Édition provisoire
CONCLUSIONS DE L’AVOCATE GÉNÉRALE
MME JULIANE KOKOTT
présentées le 19 juin 2025 (1)
Affaire C‑738/22 P
Google LLC,
Alphabet Inc.
contre
Commission européenne
« Pourvoi – Concurrence – Abus de position dominante – Appareils mobiles intelligents – Décision constatant une infraction à l’article 102 TFUE et à l’article 54 de l’accord EEE – Système d’exploitation Google Android – Restrictions contractuelles – Vente liée des applications de recherche et de navigation Google Search et Chrome avec la boutique d’applications Play Store – Obligations anti‑fragmentation – Paiements d’exclusivité – Effets d’éviction – Concurrent hypothétique aussi efficace – Justification objective – Infraction unique et continue – Réformation de l’amende »
Table des matières
I. Introduction
II. Les antécédents du litige
A. Les faits
B. La décision litigieuse
C. La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué
1. La procédure devant le Tribunal
2. L’arrêt attaqué
III. La procédure devant la Cour et les conclusions des parties
IV. Appréciation
A. La constatation de l’infraction (premier au cinquième moyens de pourvoi)
1. L’appréciation des ADAM (premier et deuxième moyens de pourvoi)
a) Le lien de causalité entre les ADAM et leurs effets d’éviction (première, troisième et quatrième branches du premier moyen de pourvoi)
1) La prise en compte des APR lors de l’analyse des ADAM (première branche du premier moyen de pourvoi)
2) La distinction entre réglage par défaut et préinstallation (troisième branche du premier moyen de pourvoi)
i) Pas de nouvelle appréciation des faits en pourvoi
ii) Pas d’examen des effets d’une pratique de manière isolée de son contexte
3) Le prétendu aspect proconcurrentiel des ADAM et l’exigence d’une analyse contrefactuelle (quatrième branche du premier moyen de pourvoi)
b) La susceptibilité des ADAM d’évincer des concurrents aussi efficaces (deuxième branche du premier moyen de pourvoi et deuxième moyen de pourvoi)
1) L’appréciation des effets d’éviction des ADAM au regard de « concurrents aussi efficaces » et les raisons du comportement des utilisateurs
i) Le point de départ de la jurisprudence en matière de ventes liées
ii) Constats du Tribunal au regard des effets d’éviction des ADAM
– Création d’un « biais de statu quo » par la préinstallation
– La possibilité pour les FEO de préinstaller et de régler par défaut des services de recherche concurrents
– Les moyens d’atteindre les utilisateurs autres que la préinstallation
– Le lien entre les parts d’utilisation et la préinstallation
– La prise en compte du contexte
iii) Appréciation
2) La vente liée de l’application Google Search et du Play Store
3) La vente liée de Chrome avec le Play Store et Google Search
c) Conclusion sur l’appréciation des ADAM
2. L’appréciation des AAF (troisième et quatrième moyens de pourvoi)
a) La portée de l’abus en ce qui concerne les AAF et ses effets (troisième moyen de pourvoi)
1) La détermination du comportement mis en cause en ce qui concerne les AAF (première branche du troisième moyen de pourvoi)
2) L’attribution des prétendus effets d’éviction (seconde branche du troisième moyen de pourvoi)
b) La justification des AAF (quatrième moyen de pourvoi)
c) Conclusion sur l’appréciation des AAF
3. L’infraction unique et continue (cinquième moyen de pourvoi)
4. Conclusion sur la constatation de l’infraction
B. L’amende (sixième moyen de pourvoi)
C. Conclusion sur l’appréciation du pourvoi
V. Les dépens
VI. Conclusion
I. Introduction
1. Comme le Tribunal l’a noté dans son arrêt Google et Alphabet/Commission (Google Android) (ci-après « l’arrêt attaqué ») (2), le verbe « to google » désigne l’action qui consiste « à utiliser le moteur de recherche de Google pour obtenir des informations sur quelqu’un ou quelque chose sur le réseau Internet mondial ». Comme le Tribunal le souligne à juste titre, rares sont les entreprises qui peuvent se prévaloir d’une notoriété telle que leur nom a donné naissance à un verbe. Ce seul fait témoigne de l’importance acquise par Google dans la vie quotidienne.
2. L’omniprésence du moteur de recherche de Google dans la vie quotidienne de la majorité de la population mondiale, en particulier dans le cadre de l’utilisation d’appareils mobiles intelligents fonctionnant avec son système d’exploitation (ci-après le « SE ») Android, est-elle, d’un point de vue juridique, (entre autre) due à l’abus d’une position dominante ?
3. Telle est, en substance, la question qui sous-tend la présente affaire.
4. Cette question se pose devant l’arrière-plan factuel des conditions que, entre autres, les fabricants d’appareils mobiles intelligents devaient respecter afin de pouvoir obtenir des licences pour les applications les plus importantes de Google, à savoir le Play Store, Google Search et Chrome.
5. Dans la décision C(2018) 4761 final (ci-après la « décision litigieuse ») (3), en grande partie confirmée par le Tribunal, la Commission européenne a considéré que ces conditions contenaient plusieurs infractions de l’interdiction de commettre un abus de position dominante contenue dans l’article 102 TFUE.
6. En vue des constatations litigieuses du Tribunal, la Cour sera appelée, notamment, à se pencher sur la question de savoir si la preuve d’un tel abus nécessite une analyse contrefactuelle de l’état de la concurrence sans le comportement contesté ainsi qu’une analyse de la capacité de ce comportement de produire un effet d’éviction envers des entreprises considérées comme étant aussi efficaces que l’entreprise dominante.
7. La jurisprudence récente de la Cour, notamment dans les arrêts Servizio Elettrico Nazionale e.a. (4), Unilever Italia Mkt. Operations (5), European Superleague Company (6), Google et Alphabet/Commission (Google Shopping) (7) et Commission/Intel Corporation (8), fournit déjà d’importantes orientations pour répondre à ces questions.
II. Les antécédents du litige
8. Le Tribunal a fait état des antécédents du litige aux points 2 à 72 de l’arrêt attaqué qui peuvent, pour les besoins de la présente procédure de pourvoi, être résumés de la manière suivante.
A. Les faits
9. Google LLC est une entreprise établie à Mountain View, Californie (États-Unis), spécialisée dans les produits et les services liés à Internet et active, notamment, au sein de l’Espace économique européen (EEE). Google est une filiale d’Alphabet Inc. (ci-après, prises ensemble, « Google » ou « les requérantes »).
10. Google tire l’essentiel de ses revenus de son produit phare : son moteur de recherche Google Search. Le modèle commercial de Google est fondé sur l’interaction entre, d’une part, des produits et des services liés à Internet proposés le plus souvent sans frais aux utilisateurs et, d’autre part, des services de publicité en ligne, dont elle tire la grande majorité de ses revenus. Ces revenus sont pour la plupart engendrés par Google Search. Le modèle commercial de Google repose donc surtout sur l’augmentation des utilisateurs de ses services de recherche en ligne afin de pouvoir vendre ses services de publicité en ligne. De plus, à l’occasion des interactions des utilisateurs avec ses produits et services, Google collecte des données qui lui permettent de renforcer sa capacité à présenter des réponses de recherche et des annonces publicitaires pertinentes.
11. Le modèle commercial de Google a initialement été développé dans l’environnement des ordinateurs personnels (PC), pour lesquels le navigateur était le principal point d’entrée sur l’internet. Pourtant, par la suite, Google voulait tenir compte du développement de l’internet mobile et du changement fondamental dans les habitudes des utilisateurs que cela allait représenter en ce qui concerne les recherches générales en ligne, compte tenu notamment des opportunités offertes par la géolocalisation. Dans ce cadre, Google a développé une stratégie afin de s’assurer que les utilisateurs allaient également mettre en œuvre leurs recherches via Google Search sur les appareils mobiles.
12. Dans ce contexte, en 2005, Google a acquis l’entreprise qui avait initialement développé le SE Android pour les appareils mobiles intelligents. Selon la Commission, en juillet 2018, environ 80 % des appareils mobiles intelligents utilisés en Europe et dans le monde fonctionnaient avec Android.
13. Lorsque Google développe une nouvelle version d’Android, elle publie le code source en ligne sous licence d’exploitation libre et gratuite (« Android Open Source Project licence », ci-après la « licence AOSP »). Cela permet aux tiers de télécharger et de modifier ce code, pour créer ainsi des « fourches » Android (une fourche est un nouveau logiciel créé à partir du code source d’un logiciel existant).
14. Le SE Android fait partie d’un « écosystème » comportant d’autres éléments comme l’ensemble des services Google Mobile (GMS bundle ou Google Mobile Services, ci-après l’« ensemble SMG »), qui comprend notamment la boutique d’applications Play Store, l’application Google Search et le navigateur Chrome.
15. Le code source Android disponible librement contient les éléments de base d’un SE, mais pas les applications et services Android dont Google est propriétaire. Les fabricants d’équipements d’origine (ci-après les « FEO ») qui souhaitent obtenir des applications et des services de Google doivent donc conclure des contrats avec Google. De tels contrats sont également conclus par Google avec les opérateurs de réseaux mobiles (ci-après les « ORM ») qui souhaitent pouvoir installer les applications et les services propriétaires de Google sur les appareils vendus aux utilisateurs finals.
16. Certains de ces contrats font l’objet de la présente affaire.
B. La décision litigieuse
17. Le 18 juillet 2018, la Commission a adopté la décision litigieuse, dans laquelle elle a imposé une amende à Google LLC et, en partie, à Alphabet Inc., pour une infraction à l’article 102 TFUE et l’article 54 de l’accord EEE.
18. La Commission a identifié quatre types de marchés pertinents, à savoir i) le marché mondial (hors Chine) des SE sous licence pour appareils mobiles intelligents, ii) le marché mondial (hors Chine) des boutiques d’applications Android, iii) les différents marchés nationaux, au sein de l’EEE, de fourniture de services de recherche générale et, iv) le marché mondial des navigateurs Internet conçus pour un usage mobile non spécifiques à un SE (9). Selon la Commission, au cours de la période pertinente, Google détenait une position dominante au sein des trois premiers de ces marchés (10). Ces constatations ne sont plus contestées dans le cadre de la présente procédure de pourvoi.
19. Dans la décision litigieuse, la Commission a considéré que Google avait abusé de sa position dominante sur ces marchés en imposant des restrictions contractuelles anticoncurrentielles aux FEO et ORM (ci-après les « restrictions litigieuses »). La Commission a identifié quatre infractions distinctes correspondant à trois séries de restrictions contractuelles.
20. Premièrement, des restrictions insérées dans les accords de distribution des applications mobiles (ci-après les « ADAM ») représentaient, selon la Commission, deux ventes liées (première et deuxième infraction) (11) :
– D’une part, l’obligation selon laquelle les FEO devaient préinstaller l’application Google Search afin de pouvoir obtenir une licence pour utiliser la boutique d’applications Play Store (premier groupement) ; en imposant cela, Google avait abusé de sa position dominante sur le marché mondial (hors Chine) des boutiques d’applications Android du 1er janvier 2011 jusqu’à la date d’adoption de la décision litigieuse.
– D’autre part, l’obligation selon laquelle les FEO devaient préinstaller le navigateur Chrome afin de pouvoir obtenir une licence pour utiliser le Play Store et Google Search (second groupement) ; en imposant cela, Google avait abusé de sa position dominante sur le marché mondial (hors Chine) des boutiques d’applications Android du 1er août 2012 jusqu’à la date d’adoption de la décision litigieuse.
21. Comme le Tribunal l’a expliqué, ces deux groupements de produits sont complémentaires. Ainsi, le groupement Chrome-Play Store et Google Search est venu se superposer au groupement Google Search-Play Store afin de tenir compte de l’évolution de l’ADAM, lequel ne comportait pas initialement le navigateur Chrome au nombre des applications rassemblées dans l’ensemble SMG. Selon la Commission, l’objectif des deux groupements était de permettre à Google d’atteindre les utilisateurs, afin qu’ils effectuent leurs recherches générales par l’intermédiaire de Google Search soit en tant qu’application de recherche générale, soit en tant que moteur de recherche du navigateur Chrome (12).
22. Deuxièmement, afin de pouvoir obtenir une licence pour le Play Store et Google Search, les FEO devaient conclure un accord anti-fragmentation (ci-après « AAF ») en vertu duquel ils ne pouvaient pas vendre d’appareils fonctionnant sur des versions d’Android qui n’étaient pas approuvées par Google (troisième infraction). Partant, il n’était possible de conclure un ADAM qu’après avoir conclu un AAF. En imposant cela, Google avait abusé de sa position dominante sur les marchés des boutiques d’applications Android et de la recherche générale du 1er janvier 2011 jusqu’à la date d’adoption de la décision litigieuse (13).
23. Troisièmement, les accords de partage des revenus (ci-après les « APR ») contenaient des restrictions en vertu desquels Google accordait aux FEO et aux ORM un pourcentage de ses recettes publicitaires pour autant que ces fabricants ou opérateurs aient accepté de ne pas préinstaller de service de recherche générale concurrent sur aucun appareil d’un portefeuille déterminé d’un commun accord (ci-après les « APR par portefeuille ») (quatrième infraction). En imposant cela, Google avait abusé de sa position dominante sur les marchés nationaux de la recherche générale du 1er janvier 2011 jusqu’au 31 mars 2014 (14). Par la suite, Google a conclu des APR par appareil, en vertu desquels le partage de revenus par Google dépendait de ce que les FEO et ORM ne préinstallent aucun service de recherche générale concurrent sur un certain appareil pour lequel le partage de revenus était payé. Ces APR par appareil n’ont pas été qualifiés d’illégaux par la Commission.
24. Selon la Commission, les restrictions litigieuses avaient pour objectif de protéger et de renforcer la position dominante de Google sur les marchés nationaux des services de recherche générale dans l’EEE et, partant, les revenus obtenus par cette entreprise au moyen des annonces publicitaires liées à ces recherches. L’objectif commun et l’interdépendance des restrictions litigieuses ont amené la Commission à les qualifier d’infraction unique et continue à l’article 102 TFUE et à l’article 54 de l’accord EEE.
25. Pour sanctionner ces pratiques considérées comme abusives, la Commission a infligé à Google LLC une amende de 4 342 865 000 euros, dont 1 921 666 000 euros conjointement et solidairement avec Alphabet Inc. En outre, la Commission a enjoint à Google de mettre fin aux pratiques contestées dans le délai de 90 jours qui suivaient la notification de la décision litigieuse.
C. La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué
1. La procédure devant le Tribunal
26. Par requête déposée au greffe du Tribunal le 9 octobre 2018, Google a introduit un recours contre la décision litigieuse. Devant le Tribunal, Google a été soutenue en ses conclusions par l’Application Developers Alliance (ci-après « l’ADA »), la Computer & Communications Industry Association (ci-après la « CCIA »), Gigaset Communications GmbH (ci-après « Gigaset »), HMD global Oy (ci-après « HMD ») et Opera Norway AS, auparavant Opera Software AS (ci-après « Opera »).
27. La Commission a été soutenue en ses conclusions par le BDZV – Bundesverband Digitalpublisher und Zeitungsverleger eV (ci-après le « BDZV »), le Bureau européen des unions de consommateurs (ci-après le « BEUC »), FairSearch AISBL, Qwant, Seznam.cz, a.s. (ci-après « Seznam ») et le Verband Deutscher Zeitschriftenverleger eV (ci-après le « VDZ »).
28. Le Tribunal a traité l’affaire sur la base d’une version commune non confidentielle du dossier. Dans l’arrêt attaqué, certaines données confidentielles connues des parties principales ont été remplacées par les fourchettes utilisées dans la version publique de la décision litigieuse disponible sur le site Internet de la Commission (15).
2. L’arrêt attaqué
29. Dans son arrêt attaqué, le Tribunal a annulé la décision litigieuse pour autant qu’elle concernait les APR par portefeuille, c’est-à-dire le quatrième élément de l’infraction unique et continue.
30. En outre, le Tribunal a fixé le montant de l’amende infligée à Google LLC à 4 125 000 000 euros, dont 1 520 605 895 euros conjointement et solidairement avec Alphabet Inc.
31. Le Tribunal a rejeté le recours pour le surplus et condamné l’ensemble des parties à supporter leurs propres dépens.
III. La procédure devant la Cour et les conclusions des parties
32. Par acte du 30 novembre 2022, Google a introduit un pourvoi contre l’arrêt attaqué.
33. Comme devant le Tribunal, Google est soutenue devant la Cour par l’ADA, la CCIA, Gigaset, HMD et Opera.
34. La Commission est soutenue dans la procédure de pourvoi, également comme devant le Tribunal, par le BDZV, le BEUC, FairSearch, Qwant, Seznam et le VDZ.
35. Par ordonnances du 19 janvier (16) et du 18 avril 2023 (17), le président de la Cour a ordonné, à la demande des requérantes, qu’un traitement confidentiel de la décision litigieuse ainsi que de certaines informations contenues dans la note en bas de page 98 du mémoire en défense de la Commission serait réservé à l’égard des intervenants. Un traitement confidentiel avait déjà été réservé à ces éléments à l’égard des mêmes parties en première instance.
36. Google conclut à ce qu’il plaise à la Cour :
– annuler l’arrêt attaqué ;
– annuler la décision litigieuse ;
– à titre subsidiaire, renvoyer l’affaire devant le Tribunal ;
– à titre encore plus subsidiaire, annuler le point 2 du dispositif de l’arrêt attaqué et fixer le montant de l’amende infligée à l’article 2 de la décision litigieuse à un montant sensiblement moins élevé, et
– condamner la Commission aux dépens exposés par Google dans la présente procédure et dans la procédure devant le Tribunal.
37. L’ADA, la CCIA, Gigaset, HMB et Opera concluent à ce que la Cour fasse droit aux conclusions de Google et condamne la Commission à supporter les dépens.
38. La Commission conclut à ce qu’il plaise à la Cour :
– rejeter le pourvoi, et
– condamner Google à supporter les dépens.
39. Le BEUC, FairSearch et Seznam concluent également à ce que la Cour rejette le pourvoi et condamne Google à supporter les dépens.
40. Les parties ont été entendues en leurs observations et en leurs réponses aux questions de la Cour lors de l’audience du 28 janvier 2025.
IV. Appréciation
41. Au soutien de son pourvoi, Google avance six moyens dont les cinq premiers concernent la constatation de l’infraction (A) alors que le sixième critique la façon dont le Tribunal a mis en œuvre son pouvoir de pleine juridiction afin de réformer le montent de l’amende (B).
A. La constatation de l’infraction (premier au cinquième moyens de pourvoi)
42. Comme exposé aux points 19 à 23 des présentes conclusions, l’infraction unique et continue constatée par la Commission dans la décision litigieuse comprenait quatre infractions distinctes qui représentent trois séries de restrictions contractuelles :
– les conditions de préinstallation des ADAM, conformément auxquelles une licence pour le Play Store ne pouvait être obtenue que si Google Search était préinstallé (premier groupement) et une licence pour le Play Store et Google Search ne pouvait être obtenue que si Chrome était préinstallé (second groupement) ;
– les AAF, conformément auxquels une licence pour le Play Store et Google Search ne pouvait être obtenue que si les FEO ne commercialisaient pas d’appareils fonctionnant avec des versions d’Android non approuvées par Google ;
– et, finalement, les APR par portefeuille, conformément auxquels un pourcentage des recettes publicitaires de Google pouvait être obtenu si aucune application de recherche concurrente n’était préinstallée.
43. La constatation selon laquelle les APR par portefeuille étaient anticoncurrentiels a été annulée par le Tribunal dans l’arrêt attaqué et cette annulation n’est pas contestée par la Commission dans le cadre de la présente procédure de pourvoi. Partant, les constatations du Tribunal à cet égard sont définitives.
44. Par ses premier et deuxième moyens de pourvoi, Google soutient que le Tribunal a commis des erreurs de droit lors de son appréciation des ADAM (1). Les troisième et quatrième moyens de pourvoi concernent la qualification des AAF (2). Finalement, par son cinquième moyen de pourvoi, Google critique la constatation d’une infraction unique et continue (3).
1. L’appréciation des ADAM (premier et deuxième moyens de pourvoi)
45. Par son premier moyen de pourvoi, Google remet en question l’appréciation du lien de causalité entre les conditions de préinstallation des ADAM et leurs prétendus effets d’éviction (a). Dans le cadre de son deuxième moyen de pourvoi, elle allègue que le Tribunal a, à tort, confirmé la décision litigieuse alors que la Commission n’avait pas établi la capacité des ADAM à produire des effets d’éviction à l’égard d’entreprises considérées comme étant aussi efficaces que Google elle-même (b).
a) Le lien de causalité entre les ADAM et leurs effets d’éviction (première, troisième et quatrième branches du premier moyen de pourvoi)
46. Conformément au premier moyen de pourvoi de Google, le Tribunal a commis des erreurs lors de l’appréciation du lien de causalité entre les conditions de préinstallation des ADAM et leur capacité à restreindre la concurrence.
47. Ce moyen de pourvoi est divisé en quatre branches, dont la deuxième se recoupe largement avec l’argumentation avancée par Google dans le cadre de son deuxième moyen de pourvoi. Partant, je traiterai cette branche aux points 99 et suivants des présentes conclusions dans le contexte du deuxième moyen de pourvoi.
48. Avec les trois branches restantes de son premier moyen de pourvoi, Google fait valoir, d’abord, que le Tribunal a commis une erreur de droit lorsqu’il a tenu compte des APR en tant qu’élément de contexte (1). Ensuite, il aurait commis une erreur de droit en affirmant qu’il n’était pas nécessaire de distinguer les effets du réglage par défaut de ceux de la préinstallation (2). Enfin, il n’aurait pas pris en compte la concurrence (ou l’absence de concurrence) qui aurait existé en l’absence des conditions de préinstallation des ADAM (3).
49. Selon la Commission, le premier moyen de pourvoi est inopérant parce qu’il est basé sur la prémisse erronée qu’une analyse contrefactuelle est la seule manière d’établir si un comportement est susceptible de restreindre la concurrence. Or, pareille suggestion ne trouverait aucun soutien dans la jurisprudence de la Cour. Une analyse contrefactuelle ne serait qu’une manière, mais pas la seule, d’établir si un comportement est susceptible de restreindre la concurrence.
50. Il est vrai que, selon la jurisprudence, les effets actuels ou potentiels de pratiques examinées peuvent être établis en ayant recours à un ensemble d’éléments probatoires, sans que la Commission soit tenue de recourir systématiquement à un outil unique pour prouver l’existence d’un tel lien de causalité (18).
51. Toutefois, les arguments avancés par Google dans le cadre de son premier moyen de pourvoi ne concernent pas seulement l’appréciation de l’obligation du Tribunal de mettre en œuvre une analyse contrefactuelle, mais aussi certains aspects pris en compte par le Tribunal lors de l’examen de la nature abusive des ADAM. Il s’ensuit que ces arguments sont susceptibles de remettre en cause les appréciations du Tribunal sous-tendant le dispositif de l’arrêt attaqué et de conduire, sous réserve de leur bien-fondé, à l’annulation de cet arrêt (19).
52. Partant, l’objection de la Commission tirée du caractère inopérant du premier moyen de pourvoi doit être rejetée.
1) La prise en compte des APR lors de l’analyse des ADAM (première branche du premier moyen de pourvoi)
53. Par la première branche de son premier moyen de pourvoi, Google fait valoir que le Tribunal a commis une erreur de droit lorsqu’il a pris en compte, lors de l’appréciation des effets des ADAM, les effets des APR par appareil, qui n’ont pas été contestés par la Commission, ainsi que les effets des APR par portefeuille, dont le caractère abusif n’était, selon le Tribunal, pas établi. En procédant de la sorte, le Tribunal n’aurait pas prouvé que les prétendus effets d’éviction étaient causés par les conditions de préinstallation des ADAM.
54. Cette argumentation soulève, en substance, la question de savoir si une pratique qui a été qualifiée d’abusive par la Commission, mais non par le Tribunal, peut néanmoins être prise en compte en tant qu’élément de contexte lors de l’analyse des autres composantes d’une infraction unique et continue, qui ont été qualifiées d’abusives.
55. Comme exposé aux points 23 et 42 des présentes conclusions, l’infraction unique et continue de Google comportait, selon la Commission, les APR par portefeuille. Ces accords garantissaient aux FEO et ORM un pourcentage des revenus publicitaires de Google, pourvu que ces fabricants et opérateurs aient consenti de ne pas préinstaller un service de recherche générale concurrent sur aucun appareil d’un portefeuille déterminé. Partant, si les FEO ou ORM concernés préinstallaient un service de recherche générale concurrent sur un quelconque appareil au sein d’un portefeuille prédéfini et convenu, ils perdaient tout partage de revenu au regard du portefeuille en entier (20).
56. Selon la décision litigieuse, ces APR par portefeuille mettaient en œuvre des paiements d’exclusivité, dont l’objet était d’assurer que Google avait le droit exclusif de préinstaller des applications de recherche générale sur des appareils mobiles (21). Afin de parvenir à cette conclusion, la Commission a mis en œuvre, notamment, une analyse de la susceptibilité de la pratique contestée d’évincer des concurrents aussi efficaces, avec un test dit du concurrent aussi efficace (« As Efficient Competitor Test », ci-après le « test AEC ») (22).
57. Toutefois, le Tribunal conclut que le constat de la nature abusive des APR par portefeuille n’était pas établi à suffisance de droit en raison d’erreurs commises par la Commission lors de l’examen de leur couverture du marché et de la mise en œuvre du test AEC (23). Comme déjà indiqué aux points 29 et 43 des présentes conclusions, le Tribunal a donc annulé la décision litigieuse en ce qui concerne la nature abusive des APR par portefeuille. La Commission n’a pas remis en cause ce constat dans le cadre du présent pourvoi. Partant, la conclusion selon laquelle elle n’a pas établi la nature abusive des APR par portefeuille a acquis force de chose jugée.
58. À partir de 2013, Google a progressivement remplacé les APR par portefeuille par des APR par appareil. En vertu d’un APR par appareil, la part des revenus de Google partagée avec un FEO ou un ORM dépendait du nombre d’appareils vendus qui respectaient l’obligation de ne pas installer des services de recherche générale concurrents. Partant, les APR par appareil permettaient à un FEO ou un ORM de commercialiser, pour le même type d’appareils, certains appareils qui comportaient exclusivement le service de recherche générale de Google et d’autres qui offraient également des services de recherche générale concurrents. La Commission n’a pas qualifié ces APR par appareil d’abusifs (24).
59. Même si, selon les constats de la Commission et du Tribunal, ni les APR par appareil ni les APR par portefeuille n’étaient abusifs pris séparément, le Tribunal les a pris en compte lors de son analyse des ADAM (25). Selon le Tribunal, cela était justifié parce qu’il était correct que la décision litigieuse avait pris en compte les APR par appareil et par portefeuille en tant qu’aspects du contexte factuel aux fins de l’analyse des effets d’éviction causés par les autres aspects de l’infraction unique et continue et donc aussi des ADAM. Le Tribunal a souligné notamment que, indépendamment de la qualification des APR en termes de droit de le concurrence, les effets combinés des pratiques mises en œuvre par Google accordaient à celle-ci le bénéfice, en ce qui concerne Google Search, d’une préinstallation exclusive qui couvrait, au moins jusqu’en 2016, plus que la moitié de tous les appareils commercialisés dans l’EEE qui fonctionnaient avec un SE basé sur Android (26).
60. Avant d’examiner le bien-fondé de cette approche, il doit être noté, d’une part, que, selon une jurisprudence constante de la Cour, la question de savoir si une pratique constitue un abus de position dominante au sens de l’article 102 TFUE doit toujours être appréciée au regard de l’ensemble des circonstances factuelles pertinentes de l’espèce (27). D’autre part, une autorité de concurrence ne saurait s’appuyer sur les effets qu’une pratique aurait pu produire si certaines circonstances particulières, qui n’étaient pas celles prévalant sur le marché au moment de sa mise en œuvre, s’étaient réalisées (28).
61. Dans ce contexte, la prise en compte d’un élément factuel ne dépend pas, comme la Cour l’a clarifié, par exemple, dans l’arrêt AstraZeneca/Commission, du point de savoir si cet élément relève d’un comportement qui est en lui-même qualifié d’abusif (29). De la même manière, la Cour a expliqué dans l’arrêt Sony Optiarc et Sony Optiarc America/Commission que, si un ensemble de comportements est qualifié d’infraction unique et continue, il ne saurait en être déduit que chacun de ces comportements doit, en lui-même et pris isolément, nécessairement être qualifié d’infraction distincte à cette disposition (30). Dans l’arrêt Google et Alphabet/Commission (Google Shopping), la Cour a constaté que deux pratiques qui étaient légales si elles étaient analysées en elles-mêmes et prises isolément, étaient abusives parce que, en combinaison, elles s’écartaient de la concurrence par les mérites et avaient des effets anticoncurrentiels (potentiels) (31).
62. En l’espèce, le Tribunal a conclu que les effets combinés des ADAM et des APR devaient être pris en compte en raison de la nature complémentaire des diverses pratiques de Google. Le résultat de l’obligation contractuelle des APR de n’installer rien d’autre que Google Search pour des recherches générales était que la possibilité théorique de préinstaller un service concurrent des applications de Google, même si elle était en principe permise par les ADAM, était de fait exclue, de 2011 à 2016, pour au moins la moitié des appareils avec Google Android vendus dans l’EEE. En d’autres termes, les APR garantissaient à Google que seulement son propre service de recherche était installé sur les appareils concernés, ce qui doit être pris en compte lors de l’analyse des effets anticoncurrentiels des ADAM (en particulier concernant la question de savoir si des services de recherche concurrents pouvaient compenser l’avantage de Google moyennant une préinstallation à côté du service de cette dernière) (32).
63. Dans ce contexte, les APR étaient seulement l’un des éléments pris en compte par le Tribunal afin d’examiner si les services de recherche concurrents pouvaient compenser l’avantage obtenu par Google grâce aux ADAM (33). Partant, contrairement à ce que soutient Google, le Tribunal ne peut pas être critiqué pour ne pas avoir tenu compte du fait que les APR ne couvraient pas tous les appareils couverts par les ADAM lorsqu’il a pris en compte les premiers pour l’examen des seconds.
64. Néanmoins, Google et Gigaset font valoir que les effets anticoncurrentiels des ADAM ne sont pas établis parce que, dans un scénario contrefactuel sans ces accords, les APR auraient eu les mêmes effets d’éviction au détriment de services de recherche concurrents.
65. Toutefois, il n’est tout simplement pas possible d’ignorer les ADAM et d’analyser les effets des APR isolément. En effet, les FEO concernés avaient préinstallé le service de recherche Google Search, qui était l’objet des APR, sur un grand nombre (34) d’appareils grâce aux ADAM afin d’obtenir le Play Store, qui était indispensable pour eux et pour lequel Google détenait une position dominante.
66. En raison de cette interaction entre les ADAM et les APR, les autres fournisseurs de services de recherche générale ne se trouvaient pas dans la même position de départ que Google en ce qui concerne la conclusion d’un APR. En effet, d’une part, Google Search, le service de recherche de Google, était déjà préinstallé dès le départ sur un grand nombre d’appareils mobiles intelligents, tandis que les autres fournisseurs devaient d’abord faire un effort afin d’obtenir une préinstallation de leur service à côté de celui de Google. D’autre part, en raison des ADAM, aucun autre fournisseur de services de recherche ne pouvait obtenir une exclusivité sur les appareils concernés.
67. Contrairement à ce que Google et Gigaset ont soutenu durant l’audience, les constatations de la Cour dans son arrêt du 10 septembre 2024 (C‑48/22 P, EU:C:2024:726), Google et Alphabet/Commission (Google Shopping) au sujet des effets combinés de telles pratiques imbriquées sont également pertinentes en l’espèce, malgré les différences entre les deux affaires. Il est vrai que, dans ladite affaire, la Commission n’a pas contesté les deux pratiques concernées prises isolément, mais seulement dans leur combinaison, tandis que, en l’espèce, elle a constaté qu’aussi bien les ADAM que les APR par portefeuille étaient abusifs. Toutefois, cela ne signifie pas que les effets des deux pratiques doivent être analysés de manière isolée en l’espèce alors que, en réalité, ces pratiques déployaient leurs effets ensemble.
68. Diviser artificiellement deux pratiques aussi intrinsèquement entremêlées afin d’analyser leurs effets ne serait pas réaliste et ne tiendrait pas compte des effets combinés des deux composantes (35). Comme l’a souligné le Tribunal, une distinction doit être faite à cet égard entre les hypothèses théoriques de concurrence et la réalité pratique (36). Cela est d’autant plus vrai dans la mesure où, comme la Commission l’a expliqué à l’audience, dans des marchés comme ceux concernés en l’espèce, qui se caractérisent par des effets de réseau dynamiques, il peut être pratiquement impossible d’analyser comment chaque élément contextuel en lui-même et de manière isolée a spécifiquement contribué aux effets d’éviction.
69. Il s’ensuit que le Tribunal n’a pas commis d’erreur de droit lorsqu’il a constaté que, indépendamment de leur propre qualification d’abusifs ou pas, les APR pouvaient être pris en compte lors de l’analyse des effets des ADAM. Partant, la première branche du premier moyen de pourvoi doit être rejetée.
2) La distinction entre réglage par défaut et préinstallation (troisième branche du premier moyen de pourvoi)
70. Dans le cadre de la troisième branche de son premier moyen de pourvoi, Google fait valoir que le Tribunal a commis une erreur lorsqu’il a jugé que les preuves relatives au réglage par défaut étaient pertinentes pour l’analyse des conditions de préinstallation des ADAM. Toutefois, seules les dernières (et non les ADAM dans leur ensemble, y compris les dispositions sur le réglage par défaut (37)) avaient été qualifiées d’abusives dans la décision litigieuse. En procédant de la sorte, le Tribunal aurait approuvé l’analyse des ADAM par la Commission sans exiger de cette dernière de prouver le lien causal entre les conditions de préinstallation et leurs prétendus effets d’éviction.
71. Le réglage par défaut désigne le paramétrage par défaut d’un service dans une application donnée. La préinstallation signifie que des applications sont préchargées sur des appareils au stade de leur configuration avant qu’ils ne soient commercialisés (38).
72. Le Tribunal a examiné les arguments de Google concernant la distinction entre préinstallation et réglage par défaut aux points 320 à 418 de l’arrêt attaqué. Dans ces points, il a analysé la critique de Google selon laquelle la Commission n’aurait pas établi dans la décision litigieuse que les conditions de préinstallation créaient un « biais de statu quo ». Comme exposé, par exemple, aux points 321 et 331 de l’arrêt attaqué, ce terme signifie que les utilisateurs ont tendance à utiliser ce qui est déjà préinstallé sur leur appareil et leur est proposé.
73. Dans ce contexte, le Tribunal a constaté, d’abord, aux points 327 à 335 de l’arrêt attaqué, que la distinction suggérée par Google entre réglage par défaut et préinstallation ne présentait pas d’intérêt pratique. Il s’avérerait qu’il n’est pas aisé de procéder à une telle différenciation, parce qu’aussi bien Google que d’autres acteurs utilisaient le terme « par défaut » dans un sens large et opéraient un amalgame entre les notions de « réglage par défaut » et de « préinstallation ». De plus, il n’était pas contesté que la préinstallation d’une application confère en elle-même un avantage sur des applications concurrentes. Enfin, les conditions de préinstallation des ADAM incluaient également des dispositions concernant le placement privilégié ou le réglage par défaut.
74. Dans ce contexte, le Tribunal a constaté que les éléments de preuve critiqués par Google pouvaient donc bien être invoqués pour établir l’existence d’une tendance générale à figer la situation, qu’ils concernent à proprement parler le réglage par défaut, la préinstallation ou encore le placement privilégié. Par conséquent, pour le Tribunal, il n’y avait pas lieu d’emblée, pour établir l’existence d’un « biais de statu quo », de distinguer avec précision, comme le souhaitait Google, les effets du réglage par défaut des effets de la préinstallation.
75. Sur la base de cette prémisse, le Tribunal a examiné, aux points 340 à 394 de l’arrêt attaqué, les preuves sur lesquelles s’est basée la décision litigieuse, en provenance de Google elle-même, HP, Nokia, Amazon et Mozilla, une analyse de Yandex ainsi que l’accord de préinstallation entre Microsoft et Verizon ; aux points 395 à 408 de cet arrêt, certaines comparaisons effectuées dans la décision litigieuse en utilisant une étude de FairSearch, des données en provenance de Microsoft et des données Netmarketshare ainsi que la comparaison des revenus de Google en provenance d’appareils Android et iOS, et, aux points 409 à 418 dudit arrêt, certains éléments relatifs à Chrome par référence à la comparaison des revenus de Google par l’intermédiaire de Safari et par l’intermédiaire de Chrome, ainsi qu’à un sondage Opera.
76. Au point 418 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a conclu que les différents arguments avancés par Google pour réfuter l’avantage conféré par la préinstallation des applications Google Search et Chrome sur les appareils Google Android ne permettaient pas de remettre en cause les conclusions tirées par la Commission des différents éléments exposés dans la décision litigieuse à cet égard.
77. En critiquant ces constatations, Google fait valoir dans son pourvoi que le Tribunal est allé au-delà des constatations de la décision litigieuse lorsqu’il a jugé, au point 349 de l’arrêt attaqué, que les arguments examinés dans celle-ci étaient valables dans le contexte des deux notions litigieuses. Toutefois, selon Google, la motivation du Tribunal, exposée aux points 329 à 334 de l’arrêt attaqué (résumée aux points 73 et 74 des présentes conclusions), afin de démontrer qu’il n’est pas nécessaire de distinguer précisément les deux notions, ne serait pas convaincante. Dans ce contexte, le raisonnement du Tribunal décrit au point 75 des présentes conclusions serait erroné.
78. D’une part, l’argumentation de Google est en partie irrecevable parce qu’elle vise à obtenir une nouvelle appréciation des faits par la Cour (i). D’autre part, cette argumentation ne saurait prospérer parce qu’elle est contraire aux principes exposés ci-dessus selon lesquels les effets anticoncurrentiels d’une pratique doivent être examinés dans son contexte (ii).
i) Pas de nouvelle appréciation des faits en pourvoi
79. D’une part, les arguments de Google sont irrecevables dans la mesure où Google tente, en réalité, d’obtenir une nouvelle appréciation des preuves produites devant le Tribunal. Or, le Tribunal est seul compétent pour apprécier les preuves (39), sauf si les preuves produites devant lui ont été dénaturées. Une telle dénaturation doit être suffisamment circonstanciée par le requérant et apparaître de façon manifeste des pièces du dossier, sans qu’il soit nécessaire de procéder à une nouvelle appréciation des faits et des preuves (40).
80. Toutefois, dans le cadre de sa critique résumée au point 77 des présentes conclusions, Google ne fait pas valoir que le Tribunal a dénaturé les preuves qu’il a appréciées, et une telle dénaturation ne ressort pas non plus de façon manifeste du dossier. La question de savoir si les faits et les preuves concernant le réglage par défaut sont aussi pertinents au regard de la préinstallation et comment les différents acteurs ont fait des amalgames entre les deux notions sont plutôt des points qui concernent l’appréciation des faits et des preuves. Une telle appréciation revêt un caractère différent du contrôle d’une dénaturation qui vise à examiner si l’interprétation retenue par le Tribunal des éléments de preuve est manifestement contraire à leur libellé (41). À cet égard, Google est également restée en défaut d’alléguer une violation quelconque des règles relatives à la charge de la preuve et à l’administration de la preuve qui relèveraient de la compétence de la Cour dans le cadre du pourvoi.
ii) Pas d’examen des effets d’une pratique de manière isolée de son contexte
81. D’autre part, les arguments de Google concernent la question de savoir si la Commission avait l’obligation d’examiner les conditions de préinstallation des ADAM de manière isolée de leur contexte, en particulier des obligations concernant le réglage par défaut et le placement privilégié. Cette question concerne la qualification juridique de ces faits par le Tribunal et les conclusions juridiques qu’il en a tirées, ce qui relève de la compétence de la Cour dans le cadre du pourvoi (42).
82. Toutefois, comme nous l’avons déjà exposé aux points 60, 61, 67 et 68 des présentes conclusions dans le cadre de la première branche de ce moyen de pourvoi, la prémisse de Google selon laquelle, afin de démontrer les effets anticoncurrentiels d’une pratique, celle-ci doit être analysée de manière isolée de son contexte, est erronée. Comme expliqué dans ces points, la qualification d’une pratique d’abus de position dominante au sens de l’article 102 TFUE doit toujours être analysée au regard de tous les faits pertinents du cas concret. Ce faisant, la prise en compte d’un élément factuel ne dépend pas du point de savoir s’il provient d’une pratique qui a été en elle-même qualifiée d’abusive. Cela est particulièrement vrai lorsque différentes pratiques – le cas échéant aussi bien abusives que licites – sont interconnectées de façon si proche que leurs effets se conjuguent et ne peuvent pas être analysés de manière isolée.
83. Au vu de tout cela ainsi que de l’appréciation souveraine des preuves par le Tribunal, qui n’a pas été remise en question de manière circonstanciée par Google, le Tribunal a eu raison lorsqu’il n’a pas exigé que la Commission distingue précisément entre préinstallation et réglage par défaut lorsqu’elle a examiné les preuves afin d’analyser si les conditions de préinstallation des ADAM créaient un « biais de statu quo ».
84. Il s’ensuit que la troisième branche du premier moyen de pourvoi doit également être rejetée.
3) Le prétendu aspect proconcurrentiel des ADAM et l’exigence d’une analyse contrefactuelle (quatrième branche du premier moyen de pourvoi)
85. Par la quatrième branche de son premier moyen de pourvoi, Google critique le fait que le Tribunal n’a pas exigé de la Commission de mettre en œuvre une analyse contrefactuelle afin d’examiner si un modèle de licence ouvert comme celui d’Android, dont elle avait reconnu l’aspect proconcurrentiel, aurait été possible sans les règles contestées des ADAM.
86. Google fait valoir que durant l’ensemble de la procédure administrative ainsi que devant le Tribunal, elle avait expliqué que les conditions de préinstallation des ADAM étaient la contrepartie non-monétaire qu’elle recevait des FEO en échange de la fourniture du SE Android, du Play Store, de l’ensemble SMG et d’autres services liés gratuitement. Cet échange non-monétaire aurait permis plus d’opportunités de distribution et plus de concurrence que tout autre arrangement de licence alternatif réaliste.
87. Google critique le fait que la Commission a condamné cet échange non-monétaire permis par les conditions de préinstallation des ADAM sans jamais examiner si des alternatives réalistes quelconques auraient donné lieu à des opportunités de distribution égales ou plus importantes pour des concurrents.
88. Selon Google, lorsqu’il a approuvé cette approche, le Tribunal a apprécié de façon erronée la question de savoir si les conditions de préinstallation des ADAM avaient des effets anticoncurrentiels. Cela aurait en effet nécessité une analyse de la manière dont la concurrence se serait déployée sans le comportement contesté. En l’espèce, il aurait fallu examiner si un système de licence ouvert et gratuit avec tous ses avantages aurait été réaliste sans l’échange non-monétaire représenté par les conditions de préinstallation des ADAM.
89. Aux points 590 à 594 de l’arrêt attaqué, contestés par Google dans ce contexte, le Tribunal a examiné la critique de Google selon laquelle la Commission n’aurait pas pris en compte toutes les circonstances pertinentes pour l’appréciation des prétendus effets du comportement litigieux.
90. En revanche, Google ne conteste pas les points 599 à 619 de l’arrêt attaqué, qui concernent ses arguments au regard de la justification objective des ADAM.
91. Aux points 590 à 594 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a expliqué que la Commission avait examiné les arguments de Google dans la décision litigieuse, mais avait rejeté ces arguments parce que le comportement considéré comme abusif ne concernait pas le développement et la maintenance de la plateforme Android ni le fait qu’elle est ouverte et gratuite. Ce n’était au contraire qu’un seul aspect des ADAM qui était concerné, dont les effets restreignaient la concurrence, à savoir les conditions de préinstallation. Ces conditions conféraient un avantage compétitif à Google en raison du « biais de statu quo » qu’elles créaient qui ne pouvait pas être compensé par des concurrents et qui restreignait la concurrence par les mérites au détriment des consommateurs.
92. Contrairement à ce que Google fait valoir dans son pourvoi, le Tribunal n’a pas commis d’erreur lorsque, à la lumière de ces constatations, il n’a pas exigé de la Commission d’examiner dans le contexte d’une analyse contrefactuelle comment la concurrence aurait pu se déployer sur les marchés pertinents sans les conditions litigieuses.
93. Il est certes vrai que la Commission doit établir le lien causal entre le comportement abusif contesté et ses effets anticompétitifs. Toutefois, dans ce contexte, il est loisible à la Commission de s’appuyer sur un ensemble d’éléments probatoires, sans qu’elle soit tenue de recourir systématiquement à un outil unique, en particulier une analyse contrefactuelle, pour prouver l’existence d’un tel lien de causalité (43). Cela est particulièrement vrai si une telle analyse n’est pas requise dans les circonstances du cas concret afin d’établir les effets (notamment potentiels) du comportement en cause.
94. Afin d’établir l’abus d’une position dominante, il suffit de prouver que le comportement en cause est susceptible de produire des effets d’éviction. En revanche, il n’est pas requis de prouver ses effets actuels. Partant, la circonstance que – contrairement à ses concurrents – seule l’entreprise dominante a pu influencer le comportement des clients ou utilisateurs de façon discriminatoire au détriment de ces concurrents peut être suffisante afin d’établir que le comportement en cause était susceptible de porter atteinte à une concurrence effective et non faussée (44).
95. Comme exposé au point 91 des présentes conclusions, le Tribunal a constaté que les conditions de préinstallation des ADAM conféraient un avantage concurrentiel à Google en raison du « biais de statu quo » créé par ces conditions qui ne pouvait être compensé par des concurrents.
96. Sous réserve de l’examen de la deuxième branche du premier moyen de pourvoi ainsi que du deuxième moyen de pourvoi aux points 99 et suivants des présentes conclusions, il s’ensuit que le Tribunal a établi que la décision des utilisateurs d’avoir recours à Google Search et Chrome plutôt qu’à des applications concurrentes a été influencée de façon discriminatoire par le « biais de statu quo » que les concurrents ne pouvaient pas compenser. Dans ces circonstances, il a eu raison de ne pas exiger une analyse contrefactuelle supplémentaire.
97. De plus, contrairement à ce que fait valoir Google, il ne peut être exigé de la Commission d’opérer des considérations sur la manière dont l’entreprise dominante aurait pu se comporter si elle n’avait pas adopté le comportement abusif contesté. Le scénario contrefactuel, même s’il est hypothétique, doit néanmoins être réaliste et crédible (45). Or, d’une part, dans un cas comme celui de l’espèce, le fonctionnement des marchés pertinents se caractérise par des variables comme l’innovation, l’accès aux données, les aspects multifaces, le comportement des utilisateurs ou les effets de réseau (46). D’autre part, ce fonctionnement et, notamment, le comportement des usagers ont déjà été substantiellement influencés par les stratégies de Google. Partant, il n’apparaît pas possible d’établir des pronostics réalistes ou plausibles d’options que Google aurait pu choisir au lieu des ADAM ou comment ces options auraient influencé les marchés pertinents.
98. Il s’ensuit que la quatrième branche du premier moyen de pourvoi doit également être rejetée.
b) La susceptibilité des ADAM d’évincer des concurrents aussi efficaces (deuxième branche du premier moyen de pourvoi et deuxième moyen de pourvoi)
99. Dans le cadre de la deuxième branche de son premier moyen de pourvoi, Google fait valoir que le Tribunal a commis une erreur de droit lorsqu’il a confirmé l’appréciation de la Commission selon laquelle la conclusion que les utilisateurs ne téléchargeaient pas souvent des applications de recherche et de navigation concurrentes suffisait afin d’établir les effets anticoncurrentiels des conditions de préinstallation des ADAM. Pourtant, aussi bien la Commission que le Tribunal auraient reconnu qu’il n’y avait eu aucune contrainte technique ou financière pour empêcher les utilisateurs de télécharger des services concurrents. Partant, ils auraient dû examiner si la décision des utilisateurs de ne pas télécharger plus fréquemment des applications concurrentes était due à leur préférence et à la qualité supérieure des applications de Google plutôt qu’au « biais de statu quo » prétendument créé par la préinstallation.
100. Par son deuxième moyen de pourvoi, Google allègue que le Tribunal a eu tort de confirmer la décision litigieuse alors qu’elle n’avait pas établi la capacité des ADAM d’évincer des concurrents aussi efficaces.
101. Dans la mesure où les arguments avancés par Google dans ces deux parties de son pourvoi se recoupent en partie, nous les traiterons ensemble.
102. D’emblée, il doit être examiné si, à la lumière des circonstances de l’espèce, le Tribunal devait exiger de la Commission de démontrer non seulement la capacité des ADAM de restreindre la concurrence, mais aussi leur capacité d’évincer, en particulier, des concurrents aussi efficaces que Google. Dans ce contexte, j’apprécierai en premier lieu l’argument de Google critiquant le Tribunal pour ne pas avoir examiné si la décision des utilisateurs de ne pas télécharger plus souvent des applications de recherche et de navigation concurrentes était due aux préférences des utilisateurs plutôt qu’aux conditions de préinstallation des ADAM (1). En second lieu, j’examinerai les arguments spécifiques avancés par Google dans le cadre de son deuxième moyen de pourvoi concernant la vente liée de l’application Google Search et du Play Store (2) ainsi que la vente liée de Chrome avec le Play Store et Google Search (3).
1) L’appréciation des effets d’éviction des ADAM au regard de « concurrents aussi efficaces » et les raisons du comportement des utilisateurs
103. Selon la Commission, les arguments de Google ne sauraient prospérer parce qu’ils sont basés sur la prémisse que la preuve d’une restriction de la concurrence exige dans tous les cas une analyse de l’efficacité des concurrents (actuels ou hypothétiques). Pourtant, dans le cas de ventes liées comme celles concernées en l’espèce, qui n’entreraient pas dans le champ de la concurrence par les mérites, il n’y aurait pas besoin d’analyser si elles sont susceptibles de produire des effets d’éviction à l’égard de concurrents aussi efficaces, mais seulement si elles sont susceptibles de restreindre la concurrence.
104. Il est communément admis que l’article 102 TFUE n’a pas pour but de protéger des concurrents moins efficaces (47). Cela signifie-t-il, a contrario, que dans un cas comme celui de l’espèce, la preuve de l’abus d’une position dominante requiert dans tous les cas un examen du point de savoir si le comportement en cause est susceptible de produire des effets d’éviction à l’égard de concurrents aussi efficaces ? Et si oui, comment une telle appréciation devrait-elle être opérée ?
105. Afin de trouver une réponse à ces questions, il est utile, d’abord, de rappeler le point de départ de la jurisprudence en matière de ventes liées (i). Ensuite, il importe de récapituler les réponses du Tribunal à la critique de Google selon laquelle la Commission n’aurait pas établi que les conditions de préinstallation des ADAM avaient restreint la concurrence (ii). Enfin, il convient, dans ce contexte, d’examiner la critique de Google concernant la manière de procéder du Tribunal (iii).
i) Le point de départ de la jurisprudence en matière de ventes liées
106. Le point de départ de la jurisprudence en matière de ventes liées consiste en le constat qu’elles doivent en principe être considérées comme abusives (48). Une pratique consistant à subordonner l’acquisition d’un produit liant – provenant d’un marché dominé – à l’acquisition d’un produit lié, provenant d’un marché voisin ou d’un marché en amont ou en aval, n’entre en effet pas dans le champ de la concurrence par les mérites. Cela tient au fait que les utilisateurs ne choisissent généralement pas le produit lié en raison de sa valeur intrinsèque ou d’un choix libre, mais l’achètent uniquement afin d’obtenir le produit liant qui est important pour eux. En effet, du point de vue de ces utilisateurs, au vu de la position dominante du fournisseur ainsi que de la concurrence déjà affaiblie sur le marché pertinent, il n’y a souvent pas de produits alternatifs acceptables. Cela suggère qu’un tel comportement d’une entreprise qui détient une position dominante sur le marché du produit liant fausse la concurrence sur le marché du produit lié. Aussi efficaces que les concurrents (actuels ou potentiels) de l’entreprise dominante puissent être, ils ne peuvent guère compenser l’effet de levier provenant de la liaison avec le produit liant en provenance de l’autre marché. Partant, dans un tel cas, des effets anticoncurrentiels du moins potentiels du comportement en cause peuvent être présumés (49).
107. Toutefois, dans son arrêt (définitif) Microsoft/Commission, le Tribunal a constaté, dans une affaire similaire à celle de l’espèce, que la Commission avait eu raison, au vu des circonstances particulières de cette affaire, de ne pas se limiter à établir que le comportement en cause était un cas de vente liée, mais d’examiner plus avant s’il avait été susceptible de restreindre la concurrence. En effet, même si Microsoft avait subordonné l’acquisition de son SE Windows à l’acquisition simultanée de l’application intégrée Media Player, les utilisateurs pouvaient théoriquement obtenir des lecteurs multimédias tiers au moyen de téléchargements ultérieurs. Néanmoins, le Tribunal a confirmé le constat de la Commission selon lequel, notamment en raison de l’inertie des utilisateurs, cela restait une possibilité largement théorique et que les lecteurs multimédias concurrents, indépendamment de leur qualité, ne pouvaient compenser l’avantage concurrentiel obtenu par Microsoft grâce à la préinstallation (50).
108. Cela est l’approche suivie par la Commission dans la présente affaire.
ii) Constats du Tribunal au regard des effets d’éviction des ADAM
109. Comme le Tribunal l’a souligné au point 292 de l’arrêt attaqué, en l’espèce, le débat entre les parties ne portait pas sur la possibilité pour les utilisateurs de télécharger, sous les ADAM, des applications de recherche générale et de navigation en concurrence avec celles qui faisaient l’objet de la vente liée. En effet, elles reconnaissaient toutes l’existence théorique de cette possibilité qui n’était pas interdite par les dispositions des ADAM. Elles ont débattu plutôt des incitations que les utilisateurs pouvaient avoir à le faire.
110. Dans ces circonstances, le Tribunal a affirmé au point 295 de l’arrêt attaqué que la Commission avait considéré à juste titre que l’examen des effets des ventes liées concernées était requis avant de pouvoir conclure que ces ventes liées étaient nuisibles pour la concurrence.
111. Comme le Tribunal l’a récapitulé aux points 304 à 312 de l’arrêt attaqué, la Commission est arrivée à la conclusion que les applications de recherche et de navigation concurrentes ne pouvaient compenser l’avantage obtenu par Google grâce aux ventes liées de Google Search et du Play Store ainsi que de Chrome, du Play Store et de Google Search.
112. Aux points 317 à 596 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a rejeté, dans le cadre de l’examen du deuxième moyen, l’argument de Google selon lequel la Commission n’avait pas établi que les conditions de préinstallation des ADAM restreignaient la concurrence. Ce faisant, le Tribunal a analysé la critique de Google au sujet de cinq points, à savoir : la création d’un « biais de statu quo » par la préinstallation (points 320 à 418) ; la possibilité pour les FEO de préinstaller ou de régler par défaut des services de recherche générale concurrents (points 419 à 538) ; les autres moyens des concurrents d’atteindre les utilisateurs (points 539 à 567) ; la causalité entre les parts d’utilisation de Google et la préinstallation (points 568 à 584), et la prise en compte de l’ensemble du contexte (points 585 à 596).
113. Dans ce contexte, le Tribunal a examiné à plusieurs reprises des arguments visant la prétendue qualité supérieure des services de Google pour expliquer le comportement des utilisateurs et les parts de marché de Google. À la lumière de ces considérations du Tribunal, il apparaît clairement pourquoi, de son point de vue, aucun examen complémentaire des effets des ADAM, en particulier en vue des effets d’éviction possibles à l’égard des concurrents aussi efficaces de Google, n’a été nécessaire. Il est utile de résumer brièvement les constats pertinents de l’arrêt attaqué pour la suite de l’examen du pourvoi.
– Création d’un « biais de statu quo » par la préinstallation
114. Au point 331 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a relevé que Google avait reconnu que la préinstallation d’une application confère en tant que telle un avantage par rapport aux applications concurrentes, car l’application est disponible sur l’appareil dès la première utilisation et n’a pas besoin d’être installée avant son utilisation. Cela augmente la probabilité que les utilisateurs essayent les applications préinstallées.
115. Au point 418 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a constaté que les différents arguments avancés par Google pour réfuter l’avantage conféré par la préinstallation des applications Google Search et Chrome sur les appareils Google Android ne permettaient pas de remettre en cause les conclusions tirées par la Commission au regard de la création d’un « biais de statu quo » des différents éléments exposés dans la décision litigieuse à cet égard.
– La possibilité pour les FEO de préinstaller et de régler par défaut des services de recherche concurrents
116. Aux points 426 à 428 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a relevé à l’égard de la possibilité de préinstaller d’autres applications de recherche que, à la lumière des effets combinés des ADAM et des APR et au vu des parts de marché de Google Search et de Chrome (dans lequel Search devait être réglée comme application de recherche par défaut (51)) et de leur évolution, le débat sur les options à la disposition des concurrents pour compenser l’avantage concurrentiel conféré par les conditions de préinstallation des ADAM restait largement théorique. En pratique, les fournisseurs d’applications concurrentes n’étaient pas en mesure de compenser à travers des accords de préinstallation l’avantage concurrentiel que Google s’assurait à travers la préinstallation de Google Search et de Chrome sur pratiquement tous les appareils Google Android vendus dans l’EEE.
117. Après avoir examiné les griefs de Google dans ce contexte, le Tribunal a conclu, au point 537 de l’arrêt attaqué, que la Commission avait bien été en mesure de considérer que les fournisseurs des services de recherche générale concurrents restaient libres de fournir aux FEO et aux ORM la même préinstallation que celle octroyée à l’application Google Search et à Chrome sur les appareils Google Android vendus dans l’EEE. Toutefois, cela ne s’était pas matérialisé pendant l’essentiel de la période infractionnelle et, à tout le moins, une partie de l’explication de l’absence de telles préinstallations se trouvait dans les effets combinés des ADAM, des APR ainsi que des AAF.
118. Dans ce contexte, le Tribunal a rejeté, au point 514 (se référant au point 294 et au point 483, quatrième tiret) de l’arrêt attaqué, l’allégation de Google selon laquelle le constat de la Commission que les FEO n’avaient pas intérêt à préinstaller des applications concurrentes, car la majeure partie de l’utilisation liée aux recherches irait à Google, impliquait que ces applications étaient moins attrayantes. Selon le Tribunal, la décision litigieuse a exposé les raisons pour lesquelles une telle supposition ne pouvait être faite en l’espèce compte tenu de l’intérêt que représentaient les différentes solutions techniques proposées par les concurrents de Google pour les utilisateurs ou l’innovation (en particulier des services de recherche spécialisés dans une langue particulière ou visant un groupe particulier d’utilisateurs).
– Les moyens d’atteindre les utilisateurs autres que la préinstallation
119. La conclusion du Tribunal concernant la possibilité d’atteindre les utilisateurs notamment à travers le téléchargement d’applications concurrentes et l’accès à des services de recherche concurrents à travers le navigateur, et concernant la critique que la Commission aurait confondu avantage concurrentiel et éviction anticoncurrentielle se trouve au point 567 de l’arrêt attaqué. Selon ce point, la Commission a été fondée à adopter le point de vue que, même si les utilisateurs restaient libres de télécharger des applications concurrentes de Google Search et de Chrome ou de changer les réglages par défaut, ou que les développeurs de navigateurs mobiles pouvaient offrir leurs applications aux FEO, cela n’a pas été suffisamment le cas pour l’essentiel de la période d’infraction en raison des conditions de préinstallation des ADAM.
– Le lien entre les parts d’utilisation et la préinstallation
120. Concernant la preuve du lien entre les parts d’utilisation et la préinstallation, le Tribunal a soutenu au point 575 de l’arrêt attaqué que, dans une situation comme la présente, la Commission n’avait pas à déterminer précisément si ces parts d’utilisation s’expliquaient non seulement par la préinstallation – ce qu’elle estimait – mais également, voire plutôt, par la supériorité qualitative alléguée par Google. En effet, la préinstallation n’était pas contestée, si bien que tous les appareils Google Android disposaient de l’application Google Search et de Chrome, alors que l’incidence de la qualité sur l’absence de préinstallation ou de téléchargement d’une application concurrente n’était qu’affirmée par Google sans que les éléments de preuve transmis à cet égard n’aient été ni suffisants ni particulièrement pertinents.
121. De plus, comme le Tribunal a clarifié aux points 577 et 578 de l’arrêt attaqué, à supposer même que Google Search et Chrome bénéficiaient d’une supériorité qualitative sur les services proposés par les concurrents, celle-ci ne serait pas déterminante dès lors qu’il n’était nullement allégué que les différents services proposés par les concurrents n’auraient pas été techniquement en mesure de satisfaire les besoins des consommateurs. En outre, ainsi que cela ressortait des pièces du dossier, les besoins des consommateurs n’étaient pas nécessairement satisfaits par la solution qualitativement la meilleure. À supposer que Google puisse alléguer que ses services représentaient une telle solution, d’autres variables que la qualité technique, comme la protection de la vie privée ou la prise en compte des spécificités linguistiques des demandes de recherche effectuées, jouaient également un rôle.
122. Finalement, le Tribunal a conclu au point 582 de l’arrêt attaqué que, au vu des évaluations des applications de Google et de celles de ses concurrents sur lesquelles s’était basée la Commission, l’évaluation de la qualité des divers services concurrents restait similaire. Il pouvait donc, selon le Tribunal, en être tenu compte pour considérer que la qualité respective des différents services de recherche et de navigation en concurrence n’était pas un critère déterminant dans leur utilisation, ceux-ci proposant tous un service susceptible de répondre à la demande.
123. Partant, le Tribunal a constaté au point 583 de l’arrêt attaqué que, compte tenu de la tendance à figer la situation liée aux conditions de préinstallation de l’ADAM et en l’absence de démonstration de l’incidence précise de la supériorité qualitative alléguée par Google en ce qui concerne ses applications de recherche générale et de navigation, c’était à juste titre que la Commission avait considéré que les parts d’utilisation de Google corroboraient le « biais de statu quo » lié à la préinstallation.
– La prise en compte du contexte
124. Le Tribunal a conclu au point 596 de l’arrêt attaqué que Google n’avait pas établi que la Commission n’avait pas dûment tenu compte de l’ensemble des circonstances pertinentes pour apprécier le comportement litigieux.
iii) Appréciation
125. Contrairement à ce qu’allègue Google, au vu de ces constatations, que Google ne remet pas valablement en question, la Commission n’était pas obligée d’examiner de surcroît non seulement si les conditions de préinstallation litigieuses étaient susceptibles de restreindre la concurrence, mais aussi si elles étaient susceptibles de produire des effets d’éviction, en particulier, à l’égard de concurrents aussi efficaces que Google.
126. Sans préjudice de la question de savoir si des ventes liées du type décrit au point 106 des présentes conclusions requièrent de manière générale la preuve de l’existence d’effets anticoncurrentiels (potentiels), il est en principe nécessaire, afin d’établir le caractère abusif d’une pratique d’éviction, d’une part, que cette pratique repose sur l’exploitation de moyens autres que ceux relevant d’une concurrence par les mérites et, d’autre part, que cette pratique ait la capacité de produire des effets d’éviction (52).
127. Même si ces deux aspects sont des conditions faisant partie de l’analyse du point de savoir si une pratique est abusive (53), dans certaines circonstances le recours par une entreprise en position dominante à des ressources autres que celles relevant d’une concurrence par les mérites peut être suffisant pour établir l’existence d’un abus (54).
128. L’analyse de la capacité d’un concurrent hypothétique (55) aussi efficace mais non dominant de reproduire le comportement en cause a été développée pour des cas dans lesquels une telle analyse est utile afin d’examiner si ce comportement doit être considéré comme étant ou non fondé sur l’utilisation de moyens relevant d’une concurrence normale et/ou s’il est susceptible d’avoir des effets anticoncurrentiels (56). Cette analyse, développée initialement sous la forme du test AEC pour des pratiques tarifaires (57), peut, selon la Cour, être pertinente aussi bien pour des pratiques tarifaires que pour des pratiques non tarifaires, en fonction des circonstances données (58).
129. Selon la jurisprudence, dans le cas où une entreprise fournit à une autorité de concurrence, au cours de la procédure administrative, des éléments de preuve à cet égard, cette autorité doit apprécier ces preuves et, le cas échéant, exposer les raisons pour lesquelles elle ne les juge pas pertinentes (59). Dans le même sens, si la Commission s’est appuyée sur un test AEC, le Tribunal doit apprécier les arguments avancés par l’entreprise à cet égard (60). Toutefois, en l’espèce, il n’apparaît pas que Google aurait avancé de telles preuves concernant les ADAM durant la procédure administrative et que la Commission n’aurait pas correctement apprécié ces preuves, ni que la Commission se serait elle-même appuyée sur un test AEC qui n’aurait pas été correctement pris en compte par le Tribunal.
130. De plus, la jurisprudence a déjà reconnu que l’analyse d’une pratique en vue de ses effets au regard de concurrents aussi efficaces est seulement l’une des méthodes utilisées afin d’examiner si une pratique est susceptible de produire des effets d’éviction. Par conséquent, les autorités de concurrence ne sauraient avoir l’obligation juridique d’avoir recours à cette méthode dans chaque cas (61).
131. En outre, il ressort de la jurisprudence qu’il peut y avoir des cas dans lesquels il n’est juste pas utile de baser l’analyse du point de savoir si une pratique est anticoncurrentielle sur la question de savoir si un concurrent hypothétique pourrait reproduire ce comportement. Cela est notamment le cas lorsqu’une telle analyse n’est pas appropriée parce que la structure du marché rend l’entrée ou le maintien d’un concurrent aussi efficace ou la reproduction du comportement en cause par ce concurrent impossible en pratique.
132. En d’autres termes, s’il ne peut y avoir de concurrent hypothétique qui serait aussi efficace que l’entreprise dominante ou si dès le départ aucun concurrent ne pourrait rivaliser, aussi efficace qu’il puisse être, il n’est en effet pas utile d’analyser la nocivité du comportement de l’entreprise dominante par rapport à l’efficacité de ses concurrents (hypothétiques). Une telle situation pourrait exister, par exemple, dans le cas d’un marché où l’entreprise dominante détient une part de marché très importante, bénéficie d’avantages structurels substantiels ou dont l’accès est protégé par d’importantes barrières (62).
133. Comme l’a exposé le Tribunal, en l’espèce, les marchés pertinents relèvent de l’économie numérique, où des variables comme l’innovation, l’accès aux données, les aspects multifaces, le comportement des utilisateurs ou les effets de réseau jouent un rôle important. Dans un tel « écosystème » numérique, qui réunit et fait interagir au sein d’une plateforme plusieurs catégories de fournisseurs, de clients et de consommateurs, les produits ou services qui font partie des marchés pertinents qui composent cet écosystème peuvent s’imbriquer ou être connectés les uns aux autres en considération de leur complémentarité horizontale ou verticale (63). Ces marchés se caractérisent par d’importantes barrières à l’entrée et d’interactions complexes qui s’influencent et se déterminent mutuellement (64).
134. Il s’ensuit que, en l’espèce, il n’est pas réaliste de comparer la situation de Google avec celle d’un concurrent hypothétique aussi efficace. En effet, Google détenait une position dominante dans plusieurs marchés de l’écosystème Android (65) et pouvait donc bénéficier d’effets de réseau qui lui permettaient de s’assurer que les utilisateurs utilisaient Google Search. De ce fait, elle obtenait l’accès à des données qui lui permettaient à leur tour d’améliorer son service. Aucun concurrent hypothétique aussi efficace n’aurait pu se trouver dans une telle situation.
135. Exiger, dans ces circonstances, une comparaison de Google avec un concurrent hypothétique aussi efficace reviendrait à saboter l’interdiction de l’abus de position dominante en vertu de l’article 102 TFUE. En effet, comme l’a affirmé la Cour, cette disposition interdit aussi des comportements qui ont pour effet actuel ou potentiel, ou pour objet d’empêcher à un stade préalable des entreprises potentiellement concurrentes ne serait-ce que d’accéder à ce marché et, ce faisant, d’empêcher le développement de la concurrence sur celui-ci. Une telle pratique peut notamment consister en la mise en place de barrières à l’entrée ou à recourir à d’autres mesures de verrouillage ou à d’autres moyens différents de ceux qui gouvernent la concurrence par les mérites (66).
136. Cela s’applique également à des concurrents qui sont déjà actifs sur le marché mais qui ne sont pas (encore) aussi efficaces. En effet, notamment sur des marchés avec d’importantes barrières à l’entrée, où la concurrence est déjà affaiblie en raison de la présence de l’entreprise dominante, ces derniers peuvent jouer un rôle important aux fins du maintien du fonctionnement de la concurrence (67).
137. Pour finir, la Cour a déjà clarifié qu’il peut y avoir des cas dans lesquels il n’est pas possible d’analyser si le comportement de consommateurs ou d’utilisateurs est dû aux caractéristiques qualitatives des services ou produits de l’entreprise dominante. Cela est le cas lorsque la décision des utilisateurs en faveur de l’entreprise dominante est déjà influencée par le comportement de cette dernière qui ne relève pas de la concurrence par les mérites, et qu’elle est donc faussée.
138. Par conséquent, dans l’arrêt Servizio Elettrico Nazionale e.a., la Cour a expliqué que dans un cas dans lequel il est établi à suffisance de droit que la façon dont les consommateurs ou les utilisateurs ont opéré leur choix était faussée afin de favoriser une entreprise dominante au détriment de ses concurrents, l’existence d’un tel biais exclut qu’il puisse être considéré que ce choix était dû à la performance supérieure de l’entreprise dominante. En effet, l’existence même de ce biais rend, par définition, impossible la détermination de l’existence de causes objectives aux différences. Dans un cas dans lequel la déformation est due au comportement de l’entreprise dominante, la différence concernant le nombre de consommateurs ou d’utilisateurs doit donc être imputée à l’entreprise dominante (68).
139. Par conséquent, dans un cas dans lequel il est établi que le comportement des consommateurs a été influencé de manière discriminatoire, cela suffit à établir que le comportement en cause est susceptible de produire des effets d’éviction (69). Cela doit a fortiori s’appliquer dans un cas de stratégie de vente liée tel que celui de l’espèce.
140. Partant, dans un tel cas, afin d’établir le caractère anticoncurrentiel du comportement en cause, il n’est ni nécessaire, ni possible, ni opportun d’analyser si ce comportement aurait aussi pu être mis en œuvre par un concurrent hypothétique aussi efficace.
141. Ainsi, en l’espèce, comme l’a notamment souligné, de manière convaincante, le BEUC à l’audience, aucun concurrent hypothétique n’aurait été capable d’être aussi « efficace » que Google au regard des services de recherche générale, parce que personne ne pouvait compenser l’avantage créé par la préinstallation. De même, pratiquement aucun concurrent ne pouvait obtenir de préinstallation, puisque personne n’avait une position comparable à celle de Google sur le marché des boutiques d’applications en ligne comme le Play Store.
142. En conséquence, la Cour a clarifié qu’une pratique doit être considérée comme constituant l’exploitation de moyens autres que ceux relevant d’une concurrence par les mérites si elle repose sur l’utilisation de ressources inhérentes à la détention d’une position dominante. En effet, aucun concurrent hypothétique ne pourrait mettre en œuvre une telle pratique, même s’il était aussi efficace, puisqu’il ne détient pas de position dominante sur le marché pertinent (70).
143. Il découle des considérations récapitulées aux points 109 à 124 des présentes conclusions, non valablement remises en cause par Google, que la manière dont les utilisateurs décident d’avoir recours aux services de Google plutôt qu’à des services concurrents a été faussée en raison de l’avantage conféré à Google par la préinstallation, qui ne pouvait être compensé par ses concurrents. La préinstallation des applications de Google a été, à son tour, mise en œuvre par les FEO parce que cela était nécessaire afin d’obtenir une licence pour l’indispensable Play Store, pour lequel Google détenait une position dominante.
144. Partant, il a été établi à suffisance de droit que le choix des utilisateurs était faussé en raison des conditions de préinstallation que Google obtenait grâce au recours à un moyen qui ne relevait pas de la concurrence par les mérites. Cela suffit, d’une part, pour établir que les conditions en cause étaient susceptibles de produire des effets d’éviction abusifs et, d’autre part, pour rendre impossible de savoir si le choix des utilisateurs était (aussi) dû à la prétendue qualité supérieure des applications de Google.
145. Le grief de Google selon lequel le Tribunal a commis une erreur lorsqu’il n’a pas exigé la preuve que les effets d’éviction des ADAM n’étaient pas dus à la qualité supérieure de Google et qu’ils étaient capables d’évincer des concurrents aussi efficaces (deuxième branche du premier moyen de pourvoi et deuxième moyen de pourvoi) doit donc être rejeté.
2) La vente liée de l’application Google Search et du Play Store
146. À la lumière des considérations qui viennent d’être développées, les griefs spécifiques de Google concernant la prétendue erreur commise par le Tribunal lorsqu’il n’a pas analysé si le groupement Google Search-Play Store était susceptible d’évincer des services de recherche générale concurrents aussi efficaces ne sauraient prospérer. Par conséquent, nous aborderons ces griefs brièvement à titre subsidiaire.
147. D’abord, Google fait valoir que le Tribunal a commis une erreur de droit lorsqu’il n’a pas tenu compte de la couverture de marché de la pratique en cause. Une analyse de la couverture de marché serait requise dans chaque cas d’abus d’éviction. Le Tribunal aurait reconnu cela en ce qui concerne les APR. Ce faisant, il aurait conclu de manière illogique que la couverture de marché des ADAM aurait été significative, alors qu’il aurait considéré qu’une couverture de marché similaire était insuffisante dans le cas des APR.
148. Toutefois, cette argumentation ne saurait remettre en cause la validité de l’approche du Tribunal. En effet, dans la mesure où il n’y avait pas de doute que les ventes liées concernées se situaient en dehors du champ de la concurrence par les mérites en raison de leurs caractéristiques exposées par le Tribunal, l’analyse de leur couverture de marché, qui a en tout état de cause été développée pour des pratiques tarifaires, n’était pas requise en l’espèce afin d’établir la nature abusive de ces pratiques (71).
149. Ensuite, Google fait de nouveau valoir que le Tribunal a commis une erreur de droit lorsqu’il a confirmé, spécifiquement en ce qui concerne Google Search, l’approche de la Commission selon laquelle il n’était pas nécessaire d’établir l’effet d’éviction des conditions de préinstallation par référence à des concurrents aussi efficaces.
150. Cet argument doit être rejeté pour les raisons exposées aux points 125 à 145 des présentes conclusions. De plus, en tout état de cause, Google ne remet pas en question dans son pourvoi les constatations factuelles du Tribunal, récapitulées aux points 118, 121 et 122 des présentes conclusions, selon lesquelles, pour les utilisateurs, ce n’était pas seulement la qualité qui importait et, de surcroît, l’évaluation qualitative des différents services concurrents restait similaire. La même chose s’applique en ce qui concerne les constatations factuelles exposées aux points 115 à 117 des présentes conclusions, selon lesquelles les services de recherche concurrents ne pouvaient compenser le « biais de statu quo ».
151. Enfin, selon Google, le Tribunal a omis à tort d’analyser si les différentes opportunités disponibles pour atteindre les utilisateurs (préinstallation à côté de l’application de Google ainsi que téléchargement et accès via le navigateur), considérées non seulement isolément, mais également en combinaison, auraient pu permettre à des concurrents aussi efficaces de rester compétitifs.
152. Toutefois, cet argument revient également à une tentative d’obtention d’une nouvelle appréciation des constatations factuelles du Tribunal, qui ne sont pas, en tant que telles, remises en question par Google. De plus, Google n’explique pas quelle aurait été, en particulier, la valeur ajoutée d’une analyse des opportunités restantes « en leur combinaison » par rapport à l’analyse de ces opportunités mise en œuvre par le Tribunal.
3) La vente liée de Chrome avec le Play Store et Google Search
153. Les arguments spécifiques avancés par Google au regard des opportunités de concurrents aussi efficaces de compenser l’avantage créé par la vente liée du navigateur Chrome avec le Play Store et Google Search ne peuvent pas non plus remettre en question les constatations exposées ci-dessus.
154. Premièrement, selon Google, le Tribunal a analysé la légalité de la vente liée de Chrome par référence à un autre marché géographique que celui défini dans la décision litigieuse. Ce faisant, il n’aurait analysé ni la couverture de marché de la pratique en cause, ni l’avantage obtenu par Google grâce à la préinstallation, ni la question de savoir si les opportunités restantes à la disposition des concurrents excluaient le constat d’une éviction.
155. Cet argument ne saurait prospérer parce qu’il repose sur la prémisse selon laquelle la couverture de marché du groupement Chrome-Play Store et Google Search aurait dû être établie afin d’établir la nature abusive de cette pratique. Toutefois, comme exposé au point 148 des présentes conclusions, cela n’était pas nécessaire en l’espèce.
156. Secondement, Google fait valoir que le Tribunal a transposé, à tort, les conclusions relatives à la vente liée de Google Search par analogie à la vente liée de Chrome.
157. Toutefois, les arguments avancés par Google au soutien de cette critique sont irrecevables parce qu’ils visent à obtenir une nouvelle appréciation par la Cour des différences factuelles entre les implications et les effets de la préinstallation de Google Search et de Chrome. De plus, Google ne démontre ni une dénaturation ni une erreur de droit dans les appréciations du Tribunal exposées aux points 439 à 465 de l’arrêt attaqué, selon lesquelles des services de navigation concurrents ne pouvaient compenser l’avantage obtenu grâce à la préinstallation de Chrome malgré le fait qu’il y avait eu plus de concurrence au regard des navigateurs qu’au regard des services de recherche générale.
c) Conclusion sur l’appréciation des ADAM
158. Il découle de ce qui précède que Google n’a pas réussi à démontrer des erreurs de droit commises par le Tribunal lorsqu’il a apprécié les arguments qu’elle avait avancés en première instance en relation avec les conditions de préinstallation des ADAM. Par conséquent, les deux premiers moyens de pourvoi doivent être rejetés.
2. L’appréciation des AAF (troisième et quatrième moyens de pourvoi)
159. Dans le cadre de son troisième moyen de pourvoi, Google fait valoir que le Tribunal a réécrit la motivation de la décision litigieuse au regard des AAF et qu’il a apprécié de manière erronée le lien entre ces accords et leurs prétendus effets (a). Selon le quatrième moyen de pourvoi, le Tribunal a à tort confirmé la décision de la Commission de ne pas accepter les justifications de Google pour les obligations contenues dans les AAF qui ont été jugées abusives (b).
a) La portée de l’abus en ce qui concerne les AAF et ses effets (troisième moyen de pourvoi)
160. Par son troisième moyen de pourvoi, Google critique le Tribunal pour avoir réinterprété le comportement abusif établi par la Commission en ce qui concerne les AAF (voir point 22 des présentes conclusions) (1) et pour avoir attribué les prétendus effets d’éviction à un comportement qui n’avait pas été qualifié d’abusif par la Commission (2).
1) La détermination du comportement mis en cause en ce qui concerne les AAF (première branche du troisième moyen de pourvoi)
161. Dans le cadre de la première branche de son troisième moyen de pourvoi, Google allègue que le Tribunal a étendu le constat d’abus des AAF et commis une erreur de droit en incluant une pratique légitime dans le comportement qualifié d’abusif.
162. Comme exposé au point 22 des présentes conclusions, afin d’obtenir une licence pour le Play Store et Google Search, les FEO devaient conclure un AAF. Ce faisant, ils s’obligeaient à ne pas vendre des appareils fonctionnant sur des versions d’Android qui n’étaient pas approuvées par Google. Par conséquent, conclure un ADAM n’était possible qu’après avoir conclu un AAF.
163. Le Tribunal a expliqué aux points 806 à 808 de l’arrêt attaqué que les AAF imposaient l’obligation de respecter un standard de compatibilité minimum pour la mise en place du code source d’Android.
164. Cette obligation s’appliquait à tous les appareils commercialisés par un FEO qui avait conclu un AAF si ces appareils fonctionnaient sur Android ou une fourche Android (72). Afin de prouver leur compatibilité avec les standards imposés, les appareils devaient passer des tests. Des fourches Android qui avaient passé ces tests étaient dénommées « fourches Android compatibles » par le Tribunal, tandis que des fourches Android qui n’avaient pas été testées ou qui n’avaient pas passé les tests étaient dénommées « fourches Android non compatibles » (73).
165. Comme le Tribunal l’a clarifié aux points 810, 811 et 828 de l’arrêt attaqué, les AAF ont été qualifiés d’abusifs dans la décision litigieuse seulement en ce qu’ils exigeaient des FEO de garantir la compatibilité avec les standards prescrits de tous les appareils commercialisés par eux et dont le SE était Android ou une fourche Android, y compris les appareils sur lesquels les applications de Google n’étaient pas préinstallées. En d’autres termes, les AAF étaient considérés comme abusifs seulement pour autant qu’ils prescrivaient la commercialisation d’appareils mobiles intelligents avec des fourches Android non compatibles comme SE même si aucune application de Google n’était préinstallée sur ces appareils.
166. Selon le Tribunal, cela découlait du fait que la Commission avait considéré que les obligations de compatibilité étaient justifiées dans le cas d’appareils mobiles intelligents sur lesquels les applications de Google étaient préinstallées.
167. À présent, Google critique le Tribunal pour avoir réécrit ces constatations de la Commission et pour les avoir étendues à une pratique qui n’avait absolument pas été jugée abusive par la Commission.
168. En effet, Google soutient que, dans la décision litigieuse, la Commission avait qualifié d’abusive seulement l’obligation des FEO de respecter les obligations de compatibilité des AAF afin d’obtenir une licence pour le Play Store et Google Search. En revanche, le Tribunal aurait désigné la pratique abusive, par exemple aux points 828 et 864 de l’arrêt attaqué, comme pratique « visant à faire obstacle au développement et à la présence sur le marché d’appareils fonctionnant avec une fourche Android non compatible ».
169. Par cette amplification de l’abus contesté, le Tribunal aurait, de façon inadmissible, inclus la pratique légitime de Google de n’accorder des licences pour ses interfaces de programmation d’applications propriétaires (ci-après les « IPA propriétaires ») (74) seulement si elles étaient utilisées sur des appareils Android compatibles. Ce faisant, le Tribunal aurait commis une erreur de droit lors de l’appréciation du lien causal entre le prétendu abus et ses prétendus effets.
170. Toutefois, comme l’objecte la Commission, cette critique est basée sur un résumé incorrect de l’arrêt attaqué.
171. En effet, aux points 812, 815 et 816 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a rappelé, notamment en se référant au considérant 1036 de la décision litigieuse, que la Commission avait reproché à Google, dans le contexte de l’arrêt Microsoft/Commission (75) et des conditions dans lesquelles il peut être établi qu’un groupement de produits ou d’obligations est abusif (76), en substance, d’avoir adopté une pratique anticoncurrentielle visant à priver des fourches Android non compatibles de débouchés commerciaux. Cela était notamment dû au fait, selon la décision litigieuse, que les fourches Android non compatibles constituaient une menace concurrentielle crédible pour Google, que les obligations anti-fragmentation empêchaient le développement de fourches Android non compatibles, et que des fourches Android compatibles ne constituaient pas une menace concurrentielle crédible pour Google. De plus, la susceptibilité des obligations en cause de restreindre la concurrence était renforcée par l’indisponibilité des IPA propriétaires de Google pour les développeurs de fourches Android non compatibles, ce qui a réduit l’incitation pour les développeurs de concevoir des applications conçues pour fonctionner sur de tels SE.
172. Le Tribunal a poursuivi, au point 828 de l’arrêt attaqué, en notant que la Commission reprochait donc à Google de faire dépendre l’obtention de licences pour le Play Store et Google Search d’une série d’obligations qui restreignent la liberté des FEO souhaitant obtenir de telles licences, en particulier en ce qu’elles empêchent les FEO de commercialiser le moindre autre appareil fonctionnant sur une fourche Android non compatible. La Commission n’a pas contesté le droit de Google d’imposer des obligations de compatibilité en ce qui concerne les appareils sur lesquels ses applications sont installées. Toutefois, elle a considéré que la pratique de Google d’empêcher le développement et le maintien sur le marché d’appareils fonctionnant sur des fourches Android non compatibles était abusive. Il était donc nécessaire d’examiner si la Commission avait réussi à établir que, comme elle l’a constaté dans la décision litigieuse, Google avait mis en œuvre une pratique conçue pour évincer des fourches Android non compatibles, et si cette pratique pouvait être qualifiée d’anticoncurrentielle aux fins de l’article 102 TFUE.
173. Contrairement aux allégations de Google, ces considérations ne font apparaître aucune modification des constats de la décision litigieuse.
174. En critiquant ces parties de l’arrêt attaqué, Google reproche au Tribunal, en substance, d’avoir identifié l’éviction de fourches Android non compatibles comme objectif des obligations de compatibilité contenues dans les AAF qui avaient été qualifiées d’abusives par la Commission. Toutefois, ce faisant, le Tribunal n’a pas, de façon inadmissible, remplacé la motivation de la décision litigieuse, mais a seulement résumé la critique essentielle de cette dernière en ce qui concerne le caractère abusif des AAF (77).
175. Il découle du résumé du considérant 1036 de la décision litigieuse par le Tribunal, reproduit au point 171 des présentes conclusions, dont l’exactitude n’est pas remise en cause par Google, que la Commission y a en effet exposé (ainsi que dans les sections suivantes de la décision litigieuse auxquelles elle se réfère au considérant 1036) que les obligations des AAF en cause étaient précisément susceptibles de restreindre la concurrence parce qu’elles empêchaient le développement de fourches Android non compatibles. La Commission y a expliqué que seulement les dernières constituaient une menace pour Google et que leur développement était restreint parce que les FEO ne les commercialisaient plus, faute de quoi ils n’auraient plus obtenu de licence pour les applications de Google.
176. Cela implique, par pure logique, que la Commission a accusé Google d’avoir adopté une pratique visant à évincer des fourches Android non compatibles parce qu’elles constituaient une menace pour elle. En analysant le point de savoir si la Commission avait établi cet état de fait à suffisance de droit, le Tribunal n’a donc pas réécrit la décision litigieuse.
177. De plus, à y regarder de plus près, il apparaît que la substance de la critique de Google vise en fait l’appréciation du Tribunal aux points 853 à 856 et 863 de l’arrêt attaqué. Dans ces points, le Tribunal a inclus la pratique de Google de réserver ses IPA propriétaires aux fourches Android compatibles comme élément contextuel dans son appréciation des AAF.
178. Selon Google, le fait que les FEO ne commercialisaient que des appareils Android compatibles n’est pas dû aux obligations contestées des AAF pour obtenir une licence pour le Play Store et Google Search, mais au désir des FEO d’avoir accès aux IPA de Google. Toutefois, la pratique de Google de réserver ces IPA aux appareils compatibles n’aurait pas été critiquée par la Commission ou le Tribunal.
179. Néanmoins, comme nous l’avons exposé aux points 60, 61, 67 et 68 des présentes conclusions, il est correct d’analyser une pratique critiquée comme abusive à la lumière de l’ensemble de son contexte. Il serait en effet artificiel et irréaliste si une pratique était analysée en faisant abstraction de son contexte concret légal et factuel. Ce faisant, l’inclusion d’un élément de contexte dans cette appréciation ne dépend pas du point de savoir si cet élément en lui-même a été qualifié d’abusif. Comme FairSearch a expliqué de manière convaincante à l’audience, notamment dans le contexte de la présence d’une entreprise dominante comme Google, il ne serait pas approprié d’ignorer des conditions de marché créées par cette entreprise elle-même.
180. Il s’ensuit que la première branche du troisième moyen de pourvoi n’est pas fondée.
2) L’attribution des prétendus effets d’éviction (seconde branche du troisième moyen de pourvoi)
181. Dans le cadre de la seconde branche de son troisième moyen de pourvoi, qui découle des arguments qui viennent d’être appréciés, Google soutient que le Tribunal a commis une erreur lorsqu’il a attribué les prétendus effets d’éviction aux obligations de compatibilité contestées des AAF. La circonstance que les FEO n’avaient pas d’incitation à commercialiser des fourches Android non compatibles aurait plutôt été due au fait qu’ils ne pouvaient pas avoir accès aux IPA propriétaires de Google qui revêtaient une importance stratégique.
182. Si le Tribunal avait mis en œuvre une analyse contrefactuelle, il se serait rendu compte que, si les obligations des AAF n’avaient pas existé, les fourches Android non compatibles auraient été exactement dans la même situation : en raison de la pratique (légitime) de Google en ce qui concerne ses IPA, elles auraient tout autant été confrontées au problème que les FEO ne souhaitaient pas les commercialiser.
183. De plus, le Tribunal aurait reconnu ce fait dans ses explications concernant la position dominante de Google aux points 226 à 233 de l’arrêt attaqué. Ainsi, il aurait constaté au point 229 qu’une version alternative d’Android aurait initialement pu ne pas être un concurrent crédible, notamment parce que la reproduction des applications propriétaires de Google (qui n’étaient pas disponibles pour une telle version) aurait requis du temps et des investissements significatifs.
184. Par conséquent, en jugeant, au point 893 de l’arrêt attaqué, qu’une analyse contrefactuelle n’était pas nécessaire parce que la Commission avait établi les effets anticoncurrentiels des AAF à suffisance de droit, le Tribunal aurait commis une erreur de droit.
185. Cet argument ne saurait prospérer.
186. Comme exposé aux points 93, 94 et 97 des présentes conclusions, la Commission n’a pas à mettre en œuvre une analyse contrefactuelle dans tous les cas lorsqu’elle apprécie les effets anticoncurrentiels potentiels ou actuels d’une pratique. Cela n’est notamment pas requis si ces effets sont établis à suffisance d’une autre manière. De plus, particulièrement dans le contexte de l’espèce de marchés numériques hautement complexes, il peut s’avérer inapproprié de spéculer sur d’hypothétiques options d’action que les participants au marché auraient pu mettre en œuvre en l’absence du comportement contesté de l’entreprise dominante. Enfin, comme la Commission le fait valoir elle-même et comme l’a exposé le Tribunal, par exemple, au point 850 de l’arrêt attaqué, la Commission ne doit pas prouver que ce comportement était la seule raison d’un effet d’éviction ; il suffit qu’il soit établi à suffisance de droit qu’il a contribué à cet effet.
187. De plus, le constat du Tribunal en ce qui concerne la position dominante de Google selon lequel il y avait un risque que les versions alternatives d’Android ne soient pas, initialement, des concurrents crédibles, de sorte que la possible existence de telles versions ne remettait pas en cause les constatations en ce qui concerne la dominance sur le marché, ne signifie pas que ces versions n’exerçaient aucune pression concurrentielle sur Google. Le Tribunal a plutôt constaté, aux points 844 à 847 de l’arrêt attaqué, que les fourches Android non compatibles constituaient une menace concurrentielle pour Google, sans que Google ne soulève de doute au sujet des preuves qui y sont avancées.
188. Il s’ensuit que la seconde branche du troisième moyen de pourvoi doit également être rejetée, tout comme, par conséquent, le troisième moyen de pourvoi dans son ensemble.
b) La justification des AAF (quatrième moyen de pourvoi)
189. Par son quatrième moyen de pourvoi, Google fait valoir que le Tribunal s’est trompé lorsqu’il n’a pas reconnu les justifications objectives des AAF.
190. Comme le Tribunal l’a exposé au point 876 de l’arrêt attaqué, un comportement n’est pas abusif s’il est justifié par des avantages pro-concurrentiels ou s’il sert des intérêts légitimes, ce qu’il appartient à l’entreprise en position dominante de démontrer (78).
191. Toutefois, les arguments avancés par Google afin de démontrer des erreurs commises par le Tribunal lors de cette appréciation sont pour la plupart irrecevables parce qu’ils visent à obtenir une nouvelle appréciation des faits par la Cour sans alléguer une dénaturation de ces faits (79). Un examen de ces arguments ainsi que des constatations du Tribunal qui y sont contestés révèle plutôt que Google n’est tout simplement pas parvenu à établir que les composantes anticoncurrentielles contestées des AAF étaient objectivement nécessaires et justifiées.
192. En premier lieu, selon Google, au point 880 de l’arrêt attaqué, le Tribunal s’est erronément appuyé sur la croissance effective d’Android sous l’application des AAF afin de contrer l’argument que les obligations imposées par les AAF étaient nécessaires pour la survie d’Android sur le marché. Le Tribunal aurait plutôt dû examiner comment Android aurait pu se développer sans les obligations en cause.
193. Toutefois, comme déjà mentionné à plusieurs reprises, il n’appartient pas à la Commission et au Tribunal de considérer comment le marché aurait pu évoluer sans le comportement contesté (80). Compte tenu du manque d’arguments valables de la part de Google concernant la nécessité concrète des obligations en cause, le Tribunal était fondé à s’appuyer sur la position dominante de Google et la croissance d’Android pour conclure que les exemples avancés par Google d’autres SE distribués en « open source » ne rendaient pas crédible la prétendue menace pour la survie d’Android.
194. En deuxième lieu, selon Google, le Tribunal a omis à tort de prendre en compte l’intérêt légitime de Google de protéger non seulement les versions d’Android qui étaient compatibles avec les applications de Google d’incompatibilités et de fragmentation, mais le système Android tout entier, c’est-à-dire aussi les versions sans les applications de Google. Ce faisant, le Tribunal aurait omis de considérer les arguments de Google à cet égard.
195. Cette critique n’est pas fondée, puisque le Tribunal a apprécié les arguments de Google à cet égard, notamment, aux points 882 à 884, 886 et 889 à 891 de l’arrêt attaqué. Ce faisant, le Tribunal a considéré, notamment au point 891, que Google n’avait pas démontré la nécessité de l’éviction des fourches Android non compatibles pour la survie de l’« écosystème Android ».
196. En troisième lieu, Google allègue que le Tribunal a méconnu le fait que les obligations des AAF avaient été une condition sine qua non pour pouvoir offrir un SE open-source sous une licence gratuite. Ce faisant, il aurait privé les entreprises dominantes pour l’avenir de la possibilité de lancer un tel « modèle open-source managé » ; dorénavant, de telles entreprises ne pourraient plus que choisir entre un modèle fermé et un modèle totalement open-source.
197. Comme la Commission objecte à juste titre, cette critique est toutefois également non fondée. En effet, il découle des conclusions du Tribunal, notamment aux points 878, 882 et 890 de l’arrêt attaqué, qu’une entreprise dominante reste parfaitement autorisée à opérer un « modèle open-source managé » avec des restrictions proportionnées et justifiées. Un exemple à cet égard sont les obligations de compatibilité des AAF pour des appareils avec des applications de Google, qui n’ont pas été contestées par la Commission. Toutefois, comme le Tribunal l’a relevé au point 886 de cet arrêt, le droit d’une entreprise de bénéficier des retombées économiques liées aux services qu’elle développe ne saurait s’étendre jusqu’à lui reconnaître celui d’empêcher d’éventuels concurrents d’exister sur le marché.
198. En quatrième et dernier lieu, selon Google, le Tribunal a mal interprété ses arguments alléguant qu’une stratégie de marque consistant à réserver les appellations « Google » et « Android » à des appareils compatibles, proposée par la Commission comme option moins restrictive, n’aurait pas été une alternative praticable.
199. Cet argument est inadmissible parce que Google critique les constatations factuelles du Tribunal en ce qui concerne une stratégie de marque et réitère les arguments avancés en première instance à cet égard, sans établir une quelconque dénaturation de preuves ou une erreur commise par le Tribunal lors de la qualification juridique des faits au point 883 de l’arrêt attaqué.
200. Au final, il découle de ce qui précède que le quatrième moyen de pourvoi doit également être rejeté.
c) Conclusion sur l’appréciation des AAF
201. Force est de conclure que Google n’est pas parvenue à établir que le Tribunal a commis de quelconques erreurs de droit lorsqu’il a apprécié les arguments de Google en première instance en ce qui concerne la nature abusive des obligations de compatibilité des AAF. Le troisième et le quatrième moyen de pourvoi doivent donc être rejetés.
3. L’infraction unique et continue (cinquième moyen de pourvoi)
202. Par son cinquième moyen de pourvoi, Google soutient que le Tribunal aurait dû annuler la décision litigieuse dans son entièreté à la suite de son constat selon lequel la Commission n’avait pas établi la nature abusive des APR par portefeuille. En effet, cette décision était basée sur la constatation d’une infraction unique et continue, composée de quatre infractions distinctes (le groupement ADAM Google Search, le groupement ADAM Chrome, les AAF et les APR par portefeuille). Après la disparition des APR par portefeuille, un élément essentiel et indivisible de cette infraction unique et continue, le reste de la décision litigieuse ne pouvait plus subsister.
203. Selon la Commission, ce moyen de pourvoi est irrecevable parce que Google n’a pas remis en cause, en première instance, l’existence d’une infraction unique et continue, ni allégué que la décision litigieuse devrait être annulée dans son entièreté si une de ses composantes était annulée.
204. Cette objection doit être rejetée. Il est vrai qu’un requérant ne peut avancer dans le cadre du pourvoi des raisons et arguments nouveaux qui n’ont pas été débattus en première instance. Toutefois, il est permis de former un pourvoi en faisant valoir, devant la Cour, des moyens nés de l’arrêt attaqué lui-même et qui visent à en critiquer, en droit, le bien-fondé (81).
205. En revanche, le cinquième moyen de pourvoi de Google est non fondé.
206. Si une série d’actes ou un comportement continu s’inscrivent dans un « plan d’ensemble » en raison de leur objet identique faussant le jeu de la concurrence, ils peuvent constituer ensemble une infraction unique et continue (82). Même si cette notion a jusqu’à présent surtout été utilisée afin de démontrer l’unité et la continuité d’infractions à l’article 101 TFUE commises par plusieurs entreprises, elle peut aussi s’avérer pertinente dans le contexte de l’application de l’article 102 TFUE (83).
207. En l’espèce, comme le Tribunal l’a exposé aux points 18, 64 à 72 et 1018 à 1029 de l’arrêt attaqué, en raison de leur objectif commun et de leurs effets combinés, la Commission a décrit les restrictions litigieuses non seulement comme quatre infractions séparées, mais aussi comme une infraction unique et continue. Cela était notamment justifié en raison du fait que ces restrictions faisaient partie d’une stratégie d’ensemble de Google afin de cimenter sa position dominante sur le marché de la recherche générale en ligne à un moment où l’importance de l’internet mobile affichait une croissance significative. L’objectif commun de cette stratégie était d’assurer que Google ait le meilleur accès possible aux recherches générales opérées par les consommateurs sur les appareils mobiles intelligents.
208. Comme Google le remarque à juste titre, l’annulation partielle d’un acte du droit de l’Union n’est possible que pour autant que les éléments dont l’annulation est demandée sont séparables du reste de l’acte. Il n’est pas satisfait à cette exigence lorsque l’annulation partielle d’un acte aurait pour effet de modifier la substance de celui-ci (84).
209. Toutefois, en l’espèce, l’annulation partielle de la décision litigieuse en ce qui concerne la quatrième infraction sous forme des APR par portefeuille n’a pas, comme le soutient Google, pour effet de modifier la substance de cet acte en ce qui concerne les trois autres infractions ainsi que l’infraction unique et continue constituée par elles.
210. D’une part, comme expliqué, notamment, aux points 60 à 69 et 179 des présentes conclusions, l’annulation des constatations relatives aux APR par portefeuille n’affecte pas les constatations de la décision litigieuse en ce qui concerne les trois autres infractions. Le fait même que ces autres parties subsistent empêche l’annulation de cette décision dans son entièreté (85).
211. D’autre part, les constatations de la Commission, confirmées par le Tribunal, en ce qui concerne l’existence d’une infraction unique et continue conservent également leur validité malgré l’élimination des APR par portefeuille comme infraction indépendante.
212. Comme le Tribunal l’a constaté, notamment, aux points 1021 à 1023 et 1025 de l’arrêt attaqué, les circonstances factuelles des infractions établies montrent que la première et la deuxième restriction litigieuse, c’est-à-dire le groupement ADAM Google Search, le groupement ADAM Chrome et les AAF, qui avaient été qualifiées de trois infractions distinctes, faisaient partie d’une stratégie globale. Cette stratégie consistait à assortir de conditions spéciales l’utilisation du SE Android, d’une part, et celle de certains applications et services, d’autre part. Elle avait pour but d’anticiper le développement de l’internet mobile tout en préservant le modèle commercial propre de Google, qui est basé sur les revenus qu’elle obtient essentiellement de l’utilisation de son service de recherche générale. Dans le contexte de cette stratégie d’ensemble poursuivie par Google, la préservation de la position dominante qu’elle occupait, durant toute la période de l’infraction, sur les marchés nationaux des services de recherche générale, à laquelle les première et deuxième restrictions litigieuses contribuaient, était ainsi d’une importance décisive.
213. Ces constatations, dont Google ne remet pas en question les bases factuelles, ne révèlent aucune erreur de droit en ce qui concerne la conclusion que, même après l’élimination des APR par portefeuille en tant qu’infraction indépendante, les ADAM et les AAF continuaient à représenter un système imbriqué qui servait la mise en œuvre d’une stratégie d’ensemble abusive afin d’atteindre un objectif identique.
214. De plus, il découle des constatations, aux points 60 à 69 et 179 des présentes conclusions, que les circonstances pertinentes des APR par portefeuille, même si elles ne sont pas qualifiées d’infraction indépendante, étaient une composante indivisible de la stratégie d’ensemble de Google. Par conséquent, le Tribunal n’a pas commis d’erreur de droit lorsqu’il a tenu compte de ces éléments pour l’appréciation de l’infraction. Contrairement à ce que soutient Google, cela s’applique aussi bien dans le contexte de la constatation d’infractions séparées que dans le contexte de la constatation d’une infraction unique et continue (86).
215. Il ressort de ce qui précède que le cinquième moyen de pourvoi doit également être rejeté.
4. Conclusion sur la constatation de l’infraction
216. Comme aucun des cinq premiers moyens de pourvoi n’est fondé, les conclusions du Tribunal en ce qui concerne l’existence et les caractéristiques de l’infraction doivent être confirmées.
B. L’amende (sixième moyen de pourvoi)
217. Avec son sixième et dernier moyen de pourvoi, Google soutient que le Tribunal a commis quatre erreurs de droit lors de l’exercice de son pouvoir de pleine juridiction en ce qui concerne l’amende. Ce faisant, comme il n’aurait pas dûment tenu compte de l’élimination des APR par portefeuille en tant qu’infraction indépendante lors de la réformation de l’amende, il aurait de facto augmenté l’amende pour les autres parties de l’infraction.
218. Comme le Tribunal l’a exposé au point 19 de l’arrêt attaqué, dans la décision litigieuse, la Commission a imposé à Google LLC une amende de 4 342 865 000 euros, dont 1 921 666 000 euros conjointement et solidairement avec Alphabet Inc. Pour déterminer ce montant, la Commission a pris en considération la valeur des ventes pertinentes au sein de l’EEE, en relation avec l’infraction unique et continue, réalisées par Google durant la dernière année de participation à l’infraction (2017) et y a appliqué un coefficient de gravité (11 %). La Commission a multiplié ensuite le montant obtenu par le nombre d’années de participation à l’infraction (approximativement 7,52) et y a ajouté un montant additionnel (équivalent à 11 % de la valeur des ventes de 2017) aux fins de dissuader des entreprises semblables de s’engager dans des pratiques identiques. La Commission a également considéré qu’il n’y avait pas lieu de retenir des circonstances atténuantes ou aggravantes ou de tenir particulièrement compte de la capacité financière importante de Google pour modifier le montant de l’amende à la baisse ou à la hausse.
219. Aux points 1016 et 1029 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a expliqué que l’annulation de la décision litigieuse en ce qui concerne la nature abusive des APR par portefeuille impliquait la nécessité de modifier cette décision également en ce qu’elle établissait la participation de Google à une infraction unique et continue à l’article 102 TFUE qui comprenait la quatrième infraction. Toutefois, il serait également nécessaire de tenir compte du fait que le constat d’une infraction unique et continue, s’inscrivant dans une stratégie globale, à laquelle ont contribué les premier et deuxième aspects de cette infraction, c’est-à-dire les ADAM et les AAF, n’était entaché d’aucune illégalité.
220. Aux points 1036 à 1112 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a ensuite exposé les aspects qu’il a pris en compte lors de la réformation de l’amende. Ce faisant, il a expliqué qu’il a pris en compte la même valeur des ventes que celle retenue par la Commission (point 1072), mais que l’application d’un coefficient de gravité fixe de 11 % de la valeur des ventes déterminée par la Commission ne reflétait pas suffisamment la mise en œuvre et l’intensité de l’infraction au cours de la période pertinente (point 1081). En ce qui concerne l’intensité de l’infraction, le Tribunal a distingué trois périodes, à savoir du 1er janvier 2011 au 1er août 2012, du 1er août 2012 au 31 mars 2014, et du 31 mars 2014 jusqu’à l’adoption de la décision litigieuse le 18 juillet 2018. Du point de vue du Tribunal, l’intensité de l’infraction était particulièrement élevée durant la deuxième période (points 1082 à 1094).
221. Sur la base de ces considérations, le Tribunal a fixé l’amende à 4 125 000 000 euros au lieu de 4 342 865 000 euros, dont 1 520 605 895 euros conjointement et solidairement avec Alphabet Inc. (points 1099 et 1100).
222. Avant de se pencher sur les critiques de Google à cet égard, il convient de rappeler que la compétence de pleine juridiction, reconnue au juge de l’Union à l’article 31 du règlement (CE) n° 1/2003 (87) conformément à l’article 261 TFUE, habilite le juge, au-delà du simple contrôle de légalité de la sanction, à substituer son appréciation à celle de la Commission et, en conséquence, à supprimer, à réduire ou à majorer l’amende ou l’astreinte infligée (88).
223. Certes, l’exercice de cette compétence de pleine juridiction n’équivaut pas à un contrôle d’office (89). Cependant, afin de satisfaire aux exigences de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne lors de la mise en œuvre de son pouvoir de pleine juridiction en ce qui concerne l’amende, le juge de l’Union est tenu, dans l’exercice des compétences prévues aux articles 261 et 263 TFUE, d’examiner tout grief, de droit ou de fait, visant à démontrer que le montant de l’amende n’est pas en adéquation avec la gravité et la durée de l’infraction (90).
224. Enfin, le Tribunal est seul compétent pour contrôler la façon dont la Commission a apprécié dans chaque cas particulier la gravité des comportements illicites. Dans le cadre du pourvoi, le contrôle de la Cour a pour objet, d’une part, d’examiner dans quelle mesure le Tribunal a pris en considération, d’une manière juridiquement correcte, tous les facteurs essentiels pour apprécier la gravité d’un comportement déterminé à la lumière de l’article 102 TFUE et de l’article 23 du règlement no 1/2003, et, d’autre part, de vérifier si le Tribunal a répondu à suffisance de droit à l’ensemble des arguments invoqués au soutien de la demande de suppression de l’amende ou de réduction du montant de celle-ci (91).
225. Par son premier grief à cet égard, Google fait valoir que le Tribunal a violé ses droits de la défense parce qu’elle n’avait pas eu la possibilité de prendre position sur les éléments pris en compte pour la réformation, en particulier l’intensité prétendument plus élevée de l’infraction au cours de la deuxième période. De plus, le Tribunal aurait dénaturé des preuves lorsqu’il a constaté que la période entre 2012 et 2014 avait été décisive pour le développement des concurrents de Google.
226. En ce qui concerne le grief de dénaturation des preuves, celui-ci n’est pas suffisamment étayé. En effet, Google ne mentionne aucun élément prétendument dénaturé, mais tire seulement argument du fait que la Commission a constaté dans la décision litigieuse que la transition vers l’internet mobile avait eu lieu à partir de 2007 ; par conséquent, il n’y aurait pas d’indication que la période entre 2012 et 2014 ait été particulièrement importante pour les concurrents de Google, comme soutenu par le Tribunal. Toutefois, sur la base de cette affirmation générale, il n’est pas possible d’identifier une dénaturation de preuves.
227. Le grief selon lequel le Tribunal a violé les droits de la défense de Google est également non fondé.
228. À partir du moment où un requérant demande au Tribunal d’exercer sa compétence de pleine juridiction en ce qui concerne l’amende, il doit être conscient que le Tribunal peut apprécier cette amende à la lumière de toutes les circonstances de l’affaire et tenir compte de ces circonstances lors de sa réformation. Dans ce contexte, le respect des droits de la défense requiert que les parties peuvent prendre position sur toutes les circonstances pertinentes, mais non que le Tribunal les invite à commenter sur la réformation concrètement envisagée (92). En l’espèce, Google a spécifiquement demandé au Tribunal, au cours de la procédure de première instance, de tenir compte de l’intensité de l’infraction, et elle ne fait pas valoir qu’elle n’a pas été en mesure de prendre position à l’égard des éléments factuels pris en compte par le Tribunal lors de cette appréciation.
229. Par son deuxième grief, Google soutient que le Tribunal a violé la présomption d’innocence parce qu’il s’est appuyé, lors de l’appréciation de l’intensité et de la durée de l’infraction, sur des éléments contextuels comme les APR, la politique de Google en ce qui concerne ses IPA ou l’accord entre Google et Apple, qui n’ont pas été, en eux-mêmes, qualifiés d’abusifs.
230. Toutefois, nous avons déjà expliqué aux points 60 à 69 et 179 des présentes conclusions que les éléments contextuels de comportements abusifs, notamment lorsqu’ils proviennent du fait de l’entreprise dominante elle-même, peuvent être pris en compte lors de l’appréciation des effets d’une infraction.
231. Dans le cadre de son troisième grief, Google soutient que le Tribunal a violé le principe ne ultra petita puisqu’il a appliqué le coefficient de gravité d’une manière qu’aucune des parties avait demandé.
232. Cette objection doit également être rejetée.
233. Comme nous l’avons déjà exposé à une autre occasion, la compétence de pleine juridiction du juge de l’Union ouvre en principe également la possibilité de procéder à une augmentation du montant de l’amende (93). Il n’existe, ni dans la procédure devant le Tribunal ni dans la procédure de pourvoi, aucune interdiction de reformatio in peius. Les juridictions de l’Union ne sont pas non plus liées par les demandes des parties concernant le montant de l’amende dès lors qu’elles restent dans le cadre de l’objet du litige défini dans le recours en annulation et dans le pourvoi (94). Or, il n’est pas contesté que cela est le cas en l’espèce.
234. Par son quatrième grief, Google soutient que l’amende fixée par le Tribunal est disproportionnée et non dûment motivée.
235. Cet argument doit également être rejeté.
236. Selon la jurisprudence de la Cour, la Commission satisfait à son obligation de motivation lorsqu’elle expose les éléments d’appréciation qui lui ont permis de mesurer la gravité et la durée de l’infraction. Bien qu’elle ne soit pas tenue d’indiquer tous les éléments chiffrés relatifs à chacune des étapes intermédiaires du mode de calcul de l’amende retenu, il lui incombe cependant d’expliquer la pondération et l’évaluation qu’elle a faites des éléments pris en considération. L’obligation de la Commission de motiver à suffisance la pertinence et la pondération des éléments qu’elle a pris en considération dans la détermination de la méthode qu’elle a privilégiée n’implique pas qu’elle soit tenue de fournir des éléments chiffrés relatifs au mode de calcul de l’amende ou qu’elle soit contrainte d’expliquer en détail les calculs internes qu’elle a effectués (95).
237. Cela doit aussi s’appliquer dans le cas du Tribunal.
238. Partant, il est certes permis de s’interroger sur le point de savoir pourquoi, en l’espèce, le Tribunal n’a pas simplement inclus dans sa motivation le calcul qu’il a opéré afin d’obtenir le montant chiffré de l’amende à la lumière de l’exposé extensif des éléments pris en considération. Il est aussi permis de regretter cette approche et de considérer que l’exposition de ces calculs aurait clarifié la motivation du Tribunal et facilité le travail de la Cour. Toutefois, cela ne signifie pas que l’approche du Tribunal doit entraîner l’annulation de l’arrêt attaqué.
239. Selon une jurisprudence constante, il n’appartient pas à la Cour, lorsqu’elle se prononce sur des questions de droit dans le cadre d’un pourvoi, de substituer, pour des motifs d’équité, son appréciation à celle du Tribunal statuant, dans l’exercice de sa compétence de pleine juridiction, sur le montant des amendes infligées à des entreprises en raison de la violation, par celles-ci, du droit de l’Union. Ce n’est que dans la mesure où la Cour estimerait que le niveau de la sanction est non seulement inapproprié, mais également excessif, au point d’être disproportionné, qu’il y aurait lieu de constater une erreur de droit commise par le Tribunal, en raison du caractère inapproprié du montant d’une amende (96).
240. En l’espèce, d’abord, le Tribunal a exposé de manière extensive, dans environ 80 points, les aspects qu’il a pris en compte pour la réformation de l’amende, en particulier en ce qui concerne la gravité et la durée de l’infraction contestée. Ensuite, la nouvelle amende, réduite d’un peu plus de 200 000 000 euros par rapport à l’amende initiale (d’initialement 4 342 865 000 euros à maintenant 4 125 000 000 euros), n’apparaît pas, même compte tenu de l’élimination des APR par portefeuille en tant qu’abus indépendant, excessive au point d’être disproportionnée. En effet, comme le Tribunal l’a souligné, notamment aux points 1015 à 1029 de l’arrêt attaqué, les autres aspects de l’infraction ainsi que sa stratégie d’ensemble unique et continue, qui a amplifié son impact, persistent malgré cette élimination.
241. Il s’ensuit que le sixième moyen de pourvoi de Google ne saurait non plus prospérer.
C. Conclusion sur l’appréciation du pourvoi
242. Il découle des considérations qui précèdent que les six moyens de pourvoi doivent être rejetés, tout comme, par conséquent, le pourvoi dans son ensemble.
V. Les dépens
243. Selon l’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, lorsque le pourvoi n’est pas fondé, la Cour statue sur les dépens.
244. D’abord, conformément à l’article 138, paragraphes 1 et 2, du règlement de procédure, qui s’applique à la procédure de pourvoi en vertu de son article 184, paragraphe 1, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens ; si plusieurs parties succombent, la Cour décide du partage des dépens. Comme la Commission a conclu en ce sens et que les requérantes ont succombé en leurs conclusions, elles doivent être condamnées à supporter leurs propres dépens ainsi que ceux de la Commission. Comme elles ont introduit le pourvoi ensemble, elles doivent supporter ces dépens conjointement et solidairement.
245. Ensuite, conformément à l’article 184, paragraphe 4, de son règlement de procédure, la Cour peut décider qu’une partie intervenante en première instance qui a participé à la phase écrite ou orale de la procédure devant la Cour supporte ses propres dépens. Comme l’ADA, la CCIA, Gigaset, HMD et Opera, d’une part, et le BDZV, le BEUC, FairSearch, Qwant, Seznam et le VDZ, d’autre part, ont participé à la phase écrite et/ou orale de la présente procédure de pourvoi, elles doivent être condamnées à supporter chacune ses propres dépens.
VI. Conclusion
246. Sur la base des considérations qui précédent, nous proposons à la Cour de statuer comme suit :
1) Le pourvoi est rejeté.
2) Google LLC et Alphabet Inc. supportent leurs propres dépens ainsi que les dépens de la Commission européenne.
3) Application Developers Alliance, BDZV – Bundesverband Digitalpublisher und Zeitungsverleger eV, Bureau européen des unions de consommateurs, Computer & Communications Industry Association, FairSearch AISBL, Gigaset Communications GmbH, HMD global Oy, Opera Norway AS, Qwant, Seznam.cz, a.s. et Verband Deutscher Zeitschriftenverleger eV supportent chacune leurs propres dépens.