CONCLUSIONS DE L’AVOCATE GÉNÉRALE

MME LAILA MEDINA

présentées le 27 février 2025 (1)

Affaire C59/23 P

République d’Autriche

contre

Commission européenne

« Pourvoi – Industrie nucléaire – Aide envisagée par le gouvernement hongrois pour le développement de deux nouveaux réacteurs nucléaires sur le site de Paks – Décision déclarant l’aide compatible avec le marché intérieur sous condition du respect de certains engagements par la Hongrie »






I.      Introduction

1.        Par son pourvoi, la République d’Autriche demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 30 novembre 2022, Autriche/Commission (2), par lequel celui-ci a rejeté son recours tendant à l’annulation de la décision (UE) 2017/2112 de la Commission, du 6 mars 2017, relative à la mesure/au régime d’aides/à l’aide d’État SA.38454 – 2015/C (ex 2015/N) que la Hongrie envisage de mettre à exécution à titre de soutien en faveur du développement de deux nouveaux réacteurs nucléaires de la centrale nucléaire Paks II (3).

II.    Les antécédents du litige et la décision litigieuse

2.        Les antécédents du litige, tels qu’ils ressortent des points 2 à 9 de l’arrêt attaqué, peuvent être résumés comme suit aux fins de la présente affaire.

3.        Le 22 mai 2015, la Hongrie a notifié à la Commission européenne une mesure visant à fournir une contribution financière pour le développement de deux nouveaux réacteurs nucléaires sur le site de la centrale nucléaire de Paks, en Hongrie, sur lequel sont déjà exploités quatre réacteurs nucléaires (ci-après la « mesure notifiée »). La bénéficiaire de cette mesure était la société MVM Paks II Nuclear Power Plant Development Private Company Limited by Shares (ci‑après la « société Paks II »), qui était censée devenir la propriétaire et la société d’exploitation des deux nouveaux réacteurs nucléaires. La société Paks II appartient à 100 % à l’État hongrois.

4.        Le 23 novembre 2015, la Commission a décidé d’ouvrir la procédure formelle d’examen, au titre de l’article 108, paragraphe 2, TFUE (4), et, le 6 mars 2017, elle a adopté la décision litigieuse. La mesure notifiée, décrite à la section 2 de cette décision, concerne le développement de deux réacteurs nucléaires de type russe VVER-1200 (V491) (ci-après les « nouveaux réacteurs ») dont la construction est entièrement financée par l’État hongrois au profit de la société Paks II, qui les détiendra et les exploitera. Les quatre réacteurs nucléaires de type russe VVER-440 (V213) déjà exploités sur le site de la centrale nucléaire de Paks, qui appartient à un négociant en électricité et producteur énergétique détenu par l’État hongrois, sont censés être progressivement arrêtés d’ici 2037, en vue d’être remplacés par les nouveaux réacteurs, qui devraient entrer en activité en 2025 et 2026.

5.        Conformément à un accord intergouvernemental relatif à la coopération en matière d’utilisation pacifique de l’énergie nucléaire, conclu le 14 janvier 2014 entre la Fédération de Russie et le gouvernement hongrois (ci-après l’« accord intergouvernemental »), les deux pays coopèrent, dans le cadre d’un programme nucléaire, pour la maintenance et la poursuite du développement de la centrale nucléaire de Paks. Selon cet accord, la Fédération de Russie et la Hongrie désignent toutes deux une organisation publique expérimentée et contrôlée par l’État, qui est financièrement et techniquement chargée de remplir ses obligations en tant que contractant ou propriétaire en ce qui concerne, notamment, la conception, la construction et la mise en service des nouveaux réacteurs. La Fédération de Russie a fait appel à la société de capitaux Nizhny Novgorod Engineering Company Atomenergoproekt (ci-après « JSC NIAEP »), qui réalisera la construction de ces réacteurs, et la Hongrie a désigné la société Paks II pour leur détention et leur exploitation. À cette fin, JSC NIAEP et la société Paks II ont signé, le 9 décembre 2014, un accord sur un contrat d’ingénierie, d’achat et de construction ayant pour objet lesdits réacteurs.

6.        Dans l’accord intergouvernemental, la Fédération de Russie s’est engagée à accorder à la Hongrie un prêt d’État afin de financer le développement des nouveaux réacteurs. Ce prêt est régi par l’accord intergouvernemental de financement du 28 mars 2014 et fournit une ligne de crédit renouvelable de 10 milliards d’euros dont l’utilisation est limitée exclusivement à la conception, la construction et la mise en service de ces réacteurs. La Hongrie fournira un montant supplémentaire de 2,5 milliards d’euros provenant de son propre budget afin de financer l’investissement sur le site de la centrale Paks II. La Hongrie ne transférera pas les fonds nécessaires pour payer le prix d’achat des deux nouveaux réacteurs sur les comptes de la société Paks II. La majeure partie de ces fonds sera détenue par la Vnesheconombank (banque de développement et des affaires économiques étrangères de Russie). Pour chaque étape considérée comme satisfaite, la société Paks II déposera une demande auprès de cette banque pour le paiement de 80 % du montant dû directement à JSC NIAEP. Elle déposera également une demande auprès de l’agence de gestion de la dette gouvernementale de Hongrie pour le paiement des 20 % restants.

7.        Dans la décision litigieuse, la Commission a constaté que la mesure notifiée constituait une aide d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, qui, sous réserve des conditions énoncées à l’article 3 de cette décision, était compatible avec le marché intérieur conformément à l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE (ci‑après l’« aide en cause »). L’article 3 de la décision litigieuse oblige la Hongrie à prendre plusieurs mesures afin de veiller à ce que la société Paks II respecte certaines obligations et restrictions concernant notamment sa stratégie d’investissement ou de réinvestissement, l’exploitation d’une plateforme de vente aux enchères et son autonomie juridique et structurelle.

III. La procédure devant le Tribunal, l’arrêt attaqué, la procédure devant la Cour et les conclusions des parties

8.        Par requête déposée au greffe du Tribunal le 21 février 2018, la République d’Autriche a introduit un recours en annulation contre la décision litigieuse. Sont intervenus dans la procédure devant le Tribunal le Grand-Duché de Luxembourg, au soutien de la République d’Autriche, la République tchèque, la République française, la Hongrie, la République de Pologne, la République slovaque et le Royaume de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, au soutien de la Commission. La République d’Autriche a invoqué dix moyens au soutien de son recours. Par l’arrêt attaqué, le Tribunal a examiné et écarté l’ensemble de ces moyens – à l’exception des deuxième et troisième, auxquels la République d’Autriche avait renoncé – et a rejeté le recours.

9.        Ont déposé un mémoire en réponse dans la présente procédure de pourvoi la République tchèque, le Grand-Duché de Luxembourg, la République de Pologne, la République française, la Hongrie et la Commission. Une audience de plaidoiries s’est tenue le 12 novembre 2024. La République d’Autriche et le Grand-Duché de Luxembourg concluent à ce qu’il plaise à la Cour d’annuler dans son intégralité l’arrêt attaqué, d’accueillir le recours en première instance et de condamner la Commission aux dépens. La Commission ainsi que la République tchèque concluent à ce qu’il plaise à la Cour de rejeter le pourvoi et de condamner la République d’Autriche aux dépens. La République française et la Hongrie concluent à ce qu’il plaise à la Cour de rejeter le pourvoi. La République de Pologne ne formule pas de conclusions formelles mais se borne à soutenir la position de la Commission.

IV.    Analyse

10.      À l’appui de son pourvoi, la République d’Autriche soulève quatre moyens. Conformément à la demande de la Cour, les présentes conclusions traiteront uniquement des premier, deuxième et quatrième moyens, tirés, respectivement, d’une erreur de droit que le Tribunal aurait commise en ce qu’il aurait conclu que l’absence d’une procédure de passation de marché public pour la construction des nouveaux réacteurs n’entachait pas la décision litigieuse d’illégalité, d’une erreur de droit concernant le contrôle du caractère proportionné de l’aide en cause et d’une erreur de droit concernant la détermination des éléments constitutifs de l’aide en cause.

A.      Sur le premier moyen

11.      Le premier moyen est dirigé contre le rejet, par le Tribunal, du premier moyen de recours, par lequel la République d’Autriche faisait valoir que la décision litigieuse était entachée d’une illégalité en raison du fait que JSC NIAEP avait été chargée de la construction des nouveaux réacteurs sans procédure d’appel d’offres, en violation de dispositions fondamentales du droit de la passation des marchés publics, dont le respect était, selon elle, indissociable de l’objet de l’aide en cause.

12.      Ce moyen comporte trois branches. J’examinerai d’abord les deux premières branches conjointement et, ensuite, la troisième branche.

1.      Sur les première et deuxième branches

a)      Synthèse des griefs soulevés par la République d’Autriche

1)      Première branche

13.      La première branche du premier moyen est dirigée contre les points 27 à 34 de l’arrêt attaqué. Dans ces points, le Tribunal a rejeté le grief avancé par la République d’Autriche, selon lequel la Commission avait commis une erreur de droit lorsqu’elle avait estimé, au considérant 280 de la décision litigieuse, que l’obligation qui lui incombe d’apprécier la compatibilité d’une aide avec des dispositions de droit de l’Union autres que celles relatives aux aides d’État ne s’impose que pour ce qui est des modalités de cette aide à ce point indissolublement liées à l’objet de celle-ci qu’il ne serait pas possible de les apprécier isolément (5). Dans ce contexte, le Tribunal a d’abord rejeté l’argument de la République d’Autriche, selon lequel, dans l’arrêt du 22 septembre 2020, Autriche/Commission (6), la Cour avait entendu élargir la portée de cette obligation et abandonner sa jurisprudence selon laquelle il convenait d’opérer une distinction entre les modalités présentant un lien indissociable avec l’objet de l’aide et celles qui n’en avaient pas. Il a ensuite affirmé qu’une obligation de la Commission de prendre position de manière définitive sur l’existence ou l’absence d’une violation de dispositions du droit de l’Union autres que celles relevant du droit des aides, qui ne tiendrait pas compte d’une telle distinction, se heurterait, d’une part, aux règles et aux garanties procédurales qui sont propres aux procédures spécialement prévues pour le contrôle de l’application de ces dispositions et, d’autre part, au principe d’autonomie des procédures administratives et des voies de recours, et engendrerait un risque de contradiction.

14.      La République d’Autriche, soutenue par le Grand-Duché de Luxembourg, fait valoir que la mesure notifiée a pour seul et unique objet de soutenir la construction des nouveaux réacteurs et que c’est à tort que le Tribunal a considéré que cet objet est limité au seul acte de mise à disposition de ces réacteurs. Selon elle, le soutien accordé aux fins de la construction desdits réacteurs enfreint en lui-même le droit de l’Union et notamment les règles en matière de marchés publics. La République d’Autriche observe également qu’il ne saurait être déduit de l’interprétation de l’arrêt Autriche/Commission retenue par le Tribunal aux points 29 et 30 de l’arrêt attaqué que la Commission peut ignorer les règles du droit des marchés publics dans le cadre de la procédure au titre de l’article 108 TFUE. Si la Commission n’était pas tenue de prendre en considération d’autres dispositions pertinentes du droit de l’Union dans cette procédure, le droit des aides d’État deviendrait une sorte de « régime autonome » (self-contained regime). Par ailleurs, contrairement à ce qu’affirme le Tribunal au point 33 de l’arrêt attaqué, ce ne serait pas en maintenant l’autonomie des procédures administratives qu’on éviterait le risque de résultats contradictoires ou incohérents. Au contraire, moins on prend en considération de règles du droit de l’Union autres que celles en matière d’aides d’État dans la procédure au titre de l’article 108 TFUE, plus ce risque deviendrait important. Une distinction rigide entre les procédures administratives nuirait également à la sécurité juridique.

2)      Deuxième branche

15.      La deuxième branche du premier moyen est dirigée contre les points 35 à 39 de l’arrêt attaqué, dans lesquels le Tribunal a jugé que c’était à juste titre que la Commission avait estimé, aux considérants 281 à 284 de la décision litigieuse, que l’attribution du marché de construction des nouveaux réacteurs ne constituait pas une modalité de l’aide qui présentait un lien indissociable avec celle-ci (7). Dans ce contexte, le Tribunal a affirmé que, puisque l’aide en cause consistait en la mise à disposition à titre gratuit des nouveaux réacteurs au profit de la société Paks II aux fins de leur exploitation, la question de savoir si l’attribution du marché de construction aurait dû faire l’objet d’une procédure d’appel d’offres se situait en amont de la mesure d’aide proprement dite et que la conduite d’une telle procédure et l’éventuel recours à une autre entreprise pour leur construction « n’altérerait ni l’objet de l’aide [...] ni le bénéficiaire [de celle-ci] ». Par ailleurs, une violation des règles relatives aux marchés publics aurait produit des effets uniquement sur le marché des travaux de construction de centrales nucléaires et non pas sur le marché visé par l’objet de la mesure d’aide en cause (voir points 36 et 37 de l’arrêt attaqué). S’agissant de l’influence de l’absence d’une procédure d’appel d’offres public sur le montant de l’aide, le Tribunal a affirmé qu’il n’avait pas été démontré que d’autres soumissionnaires auraient pu fournir les nouveaux réacteurs à de meilleures conditions ou à un prix inférieur et que, même dans l’hypothèse où le recours à une procédure d’appel d’offres aurait pu altérer le montant de l’aide, cette circonstance n’aurait eu en soi aucune conséquence sur l’avantage conféré par ladite aide à la société Paks II, de sorte qu’« une augmentation ou une diminution du montant de l’aide ne se traduit pas, en l’espèce, par une modification de l’aide proprement dite ni par une modification de son effet anticoncurrentiel » (point 38 de l’arrêt attaqué).

16.      La République d’Autriche, soutenue par le Grand-Duché de Luxembourg, fait observer, premièrement, que les dispositions en matière de marchés publics et celles en matière d’aides d’État poursuivent le même objectif de garantir une concurrence équitable et non faussée dans le marché intérieur. Cela suffirait pour conclure à l’existence d’un lien indissociable entre l’attribution directe du marché de construction des nouveaux réacteurs et la mesure d’aide en cause. Deuxièmement, elle soutient qu’une mise en concurrence conformément aux dispositions du droit des marchés publics aurait pu aboutir à une aide totalement différente en ce qui concerne tant le montant que la structure de celle-ci. Dans ce contexte, la circonstance que le bénéficiaire de l’aide n’est pas la société JSC NIAEP serait dénuée de pertinence. De même, ne serait pas conclusif l’argument selon lequel une augmentation ou une diminution du montant de l’aide ne se traduirait pas, en l’espèce, par une modification de l’aide proprement dite ou de son effet anticoncurrentiel. En effet, la distinction, sur laquelle se fonde cet argument, entre la mise à disposition à titre gratuit des nouveaux réacteurs à la société Paks II et les ressources que la Hongrie y aurait consacré serait erronée. Troisièmement, la République d’Autriche fait valoir que l’existence d’un lien indissociable entre l’attribution du marché public de construction des nouveaux réacteurs et l’aide en cause résulte du seul accord conclu entre la Fédération de Russie et la Hongrie, d’où il ressort que l’attribution du marché de construction et le prêt de la Fédération de Russie constituent un seul et unique processus.

b)      Appréciation

17.      Comme je l’ai anticipé, il y a lieu, à mon sens, d’analyser conjointement les première et deuxième branches du premier moyen. En effet, les arguments soulevés par la République d’Autriche dans le cadre de cette première branche me semblent remettre en cause non pas l’affirmation, contenue au point 30 de l’arrêt attaqué, selon laquelle, dans l’arrêt Autriche/Commission, la Cour n’a pas entendu abandonner sa jurisprudence antérieure concernant le critère juridique fondé sur la distinction entre modalités dissociables et indissociables de l’objet de l’aide (ci-après le « critère du “lien indissoluble” ou “indissociable” »), mais plutôt la manière dont le Tribunal a interprété et appliqué ce critère dans le cas d’espèce. Cette branche me semble dès lors se rapprocher de la deuxième branche du premier moyen.

18.      Dans la suite de mon analyse, je procéderai en premier lieu à un rappel de la jurisprudence pertinente concernant l’étendue de l’obligation de la Commission d’examiner la conformité d’une mesure d’aide avec des dispositions du droit de l’Union autres que celles en matière d’aides d’État. En second lieu, je procéderai à l’examen des griefs soulevés par la République d’Autriche à la lumière des principes qui se dégagent de cette jurisprudence.

1)      Rappel de la jurisprudence pertinente

i)      Le critère du « lien indissoluble » : l’arrêt Iannelli & Volpi

19.      Le critère du « lien indissoluble » a été formulé pour la première fois dans l’arrêt du 22 mars 1977, Iannelli & Volpi (8). La Cour avait été saisie, entre autres choses, de la question de savoir si une juridiction nationale, invitée à se prononcer sur la compatibilité d’un système d’aides étatiques ou sur certaines de ses modalités, pouvait prendre en considération une violation éventuelle de l’article 30 du traité CEE (actuellement article 34 TFUE), en matière de restrictions quantitatives à l’importation. En répondant à cette question, après avoir précisé, d’une part, que, dans le système du traité CEE, la reconnaissance de l’incompatibilité éventuelle d’une aide avec le marché commun résultait d’une procédure appropriée dont la mise en œuvre relevait de la responsabilité de la Commission et, d’autre part, que l’article 30 de ce traité était doté d’effet direct (9), la Cour affirma, au point 14 de cet arrêt, que « des modalités d’une aide qui contreviendraient à des dispositions particulières du traité, autres que les articles 92 et 93 [actuellement articles 107 et 108 TFUE], peuvent être à ce point indissolublement liées à l’objet de l’aide qu’il ne serait pas possible de les apprécier isolément, de sorte que leur effet sur la compatibilité ou l’incompatibilité de l'aide dans son ensemble doit alors nécessairement être apprécié à travers la procédure de l’article 93 ». Elle précisa qu’il en allait différemment « lorsqu’il est possible, dans l’analyse d’un régime d’aides, d’isoler les conditions ou éléments qui, bien que faisant partie de ce régime peuvent être considérés comme n’étant pas nécessaires à la réalisation de son objet ou de son fonctionnement ». En effet, dans cette dernière hypothèse, « il n’y a pas de motifs tirés de la répartition de compétences découlant des articles 92 et 93 [du traité CEE] pour conclure que dans le cas de violation d’autres dispositions du traité, ayant effet direct, ces dispositions ne pourraient être invoquées devant les juridictions nationales en raison du seul fait que l’élément visé constituerait une modalité d’une aide ».

20.      Il ressort de l’arrêt Iannelli & Volpi que, lorsque cela est indispensable à l’appréciation d’une mesure nationale dans le cadre de la procédure de contrôle des aides d’État, la Commission est non seulement habilitée mais elle est tenue, dans certaines conditions, de prendre en considération d’autres dispositions du droit de l’Union et, le cas échéant, d’en constater, de façon incidente, la violation. La raison d’être de cette obligation et du critère juridique qui définit son étendue, du moins telle qu’elle se déduit de cet arrêt, semble être, d’une part, de préserver la sphère de compétence de la Commission en matière de contrôle des aides d’État préconisée par le traité et, d’autre part, d’éviter que l’exercice de cette compétence puisse ouvrir une faille dans le système de protection des droits que les justiciables tirent de l’effet direct du droit de l’Union.

ii)    L’obligation de cohérence qui s’impose à la Commission : les arrêts Commission/Italie et Matra

21.      Quelques années plus tard, la Cour fut appelée à préciser les conséquences de l’arrêt Iannelli & Volpi sur l’articulation entre la procédure de contrôle des aides et la procédure d’infraction. Dans l’arrêt du 21 mai 1980, Commission/Italie (10), la République italienne s’était appuyée, en particulier, sur l’arrêt Iannelli & Volpi pour plaider l’irrecevabilité du recours en manquement introduit contre elle pour violation de l’article 95 du traité CEE (actuellement article 110 TFUE). Elle soutenait que, puisque la mesure fiscale incriminée était destinée au financement d’un régime d’aides et constituait dès lors une mesure indissociable de l’objet de ce régime, cette mesure ne pouvait pas être appréciée dans le cadre d’un recours en manquement, mais uniquement selon la procédure de contrôle des aides d’État. Après avoir constaté que les dispositions du traité sur les aides étatiques et celles sur les impositions discriminatoires, tout en visant le même objectif d’une concurrence non faussée sur le marché commun, tablaient sur des conditions d’application différentes, la Cour a affirmé qu’une mesure réalisée par l’intermédiaire d’une taxation discriminatoire, qui est susceptible d’être en même temps considérée comme faisant partie d’une aide d’État, pouvait être cumulativement assujettie aux deux ordres de dispositions et faire, dès lors, l’objet d’une procédure distincte d’infraction (11). La Cour a poursuivi, au point 11 de cet arrêt, en précisant qu’il résulte de l’économie générale du traité que la procédure de contrôle des aides d’État « ne doit jamais aboutir à un résultat qui serait contraire aux dispositions spécifiques du traité ». Ainsi, en l’espèce, si, à l’issue de la procédure en manquement, la Cour avait déclaré la taxe incriminée contraire aux dispositions du traité en matière d’impositions discriminatoires, la procédure engagée par la Commission sur la base des dispositions en matière d’aides d’État n’aurait en tout état de cause pu conduire à son maintien.

22.      Dans l’arrêt du 15 juin 1993, Matra/Commission (12), prononcé une dizaine d’années après l’arrêt Commission/Italie, la Cour, saisie d’un recours en annulation contre une décision autorisant des aides à l’investissement en faveur d’une jointventure entre deux producteurs automobiles, se prononça cette fois, sur les rapports entre la procédure de contrôle des aides d’État et la procédure au titre des articles 85 et 86 du traité CEE (actuellement articles 101 et 102 TFUE), qui avaient été ouvertes parallèlement par la Commission. Après avoir rappelé les principes établis dans les arrêts Iannelli & Volpi et Commission/Italie, la Cour conclut que l’obligation pour la Commission de respecter la cohérence entre les dispositions en matière d’aides et d’autres dispositions du traité ne saurait l’empêcher de prendre une décision sur la compatibilité d’une aide d’État sans attendre le résultat d’une procédure parallèle engagée au titre de l’article 85 ou de l’article 86 du traité CEE « dès lors qu’elle a acquis la conviction, fondée sur l’analyse économique de la situation [...] que le bénéficiaire de l’aide ne se trouve pas en situation de contrevenir [à ces articles] » (13).

23.      Dans l’arrêt Matra, la Cour a pris position, pour la première fois, sur l’articulation entre l’arrêt Iannelli & Volpi et l’arrêt Commission/Italie en affirmant, à la fois, l’autonomie de la procédure de contrôle des aides et l’exigence de cohérence des décisions adoptées à l’issue d’une telle procédure avec d’autres dispositions du traité. Elle a en outre précisé qu’une telle exigence de cohérence s’impose « tout particulièrement, dans l’hypothèse où ces autres dispositions visent également [...] l’objectif d’une concurrence non faussée dans le marché commun » (14).

iii) La jurisprudence de la Cour postérieure aux arrêts Iannelli & Volpi, Commission/Italie et Matra, et les difficultés d’application du critère du « lien indissoluble »

24.      Les principes établis dans les arrêts Commission/Italie et Matra ont été confirmés au fil des années. Ainsi, la Cour a, à maintes reprises, réitéré : i) que la procédure de contrôle des aides ne doit jamais aboutir à un résultat qui serait contraire aux dispositions spécifiques du traité ; ii) que, dès lors, une aide d’État qui, par certaines de ses modalités, viole d’autres dispositions du traité ne peut être déclarée compatible avec le marché intérieur par la Commission (15) ; iii) que, de même, ne saurait être déclaré compatible une aide d’État qui, par certaines de ses modalités, viole les principes généraux du droit de l’Union (16), et iv) que, « en aucun cas », les dispositions en matière d’aides d’État ne sauraient servir à mettre en échec d’autres règles du traité partageant, avec ces dispositions, l’« objectif commun » d’assurer que les interventions des États membres n’aient pas pour effet de fausser les conditions de concurrence dans le marché intérieur (17). Ces principes ont été réaffirmés par la Cour encore récemment dans les arrêts Autriche/Commission (18) et Braesch e.a. (19), ainsi que dans les arrêts concernant les aides accordées aux compagnies aériennes pendant la pandémie de COVID-19 (20).

25.      Le critère du « lien indissoluble » figurant dans l’arrêt Iannelli & Volpi a été récemment réaffirmé dans l’arrêt du 2 mai 2019, A-Fonds (21), et a été appliqué depuis à différentes reprises, même postérieurement à l’arrêt Autriche/Commission (22), en tant que critère de répartition des compétences entre les juridictions nationales et la Commission (23), et pour délimiter la portée de l’obligation de celle-ci d’examiner, dans le cadre de la procédure de contrôle des aides, la conformité de la mesure en cause avec des dispositions ne relevant pas du droit des aides (24). L’étendue de cette obligation, qui vise à éviter que puisse être déclarée compatible avec le marché intérieur une aide qui viole d’autres dispositions ou principes généraux pertinents du droit de l’Union (25), dépend donc en fin des compte de l’application plus ou moins stricte qui est faite de ce critère.

26.      La Cour a, par ailleurs, essayé de préciser les conditions d’application dudit critère.

27.      D’une part, elle a affirmé que la Commission doit tenir compte des violations de dispositions du droit de l’Union autres que celles en matière d’aides qui découlent non seulement d’éléments, conditions ou modalités indissociables de l’aide ou de son objet, mais également de celles qui résultent de l’aide ou de son objet en tant que tels ou de l’« activité économique » que l’aide vise à financer (26). Dans ce cas, le « lien indissoluble » au sens de la jurisprudence issue de l’arrêt Iannelli & Volpi est in re ipsa.

28.      D’autre part, la Cour a dit pour droit que le mode de financement d’une aide, telle une taxe nationale spécifiquement destinée à financer un régime d’aides, ne peut être isolé de « l’aide proprement dite » (27) et que son appréciation, y inclus au regard d’autres dispositions du traité que celles relatives aux aides d’État, relève de la compétence exclusive de la Commission (28). De même, la Cour a précisé que sont indissociables de l’aide en tant que telle et relèvent des éléments que la Commission est appelée à examiner dans le cadre de la procédure au titre de l’article 108 TFUE et, le cas échéant, à approuver, les modalités qui déterminent les conditions d’éligibilité à un régime d’aide (29). Le choix du bénéficiaire d’une aide individuelle, en revanche, fait partie de l’« objet » même de celle-ci (30). L’arrêt Braesch e.a., quant à lui, a précisé que ne constituent pas des « modalités indissociables » au sens de l’arrêt Iannelli & Volpi des mesures, non sollicitées par la Commission, qui ont été prises par l’État membre intéressé aux fins d’obtenir de celle-ci une décision autorisant l’aide à l’issue de la phase préliminaire d’examen (31), ni, plus généralement, des mesures, « liées dans les faits » à l’aide en tant que telle, « mais juridiquement distinctes » de celle-ci, adoptées par l’État membre qui a notifié l’aide (32).

29.      Nonobstant les clarifications apportées par la Cour, la jurisprudence reste largement casuistique lorsqu’il s’agit de donner une signification concrète au critère du « lien indissoluble ». Certaines des notions qui président à son application, telles que celles d’« objet » ou de « modalité » de l’aide, ou encore de « modalité indissociable » ou « indissolublement liée » à l’objet de l’aide, demeurent encore nébuleuses.

30.      Afin de donner une clé de lecture de ces notions, dans les limites de ce qui est nécessaire aux fins de la présente affaire, il convient, à mon sens, de partir de la définition négative de la notion de « modalité indissolublement liée à l’objet de l’aide » que l’on retrouve dans l’arrêt Iannelli & Volpi.

31.      Selon la Cour, ne constitue pas une telle modalité, une condition ou un élément qui, « bien que faisant partie [d’un] régime d’aide », peut être considéré comme « n’étant pas nécessair[e] à la réalisation de son objet ou à son fonctionnement » et peut, pour cette raison, être isolé de ce régime (33). Argumentant sur le concept de « nécessité », dans l’affaire à l’origine de l’arrêt A-Fonds, l’avocat général Saugmandsgaard Øe (34) a considéré qu’« une modalité est nécessaire à la réalisation de l’objet ou au fonctionnement d’une aide lorsqu’elle est un élément constitutif ou essentiel de l’aide, de sorte que son inapplicabilité conduit à changer la portée ou les caractéristiques principales de l’aide ». Si je souscris en principe à cette définition, c’est néanmoins à condition que celle-ci soit référée à la mesure concrètement envisagée par l’État membre intéressé considérée dans sa globalité (35) et non pas en isolant les éléments de cette mesure qui répondent abstraitement aux éléments constitutifs de la notion juridique d’« aide ».

32.      S’agissant plus particulièrement de la notion d’« objet » de l’aide, qui revêt un rôle central dans l’application du critère du « lien indissoluble », la jurisprudence évoquée aux points 19 à 28 des présentes conclusions fournit des indications sur ce que cette notion ne recouvre pas. Ainsi, celle-ci se distingue tant de la notion d’« activité financée » par l’aide que de celle de « modalité », qui vise les différents éléments de la mesure par laquelle l’État membre entend mettre concrètement en œuvre l’aide. La notion d’« objet de l’aide » n’est pas non plus à confondre avec celle d’« objectif », le premier étant le moyen à travers lequel l’État intéressé se propose de réaliser le second  (36). Par exemple, « favoriser le développement économique de régions dans lequel le niveau de vie est anormalement bas » [article 107, paragraphe 3, sous a), TFUE], « promouvoir la réalisation d’un projet important d’intérêt européen commun » ou « remédier à une perturbation grave de l'économie d'un État membre » [article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE], ou encore « faciliter le développement de certaines activités » [article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE] sont autant d’objectifs, admis par le traité, que les États membres peuvent poursuivre par des interventions variées tant par leur nature que par le secteur ou l’activité visés, ou encore par l’identité ou le nombre de bénéficiaires (37). Chacune de ces interventions a un « objet » propre, qui est défini par le but spécifique poursuivi par la mesure (par exemple, favoriser certaines exploitations agricoles ou certains secteurs industriels, soutenir des entreprises situées dans une région spécifique, aider les investissements dans des activités données) et par la manière dont sa mise en œuvre est envisagée (par exemple, une exemption fiscale, l’ouverture d’une ligne de crédit, une garantie d’État, un apport en capital, etc.). Cet objet doit également être déterminé, en tenant compte de l’ensemble des éléments de l’intervention en cause, telle qu’elle a été concrètement été envisagée par l’État membre intéressé.

33.      Pour résumer, dans l’appréciation de la compatibilité d’une aide d’État avec le marché intérieur, la Commission est tenue de prendre en considération l’éventuelle violation de dispositions du droit de l’Union autres que celles en matière d’aides dans le cas où une telle violation découle de l’activité économique financée, de l’aide ou de son objet en tant que tels ou encore des modalités indissociablement liées à l’objet de l’aide. Un tel lien d’indissociabilité existe s’agissant d’éléments ou de conditions qui sont nécessaires à la réalisation de l’objet de l’aide ou à son fonctionnement, sans lesquels l’intervention étatique envisagée ne peut pas atteindre les objectifs qu’elle poursuit.

34.      C’est à la lumière de la jurisprudence évoquée aux points 19 à 28 des présentes conclusions et de l’ensemble des réflexions développées jusqu’ici qu’il convient d’examiner les griefs soulevés par la République d’Autriche dans le cadre des première et deuxième branches de son premier moyen.

2)      Sur l’application au cas d’espèce

35.      Avant de procéder à mon analyse, je relève que, à supposer que les arguments développés par la requérante dans la première branche de son premier moyen soient compris – ainsi que les comprennent la Commission et les États membres intervenus à son soutien – comme mettant en cause l’actualité du critère du « lien indissoluble » à la suite de l’arrêt Autriche/Commission, il ressort de la jurisprudence évoquée notamment au point 25 des présentes conclusions que ces arguments seraient voués à l’échec (38).

i)      Sur l’objet de la mesure notifiée

36.      Dans le cadre de la première branche de son premier moyen, la République d’Autriche reproche au Tribunal de ne pas avoir retenu que l’« objet » de l’aide en cause était la construction de nouveaux réacteurs nucléaires. Ce faisant, le Tribunal se serait départi de la qualification donnée à cet objet par la Commission dans la décision litigieuse. Ce grief est, en substance, réitéré dans le contexte du deuxième moyen du pourvoi. La République tchèque, la République française et la Hongrie font valoir que le Tribunal a correctement considéré, aux points 36 et 37 de l’arrêt attaqué, qu’objet de l’aide en cause était « la mise à disposition à titre gratuit [à la société Paks II] de deux nouveaux réacteurs aux fins de leur exploitation » (39). La Commission, quant à elle, affirme que, si la mesure notifiée concernait le développement de deux réacteurs nucléaires en Hongrie, elle ne portait pas sur la construction de ces réacteurs en tant que telle, mais sur leur mise à disposition en vue de leur utilisation.

37.      À cet égard, il y a lieu de constater que, dans le titre de la décision litigieuse, la mesure notifiée est identifiée comme une mesure que la Hongrie envisage de mettre à exécution « à titre de soutien en faveur du développement de deux nouveaux réacteurs nucléaires de la centrale nucléaire Paks II ». Au considérant 3 de cette décision, cette mesure est décrite comme « visant à fournir une contribution financière pour le développement de deux nouveaux réacteurs nucléaires sur le site de Paks ». Au considérant 9 de ladite décision, sous le titre 2, intitulé « Description détaillée de la mesure », et sous le sous-titre 2.1, intitulé « Description du projet », il est indiqué que « [l]a mesure concerne le développement de deux réacteurs nucléaires [] en Hongrie, dont la construction est entièrement financée par l’État hongrois au profit de l’entité Paks II [] qui détiendra et exploitera les nouveaux réacteurs ». Au considérant 15 de la même décision, qui expose l’aide financière envisagée par la Hongrie (40), il est indiqué que le prêt d’État octroyé par la Fédération de Russie à la Hongrie « afin de financer le développement de Paks II » « fournit une ligne de crédit renouvelable de 10 milliards [d’euros] » que la Hongrie « utilisera [...] pour financer directement les investissements dans Paks II nécessaires pour la conception, la construction et la mise en service » des nouveaux réacteurs, auquel s’ajoutera « un montant supplémentaire de 2,5 milliards [d’euros] provenant » du propre budget de la Hongrie. Au considérant 21 de la décision litigieuse, il est exposé que « [l]a Hongrie et la Russie ont signé l’accord intergouvernemental dans le but de développer de nouvelles capacités sur le site de Paks ». Plus généralement, la mesure notifiée est définie et examinée par la Commission en tant qu’aide à l’investissement « octroyée par l’État hongrois à Paks II pour le développement du projet » et couvrant les coûts d’investissement pour l’achèvement de celui-ci (41). Il est vrai que, au considérant 197 de cette décision, la Commission a affirmé que la mesure notifiée « entraînerait un avantage économique pour Paks II étant donné que cette dernière posséderait et exploiterait les deux centrales nucléaires entièrement financées par l’État hongrois ». Cependant, au considérant 283 de ladite décision, qui fait partie des motifs consacrés à l’examen de la question de l’existence d’une modalité indissociable, la Commission précise que « l’objet de l’aide à l’investissement en faveur de Paks II est de lui permettre de produire de l’électricité sans supporter les coûts d’investissement pour la construction d’installations nucléaires », en reliant de manière non équivoque les investissements consentis par la Hongrie à la construction des nouveaux réacteurs. Aux considérants 324 à 328 de la même décision, la mesure notifiée est considérée par la Commission comme un « instrument approprié pour la construction des [...] nouveaux réacteurs » répondant à l’« objectif d’intérêt commun de la promotion de l’énergie nucléaire » (42) et, au considérant 332, il est indiqué que cette mesure « favori[sait] la réalisation de l’objectif d’intérêt commun au moyen du développement de la centrale nucléaire ». Enfin, au considérant 330 de la décision litigieuse, il est clairement affirmé que la société Paks II « a été constituée par l’État dans le seul objectif de développer et exploiter » lesdits réacteurs et qu’elle recevrait l’aide en cause afin de remplir cet objectif. De même, au considérant 334 de cette décision, il est indiqué que, en tant que bénéficiaire, Paks II « recevrait une contribution financière pour la construction d’actifs de production » (43).

38.      Il s’ensuit que c’est, à mon sens, à raison que la requérante affirme que, en identifiant l’objet de l’aide en cause en la « mise à disposition gratuite » des nouveaux réacteurs, le Tribunal n’a pas retenu la description de cet objet tel qu’elle ressort, au-delà de quelques incohérences, de la décision litigieuse, à savoir une contribution financière de l’État hongrois à la société Paks II pour le développement – incluant la conception, la construction et la mise en service – de deux nouveaux réacteurs nucléaires. Ce faisant, il a commis une erreur d’interprétation de l’acte attaqué devant lui, ce qui constitue une erreur de droit pouvant être soulevée devant la Cour dans le cadre d’un pourvoi (44).

39.      Dans le cadre de la deuxième branche de son premier moyen, la République d’Autriche, soutenue par le Grand-Duché de Luxembourg, fait également valoir que, en définissant l’objet de la mesure notifiée comme « la mise à disposition à titre gratuit de deux nouveaux réacteurs nucléaires au profit de la société Paks II », le Tribunal aurait artificiellement distingué entre les différents éléments d’une seule et même mesure. La construction des nouveaux réacteurs et l’attribution directe du marché à JSC NIAEP auraient fait en effet partie intégrante du projet au cœur de l’accord conclu entre la Fédération de Russie et la Hongrie.

40.      La Commission excipe de l’irrecevabilité de ce grief qui n’aurait pas été soulevé devant le Tribunal. À cet égard, je relève que si, conformément à l’article 170, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, le pourvoi ne peut modifier l’objet du litige devant le Tribunal (45), un requérant est toutefois recevable à former un pourvoi en faisant valoir, devant la Cour, des moyens et arguments nés de l’arrêt attaqué lui-même et qui visent à en critiquer, en droit, le bien-fondé (46). Tel est, à mon sens, le cas du grief soulevé par la République d’Autriche. J’ajoute que, par ce grief, la requérante, soutenue par le Grand-Duché de Luxembourg, remet en cause non pas l’appréciation des faits opérée par le Tribunal, mais la qualification juridique qu’il a donné à ces faits, l’ayant conduit, selon elle, à définir de manière erronée l’objet de l’aide en question. Or, selon une jurisprudence constante, une erreur dans la qualification juridique des faits est une erreur de droit pouvant être soulevée dans le cadre d’un pourvoi (47).

41.      Sur le fond, il n’est pas contesté que l’objectif visé par l’aide envisagée par la Hongrie était de soutenir l’activité de production d’énergie nucléaire. Cet objectif était poursuivi au moyen d’un projet visant à financer la construction de deux réacteurs nucléaires destinés à entrer en fonction sur le site de la centrale de Paks et à remplacer, à terme, les réacteurs déjà existants. Ainsi que le fait valoir la République d’Autriche et qu’il ressort du descriptif de la mesure notifiée contenu dans la décision litigieuse, la mise à disposition de la centrale Paks II des nouveaux réacteurs n’était que l’une des phases de ce projet, qui était envisagé comme un tout et incluait la conception, la construction et la mise en service desdits réacteurs (48). En effet, les nouveaux réacteurs, dont la construction faisait l’objet de l’accord intergouvernemental, étaient le « bien » mis à la disposition du bénéficiaire de l’aide. Bien que la société Paks II n’ait pas elle-même investi dans la construction de ses actifs de production futurs, les autorités hongroises ne considérant pas nécessaire qu’elle contracte directement une dette (49), elle a néanmoins été associée à chaque étape de leur développement, en tant qu’« organisation publique » « contrôlée par l’État », désignée par la Hongrie et chargée « financièrement et techniquement » de remplir ses obligations découlant du projet (voir considérant 11 de la décision litigieuse). Ainsi, il ressort du considérant 14 de la décision litigieuse que c’est elle qui a conclu avec JSC NIAEP le contrat d’ingénierie, d’achat et de construction des deux nouveaux réacteurs et qu’il lui revenait en outre de suivre les travaux de construction et d’autoriser les paiements des montants dus à JSC NIAP pour chaque étape d’avancement de ces travaux (voir considérant 39 de la décision litigieuse).

42.      Dans ces circonstances, c’est à raison que la République d’Autriche, soutenue par le Grand-Duché de Luxembourg, fait valoir qu’il serait artificiel de distinguer, dans la mesure notifiée, la construction des deux réacteurs nucléaires de leur mise à la disposition de la société Paks II. Lorsque l’on envisage cette mesure dans sa globalité, il apparaît, à mon sens, clairement qu’elle vise à financer l’investissement dans la construction et la mise en service des nouvelles unités de production du site de Paks.

43.      Il s’ensuit que, même à supposer que le Tribunal n’ait pas commis une erreur d’interprétation de la décision litigieuse en définissant l’objet de l’aide en cause comme « la mise à disposition à titre gratuit [à la société Paks II] de deux nouveaux réacteurs aux fins de leur exploitation », cette définition procéderait quand même d’une erreur de qualification juridique des faits.

ii)    Sur l’existence d’une violation des règles en matière de passation des marchés publics découlant de l’objet de l’aide

44.      Dans le cadre de la première branche de son premier moyen, la République d’Autriche fait valoir, d’une part, que le Tribunal aurait en substance autorisé la Commission à passer outre une violation des dispositions en matière de marchés publics dans son appréciation d’une mesure d’aide et, d’autre part, que, en l’espèce, une telle violation découlait de l’objet même de l’aide en cause, à savoir le financement de la construction d’une centrale nucléaire, de sorte que le Tribunal aurait à tort distingué, aux points 28 à 32 de l’arrêt attaqué, la présente affaire de celle qui a donné lieu à l’arrêt Autriche/Commission.

45.      La République française conteste la recevabilité de ce grief au motif qu’il n’a pas été soulevé devant le Tribunal. À cet égard, il est vrai, que, dans son recours, la République d’Autriche n’a pas expressément soutenu que l’attribution directe à JSC NIAEP du marché de construction des nouveaux réacteurs relevait de l’objet même de l’aide en cause. Cependant, il ressort du point 20 de l’arrêt attaqué que, se fondant sur son interprétation de l’arrêt Autriche/Commission, elle a néanmoins fait valoir qu’il importait peu, aux fins de l’appréciation de l’aide en cause, de savoir si une telle attribution directe constituait une « modalité indissociable » ou même une « modalité » de cette aide, dès lors que, de manière générale, toute aide d’État qui viole des dispositions du droit de l’Union ne peut être déclarée compatible avec le marché intérieur. Il ne saurait, partant, être considéré que le grief que la République d’Autriche fait valoir à présent devant la Cour modifie l’objet du litige devant le Tribunal (50).

46.      Sur le fond, ce grief, qui est par ailleurs assez peu développé, doit à mon sens être rejeté.

47.      D’une part, dans la mesure où il vise à reprocher au Tribunal d’avoir considéré que la Commission « peut ignorer les règles en matière de marchés publics dans le cadre d’une procédure fondée sur l’article 108 TFUE », ledit grief est fondé sur une lecture erronée de l’arrêt attaqué. En effet, aux points 28 à 32 de celui-ci, le Tribunal s’est limité à affirmer que, dans l’arrêt Autriche/Commission, la Cour n’avait pas entendu abandonner sa jurisprudence issue de l’arrêt Iannelli & Volpi, ce qui, comme j’ai déjà eu l’occasion de le souligner, ne saurait être remis en question. En revanche, contrairement à ce que semble considérer la République d’Autriche, le Tribunal n’a pas nié le fait que la Commission soit tenue de prendre en considération, dans le cadre de ladite procédure, la violation éventuelle d’une disposition du droit de l’Union autre que celles en matière d’aides d’État, y inclus les règles en matière de marché public, lorsqu’une telle violation découle de l’objet de l’aide concernée ou de l’une de ses modalités indissociables.

48.      D’autre part, et comme le fait valoir en particulier la République tchèque, le même grief ne saurait non plus prospérer dans la mesure où il fait valoir que la violation des dispositions en matière de passation de marchés publics invoquée par la requérante découle de l’« objet » même de l’aide en cause ou de l’« activité financée » par celle-ci. En effet, même dans le cas où, ainsi que je le suggère, la Cour devait considérer que c’est à tort que le Tribunal a exclu de l’objet de cette aide la construction des nouveaux réacteurs, l’attribution directe du marché pour cette construction à JSC NIAEP ne saurait constituer qu’une « modalité » liée à cet objet, dont il resterait à vérifier le caractère indissociable par rapport à celui-ci.

iii) Sur l’existence d’une modalité indissociable

49.      Dans le cadre de la deuxième branche de son premier moyen du pourvoi, la République d’Autriche conteste l’analyse, faite par le Tribunal, de l’existence d’un « lien indissociable » entre l’attribution directe du marché de construction des nouveaux réacteurs à JSC NIAEP et l’objet de l’aide. Je renvoie, pour l’exposé des arguments avancés par cet État membre, au point 16 des présentes conclusions. Comme je l’ai indiqué au point 17 des présentes conclusions, certains arguments soulevés dans le cadre de la première branche du premier moyen visent également, en substance, à contester cette analyse.

50.      Je rappelle que, aux points 36 à 43 des présentes conclusions, je suis arrivée à la conclusion que la définition de l’objet de l’aide en cause, retenue par le Tribunal notamment au point 36 de l’arrêt attaqué, est entachée d’une erreur d’interprétation de la décision litigieuse et que, en tout état de cause, une telle définition procède d’une qualification erronée des faits. Il importe, cependant, de rappeler que, si les motifs d’un arrêt du Tribunal révèlent une violation du droit de l’Union, mais que son dispositif apparaît fondé pour d’autres motifs de droit, une telle violation n’est pas de nature à entraîner l’annulation de cet arrêt et il y a lieu de procéder à une substitution de motifs et de rejeter le pourvoi (51). Il convient, dès lors, de vérifier si, malgré les erreurs de droit commises, c’est à bon droit que le Tribunal a conclu, au point 39 de l’arrêt attaqué, que la Commission avait à juste titre estimé que l’attribution du marché de construction des nouveaux réacteurs ne constituait pas une modalité de l’aide qui présentait un lien indissociable avec celle-ci.

51.      Pour les raisons que je vais expliquer, je suis d’avis que tel n’est pas le cas.

52.      En premier lieu, et à titre liminaire, si je conviens avec, notamment, la République française, que l’argument avancé par la République d’Autriche, selon lequel le seul fait que les règles en matière d’aides d’État et celles en matière de marchés publics visent le même objectif d’assurer une concurrence non faussée dans le marché intérieur suffit pour conclure à l’existence d’une modalité indissociable ne saurait être retenu (52), c’est, toutefois, à raison que la République d’Autriche rappelle que cette convergence d’objectifs pose à la charge de la Commission une obligation accrue de veiller à la cohérence entre ces deux ensembles de dispositions.

53.      En deuxième lieu, c’est en commettant une erreur de droit que, au point 36 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a considéré que la décision d’attribution du marché de construction des deux nouveaux réacteurs ne constitue pas une modalité de l’aide elle-même, dans la mesure où cette attribution « concerne la fabrication et l’approvisionnement du bien qui sera mis à disposition à titre gratuit et se situe ainsi en amont de la mesure d’aide proprement dite ». En effet, d’une part, la prémisse sur laquelle se fonde une telle conclusion, à savoir que l’objet de l’aide en cause est la mise à disposition gratuite à la société Paks II des deux nouveaux réacteurs nucléaires, est erronée, comme je l’ai démontré plus haut. D’autre part, ainsi que le fait valoir, en substance, la République d’Autriche, lorsqu’une intervention étatique financée par une aide au titre de l’article 107 TFUE s’étale sur différentes phases, la qualification en tant que « modalité » ou « modalité indissociable » au sens de l’arrêt Iannelli & Volpi d’une mesure adoptée au cours de l’une de ces phases n’est pas exclue du seul fait que cette mesure précède celle qui met fin à l’ensemble du processus. Ainsi, à supposer même que le Tribunal ait correctement retenu, en tant qu’objet de l’aide en cause, la seule mise à disposition gratuite à la société Paks II des nouveaux réacteurs, cela n’impliquerait pas automatiquement que l’attribution directe à JSC NIAEP du marché pour leur construction constituait un élément sans lien avec l’aide en cause. Il est certes vrai que, ainsi que le fait valoir la République française, une interprétation du critère du « lien indissoluble » qui ferait entrer dans la notion de « modalité indissociable » toute « modalité de conception » d’un projet bénéficiant d’un financement public aboutirait à priver d’effet un tel critère. Cet argument ne saurait cependant prospérer en l’espèce. L’attribution du marché relatif à la construction des nouveaux réacteurs n’est pas une simple « modalité de conception » ni un aspect secondaire de la mesure notifiée. L’aide en cause a en effet pour objet le développement de ces réacteurs et ceux-ci constituent le bien destiné à être mis à disposition du bénéficiaire.

54.      En troisième lieu, ainsi que le fait valoir à juste titre la République d’Autriche, il ressort de la décision litigieuse et de l’arrêt attaqué que la désignation de JSC NIAEP comme organisme constructeur était l’un des éléments de l’accord intergouvernemental, dont l’accord de financement mentionné au point 6 des présentes conclusions faisait partie intégrante, et constituait l’une des conditions auxquelles étaient soumis le prêt destiné à financer la majeure partie des investissements requis pour le développement des nouveaux réacteurs. Or, conformément à la jurisprudence rappelée au point 25 des présentes conclusions, le mode de financement d’une aide ne saurait être isolé de celle-ci et son appréciation, y compris au regard d’autres dispositions du traité que celles relatives aux aides d’État, relève de la compétence exclusive de la Commission.

55.      En quatrième lieu, il ne ressort pas de la jurisprudence rappelée aux points 19 à 25 des présentes conclusions qu’un élément ou une condition d’une aide qui n’a pas d’incidence directe sur la détermination du ou des bénéficiaires de celle-ci ou sur son montant ne peut constituer une « modalité indissociable » dont la légalité doit être examinée par la Commission dans le cadre de la procédure au titre de l’article 108 TFUE. Il ressort en revanche de cette jurisprudence que constitue une telle modalité un élément ou une condition de l’aide qui se révèle « nécessaire à la réalisation de l’objet de celle-ci ou à son fonctionnement ». En l’occurrence, ainsi que le fait valoir, en substance, la République d’Autriche, l’attribution du marché de construction à JSC NIAEP était un élément nécessaire tant à la réalisation de l’objet de l’aide en cause qu’à son fonctionnement. En effet, d’une part, il ressort de la décision litigieuse et de l’arrêt attaqué que le choix de JSC NIAEP en tant qu’entreprise responsable de la conception, de la construction et de la mise en service des nouveaux réacteurs faisait partie intégrante de l’accord intergouvernemental et que le prêt octroyé par la Fédération de Russie à la Hongrie était lié à un tel choix (53). D’autre part, il ressort du fait que, tant devant la Commission que devant le Tribunal et la Cour, la Hongrie a soutenu que JSC NIAEP était la seule capable de fournir la technologie nécessaire à la construction des nouveaux réacteurs, que cet État membre était persuadé que, d’un point de vue technique, l’attribution du marché de construction à cette entreprise était un choix nécessaire afin d’assurer la viabilité et la réussite du projet financé par l’aide en cause.

56.      En cinquième et dernier lieu, je m’interroge sur la pertinence, aux fins de l’appréciation de l’existence d’une modalité indissociable au sens de l’arrêt Iannelli & Volpi, de la constatation, contenue au point 37 de l’arrêt attaqué, selon laquelle « une violation des règles relatives aux marchés publics produirait des effets uniquement sur le marché des travaux de construction de centrales nucléaires et ne saurait avoir des conséquences sur le marché visé par l’objet de la mesure d’aide [en cause] ». Premièrement, une telle constatation ne permet pas de soutenir la conclusion selon laquelle une telle attribution ne constitue pas une modalité indissociable de l’aide en cause. En effet, la détermination des mesures qui ne peuvent pas être isolées de l’aide précède logiquement tant l’appréciation de leur conformité avec le droit de l’Union que l’examen de leur incidence sur la compatibilité de l’aide. Deuxièmement, et plus fondamentalement, je doute de la validité de la prémisse sur laquelle se fonde ladite constatation, à savoir que seule la violation d’une disposition autre que celles en matière d’aides d’État qui se traduirait par une distorsion supplémentaire de la concurrence ou des échanges sur le marché visé par l’aide en question peut donner lieu à une obligation de la Commission de constater une telle violation dans le cadre de la procédure au titre de l’article 108 TFUE (54). Il ressort, en effet, clairement de la jurisprudence de la Cour que, lorsqu’elle apprécie si une aide envisagée satisfait à la condition posée à l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE de ne pas altérer les conditions des échanges dans une mesure contraire à l’intérêt commun, la Commission doit tenir compte des effets négatifs que cette aide peut avoir sur la concurrence et les échanges dans le marché intérieur dans son ensemble, défini, conformément à l’article 26, paragraphe 2, TFUE, comme « un espace sans frontières intérieures dans lequel la libre circulation des marchandises, des personnes, des services et des capitaux est assurée selon les dispositions des traités » (55). La référence faite par la République française et la Hongrie à l’arrêt du 31 janvier 2001, Weyl Beef Products e.a./Commission (56) ne saurait conduire à une conclusion différente. Aux points de cet arrêt auxquels renvoient ces États membres, le Tribunal, après avoir constaté que les mesures litigieuses étaient indissolublement liées à l’objet de l’aide en cause, a procédé à la vérification du point de savoir si elles impliquaient des effets allant « au-delà de ce qui est nécessaire pour que l’aide puisse atteindre les objectifs admis par le traité ». Or, une telle vérification s’inscrit clairement dans le cadre de l’examen de la proportionnalité de l’aide, qui suit la définition du périmètre des mesures qui entrent en ligne de compte aux fins de l’appréciation de sa compatibilité avec le marché intérieur. Dès lors, l’arrêt Weyl Beef Products e.a./Commission n’apporte pas des précisions sur ce qui permet de qualifier une mesure de « modalité indissociable » ni ne permet de soutenir la thèse selon laquelle seuls les effets d’une telle mesure susceptibles de se manifester sur le « marché visé par l’objet de la mesure d’aide [en cause] » relèvent aux fins de l’examen qui doit être conduit par la Commission dans le cadre de la procédure au titre de l’article 108 TFUE. En revanche, cet arrêt s’inscrit dans le sillage de la jurisprudence issue de l’arrêt Iannelli & Volpi (57). Il en va de même de l’arrêt du 3 décembre 2014, Castelnou Energía/Commission (58), cité notamment par la Commission, qui précise que, si la modalité d’une aide est indissociablement liée à l’objet de celle-ci, « sa conformité aux dispositions autres que celles relatives aux aides d’État sera appréciée par la Commission dans le cadre de la procédure prévue par l’article 108 TFUE et cette appréciation pourra aboutir à une déclaration d’incompatibilité de l’aide concernée avec le marché intérieur ».

57.      Concluant sur ce dernier point, je suis d’avis qu’il n’est pas exclu que la violation d’une disposition du droit de l’Union susceptible de produire une distorsion de concurrence sur un marché différent, mais, comme en l’espèce, lié, à celui visé par l’aide doive être prise en considération par la Commission dans le cadre de son examen de la compatibilité de celle-ci avec le marché intérieur.

iv)    Sur l’obligation de la Commission d’examiner la violation éventuelle des dispositions en matière de marchés publics

58.      Il ressort de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à tort que le Tribunal a confirmé la conclusion de la Commission selon laquelle l’attribution directe à JSC NIAEP du marché de construction des nouveaux réacteurs ne constituait pas une « modalité indissociable » de l’objet de l’aide en cause.

59.      Il s’ensuit que c’est également à tort qu’il a considéré que la Commission n’était pas tenue d’examiner, dans le cadre de la procédure ayant conduit à l’adoption de la décision litigieuse, la question de la compatibilité de cette attribution avec les dispositions en matière de marchés publics, qui avait été soulevée au cours de cette procédure par la République d’Autriche et par d’autres parties intéressées (59).

3)      Conclusions sur les première et deuxième branches du premier moyen

60.      Sur la base de l’ensemble des considérations qui précèdent, j’estime que les première et deuxième branches du premier moyen du pourvoi, prises conjointement, sont fondées.

2.      Sur la troisième branche

61.      La troisième branche du premier moyen comporte deux griefs. Le premier est tiré d’un défaut de motivation de la décision litigieuse que le Tribunal aurait omis de constater et le second d’une violation des dispositions du droit des marchés publics. Ces griefs sont dirigés contre les points 40 à 49 et 196 à 203 de l’arrêt attaqué

62.      Les points 40 à 49 de l’arrêt attaqué s’insèrent dans les motifs par lesquels le Tribunal a rejeté le premier moyen de recours de la République d’Autriche, tiré de l’absence d’une procédure de passation de marché public. Aux points 41 et 42, le Tribunal a, en premier lieu, affirmé que c’était à juste titre que, au considérant 285 de la décision litigieuse, la Commission avait retenu que, afin de répondre aux observations qui lui avaient été soumises par des intéressés au sujet de la conformité de la mesure notifiée avec la directive 2014/25 , elle pouvait renvoyer à une procédure en manquement ouverte contre la Hongrie, dans laquelle elle avait acquis la conviction, « fondée sur une analyse approfondie des exigences techniques » invoquées par cet État membre, que cette directive était inapplicable à l’attribution des travaux de construction des nouveaux réacteurs sur la base de son article 50, [sous] c) (ci-après la « procédure en manquement »). Aux points 43 à 46 de cet arrêt, le Tribunal a, en deuxième lieu, examiné la réponse de la Commission à des questions écrites posées au titre de mesure d’organisation de la procédure ainsi que les documents produits à l’appui, en constatant qu’il ressortait de cette réponse et qu’il était confirmé par ces documents que la Commission avait conclu que l’attribution directe à JSC NIAEP des travaux de construction des nouveaux réacteurs « pouvait être effectuée sans mise en concurrence préalable, car, pour des raisons techniques, il n’aurait pas existé de concurrence ». Aux points 47 et 48 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a, en troisième lieu, précisé qu’il ne saurait être admis que, « au titre de la procédure relative à la compatibilité de l’aide avec le marché intérieur, toutes les décisions prises antérieurement et qui ont déjà fait l’objet d’une procédure distincte [...] soient remises en cause », « [l]e principe de sécurité juridique s’oppos[ant] à ce que la Commission réexamine l’attribution du marché de construction dans le cadre de la procédure d’aide d’État tout en ne disposant pas de nouvelles informations par rapport au moment auquel elle a décidé de clore la procédure en manquement ». Au point 49 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a conclu, en quatrième et dernier lieu, que « c’est sans commettre d’erreur de droit que la Commission s’est appuyée, en tout état de cause, sur le résultat de la procédure en manquement pour les besoins de la décision [litigieuse] ».

63.      Par les points 196 à 203 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a en revanche rejeté la première branche du dixième moyen, tirée de la motivation insuffisante de la décision litigieuse quant à la compatibilité de l’aide avec d’autres dispositions du droit de l’Union. Dans ces points, le Tribunal a considéré, en substance, que, puisque, aux considérants 280 à 284 de la décision litigieuse, la Commission avait estimé qu’elle n’était pas tenue d’examiner la question de la violation éventuelle de la directive 2014/25, en l’absence d’un lien indissociable entre cette violation et l’objet de l’aide en cause, elle n’était pas tenue de justifier, dans la décision litigieuse, les raisons pour lesquelles les conditions prévues à l’article 50, sous c), de la directive 2014/25 étaient remplies.

a)      Sur le grief tiré de l’absence de constatation du défaut de motivation de la décision litigieuse

64.      La République d’Autriche fait valoir que c’est à tort que le Tribunal a considéré que la décision litigieuse était suffisamment motivée sur le point de savoir s’il existait une violation des dispositions en matière de marchés publics. Un simple renvoi à une procédure en manquement non publique clôturée ne constituerait pas une motivation suffisante. Elle soutient que c’est uniquement grâce aux observations de la Commission et aux documents produits par elle en réponse à une mesure d’organisation de la procédure adoptée par le Tribunal que ce dernier a été en mesure de connaître les motifs qui ont amené la Commission à exclure l’existence d’une violation des dispositions en matière de marchés publics.

65.      La République française excipe de l’irrecevabilité de ce grief au motif qu’il aurait été soulevé pour la première fois au stade du pourvoi. À cet égard, je relève qu’il ressort clairement des points 192 et 196 à 203 de l’arrêt attaqué, d’une part, que la République d’Autriche a contesté devant le Tribunal le caractère insuffisant de la motivation de la décision litigieuse quant à la compatibilité de l’aide avec les dispositions du droit de la passation des marchés publics et, d’autre part, que le Tribunal a examiné un tel grief en le rejetant. Il ressort également des points 40 à 49 de l’arrêt attaqué, dont le contenu est exposé au point 62 des présentes conclusions, que le Tribunal a expressément cautionné le renvoi à la procédure en manquement effectué par la Commission au considérant 285 de la décision litigieuse. Il s’ensuit que, puisque, d’une part, le présent grief reprend ceux soulevés par la République d’Autriche devant le Tribunal et que, d’autre part, il trouve son origine dans les motifs de l’arrêt attaqué, ce grief est recevable (60).

66.      Il est de jurisprudence constante que, si la motivation exigée à l’article 296 TFUE doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’institution, auteur de l’acte, de manière à permettre à l’intéressé de connaître les justifications des mesures prises et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle, une telle motivation doit, toutefois, être adaptée à la nature de l’acte en cause et au contexte dans lequel il a été adopté (61). Il est aussi de jurisprudence constante que l’obligation de motivation constitue une formalité substantielle qui doit être distinguée de la question du bien-fondé de la motivation, celui-ci relevant de la légalité au fond de l’acte litigieux. En effet, la motivation d’une décision consiste à exprimer formellement les motifs sur lesquels repose cette décision. Si ces motifs sont entachés d’erreurs, celles-ci affectent la légalité au fond de la décision, mais non sa motivation, qui peut être suffisante tout en exprimant des motifs erronés (62).

67.      En l’occurrence, la Commission a justifié sa conclusion selon laquelle l’évaluation de l’aide en cause n’était pas affectée par la violation alléguée des règles en matière de passation des marchés publics par des motifs de deux ordres. D’une part, au considérant 283 de cette décision et à titre principal, elle a avancé qu’une telle violation, à la supposer établie, n’aurait pas produit d’effet de distorsion supplémentaire sur la concurrence et sur les échanges sur le marché de l’électricité, visé par cette aide, et que, par conséquent, elle n’était pas tenue de se prononcer sur son existence. D’autre part, au considérant 285 de ladite décision et à titre subsidiaire (63), elle a renvoyé à la procédure en manquement, dans laquelle elle avait constatée l’inapplicabilité de la directive 2014/25 à l’attribution directe du marché de construction à JSC NIAEP et donc l’inexistence de la violation des dispositions de cette directive alléguée notamment par la République d’Autriche.

68.      Les motifs exposés à titre principal, s’ils satisfont aux exigences de l’article 296 TFUE, sont, pour les mêmes raisons que celles exposées aux points 49 à 59 des présentes conclusions, entachés d’erreurs qui en affectent la légalité au fond.

69.      Dans ces conditions, le bien-fondé de la conclusion de la Commission, confirmée dans l’arrêt attaqué, selon laquelle elle n’était pas tenue d’examiner dans la décision litigieuse la question de la compatibilité de l’attribution du marché de construction des nouveaux réacteurs avec les dispositions en matière de marchés publics, ne repose que sur les motifs exposés à titre subsidiaire.

70.      Je relève, à titre liminaire, que, comme l’ensemble des États membres participant à la présente procédure et la Commission, je suis d’avis que celle-ci pouvait en l’espèce s’acquitter de son obligation d’effectuer un tel examen en renvoyant à la procédure en manquement, qui avait été clôturée sans qu’une violation desdites dispositions eût été constatée. En effet, il ressort notamment de l’arrêt Commission/Italie, mentionné au point 21 des présentes conclusions, qu’une application cumulative de la procédure en manquement et de la procédure de contrôle des aides d’État constitue la règle générale dans le cas où une mesure étatique entre en même temps dans le champ d’application des dispositions en matière d’aides et d’autres dispositions du traité (64). Il ressort également des circonstances factuelles de l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt qu’une telle application cumulative n’est pas exclue, même en cas de lien indissoluble entre la mesure nationale réputée contraire à une disposition du traité autre que celles en matière d’aides et l’objet de l’aide, du moins lorsque la procédure en manquement a été entamée avant l’ouverture de la procédure de contrôle des aides d’État.

71.      Cela étant, un tel renvoi ne pouvait remplacer un examen au fond, dans la décision litigieuse, de la question de la non-conformité de la mesure notifiée avec les dispositions de la directive 2014/25 qu’à la condition que la Commission expose, dans cette décision, les éléments de fait et de droit sur la base desquels elle était arrivée à la constatation de l’inexistence d’une violation du droit de l’Union. Si une telle obligation doit être conciliée avec les exigences de confidentialité des documents de la procédure en manquement, invoquées notamment par la République de Pologne et la République française, de telles exigences ne sauraient réduire à néant le devoir, incombant à la Commission, de motiver les actes qu’elle adopte.

72.      À cet égard, force est de constater que le considérant 285 de la décision litigieuse se borne à énoncer la « conclusion préliminaire » à laquelle la Commission était arrivée dans le cadre de la procédure en manquement, sans donner aucune indication sur les considérations en fait et en droit sur lesquelles une telle conclusion était fondée. Il est, certes, de jurisprudence constante que la question de savoir si la motivation d’un acte satisfait aux exigences de l’article 296 TFUE doit être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (65). Toutefois, en l’espèce, sans être contredite sur ce point par la Commission, la République d’Autriche a affirmé que, à la date où la décision litigieuse a été adoptée, les éléments de la procédure en manquement susceptibles d’éventuellement combler les carences du libellé du considérant 285 de cette décision n’étaient pas publics ni accessibles aux intéressés participant à la procédure, de sorte que l’on ne peut pas considérer qu’ils faisaient partie d’un contexte connu de ces intéressés, leur permettant de comprendre de manière claire et non équivoque les raisons ayant amené la Commission à considérer que la directive 2014/25 n’était pas applicable en l’espèce (66). Contrairement à ce que soutient la République française, la circonstance que la Commission a fourni les raisons de la décision litigieuse en cours d’instance ne saurait compenser l’insuffisance de la motivation initiale de cette décision. La motivation ne peut en effet être explicitée pour la première fois et a posteriori devant le juge, sauf circonstances exceptionnelles qui, en l’absence de toute urgence, ne sont pas réunies en l’espèce (67).

73.      Il ressort de l’ensemble des considérations qui précèdent que le présent grief doit être accueilli.

b)      Sur le grief tiré d’une violation des dispositions en matière de marchés publics

74.      Par un grief distinct, la République d’Autriche, soutenue par le Grand-Duché de Luxembourg, « rappelle les doutes » qu’elle avait exprimés lors de l’audience devant le Tribunal concernant l’applicabilité, dans les circonstances du cas d’espèce, de l’article 50, sous c), ii), de la directive 2014/25, qui permet une procédure négociée sans mise en concurrence préalable lorsque les travaux ne peuvent être fournis que par « un opérateur économique particulier » au motif de « l’absence de concurrence pour des raisons techniques ». Elle fait valoir qu’il « est beaucoup plus probable » que les critères pour l’attribution du marché de construction des nouveaux réacteurs, avancés par la Hongrie, qui visent notamment la sécurité, aient été restreints artificiellement pour pouvoir bénéficier du financement russe. En tout état de cause, à supposer même que ces critères étaient objectifs, il n’aurait pas été possible d’exclure que, compte tenu de la valeur du marché, d’autres soumissionnaires auraient été trouvés par voie d’appel d’offres. La République d’Autriche, soutenue par le Grand-Duché de Luxembourg, fait également valoir que, notamment aux points 38 et 64 de l’arrêt attaqué, le Tribunal lui aurait erronément attribué la charge de prouver que d’autres soumissionnaires auraient pu fournir les nouveaux réacteurs. Selon elle, il incombait à la Hongrie, qui entendait se prévaloir de l’exception prévue à l’article 50 de la directive 2014/25, de démontrer qu’une mise en concurrence pouvait être omise.

75.      Ce grief ne me semble pas pouvoir prospérer en ce qu’il est dirigé contre les points 40 à 49 de l’arrêt attaqué (68). Son examen de la part de la Cour rencontre, à mon sens, des difficultés de deux ordres. D’une part, les arguments de la République d’Autriche sont vagues et lacunaires. D’autre part, il ressort, à mes yeux, de la lecture des motifs contenus aux points 40 à 49 de l’arrêt attaqué que le Tribunal s’est borné, d’une part, à constater que, dans le cadre de la procédure en manquement, la Commission avait « acquis la conviction », fondée sur « une analyse approfondie des exigences techniques » invoquées par la Hongrie (69), que cet État membre pouvait en l’espèce recourir à une procédure sans mise en concurrence préalable au titre de l’article 50, sous c), ii), de la directive 2014/25 (70), et, d’autre part, que, dans ces conditions, le renvoi au résultat de cette procédure, contenu au considérant 285 de la décision litigieuse, se justifiait. En revanche, il ne ressort pas, à mon sens, de ces mêmes points de l’arrêt attaqué que le Tribunal ait procédé à un contrôle de la légalité de la conclusion, sur laquelle la Commission s’est appuyée à titre subsidiaire dans la décision litigieuse, selon laquelle la directive 2014/25 n’était pas applicable en l’espèce. Ainsi que l’a affirmé à juste titre la Commission lors de l’audience, sur cette question, le Tribunal n’a procédé, auxdits points, qu’à une vérification des faits.

c)      Conclusions sur la troisième branche

76.      Pour les raisons exposées, je suis d’avis que la troisième branche du premier moyen, en ce qu’elle reproche au Tribunal d’avoir omis de constater le défaut de motivation de la décision litigieuse discuté aux points 71 et 72 des présentes conclusions, est fondée.

3.      Conclusions sur le premier moyen

77.      Sur la base de l’ensemble des considérations qui précèdent, je suggère à la Cour d’accueillir le premier moyen du pourvoi.

B.      Sur les deuxième et quatrième moyens

78.      La plupart des arguments soulevés par la République d’Autriche dans le cadre de ses deuxième et quatrième moyens se chevauchent et c’est la raison pour laquelle je les examinerai conjointement. Ces moyens sont dirigés contre les points 51 à 65 ainsi que 184 et 185 de l’arrêt attaqué.

79.      Aux points 51 à 65 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a analysé et rejeté la première branche du quatrième moyen de recours, tiré du caractère disproportionné de l’aide en cause. Par cette branche, la République d’Autriche faisait valoir que, en l’absence d’un appel d’offres pour la construction des deux nouveaux réacteurs, la proportionnalité de cette aide n’était pas assurée, en ce qu’il ne pouvait être garanti que le montant de celle-ci était limité au minimum nécessaire à l’exécution du projet. Le Tribunal a d’abord affirmé que, « si l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE exige que l’aide soit limitée au minimum, il ne s’ensuit pas pour autant que la conduite d’un appel d’offres est une condition de la proportionnalité d’une mesure d’aide » et qu’une telle procédure « n’est qu’un moyen parmi d’autres pour limiter une aide au minimum nécessaire pour atteindre l’objectif poursuivi » (points 59 et 60). Le Tribunal a ensuite considéré que « l’affirmation de la République d’Autriche selon laquelle la construction des réacteurs aurait pu être réalisée à moindre coût et avec moins d’aides si une mise en concurrence avait eu lieu n’[avait] pas été étayée par des éléments de preuve » et qu’« il appartenait à la République d’Autriche de fournir des éléments indiquant une solution alternative pour la construction des réacteurs en question » (point 64). Enfin, le Tribunal a précisé, au point 65 de l’arrêt attaqué, que, « [e]n tout état de cause, la question de savoir si la mesure d’aide était limitée au minimum nécessaire pour atteindre le but recherché vise en réalité la question de savoir si la mise à disposition à titre gratuit des deux nouveaux réacteurs n’était pas disproportionnée, cette dernière faisant l’objet de l’aide [en cause] ».

80.      Aux points 177 à 190 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a analysé et rejeté le neuvième moyen de recours, tiré de la détermination insuffisante de l’aide en cause. Au point 183 de cet arrêt, il a, d’une part, rappelé, à titre liminaire, que l’objectif de la détermination des éléments de l’aide est de permettre à la Commission de conclure au caractère approprié, nécessaire et non démesuré de celle-ci, et a, d’autre part, renvoyé à l’arrêt du 12 juillet 2018, Autriche/Commission (71), dans lequel il avait déjà jugé que la Commission n’est pas obligée de quantifier le montant exact de l’équivalent-subvention résultant d’une mesure d’aide avant de procéder à l’examen de la proportionnalité de celle-ci à la lumière de l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE. Au point 185 de l’arrêt attaqué, s’agissant des coûts de financement, le Tribunal, après avoir observé que le considérant 28 de la décision litigieuse faisait état des coûts du financement de la dette sur toute la durée de la ligne de crédit renouvelable, a relevé que la République d’Autriche n’avançait « aucun argument circonstancié susceptible de démontrer que, sur la base des indications des taux d’intérêt du prêt indiqués audit considérant, avec les spécifications ultérieures données dans la note en bas de page [16] de [cette] décision, la Commission n’était pas en mesure de contrôler le caractère proportionné de l’élément d’aide et à quoi servirait à cet égard l’indication des coûts du financement externe (intérêts des emprunts), tels que ceux qu’un investisseur privé aurait dû payer dans des conditions conformes au marché ».

81.      Par son deuxième moyen, la République d’Autriche reproche au Tribunal d’avoir, à tort, validé l’examen, à son avis insuffisant, de la proportionnalité de l’aide en cause effectué par la Commission dans la décision litigieuse. Par son quatrième moyen, qui se subdivise en trois branches, la République d’Autriche reproche en revanche au Tribunal d’avoir cautionné une détermination insuffisante de l’aide en cause, notamment en raison de l’absence d’une procédure de passation de marché public, de l’absence de prise en compte des coûts de financement extérieur et de l’absence de calcul d’un équivalent‑subvention.

82.      La Hongrie, la République de Pologne et la Commission expriment, à divers titres, des réserves sur la recevabilité du deuxième et/ou du quatrième moyen. Si ces réserves ne sont pas fondées en ce qu’elles se réfèrent à ces moyens dans leur intégralité, certaines d’entre elles doivent en revanche être retenues pour ce qui est de griefs isolés, développés par la République d’Autriche dans le contexte desdits moyens. J’indiquerai dans la suite de mon analyse lorsque cela est le cas.

83.      Si, d’une manière générale, je conviens que les deuxième et quatrième moyens du pourvoi sont assez peu développés et manquent parfois de clarté, trois griefs peuvent cependant être identifiés, qui portent sur l’incidence, dans le cadre du contrôle de la proportionnalité de l’aide en cause effectué par le Tribunal des facteurs suivants : i) l’absence d’une procédure de passation de marché public ; ii) l’absence de calcul de l’équivalent-subvention, et iii) l’absence de détermination des coûts de financement externe.

1.      Sur l’absence d’une procédure de passation de marché public

84.      La République d’Autriche fait valoir que le Tribunal n’a pas clairement identifié ou a identifié erronément l’objet de l’aide en cause, en excluant de cet objet la construction des nouveaux réacteurs nucléaires. Cela l’aurait empêché de conduire un contrôle « en bonne et due forme » de l’examen de la proportionnalité de cette aide effectué par la Commission. Elle maintient que le montant du marché payé par la Hongrie dans le cadre de la construction de ces réacteurs constitue un élément de fait incontournable pour apprécier l’aide en cause. Elle en déduit que, contrairement à ce qu’a affirmé le Tribunal, notamment au point 65 de l’arrêt attaqué, dont le contenu est repris au point 79 des présentes conclusions, la proportionnalité de cette aide ne pouvait pas être correctement appréciée en l’absence d’une procédure de passation de marché public. En effet, une telle procédure aurait pu aboutir à une aide totalement différente, notamment au regard de sa structure et de son montant. La simple affirmation, contenue au point 59 de l’arrêt attaqué, selon laquelle « la procédure d’appel d’offres n’est qu’un moyen parmi d’autres pour limiter une aide au minimum nécessaire pour atteindre l’objectif poursuivi », ne serait en soi pas suffisante, en l’absence d’indications des critères au regard desquels le contrôle de la proportionnalité de l’aide en cause a eu lieu. L’arrêt attaqué serait donc, sur ce point, entaché d’un défaut de motivation (72).

85.      Ainsi que j’ai déjà eu l’occasion de l’indiquer, il ressort clairement de l’arrêt attaqué, et notamment de ses points 36 et 65, que le Tribunal a considéré que l’objet de l’aide en cause consistait en la « mise à disposition à titre gratuit » des nouveaux réacteurs. Aux points 34 à 39 des présentes conclusions, j’ai toutefois considéré qu’une telle définition de l’objet de l’aide en cause, qui exclut de son périmètre la construction des nouveaux réacteurs nucléaires, procède d’une interprétation erronée de la décision litigieuse et d’une erreur de qualification juridique des faits. Or, ces erreurs remettent nécessairement en cause la prémisse sur la base de laquelle le Tribunal a écarté, au point 65 de l’arrêt attaqué, la pertinence des griefs avancés par la République d’Autriche dans le cadre de son quatrième moyen de recours.

86.      Dans la mesure où, audit point 65, le Tribunal devait se référer, de manière plus circonscrite, à l’avantage que la société Paks II tire du projet financé par la Hongrie, en raison du développement et de la mise à sa disposition de nouveaux actifs de production, il y a lieu de souligner qu’il existe un lien étroit entre cet avantage et le montant de l’investissement consenti par la Hongrie pour ce projet, incluant le prix d’achat réel de la centrale nucléaire (73), censé refléter, à tout le moins en partie, la valeur économique de ces actifs. Il s’ensuit que toute appréciation de la proportionnalité de l’aide en cause avait nécessairement comme point de départ ledit montant.

87.      Il ressort des considérations qui précèdent que, en ce qu’il est dirigé à l’encontre du point 65 de l’arrêt attaqué, le présent grief doit, à mon sens, être accueilli. Je souligne, cependant, que ce point contient un motif à titre surabondant, ainsi qu’en atteste l’emploi de l’expression « en tout état de cause ». Il s’ensuit que le présent grief ne saurait être opérant que dans la mesure où sont accueillis les arguments que la République d’Autriche avance à l’encontre des points 58 à 64 de l’arrêt attaqué.

88.      À cet égard, s’agissant, en premier lieu, des motifs contenus aux points 58 et 59 de l’arrêt attaqué et exposés au point 79 des présentes conclusions, il ne saurait à mon sens être contesté, comme je viens de l’exposer, que l’examen de la proportionnalité de l’aide en cause, et notamment l’analyse visant à apprécier si celle-ci était limitée au minimum nécessaire pour permettre la livraison du projet qu’elle visait à financer, ne pouvait faire abstraction du montant de l’investissement fixé pour la réalisation de ce projet, incluant le prix d’achat des nouveaux réacteurs. Il ne saurait non plus être contesté, comme le Tribunal l’affirme d’ailleurs lui-même, que la conduite d’une procédure d’appel d’offres est un moyen pour la Commission de s’assurer de la proportionnalité du prix d’un marché, en ce que sa détermination est soumise au jeu de la concurrence. Or, ainsi qu’il ressort du point 53 de l’arrêt attaqué, la République d’Autriche avait fait valoir, dans le cadre de la première branche de son quatrième moyen de recours que, en l’absence d’un appel d’offres pour la construction des nouveaux réacteurs, la proportionnalité de l’aide en cause n’était pas garantie et que les éléments sur lesquels s’était fondée la Commission, à savoir l’absence de surcompensation et l’obligation de remboursement des bénéfices, n’étaient pas pertinents pour la question de savoir si l’aide en cause était limitée au minimum nécessaire. Dans ces circonstances, c’est à bon droit que la République d’Autriche fait à présent valoir que la seule affirmation, contenue au point 59 de l’arrêt attaqué et selon laquelle « la procédure d’appel d’offres n’est qu’un moyen parmi d’autres pour limiter une aide au minimum nécessaire pour atteindre l’objectif poursuivi », n’était pas suffisante pour répondre aux critiques qu’elle avait soulevées, faute d’indication des éléments sur lesquels la Commission s’était basée en l’absence d’une telle procédure et que, dès lors, l’arrêt attaqué est, sur ce point, entaché d’un défaut de motivation. Les contre-arguments avancés par les États membres participant à la présente procédure et la Commission, au demeurant tous tirés de la décision litigieuse elle-même, ne sauraient permettre de pallier les carences de l’arrêt attaqué sur ce point (74).

89.      En ce qui concerne, en second lieu, le point 64 de l’arrêt attaqué, dont le contenu est repris au point 79 des présentes conclusions, dans le cadre de son premier motif de pourvoi, la République d’Autriche reproche au Tribunal de lui avoir imposé la charge de prouver que d’autres soumissionnaires auraient pu construire les nouveaux réacteurs à moindre coût. À cet égard, il suffit de relever que, audit point 64, le Tribunal justifie l’imposition d’une telle charge de la preuve à la République d’Autriche en se référant à l’évaluation du marché effectuée par la Hongrie et vérifiée par la Commission dans le cadre de la procédure en manquement, de laquelle ressortait que d’autre fournisseurs appropriés n’étaient pas disponibles. Or, dans la mesure où les éléments sur lesquels la Commission s’était fondée dans le cadre de cette procédure n’étaient pas accessibles à la République d’Autriche et que la décision litigieuse n’était pas suffisamment motivée sur ce point, une charge de la preuve telle que celle préconisée par le Tribunal ne saurait, en tout état de cause, se justifier.

90.      Pour les raisons exposées aux points 85 à 89 des présentes conclusions, le présent grief est, à mon sens, fondé.

2.      Sur l’absence de calcul de l’équivalent-subvention

91.      La République d’Autriche fait valoir que, à supposer que l’aide en cause consiste, ainsi que le reconnaît le Tribunal, en la mise à disposition des nouveaux réacteurs, la Commission aurait dû calculer un équivalent-subvention (75) afin de quantifier cette aide et d’en apprécier la proportionnalité.

92.      À cet égard, sans qu’il soit nécessaire de prendre position sur la question, débattue entre les parties, de savoir si la Commission est tenue dans tous les cas de quantifier un équivalent-subvention (76), je me bornerai à rappeler que, aux points 188 à 190 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a rappelé i) que l’aide en cause comprenait une ligne de crédit renouvelable de 10 milliards d’euros et un montant supplémentaire de 2,5 milliards d’euros versé par l’État hongrois, cette ligne de crédit étant censée financer 80 % des coûts d’investissement confirmés et le montant supplémentaire les 20 % restants ; ii) que tous les coûts susceptibles d’être rattachés à l’investissement étaient compris dans ces montants, et iii) que la décision litigieuse se limitait à autoriser le projet notifié par la Hongrie à l’exclusion d’éventuelles augmentations desdits montants, de sorte que « tout financement qui dépasserait la somme de 12,5 milliards d’euros constituerait une modification de l’aide existante », qui devrait être appréciée conformément à l’article 4 du règlement (CE) no 794/2004 (77). Le Tribunal semble donc être parti de la prémisse selon laquelle l’élément d’aide correspondait à l’intégralité du financement accordé par l’État hongrois, tel que décrit dans la décision litigieuse, et, dès lors, qu’il n’était, en tout état de cause, pas nécessaire, dans les circonstances de l’espèce, de calculer un équivalent‑subvention. Ainsi que l’avance notamment la Hongrie, la République d’Autriche n’apporte pas d’arguments concrets permettant de remettre en cause le raisonnement suivi par le Tribunal et d’étayer sa thèse selon laquelle, en l’absence de calcul de l’équivalent-subvention, il n’était pas possible d’apprécier la proportionnalité de l’aide en cause. Le présent grief ne saurait dès lors, à mon sens, prospérer.

3.      Sur l’absence de détermination des coûts de financement externe

93.      La République d’Autriche reproche au Tribunal d’avoir, au point 185 de l’arrêt attaqué, rejeté son argument selon lequel, en l’absence de détermination des coûts de financement externe (intérêts des emprunts) de la dette qu’un investisseur privé aurait dû payer dans des conditions de marché, la Commission n’avait pas pu déterminer correctement le montant de l’aide en cause et donc apprécier sa proportionnalité.

94.      À cet égard, il suffit de constater que, au soutien de ce grief, la République d’Autriche se borne à répéter des arguments avancés dans sa requête devant le Tribunal, à laquelle elle renvoie. Dans ces conditions et dans la mesure où, de surcroît, ne sont pas indiqués de manière précise les éléments critiqués de l’arrêt attaqué, le présent grief est, à mon sens, irrecevable. En tout état de cause, comme la Commission le souligne dans ses mémoires, dans une situation telle que celle de l’espèce, où le prêt a été contracté par l’État à des taux d’intérêt qui sont précisés dans la décision litigieuse (78), où l’existence d’un avantage pour la société Paks II a été constatée, où la décision portait sur un financement ne dépassant pas la somme de 12,5 milliards d’euros (79), et où, selon les affirmations de la République d’Autriche elle-même, l’on n’était pas en présence d’un prêt bonifié, il incombait à la République d’Autriche d’expliquer, ainsi que le Tribunal l’a affirmé au point 185 de l’arrêt attaqué, pourquoi, sans calcul des coûts du financement extérieur, la Commission n’avait pas été en mesure d’apprécier la proportionnalité de l’aide en cause. Le présent grief ne saurait dès lors, en tout état de cause, prospérer.

4.      Conclusions sur les deuxième et quatrième moyens

95.      Sur la base de ce qui précède, il convient, à mon sens, d’accueillir le seul grief soulevé dans le cadre des deuxième et quatrième moyens qui a été analysé aux points 85 à 89 des présentes conclusions.

C.      Conséquences de l’analyse

96.      Si, comme je le propose, la Cour venait à déclarer fondés le premier moyen du pourvoi ainsi que le grief analysé aux points 85 à 89 des présentes conclusions, soulevé dans le cadre des deuxième et quatrième moyens, il y aurait lieu d’accueillir le pourvoi et d’annuler l’arrêt attaqué.

V.      Conclusion

97.      Eu égard aux considérations qui précèdent, je suggère à la Cour de déclarer fondés les première, deuxième et, partiellement, troisième branches du premier moyen du pourvoi, ainsi que le grief analysé aux points 85 à 89 des présentes conclusions, soulevé dans le cadre des deuxième et quatrième moyens du pourvoi. Je propose, en conséquence, d’accueillir le pourvoi et d’annuler l’arrêt attaqué.


1      Langue originale : le français.


2      T‑101/18, ci-après l’« arrêt attaqué », EU:T:2022:728.


3      JO 2017, L 317, p. 45, ci-après la « décision litigieuse ».


4      JO 2016, C 8, p. 2, ci-après la « décision d’ouverture ».


5      Aux considérants 279 à 287 de la décision litigieuse, figurant dans la section 5.3.2, intitulée « Conformité à des dispositions du droit de l’Union autres que les règles en matière d’aide d’État », la Commission a répondu aux observations soulevées par de nombreuses parties intéressées concernant la compatibilité de la mesure notifiée avec, notamment, la directive 2014/25/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 février 2014, relative à la passation de marchés par des entités opérant dans les secteurs de l’eau, de l’énergie, des transports et des services postaux et abrogeant la directive 2004/17/CE (JO 2014, L 94, p. 243).


6      C‑594/18 P, ci-après l’« arrêt Autriche/Commission », EU:C:2020:742.


7      Aux considérants 281 à 284 de la décision litigieuse, la Commission a exclu l’existence d’un lien indissoluble entre la violation éventuelle de la directive 2014/25 et l’objet de l’aide. Au point 283, elle a, notamment, affirmé qu’« un non‑respect éventuel des règles relatives aux marchés publics en l’espèce pourrait produire des effets de distorsion sur le marché des travaux de construction nucléaire. Toutefois, l’objet de l’aide à l’investissement en faveur de Paks II est de lui permettre de produire de l’électricité sans supporter les coûts d’investissement pour la construction d’installations nucléaires. Dès lors, en ce qui concerne l’attribution directe des travaux de construction à JSC NIAEP, aucun effet de distorsion supplémentaire sur la concurrence et les échanges sur le marché de l’électricité n’a été établi, qui serait dû au non-respect de la directive 2014/25 ».


8      74/76, ci-après l’« arrêt Iannelli & Volpi », EU:C:1977:51.


9      Voir arrêt Iannelli & Volpi, points 12 et 13.


10      73/79, ci-après l’« arrêt Commission/Italie », EU:C:1980:129.


11      Voir arrêt Commission/Italie, points 8 et 9.


12      C‑225/91, ci-après l’« arrêt Matra », EU:C:1993:239.


13      Voir arrêt Matra, points 41 à 45.


14      Voir arrêt Matra, point 42.


15      Voir, notamment, arrêts du 19 septembre 2000, Allemagne/Commission (C‑156/98, EU:C:2000:467, point 78) ; du 3 mai 2001, Portugal/Commission (C‑204/97, EU:C:2001:233, point 41) ; du 19 septembre 2002, Espagne/Commission (C‑113/00, EU:C:2002:507, point 78) ; du 12 décembre 2002, France/Commission (C‑456/00, EU:C:2002:753, point 30), et du 15 avril 2008, Nuova Agricast, (C‑390/06, EU:C:2008:224, point 50).


16      Voir arrêt du 15 avril 2008, Nuova Agricast (C‑390/06, EU:C:2008:224, point 51).


17      Voir, en ce sens, notamment, arrêts du 13 mars 1979, Hansen (91/78, EU:C:1979:65, points 9 et 10) ; du 24 novembre 1982, Commission/Irlande (249/81, EU:C:1982:402, point 18) ; du 7 mai 1985, Commission/France (18/84, EU:C:1985:175, point 13) ; du 5 juin 1986, Commission/Italie (103/84, EU:C:1986:229, point 19), et du 20 mars 1990, Du Pont de Nemours Italiana (C‑21/88, EU:C:1990:121, point 20).


18      Points 44 et 45 de cet arrêt.


19      Voir arrêt du 31 janvier 2023, Commission/Braesch e.a. (C‑284/21 P, ci-après l’ « arrêt Braesch e.a. », EU:C:2023:58, point 96).


20      Voir, en dernier lieu, arrêt du 30 mai 2024, Ryanair/Commission (C‑353/21 P, EU:C:2024:437, point 65).


21      C‑598/17, ci-après l’« arrêt A‑Fonds », EU:C:2019:352, point 48.


22      Voir arrêts du 30 mai 2024, Ryanair/Commission (C‑353/21 P, EU:C:2024:437, point 91), et Braesch e.a., points 99 et 100, ainsi que ordonnances du 15 juillet 2024, YU/Commission (C‑233/24 P, EU:C:2024:625), et du 14 décembre 2023, CAPA e.a./Commission (C‑742/21 P, EU:C:2023:1000).


23      Voir, outre l’arrêt Iannelli & Volpi, arrêts A-Fonds, points 47 et 48 ; du 7 mars 2024, Fallimento Esperia et GSE (C‑558/22, EU:C:2024:209, points 60 et 61), ainsi que Braesch e.a., points 104, 107 et 108.


24      À compter de l’arrêt Braesch e.a., la Cour se prévaut de ce critère également afin d’apprécier la qualité de « partie intéressée », au sens de l’article 108, paragraphe 2, TFUE, des personnes s’estimant lésées par l’octroi d’une aide, et donc leur qualité pour agir contre une décision de la Commission adoptée lors de la phase préliminaire d’examen de l’aide. L’atteinte aux intérêts de telles personnes doit être appréciée en fonction des effets obligatoires de la décision autorisant des aides, qu’ils résultent de la mise en œuvre de ces aides en tant que telles, de leur objet ou de leurs modalités indissociables : voir, en ce sens, arrêt du 5 septembre 2024, PBL et Abdelmouine/Commission (C‑224/23 P, EU:C:2024:682, point 59 et jurisprudence citée).


25      Voir, par exemple, arrêt Braesch e.a., point 100.


26      Voir arrêt Braesch e.a., points 98 et 103, et jurisprudence citée.


27      Voir arrêts du 25 juin 1970, France/Commission (47/69, EU:C:1970:60, point 4), et du 21 octobre 2003, Van Calster e.a. (C‑261/01 et C‑262/01, EU:C:2003:571, points 46 et 47).


28      Voir, en ce sens, arrêt du 27 octobre 1993, Scharbatke (C‑72/92, EU:C:1993:858, points 18 et 20). Voir, également, arrêt du 23 avril 2002, Nygård (C‑234/99, EU:C:2002:244, point 53). Dans ce dernier arrêt, la Cour a considéré que le caractère discriminatoire de la taxe parafiscale en cause pouvait en l’occurrence être constaté par le juge national bien que le régime d’aide dont cette taxe faisait partie eût été autorisé par la Commission, en vue notamment de remédier, le cas échéant, aux violations du droit communautaire qui n’avaient pas été constatées par cette institution (voir point 60 dudit arrêt).


29      Voir arrêt Braesch e.a., points 99 et 100.


30      Voir, en ce sens, arrêts du 30 mai 2024, Ryanair/Commission (C‑353/21 P EU:C:2024:437, point 92), et du 5 septembre 2024, PBL et Abdelmouine/Commission (C‑224/23 P, EU:C:2024:682, point 59 et jurisprudence citée).


31      Voir arrêt Braesch e.a., point 103.


32      Voir arrêt Braesch e.a, point 81, ainsi que ordonnances du 15 juillet 2024, YU/Commission (C‑233/24 P EU:C:2024:625, points 51 et 52), et du 14 décembre 2023, CAPA e.a./Commission (C‑742/21 P EU:C:2023:1000, point 93).


33      Voir arrêt Iannelli & Volpi, points 14 et 17, et point 3 du dispositif.


34      Voir conclusions dans l’affaire A-Fonds, C‑598/17, EU:C:2018:1037, point 81.


35      Cette définition n’a pas été reprise par la Cour dans l’arrêt A-Fonds, cette dernière s’étant limitée à affirmer que la condition de résidence telle que celle prévue par le régime de remboursement de l’impôt sur les dividendes en cause au principal paraissait « indissociablement liée à l’objet même des mesures d’exonération en cause qui est de favoriser les seules entreprises nationales », se présentant « comme [une condition] nécessaire à la réalisation de l’objet et du fonctionnement [de ce] régime d’aides » (voir points 49 à 51 de cet arrêt).


36      J’observe cependant que certains arrêts récents de la Cour tendent à employer ces deux notions de manière interchangeable. Voir, par exemple, arrêts du 6 juin 2024, Ryanair/Commission (C‑441/21 P EU:C:2024:477, point 81), et du 30 mai 2024, Ryanair/Commission (C‑353/21 P EU:C:2024:437, point 92).


37      Par exemple, l’objectif d’intérêt commun retenu par la Commission pour la mesure notifiée était « la promotion de nouveaux investissements nucléaires » (voir considérant 301 de la décision litigieuse).


38      À cet égard, il suffit d’observer que, dans l’arrêt Autriche/Commission, la Cour a considéré que la violation du droit de l’Union en cause dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt découlait de l’activité économique financée par l’aide (voir point 45 de cet arrêt) et non d’une modalité de celle-ci. Dès lors, comme le font valoir tant la Commission que les États membres intervenus à son soutien, elle n’avait pas besoin d’avoir recours au critère du « lien indissoluble » au sens de l’arrêt Iannelli & Volpi.


39      Voir, également, points 36, 65 et 73 de l’arrêt attaqué.


40      Voir considérant 16 de la décision litigieuse.


41      Voir, notamment, considérant 325 de la décision litigieuse.


42      Voir considérants 324 et 328 de la décision litigieuse.


43      Voir considérants 300 et 304 de la décision litigieuse.


44      Voir, en ce sens, arrêt du 10 septembre 2024, Commission/Irlande e.a. (C‑465/20 P, EU:C:2024:724, point 112 ainsi que jurisprudence citée).


45      Voir arrêt du 29 juillet 2019, Bayerische Motoren Werke et Freistaat Sachsen/Commission (C‑654/17 P, EU:C:2019:634, point 69).


46      Voir, en ce sens, arrêt du 4 octobre 2024, Aeris Invest/Commission et CRU (C‑535/22 P, EU:C:2024:819, points 145 et 146, ainsi que jurisprudence citée).


47      Voir arrêt du 10 septembre 2024, Commission/Irlande e.a. (C‑465/20 P, EU:C:2024:724, point 169 ainsi que jurisprudence citée).


48      La mise en œuvre de chaque phase du projet faisait l’objet d’accords distincts : le contrat d’ingénierie, d’achat et de construction, le contrat d’exploitation et de maintenance, et l’accord concernant les modalités d’approvisionnement en combustible.


49      Voir considérants 38 et 39 de la décision litigieuse


50      Ce grief se rallie par ailleurs aux motifs de l’arrêt attaqué contenus aux points 28 à 32 de cet arrêt et est dès lors recevable en application de la jurisprudence rappelée à la note 46 des présentes conclusions.


51      Voir arrêt du 19 septembre 2024, Santini e.a./Parlement (C‑198/21 P, EU:C:2024:768, point 122).


52      Un tel argument ne saurait, en particulier, trouver un appui dans l’arrêt Matra, auquel renvoie la République d’Autriche. En effet, s’il est vrai que, au point 43 de cet arrêt, la Cour a précisé que, en adoptant une décision sur la compatibilité d’une aide avec le marché intérieur, « la Commission ne peut pas ignorer le risque d’une atteinte à la concurrence dans [ce marché] », une telle précision suit le rappel de l’arrêt Iannelli & Volpi et du critère du lien indissociable (voir point 41 de l’arrêt Matra).


53      Voir, en ce sens, par exemple, considérants 15, 28 et 39 de la décision litigieuse.


54      Une ligne d’analyse similaire avait été proposée par l’avocat général Alber dans ses conclusions dans l’affaire Portugal/Commission (C‑204/97, EU:C:2000:254, points 87 et 88). La Cour ne l’avait cependant pas entérinée : voir arrêt du 3 mai 2001, Portugal/Commission (C‑204/97, EU:C:2001:233, points 40 et 41).


55      Voir, en ce sens, arrêt Autriche/Commission, point 101.


56      T‑197/97 et T‑198/97, ci-après l’ « arrêt Weyl Beef Products e.a./Commission», EU:T:2001:28, point 78.


57      Voir, en ce sens, arrêt Weyl Beef Products e.a./Commission, point 77.


58      T‑57/11, EU:T:2014:1021, point 184.


59      Il est utile de rappeler que, selon une jurisprudence constante, si, lors de l’examen de l’existence et de la légalité d’une aide d’État, il peut être nécessaire que la Commission aille, le cas échéant, au-delà du seul examen des éléments de fait et de droit portés à sa connaissance, il ne lui incombe cependant pas de rechercher, de sa propre initiative et à défaut de tout indice en ce sens, toutes les informations qui pourraient présenter un lien avec l’affaire dont elle est saisie, quand bien même de telles informations se trouveraient dans le domaine public : voir arrêt du 5 septembre 2024, Slovénie/Commission (C‑447/22 P, EU:C:2024:678, point 56). Ces règles s’appliquent, à mon sens, également s’agissant de l’obligation de la Commission d’examiner, dans la procédure au titre de l’article 108 TFUE, l’éventuelle violation de dispositions du droit de l’Union autres que celles en matière d’aides.


60      En tout état de cause, contrairement à ce qu’affirme la République française, un défaut ou une insuffisance de motivation relève de la violation des formes substantielles, au sens de l’article 263 TFUE, et constitue un moyen d’ordre public qui doit être relevé d’office par le juge de l’Union : voir ordonnance du 9 mars 2017, Simet/Commission (C‑232/16 P EU:C:2017:200, point 80 et jurisprudence citée). Sur le précédent invoqué par cet État membre, à savoir l’arrêt du 5 juin 2003, O’Hannrachain/Parlement (C‑121/01 P, EU:C:2003:323, point 39), voir conclusions de l’avocat général Mengozzi dans l’affaire Prym et Prym Consumer/Commission (C‑534/07 P, EU:C:2009:277, points 34 et 35).


61      Voir arrêt du 4 octobre 2024, Aeris Invest/Commission et CRU (C‑535/22 P, EU:C:2024:819, point 114).


62      Voir arrêt du 10 septembre 2024, Commission/Irlande e.a. (C‑465/20 P, EU:C:2024:724).


63      Au considérant 285 de la décision litigieuse, la Commission affirme que, « [e]n tout état de cause, le respect, par la Hongrie, de la directive [2014/25] a été évalué dans le cadre d’une procédure distincte par la Commission, dans laquelle la conclusion préliminaire posée à partir des informations disponibles est que les procédures établies par [cette directive] seraient inapplicables à l’attribution des travaux de construction de deux réacteurs sur la base de son article 50, [sous] c) ».


64      Une telle règle tient compte de l’autonomie de la procédure d’infraction et de la procédure en matière d’aides d’État, et du fait que la Commission dispose d’un pouvoir décisionnel uniquement dans la seconde.


65      Voir arrêt du 10 septembre 2024, Commission/Irlande e.a. (C‑465/20 P, EU:C:2024:724).


66      J’observe que la présente affaire, dans laquelle il est question de l’appréciation par la Commission de la conformité au droit de l’Union d’une modalité de l’aide indissociable de son objet, se distingue de celle en cause dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 23 novembre 2023, Ryanair et Airport Marketing Services (C‑758/21 P, EU:C:2023:917), dans lequel, au point 97, la Cour a affirmé qu’une motivation implicite pouvait en l’espèce suffire, compte tenu, notamment, de ce que, dans la procédure au titre de l’article 108 TFUE, les parties intéressées autres que l’État membre concerné ne sauraient prétendre à un débat contradictoire avec la Commission. En effet, dans cette affaire, les requérantes étaient destinataires des mesures ayant interrompu le délai de prescription, qui, selon elles, avait été dépassé, de sorte qu’elles étaient capables, malgré la seule indication, dans la décision en cause dans ladite affaire, des dates auxquelles ces mesures avaient été adoptées, de comprendre les raisons pour lesquelles la Commission avait considéré que lesdites mesures étaient susceptibles d’interrompre ce délai (voir, notamment, point 93 de cet arrêt). De même, la présente affaire se distingue de celle ayant récemment donné lieu à l’arrêt du 23 janvier 2025, Neos/Ryanair et Commission (C‑490/23 P, EU:C:2025:32), dans laquelle, d’une part, il était question d’une décision prise à l’issue de la phase préliminaire d’examen visée à l’article 108, paragraphe 3, TFUE et, d’autre part, ainsi que constaté par la Cour, notamment aux points 58 et 59 de cet arrêt, l’arrêt du Tribunal sous pourvoi dans cette dernière affaire risquait d’imposer à la Commission une obligation générale de fournir une motivation spécifique pour chacun des dispositions et des principes du droit de l’Union susceptibles d’être méconnus par l’octroi d’une aide.


67      Voir arrêt du 11 mai 2023, Commission/Sopra Steria Benelux et Unisys Belgium (C‑101/22 P, EU:C:2023:396, point 88 ainsi que jurisprudence citée).


68      S’agissant des arguments visant à contester la charge de la preuve que le Tribunal aurait fait peser sur la République d’Autriche aux points 38 et 64 de l’arrêt attaqué, je renvoie à l’analyse des deuxième et quatrième moyens.


69      Voir point 42 de l’arrêt attaqué.


70      Je relève qu’il ressort de l’arrêt attaqué que la procédure en manquement a porté sur l’article 40, paragraphe 3, sous c), de la directive 2004/17/CE du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, portant coordination des procédures de passation des marchés dans les secteurs de l'eau, de l'énergie, des transports et des services postaux (JO 2004, L 134, p. 1), qui a précédé l’article 50, sous c), ii), de la directive 2014/25.


71      T‑356/15, EU:T:2018:439, point 250.


72      L’affirmation de la Commission selon laquelle c’est uniquement dans le cadre de sa réplique que la République d’Autriche aurait formulé un tel grief, qui serait dès lors irrecevable, se fonde, à mes yeux, sur une lecture incorrecte du pourvoi. À ce sujet, voir, également, jurisprudence citée à la note 60 des présentes conclusions.


73      Voir considérant 40 de la décision litigieuse.


74      S’agissant, premièrement, des arguments de la Commission, de la République tchèque et de la Hongrie visant à remettre en cause l’incidence du prix d’achat des nouveaux réacteurs sur l’examen de proportionnalité de l’aide en cause, je renvoie aux considérations déjà exposées aux points 85 et 88 des présentes conclusions. En ce qui concerne, deuxièmement, le renvoi effectué par la République tchèque et par la République de Pologne, dans leurs mémoires, ainsi que par la Commission, en réponse à une demande posée par la Cour lors de l’audience, à la section 5.1 de la décision litigieuse concernant l’application du principe de l’investisseur privé, c’est à bon droit que la République d’Autriche réplique que ces considérants visent à déterminer l’existence d’un avantage pour la société Paks II et non pas à apprécier si l’aide en cause était limitée au minimum nécessaire. Si, au considérant 337 de la décision litigieuse, la Commission a renvoyé à ladite section 5.1, c’est pour préciser que, en raison de l’existence de la défaillance du marché, elle avait estimé que l’intégralité du financement pour la construction des nouveaux réacteurs devait être considérée comme une aide d’État. Troisièmement, le renvoi fait par la Pologne au point 84 des lignes directrices concernant les aides d’État au climat, à la protection de l’environnement et à l’énergie pour la période 2014-2020 (JO 2014, C 200, p. 1) n’est pas non plus pertinent, la Commission ayant considéré, au considérant 55 de la décision litigieuse, que celles-ci n’étaient pas applicables à la mesure notifiée. S’agissant, enfin, de la référence, contenue notamment dans les observations écrites de la République tchèque et de la République de Pologne, à l’analyse, faite par la Commission aux considérants 338 à 342 de la décision litigieuse, concernent le risque de surcompensation du bénéficiaire, je relève que cette analyse diffère de celle qui porte sur la limitation de l’aide au minimum nécessaire pour assurer la viabilité du projet financé. Il en va de même de l’obligation de rémunération de l’investissement de l’État hongrois, attendue de l’exploitation de la centrale Paks II, mentionnée au considérant 343 de la décision litigieuse.


75      Le calcul de l’équivalent-subvention brut, qui permet de connaître le montant exacte d’une aide qui se présente sous une forme différente d’une subvention pure et simple, est nécessaire notamment lorsqu’il s’agit d’apprécier le respect de plafonnements tels que, par exemple, ceux qui ressortent de l’application de la règle de minimis : voir, à cet égard, règlement (UE) 2023/2831 de la Commission, du 13 décembre 2023, relatif à l’application des articles 107 et 108 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne aux aides de minimis (JO L, 2023/2831).


76      Dans le sens de l’inexistence d’une telle obligation, voir arrêt du 12 juillet 2018, Autriche/Commission (T‑356/15, EU:T:2018:439, point 250), mentionné au point 184 de l’arrêt attaqué. Je relève, cependant, que, contrairement à ce que semble faire valoir la Hongrie, la Cour ne s’est pas prononcée au fond sur cette question dans son arrêt Autriche/Commission (voir points 129 et 130 de cet arrêt).


77      Règlement de la Commission du 21 avril 2004 concernant la mise en œuvre du règlement (UE) 2015/1589 du Conseil portant modalités d’application de l’article 108 TFUE (JO 2004, L 140, p. 1).


78      Considérant 28 et note 16 de la décision litigieuse.


79      Voir point 190 de l’arrêt attaqué.