Affaire T1104/23

Ferrari SpA

contre

Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle

 Arrêt du Tribunal (huitième chambre élargie) du 2 juillet 2025

« Marque de l’Union européenne – Procédure de déchéance – Enregistrement international désignant l’Union européenne – Marque verbale TESTAROSSA – Usage sérieux de la marque – Article 51, paragraphe 1, sous a), du règlement (CE) no 207/2009 [devenu article 58, paragraphe 1, sous a), du règlement (UE) 2017/1001] – Usage par des tiers – Nature de l’usage – Consentement implicite du titulaire de la marque – Preuve de l’usage sérieux – Modèles réduits de véhicules terrestres à moteur (jouets) »

1.      Marque de l’Union européenne – Effets de la marque de l’Union européenne – Droits conférés par la marque – Droit d’interdire l’usage de la marque – Condition – Usage par un tiers susceptible de porter atteinte aux fonctions de la marque – Notion – Apposition par un tiers d’un signe identique à une marque enregistrée pour des modèles réduits de véhicules – Usage se limitant à une indication du caractère fidèle de la reproduction d’un modèle d’automobile – Exclusion

(Règlement du Conseil no 207/2009, art. 9, § 1)

(voir points 27-29, 32, 33)

2.      Marque de l’Union européenne – Renonciation, déchéance et nullité – Causes de déchéance – Absence d’usage sérieux de la marque – Marque verbale TESTAROSSA

[Règlement du Conseil no 207/2009, art. 15, § 1, et 51, § 1, a)]

(voir points 47-52, 59, 65, 71)

3.      Marque de l’Union européenne – Renonciation, déchéance et nullité – Causes de déchéance – Absence d’usage sérieux de la marque – Usage par un tiers avec le consentement du titulaire de la marque – Consentement implicite – Critères d’appréciation – Usage de la marque pour des modèles réduits de véhicules

[Règlement du Conseil no 207/2009, art. 15, § 1, et 51, § 1, a)]

(voir points 60, 62-64, 68-70)

Résumé

Le Tribunal, statuant en formation élargie, annule partiellement la décision de la chambre de recours de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) (1) et se prononce sur la notion d’usage sérieux dans le contexte de l’utilisation d’une marque par des tiers avec le consentement implicite du titulaire de cette marque. Il clarifie notamment la jurisprudence issue de l’arrêt Opel (2) et précise les conditions dans lesquelles l’usage sérieux d’une marque peut être démontré lorsque les habitudes du secteur et du marché en cause permettent, dans certaines conditions, l’utilisation de la marque enregistrée par certains opérateurs afin de décrire les produits en cause.

Ferrari SpA, la requérante, est titulaire de l’enregistrement international désignant l’Union européenne de la marque verbale TESTAROSSA pour, notamment, des modèles réduits de véhicules et des jouets (3). Le 14 novembre 2014, M. Kurt Hesse, l’intervenant, a introduit une demande en nullité des effets de cet enregistrement international (4). La division d’annulation a partiellement fait droit à la demande en déchéance et l’a rejetée pour les « modèles réduits de véhicules terrestres à moteur (jouets) ».

L’intervenant et la requérante ont tous deux introduit un recours en annulation partielle contre cette décision. La chambre de recours de l’EUIPO a accueilli le recours de l’intervenant et a rejeté celui de la requérante, qui a ainsi été déchue des droits sur la marque contestée pour l’ensemble des produits. La requérante a saisi le Tribunal d’un recours en annulation à l’encontre de cette décision.

Appréciation du Tribunal

À titre liminaire, le Tribunal souligne que l’apposition par un tiers d’un signe identique à une marque enregistrée pour des jouets sur des modèles réduits de véhicules ne peut être interdite que si elle porte atteinte ou est susceptible de porter atteinte aux fonctions de cette marque, ce qui doit être apprécié selon les caractéristiques du marché des modèles réduits de véhicules. Ce marché se caractérise par la coexistence, d’une part, de fabricants de jouets indépendants, qui utilisent des marques enregistrées pour des automobiles comme de simples indications qu’un modèle réduit est une reproduction fidèle d’un modèle de voiture réelle et, d’autre part, de modèles réduits de véhicules produits et commercialisés par les titulaires des marques enregistrées pour des automobiles ou par des entreprises qui leur sont économiquement liées, par le biais d’une licence. Le public pertinent est donc habitué à être exposé à des modèles réduits de véhicules, avec ou sans licence du constructeur automobile, et à les distinguer en fonction des informations figurant sur leurs emballages. Ainsi, le Tribunal indique qu’un tiers peut utiliser une telle marque sans le consentement de son titulaire, à condition que l’usage qu’il en fait sur un modèle réduit de véhicule se limite à indiquer au public pertinent que le modèle est une reproduction fidèle d’un véritable modèle d’automobile. En revanche, lorsque l’usage de la marque par un tiers fait, par exemple, référence à un accord de licence conclu avec le titulaire de cette marque, il sera perçu comme une indication que ces produits proviennent du constructeur automobile ou d’une entreprise économiquement liée à ce dernier. Dans une telle hypothèse, le titulaire de la marque est fondé à s’opposer à un tel usage s’il a été effectué sans son consentement.

S’agissant du cas d’espèce, en premier lieu, le Tribunal examine si l’usage de la marque par les tiers est conforme à la fonction essentielle de celle-ci. Il relève que les éléments de preuve produits par la requérante consistent notamment en plusieurs catalogues et photographies de modèles réduits, sur lesquels figurent la marque contestée, des marques de tiers, mais également la mention « produit officiel sous licence Ferrari ». À cet égard, il constate que ces indications permettent au public pertinent de comprendre que ces modèles réduits sont fabriqués par un tiers sous licence de la requérante, bien que la marque contestée soit apposée aux côtés de marques de tiers. Dès lors, un tel usage de la marque contestée est conforme à la fonction essentielle de celle-ci, qui est de garantir aux consommateurs l’origine commerciale des produits. Le fait que les modèles réduits de véhicules portant la marque contestée soient commercialisés par des entreprises différentes et que leur qualité et leur prix soient différents ne permet pas de remettre en cause cette conclusion. De même, il importe peu que les mentions « produit officiel sous licence Ferrari » ne fassent pas référence à la marque contestée, car le lien entre l’utilisation de la marque Ferrari et la marque contestée sur les emballages et les catalogues est conforme aux habitudes du marché en cause. En effet, le Tribunal relève que, sur le marché des automobiles, les voitures sont commercialisées à la fois sous une première marque désignant leur constructeur et sous une seconde marque désignant leur modèle et que ces considérations sont également pertinentes pour le marché des modèles réduits de véhicules. Par ailleurs, l’absence des symboles « ® » ou « TM » à côté de la marque contestée n’altère pas la capacité de cette marque à remplir sa fonction essentielle. Au vu de ce qui précède, le Tribunal considère que la marque contestée a été utilisée, pendant la période pertinente, pour des modèles réduits de véhicules, conformément à sa fonction essentielle.

En second lieu, le Tribunal examine si l’usage de la marque contestée par des tiers a été fait avec le consentement du titulaire. Il observe que les extraits de contrats de licence présentés par la requérante ne contiennent pas la liste des marques faisant l’objet desdits contrats, de sorte qu’ils ne permettent pas d’établir que la requérante a expressément consenti à l’usage de sa marque par ces tiers. Néanmoins, il souligne que le consentement du titulaire à l’usage de la marque par des tiers peut également résulter d’une manière implicite de circonstances et d’éléments antérieurs, concomitants ou postérieurs à cet usage, lesquels doivent être examinés à la lumière des usages considérés comme justifiés dans le secteur économique concerné.

Ainsi, premièrement, le Tribunal indique que, dans le cadre spécifique du marché en cause, le consentement implicite du titulaire de la marque contestée découle du fait que ce dernier avait connaissance de l’usage de sa marque par des tiers et ne s’y est pas opposé, et estime que tel est le cas en l’espèce. Deuxièmement, il précise que l’usage de la marque d’une société de production par une autre société commercialisant les produits en cause comme étant des produits « officiels » sous licence de la première société peut être reconnu comme étant fait avec le consentement du titulaire de cette marque, dans la mesure où un tel usage établit un lien entre ces deux sociétés qui présuppose que ce dernier a autorisé l’usage de ses marques par la société en question. Troisièmement, il considère que, en présentant des factures et des bons de commande émis par des tiers pour la vente de modèles réduits de véhicules revêtus de la marque contestée aux fins d’établir l’usage sérieux, la requérante prétend implicitement que cet usage a été fait avec son consentement. Par conséquent, le Tribunal considère que la requérante a consenti implicitement à l’usage de la marque contestée par des tiers pour les produits en cause.

Partant, au vu des considérations qui précèdent, le Tribunal annule la décision de la chambre de recours dans la mesure où la déchéance de la marque contestée a été prononcée pour les modèles réduits de véhicules.


1      Décision de la cinquième chambre de recours de l’EUIPO du 29 août 2023 (affaire R 887/2016-5).


2      Arrêt du 25 janvier 2007, Adam Opel (C 48/05, EU:C:2007:55).


3      Produits relevant de la classe 28 au sens de l’arrangement de Nice concernant la classification internationale des produits et des services aux fins de l’enregistrement des marques, du 15 juin 1957, tel que révisé et modifié.


4      Sur le fondement de l’article 158, paragraphe 2, du règlement (CE) no 207/2009 du Conseil, du 26 février 2009, sur la marque de l’Union européenne (JO 2009, L 78, p. 1), lu en combinaison avec l’article 51, paragraphe 1, sous a), de ce règlement.