Affaire C726/22 P

Commission européenne

contre

Pollinis France

 Arrêt e la Cour (cinquième chambre) du 16 janvier 2025

« Pourvoi – Accès aux documents – Règlement (CE) no 1049/2001 – Article 4, paragraphe 3, premier alinéa – Protection du processus décisionnel – Règlement (UE) no 182/2011 – Comitologie – Positions exprimées par les États membres et autres membres des comités – Refus d’accès »

1.        Institutions de l’Union européenne – Droit d’accès du public aux documents – Règlement no 1049/2001 – Exceptions au droit d’accès aux documents – Protection du processus décisionnel – Conditions – Interprétation et application strictes

(Règlement du Parlement européen et du Conseil no 1049/2001, considérant 11 et art. 4, § 3, 1er al.)

(voir points 62, 65)

2.        Institutions de l’Union européenne – Droit d’accès du public aux documents – Règlement no 1049/2001 – Exceptions au droit d’accès aux documents – Obligation de motivation – Portée

(Règlement du Parlement européen et du Conseil no 1049/2001, art. 4)

(voir point 63)

3.        Institutions de l’Union européenne – Droit d’accès du public aux documents – Règlement no 1049/2001 – Champ d’application – Activité administrative de la Commission – Inclusion

(Règlement du Parlement européen et du Conseil no 1049/2001, art. 2, § 3)

(voir point 66)

4.        Institutions de l’Union européenne – Droit d’accès du public aux documents – Règlement no 1049/2001 – Exceptions au droit d’accès aux documents – Protection du processus décisionnel – Prise de décision – Notion – Existence d’un objet décisionnel déterminé – Inclusion

(Règlement du Parlement européen et du Conseil no 1049/2001, art. 4, § 3, 1er al.)

(voir point 73)

5.        Institutions de l’Union européenne – Droit d’accès du public aux documents – Règlement no 1049/2001 – Exceptions au droit d’accès aux documents – Protection du processus décisionnel – Conditions – Atteinte concrète, effective et grave audit processus – Portée – Intention d’une institution de prendre une décision – Exclusion

(Règlement du Parlement européen et du Conseil no 1049/2001, art. 4, § 3, 1er al.)

(voir points 74, 77, 78)

Résumé

Saisie d’un pourvoi qu’elle rejette, formé par la Commission européenne contre l’arrêt du Tribunal dans l’affaire Pollinis France/Commission (1), par lequel celui-ci a annulé les deux décisions de la Commission (2) refusant l’accès à des documents concernant le document d’orientation de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) de 2013 (3), la Cour précise la portée de l’exception relative à l’existence d’un processus décisionnel en cours (4), dans le cadre d’une procédure de comitologie, et se prononce sur la qualification de « question sur laquelle [une institution] n’a pas encore pris de décision ».

Pollinis France est une organisation non gouvernementale française opérant pour la défense de l’environnement dont l’objectif est de protéger les abeilles sauvages et communes et de promouvoir l’agriculture durable dans un but de préserver des pollinisateurs. En 2020, elle a présenté à la Commission deux demandes d’accès (5) à certains documents concernant le document d’orientation de l’EFSA de 2013. La première demande portait, en substance, sur des documents consignant les positions des États membres, des membres du comité permanent des végétaux, des animaux, des denrées alimentaires et des aliments pour animaux (6) et de la Commission concernant ce document d’orientation ainsi qu’à tout projet relatif à ce sujet reçu ou rédigé par cette dernière depuis octobre 2018. La seconde demande portait sur certains documents concernant ledit document d’orientation de l’EFSA de 2013 et visait, en substance, la correspondance, les ordres du jour, les procès-verbaux et les rapports des réunions entre les membres du Scopaff et certains fonctionnaires et membres de la Commission entre juillet 2013 et septembre 2018.

En réponse à des demandes confirmatives d’accès, la Commission a accordé, par deux décisions de 2020, un accès partiel à certains documents et a refusé l’accès à certains autres documents, sur le fondement des exceptions, respectivement, relatives à la protection de la vie privée et de l’intégrité de l’individu (7) et à l’existence d’un processus décisionnel en cours.

En effet, le document d’orientation de l’EFSA de 2013 avait fait l’objet de discussions pendant plusieurs années au sein du Scopaff, sans qu’un accord ait été trouvé sur son texte, en raison de désaccords entre les États membres, et sans que ce document ait été adopté par la Commission. En 2019, la Commission avait demandé à l’EFSA de procéder à une révision de son document d’orientation de 2013, afin de tenir compte des évolutions scientifiques les plus récentes.

C’est dans ce contexte que, dans l’arrêt sous pourvoi, saisi de deux recours en annulation, le Tribunal a relevé que, par les décisions litigieuses adoptées en 2020, la Commission a indiqué que, dans l’attente de la finalisation de la révision de ce document, son examen au sein du Scopaff était « arrêté » et que cela signifiait que le processus décisionnel pouvait être considéré comme étant « en cours », puisqu’il serait amené à reprendre seulement après l’achèvement de cette révision.

Or, selon le Tribunal, au moment de l’adoption des décisions litigieuses, plus aucun processus décisionnel n’aurait visé à mettre en œuvre le document d’orientation de l’EFSA de 2013. Au contraire, la Commission aurait décidé, implicitement mais nécessairement, de ne plus mettre en œuvre le même document. Le fait même qu’une révision de ce dernier était en cours au moment de l’adoption des décisions litigieuses aurait impliqué l’impossibilité de déterminer le contenu de l’éventuel document d’orientation révisé, la forme de son éventuelle adoption et la procédure qui aurait été éventuellement suivie à cet égard et, partant, l’absence de l’objet d’un processus décisionnel de la Commission. En conséquence, la Commission n’aurait pas pu valablement invoquer l’exception relative à la protection d’un processus décisionnel en cours.

Appréciation de la Cour

Saisie d’un pourvoi formé par la Commission, au soutien duquel celle-ci soulève deux moyens, la Cour examine, dans le cadre du premier moyen, si le Tribunal a considéré, à bon droit, dans l’arrêt attaqué, que le processus décisionnel de la Commission ayant pour objet le document d’orientation de l’EFSA de 2013 avait été clôturé au moment de l’adoption des décisions litigieuses.

À titre liminaire, la Cour rappelle que le règlement no 1049/2001, qui repose sur le principe d’ouverture et de transparence, vise à conférer au public un droit d’accès aux documents des institutions qui soit le plus large possible. Bien que ce droit d’accès soit soumis à certaines limites fondées sur des raisons d’intérêt public ou privé, les exceptions au droit d’accès prévues par le règlement no 1049/2001 doivent être interprétées et appliquées strictement. En outre, lorsque l’institution concernée décide de refuser l’accès à un document dont la communication lui a été demandée, il lui incombe, en principe, de fournir des explications sur la manière dont l’accès à ce document pourrait porter concrètement et effectivement atteinte à l’intérêt protégé par une exception prévue à l’article 4 du règlement no 1049/2001 que cette institution invoque. Enfin, le risque d’une telle atteinte doit être raisonnablement prévisible et non purement hypothétique.

À titre principal, en ce qui concerne, plus particulièrement, l’exception relative à la protection du processus décisionnel, la Cour indique tout d’abord que, aux termes de l’article 4, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement no 1049/2001, l’accès à un document établi par une institution pour son usage interne ou reçu par cette dernière et qui a trait à une question sur laquelle cette institution n’a pas encore pris de décision est refusé lorsque sa divulgation porterait gravement atteinte au processus décisionnel de ladite institution, à moins qu’un intérêt public supérieur ne justifie la divulgation du document en question.

À cet égard, la Cour rappelle que la notion de « processus décisionnel » doit être comprise comme se rapportant directement à la prise de décision sans couvrir l’intégralité de la procédure administrative ayant abouti à celle-ci. Or, une prise de décision présuppose l’existence d’un objet déterminé sur lequel portera la décision à venir, et cela indépendamment du caractère imminent de l’adoption d’un projet d’acte spécifique et identifiable. De plus, contrairement à ce que la Commission a soutenu, le Tribunal n’a pas considéré que, à défaut d’un tel caractère imminent, il n’y aurait pas d’activités décisionnelles effectives.

Ensuite, admettre qu’une décision n’a pas encore été prise et, partant, qu’il existe un « processus décisionnel » en cours au sens de l’article 4, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement no 1049/2001, lorsque l’objet d’un tel processus n’est pas déterminé, irait à l’encontre tant de l’économie de cette disposition que de la jurisprudence. Ainsi, tant que l’objet exact d’une décision à venir n’est pas encore déterminé, tout risque d’atteinte au processus décisionnel visant à l’adoption de cette décision du fait de la divulgation d’un document demandé en vertu du règlement no 1049/2001 est par définition hypothétique, étant donné qu’il serait, en réalité, impossible de vérifier si le contenu de ce document a réellement trait à ce processus décisionnel.

Enfin, c’est également sans commettre d’erreur de droit que le Tribunal n’a pas considéré comme étant décisif, pour apprécier l’existence d’une « question sur laquelle [cette institution] n’a pas encore pris de décision », au sens de l’article 4, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement no 1049/2001, l’argument selon lequel la Commission avait toujours « l’objectif » de mettre en œuvre un document d’orientation sur les abeilles. En effet, admettre que la seule intention d’une institution de prendre une décision dans une matière relevant de sa compétence lui permet d’invoquer cette disposition, sans que soit exigée l’existence d’un processus décisionnel tendant à l’adoption d’une décision sur un objet déterminé, reviendrait, en réalité, à reconnaître à cette institution la possibilité de refuser la divulgation de tout document ayant trait à cette matière. Or, la notion de « question sur laquelle [une institution] n’a pas encore pris de décision » ne saurait recevoir une interprétation si large qu’elle couvrirait tout document ayant trait à une question donnée.

Par conséquent, la Cour conclut que le Tribunal a considéré à bon droit que le fait que la Commission a toujours poursuivi l’objectif de mettre en œuvre un document d’orientation sur les abeilles afin de fournir aux autorités des États membres un document faisant état des « connaissances scientifiques et techniques actuelles » ne suffisait pas, en soi, pour conclure qu’il existait toujours une « question sur laquelle [cette institution] n’a[vait] pas encore pris de décision », au sens de l’article 4, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement no 1049/2001. Elle conclut donc au rejet du premier moyen ainsi que, consécutivement, du second, comme inopérant, et, dès lors, au rejet du pourvoi dans son ensemble.


1      Arrêt du 14 septembre 2022, Pollinis France/Commission (T‑371/20 et T‑554/20, EU:T:2022:556, ci-après l’« arrêt attaqué »).


2      Décisions de la Commission C(2020) 4231 final, du 19 juin 2020, dans l’affaire T 371/20, et C(2020) 5120 final, du 21 juillet 2020, dans l’affaire T 554/20 (ci-après « les décisions litigieuses »).


3      Document d’orientation sur l’évaluation des risques des produits phytopharmaceutiques pour les abeilles, adopté par l’EFSA le 27 juin 2013 (ci-après le « document d’orientation de l’EFSA de 2013 »).


4      Sur le fondement de l’article 4, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement (CE) no 1049/2001 du Parlement européen et du Conseil, du 30 mai 2001, relatif à l’accès du public aux documents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission (JO 2001, L 145, p. 43).


5      En vertu du règlement no 1049/2001 et du règlement (CE) no 1367/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 6 septembre 2006, concernant l’application aux institutions et organes de la Communauté européenne des dispositions de la convention d’Aarhus sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement (JO 2006, L 264, p. 13).


6      Standing Committee on Plants, Animals, Food and Feeds (ci-après le « Scopaff »).


7      Au sens de l’article 4, paragraphe 1, sous b), du règlement no 1049/2001.