CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MANUEL CAMPOS SÁNCHEZ-BORDONA

présentées le 3 mai 2017 (1)

Affaire C701/15

Malpensa Logistica Europa SpA

contre

SEA – Società Esercizi Aeroportuali SpA



[demande de décision préjudicielle formée par le Tribunale amministrativo regionale per la Lombardia (tribunal administratif régional de la Lombardie, Italie)]

« Demande de décision préjudicielle – Marchés publics – Transports – Exploitation d’une aire géographique dans le but de mettre à la disposition des transporteurs aériens des aéroports ou d’autres terminaux de transport – Directives 2004/17/CE et 96/67/CE – Réglementation nationale ne prévoyant pas de procédure préalable d’appel d’offres pour l’attribution d’espaces aéroportuaires »






1.        Le litige au principal objet du présent renvoi préjudiciel est né dans le cadre des relations existant entre l’entreprise gestionnaire de l’aéroport de Milan Malpensa (2) et deux des entreprises prestataires de services d’assistance en escale dans cet aéroport. L’une de ces deux entreprises (Malpensa Logistica Europa SpA, ci-après « Malpensa Logistica ») conteste la décision de la SEA d’attribuer directement à sa concurrente (Beta-Trans SpA) l’usage provisoire d’une installation aéroportuaire, sans procédure préalable d’appel d’offres.

2.        Le Tribunale amministrativo regionale per la Lombardia (tribunal administratif régional pour la Lombardie, Italie), saisi du litige au principal, est appelé à examiner des dispositions nationales en matière de passation des marchés publics qui, selon lui, s’écartent de celles qui régissent les services d’assistance en escale dans les aéroports. Dans la mesure où l’une et l’autre transposent, respectivement, la directive 2004/17/CE (3) et la directive 96/67/CE (4), la juridiction de renvoi estime qu’il convient de saisir la Cour de justice en interprétation du droit de l’Union afin de déterminer si l’attribution de l’espace concédé à Beta-Trans devait être précédée d’une procédure de sélection conformément aux règles applicables en matière de marchés publics.

I.      Le cadre juridique

A.      Le droit de l’Union

1.      La directive 2004/17

3.        Aux termes de l’article 1er, intitulé « Termes de base » :

« 1.      Aux fins de la présente directive, les définitions figurant au présent article s’appliquent.

2.      a)      Les “marché de fournitures, de travaux et de services” sont des contrats à titre onéreux conclus par écrit entre une ou plusieurs entités adjudicatrices visées à l’article 2, paragraphe 2, et un ou plusieurs entrepreneurs, fournisseurs ou prestataires de services ;

[…]

d)      les “marchés de services” sont des marchés autres que les marchés de travaux ou de fournitures ayant pour objet la prestation de services mentionnés à l’annexe XVII.

[…]

3.      […]

b)      la “concession de services” est un contrat présentant les mêmes caractéristiques qu’un marché de services à l’exception du fait que la contrepartie de la prestation des services consiste soit uniquement dans le droit d’exploiter le service, soit dans ce droit assorti d’un prix. »

4.        Aux termes de l’article 2, paragraphe 2, intitulé « Entités adjudicatrices » :

« La présente directive s’applique aux entités adjudicatrices :

a)      qui sont des pouvoirs adjudicateurs ou des entreprises publiques et qui exercent une des activités visées aux articles 3 à 7 ;

[…]. »

5.        Aux termes de l’article 7, intitulé « Dispositions concernant l’exploration et l’extraction du pétrole, du gaz, du charbon et d’autres combustibles solides ainsi que les ports et les aéroports » :

« La présente directive s’applique aux activités relatives à l’exploitation d’une aire géographique dans le but :

[…]

b)      de mettre à la disposition des transporteurs aériens […] des aéroports […] ou d’autres terminaux de transport. »

6.        L’article 18, intitulé « Concessions de travaux ou de services », est rédigé comme suit :

« La présente directive n’est pas applicable aux concessions de travaux ou de services qui sont octroyées par des entités adjudicatrices exerçant une ou plusieurs des activités visées aux articles 3 à 7 lorsque ces concessions sont octroyées pour l’exercice de ces activités. »

2.      La directive 96/67

7.        Aux termes des considérants 5, 6, 7, 11, 14, 16 et 25 de la directive 96/67 :

« (5)      […] l’ouverture de l’accès au marché de l’assistance en escale est une mesure devant contribuer à réduire les coûts d’exploitation des compagnies aériennes et à améliorer la qualité offerte aux usagers ;

(6)      […] à la lumière du principe de subsidiarité, il est indispensable que la réalisation de l’accès au marché de l’assistance en escale s’effectue dans un cadre communautaire, tout en laissant aux États membres la possibilité de prendre en considération la spécificité du secteur ;

(7)      […] dans sa communication de juin 1994 “L’aviation civile européenne vers des horizons meilleurs”, la Commission a fait part de sa volonté de prendre, avant la fin de 1994, une initiative visant à réaliser l’accès au marché de l’assistance en escale dans les aéroports de la Communauté ; […] le Conseil, dans sa résolution, du 24 octobre 1994, relative à la situation de l’aviation civile européenne […], a confirmé la nécessité de tenir compte des impératifs liés à la situation dans les aéroports dans la réalisation de cette ouverture ;

[…]

(11)      […] pour certaines catégories de services, l’accès au marché tout comme l’exercice de l’auto-assistance peuvent se heurter à des contraintes de sûreté, de sécurité, de capacité et d’espace disponible ; […] il est donc nécessaire de pouvoir limiter le nombre de prestataires autorisés à fournir ces catégories de services ; […], de même, l’exercice de l’auto-assistance doit pouvoir être limité et […], dans ce cas, les critères de limitation doivent être pertinents, objectifs, transparents et non discriminatoires ;

[…]

(14)      […] dans certains cas, les contraintes évoquées peuvent être d’une intensité telle qu’elles peuvent justifier certaines limitations à l’accès au marché ou à l’exercice de l’auto-assistance dans la mesure où ces limitations revêtent un caractère pertinent, objectif, transparent et non discriminatoire ;

[…]

(16)      […] le maintien d’une concurrence effective et loyale exige que, en cas de limitation du nombre des prestataires, ceux-ci soient choisis au moyen d’une procédure transparente et impartiale ; […] il convient de consulter les usagers lors de cette sélection puisqu’ils sont les premiers intéressés par la qualité et le prix des services auxquels ils sont appelés à recourir ;

[…]

(25)      […] l’accès des installations aéroportuaires doit être garanti aux prestataires autorisés à fournir des services d’assistance en escale et aux usagers autorisés à pratiquer l’auto-assistance, dans la mesure nécessaire à l’exercice de leurs droits, et permettre une concurrence effective et loyale ; […] toutefois cet accès doit pouvoir donner lieu à la perception d’une rémunération ».

8.        Aux termes de l’article 2, intitulé « Définitions » :

« Aux fins de la présente directive, on entend par :

[…]

c)      “entité gestionnaire” : l’entité qui, conjointement ou non avec d’autres activités, tient de la législation ou de la réglementation nationale la mission d’administration et de gestion des infrastructures aéroportuaires, de coordination et de contrôle des activités des différents opérateurs présents sur l’aéroport ou le système aéroportuaire considéré ;

[…]

e)      “assistance en escale” : les services rendus sur un aéroport à un usager tels que décrits en annexe ;

[…]

g)      “prestataire de services d’assistance en escale” : toute personne physique ou morale fournissant à des tiers une ou plusieurs catégories de services d’assistance en escale. »

9.        L’article 6, paragraphes 1 et 2, intitulé « Assistance aux tiers », dispose ce qui suit :

« 1.      Les États membres prennent les mesures nécessaires […] pour assurer aux prestataires des services d’assistance en escale le libre accès au marché de la prestation de services d’assistance en escale à des tiers.

[…]

2.      Les États membres peuvent limiter le nombre de prestataires autorisés […] ».

10.      L’article 9, paragraphe 1, intitulé « Dérogations », prévoit ce qui suit :

« Lorsque, sur un aéroport, des contraintes spécifiques d’espace ou de capacité disponibles, notamment en fonction de l’encombrement et du taux d’utilisation des surfaces, entraînent une impossibilité d’ouverture du marché et/ou d’exercice de l’auto-assistance au degré prévu par la présente directive, l’État membre concerné peut décider :

a)      de limiter le nombre de prestataires […]

[…]. »

11.      En vertu de l’article 11, paragraphe 1, sous b), intitulé « Sélection des prestataires » :

« Les États membres prennent les mesures nécessaires pour que soit organisée une procédure de sélection des prestataires autorisés à fournir des services d’assistance en escale sur un aéroport lorsque leur nombre est limité dans les cas prévus à l’article 6 paragraphe 2 ou à l’article 9. Cette procédure doit respecter les principes suivants :

[…]

b)      il doit être lancé un appel d’offres, publié au Journal officiel des Communautés européennes, auquel tout prestataire intéressé peut répondre ;

[…]. »

12.      Aux termes de l’article 16, intitulé « Accès aux installations » :

« […]

2.      Les espaces disponibles pour l’assistance en escale dans l’aéroport doivent être répartis entre les différents prestataires de services […], y compris les nouveaux arrivants, dans la mesure nécessaire à l’exercice de leurs droits et pour permettre une concurrence effective et loyale sur la base de règles et de critères pertinents, objectifs, transparents et non discriminatoires.

3.      Lorsque l’accès aux installations aéroportuaires entraîne la perception d’une rémunération, celle-ci sera déterminée en fonction de critères pertinents, objectifs, transparents et non discriminatoires. »

B.      Le droit italien

1.      Le décret législatif no 163/2006 (5)

13.      Aux termes de l’article 213, intitulé « Ports et aéroports », du decreto legislativo n. 163, Codice dei contratti pubblici relativi a lavori, servizi e forniture in attuazione delle direttive 2004/17/CE e 2004/18/CE (décret législatif no 163/2006 portant création du code des marchés publics de travaux, de services et de fournitures et transposant les directives 2004/17/CE et 2004/18/CE), du 12 avril 2006 (GURI no 100, du 2 mai 2006, ci-après le « décret législatif no 163/2006 ») :

« Les dispositions de la présente partie s’appliquent aux activités relatives à l’exploitation d’une aire géographique dans le but de mettre à la disposition des transporteurs aériens, maritimes ou fluviaux, des aéroports, des ports maritimes ou intérieurs ou d’autres terminaux de transport. »

2.      Le décret législatif no 18/1999 (6)

14.      L’article 4, paragraphe 1, du decreto legislativo n. 18, Attuazione della direttiva 96/67/CE relativa al libero accesso al mercato dei servizi di assistenza a terra negli aeroporti della Comunità (décret législatif no 18 portant application de la directive 96/67/CE relative à l’accès au marché de l’assistance en escale dans les aéroports de la Communauté), du 13 janvier 1999 (GURI no 28, du 4 février 1999, ci-après le « décret législatif no 18/1999 »), prévoit, à titre général, le libre accès des prestataires de services au marché des services d’assistance en escale, sur la base des seules exigences prévues à l’article 13 du même décret législatif.

15.      L’article 4, paragraphe 2, admet la possibilité de restreindre le libre accès « pour des raisons motivées liées à la sécurité, à la capacité ou à l’espace disponible dans l’aéroport ».

16.      L’article 12, paragraphe 1, prévoit des mesures dérogatoires se rapportant à des « contraintes spécifiques d’espace ou de capacité disponible, en particulier en fonction de l’encombrement et du coefficient d’utilisation des surfaces, signalées préalablement par l’entité gestionnaire ».

17.      L’article 11 impose l’organisation préalable d’une procédure d’appel d’offres publique « aux fins de déterminer les prestataires des catégories de services d’assistance en escale dont l’accès est soumis à des restrictions ou à des mesures dérogatoires ».

II.    La procédure devant la Cour

18.      La décision de renvoi a été enregistrée au greffe de la Cour le 31 décembre 2015.

19.      Malpensa Logistica, Beta-Trans, la SEA et la Commission européenne ont déposé des observations écrites.

20.      Lors de l’audience publique qui s’est tenue le 25 mai 2016, seules ont comparu la SEA et la Commission.

III. Les faits et la question préjudicielle

21.      La SEA, en tant qu’entité gestionnaire de l’aéroport de Milan Malpensa (Italie), a attribué à Beta-Trans un entrepôt au sein de cet aéroport d’environ 1 000 m2, afin de permettre à cet opérateur d’y exercer l’activité de services d’assistance en escale.

22.      Il ressort des observations écrites ainsi que des informations communiquées lors de l’audience que, avant l’attribution de l’entrepôt à Beta-Trans, une procédure de sélection par appel d’offres avait été ouverte afin d’attribuer certains espaces aéroportuaires aux opérateurs de services d’assistance en escale. Beta-Trans et Malpensa Logistica, toutes deux autorisées à exercer des activités de manutention au sol (appelées aussi « services de handling ») dans l’aéroport en question ont participé à cette procédure, à l’issue de laquelle la première a été retenue.

23.      Beta-Trans ne pouvant occuper l’espace attribué, ce dernier n’étant pas convenablement aménagé et devant encore faire l’objet de travaux de mise en état, la SEA lui a concédé à titre provisoire l’usage d’un entrepôt de 1 000 m2 afin qu’elle puisse commencer immédiatement à exercer ses activités d’assistance en escale. L’attribution de l’entrepôt n’avait donc qu’un caractère purement provisoire, jusqu’à ce que l’« espace définitif » soit prêt pour son utilisation (prévue pour le mois_de juillet 2017).

24.      Le 18 avril 2015, Malpensa Logistica a formé un recours en annulation contre l’acte d’attribution de l’entrepôt à Beta-Trans, faisant valoir que, comme Beta-Trans, elle avait également besoin d’espace supplémentaire, et que pour cette raison les deux sociétés auraient dû être traitées de la même manière, dans le cadre d’une procédure d’appel d’offres publique.

25.      La juridiction nationale saisie du litige précise qu’en principe, le décret législatif no 163/2006 devrait être applicable dans la mesure où, conformément à la jurisprudence du Consiglio di Stato (Conseil d’État, Italie) (7), la législation interne en matière de passation de marchés publics régit la concession de zones aéroportuaires pour la prestation de services d’assistance en escale. L’adjudication d’espaces aéroportuaires serait donc comprise dans le champ d’application matériel de la législation relative aux secteurs spéciaux et imposerait, par voie de conséquence, l’organisation d’une procédure d’appel d’offres publique.

26.      La juridiction de renvoi relève cependant qu’une autre législation interne (le décret législatif no 18/1999, relatif aux services aéroportuaires d’assistance en escale) aboutit à une solution différente, en ce qu’elle n’impose pas l’ouverture d’une procédure d’appel d’offres publique.

27.      Les décrets législatifs nos 163/2006 et 18/1999 transposant, respectivement, les directives 2004/17 et 96/67, le Tribunale amministrativo regionale per la Lombardia (tribunal administratif régional pour la Lombardie) a estimé qu’il était indispensable de saisir la Cour de la question préjudicielle suivante :

« L’article 7 de la directive 2004/17/CE du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, portant coordination des procédures de passation des marchés dans les secteurs de l’eau, de l’énergie, des transports et des services postaux, en ce qu’il soumet aux règles régissant la passation des marchés publics communautaires les activités d’exploitation d’une aire géographique dans le but de mettre à la disposition des transporteurs aériens des aéroports, telles qu’elles sont définies par la jurisprudence nationale rappelée aux points 6.4 et 6.5, fait-il obstacle à une législation nationale comme celle énoncée aux articles 4 et 11 du décret législatif no 18/1999, qui ne prévoit pas une procédure préalable d’appel d’offres publique pour toute attribution, y compris temporaire, d’espaces destinés à cette fin ? »

IV.    Résumé des arguments des parties

28.      Selon Malpensa Logistica, la directive 96/67 était inspirée par la nécessité d’ouvrir à la concurrence le marché des services d’assistance en escale en le soustrayant à l’influence monopolistique des entités gestionnaires d’aéroports, à une époque où l’attribution des espaces aéroportuaires par ces entités gestionnaires relevait des « secteurs spéciaux » prévus par la réglementation sur les marchés publics.

29.      La directive 2004/17, adoptée postérieurement, est applicable à la passation de marchés dans les secteurs spéciaux et prévoit que les principes qu’elle édicte s’appliquent aux marchés publics relatifs à la mise à disposition des aéroports (article 7) à des fins directement liées à la poursuite d’une activité aéroportuaire (article 20). Plus précisément, l’article 10 de la directive oblige les entités adjudicatrices à traiter les opérateurs économiques sur un pied d’égalité et de manière non discriminatoire, tandis qu’en vertu de l’article 31, les marchés qui ont pour objet des services figurant à l’annexe XVII A sont passés conformément aux articles 34 à 59.

30.      En Italie, l’attribution des espaces aéroportuaires relève des sociétés titulaires de concessions aéroportuaires et ces marchés sont directement liés à l’activité de l’entité gestionnaire. La SEA serait donc tenue d’adjuger les espaces indispensables à l’exploitation des services liés à la gestion aéroportuaire selon les procédures prévues par la directive 2004/17.

31.      Ce régime, selon Malpensa Logistica, se situerait sur un plan différent de celui qui est prévu par la directive 96/67, puisqu’il a pour objet non pas la suppression du monopole des entités gestionnaires, mais l’égalité de traitement de tous les opérateurs qui aspirent à se voir attribuer de tels espaces par l’entité gestionnaire de l’aéroport. Conformément aux principes communautaires, cette égalité de traitement serait garantie par des procédures de sélection ouvertes à la concurrence.

32.      Pour Malpensa Logistica, il n’existerait donc aucune contradiction entre les directives 96/67 et 2004/17, dont les champs d’application sont différents. Depuis l’entrée en vigueur de la directive 2004/17 et des normes qui la transposent, les prestataires de services directement liés à l’activité aéroportuaire seraient admis à accéder à l’exploitation des zones qui leur sont attribuées selon une procédure de sélection ouverte et transparente.

33.      Enfin, Malpensa Logistica considère que la circonstance selon laquelle il s’agirait d’une attribution provisoire serait sans incidence à cet égard, étant donné qu’elle avait tout autant intérêt à l’attribution provisoire de l’espace aéroportuaire litigieux, qui aurait dû intervenir selon une procédure d’appel d’offres.

34.      Pour sa part, Beta-Trans souligne tout d’abord que l’entrepôt a été mis à sa disposition dans la mesure où elle avait été préalablement adjudicataire, en vertu d’une procédure d’appel d’offres, d’une autre installation similaire encore en construction. L’adjudication litigieuse n’aurait donc qu’une durée limitée, jusqu’à ce que Beta-Trans puisse entrer en jouissance de l’installation encore en travaux.

35.      Beta-Trans décrit ensuite le contexte commercial dans lequel s’inscrivent ses relations avec Malpensa Logistica et un ancien client de cette dernière (Nippon Cargo Airlines) pour montrer qu’alors même que Malpensa Logistica disposait d’une surface d’espace aéroportuaire nettement plus importante, Beta-Trans était parvenue à établir des relations commerciales avec Nippon Cargo Airlines, ce qui n’aurait pas été possible sans l’attribution litigieuse. Beta-Trans estime donc qu’en agissant ainsi, la SEA garantit l’accès au marché de nouveaux opérateurs en même temps que la concurrence effective et réelle, dans la mesure où elle permet plus facilement à des tiers de choisir entre différents prestataires de services aéroportuaires. Elle insiste à cet égard sur l’importance que revêt l’article 16 de la directive 96/67, en ce qu’il favorise l’ouverture du marché à des nouveaux opérateurs comme elle.

36.      Enfin, Beta-Trans fonde son analyse sur la directive 96/67 et le décret législatif no 18/1999, qui la transpose en droit italien, pour souligner que le principe général de libre accès souffre des exceptions (pour cause d’insuffisance d’espaces, notamment) de nature à justifier la limitation du nombre de prestataires de services et que ces derniers soient désignés par une procédure d’appel d’offres.

37.      Selon la SEA, la directive 2004/17 n’est pas applicable aux faits de l’espèce qui, en vertu du principe de spécialité, relèveraient au contraire de la directive 96/67. Elle fait valoir que lorsque cette dernière directive a été adoptée, des secteurs tels que le transport aérien étaient déjà réglementés par la directive 90/531/CEE (8), remplacée par la directive 2004/17, dont le champ d’application était substantiellement identique. Elle considère donc que lorsqu’il a adopté la directive 96/67, le législateur communautaire était parfaitement conscient de l’existence de cette réglementation en matière de marchés publics dans les secteurs spéciaux, alors même qu’il introduisait un régime spécifique pour les services aéroportuaires d’assistance en escale.

38.      La SEA estime par ailleurs que la directive 2004/17 suppose nécessairement que le contrat conclu entre l’entité adjudicatrice et le prestataire de services ait un caractère onéreux (9), la première versant au second une rémunération en contrepartie de la prestation reçue. Or, selon elle, cet élément fait défaut dans le cas d’espèce où c’est l’attributaire qui verse une redevance à l’autre partie, au titre de l’occupation de l’espace domanial. La directive 2004/17 serait donc inapplicable au litige.

39.      La SEA insiste par la suite sur le fait que la directive 96/67 admet la possibilité de restreindre l’accès des prestataires de services d’assistance en escale et que, dans cette hypothèse, une procédure d’appel d’offres publique doit être organisée. Elle souligne que cette option n’implique pas forcément le recours obligatoire à une procédure d’appel d’offres publique en vue de l’attribution d’espaces destinés à cette activité.

40.      La Commission rejoint la SEA pour considérer que la directive 2004/17 n’est pas applicable, étant donné que le caractère onéreux requis conformément à l’article 1er, paragraphe 2, sous c) et d), de cette directive fait défaut dans la mesure où le pouvoir adjudicateur ne verse pas une rémunération au prestataire de services en contrepartie de la prestation de services fournie par ce dernier. Leur relation relèverait du cadre des concessions de services, que l’article 18 de la directive 2004/17 exclut de son champ d’application.

41.      En outre, selon la Commission, même en supposant que l’attribution d’un espace aéroportuaire constitue un marché de services au sens de la directive 2004/17, ce marché relèverait de la catégorie 20 de l’annexe XVII B de cette directive, de sorte que l’entité gestionnaire de l’aéroport ne serait pas tenue d’organiser une procédure d’appel d’offres publique sur la base de ladite directive.

42.      En définitive, pour la Commission la directive 96/67 est le point de référence et permet seulement de déduire que l’entité gestionnaire est tenue de répartir les espaces disponibles entre les différents prestataires de services dans la mesure nécessaire à l’exercice de leurs droits et pour permettre une concurrence effective et loyale sur la base de règles et de critères pertinents, objectifs, transparents et non discriminatoires. C’est donc à la juridiction nationale qu’il incombe d’apprécier si, dans le cas d’espèce, les critères susmentionnés ont été respectés, même en l’absence d’une procédure préalable d’appel d’offres publique.

V.      Appréciation

43.      À titre préliminaire, il me paraît utile de souligner que la réponse que la Cour de justice est invitée à donner à la juridiction de renvoi ne saurait intervenir dans le débat relatif à l’interprétation des normes internes qui, selon cette dernière, seraient « théoriquement » (10) toutes deux applicables aux faits de l’espèce.

44.      C’est en effet à la juridiction de renvoi (et, éventuellement, à la juridiction susceptible d’être saisie d’un recours contre sa décision) qu’il incombe de déterminer si le décret législatif no 163/2006 (sur les marchés publics) doit, en tant que norme à caractère général, s’appliquer par préférence aux dispositions du décret législatif no 18/1999 (qui régit les services aéroportuaires d’assistance en escale) afin de savoir si, conformément au droit italien et à ces dispositions légales, l’attribution d’espaces aéroportuaires doit être précédée ou non d’une procédure d’appel d’offres publique.

45.      Le fait que ces deux dispositions nationales « découlent du droit communautaire de l’Union », comme l’affirme la juridiction de renvoi (11), n’interdit pas au législateur italien de soumettre à des procédures d’appels d’offres publiques les attributions d’espaces aéroportuaires telles que celle en cause dans la procédure au principal qui, ainsi que je le montrerai dans les présentes conclusions, ne relèvent pas de la directive 2004/17. Cette dernière impose sans aucun doute que les passations de marchés publics qu’elle vise soient conformes à ses dispositions, mais rien ne s’oppose à ce qu’un État membre décide, de sa propre initiative, d’étendre ce régime à d’autres opérations juridiques.

46.      C’est donc abstraction faite de la compétence incontestable des juridictions italiennes pour déterminer si, conformément au droit italien, les attributions d’espaces aéroportuaires doivent intervenir à l’issue d’une procédure d’appel d’offres publique que je me bornerai à proposer des orientations pour l’interprétation des deux directives en question. Après avoir identifié celle qui, du point de vue du droit de l’Union, me paraît applicable, il conviendra de rechercher si la législation italienne s’écarte à quelque titre que ce soit de cette dernière.

A.      Sur l’application de la directive 2004/17

47.      Le premier point qu’il convient d’aborder est celui de la qualification de la relation existant entre l’entité gestionnaire de l’aéroport et les prestataires de services d’assistance en escale, afin de déterminer si l’on se trouve en présence d’un marché public de services ou d’une concession de services portant sur un élément du domaine public. Dans cette dernière hypothèse, la directive 2004/17 ne serait pas applicable, conformément à l’article 18 de cette directive.

48.      La jurisprudence de la Cour de justice (12) a établi les bases permettant de distinguer les deux catégories. Même si les arrêts en question ont été rendus concernant l’interprétation de la directive 2004/18/CE (13), je considère qu’ils peuvent s’appliquer également à la directive 2004/17, compte tenu du parallélisme que présentent leurs dispositions respectives en cause.

49.      La Cour de justice a ainsi jugé qu’« il résulte de la comparaison des définitions du marché public de services et de la concession de services, fournies, respectivement, par le paragraphe 2, sous a) et d), et par le paragraphe 4 de l’article 1er de la directive 2004/18 [correspondant à l’article 1er, paragraphe 2, sous a) et d), et à l’article 3, sous b), de la directive 2004/17], que la différence entre un marché public de services et une concession de services réside dans la contrepartie de la prestation de services. Le marché de services comporte une contrepartie qui, sans pour autant être la seule, est payée directement par le pouvoir adjudicateur au prestataire de services, alors que, dans le cas d’une concession de services, la contrepartie de la prestation de services consiste dans le droit d’exploiter le service, soit seul, soit assorti d’un prix » (14).

50.      La Cour ajoute que la qualification d’une relation comme concession de services « implique que le concessionnaire prenne en charge le risque lié à l’exploitation des services en question et que l’absence de transfert au prestataire du risque lié à la prestation de services indique que l’opération visée constitue un marché public de services et non pas une concession de services » (15).

51.      Dans le cadre des services d’assistance en escale, le lien entre l’entité gestionnaire de l’aéroport et le prestataire desdits services aux compagnies aériennes se matérialise dans la cession que consent la première au second des terrains et installations aéroportuaires correspondants. L’entité gestionnaire perçoit, en échange de cette mise à disposition de biens publics, une rémunération (habituellement sous la forme d’une redevance) payée par le prestataire. Ce dernier utilise par la suite les espaces qui lui ont ainsi été attribués dans les relations commerciales qu’il noue avec des tiers, c’est-à-dire les usagers, qui sont tenus de le rétribuer au titre des services qu’il leur fournit (16). L’opérateur supporte donc le risque commercial inhérent à l’exploitation de son entreprise.

52.      Lors de l’audience, il a été confirmé à la Cour que ce schéma de principe est, précisément, celui qui s’applique à l’aéroport de Milan Malpensa. Les prestataires de services d’assistance en escale versent à la SEA, en sa qualité d’entité gestionnaire, une redevance annuelle calculée en fonction des mètres carrés d’installations qu’ils occupent. Cette rémunération apparaît donc comme une contrepartie à l’utilisation des espaces aéroportuaires et trouve son fondement dans l’article 16, paragraphe 3, de la directive 96/67 (17).

53.      Une concession d’installations aéroportuaires en faveur d’un prestataire de services en vue de lui permettre de fournir à des tiers des services d’assistance en escale ne peut donc être qualifiée de marché public de services au sens de l’article 1er, paragraphe 2, sous a) et d), de la directive 2004/17. La relation en cause dans le litige au principal demeurerait donc en dehors du champ d’application de cette directive.

54.      Enfin, comme le signale la Commission, en admettant que l’attribution de ce type d’installations permettant la fourniture de services d’assistance en escale doive être soumise aux dispositions de la directive 2004/17, ce marché relèverait des services annexes et auxiliaires des transports (catégorie 20 de l’annexe XVII B de la directive 2004/17). Or l’article 32 de cette directive dispose que la passation des marchés qui ont pour objet cette catégorie de services est « soumise aux seuls articles 34 et 43 » (intitulés respectivement « Spécifications techniques » et « Avis de marchés passés »), et non pas aux autres règles générales.

B.      Sur l’éventuelle concurrence des directives 2004/17 et 96/67

55.      En admettant, pour les besoins de la discussion, que l’attribution d’espaces aéroportuaires à des prestataires de services d’assistance en escale ait la nature d’un marché de services (quod non), la directive 2004/17 aussi bien que la directive 96/67 seraient applicables à un même cas d’espèce. La première prévoyant que l’attribution doit être consécutive à une procédure d’appel d’offres en bonne et due forme alors que la seconde ne l’impose pas, il y aurait là un conflit entre les deux directives.

56.      Ainsi que la Commission l’a souligné dans ses observations et l’a rappelé lors de l’audience, les entités gestionnaires, dont fait partie la SEA, se trouvent dans une situation particulière qui leur permet d’agir soit en tant que pouvoir adjudicateur, dans le cadre de la directive 2004/17, soit en tant que chargées de l’administration des infrastructures aéroportuaires et, en cette qualité, la directive 96/67 les habilite à coordonner et à contrôler les activités des différents opérateurs présents sur l’aéroport. La dualité du rôle joué par les entités gestionnaires impose donc de rechercher quelle est la mission qu’elles remplissent dans chaque cas.

57.      Les attributions du type de celle en cause au principal relèvent de la seconde catégorie des fonctions exercées par les entités gestionnaires, qui sont régies par la directive 96/67, mais sans être soumises aux procédures prévues par la directive 2004/17, comme je viens de l’indiquer. L’examen du champ d’application de chacune des directives suffit, à mon sens, pour parvenir à cette solution, sans qu’il soit nécessaire de recourir aux critères d’interprétation fondés sur la distinction lex generalis/lex specialis.

58.      S’il fallait appliquer ces critères, c’est dans la jurisprudence de la Cour de justice que se trouve la solution du conflit entre les deux réglementations. Dans ces hypothèses, la Cour de justice a réglé les problèmes de divergence normative en recourant au principe de spécialité, lui-même combiné au principe de sécurité juridique qui « exige que les règles du droit soient claires, précises et prévisibles dans leurs effets, afin que les intéressés puissent s’orienter dans des situations et des relations juridiques relevant de l’ordre juridique de l’Union » (18).

59.      Il convient en particulier de citer l’arrêt récent rendu le 27 octobre 2016 par la Cour dans l’affaire Hörmann Reisen (19), qui concernait un cas de chevauchement apparent, dans le domaine des transports également, entre le règlement (CE) no 1370/2007 (20) ainsi que les directives 2004/17 et 2004/18 (21).

60.      La Cour de justice note tout d’abord, pour fonder son raisonnement, que « la directive 2004/18 […] est d’application générale, tandis que le règlement no 1370/2007 ne vise que les services publics de transport de voyageurs par chemin de fer et par route ». Sur la base de cette constatation, la Cour estime que dans la mesure où tant le règlement no 1370/2007 que la directive 2004/18 « contiennent des règles relatives à la sous–traitance, il convient de considérer que la première disposition constitue une règle spéciale par rapport à celles prévues dans la seconde disposition et, en tant que lex specialis, prévaut sur ces dernières ».

61.      Malpensa Logistica soutient néanmoins que la directive 2004/17 serait applicable au motif qu’elle est postérieure à la directive 96/67. Or l’analyse chronologique conduit plutôt à la conclusion opposée, puisque le texte de la directive 2004/17 coïncide, sur ce point, avec celui de la directive qui l’a précédée, à savoir la directive 90/531 (22), qui incluait déjà dans son champ d’application les aéroports [article 2, paragraphe 2, sous b), ii)] dans les mêmes termes que l’article 7, sous b), de la directive 2004/17. Ainsi, lorsqu’il a adopté la directive 96/67, le législateur communautaire était pleinement conscient du régime spécial qu’il instaurait, et qui s’écartait de celui contenu dans la directive 90/531.

62.      La directive 96/67 elle-même justifie la spécialité de la réglementation aéroportuaire, soulignant dans ses considérants (23) que les objectifs qu’elle poursuit sont de contribuer à réduire les coûts d’exploitation des compagnies aériennes et d’améliorer la qualité offerte aux usagers par l’ouverture de l’accès au marché de l’assistance en escale (24), tout en laissant aux États membres la possibilité de prendre en considération la spécificité du secteur et la nécessité de tenir compte des impératifs liés à la situation dans les aéroports dans la réalisation de cette ouverture.

63.      De ce point de vue donc, l’application de la directive 2004/17 serait également exclue au profit de celle de la directive 96/67.

C.      Sur l’incidence de ces appréciations sur la réponse à la question préjudicielle

64.      Par sa question préjudicielle, la juridiction de renvoi cherche uniquement à savoir si l’article 7 de la directive 2004/17 « fait obstacle » aux dispositions de droit national (les articles 4 et 11 du décret législatif no 18/1999) qui ne prévoient pas une procédure préalable d’appel d’offres publique pour l’attribution d’espaces aéroportuaires.

65.      Je déduis des observations que j’ai exposées jusqu’à présent qu’il conviendrait de répondre à cette question, telle qu’elle est formulée, par la négative. Il suffirait pour cela de montrer que la directive 2004/17 ne s’applique pas à ce type d’attributions, sans préjudice de la faculté pour le législateur national de les soumettre, s’il le juge pertinent, et de sa propre autorité, à des règles analogues à celles qui s’appliquent à la passation de marchés publics dans les secteurs spéciaux. Dans la mesure où le décret législatif no 18/1999 ne prévoit pas de système formel d’appel d’offres en vue de l’attribution de ces espaces, il n’est pas contraire à la directive 2004/17.

66.      Une telle réponse apparaîtrait néanmoins insuffisante et ôterait de son intérêt au dialogue des juridictions dans le cadre de la procédure préjudicielle étant donné que, dans la présentation minutieuse qu’elle a faite du droit applicable, la juridiction de renvoi se réfère également à la directive 96/67 et à la législation qui la transpose en droit italien. Lui répondre sans examiner l’incidence de cette directive sur le litige au principal serait donc, selon moi, lui apporter une réponse incomplète.

67.      De plus, ainsi que la Cour de justice l’a rappelé à maintes reprises, « le fait que la juridiction de renvoi a formulé une question préjudicielle en se référant à certaines dispositions seulement du droit de l’Union ne fait pas obstacle à ce que la Cour lui fournisse tous les éléments d’interprétation qui peuvent être utiles au jugement de l’affaire dont elle est saisie, qu’elle y ait fait ou non référence dans l’énoncé de ses questions » (25).

68.      J’estime donc qu’il convient d’aborder les problèmes que soulève la décision de renvoi sous l’angle de la directive 96/67 également.

D.      Sur l’attribution d’espaces aéroportuaires dans la directive 96/67

69.      Aux termes de la directive 96/67, l’accès des prestataires des services d’assistance en escale au marché de la prestation de services d’assistance en escale à des tiers est libre (article 6). Néanmoins, conformément aux considérants de cette directive (26), les États membres peuvent, dans les circonstances énumérées dans la directive, limiter le nombre de prestataires autorisés à fournir des catégories de services d’assistance en escale (article 6, paragraphe 2, lu en combinaison avec l’article 9). Dans ces conditions, les États membres doivent organiser une procédure de sélection des prestataires par mise en concurrence, conformément aux dispositions prévues dans la directive elle-même (article 11).

70.      Dans ces deux hypothèses (accès sans restrictions ou accès sélectif) (27), les prestataires autorisés doivent bénéficier, logiquement, de l’accès aux installations aéroportuaires que l’entité gestionnaire leur fournit. Or, aux termes de l’article 16, paragraphe 2, de la directive 96/67, la répartition des espaces disponibles pour l’assistance en escale dans l’aéroport entre les différents prestataires doit se faire « dans la mesure nécessaire à l’exercice de leurs droits et pour permettre une concurrence effective et loyale sur la base de règles et de critères pertinents, objectifs, transparents et non discriminatoires ».

71.      Cette disposition oblige donc l’entité gestionnaire, lorsqu’elle procède à l’attribution des espaces ou des installations aéroportuaires, à respecter ces « règles et critères pertinents, objectifs, transparents et non discriminatoires », mais sans lui imposer de recourir à une procédure formelle d’appel d’offres publique, semblable à celle qui est applicable à la passation des marchés couverts par la directive 2004/17.

72.      Que la directive 96/67 n’exige pas de l’entité gestionnaire l’ouverture d’une procédure d’appel d’offres en vue d’attribuer aux prestataires de services d’assistance en escale des espaces aéroportuaires ne signifie évidemment pas que cette dernière ne puisse pas y recourir. En outre, la procédure d’appel d’offres ouverte entre les prestataires autorisés peut constituer, sans aucun doute, l’un des mécanismes appropriés (mais pas nécessairement le seul) pour répartir ces espaces à condition qu’elle soit effectuée dans le respect des règles et critères objectifs, transparents et non discriminatoires visés à l’article 16, paragraphe 2, de ladite directive.

73.      De fait, au regard des éléments qui figurent au dossier et de ceux qui ont été communiqués lors de l’audience, il ressort que la SEA a attribué à Beta-Trans l’installation aéroportuaire définitive à l’issue d’une procédure d’appel d’offres publique dans le cadre de laquelle cette dernière était en concurrence avec Malpensa Logistica (28). L’attribution de l’entrepôt provisoire, qui est l’unique objet du litige, s’expliquait, comme je l’ai déjà indiqué, par le fait que celui qui lui avait été attribué définitivement n’était pas encore prêt.

74.      Ces éléments (à savoir le caractère provisoire de l’attribution et l’existence d’une procédure d’appel d’offres publique antérieure) peuvent être un facteur utile pour évaluer si la SEA s’est conformée à l’article 16, paragraphe 2, de la directive 96/67. Dans la mesure où cette disposition confère, dans les limites rappelées plus haut, une large marge d’appréciation à l’entité gestionnaire, c’est à la juridiction nationale qu’il incombera de le déterminer.

75.      On ne saurait oublier, en outre, que parmi les finalités de la directive 96/67 figure celle de favoriser la présence de nouveaux prestataires de services d’assistance en escale, et que la répartition d’espaces disponibles dans l’aéroport doit se faire de manière à permettre une concurrence « effective et loyale » entre tous les prestataires « y compris les nouveaux arrivants ». Or la concurrence effective exige, précisément, la suppression des barrières à l’entrée des nouveaux opérateurs. Dans cette perspective, par conséquent, les principes d’objectivité, de transparence et de non-discrimination peuvent justifier des décisions d’attribuer des espaces en tenant compte de la situation des prestataires déjà en place et de leur éventuelle position de prépondérance dans la fourniture de services d’assistance en escale au sein d’un aéroport donné (29).

76.      Je propose donc à la Cour d’apporter une double réponse à la question préjudicielle dont la juridiction de renvoi l’a saisie, consistant :

–        d’une part, à reconnaître la compatibilité de la réglementation nationale qui ne prévoit pas de procédure préalable d’appel d’offres publique pour tous les cas d’attribution, y compris temporaire, d’espaces aéroportuaires destinés à l’assistance en escale (articles 4 et 11 du décret législatif no 18/1999) avec l’article 7 de la directive 2004/17 ;

–        d’autre part, à rappeler à la juridiction de renvoi que l’article 16, paragraphe 2, de la directive 96/67 oblige l’entité gestionnaire à répartir les espaces disponibles dans les conditions rappelées plus haut.

VI.    Conclusion

77.      Eu égard aux observations qui précèdent, je propose à la Cour de justice de répondre à la question préjudicielle posée par le Tribunale amministrativo regionale per la Lombardia (tribunal administratif régional pour la Lombardie, Italie) que :

1)      L’article 7 de la directive 2004/17/CE du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, portant coordination des procédures de passation des marchés dans les secteurs de l’eau, de l’énergie, des transports et des services postaux, doit s’interpréter au sens où il ne s’oppose pas à une législation nationale telle que celle contenue aux articles 4 et 11 du decreto legislativo n. 18, Attuazione della direttiva 96/67/CE relativa al libero accesso al mercato dei servizi di assistenza a terra negli aeroporti della Comunità (décret législatif no 18 portant application de la directive 96/67/CE relative à l’accès au marché de l’assistance en escale dans les aéroports de la Communauté), du 13 janvier 1999, qui ne prévoit pas une procédure préalable d’appel d’offres publique pour toute attribution, y compris temporaire, d’espaces destinés à l’assistance aéroportuaire en escale.

2)      L’attribution de ces espaces doit se faire conformément à l’article 16, paragraphe 2, de la directive 96/67/CE du Conseil, du 15 octobre 1996, relative à l’accès au marché de l’assistance en escale dans les aéroports de la Communauté, de telle sorte que ces espaces soient répartis entre les différents prestataires de services, y compris les nouveaux arrivants, dans la mesure nécessaire à l’exercice de leurs droits et pour permettre une concurrence effective et loyale sur la base de règles et de critères pertinents, objectifs, transparents et non discriminatoires, ce qu’il appartient au juge national de vérifier.


1      Langue originale : l’espagnol.


2      Società Esercizi Aeroportuali SpA (SEA).


3      Directive du Parlement européen et du Conseil du 31 mars 2004 portant coordination des procédures de passation des marchés dans les secteurs de l’eau, de l’énergie, des transports et des services postaux (JO 2004, L 134, p. 1).


4      Directive du Conseil du 15 octobre 1996 relative à l’accès au marché de l’assistance en escale dans les aéroports de la Communauté (JO 1996, L 272, p. 36).


5      Note sans objet pour la version en langue française des présentes conclusions.


6      Note sans objet pour la version en langue française des présentes conclusions.


7      Selon la jurisprudence du Consiglio di Stato (Conseil d’État) citée par la juridiction de renvoi (arrêts no 4934/2013 et no 2026/2014), l’article 213 du décret législatif no 163/2006 couvre non seulement les opérations de décollage, d’atterrissage et de direction de l’ensemble des aéronefs, mais également les opérations relatives au transit et à la sécurité des passagers, au tri des bagages et, en général, à tous les services complémentaires habituels. Elle ajoute que la concession de zones aéroportuaires pour la prestation de services d’assistance en escale, comme modalité d’exploitation d’espaces aéroportuaires dans le cadre des activités habituellement exercées par les transporteurs aériens, rentre dans le champ d’application objectif de la législation relative aux secteurs spéciaux.


8      Directive du Conseil du 17 septembre 1990 relative aux procédures de passation des marchés dans les secteurs de l’eau, de l’énergie, des transports et des télécommunications (JO 1990, L 297, p. 1).


9      Elle distingue les contrats publics dits « passifs » (parmi lesquels figurent les marchés visés par la directive 2004/17), qui représentent une source de dépenses à charge de l’entité adjudicatrice aux fins d’acquérir des biens ou des services, des contrats publics « actifs », qui comprennent les contrats de concession de biens domaniaux, au titre desquels l’administration perçoit des revenus.


10      Décision de renvoi, point 6.2.


11      Décision de renvoi, point 6.2.


12      Arrêts du 10 mars 2011, Privater Rettungsdienst und Krankentransport Stadler (C‑274/09, EU:C:2011:130, points 24 et 26), ainsi que du 8 septembre 2016, Politanò (C‑225/15, EU:C:2016:645, points 29 à 31).


13      Directive du Parlement européen et du Conseil du 31 mars 2004 relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services (JO 2004, L 134, p. 114).


14      Arrêt du 8 septembre 2016, Politanò (C‑225/15, EU:C:2016:645, point 30).


15      Arrêt du 8 septembre 2016, Politanò (C‑225/15, EU:C:2016:645, point 31). Ces éléments caractéristiques de la concession de services ont été repris par le législateur de l’Union européenne à l’article 5, paragraphe 1, sous b), de la directive 2014/23/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 février 2014, sur l’attribution de contrats de concession (JO 2014, L 94, p. 1).


16      La réalité économique de la relation entre les parties est déterminée, dans certains pays, dans un document approuvé par l’entité gestionnaire et qui prévoit le montant de la redevance (ou de la prestation patrimoniale équivalente, à caractère public) que doit acquitter l’opérateur en fonction des espaces qui lui sont attribués et, le cas échéant, des différents types de services d’assistance en escale fournis. Le document peut également fixer le tarif ou le prix maximal que l’opérateur pourra appliquer à ses clients, selon la nature des services que ces derniers lui réclament, y compris des services dits de « handling ».


17      Dans son arrêt du 16 octobre 2003, Flughafen Hannover-Langenhagen (C‑363/01, EU:C:2003:548), la Cour de justice a considéré que l’article 16, paragraphe 3, de la directive 96/67 permet à l’entité gestionnaire d’un aéroport de percevoir une redevance d’utilisation des installations aéroportuaires dont le montant, qui doit être fixé conformément aux critères énoncés à cet article, tient compte de l’intérêt de cette entité à réaliser un bénéfice.


18      Arrêt du 12 février 2015, Parlement/Conseil (C‑48/14, EU:C:2015:91, point 45), dans lequel la Cour fait référence aux arrêts France Télécom/Commission, (C‑81/10 P, EU:C:2011:811, point 100) et LVK - 56 (C‑643/11, EU:C:2013:55, point 51).


19      Arrêt du 27 octobre 2016, Hörmann Reisen (C‑292/15, EU:C:2016:817).


20      Règlement du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2007 relatif aux services publics de transport de voyageurs par chemin de fer et par route, et abrogeant les règlements (CEE) no 1191/69 et (CEE) no 1107/70 du Conseil (JO 2007, L 315, p. 1).


21      Le problème découlait de la différence de portée de la sous-traitance, selon qu’était applicable la directive 2004/18 ou le règlement no 1370/2007.


22      Note sans objet pour la version en langue française des présentes conclusions.


23      Considérants 5 à 7, reproduits au point 7 des présentes conclusions.


24      La Cour de justice souligne cet objectif dans son arrêt du 11 septembre 2014, Commission/Portugal (C‑277/13, EU:C:2014:2208, point 48).


25      Arrêt du 22 octobre 2015, Impresa Edilux et SICEF (C‑425/14, EU:C:2015:721, point 20 ainsi que jurisprudence citée).


26      Les considérants 11, 14 et 16 prévoient la limitation du nombre des prestataires pour des motifs liés à des contraintes de sûreté, de sécurité, de capacité et d’espace disponible, à condition que ces limitations revêtent un caractère pertinent, objectif, transparent et non discriminatoire et que, en cas de limitation du nombre des prestataires, ceux-ci soient choisis au moyen d’une procédure transparente et impartiale.


27      Selon les informations données par la SEA lors de l’audience, l’accès des prestataires de services d’assistance en escale à l’aéroport de Milan Malpensa n’est soumis à aucune sélection préalable.


28      Il n’apparaît pas que Malpensa Logistica ait contesté cette attribution.


29      Aux termes de la décision de renvoi (point 3), la SEA et Beta-Trans ont fait valoir que Malpensa Logistica bénéficiait déjà d’environ 18 000 m2 de zones d’entreposage, outre 2 700 m2 d’espaces couverts, et que pour satisfaire aux demandes de Malpensa Logistica, l’entité gestionnaire avait fait construire un espace couvert supplémentaire d’une superficie de 3 327 m2 pour le stockage « à l’abri des intempéries » des marchandises.