DOCUMENT DE TRAVAIL

ORDONNANCE DU PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

20 juillet 2016 (*)

« Référé – Accès aux documents – Règlement (CE) n° 1049/2001 – Documents détenus par l’EMA concernant des informations soumises par une entreprise dans le cadre de sa demande d’autorisation de mise sur le marché d’un médicament – Décision d’accorder à un tiers l’accès aux documents – Demande de sursis à exécution – Urgence – Fumus boni juris – Mise en balance des intérêts »

Dans l’affaire T‑729/15 R,

MSD Animal Health Innovation GmbH, établie à Schwabenheim (Allemagne),

Intervet international BV, établie à Boxmeer (Pays-Bas),

représentées par Me P. Bogaert, avocat, M. B. Kelly, Mmes H. Billson, solicitor, J. Stratford, QC, et C. Thomas, barrister,

parties requérantes,

contre

Agence européenne des médicaments (EMA), représentée par M. T. Jabłoński, Mme N. Rampal Olmedo, MM. A. Spina, A. Rusanov et S. Marino, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande fondée sur les articles 278 et 279 TFUE et tendant, en substance, au sursis à l’exécution de la décision EMA/785809/2015 de l’EMA, du 25 novembre 2015, accordant à un tiers, en vertu du règlement (CE) n° 1049/2001 du Parlement européen et du Conseil, du 30 mai 2001, relatif à l’accès du public aux documents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission (JO 2001, L 145, p. 43), l’accès à certains documents contenant des informations soumises dans le cadre d’une demande d’autorisation de mise sur le marché du médicament vétérinaire Bravecto,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

rend la présente

Ordonnance

 Antécédents du litige, procédure et conclusions des parties

1        L’Agence européenne des médicaments (EMA), instaurée par le règlement (CE) n° 726/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, établissant des procédures communautaires pour l’autorisation et la surveillance en ce qui concerne les médicaments à usage humain et à usage vétérinaire, et instituant une Agence européenne des médicaments (JO 2004, L 136, p. 1), a pour principale mission la protection et la promotion de la santé publique et de la santé animale à travers l’évaluation et la supervision des médicaments à usage humain et à usage vétérinaire. À cet effet, l’EMA est chargée de l’évaluation scientifique des demandes d’autorisation de mise sur le marché (ci-après l’« AMM ») des médicaments dans l’Union européenne (procédure centralisée). Selon l’article 57, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement n° 726/2004, l’EMA donne aux États membres et aux institutions de l’Union les meilleurs avis scientifiques possibles sur toute question relative à l’évaluation de la qualité, de la sécurité et de l’efficacité des médicaments à usage humain ou à usage vétérinaire qui lui est soumise.

2        L’article 5 de la directive 2001/82/CE du Parlement européen et du Conseil, du 6 novembre 2001, instituant un code communautaire relatif aux médicaments vétérinaires (JO 2001, L 311, p. 1), telle que modifiée, dispose qu’aucun médicament vétérinaire ne peut être mis sur le marché d’un État membre sans qu’une AMM n’ait été délivrée par l’autorité compétente de cet État membre conformément à ladite directive ou qu’une AMM n’ait été délivrée selon la procédure centralisée conformément au règlement n° 726/2004. Cette dernière procédure implique la présentation, par la société pharmaceutique intéressée, d’une demande d’AMM, qui fait l’objet d’un examen et d’un avis de la part de l’EMA, et l’intervention d’une décision de la Commission européenne sur l’AMM. Des critères plus sévères s’appliquent dans le cas de médicaments destinés à être administrés à des animaux producteurs d’aliments. Dans ce cas, la demande d’AMM ne peut pas être présentée avant qu’une demande de fixation des limites maximales de résidus des substances actives (ci-après la « demande de LMR ») ait été valablement introduite en vertu du règlement (CE) n° 470/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 6 mai 2009, établissant des procédures communautaires pour la fixation des limites de résidus des substances pharmacologiquement actives dans les aliments d’origine animale, abrogeant le règlement (CEE) n° 2377/90 du Conseil et modifiant la directive 2001/82/CE du Parlement européen et du Conseil et le règlement (CE) n° 726/2004 du Parlement européen et du Conseil (JO 2009, L 152, p. 11).

3        En ce qui concerne les informations documentaires que doit comporter une demande d’AMM dans le cadre de la procédure centralisée, les dispositions combinées de l’article 31 du règlement n° 726/2004 et de l’article 12 de la directive 2001/82 imposent de présenter, notamment, un dossier qualitatif (comprenant des précisions sur les composants du médicament et une description du mode de fabrication), les résultats des essais non cliniques (physico-chimiques, biologiques ou microbiologiques), des essais d’innocuité – en ce compris des essais toxicologiques – et des essais sur les résidus ainsi que les résultats des essais cliniques et précliniques à l’appui de l’usage thérapeutique auquel le médicament est destiné. Ces informations documentaires doivent permettre à l’EMA, dans l’intérêt de la santé publique, de préparer son avis sur la base de critères scientifiques objectifs de qualité, de sécurité et d’efficacité du médicament concerné, en vue d’évaluer son rapport bénéfice-risque. La responsabilité exclusive de la préparation des avis de l’EMA sur toute question relative aux médicaments à usage vétérinaire est confiée à un comité des médicaments à usage vétérinaire (ci-après le « CVMP »).

4        En vertu de l’article 38, paragraphe 3, du règlement n° 726/2004, l’EMA publie le rapport européen public d’évaluation (ci-après l’« EPAR ») du médicament à usage vétérinaire que vient d’établir le CVMP, à savoir un résumé compréhensible pour le public des caractéristiques du médicament, avec les motifs de son avis favorable à la délivrance de l’AMM, après suppression de toute information présentant un caractère de confidentialité commerciale.

5        L’article 73, premier alinéa, du règlement n° 726/2004 déclare applicable aux documents détenus par l’EMA le règlement (CE) n° 1049/2001 du Parlement européen et du Conseil, du 30 mai 2001, relatif à l’accès du public aux documents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission (JO 2001, L 145, p. 43), règlement qui vise à garantir au public un accès aussi large que possible aux documents détenus par les organes administratifs de l’Union. En vertu de l’article 4 du règlement n° 1049/2001 :

–        les institutions refusent l’accès à un document lorsque sa divulgation porterait atteinte, notamment, à la protection des intérêts commerciaux d’une personne physique ou morale déterminée, y compris en ce qui concerne la propriété intellectuelle, à moins qu’un intérêt public supérieur ne justifie la divulgation du document visé (paragraphe 2, premier tiret) ;

–        dans le cas de documents de tiers, l’institution consulte le tiers afin de déterminer si une exception prévue, notamment, au paragraphe 2 est d’application, à moins qu’il ne soit clair que le document doit ou ne doit pas être divulgué (paragraphe 4) ;

–        si une partie seulement du document demandé est concernée par une ou plusieurs des exceptions susmentionnées, les autres parties du document sont divulguées (paragraphe 6) ;

–        les exceptions visées, notamment, au paragraphe 2 peuvent s’appliquer pendant une période maximale de trente ans ou, si nécessaire, continuer de s’appliquer au-delà de cette période (paragraphe 7).

6        Le règlement n° 726/2004 confère à l’EMA la compétence d’adopter des règles en ce qui concerne la mise à la disposition du public d’informations réglementaires, scientifiques ou techniques relatives à l’autorisation et à la surveillance des médicaments qui ne présentent pas de caractère confidentiel. En décembre 2006, l’EMA a adopté des règles de mise en œuvre du règlement n° 1049/2001 sur l’accès à ses documents. Ensuite, afin de renforcer la transparence de son fonctionnement, l’EMA a modifié, en novembre 2010, sa politique relative à l’accès à ses documents (ci-après la « politique d’accès »), en vue d’assurer l’accès le plus large possible à ses documents relatifs à toute question se rapportant aux politiques, aux activités et aux décisions qui relèvent de son mandat et de ses responsabilités, en donnant un accès prioritaire aux documents contenant des informations scientifiques essentielles sur la sécurité et l’efficacité d’un médicament autorisé. Cette nouvelle politique d’accès prévoit, notamment, que des documents soumis à l’EMA dans le cadre d’une demande d’AMM peuvent être divulgués à partir du moment où le processus décisionnel relatif à cette demande est finalisé.

7        Les requérantes, MSD Animal Health Innovation GmbH (ci-après « MSD ») et Intervet international BV (ci-après « Intervet »), font toutes deux partie du groupe de sociétés Merck, chef de file mondial des soins de santé. MSD est la branche mondiale de la santé animale du groupe Merck. Elle investit massivement dans la recherche et le développement, ses produits étant présents sur quelque 150 marchés.

8        En novembre 2012, Intervet a déposé une demande d’AMM pour le Bravecto, médicament vétérinaire utilisé dans le traitement des infestations des chiens par les tiques et les puces. La substance active du Bravecto est le Fluralaner, nouvelle entité chimique du groupe des isoxazolines à action systémique contre les tiques et les puces. En décembre 2013, le CVMP a rendu un avis positif, recommandant l’octroi de l’AMM sollicitée. En février 2014, la Commission a délivré l’AMM à Intervet pour des comprimés à croquer de Bravecto sous différents dosages destinés aux chiens de différents poids. Le Bravecto constitue le premier et unique traitement dont est avéré l’effet létal rapide et efficace qu’une seule dose produit sur les puces et sur diverses espèces de tiques pendant douze semaines. Le Bravecto a été également autorisé en 2014 aux États-Unis d’Amérique et se trouve actuellement sur le marché dans quelque 60 pays.

9        MSD est le promoteur de cinq essais toxicologiques qui ont été produits sous la forme de rapports détaillés d’essais non-cliniques et qui ont été soumis à l’EMA dans le cadre du dossier de demande d’AMM du Bravecto. Il s’agit des rapports suivants : C 45151/essai de toxicité cutanée de 28 jours (application en semi-occlusif pendant 6 heures) sur des rats Wistar ; C 45162/essai de toxicité orale (gavage) de 28 jours sur des rats Wistar ; C 88913/essai de toxicité cutanée de 28 jours (application en semi-occlusif pendant 6 heures) sur des rats Wistar ; C 45184/essai de toxicité orale (gavage) de 13 semaines sur des rats Wistar ; D 47345/essai de toxicité orale (gavage) de 13 semaines sur des rats Wistar avec période de repos de 4 semaines.

10      En août 2015, l’EMA a informé MSD qu’elle avait reçu une demande émanant d’une société pharmaceutique et visant à obtenir, sur le fondement du règlement n° 1049/2001, l’accès aux cinq rapports d’essais toxicologiques qui figuraient dans le dossier du Bravecto. Dès lors qu’elle envisageait de divulguer trois de ces cinq rapports, à savoir les rapports C 45151, C 45162 et C 88913 (ci-après les « rapports litigieux »), l’EMA a invité MSD à lui communiquer ses éventuelles propositions d’occultation des documents. En réponse, bien qu’estimant que chaque rapport litigieux était juridiquement protégé dans son intégralité par une présomption générale de confidentialité, MSD a occulté les passages qu’elle considérait comme confidentiels. L’EMA a informé MSD qu’elle acceptait certaines des propositions d’occultation, tout en en rejetant la grande majorité, au motif qu’il existait une présomption générale en faveur de leur divulgation, MSD n’ayant pas démontré que la divulgation des informations nuirait à ses intérêts économiques, à sa position concurrentielle ou au processus décisionnel.

11      Le 25 novembre 2015, l’EMA a adopté la décision EMA/785809/2015 accordant à un tiers, en vertu du règlement n° 1049/2001, l’accès à l’intégralité des rapports litigieux, en expurgeant seulement certains passages concernant, notamment, des détails relatifs aux intervalles de concentration des substances actives, des détails relatifs à la norme de référence interne utilisée pour les essais analytiques et des références aux projets de développement futurs (ci-après la « décision attaquée »). À l’appui de cette décision, l’EMA faisait valoir, notamment, que les intérêts des requérantes étaient suffisamment protégés par la période d’exclusivité des données octroyée dans le cadre de la procédure d’AMM, que certaines des informations prétendument confidentielles se trouvaient déjà dans le domaine public, que le fait que les rapports litigieux n’aient encore été intégralement publiés nulle part ne constituait pas un motif suffisant de considérer que leur contenu était confidentiel et que, si leur divulgation permettait à des concurrents d’étalonner leurs programmes de toxicologie et les résultats de leurs essais, cette possibilité d’étalonnage ne procurerait à ces concurrents qu’un avantage mineur.

12      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 17 décembre 2015, les requérantes ont introduit un recours visant à l’annulation de la décision attaquée. À l’appui de ce recours, elles dénoncent, en substance, une violation de l’article 4, paragraphe 2, du règlement n° 1049/2001, en alléguant que les rapports litigieux sont intégralement couverts par une présomption générale de confidentialité.

13      Par acte séparé, déposé au greffe du Tribunal le même jour, les requérantes ont introduit la présente demande en référé, dans laquelle elles concluent, en substance, à ce qu’il plaise au président du Tribunal :

–        surseoir à l’exécution de la décision attaquée ;

–        ordonner à l’EMA de s’abstenir de toute forme de divulgation des rapports litigieux ;

–        condamner l’EMA aux dépens de la procédure de référé.

14      Le 17 décembre 2015, l’EMA a informé le demandeur d’accès qu’un recours visant à l’annulation de la décision attaquée ainsi qu’une demande en référé avaient été introduits et que, dans ces circonstances, elle n’était pas en mesure de divulguer les rapports litigieux avant la fin de la procédure de référé ainsi entamée. L’EMA a ajouté qu’il en allait de même pour les rapports C 45184 et D 47345, étant donné qu’ils constituaient le même type de documents que les rapports litigieux.

15      À la demande des requérantes et avec l’accord de l’EMA, le président du Tribunal a décidé, le 26 janvier 2016, de suspendre la présente procédure de référé, en application de l’article 69, sous c), du règlement de procédure du Tribunal, jusqu’à l’adoption de la décision mettant fin à la procédure ouverte devant le vice-président de la Cour dans l’affaire C‑550/15 P(R) qui avait pour objet le pourvoi formé par l’EMA contre l’ordonnance du 1er septembre 2015 (Pari Pharma/EMA, T‑235/15 R, EU:T:2015:587). À la suite de l’ordonnance du 17 mars 2016, EMA/Pari Pharma [C‑550/15 P(R), non publiée, EU:C:2016:196], dans laquelle le vice-président de la Cour a jugé qu’il n’y avait pas lieu de statuer sur ledit pourvoi, la présente procédure de référé a été reprise.

16      Dans ses observations sur la demande en référé, déposées au greffe du Tribunal le 11 avril 2016, l’EMA conclut à ce qu’il plaise au président du Tribunal :

–        rejeter cette demande ;

–        condamner les requérantes aux dépens.

17      Les requérantes ont répondu aux observations de l’EMA par mémoire du 21 avril 2016. L’EMA a pris définitivement position sur celui-ci par mémoire du 28 avril 2016.

 En droit

 Généralités

18      Il ressort d’une lecture combinée des articles 278 et 279 TFUE, d’une part, et de l’article 256, paragraphe 1, TFUE, d’autre part, que le juge des référés peut, s’il estime que les circonstances l’exigent, ordonner le sursis à l’exécution d’un acte attaqué devant le Tribunal ou prescrire les mesures provisoires nécessaires, et ce en application de l’article 156 du règlement de procédure.

19      L’article 156, paragraphe 3, du règlement de procédure dispose que les demandes en référé doivent spécifier l’objet du litige, les circonstances établissant l’urgence ainsi que les moyens de fait et de droit justifiant à première vue l’octroi de la mesure provisoire à laquelle elles concluent. Ainsi, le sursis à exécution et les autres mesures provisoires peuvent être accordés par le juge des référés s’il est établi que leur octroi est justifié à première vue en fait et en droit (fumus boni juris) et qu’ils sont urgents en ce sens qu’il est nécessaire, pour éviter un préjudice grave et irréparable aux intérêts de la partie qui les sollicite, qu’ils soient édictés et produisent leurs effets dès avant la décision sur le recours principal. Ces conditions sont cumulatives, de sorte que les demandes de mesures provisoires doivent être rejetées dès lors que l’une d’elles fait défaut [ordonnance du 14 octobre 1996, SCK et FNK/Commission, C‑268/96 P(R), EU:C:1996:381, point 30].

20      Dans le cadre de cet examen d’ensemble, le juge des référés dispose d’un large pouvoir d’appréciation et reste libre de déterminer, au regard des particularités de l’espèce, la manière dont ces différentes conditions doivent être vérifiées ainsi que l’ordre de cet examen, dès lors qu’aucune règle de droit ne lui impose un schéma d’analyse préétabli pour apprécier la nécessité de statuer provisoirement [ordonnances du 19 juillet 1995, Commission/Atlantic Container Line e.a., C‑149/95 P(R), EU:C:1995:257, point 23, et du 3 avril 2007, Vischim/Commission, C‑459/06 P(R), non publiée, EU:C:2007:209, point 25]. Le juge des référés procède également, le cas échéant, à la mise en balance des intérêts en présence (ordonnance du 23 février 2001, Autriche/Conseil, C‑445/00 R, EU:C:2001:123, point 73).

21      Compte tenu des éléments du dossier, le juge des référés estime qu’il dispose de tous les éléments nécessaires pour statuer sur la présente demande en référé, sans qu’il soit utile d’entendre, au préalable, les parties en leurs explications orales. Dans les circonstances du cas d’espèce, il convient d’examiner d’abord si la condition relative au fumus boni juris est remplie.

 Sur le fumus boni juris

22      Selon une jurisprudence constante, la condition relative au fumus boni juris est remplie lorsqu’au moins un des moyens invoqués par la partie qui sollicite les mesures provisoires à l’appui du recours au fond apparaît, à première vue, non dépourvu de fondement sérieux. Tel est notamment le cas dès lors que l’un des moyens avancés révèle l’existence de questions juridiques complexes dont la solution ne s’impose pas d’emblée et mérite donc un examen approfondi, qui ne saurait être effectué par le juge des référés, mais doit faire l’objet de la procédure au fond, ou lorsque le débat mené entre les parties révèle l’existence d’une controverse juridique importante dont la solution ne s’impose pas d’emblée (voir ordonnance du 2 mars 2016, Evonik Degussa/Commission, C‑162/15 P‑R, non publiée, EU:C:2016:142, point 22 et jurisprudence citée).

23      En l’occurrence, les requérantes soutiennent que la décision attaquée viole, notamment, l’article 4, paragraphe 2, premier tiret, du règlement n° 1049/2001, l’article 339 TFUE et leurs droits fondamentaux concernant la protection de la vie privée et des données à caractère professionnel au titre de l’article 7 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. En effet, les rapports litigieux devraient être présumés confidentiels et, partant, protégés au titre de ces dispositions, puisque leur divulgation porterait gravement atteinte à leurs intérêts commerciaux et qu’aucun intérêt public supérieur ne justifierait cette divulgation. En tout état de cause, en respectant le principe de proportionnalité, l’EMA aurait dû vérifier s’il existait des solutions autres qu’une divulgation intégrale de ces rapports avec effet erga omnes (voir point 105 ci-après), telles qu’une communication réservée aux chercheurs universitaires indépendants, qui ne les utiliseraient pas à des fins commerciales.

24      Les requérantes rappellent que la décision attaquée s’inscrit dans le contexte d’un changement de politique de l’EMA (voir point 6 ci-dessus). Jusqu’en novembre 2010, l’EMA aurait eu pour politique de présumer confidentielles par nature les pièces des dossiers d’AMM, y compris les rapports d’essais non cliniques. Cependant, dans un revirement brutal, l’EMA aurait adopté une nouvelle politique selon laquelle la plupart de ces pièces sont divulguées après l’octroi d’une AMM. Or, cette nouvelle politique n’aurait jamais été examinée par le juge de l’Union dans le cadre d’une procédure au fond. La solution à donner à cette problématique présenterait une grande importance pour toutes les parties prenantes du marché des médicaments vétérinaires et, en particulier, pour les requérantes.

25      Les requérantes allèguent que le développement et la production de médicaments est un processus très coûteux. Par conséquent, elles attacheraient beaucoup d’importance à rentabiliser leurs dépenses par la commercialisation de leur médicament Bravecto après son autorisation. Il serait vital pour elles que leur stratégie entrepreneuriale et réglementaire ne soit pas divulguée à leurs concurrents. En effet, après une telle divulgation, un concurrent pourrait, sans devoir supporter les frais de développement substantiels qu’elles ont exposés, obtenir communication du cheminement conduisant à l’obtention d’une AMM pour un médicament contenant la même substance active ou d’autres composés utilisés. Or, il serait essentiel de ne pas altérer les forces de la concurrence qui poussent aux investissements nécessaires à la mise sur le marché d’un nouveau médicament, en sapant l’investissement du titulaire de l’AMM par une large divulgation du contenu de son dossier à tous les prétendants.

26      Les requérantes affirment que l’EPAR du Bravecto, publié en décembre 2013, livre sur les essais toxicologiques en cause un résumé de haut niveau, qui contient des précisions sur la durée des essais, la quantité des doses administrées, un résumé des effets constatés en rapport avec le traitement et un énoncé de la conclusion que l’autorité de régulation a tirée sur la toxicité par administration réitérée en se fondant sur ces essais. Cependant, les rapports litigieux contiendraient beaucoup plus de précisions que l’EPAR, précisions qui constitueraient des données confidentielles précieuses. En effet, ces rapports, considérés dans leur intégralité, exposeraient l’ensemble des réflexions intellectuelles et des planifications menées sur les motifs du choix d’un modèle d’essais donné, sur les modalités de la définition des critères d’inclusion et d’exclusion ainsi que les raisons du choix d’une démarche statistique spécifique. D’une part, ils intègreraient une description détaillée des méthodes utilisées par MSD pour réaliser ses essais d’innocuité, de toxicité et de nature préclinique. D’autre part, ils comporteraient une présentation, fondée sur l’expérience et sur la compétence, d’informations non cliniques à une autorité de régulation. Par conséquent, un concurrent ayant accès aux rapports litigieux serait à même d’obtenir de nombreux avantages concurrentiels au détriment des requérantes.

27      Les requérantes précisent que les rapports litigieux doivent être considérés comme confidentiels dans leur intégralité, même si des parties de ces rapports ont déjà été divulguées dans l’EPAR ou dans des revues scientifiques. En effet, lesdits rapports révéleraient leur savoir-faire réglementaire et la démarche stratégique inventive qu’elles avaient menée pour développer leur programme de toxicologie et pour accomplir les essais d’innocuité. Leur stratégie serait intégralement innovante, inconnue de l’industrie et ne trouverait pas non plus son expression dans les recommandations de l’EMA ou de la conférence internationale vétérinaire sur l’harmonisation. Les rapports litigieux formeraient donc un ensemble inséparable revêtant une valeur économique, de sorte qu’il importerait peu que certains éléments d’information qu’ils contiennent puissent se trouver déjà dans le domaine public. Ainsi, ils pourraient être utilisés par des concurrents pour étalonner leurs propres programmes de toxicologie, ce qui contribuerait à accélérer le développement de médicaments concurrents sur un marché très compétitif.

28      Les requérantes soulignent que les rapports litigieux doivent bénéficier d’une présomption générale de confidentialité. En effet, lorsque l’accès à des documents est sollicité en vertu du règlement n° 1049/2001 dans un contexte qui relève d’un régime spécial poursuivant des objectifs différents, le juge de l’Union devrait s’efforcer d’assurer une application compatible de chacun des deux corps de règles avec l’autre et permettant la mise en œuvre cohérente de l’ensemble, à moins qu’il existe une règle consacrant expressément la primauté d’un corps de règles sur l’autre. Ainsi, la jurisprudence reconnaîtrait que les pièces produites dans le cadre d’une procédure administrative régie par une réglementation sectorielle spéciale sont protégées par une présomption générale de confidentialité aux fins de l’application de l’article 4, paragraphe 2, du règlement n° 1049/2001, sous réserve de la possibilité de démontrer, en fonction des circonstances concrètes de l’espèce, qu’un document donné échappe à cette présomption ou que sa divulgation est justifiée par un intérêt public supérieur. Dans ce contexte, les requérantes invoquent, notamment, les arrêts du 29 juin 2010, Commission/Bavarian Lager (C‑28/08 P, EU:C:2010:378), et du 28 juin 2012, Commission/Agrofert Holding (C‑477/10 P, EU:C:2012:394).

29      Les requérantes exposent que le règlement n° 726/2004 et la directive 2001/82 se distinguent par un dispositif de règles précises sur le traitement des documents obtenus et établis par les autorités compétentes dans le cadre de la réglementation des médicaments vétérinaires. Ce régime constituerait ainsi un cadre juridique complet établissant des conditions précises pour la divulgation d’informations par l’EMA afin de garantir la transparence, tout en prenant en compte la nécessité de protéger les informations confidentielles sur le plan commercial.

30      Les requérantes en concluent que les trois pièces principales du dossier d’AMM à divulguer sont le résumé des caractéristiques du produit, la notice destinée à l’utilisateur et l’EPAR. Elles estiment que l’ensemble de ces renseignements suffit amplement à fournir au public les informations appropriées sur le médicament en question. Le règlement n° 726/2004 et la directive 2001/82 contiendraient donc des dispositions détaillées sur les informations contenues dans un dossier d’AMM que l’EMA doit mettre à la disposition du public. Dans le contexte d’une industrie pharmaceutique compétitive et innovante, ces dispositions établiraient un équilibre entre, d’une part, les intérêts de la transparence, des considérations légitimes d’intérêt général et l’opportunité d’éviter la duplication des activités de recherche et, d’autre part, la nécessité d’encourager convenablement les entreprises à investir dans la recherche et le développement sans devoir craindre que leurs concurrents soient en mesure de profiter sans contrepartie de leur innovation.

31      Les requérantes rappellent que les documents fournis à l’EMA par un demandeur d’AMM sont le produit d’investissements coûteux consentis par celui-ci et qu’ils représentent potentiellement une grande valeur aux yeux de ses concurrents dans la mesure où ils fournissent le cheminement ayant conduit à l’obtention de l’AMM. Par conséquent, le titulaire d’une AMM aurait droit à une période d’exclusivité au cours de laquelle ses données ne peuvent être utilisées que par l’autorité de régulation, ses concurrents désireux d’obtenir une AMM pour la même substance active étant contraints d’investir dans leurs propres recherches, tests et essais non cliniques. Même au terme de la période d’exclusivité, les données ne seraient pas divulguées aux concurrents, ceux-ci étant seulement dispensés de réaliser eux-mêmes un ensemble complet d’essais. Il serait donc de l’essence même du régime d’AMM que tous les documents produits en tant que pièces d’un dossier d’AMM, en particulier les rapports relatifs aux essais cliniques et non cliniques, méritent d’être protégés par la présomption générale de confidentialité posée par l’article 4, paragraphe 2, du règlement n° 1049/2001.

32      S’appuyant sur les arrêts du 28 juin 2012, Commission/Éditions Odile Jacob (C‑404/10 P, EU:C:2012:393), et du 12 mai 2015, Unión de Almacenistas de Hierros de España/Commission (T‑623/13, non publié, EU:T:2015:268), les requérantes estiment que la période d’application de cette présomption générale de confidentialité ne saurait venir à expiration après l’adoption de la décision d’octroi d’une AMM. En effet, la date de cette décision n’affecterait en aucune manière le caractère confidentiel des documents que le demandeur d’AMM a confiés à l’EMA. Par ailleurs, l’article 4, paragraphe 7, du règlement n° 1049/2001 envisagerait lui-même que le régime de confidentialité commerciale puisse même durer plus de 30 ans.

33      L’EMA rétorque que les résultats des essais toxicologiques et d’innocuité soumis par une entreprise pharmaceutique ayant reçu une AMM pour un médicament vétérinaire bénéficient, en vertu de l’article 39, paragraphe 10, du règlement nº 726/2004, ainsi que des articles 13 et 13 bis de la directive 2001/82, d’une période de protection des données de huit ans, au cours de laquelle les concurrents de cette entreprise ne peuvent utiliser lesdites données pour étayer leurs propres demandes visant à obtenir une seconde AMM. Même après l’obtention d’une telle seconde AMM pour un médicament générique ou similaire à usage vétérinaire, ce médicament ne pourrait être mis sur le marché que dix à treize ans après la délivrance de l’AMM du médicament vétérinaire de référence protégé. Compte tenu de cette protection des données, ni le règlement nº 726/2004 ni la directive 2001/82 ne contiendraient de disposition établissant le caractère confidentiel des informations relatives auxdits essais.

34      L’EMA conteste qu’une divulgation des rapports litigieux fournirait aux concurrents des requérantes une feuille de route en vue de l’obtention d’une AMM pour un médicament contenant la même substance active que le Bravecto. En effet, d’une part, ces rapports ne contiendraient aucune information sur la composition ou la fabrication du Bravecto et, d’autre part, l’EMA aurait accepté d’expurger les informations commerciales confidentielles constituant des détails relatifs aux intervalles de concentration des substances actives, des détails relatifs à la norme de référence interne utilisée pour les essais analytiques et des références aux projets de développement futurs des requérantes. Loin de contester le fait que certaines parties des rapports litigieux peuvent contenir des informations commerciales confidentielles, l’EMA protégerait effectivement ces informations. Toutefois, il ne saurait être prétendu que les informations toxicologiques, relatives à la sécurité du Bravecto pour la santé humaine et pour l’environnement, doivent faire l’objet du même degré de protection.

35      L’EMA s’oppose également à la thèse selon laquelle les rapports litigieux contiennent une quantité significative de données confidentielles précieuses, dont la divulgation permettrait aux concurrents des requérantes de tirer de nombreux avantages concurrentiels au détriment de celles-ci. En effet, l’EPAR du Bravecto comporterait des détails sur la durée des essais, les doses administrées, un résumé des effets observés lors du traitement et un énoncé de la conclusion de l’organisme régulateur concernant la toxicité par administration répétée fondée sur ces essais. Du reste, les requérantes auraient déjà publié divers articles relatifs au Fluralaner présentant les résultats quantitatifs et qualitatifs détaillés de plusieurs essais sur les plans de la pharmacocinétique, de la sécurité et de l’efficacité.

36      L’EMA conteste, notamment, le caractère innovant des stratégies sous-tendant le développement du programme de toxicologie de MSD, les requérantes prétendant à tort que les rapports litigieux comportent des informations plus détaillées que les lignes directrices de l’EMA ou de la conférence internationale vétérinaire sur l’harmonisation. En effet, tous les essais d’innocuité inclus dans les demandes d’AMM de médicaments vétérinaires devraient être effectués dans le respect des exigences, imposées à la directive 2001/82, concernant le format, la présentation et le contenu des essais à soumettre. De plus, l’un des rôles majeurs de l’EMA consisterait à élaborer des lignes directrices publiques concernant la conduite des divers essais d’innocuité nécessaires pour obtenir une AMM. Ainsi, l’EMA aurait publié des lignes directrices scientifiques portant sur les essais de toxicité, et ce à la suite d’un accord sur une approche harmonisée entre l’Union, le Japon et les États-Unis d’Amérique dans le cadre de la conférence internationale vétérinaire sur l’harmonisation. Or, les essais toxicologiques en cause respecteraient ces lignes directrices et reposeraient donc sur des principes aisément accessibles. Par conséquent, les requérantes n’auraient pas apporté la preuve d’une quelconque innovation.

37      Dans la mesure où les requérantes soutiennent que les rapports litigieux sont intégralement couverts par une présomption générale de confidentialité, l’EMA estime que cette thèse, si elle devait être retenue, constituerait un sérieux revers pour l’évolution du droit d’accès aux documents détenus par les institutions de l’Union. La présomption générale invoquée par les requérantes créerait, en effet, une catégorie de documents exclus des dispositions générales du règlement nº 1049/2001 en matière d’accès aux documents, ce qui serait contraire à l’objet, à la finalité et à l’esprit de ce règlement et à son interprétation par la Cour. La position des requérantes méconnaîtrait, en particulier, la nature fondamentale de la transparence ainsi que les circonstances particulières et limitées dans lesquelles la jurisprudence accepte une présomption générale de confidentialité.

38      Dans ce contexte, l’EMA précise que la Cour a reconnu l’existence d’une présomption générale de confidentialité au bénéfice de documents relatifs à la procédure de contrôle des aides d’État, la procédure de contrôle des opérations de concentration entre entreprises, à la procédure précontentieuse en manquement d’État et à la procédure d’application de l’article 101 TFUE, ainsi qu’au bénéfice des mémoires déposés dans le cadre d’une procédure juridictionnelle (voir, en ce sens, arrêts du 29 juin 2010, Commission/Technische Glaswerke Ilmenau, C‑139/07 P, EU:C:2010:376, point 51 ; du 21 septembre 2010, Suède e.a./API et Commission, C‑514/07 P, C‑528/07 P et C‑532/07 P, EU:C:2010:541, point 94 ; du 28 juin 2012, Commission/Éditions Odile Jacob, C‑404/10 P, EU:C:2012:393, point 123 ; du 14 novembre 2013, LPN et Finlande/Commission, C‑514/11 P et C‑605/11 P, EU:C:2013:738, point 65 ; du 27 février 2014, Commission/EnBW, C‑365/12 P, EU:C:2014:112, point 93, et du 16 juillet 2015, ClientEarth/Commission, C‑612/13 P, EU:C:2015:486, point 77). Dans chacun de ces cinq cas, le refus d’accès aurait porté sur un ensemble de documents clairement circonscrits par leur appartenance commune à un dossier afférent à une procédure administrative ou juridictionnelle en cours, et la Cour aurait souligné l’exigence d’application stricte de la présomption de confidentialité.

39      L’EMA poursuit en rappelant que le Tribunal a reconnu l’existence de présomptions générales de confidentialité dans trois cas supplémentaires, en ce qui concerne les offres des soumissionnaires dans une procédure de marché public en cas de demande d’accès formulée par un autre soumissionnaire (arrêt du 29 janvier 2013, Cosepuri/EFSA, T‑339/10 et T‑532/10, EU:T:2013:38, point 101), les documents relatifs à une procédure spécifique dite « EU Pilot » (arrêt du 25 septembre 2014, Spirlea/Commission, T‑306/12, EU:T:2014:816, point 63) et les documents transmis, en vertu de l’article 11, paragraphe 4, du règlement (CE) nº 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles [101 et 102 TFUE] (JO 2003, L 1, p. 1), par les autorités nationales de concurrence à la Commission (arrêt du 12 mai 2015, Unión de Almacenistas de Hierros de España/Commission, T‑623/13, non publié, EU:T:2015:268, point 64).

40      Selon l’EMA, il découle de cette jurisprudence que l’application des présomptions générales est essentiellement dictée par la nécessité d’assurer le fonctionnement des procédures spécifiques en question, en limitant l’ingérence des tierces parties. Or, en l’espèce, l’établissement d’une présomption générale de confidentialité, telle qu’invoquée par les requérantes, ne connaîtrait pas de précédent dans la jurisprudence susmentionnée, n’aurait pas de fondement en droit de l’Union et serait incompatible avec l’exigence d’application restrictive d’une telle présomption, laquelle constitue une exception à l’obligation d’examen concret et individuel de chaque document visé par une demande d’accès ainsi qu’au principe de l’accès le plus large possible du public aux documents détenus par les institutions de l’Union. Par ailleurs, la procédure administrative concernée ne serait plus en cours, puisqu’elle a abouti, en 2014, à l’octroi d’une AMM pour le Bravecto.

41      L’EMA ajoute que, dans la jurisprudence susmentionnée, la présomption de confidentialité a été admise pour éviter qu’un tiers soit placé dans une position plus favorable que la partie obligée d’accepter l’accès à ses documents. En l’espèce, toutefois, l’accès aux rapports litigieux ne porterait pas atteinte aux intérêts des requérantes, puisqu’il ne peut avoir lieu qu’au terme de la procédure de délivrance de l’AMM du Bravecto, l’avantage concurrentiel des requérantes étant protégé par les dispositions pertinentes de la législation pharmaceutique de l’Union, qui accorde une protection des données et de la mise sur le marché. En outre, le règlement nº 726/2004 n’établirait pas un régime d’accès spécifique aux documents. Loin d’imposer des exigences spécifiques à l’EMA pour protéger des informations commerciales confidentielles, ce règlement prévoirait, en son article 73, l’applicabilité directe du règlement nº 1049/2001. En particulier, aucune disposition du règlement nº 726/2004 ou du droit de l’Union ne préciserait que les rapports relatifs aux essais d’innocuité, y compris les essais de toxicité, soumis par les demandeurs d’une AMM doivent être considérés comme contenant des informations commerciales confidentielles.

42      Dans la mesure où les requérantes estiment que la présomption générale de confidentialité invoquée est applicable au-delà de la date d’octroi de l’AMM pour le Bravecto, l’EMA fait valoir que les rapports litigieux servent de base à l’évaluation bénéfice-risque de ce médicament pour la santé humaine et la santé animale. Dès qu’un médicament a reçu une AMM, l’obligation de l’EMA de divulguer les informations scientifiques contenues dans le dossier d’AMM, tirée du règlement nº 1049/2001, dériverait de l’obligation d’écarter les informations incomplètes et sélectives fournies aux patients et aux professionnels de santé. Selon l’EMA, la thèse opposée des requérantes méconnaît le fait que le pilier principal du droit pharmaceutique de l’Union est la protection de la santé publique.

43      En réponse au reproche d’avoir omis d’effectuer une mise en balance des différents intérêts, l’EMA rappelle que ce n’est qu’en présence d’une présomption générale de confidentialité que l’article 4, paragraphe 2, du règlement nº 1049/2001 l’oblige à évaluer si un intérêt public supérieur justifie la divulgation des documents en cause. Or, les rapports litigieux ne bénéficieraient pas d’une telle présomption. Les requérantes commettraient une erreur fondamentale en ignorant que tout document détenu par l’EMA est généralement accessible au public, sauf en cas d’exception justifiant la protection d’intérêts commerciaux légitimes. Dès lors que l’exception visée à l’article 4, paragraphe 2, premier tiret, du règlement nº 1049/2001 ne s’applique pas aux rapports litigieux, il ne serait pas nécessaire de justifier leur divulgation sur la base d’un intérêt public supérieur.

44      L’EMA expose que les professionnels de santé mettent en garde devant les conséquences dangereuses, du point de vue de la santé publique, d’une dissimulation d’informations scientifiques relatives aux expériences cliniques, pharmacologiques et toxicologiques, qui retarderait le développement des connaissances et entraînerait le risque que les consommateurs d’un médicament soient inutilement atteints dans leur santé. La communauté scientifique redouterait que la confidentialité puisse empêcher l’analyse de la base scientifique de l’octroi d’une AMM, ce qui empêcherait de déterminer la dimension des influences commerciales, d’autant que les entreprises pharmaceutiques auraient intérêt à ne pas publier les essais qui sont défavorables à leurs produits. Selon l’EMA, il ne faut cependant pas entendre par là qu’elle reproche aux demandeurs d’AMM de soumettre des informations trompeuses ou incomplètes. En tout état de cause, les données soumises dans le cadre d’une demande d’AMM seraient examinées par les experts des autorités compétentes, y compris l’EMA, avant l’octroi de l’AMM.

45      Enfin, l’EMA s’oppose à l’argument des requérantes, fondé sur leurs droits fondamentaux, selon lequel elle aurait dû envisager des solutions moins contraignantes qu’une divulgation intégrale. En effet, l’article 73 du règlement nº 726/2004 l’obligerait d’appliquer les dispositions du règlement nº 1049/2001 à tous les documents qu’elle détient, y compris ceux soumis par les entreprises pharmaceutiques aux fins d’obtenir une AMM. Or, l’accès le plus large devrait être accordé non seulement aux patients, aux médecins ou aux chercheurs, mais aussi aux autres acteurs du marché. Par conséquent, l’EMA ne serait pas en mesure de refuser l’accès à l’intégralité des rapports litigieux, étant donné que les requérantes ont omis de démontrer le caractère confidentiel de chaque élément de ces documents. L’accès à un document détenu par l’EMA pourrait être refusé dans son intégralité uniquement si une ou plusieurs des exceptions prévues à l’article 4 du règlement nº 1049/2001 s’appliquaient à la totalité dudit document, c’est-à-dire à chacun de ses éléments, alors que, en vertu du paragraphe 6 de cet article, si une partie seulement du document est confidentielle, les autres parties doivent être divulguées.

46      Eu égard à ce débat, il y a lieu de relever que, s’agissant du contentieux relatif à la protection provisoire d’informations prétendument confidentielles, le juge des référés, sous peine de méconnaître la nature intrinsèquement accessoire et provisoire de la procédure de référé (voir point 75 ci-après), ne saurait, en principe, conclure à l’absence de fumus boni juris que dans l’hypothèse où le caractère confidentiel des informations en cause ferait manifestement défaut (voir ordonnance du 2 mars 2016, Evonik Degussa/Commission, C‑162/15 P‑R, non publiée, EU:C:2016:142, point 29 et jurisprudence citée).

47      Or, force est de constater que le dossier soumis à l’appréciation du juge des référés ne permet pas de conclure prima facie à l’absence manifeste de fumus boni juris, en ce qui concerne le moyen fondé sur le caractère confidentiel des rapports litigieux.

48      Il convient de rappeler que, par ce moyen, les requérantes font valoir, en substance, que la décision attaquée enfreint l’article 339 TFUE et l’article 7 de la charte des droits fondamentaux, tel qu’interprété dans l’arrêt du 14 février 2008, Varec (C‑450/06, EU:C:2008:91, points 47 à 49), ainsi que l’article 4, paragraphe 2, premier tiret, du règlement n° 1049/2001, l’EMA ayant méconnu la présomption générale de confidentialité dont bénéficient les rapports litigieux dans leur intégralité.

49      Selon les requérantes, les rapports litigieux doivent être considérés comme confidentiels dans leur intégralité, puisqu’ils exposent leur stratégie entrepreneuriale mise en place pour réaliser les essais toxicologiques requis dans le cadre des essais d’innocuité du médicament Bravecto, notamment la démarche inventive adoptée pour développer leur programme de toxicologie et le savoir-faire relatif aux modalités de ce programme. Toujours selon les requérantes, dans l’hypothèse où ces rapports de nature préclinique seraient divulgués, leurs concurrents pourraient les utiliser pour leurs propres programmes de toxicologie, sans devoir supporter les frais de développement substantiels nécessaires à cet effet, ce qui leur permettrait d’obtenir communication du cheminement conduisant rapidement à l’obtention de l’AMM pour des médicaments contenant la même substance active ou d’autres composés utilisés et, partant, d’accélérer le développement de médicaments concurrents sur des marchés très compétitifs, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’Union.

50      Cette thèse centrale des requérantes ne saurait, à première vue, être considérée comme manifestement erronée.

51      En effet, premièrement, l’EMA admet expressément que, avant le changement de sa politique d’accès, elle refusait généralement l’accès aux documents contenus dans le dossier qui lui avait été soumis par une entreprise aux fins d’obtenir une AMM, y compris les informations non cliniques, au motif que ces données devaient être protégées dans l’intérêt commercial de l’entreprise concernée. Il s’ensuit que, avant ce changement de politique, l’EMA aurait, elle-même, selon toute probabilité, qualifié les rapports litigieux de confidentiels et refusé leur divulgation à des tiers au titre du règlement n° 1049/2001.

52      Or, si l’EMA souligne que la décision attaquée est fondée sur sa nouvelle politique d’accès, il convient de relever que ni la légalité de cette politique, pratiquée depuis 2010, ni la question de l’éventuelle confidentialité des rapports non cliniques, plus particulièrement ceux relatifs aux essais toxicologiques soumis à l’EMA dans le cadre d’une demande d’AMM, n’ont jusqu’alors fait l’objet d’une décision du juge de l’Union.

53      En effet, à la suite des désistements intervenus dans l’affaire T‑44/13, AbbVie/EMA (EU:T:2014:694, radiée le 17 juillet 2014) et dans l’affaire T‑73/13, InterMune UK e.a./EMA (EU:T:2015:531, radiée le 29 juin 2015), le Tribunal n’est plus saisi des questions de nature pharmaceutique – similaires à celles soulevées en l’espèce – concernant l’éventuelle confidentialité des rapports d’études cliniques et non cliniques d’un médicament présentés à l’EMA aux fins d’obtenir une AMM. En outre, dans l’affaire T‑235/15, Pari Pharma/EMA, concernant des questions – également similaires à celles soulevées en l’espèce – concernant l’éventuelle confidentialité des rapports de similitude et de supériorité élaborés, dans le domaine des « médicaments orphelins », par un comité de l’EMA sur le fondement des informations fournies par l’entreprise demanderesse, la procédure est toujours pendante, de sorte que le Tribunal n’a pas encore statué sur le caractère confidentiel de ces rapports. Il en va de même de l’affaire T‑189/14, Deza/ECHA, concernant des questions de confidentialité dans le domaine chimique.

54      Par conséquent, il n’existe pas de jurisprudence dans le domaine pharmaceutique qui permettrait de répondre aisément aux questions de confidentialité devant être tranchées en l’espèce par l’arrêt à rendre ultérieurement sur le fond. Il s’agit là de questions de principe inédites qui ne sauraient être tranchées, pour la première fois, par le juge des référés, mais requièrent un examen approfondi dans le cadre de la procédure principale.

55      Au demeurant, il semble que même un arrêt adopté par le Tribunal ne serait pas suffisant pour permettre au juge des référés de donner une telle réponse aisée à des questions de confidentialité, mais qu’il faudrait attendre, à cette fin, que la Cour ait statué sur ces questions. En effet, dans son arrêt du 28 janvier 2015, Evonik Degussa/Commission (T‑341/12, EU:T:2015:51), le Tribunal, après avoir nié le caractère confidentiel des informations fournies par une entreprise à la Commission au cours d’une procédure d’infraction aux règles de concurrence, a rejeté le recours introduit par cette entreprise et visant à l’annulation de la décision de la Commission rejetant sa demande de traitement confidentiel desdites informations. L’entreprise a formé un pourvoi contre cet arrêt du Tribunal et introduit une demande en référé tendant à ce que la Cour ordonne à la Commission de s’abstenir, jusqu’au prononcé de l’arrêt mettant fin à la procédure sur pourvoi, de publier les informations litigieuses. Or, dans son ordonnance du 2 mars 2016, Evonik Degussa/Commission (C‑162/15 P‑R, non publiée, EU:C:2016:142), le vice-président de la Cour a fait droit à cette demande en référé, en estimant que le caractère confidentiel des informations litigieuses ne faisait pas manifestement défaut, et ce malgré le fait que la décision de la Commission avait déjà été examinée par une juridiction de l’Union et que cette dernière avait rejeté le recours dirigé contre cette décision comme non fondé.

56      Deuxièmement, il convient de rappeler que, pour justifier son ancienne politique d’accès, pratiquée avant 2010, l’EMA avait, en substance, considéré que les rapports d’essais cliniques constituaient des documents complets et intégrés, dont la divulgation porterait atteinte aux intérêts commerciaux de leurs auteurs, du fait que des concurrents pourraient utiliser les données contenues dans ces rapports détaillés et exhaustifs comme point de départ pour développer de manière autonome le même médicament ou un médicament similaire, en se servant de ces données dans leur propre intérêt économique et en en retirant de précieuses informations sur la stratégie de développement clinique à long terme des auteurs desdits rapports. S’il est vrai que cette appréciation de l’EMA portait, notamment, sur les rapports d’études cliniques, sa préoccupation tendant à exclure que des rapports de nature pharmaceutique soient exploités par les concurrents de leurs auteurs semble être pertinente aussi pour les rapports d’essais toxicologiques, d’autant que l’EMA était d’avis que son ancienne politique d’accès devait protéger également les informations non cliniques (voir point 51 ci-dessus).

57      En tout état de cause, même dans le présent contexte, l’EMA admet qu’une divulgation des rapports litigieux permettrait à des concurrents des requérantes d’étalonner leurs programmes de toxicologie et les résultats de leurs propres essais, tout en estimant que cette possibilité d’étalonnage ne procurerait à ces concurrents qu’un avantage mineur (voir point 11 ci-dessus), alors que les requérantes considèrent que les avantages conférés à leurs concurrents grâce à une telle divulgation seraient nombreux et de grande valeur. Afin de déterminer si les rapports litigieux méritent d’être protégés par un traitement confidentiel, il convient donc d’identifier le degré – grave, moyen ou insignifiant – de l’atteinte susceptible d’être portée aux intérêts commerciaux des requérantes dans l’hypothèse de leur divulgation. Or, force est de constater que les rapports litigieux, portant sur des essais toxicologiques dans le domaine pharmacologique, comportent, chacun, environ 300 pages et que l’appréciation de leur caractère confidentiel éventuel soulève des questions qui impliquent des évaluations scientifiques de haute technicité. En examinant ces rapports et la question de savoir si l’EMA a commis des erreurs en rejetant les demandes de confidentialité des requérantes, le juge des référés est donc confronté à des problèmes complexes de nature scientifique, dont la solution ne s’impose pas d’emblée dans le cadre de la procédure de référé, mais mérite un examen minutieux par les juges du fond.

58      Dans ce contexte, il importe aussi de tenir compte du fait que la procédure de référé, fondée sur un examen prima facie, n’est pas conçue pour établir la réalité de faits complexes et hautement controversés. En effet, le juge des référés ne dispose pas des moyens nécessaires pour procéder à de tels examens et, dans de nombreux cas, il ne serait que difficilement à même d’y parvenir en temps utile (voir ordonnance du 1er septembre 2015, Pari Pharma/EMA, T‑235/15 R, EU:T:2015:587, point 39 et jurisprudence citée).

59      Troisièmement, dans la mesure où l’EMA souligne que de larges parties des rapports litigieux sont déjà accessibles au public, il est vrai que l’on ne saurait réclamer le traitement confidentiel d’un élément ponctuel, tel qu’une donnée d’importance financière pour une entreprise, qui a déjà fait l’objet d’une publication accessible aux personnes intéressées. En l’espèce, cependant, les questions de confidentialité soulevées ne concernent pas l’une ou l’autre donnée particulière, mais de nombreux passages de texte entiers, à l’égard desquels les requérantes soutiennent qu’ils ne sont, dans la configuration et l’assemblage exacts de leurs éléments, généralement connus ni du public ni du cercle des opérateurs du secteur pharmaceutique. Il y a donc lieu de se demander si le fait que les requérantes aient compilé des données scientifiques connues du public et y aient ajouté des données scientifiques secrètes pour en produire un ensemble d’informations complexe qui, en tant que tel, n’est pas aisément accessible, peut justifier que cet ensemble reçoive un traitement confidentiel. Or, ce débat soulève, lui aussi, des problèmes dont la solution ne s’impose pas d’emblée dans le cadre de la procédure de référé (voir, en ce sens, ordonnance du 1er septembre 2015, Pari Pharma/EMA, T‑235/15 R, EU:T:2015:587, point 52 et jurisprudence citée).

60      En effet, il ne saurait être raisonnablement exclu, à ce stade, que les juges du fond reconnaissent la confidentialité du mode d’utilisation spécifique, par les requérantes, d’informations de nature non confidentielle et de nature confidentielle pour les besoins de l’évaluation, par l’EMA et la Commission, de leur demande visant à obtenir l’AMM pour le médicament Bravecto, en ce qu’une telle stratégie inventive apporte une plus-value scientifique aux éléments non confidentiels pris isolément. En tout état de cause, il appartiendra aux juges du fond d’évaluer, le cas échéant, si le degré de nouveauté et l’ampleur des investissements mobilisés à cet effet par les requérantes en temps et en ressources financières sont suffisants pour justifier le traitement confidentiel sollicité (voir, en ce sens, ordonnance du 1er septembre 2015, Pari Pharma/EMA, T‑235/15 R, EU:T:2015:587, points 53 et 54 et jurisprudence citée).

61      Au demeurant, si l’EMA affirme que l’EPAR du Bravecto comporte de nombreux détails sur les essais toxicologiques faisant l’objet des rapports litigieux, que les requérantes ont déjà publié divers articles relatifs au Fluralaner présentant les résultats détaillés de plusieurs essais en matière de pharmacocinétique, de sécurité et d’efficacité et que le rapports litigieux ont été établis dans le respect scrupuleux de lignes directrices publiques (voir points 35 et 36 ci-dessus), il convient de constater que l’entreprise pharmaceutique ayant déposé la demande d’accès à l’origine du présent litige a, de toute évidence, estimé que la lecture de ces documents publics et le fait de savoir que les rapports litigieux ont respecté des lignes directrices n’étaient pas suffisants pour satisfaire ses besoins scientifiques ou commerciaux. Ainsi, le fait pour cette entreprise de juger utile l’accès aux rapports litigieux dans leur intégralité peut être considéré comme un indice certain de la valeur scientifique et commerciale de ces documents, ce qui plaide en faveur de leur traitement confidentiel, tel que demandé par les requérantes. Par ailleurs, même l’EMA semble implicitement reconnaître une telle valeur, puisqu’elle se prononce pour leur divulgation intégrale dans l’intérêt de la santé publique, bien que des passages substantiels en soient déjà parus dans l’EPAR et dans des publications médicales.

62      Quatrièmement, dans la mesure où l’EMA soutient que la présomption générale de confidentialité invoquée par les requérantes n’est pas couverte par la jurisprudence qui a jusqu’ici reconnu huit catégories d’une telle présomption (voir points 38 et 39 ci-dessus), il suffit de relever que, eu égard aux considérations qui précèdent, il ne saurait être manifestement exclu que les juges du fond reconnaissent l’existence d’une catégorie supplémentaire, à savoir celle des documents non cliniques soumis à l’EMA par une entreprise aux fins d’obtenir une AMM, et ce précisément en raison du caractère complexe et hautement technique des informations contenues dans ces documents. Ne saurait non plus être retenue la thèse de l’EMA selon laquelle une telle présomption, en tant qu’exception au principe de l’accès le plus large possible du public aux documents des institutions de l’Union, serait incompatible avec l’exigence d’application restrictive de cette exception. En effet, cette même exigence d’application restrictive n’a pas empêché le juge de l’Union de reconnaître les huit catégories de présomption générale de confidentialité mentionnées par l’EMA.

63      Il convient d’ajouter que, comme il ressort de la jurisprudence actuelle citée par l’EMA (voir points 38 et 39 ci-dessus), l’application des présomptions générales de confidentialité, reconnues jusqu’à présent, est essentiellement dictée par la nécessité d’assurer le fonctionnement correct des différentes procédures en cause dans les affaires visées et de garantir que leurs objectifs ne soient pas compromis. Ainsi, l’application de règles spécifiques prévues par un acte juridique relatif à une procédure conduite devant une institution de l’Union pour les besoins de laquelle les documents demandés ont été produits est l’un des critères de nature à justifier la reconnaissance d’une présomption générale de confidentialité (voir, en ce sens, arrêt du 11 juin 2015, McCullough/Cedefop, T‑496/13, non publié, EU:T:2015:374, point 91, et conclusions de l’avocat général Cruz Villalón dans l’affaire Conseil/Access Info Europe, C‑280/11 P, EU:C:2013:325, point 75). En ce qui concerne plus particulièrement les exceptions au droit d’accès aux documents qui figurent à l’article 4 du règlement n° 1049/2001, le juge de l’Union a estimé qu’elles ne pouvaient être interprétées sans tenir compte des règles spécifiques régissant l’accès à ces documents, prévues par les règlements concernés.

64      Or, s’agissant de déterminer si les dispositions pertinentes du règlement n° 726/2004 et de la directive 2001/82 régissent de manière restrictive l’usage des documents figurant dans un dossier d’AMM pour un médicament vétérinaire, ne saurait être qualifiée de manifestement erronée la thèse des requérantes selon laquelle ces textes – à savoir, notamment, l’article 36, l’article 37, paragraphe 3, l’article 38, paragraphe 3, l’article 57, paragraphe 1, sous l), et paragraphe 2, l’article 76 et l’article 80 du règlement n° 726/2004 ainsi que les articles 13 et 76 de la directive 2001/82 – établissent un régime spécifique de transparence et de confidentialité, en vertu duquel les trois pièces principales d’un dossier d’AMM à divulguer sont le résumé des caractéristiques du médicament vétérinaire, la notice destinée à l’utilisateur et l’EPAR, ces pièces contenant toutes les données nécessaires pour informer convenablement le public sur le médicament en question. Dans cette optique, une divulgation des rapports litigieux pourrait être de nature à mettre en péril l’équilibre que le législateur de l’Union a voulu assurer entre, d’une part, le caractère confidentiel des documents figurant dans un dossier d’AMM pour un médicament vétérinaire et, d’autre part, l’obligation de divulguer les trois pièces susmentionnées dudit dossier (voir, en ce sens et par analogie, ordonnance du 2 mars 2016, Evonik Degussa/Commission, C‑162/15 P‑R, non publiée, EU:C:2016:142, point 53).

65      En ce qui concerne l’article 73, premier alinéa, du règlement n° 726/2004 qui prévoit l’applicabilité directe du règlement n° 1049/2001, les requérantes ont indiqué, dans leur mémoire du 21 avril 2016, sans être contredites par le mémoire de l’EMA du 28 avril 2016, que :

–        le règlement n° 1049/2001, qui vise uniquement les documents détenus par le Parlement européen, le Conseil et la Commission, ne s’appliquerait pas à l’EMA si ledit article 73 ne l’ordonnait pas ;

–        si les obligations de divulgation prévues au règlement n° 726/2004 sont expressément limitées par l’interdiction de divulguer des informations à caractère confidentiel sur le plan commercial, le règlement n° 1049/2001 va plus loin en permettant la divulgation de telles informations lorsqu’un intérêt public supérieur l’exige ;

–        le règlement n° 1049/2001 invite l’EMA à répondre à toute demande individuelle d’accès à un document qui peut être divulgué, mais que l’EMA n’aurait pas divulgué de sa propre initiative.

66      Le juge des référés estime que cet exposé relatif à l’économie, à l’articulation et à la finalité du régime de transparence et de confidentialité établi par le règlement n° 726/2004 et la directive 2001/82, d’une part, et par le règlement n° 1049/2001, d’autre part, n’apparaît pas dénué de toute pertinence. Par conséquent, il ne saurait être manifestement exclu que les juges du fond suivent le raisonnement des requérantes, fondé sur les considérations qui précèdent, selon lequel ce régime ne contient aucune disposition conférant expressément à l’un des deux volets la primauté sur l’autre, ce qui rend nécessaire que ces deux volets soient appliqués de manière compatible et cohérente. Dans cette optique, le corps de règles spécial, à savoir les dispositions du règlement n° 726/2004 et de la directive 2001/82, devrait prévaloir sur le corps de règles général, à savoir les dispositions du règlement n° 1049/2001, de sorte que les secondes devraient être interprétées de manière à préserver l’effet utile des premières.

67      L’EMA n’en considère pas moins la présomption générale de confidentialité invoquée par les requérantes comme superflue en soulignant que ces dernières bénéficient, en vertu de la législation pharmaceutique de l’Union, d’une période de protection de huit à treize ans au cours de laquelle leurs concurrents ne peuvent utiliser les rapports litigieux pour étayer leurs propres demandes visant à obtenir une seconde AMM pour un médicament générique ou similaire à usage vétérinaire ou pour la mise sur le marché d’un tel médicament (voir points 33 et 41 ci-dessus). À cet égard, il suffit, cependant, de relever que la protection des données et la restriction de mise sur le marché sont limitées au territoire de l’Union. Or, les requérantes doivent, de toute évidence, être protégées également contre les agissements de concurrents actifs sur les marchés de pays tiers qui, en cas de divulgation des rapports litigieux, pourraient exploiter ces rapports librement, d’autant que l’EMA admet expressément le caractère dynamique des marchés pharmaceutiques et le niveau élevé des investissements réalisés pour développer des médicaments. Il s’ensuit que la protection conférée par une présomption générale de confidentialité ne saurait utilement être remplacée par la protection des données et la restriction de mise sur le marché découlant du droit de l’Union. Pour cette même raison, s’agissant de prévenir une exploitation des rapports litigieux sur des marchés en-dehors de l’Union, cette présomption ne saurait venir à expiration à la date d’octroi de l’AMM pour le médicament vétérinaire en cause, une telle date étant totalement indifférente pour les besoins d’une protection allant au-delà des frontières de l’Union.

68      Dans la mesure où l’EMA s’oppose à la reconnaissance d’une présomption générale de confidentialité en se prévalant du droit fondamental des citoyens européens d’avoir accès aux documents des institutions, consacré à l’article 42 de la charte des droits fondamentaux et à l’article 15, paragraphe 3, TFUE, il convient de rappeler que ce droit des citoyens n’a pas empêché le juge de l’Union de reconnaître les huit catégories de présomption générale de confidentialité mentionnées par l’EMA ci-dessus. Il ne saurait donc, à lui seul, exclure l’admission d’une telle présomption en faveur des rapports litigieux. Par ailleurs, les requérantes invoquent, quant à elles, également un droit protégé par le droit primaire de l’Union, à savoir l’article 339 TFUE et le droit fondamental prévu à l’article 7 de la charte des droits fondamentaux, tel qu’interprété dans l’arrêt du 14 février 2008, Varec (C‑450/06, EU:C:2008:91, points 47 à 49). Par conséquent, il incombera aux juges du fond de mettre en balance ces droits opposés, en conciliant le droit du demandeur d’accès d’obtenir la divulgation des rapports litigieux et celui des requérantes de bénéficier d’une présomption générale de confidentialité pour ces rapports dans leur intégralité.

69      Ainsi qu’il a été exposé, il n’apparaît pas manifestement exclu que cette conciliation à opérer par les juges du fond consiste à accorder aux requérantes la présomption sollicitée, au motif que le résumé des caractéristiques du médicament vétérinaire en question, la notice destinée à l’utilisateur et l’EPAR contiennent toutes les données nécessaires pour fournir des informations utiles sur ce médicament (voir point 64 ci-dessus). Il ne saurait non plus être exclu que les juges du fond, au lieu de reconnaître une présomption générale de confidentialité, permettent de divulguer les rapports litigieux à des demandeurs relevant du domaine académique – critère non satisfait par l’entreprise pharmaceutique qui en demande la divulgation en l’espèce – qui justifieraient d’un intérêt strictement scientifique et souscriraient un accord de confidentialité, assorti d’une clause pénale et de dédommagement forfaitaire, leur interdisant d’utiliser ces documents à des fins commerciales. Cette solution nécessiterait, certes, une interprétation extensive de l’article 6, paragraphe 1, du règlement n° 1049/2001, en vertu duquel « [l]e demandeur d’accès n’est pas obligé de justifier sa demande », en ce sens que ce demandeur serait tenu de révéler son identité. Toutefois, à la lumière du droit fondamental à la confidentialité dont jouissent les requérantes, elle n’apparaîtrait pas manifestement inacceptable, d’autant qu’elle est moins stricte que la solution consistant à exclure tout accès par application d’une présomption générale de confidentialité.

70      Il s’ensuit que, dans l’hypothèse où les juges du fond retiendraient l’argumentation des requérantes et estimeraient que les rapports litigieux constituent, dans leur intégralité, une catégorie d’informations spécifique bénéficiant d’une présomption générale de confidentialité, la décision attaquée devrait être annulée pour violation, notamment, de l’article 4, paragraphe 2, premier tiret, du règlement n° 1049/2001. En effet, l’EMA aurait divulgué ces rapports en méconnaissant qu’ils étaient couverts par ladite présomption et sans avoir examiné s’il existait un intérêt public supérieur susceptible de justifier leur divulgation. Par ailleurs, dans cette hypothèse, la question d’une divulgation partielle des données publiques figurant dans les rapports litigieux ne se poserait pas, étant donné qu’un document couvert par une présomption générale de confidentialité échappe à l’obligation d’une divulgation partielle. En outre, il n’y aurait pas lieu de procéder à un examen individuel de chacun des éléments figurant dans les rapports litigieux, en vue de vérifier si une divulgation précisément dudit élément pourrait porter concrètement et effectivement atteinte aux intérêts commerciaux des requérantes (voir, en ce sens, ordonnance du 1er septembre 2015, Pari Pharma/EMA, T‑235/15 R, EU:T:2015:587, point 55 et jurisprudence citée).

71      La question de savoir si les rapports litigieux constituent une catégorie d’informations spécifique bénéficiant, en raison de leur nature même, d’une présomption générale de confidentialité devrait amener les juges du fond à évaluer si, ainsi que les requérantes le prétendent, les éléments publics et non publics de ces rapports forment un ensemble inséparable revêtant une valeur économique qui, en tant que tel, est soustrait à l’application de l’article 4, paragraphe 6, du règlement n° 1049/2001. En tout état de cause, pour les besoins de la présente procédure, il ne paraît pas pertinent – et il ne serait pas utile pour l’entreprise pharmaceutique, qui a demandé à l’EMA l’accès auxdits rapports – de permettre par voie de référé une divulgation limitée strictement aux données qui se trouvent déjà dans le domaine public. En effet, cette entreprise, qui appartient au milieu professionnel intéressé par ce type d’informations, devrait aisément trouver accès à ces passages des rapports litigieux par le biais d’instruments de recherche appropriées sur l’internet (voir, en ce sens, ordonnance du 1er septembre 2015, Pari Pharma/EMA, T‑235/15 R, EU:T:2015:587, point 56 et jurisprudence citée).

72      Compte tenu des considérations qui précèdent, le caractère confidentiel des rapports litigieux, pris dans leur intégralité, ne fait pas manifestement défaut (voir, en ce sens, ordonnance du 2 mars 2016, Evonik Degussa/Commission, C‑162/15 P‑R, non publiée, EU:C:2016:142, point 69).

73      Il y a donc lieu d’admettre l’existence d’un fumus boni juris en ce qui concerne le moyen fondé sur le caractère confidentiel des rapports litigieux dans leur intégralité et tiré d’une violation de l’article 339 TFUE, de l’article 7 de la charte des droits fondamentaux et de l’article 4, paragraphe 2, premier tiret, du règlement n° 1049/2001.

 Sur la mise en balance des intérêts

74      Selon une jurisprudence bien établie, la mise en balance des intérêts consiste pour le juge des référés à déterminer si l’intérêt de la partie qui sollicite les mesures provisoires à en obtenir l’octroi prévaut ou non sur l’intérêt que présente l’application immédiate de l’acte litigieux, en examinant, plus particulièrement, si l’annulation éventuelle de cet acte par le juge du fond permettrait le renversement de la situation qui aurait été provoquée par son exécution immédiate et, inversement, si le sursis à l’exécution dudit acte serait de nature à faire obstacle à son plein effet, au cas où le recours principal serait rejeté (voir ordonnance du 1er septembre 2015, Pari Pharma/EMA, T‑235/15 R, EU:T:2015:587, point 64 et jurisprudence citée).

75      S’agissant plus particulièrement de la condition selon laquelle la situation juridique créée par une ordonnance de référé doit être réversible, il y a lieu de noter que la finalité de la procédure de référé se limite à garantir la pleine efficacité de la future décision au fond. Par conséquent, cette procédure a un caractère purement accessoire par rapport à la procédure principale sur laquelle elle se greffe, de sorte que la décision prise par le juge des référés doit présenter un caractère provisoire, en ce sens qu’elle ne saurait ni préjuger du sens de la future décision au fond ni la rendre illusoire en la privant d’effet utile (voir ordonnance du 1er septembre 2015, Pari Pharma/EMA, T‑235/15 R, EU:T:2015:587, point 65 et jurisprudence citée).

76      Il s’ensuit nécessairement que l’intérêt défendu par une partie à la procédure de référé n’est pas digne de protection lorsque cette partie demande au juge des référés d’adopter une décision qui, loin de présenter un caractère purement provisoire, aurait pour effet de préjuger du sens de la future décision au fond et de la rendre illusoire en la privant d’effet utile (ordonnance du 1er septembre 2015, Pari Pharma/EMA, T‑235/15 R, EU:T:2015:587, point 66).

77      En l’espèce, le Tribunal sera appelé à statuer, dans le cadre du litige principal, sur le point de savoir si la décision attaquée – par laquelle l’EMA a rejeté la demande de confidentialité des requérantes et manifesté son intention de divulguer à un tiers les rapports litigieux – doit être annulée pour méconnaissance de la nature confidentielle de ces rapports, en ce que leur divulgation serait constitutive d’une violation, notamment, de l’article 7 de la charte des droits fondamentaux, de l’article 339 TFUE et de l’article 4, paragraphe 2, premier tiret, du règlement n° 1049/2001. À cet égard, il est évident que, pour conserver l’effet utile d’un arrêt annulant la décision attaquée, les requérantes doivent être en mesure d’éviter que l’EMA ne procède à une divulgation illicite desdits rapports. Or, un arrêt d’annulation serait rendu illusoire et privé d’effet utile si la présente demande en référé était rejetée, ce rejet ayant pour conséquence de permettre à l’EMA la divulgation immédiate des rapports litigieux – ce qui supprimerait de manière irréversible leur nature confidentielle – et donc de facto de préjuger du sens de la future décision au fond, à savoir un rejet du recours en annulation (voir, en ce sens, ordonnances du 1er septembre 2015, Pari Pharma/EMA, T‑235/15 R, EU:T:2015:587, point 67, et du 2 mars 2016, Evonik Degussa/Commission, C‑162/15 P‑R, non publiée, EU:C:2016:142, point 105).

78      Il s’ensuit que l’intérêt de l’EMA à voir rejeter la demande en référé doit céder devant l’intérêt défendu par les requérantes, d’autant plus que l’octroi des mesures provisoires sollicitées ne reviendrait qu’à maintenir le statu quo pour une période limitée, alors que l’EMA, loin d’affirmer qu’une divulgation des rapports litigieux répondait à un besoin impérieux de protéger la santé publique au regard d’une dangerosité spécifique du médicament vétérinaire Bravecto – laquelle apparaîtrait d’ailleurs difficilement compatible avec l’octroi de l’AMM pour ce médicament –, s’est limitée à invoquer, notamment, l’importance du principe général de transparence dans l’intérêt de la santé humaine ainsi que dans celui des médecins et des patients (voir, en ce sens, ordonnances du 1er septembre 2015, Pari Pharma/EMA, T‑235/15 R, EU:T:2015:587, point 68, et du 2 mars 2016, Evonik Degussa/Commission, C‑162/15 P‑R, non publiée, EU:C:2016:142, point 114).

79      L’EMA fait valoir qu’un tel raisonnement risque de permettre à des entreprises pharmaceutiques, telles que les requérantes, de poursuivre une stratégie dilatoire tendant à faire obstacle au droit du public d’avoir accès aux documents relatifs aux médicaments. En effet, il suffirait à toute entreprise qui conteste une décision accordant l’accès à des documents pharmacologiques de recourir systématiquement à la procédure de référé et d’invoquer l’éventuelle confidentialité de ces documents pour bénéficier automatiquement de mesures provisoires empêchant leur divulgation. Compte tenu de la longueur actuelle des procédures de contrôle juridictionnel devant le Tribunal, cette stratégie affecterait la mise à disposition concrète des informations relatives à un médicament.

80      À cet égard, il y a cependant lieu de relever que l’octroi d’une mesure provisoire présuppose l’établissement, par la partie qui l’a demandée, d’un fumus boni juris. Or, dès lors que le juge des référés a constaté l’existence d’un fumus boni juris, la demande en référé introduite par cette partie ne saurait guère être qualifiée de manœuvre dilatoire.

81      S’agissant de la longueur des procédures juridictionnelles déplorée par l’EMA, il importe de noter que la durée moyenne d’instance était au Tribunal de moins de deux ans en 2014 et en 2015 (voir statistiques judiciaires du Tribunal, Rapport annuel 2015 de la Cour de justice de l’Union européenne, p. 179). Si l’EMA jugeait nécessaire de faire prévaloir le principe de transparence plus rapidement en l’espèce, il lui était loisible de présenter une demande de procédure accélérée, en vertu des articles 151 et 152 du règlement de procédure, en faisant valoir qu’une divulgation des rapports litigieux était particulièrement urgente dans les circonstances de l’affaire. Dans ce contexte, il convient de rappeler, à titre d’exemple, que les procédures accélérées dans les affaires ayant donné lieu à l’arrêt du 8 juin 2011, Bamba/Conseil, (T‑86/11, EU:T:2011:260) et à l’arrêt du 10 novembre 2015, GSA et SGI/Parlement (T‑321/15, non publié, EU:T:2015:834) n’ont duré que, respectivement, quatre et cinq mois jusqu’au prononcé des arrêts.

82      Par ailleurs, si l’EMA a manqué d’introduire une demande de procédure accélérée en temps utile et en bonne et due forme, à savoir par acte séparé et lors du dépôt de son mémoire en défense dans le litige principal dans l’affaire T‑729/15, elle peut toujours suggérer au Tribunal d’ouvrir une telle procédure d’office, conformément à l’article 151, paragraphe 2, du règlement de procédure, ou de faire juger l’affaire par priorité, conformément à l’article 67, paragraphe 2, de ce règlement.

83      Compte tenu de ces considérations, il convient de conclure que la balance des intérêts en présence penche en faveur de l’octroi des mesures provisoires demandées, les intérêts de transparence défendus par l’EMA étant suffisamment satisfaits, jusqu’à ce qu’il soit statué sur le recours au fond, par la publication du résumé des caractéristiques du médicament vétérinaire Bravecto, de la notice destinée à l’utilisateur et de l’EPAR.

 Sur l’urgence

84      Les requérantes font valoir qu’une divulgation des rapports litigieux leur causerait un préjudice grave. En effet, ces rapports révéleraient leur savoir-faire secret et fourniraient une stratégie quant à la façon de planifier un programme de toxicologie répondant à une autorisation de l’EMA. Les rapports litigieux renfermeraient certains détails sur les normes internes de gestion d’un essai de toxicologie développées par MSD et comporteraient beaucoup plus de précisions que les documents de référence. Il s’agirait d’informations précieuses, acquises au prix d’efforts et de frais substantiels, dont la divulgation procurerait à leurs concurrents un avantage concurrentiel indu, puisqu’ils pourraient les utiliser comme une aide à la conception de leurs propres essais de toxicologie et étalonner, au regard des éléments produits par MSD, leurs propres demandes d’AMM, d’autres dossiers de demande en instance et des projets de développement de produits conçus à l’intérieur de l’Union ou dans des pays tiers. Ces concurrents pourraient ainsi vérifier s’ils ont envisagé toutes les éventualités, si leurs interprétations sont conformes à celles adoptées par MSD, voire même prendre des raccourcis et s’épargner la peine d’effectuer sur certains aspects des expériences dont ils constateraient l’absence dans les rapports litigieux.

85      Les requérantes soulignent qu’une divulgation des rapports litigieux pourrait porter une atteinte particulièrement grave à leurs intérêts en dehors de l’Union, où l’aptitude de leurs concurrents à une exploitation de ces rapports est immense. Une telle divulgation entraînerait, ainsi, la perte immédiate du bénéfice de la période d’exclusivité des données et, partant, l’éventualité d’une autorisation immédiate de produits concurrents, et ce sur la base d’un faible nombre d’essais dans certains pays tiers, dont l’Australie, le Brésil, la Chine et le Chili. En outre, une divulgation ferait naître le risque que des concurrents puissent recourir au programme de certification de produits pharmaceutiques à l’importation et à l’exportation de l’Organisation mondiale de la santé pour obtenir d’autres autorisations dans des marchés émergents du monde entier. Enfin, les concurrents seraient en mesure d’analyser l’exposé des informations non cliniques dans les rapports litigieux et les stratégies utilisées par MSD pour traiter et aborder les questions susceptibles d’être soulevées par l’autorité de régulation, afin d’obtenir de leur côté plus facilement une AMM, que ce soit à l’intérieur ou à l’extérieur de l’Union.

86      Les requérantes sont particulièrement préoccupées par ces possibilités à la lumière de leurs projets d’avenir pour le Bravecto. Dans ce contexte, elles affirment qu’il existe déjà [Confidentiel](1). Ces projets de développement de produits constitueraient des secrets d’affaires. Or, il serait sérieusement à craindre que les concurrents des requérantes soient en mesure de compromettre les futurs projets auxquels MSD destine le Bravecto à l’intérieur et à l’extérieur de l’Union, en profitant des rapports litigieux pour activer leurs projets de développement de produits et obtenir une AMM plus rapidement qu’ils n’auraient pu le faire autrement, voire même devancer les demandes des requérantes elles-mêmes.

87      De l’avis des requérantes, la valeur commerciale évidente que représente pour leurs concurrents l’accès aux rapports litigieux transparaît également dans le fait que le demandeur d’accès aux documents est une société pharmaceutique. Selon toute probabilité, il s’agirait là d’un concurrent jugeant profitable de pouvoir utiliser ces informations pour ses propres besoins. En effet, un rapport de toxicologie non clinique serait particulièrement exposé au risque d’utilisation abusive, étant donné que la réalisation de l’essai a pour principal objet la détermination des doses auxquelles la molécule se révèle toxique.

88      Les requérantes considèrent que, si les rapports litigieux étaient divulgués sur le fondement du règlement n° 1049/2001, cette divulgation acquerrait un effet erga omnes en ce sens qu’ils pourraient être communiqués à d’autres demandeurs et que toute personne aurait le droit d’y accéder. Ainsi, tous les concurrents existants et potentiels des requérantes pourraient, en principe, en disposer dans le monde entier et les utiliser à n’importe quelle fin, en ce compris la concurrence avec les requérantes, en déposant dans des pays tiers des demandes d’AMM fondées sur les données des requérantes.

89      Elles en concluent que le préjudice qu’elles risquent de subir en raison de la divulgation des rapports litigieux sera irréparable. D’une part, toute information confidentielle, une fois divulguée, le serait à tout jamais. D’autre part, ce préjudice ne pourrait pas être identifié et chiffré de manière adéquate, de sorte qu’un recours en indemnité ne permettrait pas de le réparer. En effet, en cas de divulgation des rapports litigieux, les requérantes n’auraient aucun moyen de savoir lesquels de leurs concurrents ont pris connaissance des informations confidentielles ni à quelles fins ils envisagent de les utiliser, puisqu’elles ignorent l’identité du demandeur d’accès ainsi que les raisons de cette demande. En outre, eu égard à l’effet erga omnes de cette divulgation, lesdits rapports seraient susceptibles d’être transmis à des concurrents à l’insu des requérantes. Celles-ci n’auraient aucun moyen de savoir quand un autre producteur aura utilisé leurs informations pour en tirer un avantage concurrentiel, soit à l’appui d’une demande accélérée d’AMM pour un marché émergent, puisque le dépôt d’une demande d’AMM n’est généralement pas divulgué, soit pour accélérer le développement de médicaments concurrents.

90      L’EMA affirme, en revanche, qu’une divulgation des rapports litigieux ne causerait aux requérantes aucun préjudice grave et irréparable. Concernant l’affirmation selon laquelle ces rapports peuvent être utilisés par des concurrents pour étalonner leurs propres programmes et essais, l’EMA souligne que, même en admettant que l’étalonnage pourrait éventuellement procurer un avantage mineur à un concurrent, à savoir l’utilisation des rapports pour effectuer des comparaisons scientifiques, les requérantes n’ont pas démontré que ceci pourrait permettre aux concurrents d’accélérer leur processus d’approbation réglementaire et d’obtenir l’approbation d’essais cliniques plus rapidement, étant donné qu’ils devraient quand même mener leurs propres essais et fournir toutes les données requises pour que leur dossier soit complet. Par conséquent, l’invocation du savoir-faire prétendument contenu dans les rapports litigieux serait vague, voire vide de sens, et, en tout état de cause, ne serait pas justifiée par les caractéristiques des documents, qui ressemblent à tous égards à des centaines d’autres documents.

91      L’EMA ajoute que les prétendus dommages ne sont même pas directement liés à la décision attaquée, mais plutôt à l’octroi hypothétique d’une AMM pour un produit concurrentiel. Cependant, l’issue positive d’une procédure d’AMM ne serait en aucun cas garantie et les requérantes auraient omis de prouver que l’AMM accordée à un produit concurrent pour l’indication en cause reposerait sur une utilisation abusive des rapports litigieux par un concurrent. Les requérantes ne feraient que supposer que l’entreprise pharmaceutique ayant demandé à avoir accès à ces rapports est un concurrent qui a un intérêt propre à les utiliser. Il s’agirait là d’une affirmation purement hypothétique des requérantes qui, pour cette raison, devrait être rejetée.

92      L’EMA ne conteste pas que les marchés des produits pharmaceutiques soient innovants et dynamiques et se caractérisent par la complexité technique des produits et un niveau élevé d’investissements. Elle n’en relève pas moins que les requérantes n’ont apporté aucune preuve concluante qui permettrait d’évaluer la mesure dans laquelle leur avantage compétitif pourrait être affecté négativement et les risques réels d’une utilisation abusive des rapports litigieux. L’EMA reconnaît aussi pleinement les coûts associés au développement de médicaments, y compris les coûts encourus par les demandeurs d’AMM pour la production d’informations scientifiques destinées à démontrer les effets des médicaments sur la santé animale et la santé humaine. Toutefois, en vertu du droit de l’Union, ces informations bénéficieraient d’une importante période de protection des données et d’exclusivité commerciale, pendant laquelle un concurrent ne peut pas utiliser les informations cliniques et non cliniques transmises par d’autres entreprises pharmaceutiques pour étayer sa propre demande d’AMM. Ce modèle de protection aurait précisément pour but de permettre à l’entreprise à l’origine des informations de récupérer ses investissements, une divulgation des informations en vertu du règlement nº 1049/2001 ne pouvant mettre en péril cet objectif.

93      L’EMA soutient que l’argument tiré d’une éventuelle utilisation des rapports litigieux en vue d’obtenir des AMM pour des médicaments concurrents à l’extérieur de l’Union doit être rejeté, puisqu’il est vague et hypothétique et qu’il aurait, en tout état de cause, pour effet de rendre sans objet le droit du public, accordé par la législation de l’Union, d’accéder à des informations concernant les médicaments autorisés. Par ailleurs, les organismes régulateurs de pays tiers seraient libres de se fonder sur l’autorisation d’un médicament délivrée dans l’Union pour accorder à tout fabricant l’accès à leurs propres marchés, sans exiger le dépôt de données cliniques ou précliniques. Enfin, l’EMA conteste qu’une divulgation des rapports litigieux puisse affecter les projets futurs de développement d’autres indications du Bravecto, comme les requérantes le prétendent. En effet, l’EMA aurait accepté d’expurger les références faites dans les rapports litigieux à tout projet de développement futur des requérantes.

94      À cet égard, il y a lieu de souligner que la finalité de la procédure de référé est de garantir la pleine efficacité de la future décision définitive, afin d’éviter une lacune dans la protection juridique assurée par le juge de l’Union. Pour atteindre cet objectif, l’urgence doit s’apprécier par rapport à la nécessité qu’il y a de statuer provisoirement, afin d’éviter qu’un préjudice grave et irréparable ne soit occasionné à la partie qui sollicite la protection provisoire. C’est à cette dernière partie qu’il appartient d’apporter la preuve qu’elle ne saurait attendre l’issue de la procédure au fond sans avoir à subir un préjudice de cette nature [voir ordonnance du 1er septembre 2015, Pari Pharma/EMA, T‑235/15 R, EU:T:2015:587, point 82 (non publié) et jurisprudence citée].

95      En l’espèce, le préjudice invoqué résulte de la divulgation d’informations prétendument confidentielles. Aux fins de l’appréciation de l’existence d’un préjudice grave et irréparable, le juge des référés doit nécessairement partir de la prémisse selon laquelle les informations prétendument confidentielles le sont effectivement, conformément aux allégations formulées par les requérantes, puisque l’examen du fumus boni juris ne permettait pas de conclure à l’absence manifeste de confidentialité de ces informations. Par conséquent, il y a lieu de considérer, pour les besoins du présent examen de l’urgence, que les rapports litigieux revêtent un caractère confidentiel (voir, en ce sens, ordonnances du 1er septembre 2015, Pari Pharma/EMA, T‑235/15 R, EU:T:2015:587, points 84 et 85 et jurisprudence citée, et du 2 mars 2016, Evonik Degussa/Commission, C‑162/15 P‑R, non publiée, EU:C:2016:142, points 84 et 85).

96      Or, partant de cette prémisse, la divulgation des rapports litigieux occasionnerait nécessairement un préjudice important aux requérantes (voir, en ce sens, ordonnance du 2 mars 2016, Evonik Degussa/Commission, C‑162/15 P‑R, non publiée, EU:C:2016:142, point 86).

97      En effet, en ce qui concerne plus particulièrement le préjudice invoqué par les requérantes en l’espèce, il a été jugé qu’un préjudice financier objectivement considérable ou même non négligeable pouvait être considéré comme « grave », sans qu’il soit nécessaire de le rapporter systématiquement au chiffre d’affaires de l’entreprise qui craint de le subir [voir, en ce sens, ordonnance du 7 mars 2013, EDF/Commission, C‑551/12 P(R), EU:C:2013:157, points 32 et 33 ; voir également, par analogie, ordonnance du 8 avril 2014, Commission/ANKO, C‑78/14 P‑R, EU:C:2014:239, point 34].

98      Or, les rapports litigieux comportant des évaluations scientifiques de nature pharmaceutique et toxicologique font partie du dossier élaboré par les requérantes sur le fondement duquel une AMM a été octroyée au médicament vétérinaire Bravecto. Ces rapports touchent donc à l’activité productrice et commerciale des requérantes. Compte tenu du caractère dynamique des marchés pharmaceutiques, du niveau élevé des investissements réalisés pour développer de nouveaux médicaments et de l’intérêt manifesté par une entreprise pharmaceutique à avoir accès précisément aux rapports litigieux, il s’avère que ces derniers sont objectivement susceptibles d’être utilisés sur le plan de la concurrence, tout concurrent des requérantes pouvant les exploiter pour ses propres besoins scientifiques et commerciaux (voir point 56 ci-dessus). Il s’ensuit que ces rapports constituent un bien immatériel susceptible d’être utilisé à des fins compétitives, dont la valeur risquerait d’être réduite de manière non négligeable, c’est-à-dire grave, au sens de la jurisprudence mentionnée au point 97 ci-dessus, s’ils perdaient leur caractère secret (voir, en ce sens, ordonnance du 1er septembre 2015, Pari Pharma/EMA, T‑235/15 R, EU:T:2015:587, point 89).

99      En tout état de cause, ainsi qu’il vient d’être exposé ci-dessus, l’existence d’un fumus boni juris a été reconnue, entre autres motifs, parce que la question de savoir si la divulgation des rapports litigieux porterait une atteinte grave, moyenne ou insignifiante aux intérêts commerciaux des requérantes confrontait le juge des référés à des problèmes complexes, dont la solution ne s’imposait pas d’emblée dans le cadre de la procédure de référé, mais méritait un examen minutieux par les juges du fond (voir point 57 ci-dessus). Or, cette appréciation, qui a permis de conclure à l’existence d’un fumus boni juris justifiant l’octroi des mesures provisoires demandées et de présumer, pour les besoins de la procédure de référé, le caractère confidentiel des rapports litigieux, ne saurait être remise en question dans le cadre de l’urgence par une négation de la gravité du préjudice allégué (voir, par analogie, ordonnance du 2 mars 2016, Evonik Degussa/Commission, C‑162/15 P‑R, non publiée, EU:C:2016:142, points 84, 85 et 107). En effet, une telle négation reviendrait à répondre, au stade du référé, par la négative à la question susmentionnée, alors qu’une réponse privant ces rapports de leur caractère confidentiel doit être réservée aux juges du fond. Il s’ensuit que le juge des référés est tenu de présumer, pour les besoins de l’examen de l’urgence, non seulement la confidentialité des rapports litigieux, mais également le caractère grave du préjudice susceptible d’être causé aux requérantes par une divulgation desdits rapports (voir, en ce sens, ordonnance du 1er septembre 2015, Pari Pharma/EMA, T‑235/15 R, EU:T:2015:587, point 90).

100    Par conséquent, les requérantes ont établi, à suffisance de droit, la gravité du préjudice financier qu’elles risquent d’encourir en cas de divulgation des rapports litigieux.

101    Cette conclusion n’est pas infirmée par la circonstance que, au cours de leurs contacts avec l’EMA, les requérantes avaient, dans un premier temps, occulté certaines parties des rapports litigieux comme étant confidentielles (voir point 10 ci-dessus). En effet, aucune règle de droit n’empêchait les requérantes de revenir sur cette approche et de considérer, à un stade ultérieur de la procédure, que les rapports litigieux devaient bénéficier dans leur intégralité d’une présomption générale de confidentialité. Ce comportement des requérantes, loin d’indiquer que seule une divulgation des éléments initialement occultés serait de nature à leur causer un préjudice grave, est plutôt l’expression de la crainte qu’une divulgation des rapports litigieux, pris intégralement, leur causerait un préjudice « grave », tandis que le préjudice subi en cas de divulgation des éléments initialement occultés, de nature particulièrement sensible, serait « extrêmement grave ».

102    En ce qui concerne le caractère irréparable du préjudice invoqué, force est de constater, d’emblée, qu’une annulation de la décision attaquée ne saurait inverser les effets de la divulgation des rapports litigieux, dès lors que la prise de connaissance de ceux-ci par les personnes les ayant lus n’en serait pas effacée (voir, en ce sens, ordonnance du 2 mars 2016, Evonik Degussa/Commission, C‑162/15 P‑R, non publiée, EU:C:2016:142, point 90 et jurisprudence citée).

103    Ensuite, s’agissant de la survenance du préjudice susceptible d’être causé aux requérantes par une divulgation des rapports litigieux au tiers qui a présenté à l’EMA une demande en ce sens, il est vrai qu’une telle divulgation d’informations à une personne individuelle est d’une nature autre qu’une publication d’informations sur l’internet, telle que celle en cause dans l’ordonnance du 10 septembre 2013, Commission/Pilkington Group [C‑278/13 P(R), EU:C:2013:558]. Dans cette dernière hypothèse, le préjudice redouté par l’entreprise concernée n’est pas immédiatement causé par la publication sur l’internet en tant que telle. Encore faut-il que les personnes éventuellement intéressées par les informations en cause, notamment des concurrents, soient informées de cette publication et prennent effectivement connaissance des informations, en vue de les utiliser à des fins dommageables. Une telle publication sur l’internet ne fait donc que placer l’entreprise concernée dans une situation de vulnérabilité générale, laquelle peut être exploitée, à tout moment, par des personnes intéressées, ce qui est susceptible de causer des préjudices à ladite entreprise (voir, en ce sens, ordonnance du 1er septembre 2015, Pari Pharma/EMA, T‑235/15 R, EU:T:2015:587, point 94).

104    Or, une divulgation des rapports litigieux au tiers, qui a présenté à l’EMA une demande en ce sens au titre du règlement n° 1049/2001, placerait les requérantes dans une situation de vulnérabilité au moins aussi menaçante que celle analysée dans l’ordonnance du 10 septembre 2013, Commission/Pilkington Group [C‑278/13 P(R), EU:C:2013:558]. En effet, ce tiers prendrait immédiatement connaissance desdits rapports et pourrait les exploiter aussitôt à toutes les fins qui lui paraîtraient utiles, d’autant que l’article 6, paragraphe 1, du règlement n° 1049/2001 dispense le demandeur de toute obligation de justifier sa demande d’accès. Les requérantes devraient donc s’attendre à ce que leur divulgation soit susceptible d’affaiblir leur position compétitive. Elles se trouveraient, dès lors, dans une situation de vulnérabilité qui entraînerait pour elles un risque de préjudice (voir, en ce sens, ordonnance du 1er septembre 2015, Pari Pharma/EMA, T‑235/15 R, EU:T:2015:587, point 95).

105    À cela s’ajoute que la divulgation individuelle d’un document au titre du règlement n° 1049/2001 acquiert un effet erga omnes en ce sens que le document divulgué entre dans le domaine public : il peut être communiqué à d’autres demandeurs et toute personne a le droit d’y accéder (voir, en ce sens, arrêts du 21 octobre 2010, Agapiou Joséphidès/Commission et EACEA, T‑439/08, non publié, EU:T:2010:442, point 116, et du 26 avril 2016, Strack/Commission, T‑221/08, EU:T:2016:242, point 128). Par conséquent, à la suite d’une divulgation des rapports litigieux, tous les concurrents des requérantes pourraient s’adresser, eux-mêmes, à l’EMA pour obtenir ces rapports directement. L’effet erga omnes susmentionné permettrait même à l’EMA de procéder, de sa propre initiative, à la publication des rapports litigieux. Or, ainsi qu’il ressort du point 4.4 du document EMA/110196/2006 du 30 novembre 2010, intitulé « Politique de l’EMA sur l’accès aux documents (concernant les médicaments à usage humain et vétérinaire) » (joint en annexe à la demande en référé), la nouvelle politique d’accès de l’EMA consiste précisément à rendre public, notamment, tout document qu’elle détient et auquel un accès a été accordé sur demande écrite.

106    S’il est donc vrai qu’une divulgation des rapports litigieux au titre du règlement n° 1049/2001 et leur publication en vertu d’une autre base légale se distinguent juridiquement, il semble que, dans les circonstances du cas d’espèce, cette divulgation conduirait à une situation comparable, d’un point de vue fonctionnel, à celle d’une publication. En effet, une divulgation des rapports litigieux, déclenchant l’effet erga omnes susmentionné et l’application automatique de la nouvelle politique d’accès de l’EMA, impliquerait nécessairement qu’un nombre illimité de tiers acquièrent la connaissance de ces rapports, dont le caractère confidentiel cesserait, dès lors, d’être protégé (voir, en ce sens et par analogie, ordonnance du 2 mars 2016, Evonik Degussa/Commission, C‑162/15 P‑R, non publiée, EU:C:2016:142, point 50).

107    Or, une fois les rapports litigieux divulgués, il serait fortement probable que des concurrents, actuels ou potentiels, des requérantes ayant un intérêt réel à pouvoir les exploiter essayeraient de se les procurer, afin de les utiliser pour leurs propres besoins scientifiques et commerciaux, notamment en vue de produire un médicament similaire au Bravecto et d’obtenir l’autorisation pour sa commercialisation sur les marchés les plus divers situés dans ou hors de l’Union. Si l’EMA semble douter de l’utilité des rapports litigieux à des fins compétitives, il suffit de relever que le juge des référés n’est pas particulièrement bien placé pour émettre, en connaissance de cause, des pronostics fiables sur la manière dont les concurrents des requérantes pourraient exploiter ces informations scientifiques, une fois divulguées, en fonction de leurs intérêts de recherche, de développement et de commercialisation individuels (voir, en ce sens, ordonnance du 1er septembre 2015, Pari Pharma/EMA, T‑235/15 R, EU:T:2015:587, point 97).

108    Par conséquent, la survenance du préjudice financier que subiraient les requérantes en raison d’une telle exploitation future, par leurs concurrents, des rapports litigieux ne saurait être qualifiée de purement hypothétique. Il est plutôt prévisible avec un degré de probabilité suffisant que la situation de vulnérabilité dans laquelle seraient placées les requérantes en cas de divulgation de ces rapports se transformerait pour elles en un préjudice financier (voir, en ce sens, ordonnance du 1er septembre 2015, Pari Pharma/EMA, T‑235/15 R, EU:T:2015:587, point 98).

109    Au demeurant, si la prise de connaissance et l’utilisation, par les personnes intéressées, d’informations publiées sur l’internet n’ont pas été considérées comme hypothétiques dans l’ordonnance du 10 septembre 2013, Commission/Pilkington Group [C‑278/13 P(R), EU:C:2013:558], il doit en aller de même de la prise de connaissance et de l’utilisation, par les personnes intéressées, d’informations qui, après avoir été divulguées à un tiers, deviendraient librement accessibles à tous les concurrents de l’entreprise titulaire de ces informations. Sous cet aspect, la différence entre ces deux modes d’accès consiste en la seule technique de communication concrètement appliquée (voir, en ce sens, ordonnance du 1er septembre 2015, Pari Pharma/EMA, T‑235/15 R, EU:T:2015:587, point 99).

110    S’agissant de déterminer si le préjudice financier que les requérantes risqueraient de subir en cas de divulgation des rapports litigieux peut être chiffré, il convient de relever que les requérantes devraient s’attendre à ce qu’un nombre indéterminé et théoriquement illimité de concurrents actuels et potentiels dans le monde entier se procurent ces rapports afin de procéder à de nombreuses utilisations qui, selon l’état d’avancement de leurs programmes de recherche et de développement, entraîneraient des effets préjudiciables à court, à moyen ou à long terme, susceptibles de déjouer, dès l’origine, toute stratégie d’expansion des requérantes. Il se pourrait même que ces rapports, devenus publiquement accessibles, parviennent à des concurrents, sans que les requérantes en soient informées, ce qui serait notamment le cas si l’EMA procédait à leur publication en application de sa nouvelle politique d’accès. Les requérantes seraient ainsi confrontées à la difficulté insurmontable d’instaurer un système de surveillance destiné à détecter, à une échelle mondiale, comment leurs concurrents exploiteraient à court, à moyen ou à long terme les rapports litigieux pour en tirer des avantages concurrentiels, notamment pour commercialiser, eux-mêmes, avec ou sans autorisation, le médicament en cause dans des pays tiers (voir, en ce sens, ordonnance du 1er septembre 2015, Pari Pharma/EMA, T‑235/15 R, EU:T:2015:587, point 100).

111    En particulier, une divulgation des rapports litigieux risquerait de compromettre la réalisation des projets futurs de développement d’autres indications du Bravecto, lancés par les requérantes (voir point 86 ci-dessus), dont ni l’existence ni le caractère concret n’ont été remis en doute par l’EMA. Si l’EMA rappelle avoir accepté d’expurger toute référence audits projets futurs (voir point 93 ci-dessus), il n’en reste pas moins que l’exploitation des rapports litigieux pourrait objectivement amener les concurrents des requérantes à lancer des projets similaires à ceux de ces dernières, ce qui ne serait pas sans gêner leurs intérêts économiques et financiers.

112    Il s’avère, dès lors, impossible d’apprécier l’impact concret qu’une divulgation des rapports litigieux pourrait avoir sur les intérêts économiques et financiers des requérantes. Il s’ensuit que le préjudice qu’elles risqueraient de subir en cas de divulgation desdits rapports ne peut être chiffré de manière adéquate.

113    Compte tenu des considérations qui précèdent, il convient de constater que la condition relative à l’urgence est remplie en l’espèce, la survenance probable, pour les requérantes, d’un préjudice grave et irréparable étant établie à suffisance de droit. Eu égard aux particularités du contentieux de la protection d’informations prétendument confidentielles, les requérantes ne sont pas tenues d’établir, de surcroît, qu’elles se trouveraient dans une situation susceptible de mettre en péril leur survie économique ou que leurs parts de marché seraient gravement et irrémédiablement affectées si les mesures provisoires demandées n’étaient pas accordées (voir, en ce sens et par analogie, ordonnance du 8 avril 2014, Commission/ANKO, C‑78/14 P‑R, EU:C:2014:239, points 26 et suivants).

114    En tout état de cause, même si le préjudice allégué par les requérantes ne pouvait pas être qualifié d’irréparable, le juge des référés devrait protéger les rapports litigieux dans leur intégralité contre la divulgation envisagée par l’EMA et serait empêché d’examiner la confidentialité de chaque donnée individuelle figurant dans ces rapports, en vue de ne faire droit à la demande en référé, éventuellement, que de manière partielle (voir, en ce sens, ordonnance du 1er septembre 2015, Pari Pharma/EMA, T‑235/15 R, EU:T:2015:587, point 103).

115    En effet, d’une part, il serait incohérent que le juge des référés reconnaisse l’existence d’un fumus boni juris en raison de la nature des informations couvertes par une demande de confidentialité ainsi que du caractère complexe des questions de confidentialité soulevées, en relevant que la réponse à ces questions mérite un examen approfondi à effectuer par les seuls juges du fond, pour revenir ensuite sur ce résultat dans le cadre de son examen de l’urgence en permettant la divulgation de certaines données individuelles, alors qu’il ne saurait être exclu que les juges du fond refuseront, quant à eux, d’effectuer un tel examen concret et individuel du caractère confidentiel des données individuelles et préféreront examiner si les catégories d’informations invoquées par la requérante doivent, en raison de leur nature même, bénéficier d’une présomption générale de confidentialité (voir point 99 ci-dessus). [Ord T-235/15 R, point 105]

116    D’autre part, le juge des référés doit tenir compte, également dans le cadre de son examen de l’urgence, de la nature intrinsèquement accessoire et provisoire de la procédure de référé par rapport à la procédure principale ainsi que de la nécessité de ne pas préjuger, au stade du référé, de l’issue de l’affaire au fond. Étant donné que ces considérations relatives à la nature de la procédure de référé sont déterminantes pour le résultat final de cette procédure en tant que telle, elles ne peuvent pas être confinées aux seuls domaines du fumus boni juris et de la mise en balance des intérêts. En effet, l’interdiction faite au juge des référés de rendre illusoire, par une ordonnance de référé, la future décision au fond en la privant d’effet utile vise à éviter, notamment, que soient neutralisées par avance les conséquences de la décision à rendre ultérieurement sur le fond (voir, en ce sens, ordonnance du 1er septembre 2015, Pari Pharma/EMA, T‑235/15 R, EU:T:2015:587, point 106 et jurisprudence citée).

117    Or, les conséquences et l’effet utile d’un éventuel arrêt d’annulation mettant fin à la procédure principale ne sauraient être limités à la constatation du caractère confidentiel des rapports litigieux et de l’illégalité de leur divulgation. Ils consisteraient plutôt pour les requérantes, en cas d’annulation de la décision attaquée, à voir assurer que ne soit divulguée aucune donnée figurant dans ces rapports dont le caractère confidentiel aurait été reconnu par les juges du fond, et ce indépendamment du point de savoir si une telle divulgation leur causerait un préjudice réparable ou irréparable. Ainsi, il convient notamment de faire une distinction nette entre le présent contentieux, relatif à la protection d’informations prétendument confidentielles, et le contentieux relatif à la légalité d’obligations de paiement imposées par une décision de la Commission, telle qu’une amende ou l’obligation de rembourser une aide d’État. En effet, dans ce dernier contentieux, le rejet d’une demande en référé pour défaut de préjudice grave et irréparable ne saurait neutraliser par avance les conséquences d’une future annulation de la décision attaquée, en ce que le requérant obtiendrait la restitution de la somme d’argent versée ou remboursée, intérêts inclus, et serait ainsi pleinement rétabli dans ses droits pécuniaires (voir, en ce sens, ordonnance du 1er septembre 2015, Pari Pharma/EMA, T‑235/15 R, EU:T:2015:587, points 107 et 108).

118    Eu égard aux particularités du contentieux visant la protection de documents prétendument confidentiels, il n’est pas non plus approprié pour le juge des référés d’envisager une solution partielle consistant à ne protéger que certaines données, tout en permettant que l’accès à d’autres données soit accordé. En effet, dans l’hypothèse où les juges du fond admettraient le principe d’une présomption générale de confidentialité pour les rapports litigieux, ces rapports échapperaient à l’obligation d’une divulgation partielle (voir point 70 ci-dessus). Le juge des référés, tenant compte de ses compétences purement accessoires, ne saurait donc autoriser un accès partiel sans priver d’effet utile cette décision des juges du fond (voir, en ce sens, ordonnance du 1er septembre 2015, Pari Pharma/EMA, T‑235/15 R, EU:T:2015:587, point 109).

119    Par ailleurs, si le juge des référés permettait en l’espèce – au terme d’un examen concret et individuel des différentes données prétendument confidentielles contenues dans les rapports litigieux – la divulgation de données que les juges du fond qualifieraient ultérieurement de confidentielles, il s’arrogerait de facto les compétences de ces juges, seuls habilités à se prononcer, dans la décision mettant fin à la procédure principale, sur le caractère confidentiel desdites données et, par voie de conséquence, sur l’autorisation définitive de procéder à leur divulgation. Par une telle immixtion dans les prérogatives des juges du fond, opérée intentionnellement et en connaissance de cause, le juge des référés risquerait de violer le principe du juge légal découlant de l’article 6, paragraphe 1, de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la « CEDH ») (arrêt du 13 décembre 2012, Strack/Commission, T‑199/11 P, EU:T:2012:691, point 22), principe qui vise à garantir, notamment, que tout litige ne soit jugé que par le tribunal ayant la compétence matérielle de le trancher (voir, en ce sens, Cour EDH, 22 juin 2000, Coëme et autres c. Belgique, CE:ECHR:2000:0622JUD003249296, § 99, et 20 juillet 2006, Sokurenko et Strygun c. Ukraine, CE:ECHR:2006:0720JUD002945804, § 24).

120    Étant donné que le but de la CEDH consiste à protéger des droits concrets et effectifs et que l’organisation du système judiciaire ne saurait être laissée à la discrétion des autorités judiciaires (Cour EDH, 22 juin 2000, Coëme et autres c. Belgique, CE:ECHR:2000:0622JUD003249296, § 98), il importe peu que le principe du juge légal soit enfreint par un tribunal qui tranche le litige en question sans disposer manifestement de la compétence requise à cet égard ou, au sein d’un même tribunal, par le juge des référés qui, méconnaissant délibérément son rôle purement accessoire, adopte une ordonnance qui a pour effet de neutraliser par avance les conséquences de la future décision susceptible d’être prise par les juges du fond et de priver cette décision d’effet utile. Une telle ingérence volontaire dans les prérogatives des juges du fond ne saurait être qualifiée de simple erreur de procédure susceptible d’échapper au champ d’application de l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH.

121    Il s’ensuit que le juge des référés doit laisser inappliqué le critère lié au caractère irréparable du préjudice financier invoqué – critère d’origine purement prétorienne et ne figurant ni dans les traités ni dans le règlement de procédure –, dès lors qu’il est inconciliable avec les impératifs d’une protection provisoire effective [voir, en ce sens, ordonnance du 23 avril 2015, Commission/Vanbreda Risk & Benefits, C‑35/15 P(R), EU:C:2015:275, point 30]. Or, les articles 278 et 279 TFUE, dispositions de droit primaire, autorisent le juge des référés à ordonner un sursis à exécution s’il estime « que les circonstances l’exigent » et à prescrire les mesures provisoires « nécessaires ». Ainsi qu’il vient d’être exposé ci-dessus, ces conditions sont remplies dans le présent contentieux relatif à la protection d’informations prétendument confidentielles (voir, en ce sens, ordonnance du 1er septembre 2015, Pari Pharma/EMA, T‑235/15 R, EU:T:2015:587, point 110 et jurisprudence citée).

122    En conséquence, toutes les conditions étant réunies à cet effet, il y a lieu de faire droit à la demande de sursis à l’exécution de la décision attaqué. De plus, il convient d’enjoindre à l’EMA de ne pas divulguer les rapports litigieux.

Par ces motifs,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

ordonne :

1)      Il est sursis à l’exécution de la décision EMA/785809/2015 de l’Agence européenne des médicaments (EMA), du 25 novembre 2015, accordant à un tiers, en vertu du règlement (CE) n° 1049/2001 du Parlement européen et du Conseil, du 30 mai 2001, relatif à l’accès du public aux documents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission, l’accès aux rapports d’essais toxicologiques C 45151/essai de toxicité cutanée de 28 jours (application en semi-occlusif pendant 6 heures) sur des rats Wistar, C 45162/essai de toxicité orale (gavage) de 28 jours sur des rats Wistar et C 88913/essai de toxicité cutanée de 28 jours (application en semi-occlusif pendant 6 heures) sur des rats Wistar.

2)      Il est enjoint à l’EMA de ne pas divulguer les rapports mentionnés au point 1.

3)      Les dépens sont réservés.

Fait à Luxembourg, le 20 juillet 2016.

Le greffier

 

       Le président

E.  Coulon

 

       M. Jaeger


* Langue de procédure : l’anglais.


1 ‑ Données confidentielles occultées.