Affaire C‑386/23
Novel Nutriology GmbH
contre
Verband Sozialer Wettbewerb eV
(demande de décision préjudicielle, introduite par le Bundesgerichtshof)
Arrêt de la Cour (cinquième chambre) du 30 avril 2025
« Renvoi préjudiciel – Protection des consommateurs – Règlement (CE) no 1924/2006 – Allégations nutritionnelles et de santé portant sur les denrées alimentaires – Article 10, paragraphes 1 et 3 – Conditions spécifiques applicables aux allégations de santé – Articles 13 et 14 – Listes des allégations de santé autorisées – Article 28, paragraphes 5 et 6 – Mesures transitoires – Publicité faisant la promotion d’un complément alimentaire en ayant recours à des allégations de santé relatives à des substances botaniques entrant dans la composition de ce complément – Allégations de santé dont l’évaluation a été suspendue par la Commission européenne – Applicabilité du règlement no 1924/2006 »
Rapprochement des législations – Allégations nutritionnelles et de santé portant sur les denrées alimentaires – Règlement no 1924/2006 – Allégations de santé autres que celles faisant référence à la réduction du risque de maladie ainsi qu’au développement et à la santé infantiles – Conditions spécifiques – Mesures transitoires – Publicité faisant la promotion d’un complément alimentaire par le recours à des allégations de santé relatives à des substances botaniques entrant dans la composition de ce complément – Évaluation de ces allégations de santé suspendue par la Commission européenne – Inadmissibilité – Exception – Recours à ces allégations autorisé en vertu du régime transitoire prévu par ce règlement
[Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, art. 16 et 20 ; règlement no 1924/2006 du Parlement européen et du Conseil, art. 10, § 1 et 3, 13, 14 et 28, § 5 et 6]
(voir points 46-68, 71-83 et disp.)
Résumé
Saisie par le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice, Allemagne), la Cour se prononce sur l’applicabilité du règlement no 1924/2006 (1) et, notamment, de son article 10 aux allégations de santé relatives à des substances botaniques (2) dont l’examen aux fins d’une éventuelle inscription sur les listes des allégations autorisées par ce règlement (3) n’avait pas encore été achevé par la Commission européenne.
Novel Nutriology commercialise un complément alimentaire dont elle a fait la publicité sur son site Internet. À cet effet, elle a recouru à des allégations de santé relatives à l’« extrait de safran » et à l’« extrait de jus de melon », qui entrent dans la composition de ce complément alimentaire. En l’occurrence, il était allégué que l’extrait de safran améliorait l’humeur et que l’extrait de jus de melon diminuait les sentiments de stress et de fatigue.
Estimant que ces allégations sont prohibées par l’article 10 du règlement no 1924/2006, VSW, une association professionnelle défendant les intérêts commerciaux de ses membres, a introduit un recours visant à faire interdire à Novel Nutriology la promotion du complément alimentaire en cause au moyen des allégations de santé précitées. À la suite de l’accueil de ce recours par la juridiction de première instance, Novel Nutriology a interjeté appel. Ce dernier ayant été rejeté, Novel Nutriology a saisi la juridiction de renvoi d’un pourvoi en Revision.
La juridiction de renvoi se demande si l’article 10, paragraphes 1 et 3, du règlement no 1924/2006 est applicable aux allégations de santé relatives à des substances botaniques, étant donné que ni l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) ni la Commission n’ont achevé l’examen de ces allégations aux fins de leur éventuelle inscription sur les listes des allégations de santé autorisées. La juridiction de renvoi relève que les juridictions allemandes sont divisées quant à l’applicabilité de l’article 10, paragraphe 3, du règlement no 1924/2006 aux allégations relatives à des substances botaniques. Toutefois, selon une interprétation majoritaire, cette disposition serait applicable aux substances botaniques uniquement lorsqu’une référence aux effets bénéfiques généraux d’une telle substance est accompagnée d’une allégation de santé spécifique pouvant être utilisée dans les conditions prévues par les dispositions relatives aux mesures transitoires de ce règlement (4).
Appréciation de la Cour
En premier lieu, la Cour souligne que l’article 10, paragraphe 1, du règlement no 1924/2006 énonce une interdiction de principe des allégations de santé, à l’exception de celles figurant sur les listes des allégations autorisées. Elle précise également que l’article 10 du règlement no 1924/2006 opère une distinction entre deux catégories d’allégations de santé, à savoir, d’une part, l’allégation de santé spécifique (5) et, d’autre part, l’allégation de santé « générale » (6) constituant une référence à des effets bénéfiques généraux sur l’état de santé général. Ainsi, le recours à une allégation de santé spécifique n’est permis que si cette dernière figure sur les listes des allégations de santé autorisées, tandis que toute allégation de santé générale doit être accompagnée d’une telle allégation spécifique.
En deuxième lieu, la Cour indique que l’inscription des allégations de santé spécifiques sur les listes des allégations autorisées est soumise à différentes procédures d’autorisation visant, notamment, à garantir que celles-ci sont scientifiquement justifiées. En ce qui concerne, en particulier, les allégations de santé décrivant ou mentionnant des fonctions psychologiques ou comportementales, comme celles en cause au principal, la Cour précise que le recours à de telles allégations est permis par le règlement no 1924/2006 (7) pour autant que celles-ci reposent sur des preuves scientifiques généralement admises et qu’elles soient bien comprises par le consommateur moyen. Partant, l’exigence tenant à ce que ces allégations figurent sur la liste visée à l’article 13 du règlement no 1924/2006 est justifiée par la nécessité de garantir le caractère scientifiquement fondé et la bonne compréhension de telles allégations de santé formulées dans les communications à caractère commercial relatives aux denrées alimentaires.
En troisième lieu, la Cour constate que, selon l’article 13 du règlement no 1924/2006 (8), la Commission était tenue de consulter l’EFSA en vue d’adopter, au plus tard le 31 janvier 2010, la liste des allégations de santé autorisées visée par cet article. Toutefois, l’évaluation des allégations de santé relatives aux substances botaniques a été suspendue et la liste portant sur de telles allégations n’a pas encore été établie. Selon le règlement no 536/2013 (9), les allégations de santé dont l’examen n’est pas terminé pourront continuer à être utilisées, en application des mesures transitoires prévues par l’article 28 du règlement no 1924/2006 (10). Relèvent de cette disposition les allégations de santé qui décrivent ou mentionnent les fonctions psychologiques ou comportementales à condition qu’elles aient été utilisées conformément aux dispositions nationales applicables avant la date d’entrée en vigueur dudit règlement. Lorsque de telles allégations n’ont pas fait l’objet d’une évaluation ni d’une autorisation dans un État membre, elles peuvent continuer à être utilisées pourvu qu’une demande ait été introduite conformément à ce règlement avant le 19 janvier 2008. En l’occurrence, l’une des deux allégations en cause a fait l’objet d’une demande tardive, tandis qu’aucune demande n’a été introduite pour l’autre allégation. Dans ce contexte, le recours aux allégations en cause au principal ne saurait être autorisé en vertu du régime transitoire prévu à l’article 28 du règlement no 1924/2006. En effet, dans la mesure où le recours à ces allégations ne pourrait avoir lieu qu’au titre de l’article 10 de ce règlement, celui-ci ne saurait être autorisé aussi longtemps que la Commission n’a pasparachevé l’examen de celles-ci. Cette interprétation est corroborée par les finalités du règlement no 1924/2006. Ce dernier vise à garantir le fonctionnement efficace du marché intérieur tout en assurant un niveau élevé de protection du consommateur (11), notamment contre des allégations trompeuses, ainsi que la protection de la santé. Au vu de ce qui précède, la Cour estime que l’article 10, paragraphes 1 et 3, du règlement no 1924/2006 s’oppose à ce qu’un exploitant du secteur alimentaire recoure à des allégations de santé relatives à des substances botaniques aussi longtemps que la Commission n’a pas parachevé l’examen de telles allégations aux fins de leur inscription sur les listes des allégations de santé autorisées. Il en irait toutefois autrement si le recours à de telles allégations était autorisé en vertu des mesures transitoires prévues par ce règlement.
Cette conclusion n’est remise en cause ni par le principe de la liberté d’entreprise (12) ni par celui d’égalité de traitement.
S’agissant du principe de la liberté d’entreprise, la Cour considère que l’interdiction de faire la promotion de denrées alimentaires contenant des substances botaniques au moyen d’allégations de santé qui décrivent ou mentionnent des fonctions psychologiques ou comportementales, qui n’ont pas été préalablement évaluées et autorisées conformément au règlement no 1924/2006, et qui ne sont pas non plus autorisées en vertu des mesures transitoires prévues par ce dernier, permet d’assurer un juste équilibre entre ce principe et l’objectif de protection de la santé humaine, sans porter une atteinte démesurée au droit légitime des opérateurs économiques du secteur alimentaire à exercer leur activité entrepreneuriale.
Pour parvenir à cette conclusion, la Cour expose, d’une part, que l’application de l’article 10, paragraphes 1 et 3, du règlement no 1924/2006 aux allégations de santé relatives aux substances botaniques qui décrivent ou mentionnent les fonctions psychologiques ou comportementales ne porte pas atteinte à la substance même de ce principe. À cet égard, elle relève, premièrement, que l’exigence tenant à ce que ces allégations de santé spécifiques aient été préalablement autorisées et qu’elles figurent sur les listes des allégations autorisées visées par le règlement no 1924/2006 ne prive pas les exploitants du secteur alimentaire commercialisant des denrées alimentaires contenant des substances botaniques de toute possibilité de mettre sur le marché de telles denrées alimentaires. En effet, cette exigence vise uniquement l’interdiction d’en faire la promotion au moyen d’allégations de santé qui n’ont pas été préalablement évaluées et autorisées conformément à ce règlement. Deuxièmement, le régime transitoire prévu par l’article 28 du règlement no 1924/2006 accorde aux exploitants du secteur alimentaire la possibilité de recourir à de telles allégations, sous réserve du respect des conditions prévues à cette disposition.
D’autre part, la Cour souligne que l’interdiction de faire la promotion de denrées alimentaires contenant des substances botaniques au moyen d’allégations de santé qui n’ont pas été préalablement évaluées et autorisées conformément au règlement no 1924/2006 répond, notamment, à l’objectif de protection de la santé humaine et que cet objectif revêt une importance prépondérante par rapport aux intérêts d’ordre économique.
S’agissant du principe d’égalité de traitement (13), la Cour souligne que, compte tenu de l’objectif visant à atteindre un niveau élevé de protection des consommateurs et de la santé humaine auquel le règlement no 1924/2006 participe, la comparaison des exploitants du secteur alimentaire désireux de recourir à des allégations de santé afin de promouvoir les denrées alimentaires qu’ils commercialisent doit être établie au regard du caractère scientifiquement fondé de telles allégations. Partant, tous les exploitants du secteur alimentaire doivent respecter les dispositions contenues à l’article 10, paragraphes 1 et 3, de ce règlement.
Au regard de ce qui précède, la Cour conclut que l’article 10, paragraphes 1 et 3, du règlement no 1924/2006 s’oppose à ce que, dans le cadre de la publicité commerciale faite pour un complément alimentaire composé de substances botaniques, il soit autorisé, aussi longtemps que la Commission n’a pas parachevé l’examen des allégations de santé relatives aux substances botaniques aux fins de leur inscription sur les listes des allégations de santé autorisées, de recourir à des allégations de santé spécifiques relatives à de telles substances et décrivant ou mentionnant des fonctions psychologiques ou comportementales. Il en va de même pour les références aux effets bénéfiques généraux non spécifiques d’une telle substance sur l’état de santé général et le bien-être lié à la santé, si cette référence n’est pas accompagnée d’une allégation de santé spécifique figurant sur lesdites listes. Le recours à des allégations de santé spécifiques relatives à des substances botaniques est toutefois possible s’il est autorisé en vertu de l’article 28, paragraphe 6, dudit règlement.