DOCUMENT DE TRAVAIL
ORDONNANCE DU PRÉSIDENT
DE LA CINQUIÈME CHAMBRE DU TRIBUNAL
18 mai 2022 (*)
« Aides d’État – Intervention – Intérêt à la solution du litige – Décision constatant que des mesures ne constituent pas des aides illégales – Décision de ne pas soulever d’objection – Association ayant pour objet la défense des intérêts de ses membres »
Dans l’affaire T‑7/19,
Scandlines Danmark ApS, établie à Copenhague (Danemark),
Scandlines Deutschland GmbH, établie à Hambourg (Allemagne),
représentées par Me L. Sandberg-Mørch, avocate,
parties requérantes,
contre
Commission européenne, représentée par M. V. Bottka, Mme C. Georgieva, et par M. S. Noë, en qualité d’agents,
partie défenderesse,
soutenue par
Royaume de Danemark, représenté par Mmes V. Jørgensen et M. Wolff, en qualité d’agents, assistées de Me R. Holdgaard, avocat,
partie intervenante,
ayant pour objet une demande fondée sur l’article 263 TFUE et tendant à l’annulation de la décision C(2018) 6268 final de la Commission, du 28 septembre 2018, concernant l’aide d’État SA.51981 (2018/FC) —Danemark, accordée à Femern A/S et à Femern Landanlæg A/S,
LE PRÉSIDENT DE LA CINQUIÈME CHAMBRE DU TRIBUNAL
rend la présente
Ordonnance
Faits et procédure
1 Par la décision C(2018) 6268 final, du 28 septembre 2018, concernant l’aide SA.51981 (2018/FC), la Commission européenne a considéré que les mesures adoptées par le Royaume de Danemark à l’égard de Femern A/S et de Femern Landanlæg A/S ne constituaient pas des aides d’État illégales et qu’il n’y avait pas lieu de soulever d’objection concernant l’injection de capital au bénéfice de Femern A/S, celle-ci était, en tout état de cause, compatible avec le marché intérieur, au sens de l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE (ci-après la « décision attaquée »).
2 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 4 janvier 2019, les requérantes, Scandlines Danmark ApS et Scandlines Deutschland GmbH, ont introduit un recours tendant à l’annulation de la décision attaquée.
3 Par acte déposé au greffe du Tribunal le 18 avril 2019, l’association des armateurs suédois Föreningen för Svensk Sjöfart a demandé à intervenir au soutien des conclusions des requérantes.
4 La demande d’intervention a été signifiée aux parties principales conformément à l’article 144, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal.
5 Par acte déposé au greffe du Tribunal le 5 juin 2019, la Commission a conclu au rejet de la demande d’intervention de Föreningen för Svensk Sjöfart.
En droit
6 En vertu de l’article 40, deuxième alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, applicable à la procédure devant le Tribunal en vertu de l’article 53, premier alinéa, dudit statut, toute personne justifiant d’un intérêt à la solution d’un litige soumis au Tribunal, à l’exclusion des litiges entre États membres, entre institutions de l’Union européenne ou entre États membres, d’une part, et institutions de l’Union, d’autre part, a le droit d’intervenir audit litige.
7 Il ressort d’une jurisprudence constante que la notion d’intérêt à la solution du litige, au sens dudit article 40, deuxième alinéa, doit se définir au regard de l’objet même du litige et s’entendre comme étant un intérêt direct et actuel au sort réservé aux conclusions elles-mêmes, et non comme un intérêt par rapport aux moyens et arguments soulevés [voir, en ce sens, ordonnances du 12 avril 1978, Amylum e.a./Conseil et Commission, 116/77, 124/77 et 143/77, EU:C:1978:81, points 7, et du président de la Cour du 8 juin 2012, Schenker/Air France et Commission, C‑589/11 P(I), non publiée, EU:C:2012:332, point 10 et jurisprudence citée]. En effet, par « solution » du litige, il faut entendre la décision finale demandée au juge saisi, telle qu’elle serait consacrée dans le dispositif de l’arrêt (voir ordonnance du 17 décembre 2018, Google et Alphabet/Commission, T‑612/17, non publiée, EU:T:2018:1010, point 13 et jurisprudence citée). Il convient, notamment, de vérifier que le demandeur en intervention est touché directement par l’acte attaqué et que son intérêt à la solution du litige est certain (voir ordonnance du 30 novembre 2016, Scandlines Danmark et Scandlines Deutschland/Commission, T‑630/15, non publiée, EU:T:2016:763, point 15).
8 En outre, il incombe au demandeur en intervention d’apporter les éléments nécessaires pour prouver qu’il satisfait aux conditions exposées au point 7 ci-dessus (voir ordonnance du 27 avril 2018, E‑Control/ACER, T‑332/17, non publiée, EU:T:2018:294, point 16 et jurisprudence citée).
9 Il y a lieu de rappeler que le juge de l’Union a adopté une interprétation large du droit d’intervention des associations, visant à permettre de mieux apprécier le cadre des affaires tout en évitant une multiplicité d’interventions individuelles qui compromettrait l’efficacité et le bon déroulement de la procédure [ordonnances du 17 juin 1997, National Power et PowerGen/Commission, C‑151/97 P(I) et C‑157/97 P(I), EU:C:1997:307, point 66, et du 16 mars 2016, One of Us e.a./Commission, T‑561/14, non publiée, EU:T:2016:173, point 25 et jurisprudence citée].
10 Selon une jurisprudence constante, est admise l’intervention d’associations représentatives qui ont pour objet la protection de leurs membres dans des affaires soulevant des questions de principe de nature à affecter ces derniers [ordonnances du 17 juin 1997, National Power et PowerGen/Commission, C‑151/97 P(I) et C‑157/97 P(I), EU:C:1997:307, point 66, du 17 février 2016, Allergopharma/Commission, T‑354/15, non publiée, EU:T:2016:121, point 9, et du 15 décembre 2017, Apple Sales International et Apple Operations Europe/Commission, T‑892/16, non publiée, EU:T:2017:926, point 12].
11 Plus particulièrement, une association d’entreprises peut être admise à intervenir dans une affaire si elle est représentative d’un nombre important d’entreprises actives dans le secteur concerné, si son objet comprend la protection des intérêts de ses membres, si l’affaire peut soulever des questions de principe affectant le fonctionnement du secteur concerné et, donc, si les intérêts de ses membres peuvent être affectés dans une mesure importante par l’arrêt à intervenir (ordonnances du 28 mai 2004, Akzo Nobel Chemicals et Akcros Chemicals/Commission, T‑253/03, EU:T:2004:164, point 21, du 17 février 2016, Allergopharma/Commission, T‑354/15, non publiée, EU:T:2016:121, point 9, et du 15 décembre 2017, Apple Sales International et Apple Operations Europe/Commission, T‑892/16, non publiée, EU:T:2017:926, point 12).
12 C’est à la lumière de la jurisprudence exposée aux points 7 à 11 ci-dessus qu’il convient d’examiner si Föreningen för Svensk Sjöfart justifie d’un intérêt à la solution du litige.
13 À l’appui de sa demande d’intervention, Föreningen för Svensk Sjöfart, association des armateurs suédois, soutient avoir un intérêt direct et actuel à la solution du litige.
14 Tout d’abord, elle fait valoir qu’elle a été admise à intervenir devant le Tribunal dans les procédures ayant donné lieu aux arrêts du 13 décembre 2018, Scandlines Danmark et Scandlines Deutschland/Commission (T-630/15, non publié, EU:T:2018:942) et Stena Line Scandinavia/Commission (T-631/15, non publié, EU:T:2018:944), qui concernaient les aides accordées dans le cadre du projet de liaison fixe du détroit de Fehmarn. Ensuite, elle fait valoir qu’elle représente 56 compagnies de transport maritime ce qui correspondrait à la quasi-totalité de celles actives en Suède. Föreningen för Svensk Sjöfart se prévaut également de son statut de membre de l’European Community Shipowner’s Association, au sein de laquelle elle représenterait la Suède en participant notamment à de nombreux comités. En outre, elle indique que, conformément à ses statuts, son objet est de défendre les intérêts de ses membres. À cet égard, elle se prévaut de plusieurs actions en faveur de la défense des intérêts de ses membres. Enfin, Föreningen för Svensk Sjöfart soutient que l’octroi de financements à Femern A/S porterait atteinte à la concurrence et affecterait le marché des services de transport entre l’Europe continentale et la Scandinavie au détriment de ses membres qui opèrent dans le région et qui seraient appelés à subir une diminution significative de leur chiffre d’affaire, en particulier pour ses principaux membres.
15 La Commission soutient que la demande d’intervention de Föreningen för Svensk Sjöfart doit être rejetée.
16 Premièrement, elle fait valoir que la circonstance que Föreningen för Svensk Sjöfart avait été admise à intervenir dans les procédures ayant donné lieu aux arrêts du 13 décembre 2018, Scandlines Danmark et Scandlines Deutschland/Commission (T-630/15, non publié, EU:T:2018:942) et Stena Line Scandinavia/Commission (T-631/15, non publié, EU:T:2018:944), ne démontre pas qu’elle dispose d’un intérêt à la solution du litige dans le cadre de la présente affaire, dans la mesure où la décision attaquée a été adoptée dans un autre contexte procédural. En outre, la décision attaquée ne ferait que confirmer la plupart des conclusions formulées dans sa décision du 23 juillet 2015, concernant l’aide d’État SA.39078 - (2014/N), mise à exécution par le Danemark pour le financement public de la liaison fixe rail-route du détroit de Fehmarn (JO C 325, p. 5) (ci-après « décision sur la construction ») et dans la lettre qui en accompagnait l’envoi aux requérantes. Deuxièmement, elle émet des doutes sur l’intérêt direct et actuel au motif que Föreningen för Svensk Sjöfart ne faisait pas fait partie des plaignants et n’a joué aucun rôle dans la procédure administrative ultérieure. Troisièmement, elle soutient que la circonstance que Föreningen för Svensk Sjöfart soit représentée par le même avocat que les parties requérantes ainsi que d’autres parties demanderesses en intervention pourrait brouiller les rôles distincts de ces parties et susciter des préoccupations au sujet de la bonne administration de la justice. Quatrièmement, la Commission relève que les éléments de preuve pour démontrer l’intérêt de Föreningen för Svensk Sjöfart à la solution du litige ne respectaient pas les exigences linguistiques fixées par l’article 46 du règlement de procédure.
17 Il y a lieu de relever que, dans ses observations sur la demande d’intervention, la Commission n’identifie pas clairement quelles conditions pour qu’une association soit admise à intervenir, parmi celles citées au point 11 ci-dessus, ne seraient pas satisfaites.
18 S’agissant de la représentativité d’un nombre important d’entreprises actives dans le secteur concerné, il y a lieu de constater que la Commission ne conteste pas l’affirmation de Föreningen för Svensk Sjöfart selon laquelle ladite association représente les intérêts de 56 compagnies de transport maritime ce qui correspondrait à la quasi-totalité des entreprises actives dans ce secteur.
19 En ce qui concerne l’objet de l’association, il ressort des statuts de Föreningen för Svensk Sjöfart que son objet est de protéger les intérêts de ses membres. À cet égard, les éléments de preuve transmis par Föreningen för Svensk Sjöfart attestent de la réalité d’actions menées par l’association pour défendre lesdits intérêts.
20 S’agissant de l’affectation importante des intérêts des membres de Föreningen för Svensk Sjöfart, il est vrai que la décision attaquée ne comporte pas d’indications sur les effets du projet de liaison fixe du détroit de Fehmarn sur les activités des compagnies de transport maritimes. Toutefois, ainsi que l’a souligné Föreningen för Svensk Sjöfart dans la décision sur la construction, à laquelle elle se réfère et qui concerne le même projet que celui en cause dans la décision attaquée, la Commission a reconnu que l’ouverture de liaison fixe aura un impact négatif pour les exploitants de transbordeurs, tant ceux qui desservent la liaison Rødby-Puttgarden que ceux des autres liaisons maritimes dans la région (point 116 de la décision sur la construction). Or, il ressort des éléments du dossier, non contestés par la Commission, que Föreningen för Svensk Sjöfart représente notamment des exploitants de transbordeurs qui desservent des liaisons maritimes dans la région du projet de liaison fixe.
21 En outre, dans la mesure où les questions soulevées par le présent recours portent sur la qualification en tant qu’aides d’État illégales de mesures de financement accordées notamment à Fermen A/S, qui est en charge de la construction et l’exploitation de la liaison fixe, il convient de considérer que lesdites questions sont de nature à affecter le fonctionnement des transporteurs maritimes que représente Föreningen för Svensk Sjöfart.
22 Il s’ensuit que Föreningen för Svensk Sjöfart justifie d’un intérêt direct et actuel à la solution du litige.
23 Aucun des arguments soulevés par la Commission ne saurait remettre en cause cette conclusion.
24 Premièrement, concernant l’argument tiré du caractère confirmatif de la décision attaquée, il suffit de relever qu’un tel argument concerne la recevabilité du recours au regard du caractère attaquable de la décision attaquée par les requérantes. Il s’agit donc d’un argument qui a vocation à être examiné dans le cadre de l’examen du présent recours, mais qui est dénué de pertinence dans le cadre de la présente demande d’intervention pour apprécier l’intérêt direct et actuel de Föreningen för Svensk Sjöfart à intervenir. Par ailleurs, il est exact que la circonstance que Föreningen för Svensk Sjöfart a été admise à intervenir dans les procédures ayant donné lieu aux arrêts du 13 décembre 2018, Scandlines Danmark et Scandlines Deutschland/Commission (T‑630/15, non publié, EU:T:2018:942) et Stena Line Scandinavia/Commission (T‑631/15, non publié, EU:T:2018:944), ne saurait, à elle seule, établir l’existence d’intérêt à la solution du litige dans une autre affaire. Cela étant, force est de constater que l’intérêt de Föreningen för Svensk Sjöfart à intervenir en l’espèce, constaté au point 22 ci-dessus, résulte de considérations propres à sa présente demande d’intervention et constatent son intérêt direct et actuel à la solution du présent litige indépendamment de son admission à intervenir dans le cadre de précédents recours.
25 Deuxièmement, la circonstance que Föreningen för Svensk Sjöfart ne ferait pas partie des plaignants et qu’elle n’aurait pas participé à la procédure ultérieure ne saurait suffire pour écarter son intérêt à la solution du litige, en particulier dans le cas d’espèce où la Commission a adopté la décision attaquée sans ouvrir la procédure formelle d’examen prévue à l’article 108, paragraphe 2, TFUE.
26 Troisièmement, selon une jurisprudence constante, le fait que Föreningen för Svensk Sjöfart soit représentée par le même avocat que les parties requérantes et d’autres demanderesses en intervention ne saurait constituer un motif de rejet de sa demande d’intervention (voir, en ce sens, ordonnances du 22 octobre 2019, Stena Line Scandinavia/Commission, C-175/19 P, non publiée, EU:C:2019:1095, points 25, 43 et 59, et du 10 septembre 2019, Dansk Erhverv/Commission, T-47/19, non publiée, EU:T:2019:663, point 29 et jurisprudence citée).
27 Quatrièmement, l’argument de la Commission selon lequel les éléments de preuve fournis par Föreningen för Svensk Sjöfart ne satisferaient pas aux exigences linguistiques doit être rejeté. D’une part, en ce qui concerne les statuts de l’association, s’il est vrai que l’intégralité de ces statuts a été fournie en langue suédoise, conformément à l’article 46, paragraphe 3, du règlement de procédure, l’extrait pertinent se rapportant à l’objet de ladite association a été traduit dans la langue de procédure. D’autre part, les autres éléments de preuve mentionnés par la Commission dans ses observations comme étant non conformes aux exigences linguistiques ont fait l’objet d’une régularisation par Föreningen för Svensk Sjöfart dans les délais impartis.
28 Partant, il y a lieu d’accueillir la demande d’intervention de Föreningen för Svensk Sjöfart.
Par ces motifs,
LE PRÉSIDENT DE LA CINQUIÈME CHAMBRE DU TRIBUNAL
ordonne :
1) Föreningen för Svensk Sjöfart est admise à intervenir dans l’affaire T-7/19, au soutien des conclusions de Scandlines Danmark ApS et de Scandlines Deutschland GmbH.
2) Le greffier communiquera à Föreningen för Svensk Sjöfart tous les actes de procédure signifiés aux parties principales.
3) Un délai sera fixé à Föreningen för Svensk Sjöfart pour présenter un mémoire en intervention.
4) Les dépens sont réservés.
Fait à Luxembourg, le 18 mai 2022.