DOCUMENT DE TRAVAIL
ORDONNANCE DE LA PRÉSIDENTE
DE LA NEUVIÈME CHAMBRE DU TRIBUNAL
27 septembre 2021 (*)
« Concurrence – Concentrations – Marché italien des services de télécommunications mobiles – Recours en annulation introduit par un concurrent – Intervention – Absence d’intérêt à la solution du litige »
Dans l’affaire T‑692/20,
Iliad Italia SpA, établie à Milano (Italie), représentée par Mes D. Fosselard et D. Waelbroeck, avocats,
partie requérante,
contre
Commission européenne, représentée par M. G. Conte, en qualité d’agent, Mme C. Sjödin, en qualité d’agent, et par M. J. Szczodrowski, en qualité d’agent,
partie défenderesse,
ayant pour objet une demande fondée sur l’article 263 TFUE et tendant à l’annulation de la décision C (2020) 1573 final de la Commission du 6 mars 2020, déclarant compatible avec le marché intérieur et l’accord EEE l’opération de concentration visant à la fusion des activités de gestion d’infrastructures passives en Italie de Vodafone Europe BV et Telecom Italia SpA en une entreprise commune nouvellement créée (JO 2020, C 29, p. 13).
rend la présente
Ordonnance
Antécédents du litige
1 Le 17 janvier 2020, la Commission européenne (ci-après « la Commission ») a reçu notification, conformément à l’article 4, paragraphe 1, du règlement (CE) no 139/2004 du Conseil, du 20 janvier 2004, relatif au contrôle des concentrations entre entreprises (JO 2004, L 24, p. 1), d’un projet de concentration par lequel Vodafone Europe BV (ci-après « Vodafone ») et Telecom Italia SpA (ci-après « TIM ») avaient l’intention de regrouper leurs activités d’exploitation d’infrastructures passives en Italie – permettant notamment d’héberger les équipements de transmission d’opérateurs de télécommunications – au sein d’une entreprise commune nouvellement créée, nommée Infrastrutture Wireless Italiane SpA (ci-après « INWIT »).
2 Le 6 mars 2020, la Commission a, en application de l’article 8, paragraphe 2, du règlement no 139/2004, adopté la décision C(2020) 1573 final déclarant compatible avec le marché intérieur et l’accord EEE l’opération notifiée (affaire COMP/M.9674 – Vodafone ITALIA/TIM/INWIT JV) (ci-après la « décision attaquée »).
3 Dans la décision attaquée, la Commission a, dans un premier temps, apprécié les effets probables de l’opération notifiée.
4 A cet égard, premièrement, la Commission a considéré que l’opération notifiée suscitait des doutes sérieux quant à sa compatibilité avec le marché intérieur en raison d’effets verticaux non coordonnés sur les marchés de la fourniture de services de télécommunications mobiles au détail et en gros, étant donné que, une fois l’opération réalisée, les parties à la concentration auraient la capacité, en Italie, de verrouiller l’accès à leurs infrastructures passives à Iliad Italia ou tout autre fournisseur de services de télécommunications mobiles au détail et en gros qui aurait les mêmes besoins d’accès aux infrastructures passives.
5 Deuxièmement, la Commission n’a pas exclu que l’opération notifiée puisse susciter des doutes sérieux quant à sa compatibilité avec le marché intérieur en raison d’effets verticaux non coordonnés au détriment de fournisseurs de services au détail et en gros de télécommunications fixes sans fil (utilisant la technologie « fixed wireless access (FWA) ») (ci-après « fournisseurs FWA »), étant donné que, une fois l’opération réalisée, les parties à la concentration pourraient potentiellement, en Italie, verrouiller l’accès à leurs antennes macro-cellules aux fournisseurs FWA au détail et en gros.
6 Troisièmement, la Commission n’a pas exclu que l’opération notifiée puisse susciter des doutes sérieux quant à sa compatibilité avec le marché intérieur en raison d’effets horizontaux non coordonnés relatifs à la fourniture de services d’hébergement sur des infrastructures passives – en particulier sur des antennes macro-cellules – aux opérateurs de réseaux mobiles, aux fournisseurs FWA et à des clients autres que les organismes de télévision et de radio.
7 Dans un second temps, la Commission a estimé que les engagements souscrits par Vodafone et TIM étaient aptes à rendre l’opération notifiée compatible avec le marché intérieur et l’accord EEE. Elle en a déduit que l’opération notifiée, telle que modifiée à la suite des engagements offerts par les parties à la concentration, n’entraverait pas de manière significative la concurrence effective sur les marchés sur lesquels des problèmes de concurrence avaient été identifiés.
8 Ainsi, la décision attaquée énonce que l’opération notifiée est compatible avec le marché intérieur et l’accord EEE en application de l’article 6(1)(b), lu en combinaison avec l’article 6(2), du règlement no 139/2004 et de l’article 57 de l’accord EEE, sous réserve que les conditions et obligations mentionnées dans les engagements annexés à la décision attaquée soient respectés par les parties à la concentration.
Procédure
9 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 18 novembre 2020, la requérante, Iliad Italia SpA (ci-après « Iliad Italia »), a introduit un recours visant à l’annulation de la décision attaquée.
10 La Commission conclut au rejet du recours et à la condamnation de la requérante aux dépens.
11 Par acte déposé au greffe du Tribunal le 11 mars 2021, la société Fastweb SpA (ci-après « Fastweb ») a demandé à intervenir dans la présente procédure au soutien des conclusions de la requérante.
12 Cette demande d’intervention a été signifiée aux parties principales conformément à l’article 144, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal.
13 Par acte déposé au greffe du Tribunal le 9 juillet 2021, la Commission a soulevé des objections à l’encontre de la demande d’intervention.
14 Par acte déposé au greffe du Tribunal le 9 juillet 2021, la requérante a informé le Tribunal qu’elle n’avait pas d’observations à formuler sur cette demande d’intervention.
15 La requérante a demandé que, conformément à l’article 144, paragraphes 5 et 7, du règlement de procédure, certains éléments confidentiels du dossier soient exclus de la communication à Fastweb et a produit, aux fins de cette communication, une version non confidentielle des actes de procédure en question.
En droit
16 Conformément à l’article 40, deuxième alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, applicable à la procédure devant le Tribunal en vertu de l’article 53, premier alinéa, dudit statut, toute personne justifiant d’un intérêt à la solution d’un litige soumis au Tribunal, à l’exclusion des litiges entre États membres, entre institutions de l’Union ou entre États membres, d’une part, et institutions de l’Union, d’autre part, est en droit d’intervenir audit litige.
17 La notion d’« intérêt à la solution du litige », au sens dudit article 40, deuxième alinéa, doit se définir au regard de l’objet même du litige et s’entendre comme étant un intérêt direct et actuel au sort réservé aux conclusions elles-mêmes, et non comme un intérêt par rapport aux moyens ou aux arguments soulevés. En effet, les termes « solution du litige » renvoient à la décision finale demandée, telle qu’elle serait consacrée dans le dispositif de l’arrêt à intervenir (voir ordonnance du président de la Cour du 6 octobre 2015, Metalleftiki kai Metallourgiki Etairia Larymnis Larko/Commission, C‑362/15 P(I), EU:C:2015:682, point 6 et jurisprudence citée). À cet égard, il convient notamment de vérifier que l’intervenant est touché directement par l’acte attaqué et que son intérêt à l’issue du litige est certain (voir, en ce sens, ordonnance du président de la Cour du 25 janvier 2008, Provincia di Ascoli Piceno et Comune di Monte Urano/Sun Sang Kong Yuen Shoes Factory, C‑461/07 P(I), point 5).
18 Il convient d’établir une distinction rigoureuse entre les demandeurs en intervention justifiant d’un intérêt direct au sort réservé à l’acte spécifique dont l’annulation est demandée et ceux qui ne justifient que d’un intérêt indirect à la solution du litige, en raison de similarités entre leur situation et celle précisément visée dans ledit acte (ordonnance du 7 mai 2020, Canon/Commission, T‑609/19, non publiée, EU:T:2020:203, point 11 et jurisprudence citée). Dans le cas contraire, toute personne affectée de manière indéfinie par un litige pourrait justifier d’un intérêt à la solution. Un tel résultat ne serait pas conforme aux exigences d’économie de procédure (voir ordonnance du 8 septembre 2016, Buonotourist/Commission, T‑185/15, non publiée, EU:T:2016:539, point 13 et jurisprudence citée).
19 En principe, un intérêt à la solution du litige ne saurait être considéré comme suffisamment direct que dans la mesure où cette solution est de nature à modifier la position juridique du demandeur en intervention (voir ordonnance du président de la Cour du 6 octobre 2015, Metalleftiki kai Metallourgiki Etairia Larymnis Larko/Commission, C‑362/15 P(I), EU:C:2015:682, point 7 et jurisprudence citée).
20 Par ailleurs, et conformément à l’article 143, paragraphe 2, sous f), du règlement de procédure, il incombe au demandeur en intervention d’apporter la preuve de la réalité des faits qu’il allègue au soutien de sa demande. Ainsi, un événement futur et hypothétique n’est pas de nature à établir un intérêt direct et actuel à la solution du litige (voir ordonnance du 26 avril 2018, Valencia Club de Fútbol/Commission, T‑732/16, EU :2018 :237, points 17 et 22 et jurisprudence citée).
21 En l’espèce, la demanderesse en intervention avance qu’elle a un intérêt direct et actuel à intervenir au soutien du recours introduit par la requérante.
22 Elle explique, premièrement, qu’en tant qu’opérateur de télécommunications fixes – via ses réseaux de fibre optique et FWA – et mobiles en Italie, elle serait amenée à souscrire des services d’hébergement d’équipements de transmission sur des antennes macro-cellules tels que ceux proposés par INWIT. Les effets anticoncurrentiels qui seraient générés par l’opération de concentration et les engagements proposés pour y remédier auraient ainsi une incidence considérable sur ses activités. La demanderesse ajoute, deuxièmement, que les quatre moyens soulevés par Iliad Italia dans son recours en annulation concernent l’aptitude des engagements souscrits par Vodafone et TIM à répondre aux problèmes de concurrence soulevés par l’opération de concentration. Une annulation de la décision attaquée sur le fondement de ces moyens aurait, de ce fait, un impact significatif sur la position juridique de la demanderesse.
23 La Commission conteste les arguments de la demanderesse en intervention. Cette dernière n’aurait selon la Commission pas établi l’existence d’une incidence de la décision attaquée sur ses activités.
24 En premier lieu, il convient de rappeler que Fastweb n’est pas destinataire de la décision attaquée.
25 En deuxième lieu, il importe de relever que Fastweb, dans sa demande d’intervention, se borne à affirmer qu’elle a, en tant que fournisseur FWA et de services de télécommunications mobiles, besoin de souscrire des services d’hébergement auprès d’un opérateur tel qu’INWIT, sans préciser si elle a déjà souscrit lesdits services auprès d’un opérateur, tel que TIM, Vodafone ou INWIT, ou si elle compte les souscrire auprès d’INWIT.
26 Les éléments relevés dans la décision attaquée et les observations de la Commission permettent au contraire de considérer que Fastweb utilise, pour ses réseaux FWA et mobile, des alternatives aux infrastructures passives d’INWIT.
27 En effet, selon la Commission, d’une part, Fastweb dispose depuis juin 2019 d’un partenariat avec un opérateur de télécommunications actif en Italie, Wind Tre, lui permettant d’utiliser les services d’itinérance du réseau mobile existant de ce dernier (4G ou technologies plus anciennes) et de déployer conjointement un réseau 5G à partir de 2020 (voir considérant 57 de la décision attaquée).
28 Or, ainsi que l’a relevé la Commission dans la décision attaquée, il est peu probable que Fastweb achète des services d’hébergement à INWIT dans la mesure où son réseau mobile est géré par Wind Tre et où elle s’appuierait, pour le déploiement de son réseau mobile 5G, sur le partenariat (voir considérant 226 de la décision attaquée). Les effets horizontaux non coordonnés et les effets verticaux non coordonnés générés par l’opération notifiée ne pourraient dès lors concerner Fastweb que si son partenariat avec Wind Tre est ou est susceptible d’être un échec (voir considérants 280 et 282 et note de bas de page 164 de la décision attaquée).
29 Cependant, Fastweb n’avance à aucun moment dans sa demande d’intervention que son partenariat avec Wind Tre est ou est susceptible d’être un échec.
30 D’autre part, selon la Commission, sans être contredite par Fastweb, celle-ci dispose depuis décembre 2019 d’une coopération avec un fournisseur FWA en Italie, Linkem, visant à la fourniture réciproque de tranches de réseau FWA (voir considérant 59 de la décision attaquée). La Commission a notamment relevé, au considérant 306 sous a) de la décision attaquée, qu’il est difficile de savoir dans quelle mesure Fastweb, en tant que fournisseur FWA, pourrait avoir besoin des services d’hébergement d’INWIT. Elle ajoute toutefois que cette possibilité ne peut être exclue, compte tenu de l’obligation de Fastweb de donner un accès à Linkem à certaines tranches de son réseau.
31 Mais Fastweb n’avance à aucun moment, dans sa demande d’intervention, que sa coopération avec Linkem impliquerait qu’elle ait besoin d’accéder aux infrastructures passives d’INWIT. Elle n’allègue pas davantage que cette coopération est ou est susceptible d’être un échec ou insuffisante et qu’elle aurait ainsi un besoin actuel ou même futur d’accès aux infrastructures passives d’INWIT pour développer son réseau FWA.
32 Il ressort de ce qui précède que Fastweb n’apporte aucun élément permettant de considérer qu’elle a un besoin actuel ou futur d’accès aux infrastructures passives d’INWIT pour développer ses réseaux FWA et mobile.
33 Dès lors, la demanderesse en intervention n’apporte pas la preuve qu’elle doit ou devra effectivement souscrire auprès d’INWIT des services d’hébergement de ses équipements de transmission et contrevient ainsi au principe rappelé au point 20 ci-dessus.
34 En tout état de cause, s’il fallait comprendre des observations de Fastweb qu’un éventuel échec de son partenariat avec Wind Tre ou de sa coopération avec Linkem impliquerait qu’elle ait besoin des services d’hébergement d’INWIT, il convient de rappeler qu’un tel événement est futur et hypothétique et n’est, comme indiqué au point 20 ci-dessus, pas de nature à établir un intérêt direct et actuel à la solution du litige.
35 En troisième lieu, il est rappelé que la Commission a, en application de l’article 8, paragraphe 2, deuxième alinéa, du règlement no 139/2004, assorti la décision attaquée de conditions et de charges destinées à assurer que Vodafone et TIM se conforment aux engagements qu’elles ont pris à son égard en vue de rendre la concentration compatible avec le marché intérieur.
36 Or la demanderesse ne démontre pas que ces conditions et charges imposées aux parties à la concentration produisent sur sa situation des effets différents de ceux qui résultent de son partenariat avec Wind Tre et de sa coopération avec Linkem ou bien des effets additionnels par rapport à ceux qui résultent desdits partenariat et coopération. Par voie de conséquence, la demanderesse ne démontre pas davantage qu’une annulation de la décision attaquée aurait des effets sur sa position juridique.
37 Dès lors, la demanderesse en intervention n’a pas démontré qu’une annulation de la décision attaquée produirait des effets juridiques directement sur elle, sur le partenariat qu’elle a conclu avec Wind Tre ou sur sa coopération avec Linkem.
38 Au total, l’intérêt avancé par Fastweb est indirect et résulte notamment de la potentielle similarité de sa situation avec celle de la requérante dans le cas où le partenariat avec Wind Tre serait un échec.
39 Partant, Fastweb n’apporte aucun élément permettant d’affirmer que la solution du litige serait de nature à modifier sa position juridique.
40 La demande par laquelle Fastweb a demandé à intervenir dans la présente procédure au soutien des conclusions de la requérante est donc rejetée.
41 Dans ces conditions, il n’y a pas lieu de statuer sur les demandes de traitement confidentiel de certains éléments du dossier à l’égard de Fastweb (voir point 15 ci-dessus).
Sur les dépens
42 En vertu de l’article 133 du règlement de procédure, il est statué sur les dépens dans l’arrêt ou l’ordonnance qui met fin à l’instance. La présente ordonnance mettant fin à l’instance à l’égard de Fastweb, il convient de statuer sur les dépens afférents à sa demande.
43 Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, lu conjointement avec l’article 144, paragraphe 6, dudit règlement, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. En l’absence de conclusions des parties principales quant aux dépens afférents à la présente demande d’intervention, il convient d’ordonner que les parties principales et la demanderesse en intervention supporteront leurs propres dépens.
Par ces motifs,
LA PRÉSIDENTE DE LA NEUVIÈME CHAMBRE DU TRIBUNAL
ordonne :
1) La demande d’intervention de Fastweb S.p.A. est rejetée.
2) Iliad Italia S.p.A., la Commission européenne et Fastweb S.p.A. supporteront leurs propres dépens afférents à la demande d’intervention.
Fait à Luxembourg, le 27 septembre 2021.
Le greffier | | La présidente |