des données relatives aux communications électroniques à des fins de recherche, de détection et de poursuites d’infractions graves, le défaut d’exécution de l’arrêt Commission/Suède, précité, ayant précédemment constaté un manquement relatif à cette directive, est susceptible de mettre en cause les intérêts privés et publics concernés. Par ailleurs, dans la mesure où le manquement reproché au Royaume de Suède a perduré plus de deux ans à compter de la date du prononcé de cet arrêt, il y a lieu de constater que celui-ci a persisté pendant une période considérable depuis cette date.

44      Partant, la Cour estime qu’il y a lieu, dans la présente espèce, d’infliger au Royaume de Suède, le paiement d’une somme forfaitaire.

45      Concernant, en second lieu, le montant de la somme forfaitaire, il importe de rappeler qu’il appartient à la Cour de fixer celui‑ci de sorte qu’il soit, d’une part, adapté aux circonstances et, d’autre part, proportionné au manquement constaté ainsi qu’à la capacité de paiement de l’État membre concerné (voir, en ce sens, arrêts précités Commission/Grèce, point 146, et Commission/Espagne, point 143).

46      Figurent notamment au rang des facteurs pertinents à cet égard des éléments tels que la gravité de l’infraction et la période durant laquelle le manquement reproché a persisté depuis l’arrêt l’ayant constaté (voir, en ce sens, arrêt Commission/Espagne, précité, point 144).

47      En premier lieu, et s’agissant de la gravité du manquement au regard de l’importance des dispositions de l’Union enfreintes, il convient de rappeler que la directive 2006/24 vise les activités des fournisseurs de services communications électroniques dans le marché intérieur et que le législateur de l’Union poursuit l’objectif de protéger le bon fonctionnement de celui‑ci en adoptant des règles harmonisées en matière de conservation des données relatives aux communications électroniques (voir, en ce sens, arrêt du 10 février 2009, Irlande/Parlement et Conseil, C‑301/06, Rec. p. I‑593, point 72).

48      À travers l’harmonisation des législations nationales qu’elle opère, la directive 2006/24 vise, ainsi qu’il résulte de l’article 1er, paragraphe 1, de celle-ci, à garantir la disponibilité de ces données à des fins de recherche, de détection et de poursuite d’infractions graves, telles qu’elles sont définies par chaque État membre dans son droit interne. Par ailleurs, il ressort du considérant 22 de cette directive qu’elle vise notamment à veiller à ce que les droits fondamentaux liés au respect de la vie privée et des communications des citoyens et à la protection des données à caractère personnel, tels que consacrés aux articles 7 et 8 de la Charte, soient pleinement respectés.

49      Dans ce cadre, il y a lieu de considérer que le manquement à l’obligation de transposer une telle directive risque d’entraver le bon fonctionnement du marché intérieur. Un tel manquement revêt dès lors un certain degré de gravité, et cela indépendamment du niveau d’harmonisation opéré par la directive 2006/24.

50      Quant aux conséquences du défaut d’exécution de l’arrêt Commission/Suède, précité, sur les intérêts privés et publics, s’agissant de l’argument de la Commission tel que rappelé au point 23 du présent arrêt, il convient de souligner qu’il ressort des points 6.1 et 6.2 du rapport de la Commission du 18 avril 2011, intitulé «Rapport de la Commission au Conseil et au Parlement européen – Rapport d’évaluation concernant la directive sur la conservation des données (directive 2006/24/CE)» [COM(2011) 225 final], que ladite directive n’a pas pleinement atteint son objectif d’instaurer des conditions de concurrence égales pour les opérateurs de l’Union. Partant, la Commission devait démontrer l’atteinte alléguée aux conditions de concurrence sur le marché intérieur des services de télécommunications, ce qu’elle n’a pas fait.

51      Par ailleurs, ne saurait être admis l’argument du Royaume de Suède selon lequel il existe déjà, en droit de l’Union, des règles permettant, dans certaines conditions, la conservation de données relatives au trafic des communications en vue de la lutte contre la criminalité et que les règles actuellement en vigueur en droit suédois auraient permis d’éviter des conséquences pour les intérêts généraux et particuliers allégués par la Commission. En effet, il est constant que lesdites règles ne répondent pas aux exigences découlant de la directive 2006/24 dès lors que, dans le cas contraire, il n’y aurait pas eu lieu de constater, dans le chef de cet État membre, un manquement à son obligation de transposition de la directive 2006/24 en droit interne.

52      S’agissant de l’argument du Royaume de Suède tiré du fait que l’arrêt Commission/Suède, précité, ne concerne que le défaut de mise en œuvre partiel de la directive 2006/24, celui‑ci est sans fondement.

53      En effet, dans l’arrêt Commission/Suède, précité, la Cour a déclaré et arrêté que, en n’ayant pas adopté, dans le délai prescrit, les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la directive 2006/24, le Royaume de Suède a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de cette directive. L’article 15, paragraphe 3, de la directive 2006/24 permettait aux États membres de différer l’application de l’obligation de conservation des données de communication jusqu’au 15 mars 2009, mais non la transposition de ladite directive, laquelle devait être opérée avant le 15 septembre 2007.

54      Quant à l’attitude adoptée par le Royaume de Suède au regard de ses obligations résultant de la directive 2006/24, les justifications invoquées par cet État membre selon lesquelles le retard dans l’exécution dudit arrêt serait dû à des difficultés internes extraordinaires, liées aux particularités de la procédure législative, au large débat politique sur la transposition de la directive 2006/24 et aux problèmes suscités sur le plan des choix difficiles impliquant la mise en balance de la protection de la vie privée avec la nécessité d’une lutte efficace contre la criminalité, ne sauraient être accueillies. Ainsi que la Cour l’a itérativement souligné, un État membre ne saurait exciper de dispositions, pratiques ou situations de son ordre juridique interne pour justifier l’inobservation des obligations résultant du droit de l’Union (voir, notamment, arrêt du 31 mars 2011, Commission/Grèce, C‑407/09, Rec. p. I‑2467, point 36). Il en est de même d’une décision telle que celle du parlement suédois, à laquelle il est fait référence au point 8 du présent arrêt, de reporter d’un an l’adoption du projet de loi visant à transposer cette directive.

55      Il convient, toutefois, de prendre en compte en tant que circonstance atténuante le fait que le Royaume de Suède n’a, auparavant, jamais omis d’exécuter un arrêt rendu par la Cour au titre de l’article 258 TFUE.

56      En ce qui concerne, en second lieu, la durée de persistance du manquement faisant l’objet du présent recours, il importe de rappeler que, si l’article 260 TFUE ne précise pas le délai dans lequel l’exécution d’un arrêt doit intervenir, il est toutefois constant que la mise en œuvre de l’exécution doit être entamée immédiatement et qu’elle doit aboutir dans les délais les plus brefs possible (voir, notamment, arrêt du 31 mars 2011, Commission/Grèce, précité, point 34).

57      Dans la présente affaire, il y a lieu de relever que le manquement a perduré pendant près de 27 mois à compter de la date de prononcé de l’arrêt Commission/Suède, précité, à savoir le 4 février 2010, jusqu’à la date à laquelle le Royaume de Suède a mis sa législation totalement en conformité avec ledit arrêt, à savoir le 1er mai 2012.

58      Force est donc de constater que le manquement reproché au Royaume de Suède a persisté pendant un laps de temps significatif depuis la date de prononcé de l’arrêt Commission/Suède, précité.

59      Eu égard aux éléments qui précèdent et, notamment, aux considérations figurant aux points 47 à 58 du présent arrêt, la Cour estime qu’il sera fait une juste appréciation des circonstances de l’espèce en fixant à 3 millions d’euros le montant de la somme forfaitaire que le Royaume de Suède devra acquitter.

60      Il y a donc lieu de condamner le Royaume de Suède à payer à la Commission, sur le compte «Ressources propres de l’Union européenne», une somme forfaitaire de 3 millions d’euros.

 Sur les dépens

61      Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation du Royaume de Suède et ce dernier ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de le condamner aux dépens.

Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) déclare et arrête:

1)      En ne prenant pas les mesures nécessaires que comporte l’exécution de l’arrêt du 4 février 2010, Commission/Suède (C‑185/09), concernant la non-transposition dans son droit interne des dispositions de la directive 2006/24/CE du Parlement européen et du Conseil, du 15 mars 2006, sur la conservation de données générées ou traitées dans le cadre de la fourniture de services de communications électroniques accessibles au public ou de réseaux publics de communications, et modifiant la directive 2002/58/CE, ainsi qu’en n’ayant pas adopté, dans le délai imparti, les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à ladite directive, le Royaume de Suède a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 260 TFUE.

2)      Le Royaume de Suède est condamné à payer à la Commission européenne, sur le compte «Ressources propres de l’Union européenne», une somme forfaitaire de 3 millions d’euros.

3)      Le Royaume de Suède est condamné aux dépens.

Signatures


* Langue de procédure: le suédois.