ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

11 juin 2024 (*)

« Pourvoi – Concurrence – Articles 266 et 340 TFUE – Arrêt réduisant le montant d’une amende infligée par la Commission européenne – Remboursement par la Commission du montant indûment perçu – Obligation de verser des intérêts – Qualification – Indemnisation forfaitaire de la privation de la jouissance du montant de l’amende indûment payé – Taux applicable »

Dans l’affaire C‑221/22 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 28 mars 2022,

Commission européenne, représentée par MM. D. Calleja Crespo, N. Khan, B. Martenczuk, P. Rossi et Mme L. Wildpanner, en qualité d’agents,

partie requérante,

l’autre partie à la procédure étant :

Deutsche Telekom AG, établie à Bonn (Allemagne), représentée par Mes C. von Köckritz, P. Lohs et U. Soltész, Rechtsanwälte,

partie demanderesse en première instance,

LA COUR (grande chambre),

composée de M. K. Lenaerts, président, M. L. Bay Larsen, vice-président, MM. A. Arabadjiev, C. Lycourgos, E. Regan, F. Biltgen, N. Piçarra et Z. Csehi (rapporteur), présidents de chambre, M. P. G. Xuereb, Mme L. S. Rossi, MM. N. Jääskinen, N. Wahl, Mme I. Ziemele, MM. J. Passer et D. Gratsias, juges,

avocat général : M. A. M. Collins,

greffier : M. D. Dittert, chef d’unité,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 12 juillet 2023,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 23 novembre 2023,

rend le présent

Arrêt

1        Par son pourvoi, la Commission européenne demande l’annulation partielle de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 19 janvier 2022, Deutsche Telekom/Commission (T‑610/19, ci-après l’« arrêt attaqué », EU:T:2022:15), par lequel celui-ci a condamné la Commission à payer une indemnité d’un montant de 1 750 522,83 euros à Deutsche Telekom AG à titre de réparation du préjudice subi, a annulé la décision de la Commission du 28 juin 2019 portant refus de verser des intérêts moratoires à Deutsche Telekom (ci-après la « décision litigieuse ») et a rejeté le recours de Deutsche Telekom pour le surplus.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

 Le règlement financier de 2012

2        Sous l’intitulé « Constatation des créances », l’article 78 du règlement (UE, Euratom) no 966/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 25 octobre 2012, relatif aux règles financières applicables au budget général de l’Union et abrogeant le règlement (CE, Euratom) no 1605/2002 du Conseil (JO 2012, L 298, p. 1, ci-après le « règlement financier de 2012 »), disposait, à son paragraphe 4 :

« La Commission est habilitée à adopter des actes délégués conformément à l’article 210 en ce qui concerne l’établissement de règles détaillées en matière de prévision de créance, y compris la procédure et les pièces justificatives, et d’intérêts de retard. »

 Le règlement délégué (UE) no 1268/2012

3        Le règlement délégué (UE) no 1268/2012 de la Commission, du 29 octobre 2012, relatif aux règles d’application du règlement (UE, Euratom) no 966/2012 du Parlement européen et du Conseil relatif aux règles financières applicables au budget général de l’Union (JO 2012, L 362, p. 1), a été adopté par la Commission sur le fondement, notamment, de l’article 78, paragraphe 4, du règlement financier de 2012.

4        Aux termes de l’article 83 du règlement délégué no 1268/2012, intitulé « Intérêts de retard » :

« 1.      Sans préjudice des dispositions spécifiques découlant de l’application de la réglementation sectorielle, toute créance non remboursée à la date limite visée à l’article 80, paragraphe 3, point b), porte intérêt conformément aux paragraphes 2 et 3 du présent article.

2.      Le taux d’intérêt pour les créances non remboursées à la date limite visée à l’article 80, paragraphe 3, point b), est le taux appliqué par la Banque centrale européenne [(BCE)] à ses opérations principales de refinancement tel que publié au Journal officiel de l’Union européenne, série C [ci-après le « taux de refinancement de la BCE »], en vigueur le premier jour de calendrier du mois de la date limite, majoré de :

a)      huit points de pourcentage lorsque la créance a pour fait générateur un marché public de fournitures et de services visé au titre V ;

b)      trois points et demi de pourcentage dans tous les autres cas.

3.      Le montant des intérêts est calculé à partir du jour de calendrier suivant la date limite visée à l’article 80, paragraphe 3, point b), et indiquée dans la note de débit, jusqu’au jour de calendrier du remboursement intégral de la dette.

L’ordre de recouvrement correspondant au montant des intérêts de retard est émis lorsque ces intérêts sont effectivement perçus.

4.      Dans le cas des amendes, lorsque le débiteur constitue une garantie financière acceptée par le comptable en lieu et place d’un paiement, le taux d’intérêt applicable à compter de la date limite visée à l’article 80, paragraphe 3, point b), est le taux visé au paragraphe 2 du présent article qui est en vigueur le premier jour du mois au cours duquel a été arrêtée la décision imposant une amende, majoré seulement d’un point et demi de pourcentage. »

5        L’article 90 de ce règlement, intitulé « Recouvrement des amendes ou autres sanctions », disposait :

« 1.      Lorsqu’un recours est introduit devant la Cour de justice de l’Union européenne contre une décision de la Commission imposant une amende ou d’autres sanctions au titre du [traité FUE] ou du traité Euratom et aussi longtemps que toutes les voies de recours ne sont pas épuisées, le débiteur verse à titre provisoire les montants en question sur le compte bancaire indiqué par le comptable ou constitue une garantie financière acceptable pour le comptable. La garantie est indépendante de l’obligation de payer l’amende ou d’autres sanctions et est exécutable à première demande. Elle couvre le principal et les intérêts visés à l’article 83, paragraphe 4.

2.      La Commission veille à la préservation des montants encaissés à titre provisoire en les investissant dans des actifs financiers, assurant ainsi la sécurité et la liquidité des fonds tout en visant à obtenir un retour sur investissement positif.

[...]

4.      Après épuisement de toutes les voies de recours et si l’amende ou la sanction a été annulée ou réduite, il convient de prendre l’une des mesures suivantes :

a)      les montants indûment perçus, majorés des intérêts produits, sont remboursés au tiers concerné. Si le rendement global obtenu pour la période en cause a été négatif, la valeur nominale des montants indûment perçus est remboursée ;

b)      lorsqu’une garantie financière a été constituée, cette dernière est libérée en conséquence. »

 Les antécédents du litige

6        Le 15 octobre 2014, la Commission a adopté la décision C(2014) 7465 final, relative à une procédure d’application de l’article 102 TFUE et de l’article 54 de l’accord EEE (affaire AT.39523 – Slovak Telekom), rectifiée par sa décision C(2014) 10119 final, du 16 décembre 2014, ainsi que par sa décision C(2015) 2484 final, du 17 avril 2015.

7        Par cette décision, la Commission a infligé à Deutsche Telekom une amende de 31 070 000 euros pour abus de position dominante sur le marché slovaque des services de télécommunication à haut débit, en violation de l’article 102 TFUE et de l’article 54 de l’accord EEE.

8        Deutsche Telekom a introduit un recours en annulation de ladite décision, tout en s’acquittant à titre provisoire de cette amende le 16 janvier 2015. Par son arrêt du 13 décembre 2018, Deutsche Telekom/Commission (T‑827/14, ci-après l’« arrêt Deutsche Telekom de 2018 », EU:T:2018:930), le Tribunal a partiellement accueilli le recours de Deutsche Telekom et, en exerçant sa compétence de pleine juridiction, a réduit ladite amende de 12 039 019 euros. Le 19 février 2019, la Commission a remboursé ce montant à Deutsche Telekom.

9        Le 12 mars 2019, Deutsche Telekom a demandé à la Commission de lui verser les intérêts moratoires correspondant au montant indûment perçu pour la période allant de la date de paiement de l’amende à la date de remboursement de ce montant (ci-après la « période en cause »).

10      Par la décision litigieuse, la Commission a refusé de faire droit à cette demande. Elle a fait valoir que, en vertu de l’article 90, paragraphe 4, sous a), du règlement délégué no 1268/2012, le montant nominal de l’amende indûment perçu ne devait pas être majoré d’intérêts moratoires, en raison du fait que le rendement global tiré de l’investissement de ce montant dans des actifs financiers, auquel elle avait procédé en application du paragraphe 2 de cet article 90, avait été négatif.

11      Dans cette décision, la Commission a également examiné l’argument de Deutsche Telekom selon lequel cette société était en droit, conformément à l’arrêt du Tribunal du 12 février 2019, Printeos/Commission (T‑201/17, EU:T:2019:81), de percevoir des intérêts moratoires à concurrence du taux de refinancement de la BCE, majoré de 3,5 points de pourcentage. En réponse à cet argument, la Commission a expliqué que cet arrêt ne constituait pas la base juridique du paiement des intérêts moratoires dont le versement était réclamé par Deutsche Telekom. En outre, elle a fait valoir que ledit arrêt devait s’entendre sans préjudice de l’application de l’article 90, paragraphe 4, sous a), du règlement délégué no 1268/2012. Enfin, elle a indiqué qu’elle avait formé un pourvoi contre le même arrêt, qui n’était donc pas définitif.

 Le recours devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

12      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 9 septembre 2019, Deutsche Telekom a saisi le Tribunal d’un recours tendant à l’annulation de la décision litigieuse ainsi qu’à la condamnation de la Commission à payer une indemnisation pour le manque à gagner résultant de la privation de jouissance, au cours de la période en cause, du montant de l’amende indûment perçu ou, à titre subsidiaire, à la réparation du préjudice qu’elle aurait subi en raison du refus de la Commission de verser des intérêts moratoires sur ce montant.

13      Le Tribunal a partiellement accueilli ce recours.

14      En premier lieu, le Tribunal a rejeté la demande de Deutsche Telekom tendant à l’indemnisation, au titre de la responsabilité non contractuelle de l’Union européenne, de son prétendu manque à gagner résultant de la privation de jouissance, au cours de la période en cause, du montant de l’amende indûment perçu, qui correspondrait au rendement annuel de ses capitaux engagés ou au coût moyen pondéré de son capital.

15      En effet, selon le Tribunal, Deutsche Telekom était restée en défaut d’apporter des preuves concluantes du caractère réel et certain du préjudice invoqué. Plus particulièrement, Deutsche Telekom n’aurait démontré ni qu’elle aurait nécessairement investi le montant de l’amende indûment perçu dans ses activités, ni que la privation de la jouissance de ce montant l’a conduite à renoncer à des projets spécifiques et concrets, ni qu’elle ne disposait pas d’une source alternative de financement.

16      En deuxième lieu, le Tribunal a examiné la demande en indemnité introduite à titre subsidiaire par Deutsche Telekom pour violation de l’article 266, premier alinéa, TFUE, qui prévoit l’obligation pour les institutions dont un acte est annulé par un arrêt d’une juridiction de l’Union de prendre toutes les mesures que comporte l’exécution de cet arrêt.

17      S’appuyant sur la jurisprudence de la Cour issue de l’arrêt du 20 janvier 2021, Commission/Printeos (C‑301/19 P, ci-après l’« arrêt Printeos », EU:C:2021:39), le Tribunal a rappelé, au point 72 de l’arrêt attaqué, que, lorsque des sommes ont été perçues en violation du droit de l’Union, il découle de ce droit une obligation de les restituer avec des intérêts et que tel est, notamment, le cas lorsque des sommes ont été perçues en application d’un acte de l’Union déclaré invalide ou annulé par une juridiction de l’Union.

18      Au point 75 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a souligné que l’octroi d’intérêts moratoires sur le montant indûment perçu apparaît comme une composante indispensable de l’obligation de remise en état qui pèse sur la Commission à la suite d’un arrêt d’annulation ou de pleine juridiction.

19      S’agissant plus particulièrement de l’allocation de tels intérêts à compter de la date du paiement provisoire de l’amende en cause, le Tribunal a considéré, au point 88 de l’arrêt attaqué, que cette allocation vise à indemniser de manière forfaitaire l’entreprise ayant payé cette amende pour la privation de la jouissance de ses fonds pendant la période allant de la date du paiement provisoire de ladite amende à la date du remboursement de celle-ci.

20      Par conséquent, le Tribunal a jugé, au point 113 de l’arrêt attaqué, que le refus de la Commission de verser ces intérêts à Deutsche Telekom constitue une violation suffisamment caractérisée de l’article 266, premier alinéa, TFUE, qui est susceptible d’engager la responsabilité non contractuelle de l’Union. Eu égard à l’existence d’un lien de causalité direct entre cette violation et le préjudice qui consiste en la perte, au cours de la période en cause, des intérêts moratoires sur le montant de l’amende indûment perçu, le Tribunal a accordé à Deutsche Telekom une indemnité de 1 750 522,38 euros, calculée au moyen de l’application, par analogie, du taux prévu à l’article 83, paragraphe 2, sous b), du règlement délégué no 1268/2012, à savoir le taux de refinancement de la BCE en vigueur en janvier 2015, soit 0,05 %, majoré de 3,5 points de pourcentage.

21      En troisième lieu, s’agissant de la demande en annulation de la décision litigieuse, le Tribunal a fait droit à cette demande pour les mêmes raisons que celles l’ayant conduit à considérer, dans le cadre de l’examen de la demande en indemnité, que la Commission a méconnu l’article 266, premier alinéa, TFUE en refusant de verser des intérêts moratoires à Deutsche Telekom sur le montant de l’amende indûment perçu, pour la période en cause.

 Les conclusions des parties devant la Cour

22      La Commission demande à la Cour :

–      d’annuler l’arrêt attaqué, dans la mesure où il fait droit au recours de Deutsche Telekom ;

–      de statuer elle-même sur les points en suspens du litige ;

–      à titre subsidiaire, de renvoyer l’affaire, dans la mesure où elle n’a pas encore été tranchée, devant le Tribunal pour qu’il statue à nouveau, et

–      de condamner Deutsche Telekom à l’ensemble des dépens afférents à la présente procédure et à la procédure devant le Tribunal.

23      Deutsche Telekom demande à la Cour :

–      de rejeter le pourvoi et

–      de condamner la Commission à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par Deutsche Telekom aux fins des procédures devant le Tribunal et devant la Cour.

 Sur le pourvoi

24      À l’appui de son pourvoi, la Commission invoque deux moyens tirés, le premier, d’une erreur de droit que le Tribunal aurait commise en considérant que l’article 266 TFUE impose à la Commission une obligation absolue et inconditionnelle de payer rétroactivement des « intérêts de retard à caractère de sanction » à compter de la date du paiement provisoire de l’amende et, le second, d’une erreur de droit que le Tribunal aurait commise en considérant que le taux des intérêts de retard que la Commission est tenue de payer correspond, par analogie à celui prévu à l’article 83, paragraphe 2, sous b), du règlement délégué no 1268/2012, au taux de refinancement de la BCE majoré de 3,5 points de pourcentage.

 Sur la recevabilité du pourvoi

25      Deutsche Telekom soutient que le pourvoi est irrecevable dans son intégralité en ce qu’il serait, en réalité, dirigé non pas contre l’arrêt attaqué, mais contre l’arrêt Printeos, lequel est devenu définitif. En outre, Deutsche Telekom fait valoir que les différentes branches du premier moyen ainsi que le second moyen sont irrecevables dans la mesure où ils ne constitueraient qu’une répétition des arguments avancés devant le Tribunal, ou en ce qu’ils auraient été soulevés pour la première fois au stade du pourvoi. S’agissant plus particulièrement du premier moyen, l’irrecevabilité de ce moyen résulterait également du fait que la Commission, en violation de l’exigence figurant à l’article 169, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, n’aurait pas identifié les points de motifs de l’arrêt attaqué dont il ressortirait que l’obligation de payer des intérêts revêt un caractère de sanction.

26      La Commission estime que son pourvoi est entièrement recevable.

27      À cet égard, il résulte de l’article 256 TFUE, de l’article 58, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, de l’article 168, paragraphe 1, sous d), et de l’article 169 du règlement de procédure de la Cour qu’un pourvoi doit indiquer de façon précise les éléments critiqués de l’arrêt dont l’annulation est demandée ainsi que les arguments juridiques qui soutiennent de manière spécifique cette demande. Selon une jurisprudence constante, ne répond pas à cette exigence le pourvoi qui, sans même comporter une argumentation visant spécifiquement à identifier l’erreur de droit dont serait entaché l’arrêt du Tribunal, se limite à reproduire les moyens et les arguments qui ont déjà été présentés devant le Tribunal. En effet, un tel pourvoi constitue en réalité une demande visant à obtenir un simple réexamen de la requête présentée devant le Tribunal, ce qui échappe à la compétence de la Cour (arrêt du 15 juillet 2021, DK/SEAE, C‑851/19 P, EU:C:2021:607, point 32 et jurisprudence citée).

28      Cependant, dès lors qu’un requérant conteste l’interprétation ou l’application du droit de l’Union faite par le Tribunal, les points de droit examinés en première instance peuvent être à nouveau discutés au cours d’un pourvoi. En effet, si un requérant ne pouvait fonder de la sorte son pourvoi sur des moyens et des arguments déjà utilisés devant le Tribunal, la procédure de pourvoi serait privée d’une partie de son sens (arrêt du 15 juillet 2021, DK/SEAE, C‑851/19 P, EU:C:2021:607, point 33 et jurisprudence citée).

29      En outre, la Cour a itérativement jugé qu’un requérant est recevable à former un pourvoi en faisant valoir des moyens nés de l’arrêt attaqué et qui visent à en critiquer, en droit, le bien-fondé (arrêt du 26 février 2020, SEAE/Alba Aguilera e.a., C‑427/18 P, EU:C:2020:109, point 54 ainsi que jurisprudence citée).

30      Enfin, la Commission, comme toute autre partie à un pourvoi, doit conserver la possibilité de remettre en question des principes juridiques que le Tribunal a appliqués dans l’arrêt dont l’annulation est demandée, même si ces principes ont été développés dans des arrêts qui ne peuvent pas ou plus faire l’objet d’un pourvoi.

31      En l’occurrence, le pourvoi vise, comme l’a fait observer la Commission en introduction à celui-ci, à inviter la Cour à réexaminer sa jurisprudence issue de l’arrêt Printeos, sur laquelle l’arrêt attaqué reposerait en grande partie, et qui méconnaîtrait la jurisprudence antérieure à cet arrêt Printeos. L’argumentation avancée par la Commission identifie avec suffisamment de précision les éléments critiqués de l’arrêt attaqué ainsi que les motifs pour lesquels celui-ci serait, selon elle, entaché d’erreurs de droit, et ne se limite donc pas, contrairement à ce que prétend Deutsche Telekom, à une simple répétition ou reproduction des arguments présentés par cette institution devant le Tribunal.

32      L’exception d’irrecevabilité soulevée par Deutsche Telekom doit donc être écartée.

 Sur le premier moyen

 Argumentation des parties

33      Par son premier moyen, la Commission soutient que le Tribunal a commis une erreur de droit en considérant que l’article 266 TFUE impose à la Commission une obligation absolue et inconditionnelle de payer rétroactivement des « intérêts de retard à caractère de sanction » à compter de la date du paiement provisoire de l’amende.

34      Ce premier moyen du pourvoi se divise en six branches.

35      Par la première branche du premier moyen, la Commission conteste avoir commis une violation suffisamment caractérisée de l’article 266, premier alinéa, TFUE en ne versant pas d’intérêts de retard à hauteur du montant réclamé par Deutsche Telekom.

36      En effet, selon cette institution, la notion d’intérêts moratoires, de la nature de ceux réclamés par Deutsche Telekom et accordés par le Tribunal, suppose qu’un débiteur se trouve, à tout le moins par négligence, en retard de paiement. Le Tribunal aurait d’ailleurs défini, dans l’arrêt du 8 juin 1995, Siemens/Commission (T‑459/93, EU:T:1995:100, point 101), les intérêts moratoires comme des intérêts « dus au retard dans l’exécution de l’obligation de restitution ». Toutefois, en l’espèce, à la suite de l’arrêt Deutsche Telekom de 2018, la Commission aurait immédiatement remboursé le montant de l’amende indûment perçu et n’aurait donc jamais été « en retard » de paiement. Les intérêts de retard qu’elle serait tenue de verser en vertu de l’arrêt Printeos et de l’arrêt attaqué constitueraient ainsi une sanction injustifiée pour la Commission.

37      Par la deuxième branche de ce moyen, la Commission affirme que l’arrêt attaqué méconnaît la jurisprudence antérieure à l’arrêt Printeos.

38      Selon la Commission, les intérêts dont le remboursement de sommes d’argent indûment perçues doit être assorti ne sont pas des « intérêts de retard à caractère de sanction » qui doivent être versés rétroactivement, mais des intérêts compensatoires destinés à éviter un enrichissement sans cause du débiteur, ainsi qu’il ressortirait, notamment, de l’arrêt du 5 septembre 2019, Union européenne/Guardian Europe et Guardian Europe/Union européenne (C‑447/17 P et C‑479/17 P, EU:C:2019:672). La Commission relève que, si, dans cet arrêt, la Cour a qualifié les intérêts à payer d’« intérêts moratoires », elle a néanmoins précisé que ceux-ci étaient régis par les dispositions du règlement délégué no 1268/2012. Il s’agirait donc, en réalité, d’intérêts compensatoires correspondant aux intérêts qu’ont produits les investissements auxquels la Commission avait procédé sur la base de l’article 90 de ce règlement délégué. Il ne pourrait donc être déduit dudit arrêt, auquel renvoie le point 73 de l’arrêt attaqué, qu’il y avait lieu pour la Commission de verser à Deutsche Telekom les intérêts de retard que celle-ci a réclamés et que le Tribunal lui a accordés par l’arrêt attaqué.

39      Sur la base de cette jurisprudence, la Commission admet que, en application de l’article 266, premier alinéa, TFUE, elle a l’obligation, lorsque les amendes qu’elle a infligées ont été ultérieurement annulées ou réduites par une juridiction de l’Union, de rembourser le montant des amendes indûment perçu ainsi que les intérêts produits, conformément à l’article 90 du règlement délégué no 1268/2012. L’interdiction de l’enrichissement sans cause, consacrée par la jurisprudence dans de tels cas, lui interdirait, en effet, de conserver les intérêts qu’ont produits ces amendes. Néanmoins, la Commission est d’avis que c’est l’article 90, paragraphe 4, de ce règlement délégué qui devrait s’appliquer et qui lui impose de rembourser aux entreprises concernées, à la suite d’un arrêt annulant ou réduisant l’amende encaissée à titre provisoire, « les montants indûment perçus, majorés des intérêts produits ». En revanche, lorsque le rendement global de l’investissement des montants correspondant à cette amende a été négatif, elle ne serait tenue de rembourser que « la valeur nominale des montants indûment perçus ».

40      L’application des principes retenus dans l’arrêt attaqué conduirait, dans le contexte économique actuel, à un enrichissement sans cause des entreprises concernées, du fait de la reconnaissance d’un droit absolu et inconditionnel au paiement d’intérêts à un taux correspondant au taux de refinancement de la BCE majoré de 3,5 points de pourcentage.

41      Par la troisième branche du premier moyen, la Commission fait valoir que l’article 90 du règlement délégué no 1268/2012 régit les intérêts à payer pour l’exécution des arrêts des juridictions de l’Union.

42      Elle doute, notamment, du bien-fondé du point 97 de l’arrêt attaqué par lequel le Tribunal a considéré que, lorsque le montant des intérêts produits, au sens de l’article 90, paragraphe 4, du règlement délégué no 1268/2012, est inférieur au montant des intérêts moratoires, la Commission est tenue de verser la différence entre ces deux montants. Cette interprétation du Tribunal aurait pour conséquence que cette disposition ne serait de facto jamais applicable. En effet, les intérêts produits par un investissement sûr ne pourraient jamais être supérieurs aux intérêts moratoires, dont le taux correspond au taux de refinancement de la BCE majoré de 3,5 points de pourcentage.

43      Par la quatrième branche du premier moyen, la Commission fait valoir que les conditions d’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union, au sens de l’article 340 TFUE, ne sont pas réunies.

44      Tout d’abord, en obligeant la Commission à payer rétroactivement des intérêts de retard à compter du paiement provisoire de l’amende, le Tribunal aurait assimilé à tort la simple fixation d’une amende dont le montant est ultérieurement réduit par une juridiction de l’Union, à une violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit. Ensuite, devant le Tribunal, Deutsche Telekom n’aurait pas prouvé qu’elle avait subi un dommage. À cet égard, le refus de la Commission de payer des intérêts au taux de refinancement de la BCE majoré de 3,5 points de pourcentage ne pourrait être considéré comme une perte causée à Deutsche Telekom. Enfin, il serait contradictoire de reprocher à la Commission une violation caractérisée du droit en raison de facteurs, tels que la durée des procédures juridictionnelles, qui échappent à son contrôle.

45      Par la cinquième branche du premier moyen, la Commission fait valoir que l’effet ex tunc des arrêts des juridictions de l’Union n’entraîne pas l’obligation de verser des intérêts de retard à compter de la date du paiement provisoire de l’amende.

46      La Commission soutient à cet égard que, si l’annulation d’un acte par une juridiction de l’Union a pour effet d’éliminer rétroactivement cet acte de l’ordre juridique de l’Union, il n’en reste pas moins que, avant l’arrêt Deutsche Telekom de 2018, elle n’avait aucune obligation de rembourser l’amende, d’autant plus que ses décisions bénéficient d’une présomption de validité. La Commission souligne que l’effet ex tunc d’un arrêt annulant ou réduisant une amende ne saurait l’obliger à verser des intérêts à compter du paiement provisoire de cette amende, alors qu’elle n’était, à la date de ce paiement, ni tenue ni en mesure de rembourser ladite amende.

47      La Commission ajoute que, contrairement à ce qu’a jugé le Tribunal, la créance principale, c’est-à-dire le montant de l’amende indûment perçu, n’était, à cette date, en aucun cas « certaine quant à son montant ou du moins déterminable sur la base d’éléments objectifs établis », au sens de l’arrêt Printeos (point 55).

48      Par la sixième branche du premier moyen, la Commission fait valoir que le paiement d’intérêts de retard imposé par l’arrêt attaqué porte atteinte à l’effet dissuasif des amendes.

49      La Commission estime que cet effet doit être pris en compte lors de la fixation du montant d’une amende. Elle relève, à cet égard, que, ne pouvant déterminer à l’avance l’issue des éventuels recours formés contre ses décisions infligeant une amende et la durée des procédures juridictionnelles correspondantes, elle n’est pas en mesure, lorsqu’elle fixe le montant d’une amende, de mettre en balance ledit effet et le montant des intérêts de retard qu’elle pourrait le cas échéant être tenue de verser. En outre, le caractère disproportionné de ces intérêts, qui pourraient, selon la Commission, atteindre plus de la moitié du montant des amendes, compromettrait l’effet dissuasif de celles-ci.

50      Deutsche Telekom conteste l’argumentation de la Commission dans son ensemble et estime que le premier moyen doit être rejeté.

 Appréciation de la Cour

51      Il ressort de l’article 266, premier alinéa, TFUE que l’institution dont émane l’acte annulé doit prendre les mesures que comporte l’exécution de l’arrêt déclarant cet acte nul et non avenu avec effet ex tunc. Cela induit, notamment, le paiement des sommes indûment perçues sur la base dudit acte ainsi que le versement d’intérêts (voir, en ce sens, arrêts du 12 février 2015, Commission/IPK International, C‑336/13 P, EU:C:2015:83, point 29, ainsi que du 5 septembre 2019, Union européenne/Guardian Europe et Guardian Europe/Union européenne, C‑447/17 P et C‑479/17 P, EU:C:2019:672, point 55).

52      Il ressort également d’une jurisprudence constante que le versement d’intérêts constitue une mesure d’exécution de l’arrêt d’annulation, au sens de l’article 266, premier alinéa, TFUE, en ce qu’il vise à indemniser forfaitairement la privation de jouissance d’une créance et, par ailleurs, après le prononcé de cet arrêt d’annulation, à inciter le débiteur à exécuter celui-ci dans les plus brefs délais (voir, en ce sens, arrêts du 12 février 2015, Commission/IPK International, C‑336/13 P, EU:C:2015:83, point 30, et du 10 octobre 2001, Corus UK/Commission, T171/99, EU:T:2001:249, points 53 et 54 ainsi que jurisprudence citée).

53      Il découle ainsi de l’article 266, premier alinéa, TFUE que, en cas d’annulation ou de réduction avec effet ex tunc, par une juridiction de l’Union, d’une amende infligée par une décision de la Commission pour violation des règles de concurrence, cette institution est tenue de rembourser tout ou partie du montant de l’amende payée à titre provisoire, assorti d’intérêts pour la période allant de la date du paiement provisoire de cette amende à la date du remboursement de celle-ci.

54      L’obligation de restituer des sommes d’argent indûment perçues avec des intérêts ne s’applique d’ailleurs pas seulement aux institutions, aux organes et aux organismes de l’Union, mais aussi aux autorités des États membres.

55      À cet égard, conformément à une jurisprudence constante, tout administré auquel une autorité nationale a imposé le paiement d’une taxe, d’un droit, d’un impôt ou d’un autre prélèvement en violation du droit de l’Union a le droit, en vertu de ce dernier, d’obtenir de la part de cette autorité non seulement le remboursement de la somme d’argent indûment perçue, mais aussi le versement d’intérêts visant à compenser l’indisponibilité de cette dernière [voir, en ce sens, arrêts du 9 novembre 1983, San Giorgio, 199/82, EU:C:1983:318, point 12 ; du 8 mars 2001, Metallgesellschaft e.a., C‑397/98 et C‑410/98, EU:C:2001:134, point 84 ; du 19 juillet 2012, Littlewoods Retail e.a., C‑591/10, EU:C:2012:478, points 24 à 26 ; du 9 septembre 2021, Hauptzollamt B (Réduction fiscale facultative), C‑100/20, EU:C:2021:716, points 26 et 27, ainsi que du 28 avril 2022, Gräfendorfer Geflügel- und Tiefkühlfeinkost Produktions e.a., C‑415/20, C‑419/20 et C‑427/20, EU:C:2022:306, points 51 et 52].

56      Par conséquent, lorsque des sommes d’argent ont été perçues en violation du droit de l’Union, que ce soit par une autorité nationale ou une institution, un organe ou un organisme de l’Union, ces sommes d’argent doivent être restituées et cette restitution doit être majorée d’intérêts couvrant toute la période allant de la date de paiement de ces sommes d’argent à la date de leur restitution, ce qui constitue l’expression d’un principe général de répétition de l’indu (voir, en ce sens, arrêt du 28 avril 2022, Gräfendorfer Geflügel- und Tiefkühlfeinkost Produktions e.a., C‑415/20, C‑419/20 et C‑427/20, EU:C:2022:306, point 53 ainsi que jurisprudence citée).

57      En jugeant, au point 111 de l’arrêt attaqué, au terme d’un raisonnement prenant appui, notamment, sur l’arrêt Printeos, que la Commission avait méconnu l’article 266, premier alinéa, TFUE en refusant de verser des intérêts à Deutsche Telekom sur le montant de l’amende indûment perçu au titre de la période en cause, le Tribunal n’a donc pas commis d’erreur de droit. Il n’a fait que réaffirmer, à l’instar de cet arrêt Printeos, les principes, rappelés aux points 51 à 56 du présent arrêt, découlant d’une jurisprudence bien établie sur laquelle il n’y a pas lieu de revenir.

58      Il convient de souligner dans ce contexte que, contrairement à ce que soutient la Commission, l’indemnité que le Tribunal a condamné celle-ci à payer à Deutsche Telekom, par l’arrêt attaqué, ne correspond pas à des « intérêts de retard à caractère de sanction ». En effet, avant la date du prononcé de l’arrêt Deutsche Telekom de 2018, la Commission n’était aucunement obligée de restituer le montant de l’amende à Deutsche Telekom, que ce soit partiellement ou dans son intégralité, eu égard, tout d’abord, à la force exécutoire des décisions de la Commission qui comportent, à la charge des personnes autres que les États membres, une obligation pécuniaire, ensuite, à l’absence d’effet suspensif, en vertu de l’article 278 TFUE, des recours formés devant une juridiction de l’Union et, enfin, à la présomption de validité dont bénéficient les décisions de la Commission aussi longtemps qu’elles n’ont pas été annulées ou retirées (voir, en ce sens, arrêt du 17 juin 2010, Lafarge/Commission, C‑413/08 P, EU:C:2010:346, point 81 et jurisprudence citée). Partant, c’est seulement à partir de cette date que la Commission supportait une obligation de restitution et aurait pu, à défaut de remboursement immédiat du montant de l’amende indûment perçu, être considérée comme étant en retard dans l’exécution de cette obligation. En l’occurrence, il est toutefois constant entre les parties que, après le prononcé de l’arrêt Deutsche Telekom de 2018, la Commission a procédé au remboursement à Deutsche Telekom du montant de l’amende indûment perçu.

59      Certes, à l’instar de la jurisprudence sur laquelle il s’est fondé, le Tribunal a, dans l’arrêt attaqué, qualifié à plusieurs reprises les intérêts dus par la Commission en l’espèce d’« intérêts moratoires » ou d’« intérêts de retard », notions qui renvoient à l’existence d’un retard de paiement d’un débiteur ainsi qu’à une intention de sanctionner celui-ci.

60      Toutefois, une telle qualification, pour contestable qu’elle soit eu égard à la finalité des intérêts en cause, n’est pas de nature à remettre en cause la validité, au regard des principes rappelés aux points 51 à 56 du présent arrêt, du raisonnement au terme duquel le Tribunal a considéré que la Commission était tenue d’assortir le remboursement du montant indûment perçu d’intérêts visant à indemniser forfaitairement l’entreprise en cause pour la privation de jouissance de ce montant.

61      Quant à la circonstance, mise en avant par la Commission, que les intérêts au paiement desquels le Tribunal l’a condamnée dans l’arrêt attaqué se rapportent à la période allant de la date de paiement à titre provisoire de l’amende à la date du remboursement du montant indûment perçu à la suite de l’arrêt réduisant cette amende et qu’ils concernent ainsi une période en très grande partie antérieure à cet arrêt, elle est la conséquence de l’effet ex tunc qui s’attache à un tel arrêt et de l’obligation pour la Commission, découlant de l’article 266, premier alinéa, TFUE, de se conformer à cet arrêt en replaçant l’entreprise concernée dans la situation qui eût été la sienne si elle n’avait pas été privée, pendant toute cette période, de la jouissance de la somme correspondant à ce montant indûment perçu. À cet égard, il est constant, compte tenu du droit de recours existant contre toute décision de la Commission infligeant une amende, que, lorsque l’amende a été payée à titre provisoire par l’entreprise concernée, la Commission peut, le cas échéant, être tenue de prendre les mesures d’exécution d’un arrêt annulant une telle décision en tout ou en partie, telles que rappelées aux points 51 à 53 du présent arrêt.

62      De même, l’argumentation de la Commission selon laquelle il n’y a pas eu, en l’occurrence, de violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit ni de preuve suffisante d’un dommage subi par Deutsche Telekom ne saurait aboutir. En effet, lorsqu’elle est obligée, en vertu de l’article 266, premier alinéa, TFUE, d’assortir d’intérêts le remboursement d’une somme d’argent déterminée, la Commission ne dispose d’aucune marge d’appréciation quant à l’opportunité de verser ces intérêts, de sorte que la simple infraction au droit de l’Union, consistant dans le refus de les payer, suffit à établir l’existence d’une violation suffisamment caractérisée de ce droit, susceptible d’engager la responsabilité non contractuelle de l’Union (voir, en ce sens, arrêt Printeos, points 103 et 104). Or, en l’espèce, la Commission était, conformément à cette disposition, tenue, à la suite de l’arrêt Deutsche Telekom de 2018, d’assortir d’intérêts le remboursement du montant de l’amende indûment perçu, ainsi que le Tribunal l’a correctement jugé au point 112 de l’arrêt attaqué. Par ailleurs, ces intérêts revêtant un caractère « forfaitaire » ainsi qu’il ressort de la jurisprudence rappelée au point 52 du présent arrêt, la Commission ne saurait échapper à cette obligation au motif que Deutsche Telekom n’a pas suffisamment prouvé l’existence d’un préjudice.

63      Dans ces conditions, les première, deuxième, quatrième et cinquième branches du premier moyen doivent être écartées.

64      De même, le Tribunal n’a pas commis d’erreur de droit en rejetant les arguments de la Commission tirés des dispositions de l’article 90 du règlement délégué no 1268/2012. En effet, ainsi qu’il l’a, à juste titre, relevé au point 98 de l’arrêt attaqué, lorsque les intérêts « produits » visés à l’article 90, paragraphe 4, de ce règlement délégué sont d’un montant inférieur à celui des intérêts dus en vertu de l’obligation d’indemnisation forfaitaire, voire lorsqu’il n’y a pas d’intérêts produits, le rendement du capital investi ayant été négatif, la Commission est néanmoins tenue, au titre de l’article 266, premier alinéa, TFUE, de verser à l’intéressé la différence entre le montant des éventuels « intérêts produits », au sens de l’article 90, paragraphe 4, dudit règlement délégué, et celui des intérêts dus pour la période allant de la date du paiement de la somme en question à la date de son remboursement (voir, en ce sens, arrêt Printeos, points 75 et 76).

65      À cet égard, ainsi que la Commission l’a elle-même relevé et comme l’a également souligné M. l’avocat général au point 77 de ses conclusions, l’obligation découlant pour cette institution de l’article 90, paragraphe 4, du règlement délégué no 1268/2012, de verser à l’entreprise concernée les « intérêts produits » vise avant tout à éviter un enrichissement sans cause de l’Union. Cette obligation éventuelle est toutefois sans préjudice de celle pesant, en tout état de cause, sur ladite institution, en vertu de l’article 266, premier alinéa, TFUE, d’indemniser forfaitairement cette entreprise pour la privation de jouissance, résultant du transfert à la Commission de la somme d’argent correspondant au montant de l’amende indûment payé, y compris lorsque l’investissement du montant de l’amende payée par ladite entreprise à titre provisoire n’a pas produit de rendement supérieur au taux de refinancement de la BCE majoré de 3,5 points de pourcentage.

66      Par ailleurs, s’il est vrai que, conformément à l’article 90, paragraphe 2, du règlement délégué no 1268/2012, la Commission veille à la préservation des montants encaissés à titre provisoire en les investissant dans des actifs financiers, assurant ainsi la sécurité et la liquidité des fonds tout en visant à obtenir un retour sur investissement positif, il ressort également de cette disposition que l’entreprise qui a payé à titre provisoire l’amende qui lui a été infligée n’exerce aucune influence sur les conditions dans lesquelles le montant de cette amende est investi. Or, la Commission n’est pas parvenue à expliquer les raisons pour lesquelles, dans de telles circonstances, les risques auxquels de tels investissements sont exposés devraient être supportés par l’entreprise qui a payé à titre provisoire l’amende infligée sur le fondement d’un acte partiellement ou entièrement illégal.

67      Dans ces conditions, la troisième branche du premier moyen doit être écartée.

68      En ce qui concerne l’argumentation de la Commission selon laquelle le fait de lui imposer le paiement d’intérêts à compter de la date de la perception provisoire de l’amende porte atteinte à l’effet dissuasif des amendes, la Cour fait siennes les considérations exposées par le Tribunal aux points 93 et 94 de l’arrêt attaqué selon lesquelles la fonction dissuasive des amendes doit être conciliée avec les exigences tenant à une protection juridictionnelle effective. Or, celles-ci impliquent que, en cas d’annulation ou de réduction, par un arrêt d’une juridiction de l’Union, d’une amende payée provisoirement par l’entreprise en cause, celle-ci reçoive, compte tenu tant de l’article 266, premier alinéa, TFUE que de l’effet ex tunc d’un tel arrêt, une indemnisation forfaitaire pour la privation de la jouissance de la somme correspondant au montant indûment perçu par la Commission, pour la période comprise entre la date de ce paiement provisoire et celle du remboursement de cette somme par cette institution. En tout état de cause, l’effet dissuasif des amendes ne saurait être invoqué dans le contexte d’amendes qui ont été annulées ou réduites par une juridiction de l’Union, la Commission n’étant pas en mesure de se prévaloir d’un acte déclaré illégal à des fins de dissuasion.

69      Dans ces conditions, la sixième branche du premier moyen doit également être écartée.

70      Eu égard à ce qui précède, il convient de rejeter le premier moyen de la Commission comme étant non fondé.

 Sur le second moyen

 Argumentation des parties

71      Par son second moyen, la Commission fait valoir que le Tribunal a commis une erreur de droit en considérant, aux points 114 à 138 de l’arrêt attaqué, que le taux applicable aux intérêts que la Commission est tenue de payer s’élève, par analogie avec l’article 83, paragraphe 2, sous b), du règlement délégué no 1268/2012, au taux de refinancement de la BCE majoré de 3,5 points de pourcentage.

72      La Commission rappelle que la Cour a jugé, dans l’arrêt du 5 septembre 2019, Union européenne/Guardian Europe et Guardian Europe/Union européenne (C‑447/17 P et C‑479/17 P, EU:C:2019:672, point 56), que, pour la détermination des intérêts à payer à la suite de l’annulation d’une amende, il convenait d’appliquer le taux fixé par les dispositions du règlement délégué no 1268/2012, sans toutefois identifier la disposition précise de ce règlement délégué à laquelle il y avait lieu de se référer.

73      Toutefois, l’arrêt Printeos, auquel renvoie le point 121 de l’arrêt attaqué, aurait interprété l’arrêt du 5 septembre 2019, Union européenne/Guardian Europe et Guardian Europe/Union européenne (C‑447/17 P et C‑479/17 P, EU:C:2019:672), en ce sens que ce dernier arrêt se référait à l’article 83 dudit règlement délégué. Le Tribunal en aurait déduit, aux points 133 et 134 de l’arrêt attaqué, qu’il y avait lieu d’appliquer, par analogie, l’article 83, paragraphe 2, sous b), du même règlement délégué qui impose le paiement d’intérêts au taux de refinancement de la BCE majoré de 3,5 points de pourcentage.

74      Or, selon la Commission, d’une part, une telle application par analogie ne se justifie pas, dans la mesure où l’article 83 du règlement délégué no 1268/2012 régit les intérêts de retard dus par les débiteurs de la Commission en cas de paiement tardif en prévoyant une procédure spécifique à cette fin.

75      D’autre part, il ne pourrait être déduit de l’arrêt Printeos que la Cour, qui se prononçait sur le calcul d’intérêts composés, ait voulu appliquer, par analogie, le taux visé à l’article 83, paragraphe 2, sous b), du règlement délégué no 1268/2012 pour le calcul d’intérêts moratoires. D’ailleurs, ni le Tribunal dans son arrêt du 12 février 2019, Printeos/Commission (T‑201/17, EU:T:2019:81), ni la Cour statuant sur pourvoi dans cette affaire dans l’arrêt Printeos n’auraient accordé des intérêts moratoires au taux prévu par cette disposition.

76      Si, toutefois, la Cour devait estimer qu’un taux d’intérêt fixé à l’article 83 du règlement délégué no 1268/2012 doit être appliqué, la Commission est d’avis que, sauf à fixer un autre taux d’intérêt approprié, il convient de retenir, par analogie avec l’article 83, paragraphe 4, de ce règlement délégué, le taux de refinancement de la BCE majoré de 1,5 point de pourcentage, appliqué par la Commission dans le cas où le destinataire d’une décision infligeant une amende constitue une garantie bancaire au lieu de payer cette amende à titre provisoire. Cette situation serait suffisamment comparable à celle de la présente espèce, car, dans les deux cas, les intérêts compensent l’impossibilité, pour la Commission dans le premier cas et pour l’entreprise concernée dans le second, de disposer librement du montant de l’amende pendant la durée de la procédure judiciaire.

77      Deutsche Telekom conteste l’argumentation de la Commission et estime que le second moyen doit également être rejeté.

 Appréciation de la Cour

78      Il ressort de la jurisprudence de la Cour que, aux fins de la détermination du montant des intérêts qui doivent être versés à une entreprise ayant payé une amende infligée par la Commission, à la suite de l’annulation ou de la réduction de cette amende, cette institution doit appliquer le taux fixé à cet effet par le règlement délégué no 1268/2012 (voir, en ce sens, arrêt du 5 septembre 2019, Union européenne/Guardian Europe et Guardian Europe/Union européenne, C‑447/17 P et C‑479/17 P, EU:C:2019:672, point 56). La Cour a, en outre, précisé qu’il s’agit non pas d’une référence à l’article 90 de ce règlement délégué, qui ne mentionne aucun taux d’intérêt spécifique, mais à l’article 83 dudit règlement délégué, qui fixe le taux d’intérêt pour les créances non remboursées à la date limite (voir, en ce sens, arrêt Printeos, point 81).

79      L’article 83 du règlement délégué no 1268/2012, qui comportait les règles d’application du règlement financier de 2012 alors en vigueur, prévoyait plusieurs taux d’intérêt à cet effet, qui correspondaient tous au taux de refinancement de la BCE, majoré de différents points de pourcentage. Conformément à l’article 83, paragraphe 2, sous a) et b), de ce règlement délégué, la majoration était, respectivement, de 8 points de pourcentage lorsque la créance avait pour fait générateur un marché public de fournitures et de services et de 3,5 points de pourcentage dans tous les autres cas. En outre, lorsque le débiteur avait constitué une garantie financière acceptée par le comptable en lieu et place du paiement d’une amende, l’article 83, paragraphe 4, dudit règlement délégué prévoyait une majoration de 1,5 point de pourcentage.

80      En l’occurrence, le Tribunal n’a retenu aucun des deux taux d’intérêt relatifs aux cas spécifiques visés, respectivement, à l’article 83, paragraphe 2, sous a), et paragraphe 4, du règlement délégué no 1268/2012. Il a retenu le taux prévu, à titre supplétif pour « tous les autres cas », par l’article 83, paragraphe 2, sous b), de ce règlement délégué.

81      C’est ainsi que, au point 136 de l’arrêt attaqué, aux fins de la fixation de l’indemnisation forfaitaire de Deutsche Telekom pour la privation de la jouissance de ses fonds, le Tribunal a, sur le fondement de l’analyse qu’il a effectuée aux points 125 à 135 de cet arrêt, retenu comme taux applicable, par analogie, le taux prévu à l’article 83, paragraphe 2, sous b), du règlement délégué no 1268/2012, à savoir le taux de refinancement de la BCE majoré de 3,5 points de pourcentage.

82      Le Tribunal a donc accordé à Deutsche Telekom, au point 137 dudit arrêt, à titre de réparation du préjudice que lui a causé la violation suffisamment caractérisée de l’article 266, premier alinéa, TFUE, une indemnité dont le montant de 1 750 522,83 euros correspond à la perte d’intérêts au taux de 3,55 %, au cours de la période en cause, sur le montant de l’amende indûment perçu.

83      Certes, comme l’a fait valoir la Commission, l’article 83, paragraphe 2, sous b), du règlement délégué no 1268/2012 ne fixe pas le taux des intérêts correspondant à une indemnisation forfaitaire de la nature de celle en cause dans la présente espèce. En effet, cette disposition vise l’hypothèse, étrangère à la présente affaire, d’un retard de paiement, à savoir celle dans laquelle une créance n’est pas remboursée à la date limite prévue. C’est précisément le fait que ni cet article 83 ni aucune autre disposition de ce règlement délégué ne fixait ce taux qui a conduit le Tribunal à procéder, dans le cadre de l’exercice de sa marge d’appréciation, à une application « par analogie » de l’article 83, paragraphe 2, sous b), dudit règlement délégué.

84      Il n’en découle pas pour autant que, en appliquant le taux fixé par cette disposition, qui, par ailleurs, n’apparaît pas déraisonnable ou disproportionné au regard de la finalité des intérêts en cause, le Tribunal aurait commis une erreur de droit dans l’exercice de la compétence qui lui est reconnue dans le cadre des procédures visant à l’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union.

85      À cet égard, il importe de souligner que la Commission ne saurait, alors que le montant de l’amende qu’elle avait infligée à Deutsche Telekom et que cette entreprise lui avait payée provisoirement a été réduit par le Tribunal, être placée dans une situation plus favorable que celle dans laquelle Deutsche Telekom se serait trouvée si elle avait vu son recours rejeté après avoir choisi, plutôt que de procéder à un tel paiement provisoire, de constituer une garantie bancaire dans l’attente de l’issue de la procédure judiciaire initiée par l’introduction de son recours. Or, dans cette dernière situation, Deutsche Telekom aurait été exposée à une charge d’intérêts calculés au taux de 1,55 %, conformément à l’article 83, paragraphe 4, du règlement délégué no 1268/2012, à laquelle se seraient ajoutés les frais de constitution de cette garantie bancaire.

86      Pour ces motifs, ne saurait être accueillie l’argumentation de la Commission visant, à titre subsidiaire, à voir plafonner le montant des intérêts dus à Deutsche Telekom à ce taux de 1,55 %.

87      À cela s’ajoute le fait que, comme le Tribunal l’a correctement indiqué, aux points 127 et 131 de l’arrêt attaqué, la situation d’une entreprise qui, tout en ayant introduit un recours contre la décision de la Commission de lui infliger une amende, a payé cette amende à titre provisoire se distingue de celle d’une entreprise qui constitue une garantie bancaire dans l’attente de l’épuisement des voies de recours. En effet, dans le cas où une entreprise a constitué une garantie bancaire et a bénéficié, en conséquence, d’un sursis de paiement, elle n’a, à la différence de celle qui a procédé au paiement provisoire de l’amende, pas transféré à la Commission la somme d’argent correspondant au montant de l’amende infligée, de sorte que la Commission ne pourra être tenue de lui restituer un montant indûment perçu. Le seul préjudice financier éventuellement subi par l’entreprise concernée résulte de sa propre décision de constituer une garantie bancaire.

88      Enfin, s’il est vrai que, ainsi que l’a souligné la Commission, la Cour n’a, dans l’arrêt Printeos, pas accordé d’intérêts au taux de refinancement de la BCE majoré de 3,5 points de pourcentage sur le montant de l’amende à rembourser, c’est en raison du fait que la partie demanderesse en première instance, dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt, ne demandait, en relation avec un tel montant, que l’application du taux de refinancement de la BCE majoré de 2 points de pourcentage.

89      Il convient encore de souligner que, si la Commission devait considérer que les dispositions réglementaires actuelles ne prennent pas adéquatement en compte une situation telle que celle à l’origine de la présente affaire, il reviendrait à elle ou, le cas échéant, au législateur de l’Union de procéder aux adaptations nécessaires dans l’intérêt de la sécurité juridique et de la prévisibilité de l’action de la Commission.

90      Cela étant, eu égard au fait que l’obligation de la Commission d’assortir d’intérêts le remboursement d’une amende totalement ou partiellement annulée par une juridiction de l’Union découle de l’article 266, premier alinéa, TFUE, toute nouvelle méthode ou modalité de calcul de ces intérêts doit respecter les objectifs poursuivis par de tels intérêts. Par conséquent, le taux applicable à ces intérêts ne pourrait se limiter à compenser la dépréciation monétaire survenue pendant la période pour laquelle les intérêts doivent être payés, sans couvrir l’indemnisation forfaitaire à laquelle l’entreprise ayant payé cette amende a droit en raison du fait qu’elle a été privée pendant un certain temps de la jouissance des fonds correspondant au montant indûment perçu par la Commission.

91      Eu égard à ce qui précède, il convient de constater que le Tribunal n’a pas commis d’erreur de droit lorsqu’il a fixé l’indemnisation forfaitaire de Deutsche Telekom en procédant, compte tenu de la finalité des intérêts en cause et de l’obligation qui lui était faite de réparer le préjudice subi par celle-ci, à une application par analogie du taux d’intérêt prévu à l’article 83, paragraphe 2, sous b), du règlement délégué no 1268/2012. Partant, le second moyen doit également être rejeté.

92      Aucun des moyens invoqués par la Commission au soutien de son pourvoi n’ayant été accueilli, il convient de rejeter celui-ci dans son intégralité.

 Sur les dépens

93      Aux termes de l’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure, lorsque le pourvoi n’est pas fondé, la Cour statue sur les dépens.

94      Conformément à l’article 138, paragraphe 1, de ce règlement de procédure, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, dudit règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

95      La Commission ayant succombé en ses moyens et Deutsche Telekom ayant conclu à sa condamnation, il y a lieu de la condamner aux dépens.

Par ces motifs, la Cour (grande chambre) déclare et arrête :

1)      Le pourvoi est rejeté.

2)      La Commission européenne est condamnée aux dépens.

Signatures


*      Langue de procédure : l’allemand.