Affaire C‑508/13

République d’Estonie

contre

Parlement européen
et

Conseil de l’Union européenne

«Recours en annulation – Directive 2013/34/UE – Obligations en matière d’états financiers à la charge de certaines formes d’entreprises – Principes de subsidiarité et de proportionnalité – Obligation de motivation»

Sommaire – Arrêt de la Cour (deuxième chambre) du 18 juin 2015

1.        Recours en annulation – Objet – Annulation partielle – Condition – Caractère divisible de l’acte attaqué – Dispositions contestées consubstantielles à l’obtention des équilibres recherchés par la directive 2013/34 – Annulation entraînant une modification de la substance de la directive – Condition non remplie – Irrecevabilité

(Art. 263 TFUE; directive du Parlement européen et du Conseil 2013/34, art. 4, § 6 et 8, 6, § 3, et 16, § 3)

2.        Liberté d’établissement – Sociétés – Directive 2013/34 – Obligations en matière d’états financiers à la charge de certaines formes d’entreprises – Mesures prévues aux articles 4, paragraphes 6 et 8, 6, paragraphe 3, et 16, paragraphe 3 – Violation du principe de proportionnalité – Absence

(Directive du Parlement européen et du Conseil 2013/34, art. 4, § 6 et 8, 6, § 3, et 16, § 3)

3.        Liberté d’établissement – Sociétés – Directive 2013/34 – Obligations en matière d’états financiers à la charge de certaines formes d’entreprises – Violation du principe de subsidiarité – Absence

(Art. 5, § 3, TUE; directive du Parlement européen et du Conseil 2013/34)

4.        Droit de l’Union européenne – Principes – Principe de subsidiarité – Portée – Limitation de la compétence de l’Union en fonction de la situation d’un État membre plus avancé que d’autres – Exclusion

(Art. 5, § 3, TUE)

5.        Actes des institutions – Motivation – Obligation – Portée – Appréciation de l’obligation de motivation en fonction des circonstances de l’espèce – État membre ayant participé à la procédure législative – Moyen inopérant

(Art. 296 TFUE)

1.        L’annulation partielle d’un acte de l’Union n’est possible que dans la mesure où les éléments dont l’annulation est demandée sont détachables du reste de l’acte. Il n’est pas satisfait à cette exigence de divisibilité de l’acte attaqué lorsque l’annulation partielle de cet acte aurait pour effet de modifier sa substance.

Dès lors, doit être considéré comme irrecevable le recours d’un État membre visant à l’annulation partielle de l’article 4, paragraphes 6 et 8, et à l’annulation totale des articles 6, paragraphe 3, et 16, paragraphe 3, de la directive 2013/34, relative aux états financiers annuels, aux états financiers consolidés et aux rapports y afférents de certaines formes d’entreprises.

En effet, il résulte des considérants 4, 8 et 10 de ladite directive que la législation de l’Union harmonisant la comptabilité doit, d’une part, instaurer un juste équilibre entre les exigences contradictoires des utilisateurs de l’information financière et de leurs producteurs que sont les entreprises, et, d’autre part, tenir compte de la charge spéciale que représente la production de cette information pour les entreprises les plus petites.

Ainsi, le législateur de l’Union a, en adoptant la directive, cherché en substance à atteindre un double équilibre, à la fois entre entreprises et utilisateurs d’information financière, ainsi qu’entre grandes et petites entreprises, ces dernières supportant une charge administrative relativement supérieure aux premières lorsque les unes comme les autres doivent répondre en tous points aux mêmes exigences.

Or, les dispositions attaquées précitées, pour les unes, limitent la marge de manœuvre laissée aux États membres pour alourdir ladite charge administrative, et, pour les autres, prévoient une dérogation à l’harmonisation s’agissant d’un principe général de l’information financière. Il s’agit par conséquent de dispositions consubstantielles à l’obtention des équilibres recherchés par le législateur de l’Union mentionnés ci-dessus.

Il s’ensuit que l’annulation éventuelle des dispositions attaquées ne pourrait qu’affecter la substance de la directive et que, par conséquent, lesdites dispositions ne sauraient être regardées comme étant divisibles du cadre législatif qu’elle établit.

(cf. points 11‑16)

2.        En ce qui concerne le contrôle juridictionnel du respect du principe de proportionnalité, il convient de reconnaître un large pouvoir d’appréciation au législateur de l’Union dans des domaines qui impliquent de la part de ce dernier des choix de nature politique, économique et sociale, et dans lesquels il est appelé à effectuer des appréciations complexes. Ainsi, seul le caractère manifestement inapproprié d’une mesure adoptée en ces domaines, par rapport à l’objectif que l’institution compétente entend poursuivre, peut affecter la légalité d’une telle mesure.

S’agissant de l’objectif poursuivi par la directive 2013/34, relative aux états financiers annuels, aux états financiers consolidés et aux rapports y afférents de certaines formes d’entreprises, celle‑ci vise, d’une part, à établir des règles harmonisées concernant les informations financières à mettre à la disposition du public afin d’améliorer la comparabilité des états financiers annuels des entreprises dans l’ensemble de l’Union et, d’autre part, à éviter que l’application de ces règles ne constitue une charge pour les petites entreprises en prévoyant certaines dérogations en ce qui les concerne.

Or, il ne résulte pas de l’analyse des mesures prévues aux articles 4, paragraphes 6 et 8, 6, paragraphe 3, et 16, paragraphe 3, de ladite directive que le législateur de l’Union ait, en les adoptant, manifestement excédé les limites de son pouvoir d’appréciation.

En effet, d’une part, les dispositions précitées encadrent les possibilités laissées aux États membres d’exiger des petites entreprises qu’elles insèrent, dans leurs bilans, comptes de résultats et annexes, des obligations supplémentaires à celles que prévoit la directive de manière harmonisée. À cet égard, la directive interdit par principe aux États membres d’imposer à ces entreprises de telles exigences supplémentaires, et ne déroge à cette interdiction qu’en assortissant les exceptions qu’elle prévoit de limites précises. Au nombre de ces limites figure l’exigence, prévue à son article 4, paragraphe 6, que les obligations supplémentaires imposées par l’État membre soient déjà prévues dans la législation fiscale nationale et le soient aux seules fins de la perception de l’impôt.

En posant une telle limite, basée sur des critères objectifs, le législateur de l’Union a souhaité, en substance, que les petites entreprises ne soient pas tenues de fournir des documents ou renseignements d’ordre comptable en sus, d’une part, des obligations informatives prévues par la directive, et, d’autre part, des obligations déclaratives prévues par les législations fiscales nationales.

Une limite de cette nature est, à l’évidence, propre à réaliser un des objectifs visés par la directive, à savoir celui de limiter l’alourdissement de la charge administrative pesant sur les petites entreprises.

D’autre part, l’article 6, paragraphe 3, de la directive permet aux États membres d’exempter les entreprises, dans l’élaboration de leurs états financiers, du respect du principe comptable de la «prééminence de la substance sur la forme». Cette possibilité s’explique en particulier par le fait que la charge administrative d’un comptable est allégée s’il lui est possible de se borner à retracer la forme juridique d’une transaction plutôt que sa substance commerciale.

(cf. points 29, 30, 32‑34, 36, 38)

3.        Le principe de subsidiarité est énoncé à l’article 5, paragraphe 3, TUE, aux termes duquel l’Union n’intervient, dans les domaines qui ne relèvent pas de sa compétence exclusive, que si et dans la mesure où les objectifs de l’action envisagée ne peuvent pas être réalisés de manière suffisante par les États membres et peuvent donc, en raison des dimensions ou des effets de l’action envisagée, être mieux réalisés au niveau de l’Union. Le protocole no 2 établit par ailleurs, à son article 5, des lignes directrices pour déterminer si ces conditions sont remplies.

S’agissant d’un domaine, tel que l’amélioration des conditions de la liberté d’établissement, qui n’est pas au nombre de ceux dans lesquels l’Union dispose d’une compétence exclusive, il convient de vérifier si l’objectif de l’action envisagée pouvait être mieux réalisé au niveau de l’Union.

À cet égard, la directive 2013/34, relative aux états financiers annuels, aux états financiers consolidés et aux rapports y afférents de certaines formes d’entreprises, poursuit un double objectif, consistant non seulement à harmoniser les états financiers des entreprises de l’Union afin que les utilisateurs de l’information financière disposent de données comparables, mais aussi à le faire en tenant compte, au moyen d’un régime spécial, lui aussi très largement harmonisé, de la situation particulière des petites entreprises, sur lesquelles l’application des exigences comptables prévues pour les moyennes et grandes entreprises ferait peser une charge administrative excessive.

Or, la poursuite du second objectif au niveau des États membres serait susceptible de consolider, sinon d’engendrer, des situations dans lesquelles certains États membres allégeraient davantage ou différemment que d’autres la charge administrative des petites entreprises, allant ainsi à l’exact opposé de l’objectif premier de la directive, à savoir l’établissement de conditions juridiques équivalentes minimales pour la comptabilité d’entreprises concurrentes.

Il résulte de l’interdépendance des deux objectifs visés par la directive que le législateur de l’Union pouvait légitimement estimer que son action devait comporter un régime spécial des petites entreprises et que, en raison de cette interdépendance, ce double objectif pouvait être mieux réalisé au niveau de l’Union.

La directive n’a, par suite, pas été adoptée en violation du principe de subsidiarité.

(cf. points 44‑49)

4.        Le principe de subsidiarité n’a pas pour objet de limiter la compétence de l’Union en fonction de la situation de tel ou tel État membre pris individuellement, mais impose seulement que l’action envisagée puisse, en raison de sa dimension ou de ses effets, être mieux réalisée au niveau de l’Union, compte tenu de ses objectifs, énumérés à l’article 3 TUE et des dispositions particulières aux différents domaines, notamment aux différentes libertés, telle la liberté d’établissement, visées par les traités. Il en résulte que le principe de subsidiarité ne saurait avoir pour effet de rendre invalide un acte de l’Union en raison de la situation particulière d’un État membre, fût-il plus avancé que d’autres au regard d’un objectif poursuivi par le législateur de l’Union, dès lors que celui-ci a estimé sur la base d’éléments circonstanciés et sans commettre d’erreur d’appréciation que l’intérêt général de l’Union pouvait être mieux servi par une action au niveau de celle-ci.

(cf. points 53, 54)

5.        Si la motivation exigée par l’article 296 TFUE doit faire apparaître d’une façon claire et non équivoque le raisonnement de l’autorité de l’Union, auteur de l’acte incriminé, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la Cour d’exercer son contrôle, il n’est toutefois pas exigé qu’elle spécifie tous les éléments de droit ou de fait pertinents.

Plus particulièrement, il ne saurait être exigé que cette motivation spécifie les différents faits, parfois très nombreux et complexes, au vu desquels une directive a été adoptée ni a fortiori qu’elle en fournisse une appréciation plus ou moins complète.

Par conséquent, si l’acte contesté fait ressortir l’essentiel de l’objectif poursuivi par l’institution, il serait inutile d’exiger une motivation spécifique pour chacun des choix techniques qu’elle a opérés.

Par ailleurs, le respect de l’obligation de motivation doit être apprécié au regard non seulement du libellé de l’acte attaqué, mais aussi de son contexte et des circonstances de l’espèce, et en particulier de l’intérêt que les destinataires ou d’autres personnes concernées directement ou individuellement par l’acte peuvent avoir à recevoir des explications.

Or, un État membre ayant participé, selon les modalités prévues par le traité FUE, à la procédure législative ayant abouti à l’adoption d’une directive, dont il est destinataire au même titre que les autres États membres représentés au Conseil en vertu de ladite directive, ne saurait utilement se prévaloir de ce que le Parlement et le Conseil, auteurs de la directive, ne l’aient pas mis en mesure de connaître les justifications des choix de mesures auxquels ils ont entendu procéder.

(cf. points 58‑62)