ARRÊT DU TRIBUNAL (huitième chambre)

16 juillet 2025 (*)

« Responsabilité non contractuelle – Règlement (CE) no 1073/1999 – Enquête externe de l’OLAF – Affaire “Eurostat” – Transmission à des autorités judiciaires nationales d’informations relatives à des faits susceptibles de poursuites pénales avant l’issue de l’enquête – Dépôt d’une plainte par la Commission avant l’issue de l’enquête – Procédure pénale nationale – Non-lieu définitif – Violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers – Lien de causalité »

Dans l’affaire T‑735/20 RENV,

Planistat Europe, établie à Paris (France),

Hervé-Patrick Charlot, demeurant à Paris,

représentés par Mes F. Martin Laprade et M. Robin, avocats,

parties requérantes,

contre

Commission européenne, représentée par M. J. Baquero Cruz, Mmes F. Blanc et C. Valero, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

LE TRIBUNAL (huitième chambre),

composé de MM. A. Kornezov, président, D. Petrlík (rapporteur) et Mme S. Kingston, juges,

greffier : Mme H. Eriksson, administratrice,

vu la phase écrite de la procédure, notamment l’ordonnance du 12 novembre 2024 portant mesures d’instruction, les documents produits en exécution de cette ordonnance et les observations des requérants sur ces documents déposées au greffe du Tribunal le 19 décembre 2024,

à la suite de l’audience du 13 février 2025,

rend le présent

Arrêt

1        Par leur recours fondé sur l’article 268 TFUE, les requérants, Planistat Europe (ci-après « Planistat ») et M. Hervé-Patrick Charlot, demandent réparation des préjudices moraux et matériels qu’ils auraient subis du fait de certains comportements reprochés à l’Office européen de lutte antifraude (OLAF) et à la Commission européenne.

 Antécédents du litige

2        En 1996, l’Office statistique de l’Union européenne (Eurostat) a créé un réseau de points de vente d’informations statistiques (datashops). Ces datashops étaient intégrés aux instituts nationaux de statistique des États membres, à l’exception de ceux de la Belgique, de l’Espagne et du Luxembourg, où ils étaient gérés par des sociétés commerciales. À cette fin, des conventions tripartites ont été conclues entre Eurostat, l’Office des publications de l’Union européenne (OP) et les entités abritant les datashops (ci-après les « conventions tripartites »). En vertu de ces conventions, les datashops devaient, en substance, rétrocéder une partie de leur chiffre d’affaires au budget de l’Union européenne.

3        De 1996 à 1999, Planistat, dirigée par M. Charlot, a bénéficié de contrats-cadres signés avec Eurostat pour diverses prestations de services incluant notamment la mise à disposition de personnel au sein des datashops (ci-après les « contrats Eurostat-Planistat »). À partir du 1er janvier 2000, Planistat s’est vu confier la gestion des datashops de Bruxelles (Belgique), de Madrid (Espagne) et de Luxembourg (Luxembourg).

4        En septembre 1999, le service d’audit interne d’Eurostat a réalisé un rapport d’audit (ci-après le « rapport d’audit de 1999 »), faisant état d’irrégularités financières dans le réseau des datashops de Bruxelles, de Madrid et de Luxembourg (ci-après le « réseau des datashops »). Ce même service a réalisé un suivi d’audit en 2001 (ci-après le « rapport de suivi d’audit de 2001 »), qui a révélé que les recommandations issues du rapport d’audit de 1999 n’avaient pas systématiquement été prises en compte.

5        Le 17 mars 2000, la direction générale du contrôle financier de la Commission a transmis le rapport d’audit de 1999 à l’OLAF, qui a ouvert l’enquête interne portant la référence IO/2000/4097 et ayant pour objet d’examiner les modalités de mise en place du réseau des datashops, les circuits de facturation et l’implication éventuelle d’agents de l’Union.

6        Le 18 mars 2003, à la suite de cette enquête interne, l’OLAF a décidé d’ouvrir l’enquête externe portant la référence OF/2002/0510 et visant Planistat.

7        Le 19 mars 2003, l’OLAF a transmis aux autorités judiciaires françaises une information relative à des faits susceptibles de recevoir une qualification pénale dans le cadre de l’enquête en cours (ci-après la « note du 19 mars 2003 »).

8        Sur ce fondement, le 4 avril 2003, le procureur de la République de Paris (France) a ouvert une information judiciaire devant le juge d’instruction du tribunal de grande instance de Paris (ci-après le « juge d’instruction ») pour recel et complicité d’abus de confiance.

9        À partir du 26 avril 2003, les enquêtes de l’OLAF ont été évoquées dans la presse.

10      Le 10 juillet 2003, la Commission a déposé une plainte contre X avec constitution de partie civile auprès du procureur de la République de Paris pour délit d’abus de confiance et tous autres délits qui pourraient se déduire des faits dénoncés dans cette plainte (ci-après la « plainte de la Commission »).

11      Le 23 juillet 2003, la Commission a résilié l’ensemble des contrats Eurostat-Planistat.

12      Le 10 septembre 2003, le juge d’instruction a mis en examen M. Charlot des chefs d’abus de confiance et de recel d’abus de confiance.

13      Le 25 septembre 2003, l’OLAF a clos tant l’enquête interne portant la référence IO/2000/4097 que l’enquête externe portant la référence OF/2002/0510.

14      Le 9 septembre 2013, le juge d’instruction a rendu une ordonnance de non-lieu à l’égard de M. Charlot (ci-après l’« ordonnance du 9 septembre 2013 »), contre laquelle la Commission a interjeté appel.

15      Par arrêt du 23 juin 2014, la cour d’appel de Paris (France) a rejeté cet appel en confirmant l’ordonnance du 9 septembre 2013 (ci-après l’« arrêt du 23 juin 2014 »).

16      Par arrêt du 15 juin 2016, la Cour de cassation (France) a rejeté le pourvoi formé par la Commission contre l’arrêt du 23 juin 2014, mettant ainsi un terme à la procédure judiciaire contre M. Charlot.

 Procédures antérieures devant le Tribunal et devant la Cour

17      Par requête déposée au Tribunal le 15 décembre 2020, les requérants ont demandé au Tribunal, en substance, de constater que la Commission avait engagé la responsabilité non contractuelle de l’Union au titre de l’article 340 TFUE. Cette responsabilité aurait résulté d’une violation suffisamment caractérisée, par la Commission, du devoir de sollicitude et du principe de bonne administration, des droits de la défense des requérants, de leur droit à la présomption d’innocence et d’une obligation de confidentialité, causant ainsi un préjudice matériel et moral aux requérants.

18      Les requérants demandaient au Tribunal de condamner la Commission au versement de la somme de 150 000 euros en réparation du préjudice moral subi par M. Charlot ainsi qu’au versement de la somme de 11 600 000 euros en réparation du préjudice matériel subi par eux. Ces préjudices auraient consisté, premièrement, en un préjudice moral que M. Charlot aurait subi en raison de la procédure pénale engagée contre lui devant les autorités judiciaires françaises à la suite, d’une part, de la transmission par l’OLAF de la note du 19 mars 2003 aux autorités judiciaires françaises et, d’autre part, d’une dénonciation calomnieuse de la part de l’OLAF et de la Commission devant ces mêmes autorités, deuxièmement, en un préjudice moral que M. Charlot aurait subi en raison des fuites d’informations se rapportant à cette note dans la presse ainsi que d’un communiqué de presse de la Commission sur le même sujet et, troisièmement, en un préjudice matériel que les requérants auraient subi en raison de la résiliation des contrats Eurostat-Planistat. En outre, lors de l’audience devant le Tribunal dans le cadre de la procédure initiale, les requérants ont également demandé la réparation d’un quatrième chef de préjudice matériel, qui aurait résulté de l’impossibilité de conclure des contrats avec d’autres clients en raison de leur mise en cause dans la presse et devant les autorités judiciaires françaises (ci-après le « préjudice consistant en la perte d’une chance »).

19      Par l’arrêt du 6 avril 2022, Planistat Europe et Charlot/Commission (T‑735/20, non publié, ci-après l’« arrêt initial », EU:T:2022:220), le Tribunal a rejeté le recours comme étant en partie irrecevable et en partie non fondé.

20      Par l’arrêt du 11 janvier 2024, Planistat Europe et Charlot/Commission (C‑363/22 P, ci-après l’« arrêt sur pourvoi », EU:C:2024:20), la Cour a annulé l’arrêt initial, dans la mesure où, par cet arrêt, le Tribunal avait rejeté le recours pour autant qu’il tendait à l’indemnisation du préjudice moral prétendument subi par M. Charlot en raison de la procédure pénale engagée contre lui devant les autorités judiciaires françaises. En particulier, la Cour a jugé que le Tribunal avait commis une erreur de droit en n’ayant examiné ni la crédibilité et le contenu des informations et des éléments figurant dans la note du 19 mars 2003, ni l’intention dans laquelle la transmission de ces informations ou de ces éléments aux autorités judiciaires françaises avait été effectuée, ni si lesdites informations ou lesdits éléments pouvaient justifier l’ouverture d’une enquête judiciaire ou constituer des éléments de preuve utiles à une telle enquête. Par ailleurs, selon la Cour, le Tribunal avait également commis une erreur de droit lorsqu’il avait rejeté comme étant inopérante l’argumentation des requérants reprochant à l’OLAF et à la Commission d’avoir effectué une dénonciation calomnieuse.

21      La Cour a rejeté le pourvoi pour le surplus et a renvoyé l’affaire devant le Tribunal.

 Conclusions des parties après renvoi

22      À la suite des lettres du Tribunal en date du 12 janvier 2024, les parties ont présenté leurs observations écrites concernant la suite de la procédure (ci-après les « observations sur la suite de la procédure »), conformément à l’article 193, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal.

23      Les requérants concluent désormais à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        constater que la Commission a engagé la responsabilité non contractuelle de l’Union au titre de l’article 340 TFUE en violant de façon suffisamment caractérisée le principe de bonne administration, leur causant ainsi un préjudice matériel ou moral ;

–        condamner la Commission au versement de la somme de 2 000 000 euros en raison de l’intention dolosive dont l’Union a fait preuve à leur égard, de la somme de 150 000 euros au titre du préjudice moral subi par M. Charlot et de la somme de 15 350 000 euros au titre du préjudice consistant en la perte d’une chance ;

–        à titre subsidiaire, condamner la Commission au versement de la somme de 7 700 000 euros au titre du préjudice moral subi par M. Charlot et de la somme de 7 700 000 euros au titre du préjudice moral subi par Planistat ;

–        condamner la Commission aux dépens.

24      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner les requérants aux dépens.

 En droit

 Sur l’objet du litige après renvoi

25      En premier lieu, il convient de préciser dans quelle mesure le Tribunal reste saisi du recours après l’arrêt initial et l’arrêt sur pourvoi.

26      En vertu de l’article 61 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, applicable au Tribunal en vertu de l’article 53, premier alinéa, dudit statut, lorsque le pourvoi est fondé et que l’affaire est renvoyée devant le Tribunal pour qu’il statue sur le litige, celui-ci est lié par les points de droit tranchés par la décision de la Cour. Ainsi, à la suite de l’annulation par la Cour et du renvoi de l’affaire devant le Tribunal, celui-ci est saisi, en application de l’article 191 du règlement de procédure, par l’arrêt de la Cour et doit se prononcer sur l’ensemble des moyens d’annulation soulevés par la partie requérante, à l’exclusion des éléments du dispositif non annulés par la Cour ainsi que des considérations qui constituent le fondement nécessaire desdits éléments, ceux-ci étant passés en force de chose jugée (voir arrêt du 13 septembre 2023, Venezuela/Conseil, T‑65/18 RENV, EU:T:2023:529, point 24 et jurisprudence citée).

27      En l’espèce, le Tribunal a jugé, aux points 47 et 63 de l’arrêt initial, que les deuxième et troisième préjudices mentionnés au point 18 ci-dessus s’étaient réalisés de manière instantanée en 2003, de sorte que, dans cette mesure, la demande de réparation de ces préjudices avait été introduite hors délai et était irrecevable.

28      Or, la Cour a rejeté le pourvoi en ce qui concerne la demande de réparation de ces préjudices aux points 44 et 48 de l’arrêt sur pourvoi. Par conséquent, celle-ci ne fait plus partie de l’objet du litige après renvoi, ce que les requérants ont d’ailleurs reconnu dans leurs observations sur la suite de la procédure.

29      Ensuite, le Tribunal a rejeté, au point 62 de l’arrêt initial, la demande de réparation du préjudice consistant en la perte d’une chance, tel que décrit au point 18 ci-dessus, au motif que les requérants n’avaient apporté aucun élément de preuve au soutien de cette demande permettant d’établir, notamment, le moment précis où un tel préjudice se serait concrétisé.

30      À cet égard, les requérants soutiennent que les juridictions de l’Union n’ont pas encore statué sur le préjudice consistant en la perte d’une chance. Ainsi, « pour répondre à la remarque du Tribunal en matière de preuve » formulée au point 62 de l’arrêt initial, les requérants soumettent au Tribunal, en annexe à leurs observations sur la suite de la procédure, un document d’évaluation de l’étendue de ce préjudice qui est fondé sur un rapport d’un cabinet d’experts-comptables.

31      Or, aux points 49 à 51 de l’arrêt sur pourvoi, la Cour a rejeté le pourvoi dans la mesure où les requérants remettaient en cause le point 62 de l’arrêt initial.

32      Ainsi, conformément aux dispositions et principes jurisprudentiels rappelés au point 26 ci-dessus, l’arrêt initial est revêtu de l’autorité de la chose jugée en ce qu’il a rejeté la demande de réparation du préjudice consistant en la perte d’une chance, de sorte que la demande de réparation fondée sur ce chef de préjudice doit être considérée comme ayant été définitivement rejetée.

33      En tout état de cause, les requérants ne sauraient être admis à présenter, pour la première fois dans leurs observations sur la suite de la procédure et sans justification valable, l’élément de preuve mentionné au point 30 ci-dessus.

34      À cet égard, il convient de rappeler que, aux termes de l’article 85 du règlement de procédure, les preuves sont, en principe, présentées dans le cadre du premier échange de mémoires. C’est seulement à titre exceptionnel, en vertu de l’article 85, paragraphe 3, de ce règlement, que les parties peuvent encore produire des preuves ultérieurement, et ce avant la clôture de la phase orale de la procédure et à condition que le retard dans la présentation de celles-ci soit justifié.

35      Ces principes sont également applicables au cours d’une procédure de renvoi, dès lors que celle-ci constitue le prolongement partiel du même litige qui avait débuté par le dépôt de la requête (arrêt du 18 novembre 2020, H/Conseil, T‑271/10 RENV II, EU:T:2020:548, point 90). Ainsi, si une partie produit des preuves en annexe à ses observations sur la suite de la procédure, il lui incombe de justifier le retard dans la présentation de celles-ci (voir, en ce sens, arrêt du 18 novembre 2020, H/Conseil, T‑271/10 RENV II, EU:T:2020:548, point 92).

36      En l’espèce, il convient de relever, d’une part, que l’élément de preuve mentionné au point 30 ci-dessus consiste en un document qui procède à une extrapolation de certains constats énoncés dans un rapport d’experts-comptables qui avait été établi en 2018 et a été produit en annexe à la requête déposée auprès du Tribunal le 15 décembre 2020. Par conséquent, rien n’empêchait les requérants de présenter un tel document d’extrapolation dès le dépôt de la requête. D’autre part, les requérants n’invoquent aucune circonstance particulière justifiant le retard dans la production de ce document devant le Tribunal.

37      S’agissant, enfin, du premier préjudice évoqué au point 18 ci-dessus, le Tribunal a jugé, aux points 82 à 92 et 104 de l’arrêt initial, que les requérants n’avaient pas établi qu’un comportement fautif imputable à l’OLAF était à l’origine de ce préjudice, dans la mesure où ils s’appuyaient sur une violation du principe de bonne administration. En outre, le Tribunal a jugé, aux points 74 à 76 de cet arrêt, que l’argumentation selon laquelle une dénonciation calomnieuse de la part de l’OLAF et de la Commission était à l’origine de ce préjudice était inopérante.

38      À ces deux égards, la Cour a constaté, aux points 80 et 89 de l’arrêt sur pourvoi, que le Tribunal avait commis des erreurs de droit et a renvoyé l’affaire à celui-ci. Par conséquent, le Tribunal reste saisi de la demande de réparation de ce chef de préjudice, à savoir le préjudice moral que M. Charlot aurait subi en raison de la procédure pénale engagée contre lui devant les autorités judiciaires françaises à la suite, d’une part, de la transmission par l’OLAF de la note du 19 mars 2003 aux autorités judiciaires françaises et, d’autre part, d’une prétendue dénonciation calomnieuse de la part de l’OLAF et de la Commission devant ces mêmes autorités.

39      En second lieu, il convient de relever que les requérants ont présenté, dans leurs observations sur la suite de la procédure, des demandes de réparation qui n’avaient pas été formulées dans la requête introductive d’instance.

40      À cet égard, il ressort de l’article 76 du règlement de procédure que la partie requérante a l’obligation de définir l’objet du litige et de présenter ses conclusions dans l’acte introductif d’instance. Si l’article 84, paragraphe 1, de ce règlement permet la production de moyens nouveaux en cours d’instance à la condition que ceux-ci se fondent sur des éléments de droit et de fait qui se sont révélés pendant la procédure, cette disposition ne peut pas être interprétée comme autorisant la partie requérante à saisir le juge de l’Union de conclusions nouvelles et à modifier ainsi l’objet du litige ou la nature du recours. Ainsi, de telles conclusions modifiant l’objet du litige ou la nature du recours sont irrecevables (voir arrêt du 7 novembre 2019, Rose Vision/Commission, C‑346/18 P, non publié, EU:C:2019:939, point 43 et jurisprudence citée).

41      Dans cette même optique, la Cour a jugé, s’agissant plus spécifiquement des demandes indemnitaires présentées dans le cadre d’un recours en responsabilité non contractuelle, qu’il ne saurait être admis que, à la suite du renvoi total ou partiel d’un litige au Tribunal par la Cour, la partie requérante modifie, par des conclusions ou des demandes nouvelles, l’objet de ce litige, tel qu’initialement soumis au premier juge, cet objet étant, ainsi qu’il résulte d’une jurisprudence constante, délimité par les seules conclusions ou demandes présentées dans la requête introductive d’instance, telles qu’éventuellement adaptées ou précisées, dans le respect des conditions ou des exigences applicables, au cours de la procédure juridictionnelle en première instance (voir arrêt du 22 septembre 2022, IMG/Commission, C‑619/20 P et C‑620/20 P, EU:C:2022:722, point 183 et jurisprudence citée).

42      En l’occurrence, les requérants ont demandé, pour la première fois dans le cadre de la présente procédure de renvoi, la condamnation de l’Union au versement de dommages-intérêts qu’ils qualifient d’« extraordinaires », de « punitifs » ou d’« exemplaires ».

43      Or, ainsi que les requérants l’admettent eux-mêmes, cette demande s’ajoute aux conclusions initialement formulées dans la requête introductive d’instance, dont elle ne faisait pas partie, de sorte qu’elle doit être rejetée comme irrecevable, conformément aux dispositions et aux principes jurisprudentiels énoncés aux points 40 et 41 ci-dessus.

44      En tout état de cause, les requérants ne sauraient soutenir que la formulation de ladite demande, dans le cadre de la présente procédure de renvoi, serait justifiée par le fait que la Cour, dans l’arrêt sur pourvoi, aurait « implicitement » considéré que l’Union avait agi avec une « intention de nuire » aux requérants. En effet, outre le fait que les requérants n’ont identifié aucun passage dans l’arrêt sur pourvoi qui appuierait une telle prétention, il y a lieu de préciser que la Cour ne se réfère à une « intention de nuire » qu’au point 83 de cet arrêt. Or, ce point résume seulement l’argumentation des parties et ne contient pas une appréciation propre de la Cour, de sorte que les requérants ne sauraient en tirer des arguments concernant la recevabilité de la demande mentionnée au point 42 ci-dessus.

45      Ensuite, les requérants présentent, dans leurs observations sur la suite de la procédure, de nouvelles conclusions formulées à titre subsidiaire tendant à ce que la Commission soit condamnée à leur verser 7 700 000 euros chacun au titre de la réparation des préjudices moraux qu’ils auraient subis en raison de la « quasi-disparition » de Planistat au cours de la période allant de 2003 à 2023.

46      Or, ainsi que les requérants l’admettent eux-mêmes, ces conclusions ne faisaient pas partie de celles qui avaient été initialement formulées dans la requête introductive d’instance, de sorte qu’elles doivent être rejetées comme irrecevables, conformément aux dispositions et aux principes jurisprudentiels énoncés aux points 40 et 41 ci-dessus.

47      À cet égard, il convient de rejeter, en tout état de cause, l’argument des requérants selon lequel l’ajout de nouvelles conclusions évoqué au point 45 ci-dessus serait justifié par des éléments de droit et de fait qui se seraient révélés pendant la phase écrite de la procédure initiale devant le Tribunal et dans la procédure devant la Cour ou qui le seraient dans le futur arrêt du Tribunal après renvoi.

48      En effet, les requérants ne précisent pas en quoi consisteraient concrètement ces éléments et ils n’ont d’ailleurs soumis aucun indice au Tribunal visant à démontrer que de tels éléments seraient nouveaux.

49      De même, les requérants ne sauraient soutenir que cet ajout est justifié par l’« incertitude entourant la portée de [l’arrêt sur pourvoi] en ce qui concerne le périmètre du renvoi auprès du Tribunal ».

50      À cet égard, il ressort sans ambiguïté du dispositif de l’arrêt sur pourvoi, ainsi que de son point 95, que le recours a été renvoyé au Tribunal pour autant qu’il tendait à l’indemnisation du préjudice moral prétendument subi par M. Charlot en raison de la procédure pénale engagée contre lui devant les autorités judiciaires françaises.

51      Enfin, les requérants ne peuvent valablement prétendre que les nouvelles conclusions évoquées au point 45 ci-dessus devraient être admises à tout le moins en ce qui concerne la réparation du préjudice moral de M. Charlot, dans la mesure où il adapte seulement les montants visés par ses demandes de réparation initiales sans en modifier la nature.

52      À cet égard, il convient de relever que, à supposer même qu’une partie requérante puisse être admise, dans le cadre d’une procédure de renvoi, à adapter les montants visés par ses demandes initiales, les requérants ne se limitent pas en l’espèce, par les conclusions mentionnées au point 45 ci-dessus, à adapter de tels montants. En réalité, ainsi qu’il ressort de la comparaison entre la requête introductive d’instance et leurs observations sur la suite de la procédure, les requérants formulent une nouvelle demande de réparation portant sur un préjudice résultant d’une cause différente. En effet, dans la requête, la demande de réparation du préjudice moral subi par M. Charlot tenait au « profond sentiment d’injustice et d’impuissance » qu’il éprouvait en raison de la procédure pénale engagée contre lui devant les autorités judiciaires françaises. Or, par les conclusions mentionnées au point 45 ci-dessus, les requérants demandent la réparation d’un préjudice moral subi par M. Charlot en raison de la « quasi-disparition » de Planistat au cours de la période allant de 2003 à 2023.

53      Dans ces conditions, et conformément aux dispositions et aux principes jurisprudentiels énoncés aux points 40 et 41 ci-dessus, il convient de rejeter les nouvelles conclusions évoquées au point 45 ci-dessus comme étant irrecevables.

54      Eu égard à tout ce qui précède, et conformément aux points 93 et 95 de l’arrêt sur pourvoi ainsi qu’au point 1 de son dispositif, il y a lieu d’examiner, dans le cadre de la présente procédure de renvoi, si la Commission a engagé la responsabilité non contractuelle de l’Union en raison, d’une part, de la transmission par l’OLAF de la note du 19 mars 2003 aux autorités judiciaires françaises et, d’autre part, de la prétendue dénonciation calomnieuse de l’OLAF et de la Commission devant ces mêmes autorités, causant ainsi un préjudice moral à M. Charlot.

 Sur l’existence d’une violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers

 Sur la transmission de la note du 19 mars 2003 aux autorités judiciaires françaises

55      Les requérants font valoir que l’OLAF n’a pas agi avec suffisamment de diligence et de prudence lorsqu’il a transmis la note du 19 mars 2003 aux autorités judiciaires françaises, violant ainsi le principe de bonne administration.

56      En particulier, les informations contenues dans cette note seraient fondées sur le rapport d’audit de 1999. Or, les constatations opérées dans ce rapport ne porteraient que sur le respect des règles budgétaires applicables à Eurostat et ne feraient pas état de la moindre suspicion d’un détournement de fonds auquel auraient participé les requérants, ce qui représenterait pourtant l’élément crucial pour déterminer l’existence d’un éventuel délit d’abus de confiance en droit pénal français. Il s’ensuivrait que l’OLAF aurait dénoncé les requérants aux autorités judiciaires françaises sur le fondement d’un dossier qui ne contenait aucune information pénalement répréhensible. Cela serait d’ailleurs corroboré par l’ordonnance du 9 septembre 2013, qui a été confirmée tant par l’arrêt du 23 juin 2014 que par l’arrêt du 15 juin 2016 mentionné au point 16 ci-dessus.

57      En outre, le titre de la note du 19 mars 2003, à savoir « Dénonciation de faits susceptibles de qualifications pénales », son libellé particulièrement virulent ainsi que la mention par l’OLAF de plusieurs qualifications pénales potentielles auraient laissé peu de doute quant à la culpabilité des requérants, ce qui démontrerait tant une intention calomnieuse de l’OLAF qu’un manque de prudence de sa part.

58      La Commission conteste cette argumentation.

59      En vertu de l’article 340, deuxième alinéa, TFUE, en matière de responsabilité non contractuelle, l’Union doit réparer, conformément aux principes généraux communs aux droits des États membres, les dommages causés par ses institutions ou par ses agents dans l’exercice de leurs fonctions.

60      Selon une jurisprudence constante, l’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union au titre de l’article 340, deuxième alinéa, TFUE est subordonné à la réunion d’un ensemble de conditions, à savoir l’existence d’une violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers, la réalité du dommage et l’existence d’un lien de causalité entre la violation de l’obligation qui incombe à l’auteur de l’acte et le dommage subi par les personnes lésées (voir arrêt du 5 mars 2024, Kočner/Europol, C‑755/21 P, EU:C:2024:202, point 117 et jurisprudence citée).

61      Une violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers est établie lorsqu’elle implique une méconnaissance manifeste et grave, par l’institution concernée, des limites qui s’imposent à son pouvoir d’appréciation. Les éléments à prendre en considération à cet égard sont le degré de clarté et de précision de la règle violée ainsi que l’étendue de la marge d’appréciation que la règle enfreinte laisse à l’autorité de l’Union (voir arrêt du 30 mai 2017, Safa Nicu Sepahan/Conseil, C‑45/15 P, EU:C:2017:402, point 30 et jurisprudence citée).

62      Dans la présente affaire, les requérants soutiennent que l’OLAF a commis une violation suffisamment caractérisée du droit à une bonne administration, consacré par l’article 41 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »).

63      Ce droit comporte une obligation de diligence de l’administration de l’Union, laquelle doit agir avec soin et prudence, la méconnaissance de cette obligation constituant une violation d’une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers (voir arrêt sur pourvoi, point 68 et jurisprudence citée).

64      S’agissant plus particulièrement des implications du principe de bonne administration et du devoir de diligence qui lui est inhérent, quant à la possibilité pour l’OLAF de transmettre des informations aux autorités judiciaires nationales, il ressort de l’article 10, paragraphe 1, du règlement (CE) no 1073/1999 du Parlement européen et du Conseil, du 25 mai 1999, relatif aux enquêtes effectuées par l’OLAF (JO 1999, L 136, p. 1), applicable ratione temporis à la présente affaire, que l’OLAF peut transmettre à tout moment aux autorités compétentes des États membres concernés des informations obtenues au cours d’enquêtes externes (arrêt sur pourvoi, point 69).

65      Cependant, lorsqu’il prend la décision de procéder à une telle transmission, l’OLAF doit tenir compte de son obligation de diligence et faire preuve d’une certaine prudence, dans la mesure où il agit non pas en tant que lanceur d’alerte ordinaire, mais en tant qu’office doté de pouvoirs d’enquête, et où une telle transmission d’informations a lieu entre deux autorités dotées de tels pouvoirs. Tel est d’autant plus le cas que le fait de saisir les autorités nationales peut servir de fondement à l’engagement de procédures judiciaires, civiles et pénales (arrêt sur pourvoi, point 75).

66      Il en ressort que, afin de respecter son obligation de diligence, l’OLAF doit, avant de transmettre, au titre du règlement no 1073/1999, des informations aux autorités nationales, s’assurer, conformément au considérant 10 de ce règlement, que ces informations présentent un degré de plausibilité et de vraisemblance suffisant pour justifier l’adoption par ces autorités de mesures relevant de leur compétence, y compris l’ouverture, le cas échéant, d’une enquête judiciaire (arrêt sur pourvoi, point 76).

67      Dans ces conditions, il incombe au juge de l’Union, lorsqu’il est appelé à déterminer si l’OLAF a respecté son obligation de diligence s’agissant de la transmission d’informations aux autorités nationales, de vérifier que, au moment de cette transmission, l’OLAF disposait de plus d’éléments qu’un simple doute, sans pour autant exiger une preuve caractérisée qui ne nécessite plus d’actes d’enquête (arrêt sur pourvoi, point 77).

68      Partant, en l’espèce, il incombe au Tribunal, d’une part, de vérifier la crédibilité et le contenu des informations figurant dans la note du 19 mars 2003 ainsi que l’intention dans laquelle la transmission de ces informations aux autorités judiciaires françaises a été effectuée et, d’autre part, de déterminer si lesdites informations pouvaient justifier l’ouverture d’une enquête judiciaire ou constituer des éléments de preuve utiles à une telle enquête. À cet effet, il appartient au Tribunal d’établir si l’OLAF disposait d’indices matériels suffisamment précis démontrant qu’il y avait des raisons plausibles de considérer que les informations transmises contenaient des faits susceptibles de recevoir une qualification pénale (arrêt sur pourvoi, point 78).

69      En premier lieu, s’agissant du contenu et de la crédibilité des informations figurant dans la note du 19 mars 2003, il convient tout d’abord de relever que cette note comporte trois sections qui s’étendent sur dix pages.

70      Après avoir présenté, dans la première section de la note du 19 mars 2003, ses missions et celles d’Eurostat et de l’OP – y compris ses pouvoirs au titre de l’article 10 du règlement no 1073/1999 – puis, dans la sous-section 2.1 de ladite note, l’historique des faits visés par son enquête, l’OLAF expose, dans la sous-section 2.2 de cette note, les relations financières au sein du réseau des datashops en soulignant que les conventions tripartites n’ont jamais été soumises au contrôle financier, alors que le règlement financier, du 21 décembre 1977, applicable au budget général des Communautés européennes (JO 1977, L 356, p. 1, ci-après le « règlement financier »), alors applicable, exigeait que les recettes et les dépenses soient inscrites pour leur montant intégral au budget et dans les comptes.

71      À cet égard, l’OLAF relève que, après que les structures abritant chaque datashop avaient communiqué leur chiffre d’affaires à Eurostat, ce dernier informait l’OP des montants qu’il devait facturer à ces structures. Le principe était que seulement 40 % du chiffre d’affaires était ainsi facturé auxdites structures. Sur le fondement de ces relevés, l’OP adressait une facture aux structures abritant les datashops. Enfin, l’OP versait les montants concernés à Eurostat.

72      Ensuite, la note du 19 mars 2003 expose, dans sa sous-section 2.3, les « [c]onstatations faites au cours de l’enquête [de l’OLAF] ».

73      Dans la sous-section 2.3 de la note du 19 mars 2003, l’OLAF affirme, tout d’abord, que les conventions tripartites « avaient pour but de détourner de la partie recettes du budget [de l’Union] des sommes qui devaient légitimement revenir à [Eurostat], donc au budget de la Commission ».

74      Puis, l’OLAF affirme que son enquête a mis en évidence « de nombreuses irrégularités commises dans le cadre de la gestion [des datashops de Bruxelles, Luxembourg et Madrid] durant les années 1996 à fin 1999 », que, « [e]n l’occurrence, une partie importante des chiffres d’affaires “déclarés” par ces trois datashops – entre 50 et 55 % – alimentaient une caisse noire dont l’utilisation était subordonnée à l’autorisation d’un fonctionnaire [d’Eurostat] » et que « [l]a partie du chiffre d’affaire[s] qui ne remontait pas au budget [de l’Union] était déposée sur un compte bancaire spécial ouvert au nom de chacune des structures hébergeant les datashops en question ».

75      En outre, l’OLAF énonce que, « [d]urant les années 1996 à 1999, [Planistat] s’est […] livrée à l’émission de fausses factures adressées aux structures abritant les datashops [de] Bruxelles […] et [de] Luxembourg […] afin d’utiliser cette caisse noire […] soit pour compléter des contrats de prestation de services dont les montants se sont révélés insuffisants […], soit pour compenser un déficit cumulé sur des contrats de prestations passés par [Planistat] avec […] [Eurostat], soit pour couvrir des dépenses d’[Eurostat] occasionnées en exécution de conventions n’ayant pas fait l’objet d’une proposition d’engagement au [c]ontrôle [f]inancier », que « [c]es factures, dont l’objet ne correspondait pas à la réalité, étaient payées par la caisse noire (en utilisant le crédit des trois comptes bancaires spécialement dévolus à cette fin) après approbation par [un] [d]irecteur à [Eurostat] », qu’« [e]nviron 922.500 [euros] ont ainsi été facturés et payés » et qu’« [Eurostat], par le stratagème des caisses noires, a ainsi fait régler un déficit important de [Planistat] qui aurait dû normalement rester à la charge du contractant de la Commission ».

76      Enfin, l’OLAF affirme que, « [s]i la situation des [d]atashops de Luxembourg, Bruxelles et Madrid a été modifiée à partir du [13 décembre 1999] – exploitation de ceux-ci par [Planistat] –, il n’en demeure pas moins qu’un risque élevé – et reconnu par [Eurostat] – de fraude persiste à ce jour dans tout le réseau [des] [d]atashop[s] ».

77      S’agissant de la crédibilité de ces informations, il convient de relever, premièrement, que les requérants ne contestent pas l’existence des enveloppes financières non déclarées dans les comptes d’Eurostat, dénommées « caisse noire » dans la note du 19 mars 2003 (ci-après les « enveloppes financières »).

78      En outre, l’annexe 2.4 de la note du 19 mars 2003, figurant sur les pages 263 à 270 des documents produits en exécution de l’ordonnance du 12 novembre 2024 portant mesures d’instruction (ci-après les « documents produits »), contient sept factures émises par Planistat. Chacune de ces factures est d’un montant rond de 5 000 ou de 10 000 euros, sans mention de taxe sur la valeur ajoutée (TVA), et ne contient qu’un descriptif vague des prestations facturées, à savoir celles portant sur un « [a]ppui à la diffusion de l’information à Bruxelles (Projet Data Shop) ». Lesdites factures, émises avec l’entête de Planistat et signées par M. Charlot, sont toutes adressées au datashop de Bruxelles, pour un montant total de 55 000 euros.

79      Or, il convient de constater, d’une part, que des factures comportant une telle description et de tels montants paraissent suspectes et laissent supposer qu’elles n’ont pas nécessairement été émises en contrepartie de prestations réellement fournies. À cet égard, les requérants ont d’ailleurs admis, lors de l’audience, que l’émission des factures mentionnées au point 78 ci-dessus avait pour objet de « faire fonctionner la caisse noire » et de faire en sorte que « cette caisse ait une justification ».

80      D’autre part, les requérants n’ont pas contesté l’affirmation de la Commission selon laquelle lesdites factures ne représentent que des exemples de factures émises par Planistat et réglées au moyen des fonds provenant des enveloppes financières.

81      Deuxièmement, lors de l’audience, la Commission s’est appuyée sur certains passages de procès-verbaux de deux auditions d’une auditrice interne d’Eurostat (ci-après l’« auditrice d’Eurostat ») qui ont eu lieu, respectivement, les 11 et 12 et le 18 juillet 2002. Le premier de ces procès-verbaux constitue l’annexe 2.2 de la note du 19 mars 2003 et figure aux pages 244 à 257 des documents produits. Le second de ces procès-verbaux fait partie de l’annexe 2.1 de cette note et figure aux pages 232 à 243 de ces documents.

82      Ainsi qu’il ressort des pages 4 et 5 du procès-verbal d’audition du 18 juillet 2002 (pages 236 et 237 des documents produits), l’auditrice d’Eurostat a indiqué que, chaque mois, Planistat adressait au datashop de Luxembourg une facture de 15 000 euros (en 1996) et de 20 000 euros (en 1997 et en 1998), et ce pour la période allant de septembre 1996 à fin 1998, soit pour un montant total de 620 000 euros. Il en allait de même pour le datashop de Bruxelles, qui recevait des factures de la part de Planistat pour des montants de 5 000 ou de 10 000 euros, et ce pour la période allant d’avril 1997 à juillet 1999, soit pour un montant total de 210 000 euros.

83      L’ensemble de ces factures étaient relatives à des prestations « d’appui à la diffusion de l’information » et étaient, selon l’auditrice d’Eurostat, payées sans base juridique, dès lors qu’elles étaient complémentaires des contrats Eurostat-Planistat. En outre, lesdites factures étaient réglées au moyen des fonds provenant des enveloppes financières respectives gérées par les datashops de Luxembourg et de Bruxelles.

84      Ensuite, il ressort de la page 5 du procès-verbal d’audition du 18 juillet 2002 (page 237 des documents produits) que l’auditrice d’Eurostat a précisé que, selon des informations obtenues auprès d’un agent d’Eurostat et de M. Charlot, cette facturation permettait, d’une part, de compléter les contrats Eurostat-Planistat concernant la gestion des datashops et dont les montants s’étaient révélés insuffisants pour couvrir l’ensemble des frais de Planistat. D’autre part, ladite facturation a compensé un déficit cumulé sur ces contrats. Bien que l’auditrice d’Eurostat ait indiqué qu’elle n’avait pas pu vérifier le bien-fondé de cette première affirmation – selon laquelle cette même facturation permettait de compléter lesdits contrats –, elle a mis l’accent sur le fait que, en l’absence d’un accord spécifique et selon les règles financières de l’Union, tout déficit aurait dû rester à la charge du cocontractant de l’Union, en l’occurrence Planistat.

85      En outre, lors de ses auditions, l’auditrice d’Eurostat a évoqué un cas concret de détournement d’objet d’un des contrats Eurostat-Planistat, qui a été exposé à la page 8 de son procès-verbal d’audition des 11 et 12 juillet 2002 (page 252 des documents produits) et à la page 4 de son procès-verbal d’audition du 18 juillet 2002 (page 236 des documents produits). Selon les explications de l’auditrice d’Eurostat, Planistat aurait payé la somme de 92 500 euros devant être réglée par Eurostat en vertu d’une convention avec l’institut national de statistique espagnol et l’université autonome de Madrid pour la réalisation et la diffusion d’une revue statistique mensuelle, étant entendu que cette convention n’avait pas fait l’objet d’une proposition d’engagement au service de contrôle financier de la Commission. Après avoir réglé cette somme, Planistat l’a récupérée, d’une part, en l’imputant sur l’un des contrats Eurostat-Planistat dont l’objet était étranger à la nature des prestations payées et, d’autre part, en émettant une facture au datashop de Bruxelles, de sorte que cette facture a été réglée au moyen des fonds provenant de l’enveloppe financière de ce dernier.

86      Troisièmement, lors de l’audience, la Commission s’est appuyée sur le rapport d’audit de 1999, qui fait partie de l’annexe 2.5 de la note du 19 mars 2003 et figure aux pages 271 à 296 des documents produits. À la page 14 de ce rapport (page 285 des documents produits), le service d’audit interne d’Eurostat a conclu que le système des enveloppes financières « a[vait] été maintenu et exploité dans des conditions contraires aux règles en vigueur à la Commission » et que les dérapages de ce système « constitu[ai]ent des irrégularités qui [auraient pu] être, à la limite, considérées comme de la fraude ». À cet égard, la Commission a mis l’accent sur le fait que ledit rapport était rédigé par une auditrice qui était experte en matière comptable et donc consciente de l’importance de l’utilisation du terme « fraude ».

87      Le rapport d’audit de 1999 avait également fait état d’un contrôle insuffisant des dépenses, comme la Commission l’a souligné lors de l’audience. En effet, à la page 11 de ce rapport (page 282 des documents produits), il est observé que le système de paiement de factures mis en place par Eurostat « déroge à toutes les règles de base du contrôle interne », dès lors qu’un fonctionnaire peut autoriser le paiement d’une facture pour une dépense qu’il a lui-même engagée. Cette insuffisance en termes de contrôle des dépenses aurait, notamment, mené aux doubles paiements de certaines factures émises par Planistat et au paiement de factures de Planistat sans visa de la part d’Eurostat.

88      Enfin, comme la Commission l’a soutenu lors de l’audience, la page 12 du rapport d’audit de 1999 (page 283 des documents produits) fait référence à plusieurs versements complémentaires effectués au bénéfice de Planistat au titre des prestations qui ne paraissaient pas être prévues par les contrats Eurostat-Planistat. Au total, une somme globale de 1 085 000 euros aurait ainsi été versée, visant notamment à combler un déficit de trésorerie subi par Planistat en raison d’un décalage entre les services fournis et les paiements prévus dans lesdits contrats.

89      Quatrièmement, la Commission s’appuie sur le rapport de suivi d’audit de 2001, qui fait partie de l’annexe 2.9 de la note du 19 mars 2003 et figure aux pages 315 à 330 des documents produits.

90      À la page 8 du rapport de suivi d’audit de 2001 (page 323 des documents produits), il est noté que les contrôles opérés par le service d’audit interne d’Eurostat ont révélé que « Planistat a[vait] encaissé, du [datashop] de Bruxelles, [10 000 euros] non justifiables ».

91      À la page 13 du rapport de suivi d’audit de 2001 (page 328 des documents produits), il est constaté que les recommandations contenues dans le rapport d’audit de 1999 n’ont pas systématiquement été prises en compte. En particulier, le système des enveloppes financières a continué d’être utilisé pour couvrir des dépenses qui ne concernaient pas directement les datashops et le suivi d’opérations budgétaires n’était toujours pas correctement maîtrisé.

92      Invités à plusieurs reprises, lors de l’audience, à prendre position sur les documents et éléments mentionnés aux points 81 à 91 ci-dessus et sur les affirmations de la Commission à cet égard, les requérants se sont bornés à soutenir que le « détournement d’objet du contrat », dont a fait état l’auditrice d’Eurostat dans ses auditions mentionnées au point 81 ci-dessus, n’équivaut pas à un détournement de fonds au sens du droit pénal français.

93      Or, cet argument ne remet pas en cause la crédibilité des informations figurant dans la sous-section 2.3 de la note du 19 mars 2003, mais a trait à la question de savoir si ces informations étaient susceptibles de recevoir une qualification pénale en droit français, ce qui sera examiné aux points 99 à 118 ci-après. Il en va de même pour l’argument des requérants, soulevé dans leurs observations du 19 décembre 2024 sur les documents produits, selon lequel les fonds provenant des enveloppes financières n’ont jamais été utilisés à des fins étrangères à l’intérêt de l’Union.

94      Ensuite, les requérants ne contestent pas que le système des enveloppes financières était contraire au règlement financier et que Planistat jouait un rôle central dans ce système.

95      En outre, ainsi qu’il découle des points 81 à 85 ci-dessus, l’OLAF disposait d’éléments suffisants pour estimer que Planistat adressait aux structures abritant les datashops de Bruxelles et de Luxembourg des factures qui étaient réglées au moyen des enveloppes financières et qui étaient émises soit « pour compléter des contrats [Eurostat-Planistat] dont les montants [s’étaient] révélés insuffisants », soit « pour compenser un déficit cumulé sur [ces contrats], soit pour couvrir des dépenses d’[Eurostat] occasionnées en exécution de conventions n’ayant pas fait l’objet d’une proposition d’engagement au [c]ontrôle [f]inancier ».

96      Dans ces conditions, et au regard des éléments mentionnés aux points 77 à 80 ci-dessus, l’OLAF pouvait à juste titre considérer que les factures mentionnées au point 95 ci-dessus étaient « fausses », étant entendu que cet adjectif a été utilisé dans la sous-section 2.3 de la note du 19 mars 2003 en ce sens que ces factures avaient un objet qui ne correspondait pas, au moins partiellement, à la réalité et étaient émises à des fins qui n’étaient pas conformes au règlement financier.

97      Enfin, compte tenu des informations mentionnées aux points 77 à 91 ci-dessus, l’OLAF pouvait considérer qu’il disposait d’éléments concrets et crédibles susceptibles d’indiquer que Planistat et son dirigeant, M. Charlot, étaient impliqués dans la mise en œuvre des conventions tripartites, qui « avaient pour but de détourner de la partie recettes du budget [de l’Union] des sommes qui devaient légitimement revenir à [Eurostat], donc au budget de la Commission ».

98      Eu égard à ce qui précède, il convient de constater que la Commission a établi à suffisance de droit que les informations figurant dans la sous-section 2.3 de la note du 19 mars 2003, telles qu’elles ont été exposées aux points 70 à 76 ci-dessus, étaient crédibles.

99      En deuxième lieu, s’agissant de la question de savoir si l’OLAF disposait d’indices matériels suffisamment précis démontrant qu’il y avait des raisons plausibles de considérer que les informations transmises contenaient des faits susceptibles de recevoir une qualification pénale en droit français, il convient de relever que l’OLAF avait identifié quatre qualifications pénales potentielles dans la note du 19 mars 2003, à savoir l’abus de confiance, le recel d’abus de confiance, l’association de malfaiteurs et l’abus de biens sociaux.

100    Premièrement, en ce qui concerne l’abus de confiance, il est constant entre les parties que l’article 314-1 du code pénal français disposait, dans sa version applicable à l’époque des faits allégués, que « [l]’abus de confiance [était] le fait par une personne de détourner, au préjudice d’autrui, des fonds, des valeurs ou un bien quelconque qui lui [avaie]nt été remis et qu’elle a[vait] acceptés à charge de les rendre, de les représenter ou d’en faire un usage déterminé ».

101    Dans la sous-section 3.1 de la note du 19 mars 2003, intitulée « Abus de confiance », il est constaté ce qui suit :

« La mise en place par certains fonctionnaires [de l’Union] d’un réseau d’opérateurs économiques dont l’un des objectifs est d’occulter à la Commission une partie des recettes provenant de la vente de produits ou de prestations statistiques [de l’Union] peut être constitutive d’un détournement “des fonds, des valeurs ou [d’]un bien quelconque” tels que retenus par l’article 314‑1 du [c]ode pénal [français] définissant l’abus de confiance. L’ensemble des éléments constitutifs de l’infraction a été réalisé en coaction par les fonctionnaires [de l’Union], les dirigeants du groupe Planistat et les dirigeants des [d]atashops concernés. Les fonctionnaires [de l’Union] ne pouvaient ignorer le règlement financier […] qui les obligeait à faire remonter l’intégralité des recettes. De plus, ces mêmes fonctionnaires [de l’Union] ont disposé des sommes en question à des fins étrangères à l’intérêt [de l’Union] dans la mesure où cet argent a manifestement servi à payer des dépenses non prévues au contrat [Eurostat-Planistat] ou encore des dépenses personnelles de ces fonctionnaires. L’intention frauduleuse découle de cette utilisation à des fins autres que [les fins de l’Union]. »

102    À cet égard, les requérants soutiennent que les fonds des enveloppes financières ont exclusivement servi à couvrir des dépenses d’Eurostat et qu’ils n’ont jamais été utilisés à des fins étrangères à l’intérêt de l’Union. Cela serait, notamment, confirmé par le rapport d’audit de 1999, par le rapport final de l’OLAF établi le 25 septembre 2003, par les auditions auxquelles l’OLAF a procédé ainsi que par l’ordonnance du 9 septembre 2013.

103    Il est vrai que le rapport d’audit de 1999 indique, à sa page 10 (page 281 des documents produits), que les enveloppes financières peuvent être assimilées « à un supplément de budget », comme le prétendent les requérants. De même, l’auditrice d’Eurostat a confirmé dans ses auditions que Planistat avait effectué le paiement à l’université autonome de Madrid, évoqué au point 85 ci-dessus, « à la demande d’Eurostat » pour couvrir des sommes dues par ce dernier, avant de récupérer les fonds, en partie, sur l’enveloppe financière du datashop de Bruxelles.

104    Cependant, il n’en reste pas moins que tant les procès-verbaux évoqués aux points 81 à 85 ci-dessus que le rapport d’audit de 1999 ainsi que le rapport de suivi d’audit de 2001 font état de plusieurs irrégularités financières et que ces irrégularités concernaient des sommes importantes. En outre, il est constant que Planistat jouait un rôle central dans le système qui a donné lieu à de telles irrégularités.

105    Par ailleurs, même le passage du rapport d’audit de 1999 figurant à la page 10 (page 281 des documents produits) qui, selon les requérants, démontrerait qu’il n’y a eu aucune utilisation des enveloppes financières à des fins étrangères à l’intérêt de l’Union, précise explicitement que les enveloppes financières étaient « illicite[s] », « non soumis[es] aux procédures budgétaires en vigueur » et permettaient, « de ce fait, de contourner les procédures d’appel à la concurrence, de contrôle et de validation du [c]ontrôle financier [de la Commission] ainsi que d’éligibilité des dépenses ». Lors de l’audience, les requérants ont d’ailleurs reconnu que le rapport d’audit de 1999 avait soulevé « un problème de conformité à l’orthodoxie budgétaire et au règlement financier ».

106    Enfin, s’agissant plus concrètement du passage de la note du 19 mars 2003 cité au point 101 ci-dessus, il convient de relever qu’il évoque la possibilité d’un détournement de fonds à des fins étrangères à l’intérêt de l’Union notamment au motif que les enveloppes financières ont servi à payer des dépenses non prévues par un contrat Eurostat-Planistat. Or, les requérants n’ont contesté ni cette dernière circonstance ni le fait que l’existence des enveloppes financières constituait une violation du règlement financier. De même, ils n’ont soumis au Tribunal aucun élément qui permettrait de constater que, malgré de telles irrégularités financières, il n’existait pas, au moment de la transmission de la note du 19 mars 2003, un risque que les fonds provenant des enveloppes financières puissent être détournés à des fins étrangères à l’intérêt de l’Union.

107    Dans ces conditions, il convient de constater que l’OLAF disposait d’indices matériels suffisamment précis démontrant qu’il y avait des raisons plausibles de considérer que les informations figurant dans la note du 19 mars 2003 contenaient des faits susceptibles de recevoir la qualification pénale d’un abus de confiance telle que décrite aux points 100 et 101 ci-dessus.

108    Cette conclusion n’est pas remise en cause par l’ordonnance du 9 septembre 2013, qui a conclu qu’« il n’y a[vait] pas eu détournement des recettes », que les fonds provenant des datashops étaient « réemployés directement par [Eurostat] pour couvrir les dépenses de ses activités de diffusion et de communication » et qu’« il n’y a[vait] eu aucune volonté de nuire et de détourner les recettes de la Commission […], mais seulement celle de recherches de solutions permettant, à partir de règles structurelles rigides, la rentabilité d’[Eurostat] ».

109    À cet égard, il découle du point 77 de l’arrêt sur pourvoi, d’une part, que l’examen de la matérialité des indices dont disposait l’OLAF doit être effectué au moment où il a transmis les informations concernées aux autorités judiciaires françaises, soit le 19 mars 2003, ainsi que les requérants l’admettent d’ailleurs eux-mêmes dans leurs observations sur la suite de la procédure.

110    D’autre part, comme cela ressort du point 77 de l’arrêt sur pourvoi, il n’était pas requis que l’OLAF dispose, à ce moment-là, d’une preuve caractérisée qui ne nécessitait plus d’actes d’enquête concernant les faits en cause. Il suffisait qu’il dispose de plus d’éléments qu’un simple doute et que ces éléments forment des indices matériels suffisamment précis démontrant qu’il y avait des raisons plausibles de considérer que les informations transmises contenaient des faits susceptibles de recevoir une qualification pénale. Or, eu égard aux considérations énoncées aux points 69 à 98 ci-dessus, il convient de constater que l’OLAF disposait de tels indices, ceux-ci ayant notamment indiqué qu’il y avait un risque d’un détournement de fonds à des fins étrangères à l’intérêt de l’Union dans lequel les requérants étaient impliqués.

111    Dans ces conditions, le fait que, après environ dix années d’enquête, les juridictions françaises aient conclu qu’il n’y avait pas eu de détournement de fonds à des fins étrangères à l’intérêt de l’Union ne signifie pas que, au 19 mars 2003, l’OLAF ne disposait pas d’indices matériels suffisamment précis démontrant qu’il y avait des raisons plausibles de considérer que les informations transmises contenaient des faits susceptibles de recevoir une qualification pénale.

112    De même, il convient de rejeter, pour les mêmes motifs, l’argument des requérants selon lequel le rapport final de l’OLAF a confirmé que les enveloppes financières avaient été utilisées aux seules fins de l’Union, ce rapport ayant été établi environ six mois après la transmission de la note du 19 mars 2003 aux autorités judiciaires françaises, soit le 25 septembre 2003.

113    Deuxièmement, dans la sous-section 3.2 de la note du 19 mars 2003, intitulée « Le recel d’abus de confiance », l’OLAF observe ce qui suit :

« Selon l’article 321-1 du [c]ode [p]énal [français], “le recel est le fait de dissimuler, de détenir ou de transmettre une chose, ou de faire office d’intermédiaire afin de la transmettre, en sachant que cette chose provient d’un crime ou d’un délit. Constitue également un recel le fait, en connaissance de cause, de bénéficier, par tout moyen, du produit d’un crime ou d’un délit” […] Les dirigeants de [Planistat] ont manifestement recelé les fonds détournés au préjudice du budget [de l’Union] […] [Planistat] détient manifestement encore des fonds détournés au préjudice de la Commission. »

114    Il s’ensuit que, s’agissant de Planistat et de son dirigeant, M. Charlot, l’OLAF a considéré que le recel d’abus de confiance était accessoire au délit d’abus de confiance, comme l’a d’ailleurs soutenu la Commission sans être contredite par les requérants à cet égard. En outre, il est constant que Planistat recevait des fonds provenant des enveloppes financières, étant entendu que la réception de tels fonds pouvait être perçue, au moment de l’envoi de cette note, comme présentant un risque d’un détournement de fonds à des fins étrangères à l’intérêt de l’Union (voir points 69 à 98 et 110 ci-dessus).

115    Dans ces conditions, et comme il a été établi au point 107 ci-dessus que l’OLAF disposait d’indices matériels suffisamment précis démontrant qu’il y avait des raisons plausibles de considérer que les informations figurant dans la note du 19 mars 2003 contenaient des faits susceptibles de recevoir la qualification pénale d’un abus de confiance en ce qui concerne les requérants, la même conclusion s’impose pour le recel d’abus de confiance.

116    Troisièmement, dans la sous-section 3.3 de la note du 19 mars 2003, intitulée « L’association de malfaiteurs », il est indiqué ce qui suit :

« Selon l’article 450‑1 du [c]ode pénal [français], “[c]onstitue une association de malfaiteurs tout groupement formé ou entente établie en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, d’un ou plusieurs crimes ou d’un ou plusieurs délits punis d’au moins cinq ans d’emprisonnement […]” Il restera à s’interroger si cette qualification n’est pas susceptible d’être également mise en œuvre dans le cadre du présent dossier dans la mesure où pour mener à bien le pillage des fonds [de l’Union] il a fallu l’association des fonctionnaires, des dirigeants de Planistat et ceux des [d]atashops qui ont commis des faits d’abus de confiance […] »

117    Quatrièmement, dans la sous-section 3.4 de la note du 19 mars 2003, intitulée « Abus de biens sociaux », il est relevé ce qui suit :

« Selon l’article L. 242-6 du [c]ode de [c]ommerce [français], peuvent être poursuivis pour des faits d’abus de biens sociaux : “Le président, les administrateurs ou les directeurs généraux d’une société anonyme (soupçonnés) de faire, de mauvaise foi, des biens ou du crédit de la société, un usage qu’ils savent contraire à l’intérêt de celle-ci, à des fins personnelles ou pour favoriser une autre société ou entreprise dans laquelle ils sont intéressés directement ou indirectement”. Il restera à s’interroger sur le point de savoir si les factures adressées par [Planistat] [au datashop de] Bruxelles avec règlement à effectuer sur un compte à numéro dans une banque au Luxembourg peuvent être considérées comme des éléments constitutifs du délit d’abus de biens sociaux […] »

118    Concernant les éventuelles qualifications pénales mentionnées aux points 116 et 117 ci-dessus, d’une part, il ressort du libellé des dispositions du droit français qui y sont citées, ainsi que du texte et de l’économie générale de la note du 19 mars 2003, que ces qualifications revêtent également un caractère accessoire au délit d’abus de confiance. D’autre part, il n’est pas contesté que les irrégularités financières qui ont été commises dans le cadre de la gestion du réseau des datashops impliquaient un groupe d’agents de l’Union, de dirigeants de Planistat et de dirigeants de datashops. Dans ces conditions, et comme il a été établi au point 107 ci-dessus que l’OLAF disposait d’indices matériels suffisamment précis démontrant qu’il y avait des raisons plausibles de considérer que les informations figurant dans la note du 19 mars 2003 contenaient des faits susceptibles de recevoir la qualification pénale d’un abus de confiance en ce qui concerne les requérants, la même conclusion s’impose pour celles de l’association de malfaiteurs et de l’abus de biens sociaux.

119    En troisième lieu, s’agissant de l’intention dans laquelle l’OLAF a transmis la note du 19 mars 2003 aux autorités judiciaires françaises, les requérants soutiennent que celle-ci a été transmise dans le seul but de convaincre ces autorités d’ouvrir une instruction pénale contre eux.

120    À cet égard, il convient de relever que la note du 19 mars 2003 est intitulée « Dénonciation de faits susceptibles de qualifications pénales » et est adressée au directeur général de l’OLAF. Dans les deux derniers paragraphes de cette note, les enquêteurs de l’OLAF concluent que « [l]’ensemble des éléments qui ont été développés [dans cette note] permet d’affirmer que l’[OLAF] se trouve face à une vaste entreprise de pillage des fonds [de l’Union] avec à la base une série de faits susceptibles, sous réserve de l’appréciation de l’autorité judiciaire compétente, de qualifications pénales » et qu’« [i]l conviendrait en conséquence de transmettre la présente note et les pièces annexes à [M.] le [p]rocureur de la République [de] [Paris] ».

121    Il est constant entre les parties que le même jour que celui de la réception de la note du 19 mars 2003, le directeur général de l’OLAF a envoyé une lettre au procureur de la République de Paris ayant comme objet « Transmission d’informations relatives à des faits susceptibles de recevoir une qualification pénale […] – Eurostat/Datashop/Planistat » et y a joint cette note et ses annexes.

122    Sur ce point, il ressort de l’article 9, paragraphe 1, du règlement no 1073/1999 que, à l’issue d’une enquête effectuée par l’OLAF, celui-ci établit, sous l’autorité de son directeur, un rapport qui comporte notamment les faits constatés, le cas échéant le préjudice financier et les conclusions de l’enquête, y compris les recommandations du directeur de l’OLAF sur les suites qu’il convient de donner.

123    Ensuite, en vertu de l’article 10, paragraphe 1, du règlement no 1073/1999, l’OLAF peut transmettre à tout moment aux autorités compétentes des États membres concernés des informations obtenues au cours d’enquêtes externes.

124    En outre, il ressort du considérant 1 du règlement no 1073/1999 que cette transmission doit être exercée à la lumière des objectifs de protection des intérêts financiers de l’Union et de lutte contre la fraude et toute autre activité illégale préjudiciable aux intérêts financiers de l’Union (voir, en ce sens, arrêt sur pourvoi, point 70).

125    Enfin, selon le considérant 5 du règlement no 1073/1999, la responsabilité de l’OLAF concerne, au-delà de la protection des intérêts financiers, l’ensemble des activités liées à la sauvegarde des intérêts de l’Union contre des comportements irréguliers susceptibles de poursuites administratives ou pénales (voir, en ce sens, arrêt sur pourvoi, point 71).

126    Il découle de ce qui précède que lorsque l’OLAF transmet des informations relatives à ses enquêtes externes à des autorités judiciaires nationales avec l’intention de dénoncer des irrégularités financières qui semblent avoir été commises au détriment du budget de l’Union et qui sont, selon lui, susceptibles de recevoir une qualification pénale, cette intention est conforme à la mission qui lui a été confiée par le règlement no 1073/1999.

127    En l’occurrence, au regard des considérations énoncées aux points 69 à 98, 120 et 121 ci-dessus, il convient de constater que l’OLAF a transmis la note du 19 mars 2003 avec l’intention de dénoncer des irrégularités financières qui semblaient, à la date de cette transmission, avoir été commises au détriment du budget de l’Union. Par conséquent, cette intention est conforme à la mission qui a été confiée à l’OLAF par le règlement no 1073/1999.

128    Cette conclusion n’est pas remise en cause par l’argument des requérants selon lequel la présentation des faits dans la note du 19 mars 2003 serait « tendancieuse, tronquée et exagérée, recelant une connotation péjorative susceptible d’entraîner des poursuites ». En effet, la seule tonalité de cette note ne suffit pas pour établir que l’OLAF l’a transmise à des fins autres que celles qu’il est tenu de poursuivre en vertu des considérants 1 et 5 du règlement no 1073/1999.

129    En quatrième lieu, les requérants reprochent à l’OLAF d’avoir agi de manière précipitée, au motif, d’une part, qu’il n’a pas attendu la conclusion de son enquête externe avant de transmettre les informations contenues dans la note du 19 mars 2003 aux autorités judiciaires françaises et, d’autre part, qu’il a ouvert son enquête externe un jour avant la transmission de ladite note à ces autorités.

130    À cet égard, il ressort des points 69 à 118 ci-dessus que, le jour de la transmission de la note du 19 mars 2003, l’OLAF disposait d’indices matériels suffisamment précis démontrant qu’il y avait des raisons plausibles de considérer que les requérants étaient impliqués dans les faits constatés dans cette note et que ces faits étaient susceptibles de recevoir une qualification pénale. Dans ces conditions, l’OLAF n’était pas obligé de clore son enquête externe avant de transmettre les informations recueillies jusqu’alors, d’autant plus que, comme rappelé au point 123 ci-dessus, il peut transmettre à tout moment aux autorités compétentes des États membres concernés des informations obtenues au cours d’enquêtes externes.

131    En outre, s’il est vrai que l’OLAF a ouvert son enquête externe un jour avant cette transmission, il avait déjà effectué – ainsi qu’il ressort des annexes de la note du 19 mars 2003 – de nombreuses activités d’enquête concernant les requérants dans le cadre de son enquête interne, laquelle avait été ouverte le 6 octobre 2000 et avait été dirigée par l’équipe d’enquêteurs qui était également chargée de l’enquête externe.

132    Dans ces conditions, le seul fait que l’OLAF ait ouvert son enquête externe un jour avant la transmission de la note du 19 mars 2003 aux autorités judiciaires françaises ne saurait établir le caractère précipité de cette transmission.

133    Eu égard à tout ce qui précède, il convient de constater que les requérants n’ont pas démontré que l’OLAF aurait violé, de manière suffisamment caractérisée, son obligation de diligence lorsqu’il a transmis la note du 19 mars 2003 aux autorités judiciaires françaises.

 Sur la prétendue dénonciation calomnieuse effectuée par l’OLAF et par la Commission auprès des autorités judiciaires françaises

–       Sur la prétendue dénonciation calomnieuse par l’OLAF

134    Les requérants soutiennent, en substance, que les faits que l’OLAF a exposés dans la note du 19 mars 2003 étaient dénués de fondement, que l’OLAF en avait pleinement conscience et qu’il les avait tout de même portés à la connaissance des autorités judiciaires françaises dans l’intention de leur nuire.

135    Plus concrètement, les faits dénoncés aux autorités judiciaires françaises ne reposeraient pas sur une enquête sérieuse de l’OLAF, mais reprendraient en réalité les conclusions du rapport d’audit de 1999. Or, ce rapport porterait uniquement sur le respect des règles budgétaires applicables à Eurostat et n’évoquerait pas la moindre suspicion d’un détournement de fonds auquel auraient participé les requérants. Il s’ensuivrait que ces conclusions ne pouvaient pas appuyer un délit d’abus de confiance au sens du droit pénal français, ce que les autorités judiciaires françaises auraient d’ailleurs confirmé en rendant l’ordonnance du 9 septembre 2013.

136    En outre, l’OLAF aurait eu pleinement conscience de l’inexactitude des faits qu’il avait exposés dans la note du 19 mars 2003 et aurait par la suite « doublé [ses] mensonges d’une forme de révisionnisme ». Il aurait, en effet, eu conscience de la nécessité de déformer la réalité factuelle afin d’altérer le caractère irréprochable des faits concernés. En l’occurrence, l’OLAF se serait livré à une manœuvre particulièrement insidieuse, en partant de vrais éléments factuels extraits du rapport d’audit de 1999 pour ensuite les dénaturer en leur attribuant une qualification pénale qu’ils ne méritaient pas.

137    La Commission conteste cette argumentation.

138    Lors de l’audience, les requérants ont clarifié que leur grief tiré d’une dénonciation calomnieuse devait être interprété en ce sens qu’ils soulevaient une violation du principe de bonne administration consacré par l’article 41 de la Charte. En particulier, les requérants ont précisé qu’il ne convenait pas d’examiner ce grief à l’aune de l’article 7 de la Charte.

139    À cet égard, il suffit de relever que les requérants ne produisent pas de preuves suffisantes à l’appui de leur allégation selon laquelle, par la note du 19 mars 2003, l’OLAF a transmis aux autorités judiciaires françaises des informations dénuées de fondement, qu’il en avait pleinement conscience et qu’il les a transmises à ces autorités dans l’intention de leur nuire.

140    En effet, les requérants se bornent à invoquer, d’une part, des passages de l’ordonnance du 9 septembre 2013 selon lesquels « il n’y a eu aucun détournement [ou] aucun enrichissement personnel [des personnes mises en examen,] mais la recherche de solutions permettant[,] à partir de règles structurelles rigides, la rentabilité d’[Eurostat] » et qu’il peut en être conclu « qu’il n’y a eu aucune volonté de nuire et de détourner les recettes de la [Commission], mais seulement […] de recherche[r] de[s] solutions permettant, à partir de règles structurelles rigides, la rentabilité d’[Eurostat] ».

141    D’autre part, les requérants citent l’extrait de l’arrêt du 23 juin 2014 selon lequel « il n’existe pas de charges suffisantes contre quiconque de nature à retenir des abus de confiance [et] les faits en cause ne peuvent pas recevoir une autre qualification pénale notamment de faux et usage de faux ».

142    Or, ces passages ne démontrent aucunement que l’OLAF avait conscience de ce que les faits dénoncés dans la note du 19 mars 2003 étaient dénués de fondement.

143    En outre, les requérants ne produisent aucun élément qui démontrerait que l’OLAF a soumis les informations contenues dans la note du 19 mars 2003 aux autorités judiciaires françaises dans l’intention de leur nuire. Bien au contraire, ainsi qu’il découle des considérations énoncées aux points 119 à 128 ci-dessus, rien n’indique que l’OLAF aurait porté ces informations à la connaissance desdites autorités dans une intention autre que celle qui est conforme à sa mission, à savoir dénoncer des irrégularités financières susceptibles d’avoir été commises au détriment du budget de l’Union.

144    Dans ces conditions, les requérants n’ont pas établi que l’OLAF aurait violé, de manière suffisamment caractérisée, le principe de bonne administration en commettant une prétendue dénonciation calomnieuse auprès des autorités judiciaires françaises.

–       Sur la prétendue dénonciation calomnieuse par la Commission

145    Les requérants soutiennent que la Commission a « doublé » la dénonciation effectuée par l’OLAF d’une deuxième calomnie en portant plainte auprès du procureur de la République, avec constitution de partie civile. La Commission aurait déposé cette plainte le 10 juillet 2003, alors qu’elle ne disposait pas encore du rapport d’enquête final de l’OLAF, qui n’a été finalisé qu’en septembre 2003. Dans ces conditions, la Commission aurait manqué au principe de bonne administration.

146    La Commission conteste cette argumentation.

147    En premier lieu, dans la mesure où les requérants prétendent que la plainte de la Commission constitue une dénonciation calomnieuse, il convient de relever que cette plainte clarifie dans sa partie introductive le fait qu’elle est déposée « pour les délits d’abus de confiance, faits prévus et réprimés par les articles 314-1 et suivants du [c]ode pénal [français], et tous autres textes répressifs à pourvoir ou suppléer contre X ».

148    Ensuite, les points 1 à 7 de la plainte de la Commission décrivent les missions de l’OLAF, d’Eurostat et de l’OP, la raison d’être des datashops, Planistat et les relations contractuelles et financières dans le réseau des datashops, à l’instar des sections 2.1 et 2.2 de la note du 19 mars 2003.

149    Le point 8 de la plainte de la Commission évoque certaines anomalies dans la gestion des datashops, en précisant notamment que les conventions tripartites « n’avaient à aucun moment été soumis[es] [à son] [c]ontrôleur financier », contrairement à ce qui était prévu par le règlement financier, et que « [l]a partie du chiffre d’affaires destinée à couvrir les frais de fonctionnement (environ 50 %) n’apparaissait pas dans [s]es comptes budgétaires […] et était déposée sur un compte bancaire ouvert au nom de chacune des structures hébergeant le datashop ».

150    Les points 10 à 12 de cette plainte reprennent, en substance, le reste de la section 2.3 de la note du 19 mars 2003.

151    Au point 14 de sa plainte, la Commission explique que l’enquête menée par l’OLAF n’est pas encore arrivée à son terme, mais que l’OLAF a déjà communiqué certains éléments de son enquête au procureur de la République de Paris.

152    Le point 15 de la plainte de la Commission conclut ce qui suit :

« Dans la mesure où les opérations décrites ci-dessus se sont déroulées en grande partie en dehors des procédures budgétaires [de l’Union] – et donc en violation de la réglementation financière et au détriment des ressources de [l’Union] – et où certaines d’entre elles seraient susceptibles de recevoir une qualification pénale, la Commission […], représentant [l’Union] à l’égard des tiers et garante de l’exécution du budget [de l’Union], dépose la présente plainte pour délit d’abus de confiance, délit prévu et réprimé par les articles 314-1 et suivants du [c]ode [p]énal et tous autres délits qui pourraient se déduire des faits énoncés. »

153    À cet égard, il suffit de relever que les requérants ne produisent aucun élément qui démontrerait que les faits mentionnés dans la plainte de la Commission étaient dénués de fondement, que la Commission en avait pleinement conscience et qu’elle les a tout de même portés à la connaissance des autorités judiciaires françaises dans l’intention de leur nuire.

154    Ensuite, il ressort du point 14 de la plainte de la Commission ainsi que de sa lettre d’accompagnement que les constatations de cette plainte sont fondées sur les conclusions préliminaires de l’enquête menée par l’OLAF.

155    Or, d’une part, la Commission a établi à suffisance de droit que les informations figurant dans la sous-section 2.3 de la note du 19 mars 2003 étaient crédibles, ainsi qu’il a été relevé au point 98 ci-dessus. D’autre part, l’OLAF disposait d’indices matériels suffisamment précis démontrant qu’il y avait des raisons plausibles de considérer que ces informations contenaient des faits susceptibles de recevoir une qualification pénale, ainsi qu’il a été relevé aux points 107 et 115 ci-dessus.

156    Enfin, s’agissant de l’intention dans laquelle la Commission a déposé sa plainte, les requérants n’ont pas sérieusement contesté son affirmation selon laquelle, à la suite d’informations reçues du procureur de la République de Paris, elle était tenue de déposer une plainte et de se constituer partie civile afin que sa réclamation financière ne soit pas limitée aux seuls faits commis en France et que, partant, celle-ci couvre également le préjudice subi au Luxembourg et en Belgique.

157    Cette affirmation est corroborée par une lettre du directeur général de l’OLAF du 22 avril 2003, que la Commission a produite en exécution des mesures d’organisation de la procédure du 1er octobre 2024. Par cette lettre, l’OLAF informe le service juridique de la Commission qu’il a transmis la note du 19 mars 2003 aux autorités judiciaires françaises et que le procureur de la République chargé de l’affaire lui a fait savoir qu’il conviendrait que la Commission dépose une plainte afin qu’il puisse étendre la saisine du juge d’instruction, une telle extension permettant à la Commission d’obtenir une réparation financière plus étendue, qui ne couvre pas seulement la France.

158    Dans ces conditions, il y a lieu de constater que la Commission a déposé sa plainte dans une intention qui est conforme au principe de bonne gestion financière imposé par l’article 317 TFUE.

159    Il découle de ce qui précède que les requérants n’ont pas établi que la Commission aurait violé, de manière suffisamment caractérisée, le principe de bonne administration en commettant une dénonciation calomnieuse auprès des autorités judiciaires françaises.

160    En second lieu, dans la mesure où les requérants prétendent que la Commission a commis une violation du principe de bonne administration en ayant agi précipitamment au motif qu’elle avait déposé sa plainte avant la clôture de l’enquête externe de l’OLAF, il convient de relever ce qui suit.

161    Aux termes de l’article 9, paragraphe 3, du règlement no 1073/1999, le rapport établi à la suite d’une enquête externe et tout document utile qui y est afférent sont transmis aux autorités compétentes des États membres concernés conformément à la réglementation relative aux enquêtes externes.

162    Or, ni cette disposition ni aucune autre disposition n’interdisent expressément à la Commission de saisir l’autorité judiciaire avant la fin de l’enquête de l’OLAF si elle estime disposer d’informations ou d’éléments pouvant justifier l’ouverture d’une enquête judiciaire ou constituer des éléments de preuve utiles à une telle enquête (voir, par analogie, arrêt du 10 juin 2021, Commission/De Esteban Alonso, C‑591/19 P, EU:C:2021:468, points 56 et 57).

163    En outre, le service juridique de la Commission a encore attendu plusieurs mois après la lettre du directeur général de l’OLAF du 22 avril 2003 mentionnée au point 157 ci-dessus avant de procéder au dépôt de sa plainte le 10 juillet 2003, ce qui lui donnait la possibilité d’examiner les informations transmises par l’OLAF et d’en solliciter éventuellement davantage.

164    Dans ces conditions, les requérants ne sauraient reprocher à la Commission d’avoir violé de manière suffisamment caractérisée le principe de bonne administration en ayant agi précipitamment.

165    Cette conclusion n’est pas remise en cause par les éléments de preuve soumis par les requérants qui devraient démontrer le caractère précipité du dépôt de la plainte de la Commission.

166    À cet égard, les requérants s’appuient, premièrement, sur le procès-verbal de la 1613e réunion de la Commission en date du 21 mai 2003, qui énonce ce qui suit :

« La Commission décide le principe de se constituer partie civile dans la procédure ouverte auprès du procureur de la République près du [t]ribunal de [g]rande instance [de] Paris, comme suite à la saisine de l’OLAF […]

La Commission note l’intention de l’OLAF d’accélérer ses investigations en cours […]

La Commission note également que le [d]irecteur général de l’OLAF attend les résultats de ces travaux pour la fin juin 2003. »

167    Deuxièmement, les requérants s’appuient sur des réponses de la Commission du 22 septembre 2003 aux questions écrites de membres du Parlement européen qui énonçaient ce qui suit :

« Le rapport d’audit [de 1999] ne comportait aucune recommandation visant à exclure [Planistat] des contrats futurs.

Planistat n’a pas été signalée dans le système d’alerte précoce de la Commission avant le 23 juillet 2003.

De surcroît, le [s]ecrétariat général n’a été informé des conclusions de l’OLAF que le 3 avril 2003 et ce en termes généraux […]

Le 9 juillet 2003, la Commission a décidé, sur la base des informations portées à son attention, de suspendre tous les contrats avec Planistat, dans l’attente des résultats des enquêtes en cours. Eurostat avait déjà suspendu les paiements à Planistat concernant les activités liées aux [d]atashops. Par ailleurs, le 23 juillet 2003, la Commission a donné instruction à ses ordonnateurs de mettre fin à tous les contrats avec Planistat.

Un examen approfondi de tous les contrats en vigueur et des travaux exécutés par cette société est en cours […] Il convient de relever, en outre, que la Commission a déposé une plainte dans le cadre de la procédure ouverte par le parquet de Paris suite aux éléments que l’OLAF lui a transmis […] »

168    Or, il convient de constater que le libellé des deux extraits mentionnés aux points 166 et 167 ci-dessus ne contient aucune indication susceptible de suggérer que la Commission aurait reconnu avoir déposé sa plainte d’une manière précipitée.

169    Troisièmement, les requérants ont soutenu, dans leurs observations sur la suite de la procédure, que la Commission avait déclaré à la presse qu’elle « disposait de preuves irréfutables » de leur culpabilité le jour du dépôt de sa plainte. À cet égard, les requérants ont renvoyé à un article de presse qui serait prétendument paru dans le journal Les Échos le 10 juillet 2003 et aurait figuré comme la pièce C.6 dans le dossier.

170    Cependant, le dossier devant le Tribunal ne contient pas une telle pièce, ce que les requérants ont d’ailleurs reconnu à l’audience, de sorte que cette allégation n’est étayée par aucun élément de preuve.

 Conclusion sur l’illégalité des comportements reprochés

171    Il ressort de ce qui précède que les requérants n’ont pas établi que la Commission aurait commis une violation suffisamment caractérisée du principe de bonne administration, et ce ni en ce qui concerne la transmission par l’OLAF de la note du 19 mars 2003 aux autorités judiciaires françaises ni en ce qui concerne la prétendue dénonciation calomnieuse de l’OLAF et de la Commission auprès de ces autorités. Ainsi, il y a lieu de constater que cette première condition pour l’engagement de la responsabilité de l’Union n’est pas satisfaite, de sorte que, conformément à la jurisprudence (voir arrêt du 21 décembre 2023, United Parcel Service/Commission, C‑297/22 P, EU:C:2023:1027, point 61 et jurisprudence citée), il convient de rejeter le recours.

172    Le Tribunal estime cependant opportun, au regard d’une bonne administration de la justice, d’examiner également la troisième condition pour l’engagement de la responsabilité de l’Union, qui est relative à l’existence d’un lien de causalité entre le comportement prétendument illégal de l’OLAF et de la Commission et le préjudice allégué.

 Sur le lien de causalité entre, d’une part, le comportement prétendument illégal de l’OLAF et de la Commission et, d’autre part, le préjudice moral de M. Charlot

173    Les requérants soutiennent que M. Charlot a vécu pendant près de quinze ans un profond sentiment d’injustice et d’impuissance en raison de la procédure pénale engagée contre lui devant les autorités judiciaires françaises et que ce sentiment résulte directement de la dénonciation calomnieuse à laquelle se sont livrés l’OLAF et la Commission.

174    La Commission conteste cette argumentation.

175    La responsabilité extracontractuelle de l’Union ne saurait être engagée que si le préjudice subi par la partie requérante découle de façon suffisamment directe de la violation alléguée d’une règle du droit de l’Union. Il incombe à la partie requérante d’apporter des éléments de preuve au juge de l’Union afin d’établir l’existence et l’étendue du préjudice qu’elle invoque ainsi que l’existence d’un lien suffisamment direct de cause à effet entre cette violation et le dommage allégué (voir arrêt du 5 mars 2024, Kočner/Europol, C‑755/21 P, EU:C:2024:202, point 135 et jurisprudence citée). Ces éléments de preuve doivent être concluants (voir arrêt du 30 mai 2017, Safa Nicu Sepahan/Conseil, C‑45/15 P, EU:C:2017:402, point 62 et jurisprudence citée).

176    S’agissant du lien de causalité entre le comportement reproché à l’OLAF et le préjudice moral prétendument subi par M. Charlot, il ressort de l’article 9, paragraphe 2, du règlement no 1073/1999, comme le confirme le considérant 13 de ce règlement, que les conclusions d’une enquête de l’OLAF contenues dans un rapport final ne sauraient aboutir d’une manière automatique à l’ouverture de procédures judiciaires, dès lors que les autorités compétentes sont libres de décider de la suite à donner à ce rapport et sont donc les seules autorités à pouvoir arrêter des décisions susceptibles d’affecter la situation juridique des personnes à l’égard desquelles ledit rapport aurait recommandé l’engagement de telles procédures (arrêt sur pourvoi, point 73). En effet, les éléments apportés par l’OLAF peuvent être complétés et vérifiés par les autorités nationales, qui disposent d’un éventail plus large de pouvoirs d’investigation que cet office (arrêt sur pourvoi, point 74).

177    Les mêmes principes s’appliquent lorsque l’OLAF transmet des informations avant la clôture de son enquête au titre de l’article 10, paragraphe 1, du règlement no 1073/1999. En effet, la seule différence entre une telle transmission et la transmission d’un rapport final au titre de l’article 9, paragraphe 3, de ce règlement est relative au moment auquel ladite transmission intervient et ne change en rien les pouvoirs des autorités nationales judiciaires.

178    L’article 40, premier alinéa, du code de procédure pénale français, tel qu’il était applicable à l’époque des faits, prévoit, quant à lui, que le procureur de la République reçoit les plaintes et les dénonciations et « apprécie la suite à leur donner », étant entendu que cette règle est également applicable à des dénonciations effectuées par l’OLAF.

179    Dans ces conditions, il incombait aux requérants de démontrer que, malgré le fait qu’il appartenait au procureur de la République de décider s’il y avait lieu d’engager une procédure pénale à l’égard de M. Charlot, il existait un lien suffisamment direct de cause à effet entre la transmission de la note du 19 mars 2003 et les sentiments d’injustice et d’impuissance que M. Charlot prétend avoir ressentis en raison de la procédure pénale engagée contre lui par les autorités judiciaires françaises.

180    Or, les requérants n’ont fourni, dans la requête, aucune information concernant un tel lien. D’une part, aux points 142 à 144 de leur requête, qui portent sur l’existence d’un lien de causalité, les requérants se limitent à citer un extrait de l’arrêt du 11 juin 2019, De Esteban Alonso/Commission (T‑138/18, EU:T:2019:398), qui a été annulé par la suite par la Cour dans son arrêt du 10 juin 2021, Commission/De Esteban Alonso (C‑591/19 P, EU:C:2021:468). D’autre part, les autres points de cette section de la requête portent sur de prétendus préjudices subis par les requérants qui ne font plus l’objet de la saisine du Tribunal dans la présente procédure.

181    Dans ces conditions, les requérants n’ont pas établi que le préjudice prétendument subi par M. Charlot ressortait, de façon suffisamment directe, de la transmission de la note du 19 mars 2003 aux autorités judiciaires françaises.

182    La même conclusion s’impose en ce qui concerne le lien de causalité entre le dépôt de la plainte de la Commission et le préjudice moral prétendument subi par M. Charlot. À cet égard, il découle de la lettre mentionnée au point 157 ci-dessus et des explications données à l’audience qu’il appartenait au procureur de la République de décider des suites à donner à cette plainte. Or, les requérants n’ont soumis au Tribunal aucun élément concret visant à démontrer que, malgré cette circonstance, il existait un lien suffisamment direct de cause à effet entre le dépôt de ladite plainte et les sentiments d’injustice et d’impuissance que M. Charlot prétend avoir ressentis en raison de la procédure pénale engagée contre lui par les autorités judiciaires françaises.

183    Eu égard à ce qui précède, il convient de relever que les requérants n’ont pas établi un lien de causalité suffisamment direct entre le comportement reproché à l’OLAF et à la Commission, d’une part, et le préjudice moral prétendument subi par M. Charlot, d’autre part.

184    Au point 88 de leurs observations sur la suite de la procédure et lors de l’audience, les requérants ont encore demandé la réparation d’un préjudice qu’ils auraient subi en raison de la seule transmission de la note du 19 mars 2003 et de la plainte de la Commission aux autorités judiciaires françaises, en soutenant qu’un tel préjudice résultait « directement » de cette transmission et existait indépendamment de la question de savoir si ces autorités y avaient donné suite.

185    Or, il convient de rappeler que la Cour a renvoyé le recours au Tribunal seulement pour autant qu’il tendait à l’indemnisation du préjudice moral prétendument subi par M. Charlot en raison de la procédure pénale engagée contre lui devant les autorités judiciaires françaises. Ainsi, il convient de relever que les requérants cherchent à étendre la saisine du Tribunal en méconnaissance des dispositions et des principes jurisprudentiels énoncés aux points 40 et 41 ci-dessus, étant entendu qu’une telle demande consiste en l’ajout d’une nouvelle conclusion.

186    Dans ces conditions, la demande mentionnée au point 184 ci-dessus doit être rejetée comme irrecevable.

 Conclusion

187    Eu égard à tout ce qui précède, les conditions d’engagement de la responsabilité non contractuelle relatives à l’existence d’une violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers, d’une part, et à l’existence d’un lien de causalité suffisamment direct entre le comportement reproché et le préjudice prétendument subi, d’autre part, ne sont pas remplies.

188    Par conséquent, le recours doit être rejeté.

 Sur les dépens

189    Selon l’article 133 du règlement de procédure, il est statué sur les dépens dans l’arrêt qui met fin à l’instance. Aux termes de l’article 195 de ce règlement, applicable à la présente procédure après renvoi, il appartient au Tribunal de statuer sur les dépens relatifs, d’une part, aux procédures engagées devant le Tribunal et, d’autre part, à la procédure de pourvoi devant la Cour.

190    En outre, conformément à l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

191    En l’espèce, dans l’arrêt sur pourvoi, la Cour a partiellement annulé l’arrêt initial, a rejeté le pourvoi pour le surplus et a réservé les dépens. Il convient donc de statuer, dans le présent arrêt, sur les dépens afférents à la procédure initiale devant le Tribunal, à la procédure de pourvoi devant la Cour et à la présente procédure après renvoi.

192    La Commission et les requérants ayant chacun partiellement succombé dans la procédure de pourvoi devant la Cour, il y a lieu de les condamner à supporter leurs propres dépens liés à cette procédure.

193    Les requérants ayant succombé dans la procédure de renvoi devant le Tribunal, sur le fondement des arguments qu’ils avaient avancés dans le cadre de la procédure initiale, ainsi que sur le fondement de nouveaux arguments introduits, pour la première fois, dans le cadre de cette procédure de renvoi, il y a lieu de décider qu’ils supporteront leurs propres dépens ainsi que ceux exposés par la Commission afférents à ces deux procédures.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (huitième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Planistat Europe et M. HervéPatrick Charlot supporteront leurs propres dépens ainsi que ceux exposés par la Commission européenne afférents à la procédure de renvoi devant le Tribunal, dans le cadre de l’affaire T735/20 RENV, ainsi qu’à la procédure initiale devant le Tribunal, dans le cadre de l’affaire T735/20.

3)      Planistat Europe et M. Charlot, d’une part, et la Commission, d’autre part, supporteront leurs propres dépens afférents à la procédure de pourvoi devant la Cour, dans le cadre de l’affaire C363/22 P.

Kornezov

Petrlík

Kingston

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 16 juillet 2025.

Le greffier

 

Le président

V. Di Bucci

 

M. van der Woude


Table des matières


Antécédents du litige

Procédures antérieures devant le Tribunal et devant la Cour

Conclusions des parties après renvoi

En droit

Sur l’objet du litige après renvoi

Sur l’existence d’une violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers

Sur la transmission de la note du 19 mars 2003 aux autorités judiciaires françaises

Sur la prétendue dénonciation calomnieuse effectuée par l’OLAF et par la Commission auprès des autorités judiciaires françaises

– Sur la prétendue dénonciation calomnieuse par l’OLAF

– Sur la prétendue dénonciation calomnieuse par la Commission

Conclusion sur l’illégalité des comportements reprochés

Sur le lien de causalité entre, d’une part, le comportement prétendument illégal de l’OLAF et de la Commission et, d’autre part, le préjudice moral de M. Charlot

Conclusion

Sur les dépens


*      Langue de procédure : le français.