Édition provisoire
ARRÊT DU TRIBUNAL DE LA FONCTION PUBLIQUE
DE L’UNION EUROPÉENNE
(juge unique)
28 juin 2016
Affaire F‑118/15
Marcin Kotula
contre
Commission européenne
« Fonction publique – Fonctionnaires – Article 45 du statut – Exercice de promotion 2014 – Dispositions générales d’exécution de l’article 45 du statut – Liste des fonctionnaires proposés à la promotion par les directeurs généraux et chefs de service – Omission du nom du requérant – Transfert interinstitutionnel – Prise en compte des rapports de notation établis par la précédente institution – Possibilité de contester devant le comité paritaire de promotion la liste des fonctionnaires proposés à la promotion – Examen comparatif des mérites des fonctionnaires promouvables »
Objet : Recours, introduit au titre de l’article 270 TFUE, applicable au traité CEEA en vertu de son article 106 bis, par lequel M. Marcin Kotula demande l’annulation de la décision de l’autorité investie du pouvoir de nomination de la Commission européenne, communiquée au personnel de cette institution le 14 novembre 2014, de ne pas le promouvoir au grade AD 9 dans le cadre de l’exercice de promotion 2014.
Décision : Le recours est rejeté. Chaque partie supporte ses propres dépens.
Sommaire
1. Fonctionnaires – Promotion – Examen comparatif des mérites – Modalités – Prise en considération des rapports de notation – Dossier individuel incomplet – Conséquences
(Statut des fonctionnaires, art. 43 et 45)
2. Fonctionnaires – Promotion – Examen comparatif des mérites – Pouvoir d’appréciation de l’administration – Portée – Obligation d’adopter un cadre réglementaire portant sur la mise en œuvre des procédures de promotion, notamment en ce qui concerne les fonctionnaires ayant exercé la mobilité interinstitutionnelle – Absence
(Statut des fonctionnaires, art. 45)
3. Fonctionnaires – Promotion – Examen comparatif des mérites – Consultation des dossiers individuels des candidats – Justification de l’usage fait des informations disponibles – Obligation de l’administration – Absence
(Statut des fonctionnaires, art. 45)
4. Fonctionnaires – Promotion – Examen comparatif des mérites – Modalités – Pouvoir d’appréciation de l’administration – Limites – Respect du principe d’égalité de traitement – Nécessité d’une procédure permettant de neutraliser la subjectivité des appréciations d’évaluateurs différents
(Statut des fonctionnaires, art. 45)
5. Fonctionnaires – Promotion – Examen comparatif des mérites – Examen préalable des dossiers au sein de chaque direction générale – Admissibilité – Examens ultérieurs incombant au comité de promotion puis à l’autorité investie du pouvoir de nomination – Portée
(Statut des fonctionnaires, art. 45)
6. Fonctionnaires – Promotion – Réclamation d’un candidat non promu – Décision de rejet – Obligation de motivation – Portée
(Statut des fonctionnaires, art. 25, al. 2, 45 et 90)
1. Le rapport de notation constitue un élément d’appréciation indispensable chaque fois que la carrière du fonctionnaire est prise en considération par le pouvoir hiérarchique, de sorte qu’une décision de non-promotion est entachée d’irrégularité lorsque l’autorité investie du pouvoir de nomination n’a pas pu procéder à un examen comparatif des mérites des fonctionnaires promouvables parce qu’un ou plusieurs rapports de notation, couvrant la période de référence, correspondant à la période postérieure à la nomination ou à la dernière promotion du fonctionnaire concerné, n’étaient pas disponibles en raison d’une faute de l’administration.
L’indisponibilité d’un rapport de notation n’est pas nécessairement susceptible, en soi, d’empêcher l’autorité investie du pouvoir de nomination d’adopter une décision en matière de promotion et, en tout état de cause, une telle irrégularité n’est de nature à entraîner l’annulation d’une décision en matière de promotion que pour autant que l’absence de prise en compte dudit rapport ait pu avoir une incidence décisive sur la procédure.
(voir points 38 et 43)
Référence à :
Cour : arrêt du 27 janvier 1983, List/Commission, 263/81, EU:C:1983:17, points 25 et 26
Tribunal de première instance : arrêts du 3 mars 1993, Vela Palacios/CES, T‑25/92, EU:T:1993:17, point 43 ; du 12 décembre 2002, Morello/Commission, T‑338/00 et T‑376/00, EU:T:2002:314, point 111, et du 11 juillet 2007, Konidaris/Commission, T‑93/03, EU:T:2007:209, points 88 et 90 et jurisprudence citée
Tribunal de la fonction publique : arrêt du 15 décembre 2015, Bonazzi/Commission, F‑88/15, EU:F:2015:150, point 84
2. Аfin de préserver les perspectives de carrière des fonctionnaires qui choisissent de pratiquer la mobilité interinstitutionnelle, les institutions de l’Union doivent, d’une part, s’assurer que la mobilité ne contrevient pas au déroulement de la carrière des fonctionnaires qui en font l’objet et, d’autre part, procéder à un examen de la situation du fonctionnaire ayant fait l’objet d’une mobilité afin de vérifier que ce fonctionnaire transféré d’une institution à une autre n’a pas été pénalisé dans le cadre d’un exercice de promotion.
S’agissant plus particulièrement de la manière dont les rapports de notation d’un fonctionnaire établis par son institution d’origine doivent être pris en compte par l’autorité investie du pouvoir de nomination dans le contexte de son transfert interinstitutionnel, il ne peut être reproché à cette dernière, dans le cadre de son large pouvoir d’appréciation en matière de promotion, de baser son jugement des mérites dudit fonctionnaire sur une lecture synthétique de l’ensemble de ses rapports d’évaluation et de notation portant, entièrement ou partiellement, sur la période de notation de celui-ci depuis sa promotion et adoptés tant par l’autorité investie du pouvoir de nomination de la nouvelle institution que par son institution d’origine. Il ne peut pas non plus être reproché à l’autorité investie du pouvoir de nomination de procéder à l’examen comparatif des mérites dudit fonctionnaire en appliquant la procédure et les méthodes générales que la nouvelle institution avait nouvellement adoptées dans le cadre de son pouvoir d’appréciation pour tous ses fonctionnaires ayant vocation à la promotion, étant souligné qu’il n’existe pas d’obligation pour cette nouvelle institution de se doter de règles régissant spécifiquement la situation des fonctionnaires ayant exercé la mobilité.
(voir points 39 et 46)
Référence à :
Tribunal de première instance : arrêt du 3 octobre 2000, Cubero Vermurie/Commission, T‑187/98, EU:T:2000:225, points 68 et 69
Tribunal de la fonction publique : arrêt du 7 novembre 2007, Hinderyckx/Conseil, F‑57/06, EU:F:2007:188, points 50, 55, 58 et 59 et jurisprudence citée
3. Si les dossiers individuels des fonctionnaires ayant vocation à une promotion doivent se trouver à la disposition de l’autorité investie du pouvoir de nomination, il ne saurait, par contre, être exigé de cette autorité qu’elle justifie l’usage qu’elle a fait, dans chaque cas, des informations qui se trouvaient à sa disposition.
(voir point 48)
Référence à :
Cour : arrêt du 17 mars 1983, Hoffmann/Commission, 280/81, EU:C:1983:82, point 7
Tribunal de la fonction publique : arrêt du 15 décembre 2015, Bonazzi/Commission, F‑88/15, EU:F:2015:150, point 52
4. Une grande hétérogénéité existe dans les évaluations des fonctionnaires des différents services d’une institution et cette hétérogénéité est source de difficultés lorsque l’autorité investie du pouvoir de nomination est amenée à procéder à l’examen comparatif des mérites de l’ensemble des fonctionnaires concernés, dans le respect du principe d’égalité de traitement.
Ainsi, l’obligation de conduire une comparaison des mérites sur une base égalitaire et à partir de sources d’informations et de renseignements comparables, inhérente à l’article 45 du statut, requiert une procédure ou une méthode propre à neutraliser la subjectivité résultant des appréciations portées par des évaluateurs différents dans les rapports établis au titre de l’article 43 du statut et devant être pris en considération au titre de l’article 45, paragraphe 1, du statut.
Cependant, l’autorité investie du pouvoir de nomination dispose du pouvoir de procéder à l’examen comparatif des mérites selon la procédure ou la méthode qu’elle estime la plus appropriée. En effet, il n’existe pas d’obligation pour l’institution concernée d’adopter un système particulier d’évaluation et de promotion, compte tenu de la large marge d’appréciation dont elle dispose pour mettre en œuvre, conformément à ses propres besoins d’organisation et de gestion de son personnel, les objectifs de l’article 45 du statut.
(voir points 50 et 51)
Référence à :
Cour : arrêt du 1er juillet 1976, de Wind/Commission, 62/75, EU:C:1976:103, point 17
Tribunal de première instance : arrêts du 19 octobre 2006, Buendía Sierra/Commission, T‑311/04, EU:T:2006:329, point 169, et du 14 février 2007, Simões Dos Santos/OHMI, T‑435/04, EU:T:2007:50, point 132
Tribunal de la fonction publique : arrêts du 14 juillet 2011, Praskevicius/Parlement, F‑81/10, EU:F:2011:120, point 53 ; du 18 mars 2015, Ribeiro Sinde Monteiro/SEAE, F‑51/14, EU:F:2015:11, point 41, faisant l’objet d’un pourvoi devant le Tribunal de l’Union européenne, affaire T‑278/15 P ; du 3 juin 2015, Gross/SEAE, F‑78/14, EU:F:2015:52, point 44, faisant l’objet d’un pourvoi devant le Tribunal de l’Union européenne, affaire T‑472/15 P ; du 22 septembre 2015, Silvan/Commission, F‑83/14, EU:F:2015:106, point 24, faisant l’objet d’un pourvoi devant le Tribunal de l’Union européenne, affaire T‑698/15 P, et du 15 décembre 2015, Bonazzi/Commission, F‑88/15, EU:F:2015:150, point 62
5. Les décisions de promotion et l’examen comparatif des mérites prévu à l’article 45 du statut relèvent de la seule responsabilité de l’autorité investie du pouvoir de nomination.
À cet égard, premièrement, si l’article 45, paragraphe 1, du statut impose à ladite autorité l’obligation de procéder, avant toute décision de promotion, à l’examen comparatif des mérites de l’ensemble des fonctionnaires promouvables, celle-ci peut toutefois se faire assister par les services administratifs aux différents échelons de la voie hiérarchique, conformément aux principes inhérents au fonctionnement de toute structure administrative hiérarchisée. Ainsi, l’autorité investie du pouvoir de nomination peut prévoir un examen préalable, au sein de chaque direction générale, des dossiers des fonctionnaires ayant vocation à la promotion, même si un tel examen préalable ne saurait avoir pour effet de se substituer à l’examen comparatif des mérites qui doit ensuite être effectué, lorsqu’il est prévu, par un comité de promotion, puis, en tout état de cause, à celui incombant à l’autorité investie du pouvoir de nomination à l’issue de l’exercice de promotion, lors de l’adoption des décisions de promotion ou de non-promotion.
Dans le contexte de la procédure de promotion prévue par les dispositions générales d’exécution adoptées par la Commission, il ne saurait certes être admis que l’autorité investie du pouvoir de nomination se contente d’examiner les mérites des fonctionnaires qui sont les mieux classés sur les listes établies au niveau des directions générales et des différents services. Cependant, l’exercice par les fonctionnaires, qui n’ont pas été proposés à la promotion par leur directeur général, de leur droit, prévu par les dispositions générales d’exécution, de faire appel devant le comité paritaire de promotion de la décision du directeur général de ne pas les proposer à la promotion permet à ces fonctionnaires de bénéficier devant cet organe paritaire d’un examen comparatif de leurs mérites mené non seulement au niveau de leur direction générale, mais également au niveau de l’ensemble de l’institution.
Deuxièmement, l’autorité investie du pouvoir de nomination peut faire intervenir au cours de la phase préparatoire de ses décisions en matière de promotion une instance paritaire consultative telle que le comité paritaire de promotion et elle peut aussi prévoir que celui-ci est assisté d’un autre organe, également paritaire, dont elle peut prendre en considération les projets d’avis motivé adoptés par ce dernier. Or, en formant leurs appels, les fonctionnaires promouvables non proposés à la promotion par leurs directeurs généraux et chefs de service ont l’occasion d’attirer l’attention de l’autorité investie du pouvoir de nomination sur leurs cas en la contraignant, sur la base de leurs contestations, desdits projets d’avis motivé et, le cas échant, des recommandations du comité paritaire de promotion, à procéder à un examen circonstancié de leurs situations respectives dans le cadre de l’examen comparatif des mérites de l’ensemble des fonctionnaires promouvables auquel elle procède, en dernier lieu, à l’issue de la procédure de promotion en vue de l’adoption des décisions en matière de promotion.
(voir points 54 à 57)
Référence à :
Cour : arrêt du 4 février 1987, Bouteiller/Commission, 324/85, EU:C:1987:59, point 11
Tribunal de première instance : arrêt du 30 novembre 1993, Tsirimokos/Parlement, T‑76/92, EU:T:1993:106, point 17
Tribunal de la fonction publique : arrêts du 22 septembre 2015, Silvan/Commission, F‑83/14, EU:F:2015:106, points 48 et 50 et jurisprudence citée, faisant l’objet d’un pourvoi devant le Tribunal de l’Union européenne, affaire T‑698/15 P, et du 15 décembre 2015, Bonazzi/Commission, F‑88/15, EU:F:2015:150, points 83 et 89 et jurisprudence citée
6. Si l’autorité investie du pouvoir de nomination n’est pas tenue de motiver les décisions qu’elle adopte en matière de promotion, elle est en revanche tenue de fournir la motivation de cette décision dans la décision statuant sur la réclamation, et ce de manière individualisée.
Dans ce cadre, le caractère suffisant de la motivation est apprécié au regard du contexte factuel et juridique dans lequel s’est inscrite l’adoption de l’acte attaqué. Les promotions se faisant, conformément à l’article 45 du statut, au choix de l’autorité investie du pouvoir de nomination, il suffit que la motivation de la décision portant rejet de la réclamation se rapporte à l’application des conditions légales et statutaires de promotion qui a été faite à la situation individuelle du fonctionnaire.
De plus, s’agissant de la motivation d’une décision adoptée dans le cadre d’une procédure affectant un grand nombre de fonctionnaires, il ne saurait être exigé de l’autorité investie du pouvoir de nomination qu’elle motive sa décision à l’occasion de la décision portant rejet de la réclamation au-delà des griefs invoqués dans ladite réclamation, par exemple en expliquant notamment pour quelles raisons chacun des fonctionnaires promus avait des mérites supérieurs à ceux de l’auteur de la réclamation. En effet, la motivation du rejet de la réclamation ne doit concerner que la réunion des conditions légales auxquelles le statut subordonne la régularité de la procédure, si bien que l’autorité investie du pouvoir de nomination n’est pas tenue de révéler au fonctionnaire non promu l’appréciation comparative qu’elle a portée sur lui et sur les autres fonctionnaires promouvables ni d’exposer en détail la façon dont elle a estimé que les fonctionnaires promus devaient l’être.
(voir points 84 à 86)
Référence à :
Tribunal de la fonction publique : arrêt du 15 décembre 2015, Bonazzi/Commission, F‑88/15, EU:F:2015:150, point 96 à 98 et jurisprudence citée