ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

25 juin 2020 (*)

« Renvoi préjudiciel – Politique sociale – Protection de la sécurité et de la santé des travailleurs – Directive 2003/88/CE – Article 7 – Travailleur illégalement licencié et réintégré par décision judiciaire dans ses fonctions – Exclusion du droit au congé annuel payé non pris pour la période comprise entre le licenciement et la réintégration – Absence du droit à une indemnité pécuniaire au titre des congés annuels non pris pour la même période en cas de rupture ultérieure de la relation de travail »

Dans les affaires jointes C‑762/18 et C‑37/19,

ayant pour objet deux demandes de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduites par le Rayonen sad Haskovo (tribunal d’arrondissement de Haskovo, Bulgarie) (C‑762/18) et par la Corte suprema di cassazione (Cour de cassation, Italie) (C‑37/19), par décisions des 26 novembre et 27 novembre 2018, parvenues à la Cour respectivement le 4 décembre 2018 et le 21 janvier 2019, dans les procédures

QH

contre

Varhoven kasatsionen sad na Republika Bulgaria,

en présence de :

Prokuratura na Republika Bulgaria (C‑762/18),

et

CV

contre

Iccrea Banca SpA (C‑37/19),

LA COUR (première chambre),

composée de M. J.-C. Bonichot, président de chambre, Mme R. Silva de Lapuerta (rapporteure), vice-présidente de la Cour, M. L. Bay Larsen, Mme C. Toader et M. N. Jääskinen, juges,

avocat général : M. G. Hogan,

greffier : M. M. Aleksejev, chef d’unité,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 11 décembre 2019,

considérant les observations présentées :

–        pour QH, par Mes S. Lateva et A. Slavchev, advokati,

–        pour le Varhoven kasatsionen sad na Republika Bulgaria, par Mme M. Hristova-Nikolova ainsi que par MM. Z. Stoykov et L. Panov, en qualité d’agents,

–        pour CV, par Me F. Proietti, avvocato,

–        pour Iccrea Banca SpA, par Mes A. Maresca et F. Boccia, avvocati,

–        pour le gouvernement bulgare, par Mmes E. Petranova et L. Zaharieva, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement italien, par Mme G. Palmieri, en qualité d’agent, assistée de Mme L. Fiandaca, avvocato dello Stato,

–        pour le gouvernement polonais, par M. B. Majczyna ainsi que par Mmes D. Lutostańska et A. Siwek-Ślusarek, en qualité d’agents,

–        pour la Commission européenne, par MM. M. van Beek et C. Zadra ainsi que par Mme Y. G. Marinova, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 29 janvier 2020,

rend le présent

Arrêt

1        Les demandes de décision préjudicielle portent sur l’interprétation de l’article 7 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil, du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail (JO 2003, L 299, p. 9), et de l’article 31, paragraphe 2, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »).

2        Ces demandes ont été présentées dans le cadre de deux litiges opposant, d’une part, QH au Varhoven kasatsionen sad na Republika Bulgaria (Cour suprême de cassation de la République de Bulgarie, ci-après la « Cour de cassation ») au sujet de l’application, par cette dernière, d’une jurisprudence prétendument incompatible avec le droit de l’Union et ayant eu pour effet de priver QH d’une indemnité au titre d’un congé annuel payé non utilisé pour la période comprise entre la date de son licenciement illégal et celle de sa réintégration dans son emploi (affaire C‑762/18) et, d’autre part, CV à Iccrea Banca SpA au sujet de faits similaires (affaire C‑37/19).

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union 

3        Le considérant 5 de la directive 2003/88 énonce :

« Tous les travailleurs doivent disposer de périodes de repos suffisantes. La notion de repos doit être exprimée en unités de temps, c’est-à-dire en jours, heures et/ou fractions de jour ou d’heure. Les travailleurs de la Communauté doivent bénéficier de périodes minimales de repos – journalier, hebdomadaire et annuel – et de périodes de pause adéquates. Il convient, dans ce contexte, de prévoir également un plafond pour la durée de la semaine de travail. »

4        Sous l’intitulé « Congé annuel », l’article 7 de cette directive est libellé comme suit :

« 1.      Les États membres prennent les mesures nécessaires pour que tout travailleur bénéficie d’un congé annuel payé d’au moins quatre semaines, conformément aux conditions d’obtention et d’octroi prévues par les législations et/ou pratiques nationales.

2.      La période minimale de congé annuel payé ne peut être remplacée par une indemnité financière, sauf en cas de fin de relation de travail. »

 Le droit bulgare

 Le code du travail

5        Aux termes de l’article 155, paragraphe 1, du Kodeks na truda (code du travail), « [t]out travailleur a droit à des congés annuels payés ».

6        Conformément à l’article 224, paragraphe 1, de ce code :

« En cas de rupture de la relation de travail, le travailleur a droit à une indemnité pécuniaire pour les congés annuels payés non pris [...] »

7        L’article 225 dudit code prévoit :

« 1.      En cas de licenciement illégal, le travailleur a droit au versement par l’employeur d’une indemnité d’un montant égal à celui de sa rémunération brute pour la période pendant laquelle il est demeuré sans emploi en raison de ce licenciement, le maximum étant toutefois de six mois.

2.      Si, pendant la période visée au paragraphe précédent, le travailleur a occupé un emploi moins bien rémunéré, il a droit au versement de la différence de salaire. Ce droit est également accordé au travailleur qui a été transféré illégalement vers un autre emploi moins bien rémunéré.

[...] »

8        L’article 354, paragraphe 1, du même code est libellé comme suit :

« La période durant laquelle il n’existait aucune relation de travail est également reconnue comme durée de service, lorsque :

1.      le travailleur s’est trouvé sans emploi en raison d’un licenciement dont l’illégalité a été reconnue par les autorités compétentes, et ce depuis la date du licenciement jusqu’à la date de sa réintégration dans son emploi ;

[...] »

 Le code de procédure civile

9        Aux termes de l’article 290 du grazhdanski protsesualen kodeks (code de procédure civile) :

« (1)      Le pourvoi est examiné par une formation de trois juges [de la Cour de cassation] siégeant en audience publique.

(2)      [La Cour de cassation] ne vérifie la régularité du jugement d’appel qu’au regard des moyens soulevés dans le pourvoi. »

10      L’article 291 du code de procédure civile prévoit :

« Lorsque le jugement en appel a été rendu dans un contexte de jurisprudences divergentes :

1.      [La Cour de cassation] indique dans une décision motivée celle des jurisprudences divergentes qu’[elle] juge adéquate ; dans ce cas, [elle] rend une décision dans l’affaire sur la base de cette jurisprudence ;

2.      Lorsqu’[elle] juge que, dans les décisions, la jurisprudence est erronée, [elle] en indique la raison dans une décision motivée ; dans ce cas, [elle] rend une décision en interprétant la loi sur la base des circonstances de l’espèce ;

3.      Lorsqu’[elle] juge que les jurisprudences divergentes ne sont pas applicables au litige, [elle] en indique la raison dans une décision motivée ; dans ce cas, [elle] rend une décision en interprétant la loi sur la base des circonstances de l’espèce. »

 Le droit italien

11      L’article 36, troisième alinéa, de la Costituzione della Repubblica Italiana (Constitution de la République italienne) dispose :

« Le travailleur a droit au repos hebdomadaire et à un congé annuel payé et ne peut y renoncer. »

12      L’article 10 du decreto legislativo n. 66 – Attuazione delle direttive 93/104/CE e 2000/34/CE concernenti taluni aspetti dell’organizzazione dell’orario di lavoro (décret législatif no 66, portant mise en œuvre des directives 93/104/CE et 2000/34/CE sur certains aspects de l’aménagement du temps de travail), du 8 avril 2003 (GURI no 87, du 14 avril 2003, Supplemento Ordinario n. 61), dans sa version applicable aux faits au principal dans l’affaire C‑37/19, est libellé comme suit :

« [...][L]e travailleur a droit à un congé annuel payé d’au moins quatre semaines. Sans préjudice des dispositions des conventions collectives ou des règles spécifiques relatives aux catégories visées à l’article 2, paragraphe 2, le travailleur doit prendre au moins deux semaines de cette période, consécutives en cas de demande de ce dernier, au cours de l’année où ce droit a été acquis, et, pour les deux semaines restantes, dans les 18 mois suivant la fin de l’année où ce droit a été acquis.

Cette période minimale de quatre semaines ne peut pas être remplacée par l’indemnité pour congés non pris, sauf en cas de résolution de la relation de travail [...] »

13      Sous l’intitulé « Congés », l’article 52 du Contratto collettivo nazionale di lavoro per le Banche di Credito Cooperativo, Casse Rurali ed Artigiane (convention collective pour les établissements de crédit coopératif, les caisses rurales et de l’artisanat), du 7 décembre 2000, dans sa version applicable aux faits au principal dans l’affaire C‑37/19, prévoit :

« [...] 

Le droit au congé est un droit auquel il ne peut être renoncé. Le congé doit être pris au cours de l’année civile à laquelle il se réfère.

En cas de cessation de la relation de travail, le travailleur qui n’a pas pris, en tout ou en partie, le congé relatif à l’année civile en cours, dont il a acquis le droit [...] à raison d’un douzième de la période de congé annuel pour chaque mois complet de service effectué à compter du 1er janvier, a droit à une indemnité correspondant à la rémunération des jours de congé perdus.

En cas d’absence du service, la période de congé à laquelle le travailleur a droit est réduite d’autant de douzièmes que de mois d’absence.

[...] »

14      L’article 53 de cette convention collective, intitulé « Congés spéciaux pour des jours fériés supprimés », dispose :

« Eu égard aux dispositions légales en matière de jours fériés, sont attribués des jours de congé et/ou de congé spécial à prendre au cours de l’année civile, même en prolongement des périodes de congé.

[...]

Les congés spéciaux prévus ci-dessus et qui n’ont pas été pris durant l’année civile, quelle qu’en soit la raison, [...] doivent être liquidés sur la base de la dernière rémunération perçue durant l’année de référence. »

15      Il ressort, en substance, de la demande de décision préjudicielle dans l’affaire C‑37/19, que, dans sa version en vigueur à la date des faits au principal, l’article 18 de la legge n. 300/1970 (loi n° 300/1970), du 20 mai 1970 (GURI n° 131, du 27 mai 1970), intitulé « Protection du travailleur en cas de licenciement illégal », prévoyait que, en pareille hypothèse, le juge, dans la décision par laquelle il déclare la nullité du licenciement considéré comme discriminatoire, ordonne à l’employeur la réintégration du travailleur sur le lieu de travail, quel que soit le motif formel qui a été invoqué et quel que soit le nombre de salariés employés par l’employeur. Le juge condamne également l’employeur à indemniser le travailleur du préjudice causé par le licenciement dont la nullité ou l’invalidité a été déclarée, au moyen d’une indemnité.

 Les litiges au principal, les questions préjudicielles et la procédure devant la Cour

 L’affaire C762/18

16      QH, employée dans une école, a été licenciée par décision du 29 avril 2004. Par un jugement du Rayonen sad Plovdiv (tribunal d’arrondissement de Plovdiv, Bulgarie), devenu définitif, ce licenciement a été déclaré illégal et QH a été réintégrée dans son emploi le 10 novembre 2008.

17      Par décision du 13 novembre 2008, QH a fait l’objet d’un nouveau licenciement. Ce dernier n’a pas fait l’objet de recours.

18      Le 1er juillet 2009, QH a introduit un recours contre l’école qui l’employait devant le Rayonen sad Plovdiv (tribunal d’arrondissement de Plovdiv), en demandant, notamment, le paiement d’une indemnité d’un montant de 7 125 leva bulgares (BGN) (environ 3 641 euros) au titre de 285 jours de congés annuels payés non utilisés, soit 57 jours par an, pour la période allant du 30 avril 2004 au 13 novembre 2008, ainsi que d’un montant de 1 100 BGN (environ 562 euros) au titre du retard de paiement de ces indemnités, pour la période allant du 13 novembre 2008 au 1er juillet 2009.

19      Ce recours a été rejeté par jugement du 15 avril 2010, qui a été confirmé en appel par un jugement du 10 février 2011 de l’Okrazhen sad Plovdiv (tribunal régional de Plovdiv, Bulgarie).

20      QH a saisi la Cour de cassation d’un pourvoi contre ce dernier jugement. Par ordonnance du 25 octobre 2011, ladite juridiction n’a pas autorisé ce pourvoi et a confirmé le bien-fondé du jugement du 15 avril 2010, rendu en première instance par le Rayonen sad Plovdiv (tribunal d’arrondissement de Plovdiv), tel que confirmé en appel.

21      En particulier, la Cour de cassation a considéré que le rejet, par les juges du fond, de la demande dont ils avaient été saisis par QH et qui visait, en substance, à ce qu’un travailleur licencié illégalement puisse prétendre à une indemnité au titre d’un congé annuel payé non utilisé pour la période comprise entre la date du licenciement et celle de sa réintégration dans son emploi en vertu d’un jugement devenu définitif, était conforme à sa jurisprudence contraignante.

22      Selon cette jurisprudence, durant la période allant de la rupture de la relation de travail à l’annulation du licenciement par un jugement définitif et à la réintégration dans son emploi antérieur du travailleur illégalement licencié, il doit être considéré que ce dernier n’a pas fourni un véritable travail au titre de la relation de travail, de sorte que pour cette période, il ne naît aucun droit à des congés annuels payés dans le chef du travailleur, et, en cas de nouveau licenciement, l’employeur ne doit au travailleur pour ladite période aucune indemnité au titre de congés annuels payés non utilisés, telle que visée à l’article 224, paragraphe 1, du code du travail.

23      QH a saisi la juridiction de renvoi, le Rayonen sad Haskovo (tribunal d’arrondissement de Haskovo, Bulgarie), d’un recours indemnitaire contre la Cour de cassation, tendant à la réparation des préjudices qu’elle estime avoir subis du fait, pour cette juridiction, d’avoir violé le droit de l’Union dans son ordonnance du 25 octobre 2011. À l’appui de ce recours, QH soutient, notamment, que la Cour de cassation aurait dû appliquer l’article 7 de la directive 2003/88 et lui reconnaître le droit à un congé annuel payé pour la période au cours de laquelle elle n’a pas pu en bénéficier du fait de son licenciement illégal. QH ajoute que si la Cour de cassation avait éprouvé des doutes quant à la possibilité d’appliquer cette disposition, en tant que juridiction suprême, elle aurait dû saisir la Cour de justice de l’Union européenne d’une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, portant sur l’interprétation de cette disposition de droit de l’Union. Ainsi, selon QH, le non-respect de l’obligation d’opérer le renvoi qui incombait à la Cour de cassation doit être regardé comme un acte fautif dans son chef ayant entraîné un dommage pour QH, à hauteur des sommes réclamées.

24      Dans ces conditions, le Rayonen sad Haskovo (tribunal d’arrondissement de Haskovo) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      L’article 7, paragraphe 1, de la [directive 2003/88] doit-il être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une législation et/ou une pratique nationales en vertu desquelles un travailleur qui a été illégalement licencié, puis réintégré dans son emploi par une décision de justice, n’a pas droit à des congés annuels payés pour la période comprise entre la date du licenciement et la date de sa réintégration dans son emploi ?

2)      En cas de réponse affirmative à la première question, l’article 7, paragraphe 2, de la [directive 2003/88] doit-il être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une législation et/ou une pratique nationales en vertu desquelles, en cas de rupture ultérieure de la relation de travail, ledit travailleur n’a pas droit à une indemnité pécuniaire au titre des congés annuels payés non pris pour la période comprise entre la date de son précédent licenciement et la date de sa réintégration dans son emploi ? »

 L’affaire C37/19

25      CV, salariée d’Iccrea Banca, a été licenciée par lettre du 11 juillet 2002, à l’issue d’une procédure de licenciement collectif. Toutefois, par ordonnance du 4 septembre 2003, le Tribunale di Roma (tribunal de Rome, Italie) a ordonné la réintégration de CV dans son emploi, à compter du 6 octobre 2003.

26      Par lettres des 13 octobre et 15 novembre 2003, Iccrea Banca a de nouveau résilié le contrat de travail de CV, avec effet immédiat. Cependant, les deux actes de licenciement ont été déclarés illicites par des décisions juridictionnelles passées en force de chose jugée et CV a été réintégrée dans son emploi, à partir du 26 septembre 2008.

27      Le 17 septembre 2010, le contrat de travail de CV a été de nouveau résilié.

28      Entretemps, CV a formé deux recours devant le Tribunale di Roma (tribunal de Rome) et a obtenu de ce dernier deux décrets enjoignant à Iccrea Banca de payer, le premier, la somme de 3 521 euros, majorée de frais accessoires, au titre du montant dû pour 30,5 jours de congé ainsi que 5 jours de congé spécial acquis et non pris, au titre de jours fériés supprimés, pour l’année 2003, et, le second, la somme de 2 596,16 euros, majorée de frais accessoires, au titre du montant dû pour 27 jours de congé et 5 jours de congé spécial acquis et non pris, pour l’année 2004, au titre de jours fériés supprimés.

29      À la suite de l’opposition formée par Iccrea Banca, le Tribunale di Roma (tribunal de Rome) a révoqué le premier décret d’injonction et a condamné Iccrea Banca à payer la somme brute de 3 784,82 euros, au même titre, mais dans la limite de la période antérieure à la date du second licenciement. Par ailleurs, le Tribunale di Roma (tribunal de Rome) a révoqué le second décret d’injonction concernant les droits revendiqués pour l’année 2004.

30      CV a interjeté appel de ces jugements. La Corte d’appello di Roma (cour d’appel de Rome, Italie), en renvoyant à des précédents de la Corte suprema di cassazione (Cour de cassation, Italie), a rejeté ces appels, au motif que, durant la période faisant l’objet de la demande de CV, celle-ci n’avait pas exécuté un travail effectif, le droit à l’indemnité substitutive des congés et des congés spéciaux ne pouvant être reconnu que si l’activité professionnelle a été exercée au cours de la période de référence.

31      CV a saisi la juridiction de renvoi, la Corte suprema di cassazione (Cour de cassation), d’un pourvoi contre ces décisions de la Corte d’appello di Roma (cour d’appel de Rome).

32      La juridiction de renvoi précise que la demande faisant l’objet de la procédure dont elle est saisie est limitée à la constatation du droit de CV à l’indemnité substitutive des congés et des congés spéciaux non utilisés pour la période allant du 15 novembre 2003 au 31 décembre 2004. En particulier, selon cette juridiction, en ce qui concerne cette période, la question se pose de savoir si, sur le fondement de l’article 31 de la Charte et de l’article 7 de la directive 2003/88, le travailleur illégalement licencié, puis réintégré dans son emploi, a droit à l’indemnité substitutive des congés annuels payés non utilisés pour la période comprise entre son licenciement et sa réintégration.

33      À cet égard, la juridiction de renvoi considère, tout d’abord, que, à l’aune de la jurisprudence de la Cour relative à l’article 7 de la directive 2003/88, il ne peut être exclu que l’exécution de l’activité professionnelle durant la période de référence ne soit pas une condition sine qua non du droit aux congés annuels payés et que, en tout état de cause, l’influence de facteurs externes non imputables au travailleur pourrait être pertinente aux fins de la reconnaissance d’une indemnité substitutive des congés annuels payés non utilisés.

34      Ensuite, la juridiction de renvoi souligne certains aspects pertinents de la jurisprudence italienne en matière de licenciement, de réintégration dans l’emploi et du droit à indemnité pour congés non pris en cas de réintégration.

35      En particulier, d’une part, la juridiction de renvoi précise que la jurisprudence italienne est constante s’agissant de considérer que, dès lors que l’illicéité de la résiliation est constatée par un juge, le travailleur a en principe droit à la réintégration à son poste de travail. La décision judiciaire qui ordonne la réintégration du travailleur aurait pour effet de rétablir la relation de travail, cette dernière devant dès lors être considérée comme reconstituée à toutes fins juridiques et économiques sur la base de la seule décision du juge, sans qu’il soit nécessaire que l’employeur procède à une nouvelle embauche. D’autre part, le constat par le juge de l’illicéité du licenciement et l’injonction de réintégration qui s’ensuit, conformément à l’article 18 de la loi no 300/1970, comporterait la reconstitution de jure de la relation de travail, laquelle devrait donc être considérée comme n’ayant jamais été résiliée.

36      Enfin, la juridiction de renvoi fait état de sa jurisprudence selon laquelle, en cas de licenciement déclaré illicite, l’attribution au travailleur des rémunérations perçues pour la période allant de la date de communication du licenciement à celle de l’exercice du droit d’option pour l’indemnité substitutive de la réintégration ne comprend pas l’indemnité substitutive des congés non pris ni celle des congés spéciaux pour réduction mensuelle de l’horaire de travail. Selon les indications fournies par la juridiction de renvoi, cette solution est justifiée au regard de la nature hybride de ces indemnités, qui tendent à la fois à la réparation d’un préjudice et au paiement d’une rémunération, de telle sorte qu’elles ne sont dues que dans le cas où le travailleur, se trouvant en service effectif, a exercé son activité durant toute l’année sans prendre les congés. Le salarié licencié ne se trouverait pas dans la même situation, puisque, durant la période comprise entre la résiliation de son contrat de travail et l’exercice de l’option pour l’indemnité, il se trouverait dans une situation de repos, fût-il « forcé ».

37      Dans ces conditions, la Corte suprema di cassazione (Cour de cassation) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« L’article 7, paragraphe 2, de la directive 2003/88 et l’article 31, paragraphe 2, de la [Charte], même considérés séparément, doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à des dispositions et/ou des pratiques nationales en vertu desquelles, en cas de cessation de la relation de travail, le droit au paiement d’une indemnité pécuniaire au titre des congés annuels acquis et non pris (ainsi que d’une institution juridique telle que ce que l’on appelle les “Festività soppresse” [(“jours fériés supprimés”)], assimilables de par leur nature et leur fonction à des congés annuels) n’est pas reconnu, dans un contexte où le travailleur n’a pas pu l’invoquer, avant la cessation, en raison d’un fait illicite (licenciement, constaté par le juge national de manière définitive, par une décision ordonnant le rétablissement rétroactif de la relation de travail) imputable à l’employeur, dans la limite de la période courant entre l’agissement de ce dernier et la réintégration ultérieure ? »

38      Par décision du président de la première chambre du 2 mars 2020, les affaires C‑762/18 et C‑37/19 ont été jointes aux fins de l’arrêt.

 Sur les questions préjudicielles

 Sur la compétence de la Courdans l’affaire C762/18 

39      En premier lieu, le gouvernement bulgare fait valoir que la Cour n’est pas compétente pour examiner les questions posées dans le cadre de l’affaire C‑762/18, dans la mesure où l’action en responsabilité de QH est directement liée au premier licenciement de cette dernière et que ce licenciement a eu lieu le 29 avril 2004, soit avant l’adhésion de la République de Bulgarie à l’Union européenne, à savoir le 1er janvier 2007.

40      À cet égard, il convient de relever que, ainsi qu’il ressort des points 21 à 23 du présent arrêt, la demande de QH vise au paiement d’une indemnité au titre des préjudices résultant de la prétendue violation par la Cour de cassation de l’article 7 de la directive 2003/88, en ce que cette juridiction aurait appliqué une jurisprudence nationale relative aux effets juridiques de l’annulation de ce premier licenciement et de la réintégration de l’intéressée dans son emploi incompatible avec cette disposition de droit de l’Union. La juridiction de renvoi dans l’affaire C‑762/18 s’interroge ainsi sur la compatibilité d’une telle jurisprudence nationale avec ladite disposition, de telle sorte que les questions qu’elle pose sont liées aux conséquences juridiques découlant de l’annulation du premier licenciement de QH ainsi que de sa réintégration dans son emploi.

41      Ainsi qu’il résulte de l’article 2 de l’acte relatif aux conditions d’adhésion à l’Union européenne de la République de Bulgarie et de la Roumanie et aux adaptations des traités sur lesquels est fondée l’Union européenne (JO 2005, L 157, p. 203), les dispositions des traités originaires et les actes pris, avant l’adhésion, par les institutions, notamment la directive 2003/88, lient la République de Bulgarie dès la date de son adhésion, ayant dès lors vocation à s’appliquer aux effets futurs des situations nées avant l’adhésion (voir, par analogie, arrêt du 14 février 2019, Milivojević, C‑630/17, EU:C:2019:123, point 42 et jurisprudence citée).

42      Or, si le premier licenciement de QH a eu lieu avant l’adhésion de la République de Bulgarie à l’Union, son annulation et la réintégration de QH dans son emploi, dont les conséquences juridiques font l’objet de l’affaire au principal, ont toutes les deux eu lieu postérieurement à cette date. Par conséquent, l’article 7 de la directive 2003/88 s’applique ratione temporis aux effets de cette annulation et de cette réintégration, dans la mesure où de tels effets se sont produits postérieurement au 1er janvier 2007.

43      En second lieu, dans le cadre de l’affaire C‑762/18, tant la Cour de cassation que le gouvernement bulgare font valoir que, pendant la période comprise entre la date du premier licenciement de QH et la date de sa réintégration dans son emploi, celle-ci n’avait pas la qualité de « travailleur », au sens de la directive 2003/88 et, partant, ne relevait pas du champ d’application de cette directive, ni, en général, du champ d’application du droit de l’Union, de telle sorte que la Cour ne serait pas compétente pour se prononcer sur les questions posées dans cette affaire.

44      À cet égard, il y a lieu de relever qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour que la directive 2003/88 n’est applicable qu’aux travailleurs et que doit être considérée comme un « travailleur » une personne qui accomplit, pendant un certain temps, en faveur d’une autre et sous la direction de celle-ci, des prestations en contrepartie desquelles elle reçoit une rémunération (voir, en ce sens, arrêt du 20 novembre 2018, Sindicatul Familia Constanţa e.a., C‑147/17, EU:C:2018:926, points 40 et 41.

45      En l’occurrence, les questions posées dans le cadre de l’affaire C‑762/18 portent sur le droit au congé annuel payé dans le contexte d’un licenciement illégal d’un travailleur et de sa réintégration dans son emploi, conformément au droit national, en vertu d’une décision judiciaire.

46      Or, il ressort de la décision de renvoi que, en vertu du droit bulgare, le constat de l’illégalité d’un licenciement implique que la période comprise entre la date du licenciement et la date de la réintégration de la personne concernée dans son emploi doit être considérée, rétroactivement, comme faisant partie de la durée de service de cette personne à l’égard de son employeur.

47      Par conséquent, la directive 2003/88 s’applique ratione materiae au litige au principal dans cette affaire.

48      Il découle de ce qui précède que la Cour est appelée à interpréter des dispositions du droit de l’Union applicables à ce litige au principal, de telle sorte qu’elle est compétente pour répondre aux questions posées dans l’affaire C‑762/18.

 Sur la recevabilité de la demande de décision préjudicielle dans l’affaire C37/19

49      Iccrea Banca et le gouvernement italien doutent de la recevabilité de la demande de décision préjudicielle dans l’affaire C‑37/19, au motif que la décision de renvoi dans cette affaire serait entachée d’un manque de précision et de clarté en ce qui concerne les faits et les réglementations ou pratiques nationales qui seraient éventuellement contraires au droit de l’Union.

50      À cet égard, il y a lieu de constater que la juridiction de renvoi identifie à suffisance de droit les dispositions du droit de l’Union dont l’interprétation est nécessaire et la jurisprudence nationale qui pourrait être incompatible avec ces dispositions. Par ailleurs, les éléments contenus dans la demande de décision préjudicielle permettent de comprendre la question posée par la juridiction de renvoi ainsi que le contexte dans lequel celle-ci a été posée.

51      Il s’ensuit que la demande de décision préjudicielle dans l’affaire C‑37/19 est recevable.

 Sur la première question dans l’affaire C762/18

52      Par sa première question dans l’affaire C‑762/18, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 7, paragraphe 1, de la directive 2003/88 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une jurisprudence nationale en vertu de laquelle un travailleur illégalement licencié, puis réintégré dans son emploi, conformément au droit national, à la suite de l’annulation de son licenciement par une décision judiciaire, n’a pas droit à des congés annuels payés pour la période comprise entre la date du licenciement et la date de sa réintégration dans son emploi, au motif que, pendant cette période, ce travailleur n’a pas accompli un travail effectif au service de l’employeur.

53      À cet égard, en premier lieu, il importe de rappeler que, ainsi qu’il ressort du libellé même de l’article 7, paragraphe 1, de la directive 2003/88, tout travailleur bénéficie d’un congé annuel payé d’au moins quatre semaines. Ce droit au congé annuel payé doit être considéré comme un principe du droit social de l’Union revêtant une importance particulière, dont la mise en œuvre par les autorités nationales compétentes ne peut être effectuée que dans les limites expressément énoncées par la directive 2003/88 elle-même (arrêt du 29 novembre 2017, King, C‑214/16, EU:C:2017:914, point 32 et jurisprudence citée).

54      Par ailleurs, il convient de noter que le droit au congé annuel payé revêt, en sa qualité de principe du droit social de l’Union, non seulement une importance particulière, mais qu’il est aussi expressément consacré à l’article 31, paragraphe 2, de la Charte, à laquelle l’article 6, paragraphe 1, TUE reconnaît la même valeur juridique que les traités (arrêt du 21 juin 2012, ANGED, C‑78/11, EU:C:2012:372, point 17 et jurisprudence citée).

55      En outre, ainsi que la Cour l’a déjà jugé, le droit au congé annuel payé ne saurait être interprété de manière restrictive (arrêt du 30 juin 2016, Sobczyszyn, C‑178/15, EU:C:2016:502, point 21 et jurisprudence citée).

56      Enfin, il ressort des termes de la directive 2003/88 et de la jurisprudence de la Cour que, s’il appartient aux États membres de définir les conditions d’exercice et de mise en œuvre du droit au congé annuel payé, ils sont tenus de s’abstenir de subordonner à quelque condition que ce soit la constitution même dudit droit qui résulte directement de cette directive (arrêt du 29 novembre 2017, King, C‑214/16, EU:C:2017:914, point 34 et jurisprudence citée).

57      En second lieu, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante de la Cour, le droit au congé annuel, consacré à l’article 7 de la directive 2003/88, a une double finalité, à savoir permettre au travailleur de se reposer par rapport à l’exécution des tâches lui incombant selon son contrat de travail, d’une part, et disposer d’une période de détente et de loisirs, d’autre part (arrêt du 20 juillet 2016, Maschek, C‑341/15, EU:C:2016:576, point 34 et jurisprudence citée).

58      Cette finalité, qui distingue le droit au congé annuel payé d’autres types de congés poursuivant des finalités différentes, est basée sur la prémisse que le travailleur a effectivement travaillé au cours de la période de référence. En effet, l’objectif de permettre au travailleur de se reposer suppose que ce travailleur ait exercé une activité justifiant, pour assurer la protection de sa sécurité et de sa santé visée par la directive 2003/88, le bénéfice d’une période de repos, de détente et de loisirs. Partant, les droits au congé annuel payé doivent en principe être déterminés en fonction des périodes de travail effectif accomplies en vertu du contrat de travail (arrêt du 4 octobre 2018, Dicu, C‑12/17, EU:C:2018:799, point 28 et jurisprudence citée).

59      Cela étant, dans certaines situations spécifiques dans lesquelles le travailleur est incapable de remplir ses fonctions, le droit au congé annuel payé ne peut être subordonné par un État membre à l’obligation d’avoir effectivement travaillé (voir, en ce sens, arrêt du 24 janvier 2012, Dominguez, C‑282/10, EU:C:2012:33, point 20 et jurisprudence citée).

60      Il en est ainsi, notamment, en ce qui concerne les travailleurs qui sont absents du travail à cause d’un congé de maladie au cours de la période de référence. En effet, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour, au regard du droit au congé annuel payé, ces travailleurs sont assimilés à ceux qui ont effectivement travaillé au cours de cette période (arrêt du 4 octobre 2018, Dicu, C‑12/17, EU:C:2018:799, point 29 et jurisprudence citée).

61      Ainsi, selon l’article 7 de la directive 2003/88, tout travailleur en congé de maladie pendant la période de référence ne saurait voir affecté son droit au congé annuel payé d’au moins quatre semaines (voir, en ce sens, arrêt du 24 janvier 2012, Dominguez, C‑282/10, EU:C:2012:33, point 30).

62      Dans ce contexte, la Cour a jugé que l’article 7, paragraphe 1, de la directive 2003/88 devait être interprété en ce sens qu’il s’oppose à des dispositions ou à des pratiques nationales qui prévoient que le droit au congé annuel payé s’éteint à l’expiration de la période de référence et/ou d’une période de report fixée par le droit national lorsque le travailleur a été en congé de maladie, durant tout ou partie de la période de référence, et que, partant, il n’a pas effectivement eu la possibilité d’exercer ledit droit (arrêt du 30 juin 2016, Sobczyszyn, C‑178/15, EU:C:2016:502, point 24 et jurisprudence citée).

63      Aux termes de la jurisprudence ainsi rappelée, il est, dès lors, exclu que le droit d’un travailleur au congé annuel payé minimal, garanti par le droit de l’Union, soit diminué dans une situation caractérisée par le fait que le travailleur n’a pu répondre à son obligation de travailler en raison d’une maladie durant la période de référence (arrêt du 19 septembre 2013, Réexamen Commission/Strack, C‑579/12 RX–II, EU:C:2013:570, point 34 et jurisprudence citée).

64      Ainsi, la directive 2003/88 ne permet aux États membres ni d’exclure la naissance du droit au congé annuel payé ni de prévoir que le droit au congé annuel payé d’un travailleur ayant été empêché d’exercer ce droit s’éteint à l’expiration de la période de référence et/ou d’une période de report fixée par le droit national (arrêt du 29 novembre 2017, King, C‑214/16, EU:C:2017:914, point 51 et jurisprudence citée).

65      Il convient donc de vérifier si les principes issus de la jurisprudence portant sur le droit au congé annuel payé d’un travailleur qui, en raison d’une maladie, n’a pas été en mesure d’exercer son droit audit congé pendant la période de référence et/ou la période de report fixée par le droit national sont transposables, mutatis mutandis, à une situation, telle que celle en cause au principal dans les présentes affaires, dans laquelle un travailleur illégalement licencié, puis réintégré dans son emploi, conformément au droit national, à la suite de l’annulation de son licenciement par une décision judiciaire, n’a pas, au cours de la période comprise entre la date du licenciement illégal et la date de sa réintégration dans son emploi, accompli un travail effectif au service de son employeur.

66      À cet égard, il convient d’observer que pour déroger, en ce qui concerne les travailleurs absents du travail en raison d’un congé de maladie, au principe selon lequel les droits au congé annuel doivent être déterminés en fonction des périodes de travail effectif, la Cour s’est fondée sur le fait que la survenance d’une incapacité de travail pour cause de maladie est, en principe, imprévisible et indépendante de la volonté du travailleur (voir notamment, en ce sens, arrêt du 4 octobre 2018, Dicu, C‑12/17, EU:C:2018:799, point 32 et jurisprudence citée).

67      Or, il y a lieu de constater que, tout comme la survenance d’une incapacité de travail pour cause de maladie, le fait qu’un travailleur a été privé de la possibilité de travailler en raison d’un licenciement jugé illégal par la suite est, en principe, imprévisible et indépendant de la volonté de ce travailleur.

68      En effet, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 48 de ses conclusions, le fait que le travailleur concerné n’ait pas, au cours de la période comprise entre la date de son licenciement illégal et la date de sa réintégration dans son emploi, conformément au droit national, à la suite de l’annulation de ce licenciement par une décision judiciaire, accompli un travail effectif au service de son employeur résulte des actes de ce dernier ayant abouti au licenciement illégal, sans lesquels ledit travailleur aurait été en mesure de travailler pendant ladite période et d’exercer son droit au congé annuel.

69      Dès lors, dans une situation telle que celle en cause au principal dans les présentes affaires, la période comprise entre la date du licenciement illégal et la date de la réintégration du travailleur dans son emploi, conformément au droit national, à la suite de l’annulation de ce licenciement par une décision judiciaire, doit être assimilée à une période de travail effectif aux fins de la détermination des droits au congé annuel payé.

70      Partant, la jurisprudence de la Cour portant sur le droit au congé annuel payé d’un travailleur qui, en raison d’une maladie, n’a pas été en mesure d’exercer son droit audit congé pendant la période de référence et/ou la période de report fixée par le droit national est transposable, mutatis mutandis, à une situation, telle que celle en cause au principal dans chacune des présentes affaires, dans laquelle un travailleur illégalement licencié, puis réintégré dans son emploi, conformément au droit national, à la suite de l’annulation de son licenciement par une décision judiciaire, n’a pas, au cours de la période comprise entre la date de ce licenciement illégal et celle de sa réintégration dans son emploi, accompli un travail effectif au service de son employeur.

71      En troisième lieu, il y a lieu de rappeler que, dans des circonstances spécifiques dans lesquelles se trouve un travailleur en incapacité de travail pendant plusieurs périodes de référence consécutives, la Cour a jugé que, au regard non seulement de la protection du travailleur à laquelle tend la directive 2003/88, mais aussi de celle de l’employeur, confronté au risque d’un cumul trop important de périodes d’absence du travailleur et aux difficultés que celles-ci pourraient impliquer pour l’organisation du travail, l’article 7 de cette directive doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à des dispositions ou à des pratiques nationales limitant, par une période de report de quinze mois à l’expiration de laquelle le droit au congé annuel payé s’éteint, le cumul des droits à un tel congé d’un travailleur en incapacité de travail pendant plusieurs périodes de référence consécutives (arrêt du 29 novembre 2017, King, C‑214/16, EU:C:2017:914, point 55 et jurisprudence citée).

72      Toutefois, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 49 de ses conclusions, des circonstances telles que celles en cause au principal dans les présentes affaires ne sauraient justifier une dérogation au principe posé par l’article 7 de la directive 2003/88, selon lequel un droit au congé annuel payé acquis ne peut s’éteindre à l’expiration de la période de référence et/ou d’une période de report fixée par le droit national, lorsque le travailleur n’a pas été en mesure de prendre ses congés.

73      En effet, d’une part, conformément à la jurisprudence rappelée au point 55 du présent arrêt, le droit au congé annuel payé ne saurait être interprété de manière restrictive.

74      Ainsi, toute dérogation au régime de l’Union en matière d’aménagement du temps de travail prévu par la directive 2003/88 doit recevoir une interprétation qui limite sa portée à ce qui est strictement nécessaire pour sauvegarder les intérêts que cette dérogation permet de protéger (arrêt du 29 novembre 2017, King, C‑214/16, EU:C:2017:914, point 58 et jurisprudence citée).

75      Or, dans des circonstances telles que celles en cause au principal dans les présentes affaires, une protection des intérêts de l’employeur ne paraît pas strictement nécessaire et, partant, ne serait pas, a priori, de nature à justifier une dérogation au droit au congé annuel payé du travailleur.

76      D’autre part, ainsi qu’il a été relevé au point 68 du présent arrêt, dans de telles circonstances également, c’est en raison des actes de l’employeur lui-même, celui-ci ayant procédé au licenciement illégal du travailleur concerné, que, pendant la période comprise entre la date de ce licenciement et la date de la réintégration dudit travailleur dans son emploi, ce dernier n’a été en mesure ni de travailler ni, par voie de conséquence, d’exercer son droit au congé annuel.

77      Or, il convient de rappeler qu’il incombe à l’employeur de veiller à mettre le travailleur en mesure d’exercer le droit au congé annuel (voir, en ce sens, arrêt du 6 novembre 2018, Kreuziger, C‑619/16, EU:C:2018:872, point 51 et jurisprudence citée). À cet égard, contrairement à une situation de cumul de droits au congé annuel payé d’un travailleur empêché de prendre lesdits congés pour raison de maladie, l’employeur qui ne met pas un travailleur en mesure d’exercer son droit au congé annuel payé doit en assumer les conséquences (arrêt du 29 novembre 2017, King, C‑214/16, EU:C:2017:914, point 63).

78      Par conséquent, un travailleur illégalement licencié, puis réintégré dans son emploi, conformément au droit national, à la suite de l’annulation de son licenciement par une décision judiciaire, est en droit de faire valoir tous les droits au congé annuel payé acquis durant la période comprise entre la date du licenciement illégal et la date de sa réintégration dans son emploi, à la suite de cette annulation.

79      Enfin, il convient de préciser, à l’instar de M. l’avocat général au point 59 de ses conclusions, que, dans l’hypothèse où le travailleur concerné a occupé un autre emploi au cours de la période comprise entre la date du licenciement illégal et celle de sa réintégration dans son premier emploi, ce travailleur ne saurait prétendre, à l’égard de son premier employeur, aux droits au congé annuel correspondant à la période pendant laquelle il a occupé un autre emploi.

80      En effet, dans de telles circonstances, c’est à l’égard de son nouvel employeur qu’il incombe au travailleur concerné de faire valoir ses droits au congé annuel payé correspondant à cette dernière période.

81      Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre à la première question dans l’affaire C‑762/18 que l’article 7, paragraphe 1, de la directive 2003/88 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une jurisprudence nationale en vertu de laquelle un travailleur illégalement licencié, puis réintégré dans son emploi, conformément au droit national, à la suite de l’annulation de son licenciement par une décision judiciaire, n’a pas droit à des congés annuels payés pour la période comprise entre la date du licenciement et la date de sa réintégration dans son emploi, au motif que, pendant cette période, ce travailleur n’a pas accompli un travail effectif au service de l’employeur.

 Sur la seconde question dans l’affaire C762/18 et la question unique dans l’affaire C37/19

82      Par la seconde question dans l’affaire C‑762/18 et par la question unique dans l’affaire C‑37/19, qu’il convient d’examiner ensemble, les juridictions de renvoi demandent, en substance, si l’article 7, paragraphe 2, de la directive 2003/88 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une jurisprudence nationale en vertu de laquelle, en cas de rupture d’une relation de travail intervenant après que le travailleur concerné a été illégalement licencié, puis réintégré dans son emploi, conformément au droit national, à la suite de l’annulation de son licenciement par une décision judiciaire, ce travailleur n’a pas droit à une indemnité pécuniaire au titre des congés annuels payés non utilisés au cours de la période comprise entre la date du licenciement illégal et celle de sa réintégration dans son emploi.

83      Il convient de rappeler que le droit au congé annuel ne constitue que l’un des deux volets du droit au congé annuel payé en tant que principe essentiel du droit social de l’Union reflété par l’article 7 de la directive 93/104/CE du Conseil, du 23 novembre 1993, concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail (JO 1993, L 307, p. 18), et par l’article 7 de la directive 2003/88, entretemps expressément consacré en tant que droit fondamental à l’article 31, paragraphe 2, de la Charte. Ledit droit fondamental comporte ainsi également un droit à l’obtention d’un paiement ainsi que, en tant que droit consubstantiel à ce droit au congé annuel « payé », le droit à une indemnité financière au titre de congés annuels non pris lors de la cessation de la relation de travail (arrêt du 6 novembre 2018, Bauer et Willmeroth, C‑569/16 et C‑570/16, EU:C:2018:871, point 58).

84      La Cour a souligné que l’article 7, paragraphe 2, de la directive 2003/88 ne pose aucune condition à l’ouverture du droit à une indemnité financière autre que celle tenant au fait, d’une part, que la relation de travail a pris fin et, d’autre part, que le travailleur n’a pas pris tous les congés annuels auxquels il avait droit à la date où cette relation a pris fin (arrêt du 6 novembre 2018, Kreuziger, C‑619/16, EU:C:2018:872, point 31).

85      À cet égard, il ressort de la jurisprudence de la Cour que ladite disposition doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à des législations ou à des pratiques nationales qui prévoient que, lors de la fin de la relation de travail, aucune indemnité financière au titre de congés annuels payés non pris n’est versée au travailleur qui n’a pas été en mesure de prendre tous les congés annuels auxquels il avait droit avant la fin de cette relation de travail, notamment parce qu’il était en congé de maladie durant tout ou partie de la période de référence et/ou d’une période de report (arrêt du 6 novembre 2018, Kreuziger, C‑619/16, EU:C:2018:872, point 32 et jurisprudence citée).

86      Or, ainsi qu’il ressort du point 78 du présent arrêt, un travailleur illégalement licencié, puis réintégré dans son emploi, conformément au droit national, à la suite de l’annulation de son licenciement par une décision judiciaire, peut prétendre à tous les droits au congé annuel payé acquis durant la période comprise entre la date du licenciement illégal et celle de sa réintégration dans son emploi à la suite de cette annulation.

87      Par conséquent, lorsque le travailleur, à l’instar de ceux en cause dans chacune des présentes affaires, postérieurement à sa réintégration dans son emploi à la suite de l’annulation de son licenciement illégal, est à nouveau licencié, il peut prétendre, sur le fondement de l’article 7, paragraphe 2, de la directive 2003/88, à une indemnité au titre de congés annuels non pris lors de ce nouveau licenciement, y compris ceux correspondant à la période comprise entre la date du licenciement illégal et la date de sa réintégration dans son emploi.

88      Toutefois, ainsi qu’il ressort du point 79 du présent arrêt, lorsque, au cours de cette période, le travailleur concerné a occupé un autre emploi, il ne saurait prétendre, auprès de son premier employeur, à une indemnité correspondant à la période pendant laquelle il a occupé cet autre emploi.

89      Eu égard aux considérations qui procèdent, il convient de répondre à la seconde question dans l’affaire C‑762/18 ainsi qu’à la question unique dans l’affaire C‑37/19 que l’article 7, paragraphe 2, de la directive 2003/88 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une jurisprudence nationale en vertu de laquelle, en cas de rupture d’une relation de travail intervenant après que le travailleur concerné a été illégalement licencié, puis réintégré dans son emploi, conformément au droit national, à la suite de l’annulation de son licenciement par une décision judiciaire, ce travailleur n’a pas droit à une indemnité pécuniaire au titre des congés annuels payés non utilisés au cours de la période comprise entre la date du licenciement illégal et celle de sa réintégration dans son emploi.

 Sur les dépens

90      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit :

1)      L’article 7, paragraphe 1, de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil, du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une jurisprudence nationale en vertu de laquelle un travailleur illégalement licencié, puis réintégré dans son emploi, conformément au droit national, à la suite de l’annulation de son licenciement par une décision judiciaire, n’a pas droit à des congés annuels payés pour la période comprise entre la date du licenciement et la date de sa réintégration dans son emploi, au motif que, pendant cette période, ce travailleur n’a pas accompli un travail effectif au service de l’employeur.

2)      L’article 7, paragraphe 2, de la directive 2003/88 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une jurisprudence nationale en vertu de laquelle, en cas de rupture d’une relation de travail intervenant après que le travailleur concerné a été illégalement licencié, puis réintégré dans son emploi, conformément au droit national, à la suite de l’annulation de son licenciement par une décision judiciaire, ce travailleur n’a pas droit à une indemnité pécuniaire au titre des congés annuels payés non utilisés au cours de la période comprise entre la date du licenciement illégal et celle de sa réintégration dans son emploi.

Signatures


*      Langues de procédure : le bulgare et l’italien.