ORDONNANCE DU VICE-PRÉSIDENT DE LA COUR

8 juillet 2024 (*)

« Référé – Articles 278 et 279 TFUE – Pourvoi – Demande de sursis à exécution et d’autres mesures provisoires – Article 160, paragraphe 7, du règlement de procédure de la Cour – Concurrence – Concentrations – Marché des médias – Demande de renseignements – Données personnelles »

Dans l’affaire C‑470/24 P(R)‑R,

ayant pour objet une demande de sursis à exécution et d’autres mesures provisoires, au titre des articles 278 et 279 TFUE, introduite le 3 juillet 2024,

Vivendi SE, établie à Paris (France), représentée par Mes Y. Boubacir, F. de Bure, E. Dumur, P. Gassenbach, S. Schrameck, O. Thomas, P. Wilhelm, avocats,

partie requérante,

les autres parties à la procédure étant :

Commission européenne,

partie défenderesse en première instance,

Conseil de l’Union européenne,

partie intervenante en première instance,

LE VICE-PRÉSIDENT DE LA COUR,

l’avocat général,  M. M. Szpunar, entendu,

rend la présente


Ordonnance

1        Par sa demande en référé, Vivendi SE demande à la Cour, en application des articles 278 et 279 TFUE ainsi que de l’article 160, paragraphe 7, du règlement de procédure de la Cour de :

–        surseoir à l’exécution de l’ordonnance du vice-président du Tribunal de l’Union européenne du 13 juin 2024, Vivendi/Commission (T‑1097/23 R‑RENV, ci-après l’« ordonnance attaquée », EU:T:2024:381), par laquelle celui-ci a partiellement fait droit à sa demande visant, d’une part, à obtenir le sursis à exécution de la décision C(2023) 6428 final de la Commission européenne, du 19 septembre 2023, relative à une procédure d’application de l’article 11, paragraphe 3, du règlement (CE) no 139/2004 du Conseil (affaire M.11184 – Vivendi/Lagardère), telle que modifiée par la décision C(2023) 7463 final de la Commission, du 27 octobre 2023 (ci-après la « décision litigieuse »), ainsi que, d’autre part, à titre conservatoire, qu’il lui soit enjoint de conserver l’ensemble des documents en sa possession concernés par la décision litigieuse sur un support électronique dédié, remis sous scellé électronique à un tiers de confiance indépendant ;

–        surseoir à l’exécution de la décision litigieuse, et

–        réserver les dépens.

2        Cette demande a été présentée parallèlement à l’introduction, le 3 juillet 2024, par Vivendi, d’un pourvoi au titre de l’article 57, deuxième alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, tendant à l’annulation de l’ordonnance attaquée.

3        Conformément à l’article 160, paragraphe 7, du règlement de procédure de la Cour, applicable à la procédure de pourvoi en application de l’article 190, paragraphe 1, de celui-ci, le juge des référés peut faire droit à la demande en référé avant même que l’autre partie n’ait présenté ses observations et cette mesure peut être ultérieurement modifiée ou rapportée, même d’office.

4        Selon la jurisprudence de la Cour, en particulier lorsqu’il est souhaitable dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice d’éviter que la procédure en référé ne soit vidée de toute sa substance et de tout effet, l’article 160, paragraphe 7, du règlement de procédure de la Cour autorise le juge connaissant d’une demande de mesures provisoires à arrêter de telles mesures, à titre conservatoire, soit jusqu’au prononcé de l’ordonnance mettant fin à l’instance en référé, soit jusqu’à la clôture de la procédure principale, si celle-ci a lieu plus tôt [ordonnances du vice-président de la Cour du 4 octobre 2017, Wall Street Systems UK/BCE, C‑576/17 P(R)‑R, EU:C:2017:735, point 4, et du 22 juillet 2022, Telefónica de España/Commission, C‑478/22 P(R)‑R, EU:C:2022:598, point 4].

5        Lorsqu’il examine la nécessité de rendre une telle ordonnance, ledit juge doit examiner les circonstances du cas d’espèce [ordonnances du vice‑président de la Cour du 4 octobre 2017, Wall Street Systems UK/BCE, C‑576/17 P(R)‑R, EU:C:2017:735, point 5, et du 22 juillet 2022, Telefónica de España/Commission, C‑478/22 P(R)‑R, EU:C:2022:598, point 5].

6        En l’espèce, il ressort des pièces du dossier que Vivendi a notifié à la Commission, le 24 octobre 2022, une opération de concentration qui consistait en l’acquisition du contrôle exclusif de Lagardère SA. Le 25 juillet 2023, la Commission a informé Vivendi de l’ouverture d’une enquête formelle portant sur une potentielle réalisation anticipée de l’opération de concentration. Dans le cadre de cette procédure, par la décision C(2023) 6428 final, la Commission a adressé à Vivendi une demande de renseignements, assortie d’un délai expirant le 27 octobre 2023. Par la décision C(2023) 7463 final, la Commission a prorogé ce délai jusqu’au 1er décembre 2023.

7        Par une requête déposée au greffe du Tribunal le 23 novembre 2023, Vivendi a introduit un recours tendant à l’annulation de la décision litigieuse. Par acte séparé, déposé au greffe du Tribunal le 24 novembre 2023, elle a introduit une demande en référé tendant, notamment, au sursis à exécution de cette décision.

8        Par l’ordonnance du 28 novembre 2023, Vivendi/Commission (T‑1097/23 R), adoptée sur le fondement de l’article 157, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, le président du Tribunal a ordonné le sursis à exécution de la décision litigieuse jusqu’à l’adoption de l’ordonnance mettant fin à la procédure dans l’affaire T‑1097/23 R, sans préjudice de l’obligation de Vivendi de poursuivre la collecte des informations et de conserver, sur un support électronique, l’ensemble des documents concernés par cette décision susceptibles d’intéresser l’enquête de la Commission.

9        Par l’ordonnance du 19 janvier 2024, Vivendi/Commission (T‑1097/23 R, EU:T:2024:15), le président du Tribunal a rejeté la demande en référé introduite par Vivendi devant le Tribunal et a rapporté son ordonnance du 28 novembre 2023 (T‑1097/23 R).

10      Par la décision C(2024) 571 final, la Commission a prorogé le délai visé au point 6 de la présente ordonnance jusqu’au 7 février 2024 et a imposé à Vivendi, en cas d’inexécution de la demande de renseignement imposée par la décision C(2023) 6428 final, une astreinte n’excédant pas 5 % de son chiffre d’affaires total journalier moyen, par jour de retard à compter du premier jour ouvrable suivant le 7 février 2024.

11      Par l’ordonnance du 6 février 2024, Vivendi/Commission [C‑90/24 P(R)‑R, EU:C:2024:121], adoptée sur le fondement de l’article 160, paragraphe 7, du règlement de procédure de la Cour, le vice-président de la Cour a ordonné la suspension de l’obligation imposée à Vivendi, par la décision litigieuse, de collecter et de communiquer à la Commission les documents visés par cette décision jusqu’à l’adoption de l’ordonnance qui interviendra le plus tôt entre celle mettant fin à la procédure en référé dans l’affaire C‑90/24 P(R)-R et celle se prononçant sur le pourvoi dans l’affaire C-90/24 P(R), sans préjudice de l’obligation, pour Vivendi, de prendre toutes les mesures utiles pour assurer la conservation de l’ensemble de ces documents.

12      Par l’ordonnance du 11 avril 2024, Vivendi/Commission [C‑90/24 P(R), EU:C:2024:318], le vice-président de la Cour a annulé l’ordonnance du président du Tribunal du 19 janvier 2024, Vivendi/Commission (T‑1097/23 R, EU:T:2024:15), et a renvoyé l’affaire devant le Tribunal pour qu’il soit statué sur la condition relative au fumus boni juris et pour que soit effectuée, le cas échéant, la mise en balance des intérêts en présence.

13      Par l’ordonnance attaquée, le vice-président du Tribunal a :

–        ordonné le sursis à l’exécution de décision litigieuse, dans la mesure où l’obligation qui y est formulée vise des documents contenant des données relevant de la vie privée des personnes concernées par cette décision ;

–        ordonné à Vivendi de prendre toutes les mesures utiles pour assurer la conservation, dans un format qui garantit leur intégrité et leur caractère inaltérable, des documents visés à l’annexe de ladite décision qui n’ont pas encore été communiqués à la Commission, pour autant qu’il s’agisse de documents contenant des données relevant de la vie privée des personnes concernées ;

–        ordonné à la Commission de conserver sous scellés les documents visés à l’annexe de la même décision qui lui ont été fournis par Vivendi, pour autant qu’il s’agisse de documents contenant des données relevant de la vie privée des personnes concernés ;

–        rejeté la demande en référé mentionnée au point 7 de la présente ordonnance pour le surplus, et

–        réservé les dépens.

14      À la suite de la signature de l’ordonnance attaquée, Vivendi et la Commission ont procédé à divers échanges en vue de déterminer les effets de celle-ci. Par un courriel du 24 juin 2024, la Commission a demandé à Vivendi d’indiquer au plus tard le 25 juin 2024 si elle comptait se mettre en conformité avec la décision litigieuse en ce qui concerne les documents qui ne contiennent pas de données relevant de la vie privée des personnes concernées par cette décision. En outre, la Commission a indiqué qu’elle était disposée à accorder à Vivendi un délai de deux semaines pour lui permettre de fournir l’ensemble des documents demandés et qu’elle n’excluait pas de mettre en œuvre la décision C(2024) 571 final en cas de réponse négative de Vivendi ou de défaut de réponse de celle-ci.

15      Selon Vivendi, il conviendrait que la Cour fasse droit à la présente demande en référé afin de prévenir la survenance d’un préjudice grave et irréparable.

16      Vivendi fait valoir, en particulier, que, en l’absence de suspension de l’ensemble des effets de la décision litigieuse, telle que modifiée par la décision C(2024) 571 final, elle serait obligée, sous peine de se voir imposer une astreinte d’un montant considérable à compter du 8 juillet 2024, de collecter, de traiter et de transmettre à la Commission un grand nombre de documents. Or, si elle se conformait à cette obligation, elle s’exposerait, ainsi que ses commettants, à des sanctions pénales et porterait une atteinte caractérisée et irrémédiable au droit au respect de la vie privée des personnes concernées ainsi qu’à la protection des sources des journalistes.

17      À cet égard, s’agissant, d’une part, du risque d’atteinte caractérisée et irrémédiable au droit au respect de la vie privée des personnes concernées, il résulte de l’ordonnance du 6 février 2024, Vivendi/Commission [C‑90/24 P(R)‑R, EU:C:2024:121], que l’exécution complète de la décision litigieuse serait susceptible de causer un préjudice de cet ordre avant l’issue de la procédure au fond.

18      Si le vice-président du Tribunal a ordonné le sursis à exécution partiel de la décision litigieuse en vue d’éviter la réalisation de ce risque, Vivendi soutient, par la présente demande en référé, que le caractère partiel de ce sursis à exécution ne lui permet pas de sélectionner les documents devant être transmis à la Commission sans être contrainte, en pratique, de porter une atteinte caractérisée et irrémédiable au droit au respect de la vie privée des personnes concernées.

19      D’autre part, Vivendi fait valoir qu’elle risque également de subir d’autres préjudices graves et irréparables qui n’auraient pas été pris en compte par le vice-président du Tribunal lors de la détermination des effets de la décision litigieuse devant être suspendus.

20      Partant, il ne saurait être exclu, à ce stade de la procédure, que les mesures devant être prises par Vivendi pour se conformer à la décision litigieuse, en tant que les effets de celle-ci n’ont pas été suspendus par l’ordonnance attaquée, puisse exposer Vivendi et ses commettants à des sanctions pénales ou conduire à une sérieuse violation du droit à la vie privée des personnes concernées par ces documents ainsi que de la protection des sources des journalistes, qui pourraient éventuellement constituer un préjudice grave et irréparable.

21      En outre, étant donné que Vivendi est tenue, sous peine d’astreinte, d’adopter de telles mesures et que la Commission s’est déclarée disposée à exécuter cette astreinte à compter du 8 juillet 2024, ce préjudice risque de se réaliser avant même que la Cour n’ait été en mesure d’apprécier, après avoir entendu la Commission, s’il est nécessaire d’accorder des mesures provisoires.

22      Pour autant, en vue de maintenir le statu quo ante, il incombe à Vivendi de prendre toutes les mesures utiles pour assurer la conservation de l’ensemble des documents visés par la décision litigieuse.

23      En conséquence, il est dans l’intérêt de la bonne administration de la justice d’ordonner, avant même que l’autre partie n’ait présenté ses observations, la suspension de l’obligation imposée à Vivendi, par la décision litigieuse, de collecter et de communiquer à la Commission les documents visés par cette décision jusqu’à l’adoption de l’ordonnance qui interviendra le plus tôt entre celle mettant fin à la présente procédure de référé et celle se prononçant sur le pourvoi dans l’affaire C‑470/24 P(R), sans préjudice de l’obligation, pour Vivendi, de prendre toutes les mesures utiles pour assurer la conservation de l’ensemble de ces documents.

Par ces motifs, le vice-président de la Cour ordonne :

1)      L’obligation imposée à Vivendi SE, par la décision C(2023) 6428 final de la Commission européenne, du 19 septembre 2023, relative à une procédure d’application de l’article 11, paragraphe 3, du règlement (CE) no 139/2004 du Conseil (affaire M.11184 – Vivendi/Lagardère), telle que modifiée par la décision C(2023) 7463 final de la Commission, du 27 octobre 2023, de collecter et de communiquer à la Commission les documents visés par cette décision, est suspendue jusqu’à l’adoption de l’ordonnance qui interviendra le plus tôt entre celle mettant fin à la présente procédure de référé et celle se prononçant sur le pourvoi dans l’affaire C-470/24 P(R), sans préjudice de l’obligation, pour Vivendi, de prendre toutes les mesures utiles pour assurer la conservation de l’ensemble de ces documents.

2)      Les dépens sont réservés.

Fait à Luxembourg, le 8 juillet 2024.

Le greffier

 

Le vice-président

A. Calot Escobar

 

L. Bay Larsen


*      Langue de procédure : le français.