Affaire T‑92/24
ETI Gıda Sanayi ve Ticaret AŞ
contre
Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle
Arrêt du Tribunal (troisième chambre) du 3 septembre 2025
« Dessin ou modèle de l’Union européenne – Procédure de nullité – Dessin ou modèle de l’Union européenne enregistré représentant un emballage – Marque nationale figurative antérieure – Motif de nullité – Usage dans le dessin ou modèle ultérieur d’un signe distinctif dont le titulaire est en droit d’interdire l’utilisation – Article 25, paragraphe 1, sous e), du règlement (CE) no 6/2002 – Droits de la défense – Étendue de l’examen opéré par la chambre de recours »
1. Dessins ou modèles de l’Union européenne – Motifs de nullité – Usage d’un signe distinctif dans un dessin ou modèle ultérieur – Comparaison entre le dessin ou modèle contesté et le signe distinctif – Public pertinent
[Règlement du Conseil no 6/2002, art. 25, § 1, e)]
(voir point 37, 54)
2. Dessins ou modèles de l’Union européenne – Motifs de nullité – Usage d’un signe distinctif dans un dessin ou modèle ultérieur – Usage d’un signe présentant une similitude avec le signe distinctif – Inclusion
[Règlement du Conseil no 6/2002, art. 25, § 1, e)]
(voir points 38-40)
3. Dessins ou modèles de l’Union européenne – Motifs de nullité – Usage d’un signe distinctif dans un dessin ou modèle ultérieur – Comparaison entre le dessin ou modèle contesté et le signe distinctif – Risque de confusion
[Règlement du Conseil no 6/2002, art. 25, § 1, e) ; directive du Parlement et du Conseil 2015/2436, art. 10, § 2, b)]
(voir points 42, 43, 45, 100)
4. Dessins ou modèles de l’Union européenne – Motifs de nullité – Usage d’un signe distinctif dans un dessin ou modèle ultérieur – Comparaison entre le dessin ou modèle contesté et le signe distinctif – Similitude entre les produits ou services concernés – Critères d’appréciation – Caractère complémentaire des produits ou des services
[Règlement du Conseil no 6/2002, art. 25, § 1, e)]
(voir points 48-51)
5. Dessins ou modèles de l’Union européenne – Motifs de nullité – Usage d’un signe distinctif dans un dessin ou modèle ultérieur – Comparaison entre le dessin ou modèle contesté et le signe distinctif – Dessin ou modèle représentant un emballage – Marque figurative KRAX
[Règlement du Conseil no 6/2002, art. 25, § 1, e)]
(voir points 53, 55, 56, 75, 80, 84, 90, 94, 99)
Résumé
Rejetant les recours en annulation introduits par Eti Gıda Sanayi ve Ticaret AŞ, le Tribunal se prononce pour la première fois sur le droit matériel applicable ratione temporis en matière de dessins ou modèles de l’Union européenne, notamment dans le cadre du contentieux prévu à l’article 25, paragraphe 1, sous e), du règlement no 6/200 (1), et précise la jurisprudence découlant de cette disposition ainsi que les modalités de sa mise en œuvre.
Eti Gıda Sanayi ve Ticaret AŞ, la requérante, a présenté trois demandes d’enregistrement de dessins ou modèles auprès de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) : l’une le 13 juillet 2007 [affaire Eti/EUIPO – Star Foods E.M. (Emballages) (T-92/24)] et les deux autres le 28 octobre 2016 [affaires Eti/EUIPO – Star Foods E.M. (Décoration pour sachets d’emballage) (T-83/24) et Eti/EUIPO – Star Foods E.M. (Décoration pour sachets d’emballage) (T-91/24)]. Ces dessins ou modèles représentent, pour les deux derniers enregistrés, une décoration pour sachets d’emballage et, pour le premier, un emballage. Les produits auxquels ces dessins ou modèles sont destinés à être appliqués correspondent, respectivement, à des « sacs [emballages] (ornementation pour-) » et à des « emballages » (2).
Le 21 janvier 2019, Star Foods E. M. SRL a introduit deux demandes en nullité de deux de ces dessins et modèles auprès de l’EUIPO au motif que l’usage de signes nationaux antérieurs permettait de faire interdire l’usage des signes distinctifs des dessins et modèles contestés (3). Ces demandes étaient fondées sur la marque roumaine verbale antérieure KRAX et trois marques roumaines figuratives antérieures présentant l’élément verbal « krax », toutes enregistrées pour des « préparations faites de céréales ». Le 21 février 2020, celle-ci a introduit une troisième demande en nullité fondée sur la marque roumaine figurative KRAX enregistrée pour des produits tels que des « en-cas, en particulier ceux fabriqués à partir de céréales par expansion et extrusion, avec des arômes différents ».
La division d’annulation a fait droit aux trois demandes en nullité. Par la suite, la requérante a formé trois recours contre ces décisions devant la chambre de recours de l’EUIPO qui les a rejetés en concluant que la division d’annulation était fondée à déclarer nuls les dessins ou modèles contestés en vertu de l’article 25, paragraphe 1, sous e), du règlement no 6/2002, lu conjointement avec l’article 36, paragraphe 2, sous b), de la loi roumaine sur les marques, dès lors qu’il existait un risque de confusion.
Dans ce contexte, la requérante a introduit trois recours devant le Tribunal pour obtenir l’annulation de ces décisions.
Appréciation du Tribunal
Tout d’abord, le Tribunal constate que, compte tenu de la date d’introduction des demandes d’enregistrement des deux dessins et modèles représentant une décoration pour sachets d’emballage, à savoir le 28 octobre 2016, qui est déterminante aux fins de l’identification du droit matériel applicable, les faits de l’espèce sont régis par les dispositions matérielles du règlement no 6/2002 dans sa version antérieure et la loi roumaine sur les marques dans sa version en vigueur à cette date.
Ensuite, s’agissant des trois dessins et modèles concernés, il rappelle la jurisprudence en matière de nullité visée à l’article 25, paragraphe 1, sous e), du règlement no 6/2002 dans sa version antérieure. En effet, aux termes de cette disposition, un dessin ou modèle peut être déclaré nul s’il est fait usage d’un signe distinctif dans un dessin ou modèle ultérieur et que le droit de l’Union ou la législation de l’État membre concerné régissant ce signe confère au titulaire du signe le droit d’interdire cette utilisation. Selon la jurisprudence, une demande en nullité d’un dessin ou modèle communautaire, fondée sur le motif de nullité visé à ladite disposition, ne saurait prospérer que s’il est conclu que le public pertinent considérera que, dans le dessin ou modèle communautaire faisant l’objet de cette demande, il est fait usage du signe distinctif invoqué à l’appui de la demande en nullité. L’examen de ce motif de nullité doit être fondé sur la perception par le public pertinent du signe distinctif invoqué à l’appui de ce motif ainsi que sur l’impression d’ensemble que ledit signe produit sur ce public.
Or, ledit motif de nullité n’implique pas nécessairement la reproduction intégrale et détaillée d’un signe distinctif antérieur dans un dessin ou modèle communautaire ultérieur. En effet, quand bien même certains éléments du signe en question seraient absents dans le dessin ou modèle communautaire contesté ou d’autres éléments y seraient ajoutés, il pourrait s’agir d’un « usage » dudit signe, notamment lorsque les éléments omis ou ajoutés sont d’une importance secondaire. Cela est d’autant plus vrai que le public ne garde en mémoire qu’une image non parfaite des marques enregistrées dans les États membres ou des marques de l’Union européenne. Cette considération est valable pour tout type de signe distinctif. Par conséquent, en cas d’omission de certains éléments secondaires d’un signe distinctif utilisé dans un dessin ou modèle communautaire ultérieur, ou en cas d’ajout de tels éléments à ce même signe, le public pertinent ne se rendra pas nécessairement compte de ces modifications du signe en question. Au contraire, il pourra penser qu’il est fait usage dudit signe tel qu’il l’a gardé en mémoire dans le dessin ou modèle communautaire ultérieur. Il s’ensuit que l’article 25, paragraphe 1, sous e), du règlement no 6/2002 dans sa version antérieure trouve à s’appliquer lorsqu’il est fait usage non seulement d’un signe identique à celui invoqué à l’appui de la demande en nullité, mais également d’un signe similaire.
En outre, s’agissant de la loi roumaine sur les marques, le Tribunal constate que, conformément à l’article 36, paragraphe 2, sous b), de cette loi, le titulaire d’une marque peut demander, en substance, à l’organe judiciaire compétent d’interdire à des tiers, en l’absence de son consentement, de faire usage dans la vie des affaires d’un signe pour lequel, en raison de son identité ou de sa similitude avec la marque ou en raison de l’identité ou de la similitude des produits ou des services sur lesquels le signe est apposé, il existe un risque de confusion dans l’esprit du public, y compris le risque d’association entre le signe et la marque. Cette disposition constitue en droit roumain la transposition de l’article 10, paragraphe 2, sous b), de la directive 2015/2436 (4), dont le libellé est lui-même identique à l’article 5, paragraphe 1, sous b), de la directive 2008/95 (5). Par conséquent, la notion de « risque de confusion » au sens de l’article 36, paragraphe 2, sous b), de ladite loi doit être interprétée à la lumière de la jurisprudence relative à l’article 5, paragraphe 1, sous b), de la directive 2008/95 et à l’article 10, paragraphe 2, sous b), de la directive 2015/2436. Plus précisément, au sens de cette dernière disposition, constitue un « risque de confusion », le risque que le public puisse croire que les produits ou services en cause proviennent de la même entreprise ou, le cas échéant, d’entreprises liées économiquement. L’existence d’un risque de confusion dans l’esprit du public doit être appréciée globalement en tenant compte de tous les facteurs pertinents du cas d’espèce.
Enfin, à la lumière de ces considérations, le Tribunal relève que la présente procédure concerne l’étendue de la protection d’une marque et plus particulièrement la question de savoir si le titulaire de ladite marque antérieure peut faire interdire l’usage de son signe distinctif dans le dessin ou modèle contesté. Partant, il ne tient pas compte de l’impression produite sur l’utilisateur averti ou les caractères individuel et nouveau du dessin ou modèle contesté, au sens des articles 4 à 6 du règlement no 6/2002.
Dès lors, à la suite de son examen relatif à l’existence d’un risque de confusion sur l’origine commerciale des produits au sens de l’article 25, paragraphe 1, sous e), du règlement no 6/2002 dans sa version antérieure, lu conjointement avec l’article 36, paragraphe 2, sous b), de la loi roumaine sur les marques, le Tribunal juge que la chambre de recours n’a commis aucune erreur en ayant conclu à l’existence d’un tel risque.