ORDONNANCE DU PRÉSIDENT DE LA COUR
7 février 2014 (*)
«Procédure accélérée»
Dans l’affaire C‑453/13,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la High Court of Justice (England and Wales), Queen’s Bench Division (Administrative Court) (Royaume‑Uni), par décision du 16 juillet 2013, parvenue à la Cour le 12 août 2013, dans la procédure
The Queen, à la demande de:
Newby Foods Ltd,
contre
Food Standards Agency,
LE PRÉSIDENT DE LA COUR,
vu la proposition de M. D. Šváby, juge rapporteur,
l’avocat général, M. M. Szpunar, entendu,
rend la présente
Ordonnance
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des points 1.14 et 1.15 de l’annexe I du règlement (CE) n° 853/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, fixant des règles spécifiques d’hygiène applicables aux denrées alimentaires d’origine animale (JO L 139, p. 55).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Newby Foods Ltd (ci-après «Newby Foods») à la Food Standards Agency (ci‑après la «FSA») au sujet d’une décision de cette dernière publiée le 4 avril 2012, intitulée «Moratoire sur la viande dénervée» (ci-après le «moratoire»).
3 L’annexe I du règlement n° 853/2004 contient notamment les définitions suivantes:
«[…]
1.14. ‘viandes séparées mécaniquement ou VSM’: le produit obtenu par l’enlèvement de la viande des os couverts de chair après le désossage ou des carcasses de volailles, à l’aide de moyens mécaniques entraînant la destruction ou la modification de la structure fibreuse des muscles;
1.15. ‘préparations de viandes’: les viandes fraîches, y compris les viandes qui ont été réduites en fragments, auxquelles ont été ajoutés des denrées alimentaires, des condiments ou des additifs ou qui ont subi une transformation insuffisante pour modifier à cœur la structure fibreuse des muscles et ainsi faire disparaître les caractéristiques de la viande fraîche;
[…]»
4 Il résulte de la décision de renvoi que Newby Foods a mis au point une machine qui permet d’enlever, par le frottement des os entre eux, la majeure partie de la chair restant attachée aux os après le désossage. La matière ainsi obtenue s’écoule ensuite à travers une plaque perforée dont les ouvertures ont un diamètre de 10 mm, avant d’être introduite dans un hachoir dont les ouvertures ont un diamètre de 3 mm.
5 Le produit final – dit «viande dénervée», car une partie importante des tendons et du cartilage est retirée lors des opérations de hachage – ressemble à de la viande hachée ordinaire. Produit au Royaume-Uni depuis le milieu des années 1990, il aurait été exporté dans divers États membres en tant que préparation de viandes.
6 Selon Newby Foods, le produit obtenu par ce procédé doit effectivement être qualifié de «préparation de viandes» au sens du point 1.15 de l’annexe I du règlement n° 853/2004, et non de «viande séparée mécaniquement ou VSM» au sens du point 1.14 de cette annexe. En effet, ce produit ne présenterait pas une destruction ou une modification substantielle de la structure fibreuse des muscles, alors que tel serait la caractéristique essentielle des viandes séparées mécaniquement. Par ailleurs, il ne contiendrait que rarement des morceaux d’os, d’enveloppe d’os ou de moelle osseuse.
7 L’enjeu de cette qualification est essentiellement financier. En effet, la valeur commerciale des produits qualifiés de VSM est considérablement inférieure à celle des produits qualifiés de préparations de viandes. En outre, conformément à l’annexe V, point 5, du règlement (CE) n° 999/2001 du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2001, fixant les règles pour la prévention, le contrôle et l’éradication de certaines encéphalopathies spongiformes transmissibles (JO L 147, p. 1), tel que modifié par le règlement (CE) n° 722/2007 de la Commission, du 25 juin 2007 (JO L 164, p. 7), l’utilisation des os ou des morceaux non désossés provenant de bovins, d’ovins et de caprins pour la fabrication de VSM est interdite dans tous les États membres. Par ailleurs, conformément aux dispositions de l’annexe III, section V, chapitres II et III, du règlement n° 853/2004, les exigences relatives aux matières premières et les règles d’hygiène à observer pendant et après la production diffèrent selon qu’il s’agit de VSM ou de préparations de viandes.
8 À la suite de plusieurs contacts avec la Commission européenne ainsi que d’un audit réalisé par l’Office alimentaire et vétérinaire de la Commission, la FSA a adopté le moratoire. Celui-ci interdit la production de viande dénervée à base d’os de bovins et d’ovins, et impose que la viande dénervée produite à base d’os de porc et de carcasses de volailles soit étiquetée en tant que VSM. Néanmoins, cette agence considère que la viande dénervée doit être qualifiée de préparation de viandes et soutient, au surplus, que ce produit ne présente pas de risque pour la santé publique.
9 Saisie d’un recours introduit par Newby Foods contre le moratoire, la High Court of Justice (England and Wales), Queen’s Bench Division (Administrative Court), a estimé que l’interprétation des points 1.14 et 1.15 de l’annexe I du règlement n° 853/2004 est nécessaire pour lui permettre de juger l’affaire pendante devant elle. En conséquence, elle a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour des questions préjudicielles.
10 Par lettres des 1er et 11 octobre 2013, parvenues au greffe de la Cour le 16 octobre 2013, la juridiction de renvoi a demandé que son renvoi préjudiciel soit soumis à la procédure accélérée prévue à l’article 105 du règlement de procédure de la Cour.
11 Aux termes du paragraphe 1 de cette disposition, à la demande de la juridiction de renvoi ou, à titre exceptionnel, d’office, le président de la Cour peut, lorsque la nature de l’affaire exige son traitement dans de brefs délais, le juge rapporteur et l’avocat général entendus, décider de soumettre un renvoi préjudiciel à une procédure accélérée dérogeant aux dispositions dudit règlement.
12 À l’appui de sa demande de traitement accéléré, la juridiction de renvoi fait valoir un ensemble de raisons qui, pour l’essentiel, peuvent être synthétisées comme suit.
13 L’interprétation du point 1.14 de l’annexe I du règlement n° 853/2004 intéresserait les producteurs de viande de l’ensemble des États membres. Plusieurs parmi ces derniers prôneraient une interprétation de cette disposition contraire à celle adoptée par la Commission, avec pour conséquence que des produits de viandes identiques (les produits dits «viandes dénervées») circuleraient dans l’Union européenne sous des appellations différentes, à savoir «VSM» ou «préparations de viandes». Dans ces conditions, les États membres sur le territoire desquels cette dernière appellation serait considérée comme irrégulière pour les produits concernés pourraient interdire la circulation de ces derniers, voire, le cas échéant, celle de l’ensemble des produits étiquetés «préparations de viandes» provenant du Royaume-Uni ou d’autres États membres. Persuadée que le point de vue de la Commission et donc l’interprétation de la disposition susmentionnée dont procède le moratoire sont incorrects et, dès lors, font peser une menace sérieuse sur l’entreprise de la requérante au principal ainsi que sur les autres producteurs de produits dits «viandes dénervées», ladite juridiction a provisoirement autorisé la requérante au principal à reprendre la production de ce type de produits.
14 Toutefois, ces éléments ne sont pas de nature à établir l’urgence à statuer dans de brefs délais par application de l’article 105, paragraphe 1, du règlement de procédure.
15 En effet, tout d’abord, le nombre important de personnes ou de situations juridiques potentiellement concernées par la décision qu’une juridiction de renvoi doit rendre après avoir saisi la Cour à titre préjudiciel n’est pas de nature, en tant que tel, à justifier le recours à la procédure accélérée (voir en ce sens, notamment, ordonnance du président de la Cour du 23 octobre 2009, Lesoochranárske zoskupenie, C‑240/09, point 11 et jurisprudence citée). Il ne saurait en être autrement s’agissant des décisions préjudicielles rendues par la Cour, qui, par leur nature même, intéressent l’ensemble des personnes concernées par la réglementation de l’Union en cause. Au demeurant, il y a lieu de souligner que les affirmations qui figurent à ce sujet dans la demande de procédure accélérée ne sont pas étayées. En outre, la décision de renvoi reproduit partiellement le texte de la lettre de la FSA du 4 avril 2012 introduisant le moratoire, aux termes de laquelle le procédé de fabrication au centre de l’affaire au principal n’est utilisé que par «une toute petite partie de [l’]industrie de transformation de la viande [du Royaume-Uni]».
16 Ensuite, quant aux risques de nature patrimoniale qu’évoque la juridiction de renvoi, il convient de constater que celle-ci n’en précise pas l’ampleur (voir, par analogie, ordonnance du président de la Cour, Lesoochranárske zoskupenie, précitée, point 12 et jurisprudence citée). En toute hypothèse, il y a lieu de rappeler qu’un risque de perte économique et, plus généralement, l’importance de l’enjeu financier de l’affaire au principal, à les supposer avérés, ne sont pas non plus de nature, en tant que tels, à justifier le recours à la procédure accélérée (voir, en ce sens, ordonnances du président de la Cour du 21 septembre 2009, Fluxys, C‑241/09, point 11 et jurisprudence citée, ainsi que du 19 octobre 2009, Accor, C‑310/09, point 10 et jurisprudence citée).
17 En outre, il est de jurisprudence constante que l’incertitude juridique affectant la requérante au principal n’est pas susceptible de constituer une circonstance exceptionnelle de nature à justifier le recours à une procédure accélérée (voir en ce sens, notamment, ordonnances du président de la Cour du 8 septembre 2011, O e.a., C-356/11 et C‑357/11, point 14, ainsi que du 7 février 2012, MA e.a., C‑648/11, point 12).
18 Enfin, il en va de même de l’argument tenant à la divergence pouvant exister entre l’interprétation des points 1.14 et 1.15 de l’annexe I du règlement n° 853/2004 par la Commission, d’une part, et par certains États membres, d’autre part, et à l’éventuelle violation des dispositions du droit de l’Union qui en résulterait. En effet, l’importance d’assurer l’application uniforme dans l’Union de toutes les dispositions qui font partie de son ordre juridique est inhérente à toute demande présentée en vertu de l’article 267 TFUE et ne saurait suffire, à elle seule, à caractériser une urgence justifiant que le renvoi préjudiciel soit soumis à une procédure accélérée (voir en ce sens, notamment, ordonnance du président de la Cour du 25 novembre 2011, Halaf, C-528/11, point 8).
19 Dans ces conditions, la demande de la High Court of Justice (England and Wales), Queen’s Bench Division (Administrative Court), tendant à ce que la présente affaire soit soumise à une procédure accélérée ne saurait être accueillie.
Par ces motifs, le président de la Cour ordonne:
La demande de la High Court of Justice (England & Wales), Queen’s Bench Division (Administrative Court) (Royaume-Uni), tendant à ce que l’affaire C‑453/13 soit soumise à la procédure accélérée prévue à l’article 105, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour est rejetée.
Signature