Affaire C339/22

BSH Hausgeräte GmbH

contre

Electrolux AB

(demande de décision préjudicielle, introduite par le Svea Hovrätt)

 Arrêt de la Cour(grande chambre) du 25 février 2025

« Renvoi préjudiciel – Compétence judiciaire et exécution des décisions en matière civile et commerciale – Règlement (UE) no 1215/2012 – Article 4, paragraphe 1 – Compétence générale – Article 24, point 4 – Compétences exclusives – Compétence en matière d’inscription ou de validité des brevets – Action en contrefaçon – Brevet européen validé dans des États membres et dans un État tiers – Contestation de la validité du brevet par voie d’exception – Compétence internationale de la juridiction saisie de l’action en contrefaçon »

1.        Coopération judiciaire en matière civile – Compétence judiciaire et exécution des décisions en matière civile et commerciale – Règlement no 1215/2012 – Détermination de la compétence internationale d’une juridiction d’un État membre – Compétences exclusives – Litiges en matière d’inscription ou de validité des brevets – Notions autonomes du droit de l’Union – Interprétation uniforme – Règle ou procédure nationale sur l’interprétation d’une disposition du droit de l’Union – Absence d’incidence

(Règlement du Parlement européen et du Conseil no1215/2012, art. 24, point 4)

(voir points 25, 26)

2.        Coopération judiciaire en matière civile – Compétence judiciaire et exécution des décisions en matière civile et commerciale – Règlement no 1215/2012 – Dispositions de ce règlement qualifiées d’équivalentes à celles du règlement no 44/2001 et de la convention de Bruxelles – Interprétation desdites dispositions conformément à la jurisprudence de la Cour relative au règlement no 44/2001 et à la convention de Bruxelles – Compétences exclusives – Litiges en matière d’inscription ou de validité des brevets – Notion – Interprétation autonome – Interprétation stricte

(Convention du 27 septembre 1968, art. 16, point 4 ; règlement du Parlement européen et du Conseil no 1215/2012, art. 24, point 4 ; règlement du Conseil no 44/2001, art. 22, point 4)

(voir points 28, 43)

3.        Coopération judiciaire en matière civile – Compétence judiciaire et exécution des décisions en matière civile et commerciale – Règlement no 1215/2012 – Détermination de la compétence internationale d’une juridiction d’un État membre – Compétences exclusives – Litiges en matière d’inscription ou de validité des brevets – Portée – Contrôle incident de la validité d’un brevet délivré dans un État membre dans le cadre d’une action en contrefaçon introduite dans un autre État membre – Exclusion

(Règlement du Parlement européen et du Conseil no 1215/2012, art. 4, § 1, 24, point 4, et 27)

(voir points 35-37)

4.        Coopération judiciaire en matière civile – Compétence judiciaire et exécution des décisions en matière civile et commerciale – Règlement no 1215/2012 – Détermination de la compétence internationale d’une juridiction d’un État membre – Champ d’application – Compétence de la juridiction du domicile du défendeur – Action en contrefaçon d’un brevet européen validé dans plusieurs États membres – Contestation par le défendeur de la validité du brevet – Litiges en matière d’inscription ou de validité des brevets – Compétence exclusive – Obligation de la juridiction du domicile du défendeur saisie de l’action en contrefaçon de se déclarer incompétente – Absence

(Règlement du Parlement européen et du Conseil no 1215/2012, art. 4, § 1, 24, point 4, et 27]

(voir points 38-42, 44-48, 52, disp. 1)

5.        Coopération judiciaire en matière civile – Compétence judiciaire et exécution des décisions en matière civile et commerciale – Règlement no 1215/2012 – Détermination de la compétence internationale d’une juridiction d’un État membre – Compétence de la juridiction du domicile du défendeur – Litiges en matière d’inscription ou de validité de brevets – Contrefaçon de brevets délivrés dans un État tiers – Portée – Contrôle incident par la juridiction saisie de la validité du brevet délivré dans un État tiers – Inclusion

(Convention du 30 octobre 2007, art. 22, point 4 ; règlement du Parlement européen et du Conseil no 1215/2012, art. 4, § 1, 24, point 4, 33, 34 et 73, § 1 et 3)

(voir points 55-57, 61-76, disp. 2)

6.        Coopération judiciaire en matière civile – Compétence judiciaire et exécution des décisions en matière civile et commerciale – Règlement no 1215/2012 – Champ d’application – Existence d’un élément d’extranéité – Litige opposant des parties domiciliées dans des États membres – Élément d’extranéité se situant sur le territoire d’un pays tiers – Inclusion

(Règlement du Parlement européen et du Conseil no 1215/2012, art. 4, § 1)

(voir points 58-60)

Résumé

Saisie à titre préjudiciel par le Svea hovrätt, Patent- och marknadsöverdomstolen (cour d’appel siégeant à Stockholm en tant que cour d’appel de la propriété industrielle et du commerce, Suède), la Cour se prononce sur le champ d’application du règlement no 1215/2012 (1). Elle juge qu’une juridiction de l’État membre du domicile du défendeur, saisie d’une action en contrefaçon d’un brevet délivré dans un autre État membre, reste compétente pour connaître de cette action lorsque, dans le cadre de cette action, le défendeur conteste, par voie d’exception, la validité dudit brevet, alors que la compétence pour statuer sur cette validité appartient exclusivement aux juridictions de cet autre État membre.

BSH est titulaire d’un brevet européen qui protège une invention dans le domaine des aspirateurs. Ce brevet a été validé en Suède et dans différents autres États membres, ainsi qu’au Royaume-Uni et en Turquie, ce qui a donné lieu à la délivrance de brevets nationaux relevant de ces États.

En février 2020, BSH a introduit contre Electrolux une action en contrefaçon de toutes les parties nationales dudit brevet européen devant le Patent- och marknadsdomstolen (tribunal de la propriété industrielle et de commerce, Suède). Electrolux a soulevé l’irrecevabilité des demandes relatives aux contrefaçons des parties nationales du brevet autres que la partie suédoise, faisant valoir, tant au titre du règlement Bruxelles I bis que de la loi suédoise sur les brevets (2), que les brevets étrangers étaient nuls et que les juridictions suédoises n’étaient, dès lors, pas compétentes pour statuer sur leur contrefaçon.

Le tribunal de la propriété industrielle et de commerce s’est déclaré incompétent pour connaître de l’action en contrefaçon des brevets autres que celui validé en Suède. BSH a interjeté appel de cette décision devant la juridiction de renvoi.

Celle-ci se demande si l’article 24, point 4 (3), du règlement Bruxelles I bis doit être interprété en ce sens qu’une juridiction de l’État membre du domicile du défendeur saisie, en vertu de l’article 4, paragraphe 1, de ce règlement, d’une action en contrefaçon d’un brevet délivré dans un autre État membre reste compétente pour connaître de cette action lorsque, dans le cadre de celle-ci, ce défendeur conteste, par voie d’exception, la validité de ce brevet. Elle se demande également si l’article 24, point 4, du règlement Bruxelles I bis doit être interprété en ce sens qu’il s’applique à une juridiction d’un État tiers et confère, par conséquent, une compétence exclusive à celle-ci en ce qui concerne l’appréciation de la validité d’un brevet délivré ou validé dans cet État.

Appréciation de la Cour

En premier lieu, la Cour se prononce sur le champ d’application respectif des règles de compétence des juridictions concernées telles qu’elles résultent de l’article 4, paragraphe 1 (4), et de l’article 24, point 4, du règlement Bruxelles I bis. Elle constate, tout d’abord, qu’il ressort des termes de l’article 24, point 4, de ce règlement, que les juridictions de l’État membre de délivrance du brevet sont seules compétentes pour connaître d’une contestation en matière d’inscription ou de validité de ce brevet, que cette contestation soit soulevée par voie d’action ou par voie d’exception comme moyen de défense dans le cadre d’une action en contrefaçon devant une juridiction d’un autre État membre. Cette solution est justifiée par le fait que la délivrance des brevets implique l’intervention de l’administration nationale et par le fait que ces juridictions, qui statuent en application de leur droit national, sont les mieux placées pour en juger. Ce souci d’une bonne administration de la justice revêt d’autant plus d’importance que plusieurs États membres ont mis en place un système de protection juridictionnelle particulier, réservant le contentieux des brevets à des tribunaux spécialisés.

Ainsi, lorsqu’une juridiction de l’État membre du domicile du défendeur est saisie, en vertu du règlement Bruxelles I bis (5), d’une action en contrefaçon d’un brevet délivré par un autre État membre, dans le cadre de laquelle la partie défenderesse conteste, par voie d’exception, la validité de ce brevet, cette juridiction ne saurait constater, à titre incident, la nullité dudit brevet, mais doit se déclarer incompétente, conformément à l’article 27 de ce règlement (6), en ce qui concerne la question de la validité du brevet, eu égard à la règle de compétence exclusive des juridictions de l’État membre de délivrance du brevet prévue à l’article 24, point 4, dudit règlement.

Cette règle de compétence exclusive ne visant, cependant, que les litiges « en matière d’inscription ou de validité des brevets », une juridiction de l’État membre du domicile du défendeur, saisie en vertu de l’article 4, paragraphe 1, de ce même règlement d’une action en contrefaçon d’un brevet délivré dans un autre État membre, reste compétente pour connaître de cette action lorsque, dans le cadre de celle-ci, ce défendeur conteste, par voie d’exception, la validité de ce brevet.

En second lieu, s’agissant de la question de savoir si l’article 24, point 4, du règlement Bruxelles I bis doit être interprété en ce sens qu’il s’applique à une juridiction d’un État tiers et confère, de ce fait, une compétence exclusive à cette juridiction en ce qui concerne l’appréciation de la validité d’un brevet délivré ou validé dans cet État, la Cour observe que le libellé de cette disposition vise la compétence exclusive des juridictions des États membres et que le régime prévu par le règlement Bruxelles I bis est un régime de compétence interne à l’Union européenne, poursuivant des objectifs propres tels que le bon fonctionnement du marché intérieur ainsi que l’établissement d’un espace de liberté, de sécurité et de justice. L’article 24, point 4, de ce règlement ne pouvant pas être considéré comme étant applicable dans une situation dans laquelle les brevets concernés sont délivrés ou validés non pas dans un État membre, mais dans un État tiers (7), cette disposition ne s’applique pas à une juridiction d’un État tiers et ne confère, dès lors, aucune compétence, exclusive ou non, à une telle juridiction en ce qui concerne l’appréciation de la validité d’un brevet délivré ou validé dans cet État.

Toutefois, si la compétence de principe de la juridiction du domicile du défendeur établie à l’article 4, paragraphe 1, du règlement Bruxelles I bis peut être limitée, d’une part, par des règles spéciales (8) et, d’autre part, par le droit international général, aucune limitation prévue par ces dernières ne paraît devoir être prise en considération en l’espèce.

S’agissant du droit international général, la Cour rappelle qu’un acte adopté en vertu des compétences de l’Union, tel que le règlement Bruxelles I bis, doit être interprété, et son champ d’application circonscrit, à la lumière des règles et principes du droit international général, lesquels lient les institutions de l’Union. À cet égard, la compétence de la juridiction du domicile du défendeur pour statuer dans un litige qui se rattache, au moins en partie, à un État tiers n’est pas contraire au principe de droit international de l’effet relatif des traités.

Par ailleurs, cette compétence doit s’exercer sans empiéter sur le principe de non-ingérence. Dans l’exercice de ses compétences, l’octroi par un État d’un brevet national, lequel confère à son titulaire des droits exclusifs de propriété intellectuelle sur son territoire, découle de la souveraineté nationale dudit État. Or, dès lors qu’une décision juridictionnelle concernant un brevet affecte l’existence ou le contenu de ces droits exclusifs, seules les juridictions compétentes de cet État peuvent rendre une telle décision.

En revanche, la juridiction de l’État membre du domicile du défendeur saisie, sur le fondement de l’article 4, paragraphe 1, du règlement Bruxelles I bis, d’une action en contrefaçon dans le cadre de laquelle est soulevée par voie d’exception la question de la validité d’un brevet délivré ou validé dans un État tiers est compétente pour statuer sur cette question si aucune limitation n’est applicable. En effet, la décision sollicitée à cet égard ayant uniquement des effets inter partes, celle-ci n’est pas de nature à affecter l’existence ou le contenu de ce brevet dans cet État tiers ni à entraîner la modification du registre national de celui-ci.

La Cour conclut à ce sujet que l’article 24, point 4, du règlement Bruxelles I bis doit être interprété en ce sens qu’il ne s’applique pas à une juridiction d’un État tiers et, par conséquent, ne confère aucune compétence, exclusive ou non, à une telle juridiction en ce qui concerne l’appréciation de la validité d’un brevet délivré ou validé par cet État.


1      Règlement (UE) no 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2012, L 351, p. 1, ci-après le « règlement Bruxelles I bis »).


2      Voir l’article 61, deuxième alinéa, de la patentlagen (1967 :837) [loi sur les brevets (1967 :837)].


3      Article 24 du règlement Bruxelles I bis :« Sont seules compétentes les juridictions ci-après d’un État membre, sans considération de domicile des parties : […] 4)       en matière d’inscription ou de validité des brevets, marques, dessins et modèles, et autres droits analogues donnant lieu à dépôt ou à un enregistrement, que la question soit soulevée par voie d’action ou d’exception, les juridictions de l’État membre sur le territoire duquel le dépôt ou l’enregistrement a été demandé, a été effectué ou est réputé avoir été effectué aux termes d’un instrument de l’Union ou d’une convention internationale. Sans préjudice de la compétence reconnue à l’Office européen des brevets par la convention sur la délivrance des brevets européens, signée à Munich le 5 octobre 1973, les juridictions de chaque État membre sont seules compétentes en matière d’inscription ou de validité d’un brevet européen délivré pour cet État membre ; […]


4      Article 4, paragraphe 1, du règlement Bruxelles I bis :« Sous réserve du présent règlement, les personnes domiciliées sur le territoire d’un État membre sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet État membre. »


5      En vertu de l’article 4, paragraphe 1, du règlement Bruxelles I bis.


6      Article 27 du règlement Bruxelles I bis :« La juridiction d’un État membre saisie à titre principal d’un litige pour lequel les juridictions d’un autre État membre sont exclusivement compétentes en vertu de l’article 24 se déclare d’office incompétente. »


7      Voir, en ce sens, arrêt du 8 septembre 2022, IRnova (C‑399/21, EU:C:2022:648, point 35).


8      Article 73 du règlement Bruxelles I bis.