DOCUMENT DE TRAVAIL
ARRÊT DU TRIBUNAL (septième chambre)
18 juin 2025 (*)
« Union économique et monétaire – Union bancaire – Mécanisme de résolution unique des établissements de crédit et de certaines entreprises d’investissement (MRU) – Procédure de résolution applicable en cas de défaillance avérée ou prévisible d’une entité – Décision du CRU de ne pas adopter de dispositif de résolution – Recours en annulation – Intérêt à agir – Recevabilité – Article 18 du règlement (UE) no 806/2014 – Compétence de l’auteur de l’acte – Droit d’être entendu – Obligation de motivation »
Dans l’affaire T‑450/22,
MeSoFa Vermögensverwaltungs AG, anciennement Sber Vermögensverwaltungs AG, initialement Sberbank Europe AG, établie à Vienne (Autriche), représentée par Mes M. Fellner et P. Blaschke, avocats,
partie requérante,
contre
Conseil de résolution unique (CRU), représenté par Mme H. Ehlers, MM. L. Forestier et J. Rius Riu, en qualité d’agents, assistés de Mes B. Meyring et S. Ianc, avocats,
partie défenderesse,
soutenu par
Banque centrale européenne (BCE), représentée par M. A. Lefterov, Mmes G. Marafioti et E. Yoo, en qualité d’agents,
partie intervenante,
LE TRIBUNAL (septième chambre),
composé de Mme K. Kowalik‑Bańczyk, présidente, MM. E. Buttigieg (rapporteur) et G. Hesse, juges,
greffier : Mme S. Spyropoulos, administratrice,
vu la phase écrite de la procédure,
à la suite de l’audience du 28 novembre 2024,
rend le présent
Arrêt
1 Par son recours fondé sur l’article 263 TFUE, la requérante, MeSoFa Vermögensverwaltungs AG, anciennement Sber Vermögensverwaltungs AG, initialement Sberbank Europe AG, demande l’annulation de la décision SRB/EES/2022/19 du Conseil de résolution unique (CRU), du 1er mars 2022, relative à l’évaluation des conditions de déclenchement d’une procédure de résolution concernant Sberbank Europe (ci-après la « décision attaquée »).
Antécédents du litige et faits postérieurs à l’introduction du recours
2 Avant le retrait de son agrément le 15 décembre 2022, la requérante constituait un établissement de crédit établi en Autriche. Elle disposait de filiales établies dans des États membres de l’Union européenne et dans des États tiers, notamment Sberbank d.d. établie en Croatie (ci-après « Sberbank Croatie ») et Sberbank banka d.d. établie en Slovénie (ci-après « Sberbank Slovénie »), et formait avec elles un groupe (ci-après le « groupe Sberbank Europe »). Sberbank Europe était détenue à 100 % par Sberbank of Russia, une banque étatique basée en Russie.
3 Sberbank Europe et ses filiales croate et slovène étaient considérées comme étant des établissements « importants » au sens de l’article 7, paragraphe 2, sous a), du règlement (UE) no 806/2014 du Parlement européen et du Conseil, du 15 juillet 2014, établissant des règles et une procédure uniformes pour la résolution des établissements de crédit et de certaines entreprises d’investissement dans le cadre d’un mécanisme de résolution unique et d’un Fonds de résolution bancaire unique, et modifiant le règlement (UE) n° 1093/2010 (JO 2014, L 225, p. 1), et relevaient donc directement de la compétence de la Banque centrale européenne (BCE) et du CRU concernant, respectivement, la surveillance prudentielle et la résolution.
4 À la suite de l’invasion de l’Ukraine par la Russie le 24 février 2022 et de l’imposition de sanctions envers cet État par l’Union et les États-Unis d’Amérique, la situation de liquidité de Sberbank Europe et de ses filiales croate et slovène s’est détériorée, en raison, notamment, d’une vague de retraits importants des dépôts qu’elles détenaient.
5 Par courriel en date du 26 février 2022, parvenu à ses destinataires le matin du 27 février 2022, Sberbank Europe a informé la BCE et la Finanzmarktaufsicht (FMA, Autorité de surveillance des marchés, Autriche), en mettant en copie le CRU, qu’en raison d’importantes sorties de dépôts, lesquelles avaient une incidence grave sur ses réserves de liquidité, on pouvait raisonnablement s’attendre à ce qu’elle soit probablement dans l’incapacité de s’acquitter de ses dettes et de ses engagements dont l’échéance était proche, étant donné qu’aucune mesure n’était disponible pour améliorer la situation de liquidité ou ralentir lesdites sorties de dépôts.
6 Le 27 février 2022, dans l’après-midi, la BCE a communiqué au CRU son évaluation relative à la situation de défaillance avérée ou prévisible (ci-après la « situation FOLTF ») de Sberbank Europe, conformément à l’article 18, paragraphe 1, troisième alinéa, du règlement no 806/2014. La BCE a constaté que Sberbank Europe ne serait probablement pas en mesure, dans un avenir proche, de s’acquitter de ses dettes ou autres engagements à l’échéance et a, dès lors, conclu que la défaillance de cet établissement de crédit était réputée avérée ou prévisible conformément à l’article 18, paragraphe 4, sous c), du règlement no 806/2014.
7 Le 27 février 2022, le CRU a finalisé la valorisation provisoire de Sberbank Europe, visant à fournir les éléments permettant de déterminer, notamment, si les conditions de déclenchement d’une procédure de résolution étaient réunies, conformément à l’article 20, paragraphe 5, sous a), du règlement n° 806/2014. Dans cette valorisation, le CRU souscrivait à l’évaluation de la BCE relative à la défaillance avérée ou prévisible de Sberbank Europe.
8 Le même jour, en début de soirée, le CRU a ordonné la suspension des obligations de paiement et de livraison de Sberbank Europe conformément à l’article 33 bis de la directive 2014/59/UE du Parlement européen et du Conseil, du 15 mai 2014, établissant un cadre pour le redressement et la résolution des établissements de crédit et des entreprises d’investissement et modifiant la directive 82/891/CEE du Conseil ainsi que les directives du Parlement européen et du Conseil 2001/24/CE, 2002/47/CE, 2004/25/CE, 2005/56/CE, 2007/36/CE, 2011/35/UE, 2012/30/UE et 2013/36/UE et les règlements du Parlement européen et du Conseil (UE) no 1093/2010 et (UE) no 648/2012 (JO 2014, L 173, p. 190) (ci-après le « moratoire »), et a chargé la FMA, en sa qualité d’autorité de résolution nationale (ci-après l’« ARN »), de mettre en œuvre cette décision conformément au droit national. Par la suite, le même jour, la FMA a notifié à Sberbank Europe une décision d’exécution établissant ce moratoire. La décision de la FMA a pris effet du 28 février 2022 à 00 h 01 au 1er mars 2022 à 23 h 59 (heure d’Europe centrale). Le 28 février 2022 à 00 h 01, le CRU a publié sur son site Internet un avis de suspension conformément à l’article 33 bis, paragraphe 8, de la directive 2014/59.
9 Le 1er mars 2022, le CRU a adopté la décision attaquée, par laquelle il a décidé de ne pas adopter de dispositif de résolution à l’égard de Sberbank Europe, étant donné qu’une mesure de résolution n’était pas nécessaire dans l’intérêt public, au sens de l’article 18, paragraphe 1, premier alinéa, sous c), du règlement no 806/2014.
10 L’article 1er de la décision attaquée prévoit que Sberbank Europe ne sera pas soumise à une procédure de résolution.
11 L’article 2 la décision attaquée indique que la FMA, en sa qualité d’ARN, est destinataire de cette décision.
12 Le même jour, le CRU a également adopté, d’une part, la décision SRB/EES/2022/20, qui prévoit l’adoption d’un dispositif de résolution à l’égard de Sberbank Slovénie et, d’autre part, la décision SRB/EES/2022/21, qui prévoit l’adoption d’un dispositif de résolution à l’égard de Sberbank Croatie. Les dispositifs de résolution adoptés à l’égard de ces deux établissements de crédit prévoient, notamment, le transfert de leurs actions à des établissements de crédit tiers.
13 À la même date, le CRU a publié un communiqué de presse ainsi qu’un résumé de la décision attaquée sur son site Internet.
14 Également le même jour, la FMA, agissant sur instruction de la BCE et conformément au Bundesgesetz über das Bankwesen (Bankwesengesetz) (loi fédérale sur le secteur bancaire), du 30 juillet 1993 (BGBl. 532/1993), a nommé un commissaire du gouvernement pour Sberbank Europe et lui a interdit la poursuite de toute activité commerciale, avec effet immédiat.
15 Le 6 mai 2022, le CRU a consulté Sberbank Europe sur le contenu d’une version non confidentielle de la décision attaquée destinée à la publication. Le 19 mai 2022, Sberbank Europe a fait part de ses observations.
16 Le 10 juin 2022, le CRU a publié une version non confidentielle de la décision attaquée sur son site Internet.
17 Le 15 juin 2022, une synthèse de la décision attaquée a été publiée au Journal officiel (JO 2022, C 231, p. 17).
18 Le 15 décembre 2022, l’agrément de Sberbank Europe en tant qu’établissement de crédit a cessé d’être valable.
19 Le 21 décembre 2023, le CRU a publié sur son site Internet une nouvelle version non confidentielle de la décision attaquée, contenant moins d’expurgations que la version publiée le 10 juin 2022.
Conclusions des parties
20 La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– annuler la décision attaquée ;
– condamner le CRU aux dépens.
21 Le CRU conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– rejeter le recours comme étant irrecevable et, à titre subsidiaire, comme étant non fondé ;
– condamner la requérante aux dépens.
22 La BCE conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– rejeter le recours comme étant non fondé ;
– condamner la requérante aux dépens.
En droit
Sur la recevabilité du recours
23 Le CRU invoque une fin de non-recevoir tirée du défaut d’intérêt à agir de la requérante. Celle-ci n’expliquerait pas – et il ne ressortirait pas clairement de sa requête – en quoi l’annulation de la décision attaquée pourrait lui procurer un bénéfice.
24 Le CRU relève que la requérante semble plutôt contester la prétendue décision qu’il aurait adoptée visant à ordonner sa liquidation en vertu du droit autrichien relatif à la procédure d’insolvabilité. Or, il n’aurait pas adopté une telle décision et ne disposerait d’aucun pouvoir décisionnel concernant l’ouverture d’une telle procédure en vertu du droit national. Dans la mesure où il n’aurait ordonné aucune liquidation de la requérante dans la décision attaquée, l’annulation de celle-ci ne saurait modifier la situation juridique de la requérante à cet égard.
25 La requérante conteste la fin de non-recevoir soulevée par le CRU. Elle soutient, en substance, que l’adoption de la décision attaquée a causé la cessation de son activité bancaire et a porté atteinte à sa réputation. Son recours tendrait à faire constater le caractère illégal de cette décision et à préserver ses éventuels droits à réparation.
26 Il convient de rappeler que, conformément à une jurisprudence constante de la Cour, un recours en annulation intenté par une personne physique ou morale n’est recevable que dans la mesure où cette dernière a un intérêt à voir annuler l’acte attaqué. Un tel intérêt suppose que l’annulation de cet acte soit susceptible, par elle‑même, d’avoir des conséquences juridiques et que le recours puisse ainsi, par son résultat, procurer un bénéfice à la partie qui l’a intenté (voir arrêt du 17 septembre 2015, Mory e.a./Commission, C‑33/14 P, EU:C:2015:609, point 55 et jurisprudence citée).
27 L’intérêt à agir d’une partie requérante doit être né et actuel et ne peut pas concerner une situation future et hypothétique (voir arrêt du 17 septembre 2015, Mory e.a./Commission, C‑33/14 P, EU:C:2015:609, point 56 et jurisprudence citée).
28 Cet intérêt doit, au vu de l’objet du recours, exister au stade de l’introduction de celui‑ci, sous peine d’irrecevabilité, et perdurer jusqu’au prononcé de la décision juridictionnelle, sous peine de non‑lieu à statuer (voir arrêt du 17 septembre 2015, Mory e.a./Commission, C‑33/14 P, EU:C:2015:609, point 57 et jurisprudence citée).
29 L’intérêt à agir constitue ainsi la condition essentielle et première de tout recours en justice (voir arrêt du 17 septembre 2015, Mory e.a./Commission, C‑33/14 P, EU:C:2015:609, point 58 et jurisprudence citée).
30 Il appartient à la partie requérante d’apporter la preuve de son intérêt à agir, ce qui implique qu’elle justifie de façon pertinente l’intérêt que présente pour elle l’annulation de l’acte attaqué (voir, en ce sens, arrêt du 20 décembre 2017, Binca Seafoods/Commission, C‑268/16 P, EU:C:2017:1001, point 45 et jurisprudence citée).
31 En l’espèce, il convient de relever que, dans la décision attaquée, en premier lieu, le CRU a estimé que Sberbank Europe se trouvait en situation FOLTF au sens de l’article 18, paragraphe 1, premier alinéa, sous a), du règlement no 806/2014, dans la mesure où il existait des éléments objectifs permettant de conclure que, dans un avenir proche, elle ne serait pas en mesure de s’acquitter de ses dettes ou autres engagements à l’échéance, au sens de l’article 18, paragraphe 4, sous c), du même règlement. En deuxième lieu, le CRU a estimé qu’il n’existait aucune perspective raisonnable que des mesures alternatives du secteur privé ou des mesures de surveillance, prises à l’égard de Sberbank Europe, permettraient d’éviter sa défaillance dans un délai raisonnable, au sens de l’article 18, paragraphe 1, premier alinéa, sous b), du règlement no 806/2014. En troisième lieu, le CRU a estimé qu’une mesure de résolution adoptée à l’égard de Sberbank Europe n’était pas nécessaire dans l’intérêt public, au sens de l’article 18, paragraphe 1, premier alinéa, sous c), du règlement susvisé.
32 Dans la mesure où la condition énoncée à l’article 18, paragraphe 1, premier alinéa, sous c), du règlement no 806/2014 n’était pas remplie, le CRU a conclu qu’un dispositif de résolution ne serait pas adopté à l’égard de Sberbank Europe, conformément à l’article 18, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement no 806/2014, lu conjointement avec l’article 18, paragraphe 6, dudit règlement. Ainsi, l’article 1er de la décision attaquée prévoit que cet établissement de crédit ne sera pas soumis à une procédure de résolution.
33 L’absence d’adoption par le CRU d’un dispositif de résolution à l’égard de Sberbank Europe signifiait, en substance, que la situation FOLTF de cet établissement de crédit, causée par sa liquidité insuffisante pour s’acquitter de ses dettes ou autres engagements à l’échéance, ne serait pas traitée au niveau de l’Union et que celui-ci devrait faire l’objet d’une procédure de liquidation de manière ordonnée conformément au droit autrichien applicable, ainsi qu’il découle de l’article 18, paragraphes 5 et 8, du règlement no 806/2014. En effet, dans l’hypothèse où le CRU conclut, premièrement, que l’établissement de crédit en cause se trouve dans une situation FOLTF, au sens de l’article 18, paragraphe 1, premier alinéa, sous a), du règlement no 806/2014, deuxièmement, que des mesures alternatives au sens de l’article 18, paragraphe 1, premier alinéa, sous b), du même règlement n’existent pas et, troisièmement, que la résolution n’est pas dans l’intérêt public au sens de l’article 18, paragraphe 1, premier alinéa, sous c), du règlement susvisé, la seule alternative possible à la résolution constitue l’ouverture d’une procédure de liquidation de l’établissement de crédit selon le droit national applicable.
34 Par ailleurs, le CRU, en concluant, dans la décision attaquée, à l’absence de mesures alternatives au sens de l’article 18, paragraphe 1, premier alinéa, sous b), du règlement no 806/2014, a considéré, en définitive, qu’il n’existait pas de solution alternative à la résolution et à l’ouverture d’une procédure de liquidation de Sberbank Europe selon le droit national applicable.
35 Il ressort ainsi des points 33 et 34 ci-dessus que la conséquence directe de l’adoption de la décision attaquée était l’ouverture d’une procédure de liquidation de Sberbank Europe selon le droit autrichien, au sens de l’article 18, paragraphe 8, du règlement no 806/2014. Dans ce contexte, immédiatement après l’adoption de la décision attaquée, la FMA, sur instruction de la BCE et conformément à l’article 70, paragraphe 2, de la loi fédérale sur le secteur bancaire, a nommé un commissaire du gouvernement pour la requérante et lui a interdit la poursuite de toute activité commerciale, avec effet immédiat (voir point 14 ci-dessus).
36 Dans le cadre du présent recours, la requérante conteste notamment, d’une part, la compétence du CRU pour prendre une décision formelle de ne pas adopter un dispositif de résolution (premier moyen) et, d’autre part, le bien-fondé de sa conclusion selon laquelle des mesures alternatives permettant d’éviter la défaillance de la requérante dans un délai raisonnable, au sens de l’article 18, paragraphe 1, premier alinéa, sous b), du règlement no 806/2014, n’existaient pas (voir, en particulier, quatrième et cinquième moyens).
37 Il ressort des considérations qui précèdent que la décision attaquée a affecté négativement la situation juridique et factuelle de la requérante, dans la mesure où elle a eu comme conséquence la cessation de ses activités commerciales et son placement sous la supervision d’un commissaire du gouvernement, de sorte que celle-ci dispose d’un intérêt à en obtenir l’annulation. De plus, ainsi que la requérante le soutient à juste titre, la déclaration, par le Tribunal, de l’illégalité de la décision attaquée pourrait servir de fondement à un éventuel recours en indemnité destiné à réparer de façon adéquate le dommage causé par ladite décision (arrêt du 21 mars 2002, Joynson/Commission, T‑231/99, EU:T:2002:84, points 23 à 25 ; voir également, en ce sens, arrêts du 29 avril 2004, Commission/CAS Succhi di Frutta, C‑496/99 P, EU:C:2004:236, point 83, et du 27 juin 2013, Xeda International et Pace International/Commission, C‑149/12 P, non publié, EU:C:2013:433, points 32 et 33).
38 Eu égard aux considérations qui précèdent, la fin de non-recevoir soulevée par le CRU doit être rejetée.
Sur le fond
39 La requérante soulève neuf moyens à l’appui de son recours, tirés, le premier, du dépassement des compétences du CRU ; le deuxième, de la violation du droit d’être entendu ; le troisième, d’un défaut de motivation ; les quatrième et cinquième, examinés ensemble, tirés du défaut d’examen approprié de la condition prévue à l’article 18, paragraphe 1, premier alinéa, sous b), du règlement no 806/2014 ; le sixième, de la violation du principe de proportionnalité et d’une erreur manifeste d’appréciation concernant l’examen d’éventuelles solutions alternatives ; le septième, d’une erreur de droit et d’un défaut de motivation concernant le fait que la décision attaquée s’écarte du plan de résolution visant le groupe Sberbank Europe, adopté par le CRU le 3 mai 2021 en vertu de l’article 8 du règlement no 806/2014 (ci-après le « plan de résolution ») ; le huitième, du défaut d’accès au dossier et, le neuvième, du défaut de notification de la décision attaquée.
Sur le premier moyen, tiré du dépassement des compétences du CRU
40 Dans le cadre du présent moyen, d’une part, la requérante soutient que le CRU ne dispose pas de la compétence pour prendre une décision formelle de ne pas adopter de dispositif de résolution à l’égard d’un établissement de crédit. En adoptant une telle décision à son égard, il aurait outrepassé les compétences qui lui sont conférées par l’article 18 du règlement no 806/2014. La requérante a précisé lors de l’audience que, dans l’hypothèse où le CRU constate, comme en l’espèce, que les conditions prévues dans cette disposition pour adopter un dispositif de résolution ne sont pas remplies, il doit « fermer le dossier » et ne rien faire de plus.
41 D’autre part, la requérante fait valoir que le CRU a outrepassé les compétences qui lui sont conférées par l’article 18 du règlement no 806/2014 en « s’ingérant d’une manière ou d’une autre » en matière d’insolvabilité et en décidant, en définitive, qu’elle devait être soumise à une procédure d’insolvabilité. À cet égard, la requérante relève que, dans la décision attaquée, la procédure d’insolvabilité est présentée comme étant une alternative à la mesure de résolution et comme étant la conséquence nécessaire et inéluctable de cette décision.
42 Le CRU soutient que le présent moyen est irrecevable en raison du manque de clarté relevant des exigences requises par l’article 76, sous d), du règlement de procédure du Tribunal. À titre subsidiaire, il soutient que celui-ci n’est pas fondé.
43 La BCE soutient également que le présent moyen n’est pas fondé.
44 À titre liminaire, il y a lieu de constater que le CRU et la BCE ont été en mesure de répondre utilement au moyen soulevé par la requérante et que le Tribunal est en mesure d’examiner ce moyen au fond. Partant, la fin de non-recevoir soulevée par le CRU est rejetée.
45 Sur le fond, s’agissant du grief de la requérante présenté au point 40 ci-dessus, il convient de relever ce qui suit.
46 Ainsi qu’il ressort du point 70 de l’arrêt du 6 mai 2021, ABLV Bank e.a./BCE (C‑551/19 P et C‑552/19 P, EU:C:2021:369), lorsque la BCE parvient à la conclusion que l’entité concernée est dans une situation FOLTF, son évaluation est transmise au CRU et la procédure de résolution est entamée. Il incombe alors au CRU de vérifier si les conditions visées par l’article 18, paragraphe 1, du règlement no 806/2014 sont réunies afin de décider s’il y a lieu d’adopter un dispositif de résolution.
47 Au point 56 de l’arrêt du 6 mai 2021, ABLV Bank e.a./BCE (C‑551/19 P et C‑552/19 P, EU:C:2021:369), la Cour a également considéré que ladite évaluation faite par la BCE étant un acte intermédiaire et non un acte attaquable, elle était susceptible de faire l’objet d’un contrôle juridictionnel dans le cadre d’un recours devant les juridictions de l’Union contre l’adoption par le CRU d’un dispositif de résolution ou contre la décision de ne pas adopter un tel dispositif. Il s’ensuit que le CRU est tenu de prendre une décision positive ou négative une fois qu’il a examiné les trois conditions prévues à l’article 18, paragraphe 1, du règlement no 806/2014, ne fût-ce que pour éviter une lacune dans la protection juridictionnelle d’une entité, surtout en ce qui concerne l’évaluation de sa défaillance avérée ou prévisible par la BCE.
48 En outre, cette conclusion trouve appui dans le contexte réglementaire plus large dans lequel s’inscrit l’article 18 du règlement no 806/2014. Ainsi, il ressort de l’article 82, paragraphe 2, de la directive 2014/59 que « [l]a décision de prendre ou non une mesure de résolution en ce qui concerne un établissement ou une entité […] contient les informations suivantes ». Cette disposition prévoit ainsi expressément la possibilité d’adopter une décision de ne pas prendre de mesure de résolution. Or, elle peut être considérée comme l’équivalent de l’article 18 du règlement no 806/2014, lequel s’applique à l’égard des établissements de crédit moins importants qui ne sont pas soumis à la surveillance directe de la BCE, mais qui relèvent de la surveillance des ARN.
49 De surcroît, une fois que la BCE a estimé qu’un établissement de crédit est en situation FOLTF, il incombe au CRU de décider si cette évaluation est correcte et, si tel est le cas, si l’établissement de crédit en question fera ou non l’objet d’une résolution. Au demeurant, l’incompétence alléguée du CRU pour adopter une décision de ne pas mettre en place un dispositif de résolution risquerait de compromettre la stabilité de l’établissement concerné et potentiellement des marchés financiers, en laissant planer un doute sur les suites qu’il conviendrait d’envisager à l’égard de cet établissement au regard de l’évaluation de la BCE.
50 Il s’ensuit que, à la suite du déclenchement de la procédure par la BCE, le CRU était tenu d’examiner les critères énumérés à l’article 18, paragraphe 1, du règlement no 806/2014 et de prendre une décision à l’issue de cet examen.
51 Eu égard aux considérations qui précèdent, le grief de la requérante énoncé au point 40 ci-dessus doit être rejeté.
52 S’agissant du grief de la requérante mentionné au point 41 ci-dessus, il convient de rappeler que la décision attaquée se limite à prévoir, en son article 1er, que Sberbank Europe ne sera pas soumise à une procédure de résolution et, en son article 2, que cette décision est adressée à l’ARN autrichienne.
53 Par ailleurs, au considérant 21 de la décision attaquée, le CRU indique, en substance, qu’il découle du règlement no 806/2014 et de la directive 2014/59 que lorsque, au niveau de l’Union, un établissement ne peut pas être soumis à une procédure de résolution au motif que le critère de l’intérêt public n’est pas rempli, cet établissement fait l’objet, au niveau national, d’une procédure de liquidation de manière ordonnée conformément au droit national applicable. Le CRU conclut ainsi, dans le même considérant, que, s’agissant de Sberbank Europe, les mesures nécessaires pour se conformer à la décision attaquée impliquent l’application de la procédure de faillite régie par le droit autrichien.
54 Au considérant 22 de la décision attaquée, le CRU souligne aussi que son analyse est sans préjudice des droits et pouvoirs de l’ARN autrichienne d’exercer ses responsabilités conformément au droit national applicable.
55 L’analyse du CRU, aux considérants 21 et 22 de la décision attaquée, ne démontre pas l’exercice de compétence illégale de sa part, dans la mesure où, ainsi qu’il a déjà été relevé, il ressort de l’article 18, paragraphes 5 et 8, du règlement no 806/2014 que, lorsque le CRU conclut, d’une part, que les conditions prévues à l’article 18, paragraphe 1, premier alinéa, sous a) et b), du règlement no 806/2014, selon lesquelles l’établissement de crédit en cause se trouve dans une situation FOLTF et aucune mesure alternative n’existe, sont remplies et, d’autre part, que la condition prévue à l’article 18, paragraphe 1, premier alinéa, sous c), de ce règlement selon laquelle la résolution doit être nécessaire dans l’intérêt public, ne l’est pas, l’établissement en cause fait l’objet d’une procédure de liquidation de manière ordonnée conformément au droit national applicable (voir point 33 ci-dessus).
56 Il découle de l’examen des motifs et du dispositif de la décision attaquée que le CRU n’a pas exercé de compétence illégale en matière de mise en liquidation de Sberbank Europe et, partant, le grief énoncé au point 41 ci-dessus doit être rejeté.
57 Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de rejeter le premier moyen comme étant non fondé.
Sur le deuxième moyen, tiré de la violation du droit d’être entendu
58 La requérante soutient que la décision attaquée est illégale dans la mesure où elle n’a pas bénéficié du droit d’être entendue.
59 Le CRU fait valoir que le présent moyen n’est pas suffisamment étayé et qu’il est, dès lors, irrecevable dans la mesure où il ne remplit pas les exigences de l’article 76, sous d), du règlement de procédure. En tout état de cause, ce moyen ne serait pas fondé.
60 À titre liminaire, il convient de constater que, même si le présent moyen est présenté de manière succincte, sa portée peut être comprise sans que des développements additionnels soient nécessaires. D’ailleurs, le CRU a pu utilement se défendre quant au fond. Par conséquent, la fin de non-recevoir soulevée par le CRU est écartée et il convient d’examiner le présent moyen au fond.
61 À cet égard, il y a lieu de rappeler que l’article 41, paragraphe 2, sous a), de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne prévoit que le droit à une bonne administration comporte le droit de toute personne d’être entendue avant qu’une mesure individuelle qui l’affecterait défavorablement ne soit prise à son égard.
62 Le droit d’être entendu garantit à toute personne la possibilité de faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue au cours de la procédure administrative et avant l’adoption de toute décision susceptible d’affecter de manière défavorable ses intérêts. Par ailleurs, il convient de préciser que le droit d’être entendu poursuit un double objectif. D’une part, il sert à l’instruction du dossier et à l’établissement des faits le plus précisément et correctement possible et, d’autre part, il permet d’assurer une protection effective de l’intéressé. Le droit d’être entendu vise en particulier à garantir que toute décision faisant grief soit adoptée en pleine connaissance de cause et a notamment pour objectif de permettre à l’autorité compétente de corriger une erreur ou à la personne concernée de faire valoir les éléments relatifs à sa situation personnelle qui militent pour que la décision soit prise, ne soit pas prise ou qu’elle ait tel ou tel contenu (voir arrêt du 4 juin 2020, SEAE/De Loecker, C‑187/19 P, EU:C:2020:444, points 68 et 69 et jurisprudence citée).
63 Il convient de relever que la Cour a affirmé l’importance du droit d’être entendu et sa portée très large dans l’ordre juridique de l’Union, en considérant que ce droit devait s’appliquer à toute procédure susceptible d’aboutir à un acte faisant grief. Le respect du droit d’être entendu s’impose même lorsque la réglementation applicable ne prévoit pas expressément une telle formalité (voir arrêts du 22 novembre 2012, M., C‑277/11, EU:C:2012:744, points 85 et 86 et jurisprudence citée ; du 18 juin 2020, Commission/RQ, C‑831/18 P, EU:C:2020:481, point 67 et jurisprudence citée, et du 7 novembre 2019, ADDE/Parlement, T‑48/17, EU:T:2019:780, point 89 et jurisprudence citée).
64 Force est de constater que le règlement no 806/2014 a pour objectif d’instaurer, conformément à son considérant 8, des mécanismes de résolution plus efficaces, lesquels doivent constituer un instrument essentiel pour éviter les conséquences dommageables des défaillances des banques survenues par le passé. Or, s’agissant de la procédure prévue à l’article 18 de ce règlement, un tel objectif suppose une prise de décision rapide, souvent dans des conditions d’urgence, comme l’illustrent les brefs délais prévus dans cette disposition, afin que la stabilité financière ne soit pas mise en péril (arrêt du 6 mai 2021, ABLV Bank e.a./BCE, C‑551/19 P et C‑552/19 P, EU:C:2021:369, point 55).
65 Toutefois, alors que la nécessité de célérité de la procédure prévue à l’article 18 du règlement no 806/2014 doit ainsi être prise en compte, elle doit également être conciliée avec le droit d’être entendu.
66 En outre, le considérant 26 du règlement no 806/2014 confirme à la fois la compétence partagée entre la BCE, autorité de surveillance au sein du mécanisme de surveillance unique, et le CRU, autorité de résolution, pour apprécier si un établissement de crédit est en situation FOLTF, et la compétence exclusive du CRU pour apprécier si les autres conditions requises pour l’adoption d’un dispositif de résolution sont remplies (arrêt du 6 mai 2021, ABLV Bank e.a./BCE, C‑551/19 P et C‑552/19 P, EU:C:2021:369, point 64).
67 Eu égard à la nature de cette procédure administrative complexe visée par l’article 18 du règlement no 806/2014 et menée par la BCE et le CRU conjointement et successivement, ni l’article 41 de la charte des droits fondamentaux ni les dispositions dudit règlement n’exigent que l’entité concernée par la décision d’adopter ou de ne pas adopter un dispositif de résolution soit entendue à chaque phase de la procédure par chacun de ces deux organes séparément.
68 En l’espèce, il convient de rappeler que, dans le courriel du 26 février 2022 (voir point 5 ci-dessus), la requérante a indiqué à la BCE et à la FMA, en mettant en copie le CRU, qu’on pouvait raisonnablement s’attendre à ce qu’elle ne soit probablement pas en mesure de payer ses dettes et obligations à mesure que leur échéance approche et qu’il existait des circonstances indiquant que sa capacité à remplir ses obligations était menacée. Dans ce courriel, la requérante a expliqué que sa situation de liquidité devenait critique en raison d’importantes sorties de dépôts et qu’elle avait de sérieux doutes quant à la capacité des mesures adoptées conformément à son plan de redressement de stabiliser sa situation. La requérante a indiqué également qu’elle avait demandé à l’Oesterreichische Nationalbank (Banque nationale autrichienne) un apport urgent de liquidités et qu’elle attendait sa réponse.
69 Dans la décision attaquée, le CRU a tenu compte de la notification faite par la requérante dans le courriel du 26 février 2022, notamment au considérant 35 de ladite décision dans le cadre de la description de la procédure, au considérant 61 et au considérant 63, sous c) et g), de la même décision dans le cadre de l’appréciation de la situation FOLTF de la requérante au sens de l’article 18, paragraphe 1, premier alinéa, sous a), du règlement no 806/2014 et au considérant 66 de cette décision dans le cadre de l’appréciation de l’existence des mesures alternatives permettant d’éviter la défaillance de l’entité dans un délai raisonnable, au sens de l’article 18, paragraphe 1, premier alinéa, sous b), du même règlement. En particulier, au considérant 66 de la décision attaquée, le CRU a relevé que la requérante n’avait fait état d’aucune perspective de solution privée susceptible d’empêcher une défaillance et s’est référé au courriel du 26 février 2022.
70 Il ressort des éléments présentés aux points 68 et 69 ci-dessus que, sur les points qu’elle conteste devant le Tribunal, et notamment sur la question de l’existence de mesures alternatives au sens de l’article 18, paragraphe 1, premier alinéa, sous b), du règlement no 806/2014, la requérante a été entendue dans le cadre de la procédure administrative (voir, en ce sens, arrêt du 6 juillet 2022, ABLV Bank/CRU, T‑280/18, sous pourvoi, EU:T:2022:429, point 166).
71 Dans ces conditions, le droit d’être entendue de la requérante n’a pas été violé.
72 Eu égard aux considérations qui précèdent, le deuxième moyen doit être rejeté comme étant non fondé.
Sur le troisième moyen, tiré d’un défaut de motivation
73 Dans le cadre du présent moyen, la requérante soulève trois griefs.
74 En premier lieu, la requérante soutient que, à la date d’adoption de la décision attaquée, à savoir le 1er mars 2022, aucune motivation n’accompagnait ladite décision. Selon elle, des motifs qui ne sont pas transmis à l’entité concernée, mais « consignés en interne » ou communiqués à une autre autorité, ne suffisent pas et ne permettent pas aux personnes lésées de déterminer s’il convient ou non de former un recours contre cette décision.
75 En deuxième lieu, la requérante fait valoir que la version non confidentielle de la décision attaquée qui lui a été transmise le 6 mai 2022 ne comportait pas une motivation suffisante en raison des expurgations qu’elle contenait.
76 En troisième lieu, la requérante fait grief au CRU de ne pas avoir expliqué la raison pour laquelle il s’est écarté de la stratégie de résolution privilégiée prévue dans le plan de résolution et la raison pour laquelle il a conclu que des mesures alternatives à une liquidation régie par le droit national en matière d’insolvabilité n’existaient pas.
77 Le CRU conteste l’argumentation de la requérante.
78 À titre liminaire, il convient de constater que l’acte attaqué en l’espèce constitue la décision du CRU adoptée le 1er mars 2022 et dont une première version non confidentielle a été publiée le 10 juin 2022 sur le site Internet du CRU. C’est cet acte qui est annexé à la requête, ainsi que le prévoit l’article 21, second alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, lu en combinaison avec l’article 78, paragraphe 1, du règlement de procédure. Par ailleurs, une seconde version non confidentielle de la décision attaquée a été publiée le 21 décembre 2023 (voir point 19 ci-dessus), sur laquelle la requérante a eu la possibilité de soumettre des observations à la suite d’une invitation du Tribunal.
79 Il ressort des considérations énoncées au point 78 ci-dessus que le grief de la requérante présenté au point 74 ci-dessus est inopérant, dans la mesure où il ne vise pas la décision attaquée telle que publiée, laquelle fait l’objet du contrôle de légalité exercé par le Tribunal et au regard de laquelle le caractère suffisant de la motivation doit être apprécié.
80 Il ressort aussi des considérations énoncées au point 78 ci-dessus que le grief de la requérante mentionné au point 75 ci-dessus est également inopérant. À cet égard, il ressort des explications tant de la requérante que du CRU que la « version non confidentielle de la décision attaquée » transmise à la requérante le 6 mai 2022 ne constituait qu’un projet de version non confidentielle de la décision attaquée, communiqué par le CRU à la requérante afin de recueillir son avis sur les éléments confidentiels à omettre dans la version finalement publiée. D’ailleurs, ce projet visé par le présent grief de la requérante n’est pas contenu dans le dossier.
81 Dans la mesure où, par son grief énoncé au point 75 ci-dessus, la requérante entendrait soutenir que, du fait même des expurgations des éléments confidentiels, la motivation de la décision attaquée est insuffisante, il convient de relever ce qui suit.
82 Il ressort de la jurisprudence que la version non confidentielle d’une décision attaquée, lorsqu’elle expose les faits et les considérations juridiques revêtant une importance essentielle dans l’économie de cette décision, permettant ainsi à la partie requérante d’exercer son droit à une protection juridictionnelle effective et au Tribunal d’exercer son contrôle, doit être considérée comme étant suffisamment motivée (voir, en ce sens, arrêt du 1er juin 2022, Del Valle Ruíz e.a./Commission et CRU, T‑510/17, EU:T:2022:312, point 452 et jurisprudence citée).
83 En l’espèce, la requérante n’identifie pas les éléments expurgés de la version publiée de la décision attaquée qui sont visés par son grief et n’explique pas de quelle manière ces éléments expurgés l’empêchent de comprendre le contenu de cette décision et d’exercer son droit à un recours juridictionnel effectif, au sens de la jurisprudence citée au point 82 ci-dessus.
84 En conséquence, l’argumentation de la requérante, en ce qu’elle serait tirée d’une motivation insuffisante de la décision attaquée du fait même des expurgations des éléments confidentiels, doit également être rejetée.
85 Concernant les deux griefs spécifiques de la requérante présentés au point 76 ci-dessus, il convient de les rejeter comme étant non fondés.
86 En effet, d’une part, aux considérants 75 à 79 de la décision attaquée, dans le cadre de la section 4.3.2 relative à l’appréciation de l’intérêt public, le CRU a présenté les raisons, tenant en particulier au changement significatif de circonstances, pour lesquelles il a considéré qu’il convenait de s’écarter de l’évaluation figurant dans le plan de résolution. La décision attaquée n’est pas entachée d’un défaut de motivation concernant ces considérations, qui font l’objet d’un contrôle au fond par le Tribunal dans le cadre du septième moyen.
87 D’autre part, aux considérants 65 à 70 de la décision attaquée, le CRU a expliqué les raisons pour lesquelles il a conclu qu’il n’existait aucune perspective raisonnable que d’autres mesures puissent empêcher la défaillance de la requérante dans un délai raisonnable, au sens de l’article 18, paragraphe 1, premier alinéa, sous b), du règlement no 806/2014. Cette partie de la décision attaquée, qui fait l’objet d’un contrôle au fond par le Tribunal dans le cadre des quatrième et cinquième moyens, n’est pas non plus entachée d’un défaut de motivation.
88 Eu égard aux considérations qui précèdent, le troisième moyen doit être rejeté.
Sur les quatrième et cinquième moyens, tirés du défaut d’examen approprié de la condition prévue à l’article 18, paragraphe 1, premier alinéa, sous b), du règlement no 806/2014
89 Dans le cadre des quatrième et cinquième moyens, qu’il convient d’examiner ensemble, la requérante fait grief au CRU de ne pas avoir examiné de manière appropriée s’il existait des mesures alternatives permettant d’éviter la défaillance de Sberbank Europe dans un délai raisonnable, au sens de l’article 18, paragraphe 1, premier alinéa, sous b), du règlement no 806/2014.
90 Le CRU et la BCE soutiennent que les présents moyens doivent être rejetés comme irrecevables dans la mesure où ils ne seraient pas clairs ni suffisamment étayés et ne rempliraient ainsi pas les exigences posées par l’article 76, sous d), du règlement de procédure. À titre subsidiaire, ils soutiennent que lesdits moyens doivent être rejetés comme non fondés.
91 À titre liminaire, il y a lieu de constater que le CRU et la BCE ont été en mesure de répondre utilement aux moyens soulevés par la requérante et que le Tribunal est en mesure d’examiner ces moyens au fond. Partant, la fin de non-recevoir soulevée par le CRU et la BCE doit être rejetée.
92 Sur le fond, il convient de relever que le CRU a examiné la condition prévue à l’article 18, paragraphe 1, premier alinéa, sous b), du règlement no 806/2014 à la section 4.3.1 de la décision attaquée. En premier lieu, il a examiné s’il existait des mesures de nature privée pouvant empêcher la défaillance de Sberbank Europe dans un avenir proche. En s’appuyant notamment sur les considérations de la BCE et sur les informations fournies par l’établissement de crédit lui-même, il a conclu que tel n’était pas le cas (considérants 65 et 66 de la décision attaquée). En deuxième lieu, le CRU a constaté qu’il n’existait pas d’autres mesures de surveillance ou d’intervention précoce qui pourraient rétablir immédiatement la position de liquidité de la requérante et lui laisser suffisamment de temps pour mettre en œuvre des mesures (considérant 68 de la décision attaquée). En troisième lieu, le CRU a également constaté que l’exercice du pouvoir de dépréciation ou de conversion des instruments de fonds propres et des engagements éligibles de Sberbank Europe ne serait pas non plus en mesure d’empêcher la défaillance de cette entité (considérant 69 de la décision attaquée). Il a ainsi conclu que la condition prévue à l’article 18, paragraphe 1, premier alinéa, sous b), du règlement no 806/2014 était remplie.
93 Force est de constater que la requérante n’explique pas, et, encore moins, ne démontre, en quoi les considérations du CRU présentées au point 92 ci-dessus seraient erronées.
94 La requérante se limite à soutenir que la suspension des engagements de Sberbank Europe constituerait une mesure alternative, au sens de l’article 18, paragraphe 1, premier alinéa, sous b), du règlement no 806/2014, dont la BCE et le CRU auraient dû envisager l’application. Elle relève qu’une telle suspension était mise en place par le moratoire sur l’exécution des obligations de paiement et de livraison de Sberbank Europe, imposé avant l’adoption de la décision attaquée (voir point 8 ci-dessus), et par l’interdiction d’exercice de toute activité commerciale, imposée à la suite de l’adoption de la décision attaquée (voir point 14 ci-dessus).
95 La requérante soutient également que la BCE aurait pu inviter la FMA à lui imposer un contrôle de l’administration (Geschäftsaufsicht), au titre de la loi bancaire autrichienne. Cette mesure aurait également permis la suspension de ses engagements.
96 La requérante ajoute que le CRU n’a pas étudié la possibilité que des mesures provenant du secteur privé et ayant le même effet qu’une suspension des engagements s’appliquent en l’espèce.
97 Par ailleurs, dans ses observations sur le mémoire en intervention de la BCE, la requérante soutient que la BCE considérait que sa restructuration effectuée dans le cadre de la transaction dite « Adria » aurait permis d’éviter sa situation FOLTF.
98 À cet égard, force est de constater que la requérante ne précise pas la base légale qui pourrait servir de fondement à la suspension des engagements de Sberbank Europe et ne fournit pas d’autres détails sur cette mesure, notamment sur sa durée. Son allégation selon laquelle le contrôle de l’administration de Sberbank Europe, aux termes de la loi fédérale sur le secteur bancaire, aurait permis une telle suspension est trop imprécise pour satisfaire aux exigences de l’article 76, sous d), du règlement de procédure. En particulier, la requérante ne fournit aucune information à propos des conditions d’application de cette mesure et de la question de savoir si Sberbank Europe remplissait ces conditions. Il en va de même de l’allégation de la requérante relative à l’existence de mesures du secteur privé ayant le même effet qu’une suspension des obligations.
99 Par ailleurs, dans la mesure où, par son argumentation, la requérante entendrait soutenir que le moratoire sur les obligations de paiement et de livraison de Sberbank Europe, imposé avant l’adoption de la décision attaquée, et l’interdiction d’exercice de toute activité commerciale, imposée à Sberbank Europe à la suite de l’adoption de la décision attaquée, pourraient constituer des mesures alternatives au sens de l’article 18, paragraphe 1, premier alinéa, sous b), du règlement no 806/2014, il conviendrait de rejeter une telle argumentation comme non fondée.
100 En effet, d’une part, en ce qui concerne le moratoire sur les obligations de paiement et de livraison de Sberbank Europe, il convient de relever qu’il a été ordonné par le CRU sur le fondement de l’article 33 bis de la directive 2014/59 (voir point 8 ci-dessus). Cette disposition régit le pouvoir des ARN de suspendre toute obligation de paiement ou de livraison des établissements de crédit en cause lorsque, notamment, il a été constaté que la défaillance de ces établissements est avérée ou prévisible et qu’il n’existe aucune mesure de nature privée immédiatement disponible, susceptible d’empêcher cette défaillance [article 33 bis, paragraphe 1, sous a) et b), de la directive 2014/59].
101 L’article 33 bis, paragraphe 4, premier alinéa, de la directive 2014/59 prévoit que la période de suspension doit être aussi courte que possible et qu’elle ne peut, en tout état de cause, pas excéder la période allant de la publication d’un avis de suspension jusqu’à minuit à la fin du jour ouvrable suivant le jour de ladite publication. C’est en application de cette disposition que le moratoire en l’espèce a pris effet du 28 février 2022 à 00 h 01 au 1er mars 2022 à 23 h 59.
102 Il s’avère ainsi que le moratoire susvisé, imposé sur la base de l’article 33 bis de la directive 2014/59, constitue une mesure de courte durée, ayant pour objectif de gérer les conséquences de la défaillance de l’établissement de crédit en cause et ne pourrait pas, par définition, être perçu comme une mesure alternative permettant d’éviter cette défaillance au sens de l’article 18, paragraphe 1, premier alinéa, sous b), du règlement no 806/2014.
103 D’autre part, s’agissant de l’interdiction d’exercice de toute activité commerciale, imposée à Sberbank Europe, à laquelle la requérante se réfère également, il convient de rappeler que cette mesure a été adoptée par la FMA en application de l’article 70, paragraphe 2, de la loi fédérale sur le secteur bancaire, à la suite de l’adoption de la décision attaquée (voir point 14 ci-dessus). Ainsi qu’il ressort de cette disposition, l’interdiction susvisée, laquelle ne pouvait pas dépasser 18 mois, était adoptée en tant que conséquence de la défaillance avérée ou prévisible de Sberbank Europe et visait à la stabilisation et à l’atténuation des effets de cette défaillance. Il s’avère ainsi que l’adoption d’une telle mesure présupposait que des mesures alternatives permettant d’éviter la défaillance de l’établissement en cause au sens de l’article 18, paragraphe 1, premier alinéa, sous b), du règlement no 806/2014 n’existent pas. Par ailleurs, eu égard au fait que cette mesure a été adoptée à la suite de la décision attaquée sur le fondement du droit autrichien, il y a encore lieu de relever que la requérante n’explique pas, et, encore moins, ne démontre, que le CRU serait compétent pour adopter une telle mesure.
104 Par ailleurs, l’argument de la requérante énoncé au point 97 ci-dessus manque en fait dans la mesure où, ainsi qu’il ressort du point 17 de l’évaluation, par la BCE, de la situation FOLTF de la requérante, la BCE n’a pas considéré que la transaction Adria permettait d’éviter la situation FOLTF de celle-ci. En réalité, la BCE a considéré que cette transaction ne constituait pas une option réaliste en raison du temps nécessaire pour sa mise en œuvre et des besoins urgents en liquidités de la requérante.
105 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de conclure que la requérante ne démontre pas que le CRU aurait commis une erreur dans le cadre de l’examen de la condition prévue à l’article 18, paragraphe 1, premier alinéa, sous b), du règlement no 806/2014. Il s’ensuit que les quatrième et cinquième moyens doivent être rejetés.
Sur le sixième moyen, tiré de la violation du principe de proportionnalité et d’une erreur manifeste d’appréciation concernant l’examen d’éventuelles solutions alternatives
106 La requérante fait valoir que le CRU a violé le principe de proportionnalité et a commis une erreur manifeste d’appréciation dans la mesure où il n’a pas tenu compte d’un certain nombre de solutions alternatives, et moins contraignantes, à la liquidation effectuée en vertu du droit national. Dans la mesure où les problèmes relevés par le CRU étaient liés à l’actionnariat de la requérante, une alternative évidente à la liquidation consisterait à « transf[érer] la requérante à un autre actionnariat » à l’instar de ce qui avait été décidé à propos de Sberbank Croatie et Sberbank Slovénie.
107 La requérante identifie également comme mesures alternatives à la liquidation la cession des activités et le renflouement interne. Elle fait grief au CRU de ne pas avoir expliqué, dans la décision attaquée, la raison pour laquelle il ne serait pas possible de recourir en l’espèce à ces deux mesures, d’autant plus que celles-ci sont mentionnées dans cette décision comme constituant des composantes de la stratégie de résolution privilégiée selon le plan de résolution.
108 Le CRU conteste l’argumentation de la requérante.
109 Il convient de rappeler que, lorsque le CRU conclut, premièrement, que l’établissement de crédit en cause se trouve dans une situation FOLTF, au sens de l’article 18, paragraphe 1, premier alinéa, sous a), du règlement no 806/2014, deuxièmement, que des mesures alternatives au sens de l’article 18, paragraphe 1, premier alinéa, sous b), du même règlement, n’existent pas et, troisièmement, que la résolution n’est pas nécessaire dans l’intérêt public au sens de l’article 18, paragraphe 1, premier alinéa, sous c), du règlement susvisé, la seule alternative possible à la résolution est l’ouverture d’une procédure de liquidation de l’établissement de crédit selon le droit national applicable (voir point 33 ci-dessus). Il s’ensuit que, en l’espèce, la mise en liquidation de Sberbank Europe selon le droit autrichien constituait la seule issue possible à la situation FOLTF de cet établissement de crédit ainsi qu’au fait qu’aucune mesure alternative n’existait, sa résolution n’ayant pas été considérée comme étant nécessaire dans l’intérêt public.
110 Par ailleurs, la cession des activités et le renflouement interne, auxquels la requérante se réfère en tant que « solutions alternatives » à la liquidation, constituent des instruments de résolution applicables à un établissement soumis à une procédure de résolution [voir article 18, paragraphe 6, sous b), du règlement no 806/2014, lu conjointement avec l’article 22, paragraphe 2, dudit règlement]. En l’espèce, il a été conclu dans la décision attaquée que la requérante ne serait pas soumise à une procédure de résolution et, ainsi qu’il a été relevé (voir points 33 et 55 ci-dessus), le règlement no 806/2014 ne prévoit pas d’obligation pour le CRU d’examiner l’existence de solutions alternatives à la liquidation lorsque les conditions prévues pour la résolution (et, plus spécifiquement, la condition relative à l’intérêt général) ne sont pas remplies.
111 Il s’ensuit que, en l’espèce, le CRU, dès lors qu’il a conclu que la résolution de la requérante n’était pas nécessaire dans l’intérêt public, n’était pas dans l’obligation d’examiner si la cession des activités ou le renflouement interne de la requérante étaient possibles en tant qu’alternatives à sa liquidation.
112 À titre surabondant, force est de constater que, dans le courriel du 26 février 2022 (voir point 5 ci-dessus), Sberbank Europe n’a pas évoqué la possibilité que des mesures telles que la cession de ses activités ou son renflouement interne pouvaient être appliquées, afin que le CRU puisse prendre en compte cette information dans le cadre de son appréciation.
113 Eu égard aux considérations qui précèdent, le sixième moyen doit être rejeté comme étant non fondé.
Sur le septième moyen, tiré d’une erreur de droit et d’un défaut de motivation concernant le fait que la décision attaquée s’écarte du plan de résolution
114 La requérante soutient que la décision attaquée ne contient aucune justification du fait qu’elle s’écarte du plan de résolution. Ce plan rejetterait l’application d’une procédure d’insolvabilité nationale et prévoirait la résolution de Sberbank Europe et de certaines de ses filiales en cas de défaillance de ces établissements. Selon ce plan, la stratégie de résolution privilégiée consisterait dans le maintien de la structure du groupe Sberbank Europe et le renflouement interne appliqué au niveau de l’entité Sberbank Europe qui constituerait le point d’entrée. Selon la requérante, le fait que le CRU s’écarte radicalement du plan de résolution sans aucune justification crédible constitue l’une des raisons pour lesquelles la décision attaquée n’est pas suffisamment motivée.
115 La requérante fait valoir également que la décision attaquée, en s’écartant du plan de résolution, enfreint l’article 23, troisième alinéa, du règlement no 806/2014, lu à la lumière du considérant 54 de la directive 2014/59, établissant la règle selon laquelle les plans de résolution doivent en principe être suivis sous réserve de l’existence d’un motif légitime justifiant une approche différente de celle préconisée dans ceux-ci.
116 Par ailleurs, la requérante fait grief au CRU de ne pas avoir tenu compte du fait que le considérant 44 du règlement no 806/2014 révèle une nette préférence du législateur pour une résolution au niveau du groupe.
117 Le CRU conteste l’argumentation de la requérante.
118 En vertu de l’article 8, paragraphe 1, du règlement no 806/2014, le CRU établit et adopte des plans de résolution pour les entités et les groupes qui relèvent de sa compétence en tant qu’organe de résolution.
119 L’article 8, paragraphe 6, premier alinéa, du règlement no 806/2014 dispose que le plan de résolution doit prévoir les mesures de résolution que le CRU peut prendre lorsqu’une entité visée au paragraphe 1 de cet article remplit les conditions de résolution.
120 L’article 8, paragraphe 10, premier alinéa, du règlement no 806/2014 prévoit que les plans de résolution de groupe contiennent un plan prévoyant la résolution du groupe visé au paragraphe 1 de cet article, placé sous la direction de l’entreprise mère dans l’Union établie dans un État membre participant, et déterminent les mesures à prendre à l’égard, notamment, de l’entreprise mère dans l’Union et des filiales qui font partie du groupe et qui sont établies dans l’Union.
121 L’article 23, troisième alinéa, du règlement no 806/2014 prévoit que, lorsqu’ils adoptent un dispositif de résolution, le CRU, le Conseil de l’Union européenne et la Commission européenne prennent en considération et suivent le plan de résolution visé à l’article 8 dudit règlement, à moins que le CRU n’estime, compte tenu des circonstances de l’espèce, que les objectifs de la résolution seront mieux réalisés en prenant des mesures qui ne sont pas prévues dans le plan de résolution.
122 Le considérant 54 de la directive 2014/59 énonce les mêmes principes que ceux figurant à l’article 23, troisième alinéa, du règlement no 806/2014.
123 En l’espèce, il ressort du dossier que, le 3 mai 2021, le CRU a adopté le plan de résolution visant le groupe Sberbank Europe.
124 En premier lieu, ce plan de résolution indiquait que, en cas de défaillance, l’application d’une procédure de résolution serait justifiée pour Sberbank Europe compte tenu des interconnexions financières et opérationnelles entre cette entité et les autres entités du groupe Sberbank Europe établies en Europe. En particulier, ce plan expliquait que Sberbank Europe assurait le transfert vers ses filiales des liquidités provenant de Sberbank of Russia et fournissait des services de support qui étaient importants pour celles-ci. Le plan de résolution constatait ainsi que la liquidation de Sberbank Europe dans le cadre d’une procédure nationale d’insolvabilité pouvait avoir des effets négatifs sur la situation des filiales. Le plan de résolution prévoyait également la résolution de certaines filiales de Sberbank Europe, notamment Sberbank Slovénie et Sberbank Croatie.
125 En second lieu, le plan de résolution précisait que la stratégie de résolution privilégiée ne reposait pas sur la séparation des entités du groupe Sberbank Europe, sa structure devant rester intacte. Il prévoyait l’application du renflouement interne au niveau de Sberbank Europe, considérée comme le point d’entrée.
126 Aux considérants 75 à 79 de la décision attaquée, le CRU a expliqué que les raisons sous-tendant la conclusion, dans le plan de résolution, selon laquelle une procédure de résolution devait s’appliquer à Sberbank Europe dans l’hypothèse de sa défaillance (voir point 124 ci-dessus) n’existaient plus.
127 D’une part, le CRU a indiqué, au considérant 76 de la décision attaquée, que les tensions géopolitiques et l’imposition des sanctions par les États-Unis d’Amérique et l’Union à l’encontre de la Russie avaient une incidence sur la capacité de Sberbank Europe àassurer pour elle-même et ses filiales un niveau de liquidités suffisant. Cette capacité aurait notamment été affectée par la décision de la Banque centrale de Russie d’interdire le transfert des fonds libellés en devise étrangère en faveur de filiales de Sberbank of Russia établies dans les juridictions étrangères dont les autorités nationales avaient imposé des sanctions à l’encontre de citoyens et des actifs russes.
128 D’autre part, le CRU a indiqué, au considérant 77 de la décision attaquée, que la fourniture des services de soutien par Sberbank Europe à Sberbank Slovénie n’était plus considérée comme étant critique dans le contexte actuel de défaillance avérée ou prévisible de ce dernier établissement.
129 Le CRU a ainsi conclu, au considérant 78 de la décision attaquée, que, pour les deux raisons exposées ci-dessus, la liquidation de Sberbank Europe dans le cadre d’une procédure normale d’insolvabilité n’était pas considérée comme mettant en péril les objectifs de la résolution et que, par conséquent, la soumission de cet établissement de crédit à une procédure de résolution n’était pas considérée comme étant dans l’intérêt public au sens de l’article 18, paragraphe 1, premier alinéa, sous c) et paragraphe 5, du règlement no 806/2014.
130 Ainsi, contrairement à ce que la requérante fait valoir, le CRU a expliqué, à suffisance de droit, la raison pour laquelle la décision attaquée s’est écartée du plan de résolution en ce qu’elle a conclu que la résolution de Sberbank Europe n’était pas nécessaire dans l’intérêt public.
131 S’agissant de la substance de l’argumentation de la requérante, il ressort du libellé même de l’article 23, troisième alinéa, du règlement no 806/2014, lu à la lumière du considérant 54 de la directive 2014/59, que le CRU, le Conseil et la Commission, lorsqu’ils adoptent un dispositif de résolution, peuvent s’écarter du plan de résolution et adopter des mesures qui ne sont pas prévues dans ledit plan si les circonstances de l’espèce le justifient. Ainsi, si le cadre réglementaire pertinent permet aux autorités de résolution compétentes, lorsqu’elles décident de soumettre une entité à une procédure de résolution, d’adopter des mesures de résolution qui diffèrent de celles prévues dans le plan de résolution si les circonstances le justifient, force est de conclure que le CRU doit avoir la possibilité de s’écarter du plan de résolution en considérant que, en raison des circonstances de l’espèce, la soumission de l’entité en cause à une procédure de résolution n’est plus dans l’intérêt public.
132 En effet, lorsque le CRU apprécie si les conditions pour la soumission de l’entité en cause à une procédure de résolution sont réunies, il doit, à l’évidence, prendre en compte la situation réelle et actuelle de cette entité, sans qu’il soit obligé, par principe, de suivre le plan de résolution rédigé antérieurement et, éventuellement, dans des circonstances différentes. En particulier, il doit apprécier si l’intérêt public justifie l’application d’une mesure de résolution conformément à l’article 18, paragraphe 1, premier alinéa, sous c), du règlement no 806/2014 et dans le respect des critères précisés à l’article 18, paragraphe 5, de ce règlement.
133 De même, ainsi que le CRU le relève à juste titre, le cadre juridique pertinent ne prévoit ni n’implique qu’un plan de résolution établi au niveau du groupe conduira nécessairement à une appréciation positive de l’intérêt public pour chaque entité du groupe et à l’adoption d’un dispositif de résolution visant toutes les entités composant ce groupe. En effet, il se peut que les circonstances dans lesquelles le CRU est appelé à apprécier la condition relative à l’intérêt public diffèrent fortement des circonstances dans lesquelles le plan de résolution a été établi. Tel est le cas en l’espèce, le plan de résolution ayant été établi sans tenir compte de la situation géopolitique créée par l’invasion de l’Ukraine par la Russie, survenue postérieurement à l’établissement dudit plan.
134 L’analyse exposée au point 133 ci-dessus n’est pas remise en cause par le considérant 44 du règlement no 806/2014, invoqué par la requérante, lequel vise le contenu des plans de résolution et ne concerne pas la problématique relative à la possibilité de s’écarter dans une décision de résolution d’un plan de résolution.
135 En l’espèce, le CRU a estimé que les circonstances ne justifiaient pas la soumission de Sberbank Europe à une procédure de résolution. La requérante n’a invoqué aucun élément susceptible de remettre en cause l’appréciation du CRU. En particulier, elle semble soutenir que, par principe, les autorités de résolution compétentes doivent suivre le plan de résolution. Cette thèse est toutefois manifestement erronée, ainsi qu’il ressort des points 131 à 133 ci-dessus.
136 Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent qu’il y a lieu de rejeter le septième moyen comme étant non fondé.
Sur les huitième et neuvième moyens, tirés, respectivement, du défaut d’accès au dossier de la procédure et du défaut de notification de la décision attaquée
137 La requérante soutient, pour la première fois dans sa demande du 20 janvier 2023 visant à suspendre la procédure et sans davantage développer, qu’elle n’a pas eu accès au dossier de la procédure menant à l’adoption de la décision attaquée (huitième moyen) et que cette décision ne lui a pas été notifiée (neuvième moyen).
138 Dans ses observations sur le mémoire en intervention de la BCE, la requérante fait valoir que ce défaut de notification constitue une violation des formes substantielles qui doit être examinée d’office par le Tribunal. Cette violation rendrait la décision attaquée inexistante ou entraînerait son annulation.
139 Le CRU fait valoir que les huitième et neuvième moyens sont irrecevables, dès lors qu’ils ont été soulevés tardivement.
140 S’agissant du huitième moyen, tiré du défaut d’accès au dossier, dans la mesure où il n’a pas été soulevé dans la requête et ne se fonde pas sur des éléments de droit et de fait qui se sont révélés pendant la procédure, il doit être considéré comme étant irrecevable, car tardif, en application des dispositions combinées de l’article 76, sous d), et de l’article 84, paragraphe 1, du règlement de procédure (voir, en ce sens, arrêt du 18 septembre 2015, Petro Suisse Intertrade/Conseil, T‑156/13 et T‑373/14, non publié, EU:T:2015:646, points 113 à 115).
141 S’agissant du neuvième moyen, tiré du défaut de notification de la décision attaquée, il doit être rejeté comme étant, en tout état de cause, non fondé. En effet, la décision attaquée n’a pas pour destinataire la requérante et, par conséquent, le CRU n’avait pas l’obligation de la lui notifier, eu égard aux termes de l’article 297, paragraphe 2, troisième alinéa, TFUE. Cette disposition prévoit, notamment, que les décisions qui désignent un destinataire doivent être notifiées à leurs destinataires et prennent effet par cette notification.
142 Eu égard aux considérations qui précèdent, les huitième et neuvième moyens doivent être rejetés.
Sur la demande d’adoption des mesures d’organisation de la procédure ou d’instruction
143 Dans ses observations sur le mémoire en intervention de la BCE, la requérante a demandé au Tribunal d’adopter des mesures d’organisation de la procédure ou d’instruction.
144 En premier lieu, la requérante a demandé au Tribunal d’enjoindre au CRU, à la Commission et à la BCE de produire la version intégrale et non expurgée des documents suivants :
– des analyses du caractère avéré ou prévisible de la défaillance, réalisées par la BCE à l’égard de Sberbank Croatie et de Sberbank Slovénie ;
– des analyses du caractère avéré ou prévisible de la défaillance réalisées par le CRU ;
– des observations présentées par le CRU à la Commission ;
– de tout autre document présentant un intérêt.
145 En second lieu, la requérante a demandé au Tribunal d’enjoindre à la BCE de produire la décision de son conseil des gouverneurs du 26 février 2022 ainsi que tout autre document indiquant le contexte et la motivation de cette décision et de préciser la raison pour laquelle la référence à cette décision était expurgée dans la version non confidentielle de l’évaluation, par la BCE, de la situation FOLTF de la requérante, annexée à la requête.
146 Concernant la demande de la requérante présentée au point 144, premier tiret, ci-dessus, il convient de relever que les documents visés ne sont pas pertinents pour la solution du présent litige, lequel concerne Sberbank Europe et non ses filiales croate et slovène qui sont des entités distinctes. D’ailleurs, la requérante n’explique pas la pertinence de ces documents.
147 Concernant les demandes de la requérante mentionnées au point 144, deuxième, troisième et quatrième tirets, ci-dessus, elles ne sont pas suffisamment précises quant à leur objet.
148 Concernant les demandes présentées au point 145 ci-dessus, force est de constater que la requérante n’explique pas en quoi la divulgation de la décision du conseil des gouverneurs de la BCE du 26 février 2022 ou de tout document connexe serait nécessaire pour corroborer les moyens et arguments invoqués. Par ailleurs, cette décision a trait aux causes de la situation FOLTF de la requérante, cette situation n’ayant pas été contestée devant le Tribunal. Au demeurant, les causes de la situation FOLTF de la requérante ne sont pas pertinentes, en l’espèce, pour l’appréciation de la légalité de la décision attaquée [voir, en ce sens, arrêt du 6 juillet 2022, ABLV Bank/CRU, T‑280/18, sous pourvoi, EU:T:2022:429, point 101 (non publié)].
149 Eu égard aux considérations qui précèdent, les demandes d’organisation de la procédure ou d’instruction sont rejetées.
150 Il ressort de l’ensemble de ce qui précède que le recours doit être rejeté dans son intégralité.
Sur les dépens
151 Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il convient de la condamner à supporter ses propres dépens ainsi que ceux exposés par le CRU, conformément aux conclusions de ce dernier.
152 Conformément à l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure, la BCE supportera ses propres dépens.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (septième chambre)
déclare et arrête :
1) Le recours est rejeté.
2) MeSoFa Vermögensverwaltungs AG, anciennement Sber Vermögensverwaltungs AG, initialement Sberbank Europe AG,supportera ses propres dépens ainsi que ceux exposés par le Conseil de résolution unique (CRU).
3) La Banque centrale européenne (BCE) supportera ses propres dépens.
Kowalik-Bańczyk | Buttigieg | Hesse |
Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 18 juin 2025.
Signatures