Affaire T‑712/16
Deutsche Lufthansa AG
contre
Commission européenne
« Concurrence – Concentrations – Marché du transport aérien – Décision déclarant la concentration compatible avec le marché intérieur sous réserve du respect de certains engagements – Demande d’exemption d’une partie des obligations faisant l’objet des engagements – Proportionnalité – Confiance légitime – Principe de bonne administration – Détournement de pouvoir »
Sommaire – Arrêt du Tribunal (sixième chambre) du 16 mai 2018
1. Concentrations entre entreprises – Examen par la Commission – Engagements des entreprises concernées de nature à rendre l’opération notifiée compatible avec le marché intérieur – Clause de révision – Objet
(Communication de la Commission 2008/C 267/01, point 74)
2. Concentrations entre entreprises – Examen par la Commission – Engagements des entreprises concernées de nature à rendre l’opération notifiée compatible avec le marché intérieur – Demande d’exemption d’une partie des obligations faisant l’objet des engagements – Pouvoir d’appréciation de la Commission – Contrôle juridictionnel – Limites
(Règlement du Conseil no 139/2004)
3. Concentrations entre entreprises – Examen par la Commission – Engagements des entreprises concernées de nature à rendre l’opération notifiée compatible avec le marché intérieur – Demande d’exemption d’une partie des obligations faisant l’objet des engagements – Décision de la Commission – Objet
(Règlement du Conseil no 139/2004)
4. Concentrations entre entreprises – Examen par la Commission – Engagements des entreprises concernées de nature à rendre l’opération notifiée compatible avec le marché intérieur – Clause de révision – Expression du principe de proportionnalité – Obligation pour la Commission d’examiner d’office de manière régulière des engagements de longue durée – Absence
(Règlement du Conseil no 139/2004)
5. Concentrations entre entreprises – Appréciation de la compatibilité avec le marché intérieur – Examen par la Commission – Incidence de la pratique décisionnelle antérieure de la Commission – Absence
(Règlement du Conseil no 139/2004)
6. Concentrations entre entreprises – Examen par la Commission – Engagements des entreprises concernées de nature à rendre l’opération notifiée compatible avec le marché intérieur – Demande d’exemption d’une partie des obligations faisant l’objet des engagements – Charge de la preuve – Obligations de la Commission en cas d’insuffisance de preuves
(Règlement du Conseil no 139/2004)
7. Concentrations entre entreprises – Examen par la Commission – Engagements des entreprises concernées de nature à rendre l’opération notifiée compatible avec le marché intérieur – Recours par la Commission à des engagements tarifaires – Admissibilité
(Règlement du Conseil no 139/2004 ; communication de la Commission 2008/C 267/01)
8. Concentrations entre entreprises – Examen par la Commission – Engagements des entreprises concernées de nature à rendre l’opération notifiée compatible avec le marché intérieur – Demande d’exemption d’une partie des obligations faisant l’objet des engagements – Décision de la Commission – Engagements visant à dissiper les doutes sérieux quant à la compatibilité d’une opération de concentration entre des compagnies aériennes avec le marché intérieur pour des lignes – Absence de prise en considération par la Commission de l’ensemble des données pertinentes – Erreur manifeste d’appréciation
(Règlement du Conseil no 139/2004)
9. Recours en annulation – Moyens – Détournement de pouvoir – Notion
(Art. 263 TFUE)
1. En matière de concurrence, les engagements pris par les parties afin de dissiper les doutes sérieux soulevés par une opération de concentration et de rendre celle-ci compatible avec le marché intérieur contiennent généralement une clause de révision prévoyant les conditions dans lesquelles la Commission, sur demande de l’entité fusionnée, pourra accorder une prolongation des délais ou lever, modifier ou remplacer lesdits engagements. Ainsi qu’il ressort du point 74 de la communication de la Commission concernant les mesures correctives recevables conformément au règlement no 139/2004 et au règlement no 802/2004, la levée ou la modification des engagements présente un intérêt particulier dans le cas des engagements comportementaux, qui peuvent avoir été contractés depuis plusieurs années et pour lesquels certaines circonstances ne peuvent être prévues au moment de l’adoption de la décision sur la concentration les ayant rendus contraignants. Les engagements visent en effet à remédier aux problèmes de concurrence relevés dans la décision autorisant la concentration, de sorte que leur contenu pourrait devoir être modifié, ou leur nécessité disparaître, en fonction de l’évolution de la situation du marché.
(voir point 31)
2. Les règles de fond du règlement no 139/2004, relatif au contrôle des concentrations entre entreprises, confèrent à la Commission un certain pouvoir discrétionnaire, notamment pour ce qui est des appréciations d’ordre économique. Il en est ainsi pour l’appréciation non seulement de la compatibilité d’une opération de concentration, mais également de la nécessité d’obtenir des engagements en vue de dissiper les doutes sérieux posés par une telle opération.
S’agissant, plus particulièrement, d’une demande d’exemption d’engagements rendus contraignants par une décision déclarant une opération de concentration compatible avec le marché intérieur, si l’examen d’une concentration exige des prédictions sur des évolutions futures qui deviennent d’autant plus difficiles et incertaines que leur horizon temporel s’éloigne, l’examen d’une demande d’exemption d’engagements ne soulève pas nécessairement les mêmes difficultés d’analyse prospective. De même, aucune disposition ne prévoit de délais dans lesquels la procédure d’examen, ou certaines phases de cette procédure, devraient être accomplies, ni, d’une manière plus générale, ne réglemente ou n’organise ladite procédure. Il n’en reste pas moins que l’appréciation d’une demande d’exemption d’engagements suppose, tout comme les autres décisions en matière de concentration, des évaluations économiques parfois complexes afin, en particulier, de vérifier si la situation du marché, au sens large, a changé de façon significative et durable, de sorte que les engagements ne sont plus nécessaires pour remédier aux problèmes de concurrence relevés dans la décision de concentration ayant rendu les engagements contraignants.
Dès lors, la Commission dispose également d’un certain pouvoir discrétionnaire pour l’appréciation d’une demande d’exemption d’engagements impliquant des évaluations économiques complexes. En conséquence, le contrôle par le juge de l’Union de l’exercice d’un tel pouvoir doit être effectué compte tenu de la marge d’appréciation que sous-tendent les normes de caractère économique faisant partie du régime des concentrations. Toutefois, la Commission est tenue d’effectuer un examen diligent de la demande d’exemption d’engagements, de mener, si nécessaire, une enquête, de prendre les mesures d’instruction appropriées et de fonder ses conclusions sur l’ensemble des données pertinentes.
(voir points 33-39, 41)
3. La décision portant sur une demande d’exemption d’engagements ne présuppose pas un retrait de la décision autorisant la concentration qui les a rendus contraignants et ne consiste pas en un tel retrait. Elle a pour objet de vérifier si les conditions prévues dans la clause de révision faisant partie des engagements sont remplies ou, le cas échéant, si les problèmes de concurrence recensés dans la décision autorisant la concentration sous réserve des engagements ne se posent plus.
(voir point 42)
4. Les clauses de révision contenues dans les engagements présentés par des parties à une concentration expriment le principe de proportionnalité en ce qu’elles permettent, dans des circonstances exceptionnelles, de lever, de modifier ou de remplacer ces engagements s’il est prouvé qu’ils ne sont plus nécessaires ou proportionnés, étant entendu que la seule circonstance qu’ils soient en vigueur depuis plusieurs années n’établit pas en elle-même que les doutes sérieux auxquels ils répondent soient dissipés et que les engagements ne soient plus justifiés. De plus, il n’incombe pas à la Commission de réaliser régulièrement un examen d’office des engagements de longue durée, mais aux parties liées par lesdits engagements d’introduire une demande de levée ou de modification de ceux-ci et d’établir que les conditions requises à cette fin sont remplies.
(voir points 53, 54)
5. Lorsque la Commission statue sur la compatibilité d’une concentration avec le marché intérieur sur la base d’une notification et d’un dossier propres à cette opération, une partie requérante n’est pas en droit de remettre en cause ses constatations au motif qu’elles diffèrent de celles faites antérieurement dans une autre affaire, sur la base d’une notification et d’un dossier différents, à supposer même que les marchés en cause dans les deux affaires soient similaires, voire identiques. Ni la Commission ni, a fortiori, le juge de l’Union ne sont liés par les constatations de fait et les appréciations économiques effectuées dans les décisions précédentes.
(voir point 83)
6. En matière de concurrence, il appartient, certes, à l’entreprise fusionnée demandant une exemption des engagements de fournir des éléments de preuve de nature à établir que les conditions requises à cette fin sont remplies et la Commission ne peut être tenue de réaliser une nouvelle enquête de marché pour chaque demande d’exemption. Toutefois, la Commission dispose de pouvoirs d’instruction ainsi que d’outils d’investigation efficaces et, dans l’hypothèse où elle estime que les preuves avancées par les parties ne sont pas assez fiables ou pertinentes ou doivent être complétées par d’autres données, il lui appartient d’exiger des informations plus précises ou de mener une enquête à cet égard. Dans ce contexte, la Commission ne saurait se borner à exiger des preuves incontestables, sans d’ailleurs préciser en quoi elles devraient consister, mais doit établir le caractère erroné des éléments fournis par les parties, prendre des mesures d’instruction ou mener, si nécessaire, une enquête afin de compléter ou d’infirmer le bien-fondé de ceux-ci.
(voir points 120, 123)
7. La communication de la Commission concernant les mesures correctives recevables conformément au règlement no 139/2004 et au règlement no 802/2004 n’interdit pas les engagements tarifaires, mais souligne qu’ils ne feront généralement pas disparaître les problèmes de concurrence résultant de chevauchements horizontaux et que ce type de mesures correctives ne peut être jugé recevable qu’à titre exceptionnel, pour autant qu’il est appliqué au moyen de mécanismes de mise en œuvre et de contrôle efficaces et qu’il ne risque pas de produire des effets de distorsion sur la concurrence. Par ailleurs, toute concentration étant appréciée individuellement et à la lumière des circonstances factuelles et juridiques applicables, la circonstance que des engagements aient été refusés dans certaines, voire la plupart, des affaires ne saurait empêcher qu’ils soient acceptés dans une situation particulière pour autant qu’ils permettent de résoudre les problèmes de concurrence identifiés.
(voir points 130, 131)
8. S’agissant de l’une des deux lignes aériennes concernées par la demande d’exemption des engagements tarifaires présentée par les parties à la concentration, à savoir Zurich-Stockholm, il y a lieu de relever non seulement l’absence d’examen approprié de certains éléments essentiels et la résiliation de l’accord de coentreprise entre la requérante et la compagnie aérienne SAS, mais également le fait que la Commission n’a pris en considération ni l’engagement de la requérante de résilier également l’accord bilatéral d’alliance conclu avec ladite compagnie, ni l’avis du mandataire concluant à l’existence d’un changement substantiel du marché sur la ligne en question et qu’elle n’a pas procédé à une analyse suffisante de l’incidence de l’accord de partage de code sur la concurrence entre les compagnies aériennes Swiss et SAS. En conséquence, il y a lieu de constater que la Commission a commis une erreur manifeste d’appréciation en ce qu’elle n’a pas pris en considération l’ensemble des données pertinentes et que les éléments retenus dans la décision attaquée ne sont pas de nature à justifier le rejet de la demande d’exemption relative à la ligne en question.
(voir point 138)
9. Voir le texte de la décision.
(voir point 150)