ORDONNANCE DE LA COUR (chambre d’admission des pourvois)

25 juin 2025 (*)

« Pourvoi – Marque de l’Union européenne – Admission des pourvois – Article 170 ter du règlement de procédure de la Cour – Demande ne démontrant pas l’importance de la question soulevée par le pourvoi pour l’unité, la cohérence ou le développement du droit de l’Union – Non‑admission du pourvoi »

Dans l’affaire C‑6/25 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 7 janvier 2025,

Vintae Luxury Wine Specialists SLU, établie à Logroño (Espagne), représentée par Mes L. Broschat García et L. Polo Flores, abogados,

partie requérante,

les autres parties à la procédure étant :

Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO),

partie défenderesse en première instance,

Grande Vitae GmbH, établie à Delmenhorst (Allemagne),

partie intervenante en première instance,

LA COUR (chambre d’admission des pourvois),

composée de M. T. von Danwitz, vice‑président de la Cour, MM. S. Rodin et N. Piçarra (rapporteur), juges,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la proposition du juge rapporteur et l’avocat général, M. M. Campos Sánchez‑Bordona, entendu,

rend la présente

Ordonnance

1        Par son pourvoi, Vintae Luxury Wine Specialists SLU demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 6 novembre 2024, Vintae Luxury Wine Specialists/EUIPO – Grande Vitae (vintae) (T‑136/23, ci-après l’« arrêt attaqué », EU:T:2024:779), par lequel celui-ci a rejeté son recours tendant à l’annulation de la décision de la première chambre de recours de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) du 16 janvier 2023 (affaire R 2238/2021-1), relative à une procédure de nullité entre Grande Vitae GmbH et Vintae Luxury Wine Specialists.

 Sur la demande d’admission du pourvoi

2        En vertu de l’article 58 bis, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, l’examen des pourvois formés contre les décisions du Tribunal portant sur une décision d’une chambre de recours indépendante de l’EUIPO est subordonné à leur admission préalable par la Cour.

3        Conformément à l’article 58 bis, troisième alinéa, de ce statut, le pourvoi est admis, en tout ou en partie, selon les modalités précisées dans le règlement de procédure de la Cour, lorsqu’il soulève une question importante pour l’unité, la cohérence ou le développement du droit de l’Union.

4        Aux termes de l’article 170 bis, paragraphe 1, de ce règlement, dans les situations visées à l’article 58 bis, premier alinéa, dudit statut, la partie requérante annexe à sa requête une demande d’admission du pourvoi dans laquelle elle expose la question importante que soulève le pourvoi pour l’unité, la cohérence ou le développement du droit de l’Union et qui contient tous les éléments nécessaires pour permettre à la Cour de statuer sur cette demande.

5        Conformément à l’article 170 ter, paragraphes 1 et 3, dudit règlement, la Cour statue sur la demande d’admission du pourvoi dans les meilleurs délais par voie d’ordonnance motivée.

 Argumentation de la partie requérante

6        À l’appui de sa demande d’admission du pourvoi, la partie requérante soutient que celui‑ci soulève des questions importantes pour l’unité, la cohérence et le développement du droit de l’Union, au sens de l’article 58 bis, troisième alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, notamment en ce qui concerne les critères de preuve qui doivent être remplis pour démontrer la « connaissance effective », par le titulaire d’une marque nationale antérieure, de l’usage d’une marque de l’Union européenne postérieure dans l’État membre où cette marque nationale antérieure est protégée, au sens du paragraphe 2 de l’article 53, intitulé « Forclusion par tolérance », du règlement (CE) no 40/94 du Conseil, du 20 décembre 1993, sur la marque communautaire (JO 1994, L 11, p. 1), remplacé par le règlement (CE) nº°207/2009 du Conseil, du 26 février 2009, sur la marque [de l’Union européenne] (JO 2009, L 78, p. 1), lui-même remplacé par le règlement (UE) 2017/1001, du Parlement européen et du Conseil, du 14 juin 2017, sur la marque de l’Union européenne (JO 2017, L 154, p. 1).

7        S’agissant des critères de l’unité et de la cohérence du droit de l’Union, la partie requérante soutient, tout d’abord, que son pourvoi offre à la Cour l’occasion de clarifier les niveaux de preuve requis. Selon elle, l’interprétation, faite par le Tribunal, de la notion de « connaissance effective » de l’usage d’une marque de l’Union européenne postérieure, que doit avoir le titulaire d’une marque antérieure, en tant que condition pour l’empêcher de former des actions en nullité et en opposition envers cette marque postérieure, au sens de cet article 53, paragraphe 2, imposerait « une preuve diabolique en exigeant une preuve directe et subjective » de cette « connaissance effective » par le titulaire de la marque antérieure. Selon la partie requérante, le Tribunal n’a pas suffisamment pris en compte des « preuves circonstancielles » démontrant l’usage intensif et la visibilité de la marque de l’Union européenne postérieure VINTAE, telles que la présence de la partie requérante, titulaire de cette marque, à des événements du secteur vitivinicole, ses efforts en matière de stratégie de marque et son rôle important dans ce secteur. À cet égard, l’enregistrement de la marque de la partie requérante dans la classe 35, au sens de l’arrangement de Nice concernant la classification internationale des produits et des services aux fins de l’enregistrement des marques, du 15 juin 1957, tel que révisé et modifié, soulignerait l’importance de sa visibilité publique dans les salons professionnels et dans les médias. Selon elle, lorsque le Tribunal se réfère à des preuves directes et subjectives, il méconnaît les réalités du secteur vitivinicole, où les efforts de visibilité et de stratégie de marque encouragent, par essence, la connaissance mutuelle. En ne tenant pas compte de telles preuves circonstancielles, le Tribunal imposerait aux titulaires de marques une charge de la preuve irréaliste.

8        Une telle interprétation aurait amené le Tribunal à annuler rétroactivement une marque de l’Union européenne postérieure, établie de longue date, en violation notamment du principe de sécurité juridique. Les conséquences de l’arrêt attaqué iraient « au-delà des parties concernées », en menaçant ainsi la stabilité du système des marques de l’Union européenne et en créant une incertitude pour les entreprises exploitant des marques établies de longue date, ce qui dissuaderait les investissements et l’innovation au sein du marché intérieur.

9        La partie requérante soutient, ensuite, que l’arrêt attaqué s’est écarté de la jurisprudence établie de la Cour, à l’instar de l’arrêt du 11 juin 2009, Chocoladefabriken Lindt & Sprüngli (C‑529/07, EU:C:2009:361), qui permettrait de déduire une connaissance subjective de circonstances objectives, et de l’arrêt du 22 septembre 2011, Budějovický Budvar (C‑482/09, EU:C:2011:605), dans lequel la Cour aurait admis que des preuves circonstancielles puissent être produites pour démontrer cette connaissance. Son pourvoi viserait ainsi à remédier à cette incohérence et à réaffirmer les principes établis par la Cour.

10      Enfin, s’agissant du critère relatif au développement du droit de l’Union, la partie requérante soutient que la présente affaire offre à la Cour une « occasion unique » d’examiner les conséquences systématiques de l’approche du Tribunal, en particulier l’incidence de celle-ci sur la sécurité juridique ainsi que sur l’équilibre entre les droits attachés à des marques antérieures et les droits attachés à des marques postérieures, et, partant, de prononcer un arrêt fournissant aux entreprises et aux praticiens du droit des orientations essentielles sur le système des marques de l’Union européenne.

 Appréciation de la Cour

11      À titre liminaire, il convient de relever que c’est au requérant qu’il incombe de démontrer que les questions soulevées par son pourvoi sont importantes pour l’unité, la cohérence ou le développement du droit de l’Union (ordonnances du 10 décembre 2021, EUIPO/The KaiKai Company Jaeger Wichmann, C‑382/21 P, EU:C:2021:1050, point 20, et du 14 mars 2025, Eurosemillas/OCVV, C‑774/24 P, EU:C:2025:190, point 12).

12      En outre, ainsi qu’il ressort de l’article 58 bis, troisième alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, lu en combinaison avec l’article 170 bis, paragraphe 1, et l’article 170 ter, paragraphe 4, du règlement de procédure, la demande d’admission du pourvoi doit contenir tous les éléments nécessaires pour permettre à la Cour de statuer sur l’admission du pourvoi et de déterminer, en cas d’admission partielle de ce dernier, les moyens ou les branches du pourvoi sur lesquels le mémoire en réponse doit porter. En effet, étant donné que le mécanisme d’admission préalable des pourvois visé à l’article 58 bis de ce statut tend à limiter le contrôle de la Cour aux questions revêtant une importance pour l’unité, la cohérence ou le développement du droit de l’Union, seuls les moyens soulevant de telles questions et établis par le requérant doivent être examinés par la Cour dans le cadre du pourvoi (ordonnances du 10 décembre 2021, EUIPO/The KaiKai Company Jaeger Wichmann, C‑382/21 P, EU:C:2021:1050, point 21, et du 14 mars 2025, Eurosemillas/OCVV, C‑774/24 P, EU:C:2025:190, point 13).

13      Ainsi, une demande d’admission du pourvoi doit, en tout état de cause, énoncer de façon claire et précise les moyens sur lesquels le pourvoi est fondé, identifier avec la même précision et la même clarté la question de droit soulevée par chaque moyen, préciser si cette question est importante pour l’unité, la cohérence ou le développement du droit de l’Union et exposer de manière spécifique les raisons pour lesquelles ladite question est importante au regard du critère invoqué. En ce qui concerne, en particulier, les moyens du pourvoi, la demande d’admission doit préciser la disposition du droit de l’Union ou la jurisprudence qui aurait été méconnue par l’arrêt ou l’ordonnance sous pourvoi, exposer de manière succincte en quoi consiste l’erreur de droit prétendument commise par le Tribunal et indiquer dans quelle mesure cette erreur a exercé une influence sur le résultat de l’arrêt ou de l’ordonnance sous pourvoi. Lorsque l’erreur de droit invoquée résulte de la méconnaissance de la jurisprudence, la demande d’admission du pourvoi doit exposer, de façon succincte mais claire et précise, premièrement, où se situe la contradiction alléguée, en identifiant tant les points de l’arrêt ou de l’ordonnance sous pourvoi que le requérant met en cause que ceux de la décision de la Cour ou du Tribunal qui auraient été méconnus, et, deuxièmement, les raisons concrètes pour lesquelles une telle contradiction soulève une question importante pour l’unité, la cohérence ou le développement du droit de l’Union (ordonnances du 10 décembre 2021, EUIPO/The KaiKai Company Jaeger Wichmann, C‑382/21 P, EU:C:2021:1050, point 22, et du 14 mars 2025, Eurosemillas/OCVV, C‑774/24 P, EU:C:2025:190, point 14).

14      En effet, une demande d’admission du pourvoi ne contenant pas les éléments énoncés au point précédent de la présente ordonnance ne saurait être, d’emblée, susceptible de démontrer que le pourvoi soulève une question importante pour l’unité, la cohérence ou le développement du droit de l’Union justifiant son admission (ordonnances du 24 octobre 2019, Porsche/EUIPO, C‑613/19 P, EU:C:2019:905, point 16, et du 14 mars 2025, Eurosemillas/OCVV, C‑774/24 P, EU:C:2025:190, point 15).

15      En l’espèce, il ressort de l’argumentation exposée aux points 7 et 8 de la présente ordonnance que, si, dans sa demande d’admission du pourvoi, la partie requérante identifie les questions que la Cour serait, selon elle, appelée à clarifier concernant les modalités de preuve de la connaissance, par le titulaire d’une marque nationale antérieure, de l’usage d’une marque de l’Union européenne postérieure, au sens de l’article 53, paragraphe 2, du règlement no 40/94, elle n’énonce toutefois pas de façon claire et précise les moyens sur lesquels le pourvoi est fondé. En effet, par cette argumentation, elle se borne à faire valoir que l’interprétation, retenue dans l’arrêt attaqué, de la notion de « connaissance effective » – qui reviendrait à imposer une « probatio diabolica » – porte atteinte, notamment, au principe de sécurité juridique, tout en menaçant, « au-delà des parties concernées », la stabilité du système des marques de l’Union européenne. Elle n’expose pas non plus de manière spécifique les raisons pour lesquelles ces circonstances, à les supposer établies, soulèveraient une question importante pour l’unité, la cohérence ou le développement du droit de l’Union, se limitant à affirmer que l’arrêt attaqué crée une incertitude pour les entreprises exploitant des marques établies de longue date, ce qui dissuaderait les investissements et l’innovation au sein du marché intérieur.

16      De plus, par son argumentation exposée au point 7 de la présente ordonnance, la partie requérante cherche, en réalité, à remettre en cause l’appréciation des éléments de fait et de preuve effectuée par le Tribunal, tels que sa présence à des événements clés du secteur vitivinicole, ses efforts en matière de stratégie de marque ou son rôle important dans ce secteur. À cet égard, il y a lieu de rappeler qu’une argumentation visant à remettre en cause de telles appréciations effectuées par le Tribunal n’est pas susceptible, en principe, et ce même à la supposer fondée, de soulever une question importante pour l’unité, la cohérence ou le développement du droit de l’Union (voir, en ce sens, ordonnances du 31 mars 2022, St. Hippolyt/EUIPO, C‑762/21 P, EU:C:2022:255, point 18, et du 14 mars 2025, Eurosemillas/OCVV, C‑774/24 P, EU:C:2025:190, point 16).

17      S’agissant de l’argumentation mentionnée au point 9 de la présente ordonnance, tirée de l’erreur de droit que le Tribunal aurait commise en s’écartant de la jurisprudence de la Cour applicable, la partie requérante n’identifie ni les points de l’arrêt attaqué qu’elle entend remettre en cause ni ceux des arrêts de la Cour cités à ce point 9 qui auraient été méconnus. Elle n’identifie pas non plus, de façon suffisamment claire et précise, où se situe la contradiction alléguée et n’expose pas les raisons concrètes pour lesquelles une telle contradiction, à la supposer établie, soulèverait une question importante pour l’unité, la cohérence ou le développement du droit de l’Union (voir, en ce sens, ordonnance du 19 novembre 2024, Penguin Random House/EUIPO, C‑538/24 P, EU:C:2024:969, points 15, 18 et 19).

18      Dans ces conditions, il y a lieu de constater que la demande présentée par la partie requérante n’est pas de nature à établir que le pourvoi soulève une question importante pour l’unité, la cohérence ou le développement du droit de l’Union, au sens de l’article 58 bis, troisième alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne et de l’article 170 bis, paragraphe 1, du règlement de procédure.

19      Eu égard à l’ensemble des motifs qui précèdent, il y a lieu de ne pas admettre le pourvoi.

 Sur les dépens

20      Aux termes de l’article 137 du règlement de procédure, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de ce règlement, il est statué sur les dépens dans l’ordonnance qui met fin à l’instance.

21      La présente ordonnance étant adoptée avant que le pourvoi n’ait été signifié aux autres parties à la procédure et, par conséquent, avant que celles-ci n’aient pu exposer des dépens, il convient de décider que la partie requérante supportera ses propres dépens.

Par ces motifs, la Cour (chambre d’admission des pourvois) ordonne :

1)      Le pourvoi n’est pas admis.

2)      Vintae Luxury Wine Specialists SLU supporte ses propres dépens.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.