ORDONNANCE DE LA COUR (sixième chambre)

5 mai 2025 (*)

« Renvoi préjudiciel – Article 53, paragraphe 2, et article 94 du règlement de procédure de la Cour – Aides d’État – Exonération fiscale pour les prestations effectuées entre des entreprises réalisant principalement des opérations dans le secteur des banques, assurances ou caisses de retraite – Exigence de présentation du contexte factuel du litige au principal – Absence de précisions suffisantes – Objet du litige – Exigence de nécessité des questions – Irrecevabilité manifeste »

Dans l’affaire C‑460/24 [Schoger] (i),

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Bundesfinanzgericht (tribunal fédéral des finances, Autriche), par décision du 28 juin 2024, parvenue à la Cour le 28 juin 2024, dans la procédure

***X***

contre

Finanzamt für Großbetriebe,

LA COUR (sixième chambre),

composée de M. A. Kumin, président de chambre, Mme I. Ziemele et M. S. Gervasoni (rapporteur), juges,

avocat général : M. A. Biondi,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

–        pour ***X***, par M. P. Haunold, Steuerberater,

–        pour le gouvernement autrichien, par MM. A. Posch et F. Koppensteiner, en qualité d’agents,

–        pour la Commission européenne, par M. M. Farley et Mme L. Wildpanner, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de statuer par voie d’ordonnance motivée, conformément à l’article 53, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour,

rend la présente

Ordonnance

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 107 TFUE.

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant ***X***, une banque autrichienne, au Finanzamt für Großbetriebe (administration fiscale pour les grandes entreprises, Autriche) (ci-après l’« administration fiscale ») au sujet des avis d’imposition à la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) reçus par ***X*** pour les années 2013 à 2017 (ci-après les « avis d’imposition »).

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

3        L’article 107, paragraphe 1, TFUE prévoit :

« Sauf dérogations prévues par les traités, sont incompatibles avec le marché intérieur, dans la mesure où elles affectent les échanges entre États membres, les aides accordées par les États ou au moyen de ressources d’État sous quelque forme que ce soit qui faussent ou menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions. »

4        L’article 94 du règlement de procédure de la Cour dispose :

« Outre le texte des questions posées à la Cour à titre préjudiciel, la demande de décision préjudicielle contient :

a)      un exposé sommaire de l’objet du litige ainsi que des faits pertinents, tels qu’ils ont été constatés par la juridiction de renvoi ou, à tout le moins, un exposé des données factuelles sur lesquelles les questions sont fondées ;

b)      la teneur des dispositions nationales susceptibles de s’appliquer en l’espèce et, le cas échéant, la jurisprudence nationale pertinente ;

c)      l’exposé des raisons qui ont conduit la juridiction de renvoi à s’interroger sur l’interprétation ou la validité de certaines dispositions du droit de l’Union, ainsi que le lien qu’elle établit entre ces dispositions et la législation nationale applicable au litige au principal. »

 Le droit autrichien

5        L’Umsatzsteuergesetz (loi relative à la taxe sur le chiffre d’affaires), du 23 août 1994 (BGBl. 663/1994), dans sa version applicable au litige au principal (ci-après l’« UStG 1994 »), a transposé en droit autrichien la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO 2006, L 347, p. 1).

6        Aux termes de l’article 6, paragraphe 1, point 28, de l’UStG 1994 :

« Parmi les opérations relevant de l’article 1er, paragraphe 1, point 1, sont exonérées [de la TVA] :

[...]

28.      les autres prestations que des groupements d’entreprises effectuant principalement des opérations afférentes au secteur des banques, assurances ou caisses de retraite fournissent à leurs membres, pour autant que ces prestations soient directement utilisées pour la réalisation de ces opérations exonérées et que ces groupements se bornent à réclamer à leurs membres le remboursement exact de la part leur incombant dans les dépenses engagées en commun. Cela vaut également pour les autres prestations fournies entre des entreprises effectuant principalement des opérations afférentes au secteur des banques, assurances ou caisses de retraite, pour autant que ces prestations soient directement utilisées pour la réalisation de ces opérations exonérées, ainsi que pour la mise à disposition du personnel de ces entreprises aux groupements visés à la première phrase. »

 Le litige au principal et la question préjudicielle

7        Dans la partie introductive de la demande de décision préjudicielle, le Bundesfinanzgericht (tribunal fédéral des finances, Autriche), qui est la juridiction de renvoi, évoque un « recours formé par ***X*** [...] le 20 décembre 2021 [...] contre les décisions adoptées le 6 décembre 2021 par l[’administration fiscale], ayant pour objet la TVA pour la période comprise entre 2013 et 2017 ».

8        Ensuite, aux points 1 et 2 de cette demande, qui sont les seuls consacrés à la description des faits du litige au principal, la juridiction de renvoi indique :

« 1.      La partie requérante devant le Bundesfinanzgericht (tribunal fédéral des finances) [***X***] est une banque autrichienne. ***X*** est en outre la société mère d’une unité fiscale autrichienne en matière de TVA (groupement TVA).

2.      ***X*** a appliqué, selon ses propres déclarations, sans que cela ait été contesté, au cours de la période litigieuse comprise entre 2013 et 2017, l’exonération relative aux prestations fournies entre entreprises effectuant principalement des opérations afférentes au secteur des banques, assurances ou caisses de retraite [ci-après l’“exonération”], prévue à l’article 6, paragraphe 1, point 28, dernière phrase, de l’UStG 1994 [...] »

9        Par ailleurs, dans une partie consacrée à la recevabilité de sa demande de décision préjudicielle, la juridiction de renvoi indique qu’« [i]l ne s’agit pas d’un problème de nature hypothétique, car il est constant en l’espèce que ***X*** a appliqué l’exonération ».

10      Enfin, après avoir rappelé les termes de l’exonération et avoir souligné que, selon la doctrine majoritaire en Autriche, cette exonération « manqu[ait] de base légale en droit de l’Union », la juridiction de renvoi estime ne pas être en mesure de se conformer à la directive 2006/112, dès lors qu’il ne lui serait pas possible de procéder à une application directe de cette directive contre la volonté de l’assujetti ou à une interprétation du droit national conforme à ladite directive, laquelle interprétation serait contra legem. Elle en déduit qu’il est nécessaire d’interroger la Cour sur la conformité de l’exonération aux dispositions du traité relatives aux aides d’État.

11      C’est ainsi que le Bundesfinanzgericht (tribunal fédéral des finances) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« La Cour de justice de l’Union européenne est saisie à titre préjudiciel, conformément à l’article 267 TFUE, de la question de savoir si l’exonération de TVA suivante constitue une aide d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE :

Sont exonérées les autres prestations fournies entre des entreprises effectuant principalement des opérations afférentes au secteur des banques, assurances ou caisses de retraite, pour autant que ces prestations soient directement utilisées pour la réalisation de ces opérations exonérées, ainsi que pour la mise à disposition du personnel de ces entreprises aux groupements visés à la première phrase. »

 Sur la recevabilité de la demande de décision préjudicielle

12      En vertu de l’article 53, paragraphe 2, du règlement de procédure, lorsqu’une demande de décision préjudicielle est manifestement irrecevable, la Cour, l’avocat général entendu, peut à tout moment décider de statuer par voie d’ordonnance motivée, sans poursuivre la procédure.

13      Il y a lieu de faire application de cette disposition dans la présente affaire.

14      Selon une jurisprudence constante de la Cour, la procédure instituée à l’article 267 TFUE est un instrument de coopération entre la Cour et les juridictions nationales, grâce auquel la première fournit aux secondes les éléments d’interprétation du droit de l’Union qui leur sont nécessaires pour la solution des litiges qu’elles sont appelées à trancher. La justification du renvoi préjudiciel est non pas la formulation d’opinions consultatives sur des questions générales ou hypothétiques, mais le besoin inhérent à la solution effective d’un litige (arrêts du 16 décembre 1981, Foglia, 244/80, EU:C:1981:302, point 18, et du 26 mars 2020, Miasto Łowicz et Prokurator Generalny, C‑558/18 et C‑563/18, EU:C:2020:234, point 44 ainsi que jurisprudence citée).

15      Dans le cadre d’une procédure préjudicielle, il doit ainsi exister entre ce litige et les dispositions du droit de l’Union dont l’interprétation est sollicitée un lien de rattachement tel que cette interprétation réponde à un besoin objectif pour la décision que la juridiction de renvoi doit prendre (arrêt du 26 mars 2020, Miasto Łowicz et Prokurator Generalny, C‑558/18 et C‑563/18, EU:C:2020:234, point 48 ainsi que jurisprudence citée).

16      Dès lors que la décision de renvoi sert de fondement à cette procédure, la juridiction nationale est tenue d’expliciter, dans la décision de renvoi elle-même, le cadre factuel et réglementaire du litige au principal et de fournir les explications nécessaires sur les raisons du choix des dispositions du droit de l’Union dont elle demande l’interprétation ainsi que sur le lien qu’elle établit entre ces dispositions et la législation nationale applicable au litige qui lui est soumis [voir, en ce sens, arrêts du 26 mai 2016, NN (L) International, C‑48/15, EU:C:2016:356, point 22, et du 4 juin 2020, C. F. (Contrôle fiscal), C‑430/19, EU:C:2020:429, point 23 et jurisprudence citée].

17      À cet égard, il importe de souligner également que les informations contenues dans les décisions de renvoi doivent permettre, d’une part, à la Cour d’apporter des réponses utiles aux questions posées par la juridiction nationale et, d’autre part, aux gouvernements des États membres ainsi qu’aux autres intéressés d’exercer le droit qui leur est conféré par l’article 23 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne de présenter des observations. Il incombe à la Cour de veiller à ce que ce droit soit sauvegardé, compte tenu du fait que, en vertu de cette disposition, seules les décisions de renvoi sont notifiées aux intéressés (voir, en ce sens, arrêt du 2 septembre 2021, Irish Ferries, C‑570/19, EU:C:2021:664, point 134 et jurisprudence citée).

18      Ces exigences cumulatives concernant le contenu d’une décision de renvoi figurent de manière explicite à l’article 94 du règlement de procédure, dont la juridiction de renvoi est censée, dans le cadre de la coopération instaurée à l’article 267 TFUE, avoir connaissance et qu’elle est tenue de respecter scrupuleusement (ordonnance du 3 juillet 2014, Talasca, C‑19/14, EU:C:2014:2049, point 21, ainsi que arrêt du 9 septembre 2021, Toplofikatsia Sofia e.a., C‑208/20 et C‑256/20, EU:C:2021:719, point 20 ainsi que jurisprudence citée). Elles sont, en outre, rappelées aux points 13, 15 et 16 des recommandations de la Cour de justice de l’Union européenne à l’attention des juridictions nationales, relatives à l’introduction de procédures préjudicielles (JO C, C/2024/6008), libellés, en substance, en des termes identiques à ceux des points 13, 15 et 16 des recommandations publiées en 2019 (JO 2019, C 380, p. 1).

19      En l’occurrence, la décision de renvoi ne répond manifestement pas aux exigences posées à l’article 94, sous a) et c), du règlement de procédure.

20      En effet, l’exposé de l’objet et des faits pertinents du litige au principal est trop succinct et lacunaire pour permettre à la Cour d’exercer son office préjudiciel.

21      En particulier, aucune information n’est donnée quant au contenu des avis d’imposition, émis le 6 décembre 2021, et du recours introduit par ***X*** le 20 décembre 2021 contre ces avis devant la juridiction de renvoi, de sorte qu’il n’est pas possible de comprendre avec suffisamment de clarté quel est l’objet du litige pendant devant cette juridiction.

22      Dans ces conditions, le seuil minimal constitué par l’« exposé sommaire de l’objet du litige ainsi que des faits pertinents, tels qu’ils ont été constatés par la juridiction de renvoi ou, à tout le moins, un exposé des données factuelles sur lesquelles les questions sont fondées », exigé par l’article 94, sous a), du règlement de procédure, n’est pas atteint en l’occurrence. Il en est d’autant plus ainsi que l’exigence de précision, notamment à l’égard du contexte factuel et réglementaire de l’affaire au principal, vaut tout particulièrement dans le domaine de la concurrence et notamment des aides d’État, qui est caractérisé par des situations de fait et de droit complexes (arrêt du 18 juillet 2013, Sky Italia, C‑234/12, EU:C:2013:496, point 31 et jurisprudence citée).

23      Il s’ensuit que l’existence d’un lien entre la question relative à l’exonération et l’objet du litige au principal, exigé par l’article 94, sous c), du règlement de procédure, ne ressort pas non plus de la décision de renvoi et que, ce faisant, il n’apparaît pas en quoi la question posée est nécessaire à la juridiction de renvoi pour statuer sur ce litige.

24      Certes, la juridiction de renvoi indique que l’application de l’exonération par ***X*** est constante entre les parties à l’affaire au principal.

25      Cependant, pour considérer qu’il existe un lien de rattachement entre le litige concret pendant devant la juridiction de renvoi et les dispositions du droit de l’Union dont l’interprétation est sollicitée, la décision de renvoi doit faire ressortir les éléments concrets, à savoir des indices non pas hypothétiques, mais certains, permettant d’établir, de manière positive, l’existence de celui-ci, la juridiction de renvoi ne pouvant pas se contenter de soumettre à la Cour des éléments qui pourraient permettre de ne pas exclure l’existence d’un tel lien ou qui, considérés de manière abstraite, pourraient constituer des indices en ce sens, mais devant, au contraire, fournir des éléments objectifs et concordants permettant à la Cour de vérifier l’existence de ce lien (arrêts du 2 mars 2023, Bursa Română de Mărfuri, C‑394/21, EU:C:2023:146, point 52 et jurisprudence citée, ainsi que du 22 février 2024, Ente Cambiano società cooperativa per azioni, C‑660/22, EU:C:2024:152, point 28).

26      Précisément, en l’occurrence, de tels éléments objectifs et concordants permettant de vérifier l’existence d’un lien entre le litige concret pendant devant la juridiction de renvoi et les dispositions du droit de l’Union dont l’interprétation est demandée font défaut, dès lors qu’il ne ressort aucunement de la décision de renvoi que le litige au principal, relatif à l’imposition de la TVA, porte sur l’application de l’exonération. Le gouvernement autrichien, dont relève l’administration fiscale, affirme d’ailleurs dans ses observations que les prestations concernées par l’exonération ne font pas l’objet du litige au principal.

27      À cet égard, est dépourvue de pertinence l’explication fournie par la juridiction de renvoi pour justifier la nécessité d’interroger la Cour. En effet, en faisant état de ses doutes sur la légalité de l’exonération au regard de la directive 2006/112 et en justifiant sa question relative à la compatibilité de cette exonération avec les règles du traité régissant les aides d’État par l’impossibilité de se fonder sur la directive 2006/112 pour écarter l’application de l’exonération, la juridiction de renvoi confirme seulement cette application, mais non que ladite application serait contestée. Elle n’indique pas davantage les raisons pour lesquelles l’ensemble des éléments des avis d’imposition qui lui ont été soumis dans le litige au principal, indépendamment d’éventuelles contestations, devrait faire l’objet d’un examen d’office de sa part au regard du droit des aides d’État.

28      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, la présente demande de décision préjudicielle est, en application de l’article 53, paragraphe 2, du règlement de procédure, manifestement irrecevable.

29      Il convient cependant de rappeler que la juridiction de renvoi conserve la faculté de soumettre une nouvelle demande de décision préjudicielle en fournissant à la Cour l’ensemble des éléments permettant à celle-ci de statuer (voir, en ce sens, arrêt du 11 septembre 2019, Călin, C‑676/17, EU:C:2019:700, point 41 et jurisprudence citée).

 Sur les dépens

30      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (sixième chambre) déclare :

La demande de décision préjudicielle introduite par le Bundesfinanzgericht (tribunal fédéral des finances, Autriche), par décision du 28 juin 2024, est manifestement irrecevable.

Signatures


*      Langue de procédure : l’allemand.


i      Le nom de la présente affaire est un nom fictif. Il ne correspond au nom réel d’aucune partie à la procédure.