Affaire C685/20 P

Eleanor Sharpston

contre

Conseil de l’Union européenne
et
Représentants des gouvernements des États membres

 Ordonnance de la Cour(première chambre) du 16 juin 2021

« Pourvoi – Article 181 du règlement de procédure de la Cour – Conséquences de la sortie du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord de l’Union européenne pour les membres de la Cour de justice de l’Union européenne – Décision des représentants des gouvernements des États membres de nommer trois juges et un avocat général à la Cour de justice de l’Union européenne – Fin du mandat d’un avocat général – Recours en annulation »

Recours en annulation – Compétence du juge de l’Union – Recours dirigé contre la décision des représentants des gouvernements des États membres de nommer un avocat général à la Cour – Irrecevabilité et incompétence manifestes

(Art. 252, 253, § 1, 256 et 263 TFUE)

(voir points 46-56)

Résumé

La Cour confirme le rejet de deux recours en annulation introduits par Mme Sharpston, aux fins de faire constater l’illégalité de la fin anticipée de son mandat d’avocat général du fait du retrait du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord de l’Union européenne.

Le Tribunal n’a commis aucune erreur en jugeant que les actes adoptés par les représentants des gouvernements des États membres ne sont pas soumis au contrôle de légalité exercé par le juge de l’Union.

Au cours de l’année 2005, sur proposition du gouvernement du Royaume-Uni, les représentants des gouvernements des États membres ont nommé Mme Sharpston, la requérante, pour exercer les fonctions d’avocat général à la Cour pour la durée du mandat de son prédécesseur restant à courir, à savoir jusqu’au 6 octobre 2009. Son mandat a été renouvelé, pour la période allant du 7 octobre 2009 au 6 octobre 2015, puis pour la période allant du 7 octobre 2015 au 6 octobre 2021.

Le 29 janvier 2020, la Conférence des représentants des gouvernements des États membres a adopté la déclaration relative aux conséquences du retrait du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord de l’Union européenne sur les avocats généraux de la Cour de justice de l’Union européenne (ci-après la « déclaration litigieuse »). Dans cette déclaration, elle a rappelé que, le Royaume-Uni ayant déclenché la procédure prévue à l’article 50 TUE pour se retirer de l’Union, les traités cesseraient de lui être applicables à partir de la date d’entrée en vigueur de l’accord de retrait (1). Elle a également rappelé que, dès lors, les mandats des membres des institutions, des organes et des organismes de l’Union qui ont été nommés, désignés ou élus eu égard à l’appartenance du Royaume-Uni à l’Union prendraient fin à la date du retrait.

La Conférence des représentants des gouvernements des États membres a indiqué qu’il en résultait que le poste permanent d’avocat général qui était dévolu au Royaume-Uni (2) serait intégré au système de rotation des États membres pour la nomination des avocats généraux. Elle a noté que, selon l’ordre protocolaire, le prochain État membre éligible serait la République hellénique.

Le 2 septembre 2020, par décision des représentants des gouvernements des États membres portant nomination de trois juges et d’un avocat général de la Cour de justice (3) (ci-après la « décision litigieuse »), le successeur de la requérante, M. Rantos, a été nommé au poste d’avocat général à la Cour pour la période allant du 7 septembre 2020 au 6 octobre 2021.

Par ses deux recours introduits, devant le Tribunal, respectivement le 7 avril 2020 et le 4 septembre 2020, Mme Sharpston a demandé l’annulation partielle de la déclaration litigieuse ainsi que l’annulation de la décision litigieuse, en tant qu’elle concerne la nomination de M. Rantos au poste d’avocat général à la Cour pour la période allant du 7 septembre 2020 au 6 octobre 2021.

Par deux ordonnances du 6 octobre 2020, le Tribunal a rejeté ces deux recours en annulation comme étant respectivement irrecevable et manifestement irrecevable (4).

Par ses deux requêtes en pourvoi, Mme Sharpston a demandé à la Cour d’annuler les deux ordonnances attaquées. Elle soutenait, en substance, que le Tribunal avait commis une erreur de droit en rejetant, d’une part, comme irrecevable sa demande d’annulation partielle de la déclaration litigieuse et, d’autre part, comme manifestement irrecevable sa demande d’annulation de la décision litigieuse, au motif qu’elles ont été adoptées par les représentants des gouvernements des États membres agissant en tant que tels et non par le Conseil.

Confirmant les ordonnances attaquées, la Cour rejette les deux pourvois comme étant pour partie manifestement irrecevables et pour partie manifestement non fondés.

Appréciation de la Cour

Tout d’abord, la Cour rappelle qu’il résulte du libellé de l’article 263 TFUE que les actes adoptés par les représentants des gouvernements des États membres, agissant en qualité non pas de membres du Conseil, mais en qualité de représentants de leur gouvernement et exerçant ainsi collectivement les compétences des États membres, ne sont pas soumis au contrôle de légalité exercé par le juge de l’Union. Le critère pertinent ainsi retenu par la Cour pour exclure la compétence des juridictions de l’Union pour connaître d’un recours juridictionnel dirigé contre de tels actes est donc celui relatif à leur auteur, indépendamment de leurs effets juridiques obligatoires.

Selon la Cour, il apparaît manifeste qu’une interprétation large des auteurs des actes auxquels l’article 263 TFUE se réfère, telle que soutenue par la requérante, se heurterait à la volonté des auteurs des traités, que reflète cet article, dont le champ d’application se limite aux seuls actes du droit de l’Union pris par les institutions, les organes et les organismes de l’Union, d’exclure du contrôle juridictionnel de la Cour les actes qu’il revient aux États membres d’adopter, tels que les décisions de nomination des membres des juridictions de l’Union.

La Cour relève qu’il est également indifférent que les représentants des gouvernements des États membres aient agi dans le cadre des traités ou d’autres sources juridiques, telles que le droit international.

Par conséquent, la Cour considère que le Tribunal n’a commis aucune erreur en rappelant qu’il ressort de l’article 263 TFUE que les actes adoptés par les représentants des gouvernements des États membres agissant non pas en qualité de membres du Conseil ou de membres du Conseil européen, mais en leur qualité de représentants de leur gouvernement, et exerçant ainsi collectivement les compétences des États membres, ne sont pas soumis au contrôle de légalité exercé par le juge de l’Union.

Ensuite, examinant le moyen de la requérante tiré du fait que les juges de l’Union devraient néanmoins retenir leur compétence pour apprécier la légalité de la déclaration litigieuse et de la décision relative à la nomination d’un nouvel d’avocat général, au motif que la première comporterait une décision des représentants des gouvernements des États membres constatant, de manière ultra vires, la fin anticipée de son mandat d’avocat général et que, s’agissant de la seconde, le retrait du Royaume-Uni de l’Union n’a pas eu pour effet de mettre un terme au mandat d’avocat général de la requérante, la Cour considère toutefois que cette analyse ne peut pas être retenue, dès lors que la déclaration litigieuse et la décision litigieuse ne peuvent, en tout état de cause, être regardées comme ayant été adoptées par une institution, un organe ou un organisme de l’Union visé à l’article 263 TFUE.

En outre, la Cour constate que la déclaration litigieuse et la décision litigieuse ne sauraient être regardées comme comportant une décision dotée d’effets de droit faisant grief à la requérante, en ce qu’elles auraient décidé de la fin anticipée de son mandat d’avocat général, ni même d’ailleurs, pour ce qui concerne la seconde, en ce qu’elle serait fondée sur une telle décision. La Cour constate à cet égard que la déclaration litigieuse s’est bornée à prendre acte des conséquences nécessairement impliquées par la sortie du Royaume-Uni de l’Union.

En effet, les traités ayant cessé d’être applicables au Royaume-Uni à la date de son retrait, le 1er février 2020, en vertu de l’article 50, paragraphe 3, TUE, cet État n’est plus, à compter de cette date, un État membre. Il en résulte, ainsi que l’énonce le huitième alinéa du préambule de l’accord de retrait, que les mandats en cours des membres des institutions, des organes et des organismes de l’Union qui ont été nommés, désignés ou élus eu égard à l’appartenance du Royaume-Uni à l’Union ont automatiquement pris fin à cette date.

Il ne peut, par conséquent, être reproché au Tribunal de ne pas avoir retenu sa compétence pour apprécier, d’une part, la légalité d’une soi-disant décision des représentants des gouvernements des États membres constatant la fin anticipée du mandat de la requérante et, d’autre part, la légalité de la décision litigieuse.


1      Accord sur le retrait du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord de l’Union européenne et de la Communauté européenne de l’énergie atomique (JO 2020, L 29, p. 7, ci-après l’« accord de retrait »), approuvé par la décision (UE) 2020/135 du Conseil, du 30 janvier 2020 (JO 2020, L 29, p. 1), entré en vigueur le 1er février 2020.


2      Par la déclaration ad article 252 TFUE relative au nombre d’avocats généraux à la Cour annexée à l’acte final de la Conférence intergouvernementale qui a adopté le traité de Lisbonne.


3      Décision (UE) 2020/1251 des représentants des gouvernements des États membres, du 2 septembre 2020, portant nomination de trois juges et d’un avocat général de la Cour de justice (JO 2020, L 292, p. 1).


4      Ordonnance du Tribunal du 6 octobre 2020, Sharpston/Conseil et Conférence des représentants des gouvernements des États membres (T‑180/20, non publiée, EU:T:2020:473) et ordonnance du Tribunal du 6 octobre 2020, Sharpston/Conseil et les représentants des gouvernements des États membres (T‑550/20, non publiée, EU:T:2020:475).