DOCUMENT DE TRAVAIL
ARRÊT DU TRIBUNAL (première chambre)
10 septembre 2025 (*)
« Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives prises eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine – Gel des fonds – Restrictions en matière d’admission sur le territoire des États membres – Liste des personnes, des entités et des organismes auxquels s’applique le gel des fonds et des ressources économiques et faisant l’objet de restrictions en matière d’admission sur le territoire des États membres – Inscription et maintien du nom du requérant sur la liste – Article 2, paragraphe 1, sous a), de la décision 2014/145/PESC – Article 3, paragraphe 1, sous a), du règlement (UE) no 269/2014 – Erreur d’appréciation »
Dans l’affaire T‑643/22,
Viktor Fedorovych Yanukovych, demeurant à Rostov-sur-le-Don (Russie), représenté par M. B. Kennelly, SC,
partie requérante,
contre
Conseil de l’Union européenne, représenté par MM. A. Boggio-Tomasaz et J. Rurarz, en qualité d’agents, assistés de Mes B. Maingain et S. Remy, avocats,
partie défenderesse,
LE TRIBUNAL (première chambre),
composé de M. R. Mastroianni (rapporteur), faisant fonction de président, Mme M. Brkan et M. S. L. Kalėda, juges,
greffier : Mme I. Kurme, administratrice,
vu la phase écrite de la procédure,
à la suite de l’audience du 17 septembre 2024,
rend le présent
Arrêt
1 Par son recours fondé sur l’article 263 TFUE, le requérant, M. Viktor Fedorovych Yanukovych, demande l’annulation, premièrement, de la décision (PESC) 2022/1355 du Conseil, du 4 août 2022, modifiant la décision 2014/145/PESC concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2022, L 204I, p. 4), et du règlement d’exécution (UE) 2022/1354 du Conseil, du 4 août 2022, mettant en œuvre le règlement (UE) no 269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2022, L 204I, p. 1) (ci-après, pris ensemble, les « actes initiaux »), deuxièmement, de la décision (PESC) 2022/1530 du Conseil, du 14 septembre 2022, modifiant la décision 2014/145/PESC concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2022, L 239, p. 149), et du règlement d’exécution (UE) 2022/1529 du Conseil, du 14 septembre 2022, mettant en œuvre le règlement (UE) no 269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2022, L 239, p. 1) (ci-après, pris ensemble, les « actes de maintien de septembre 2022 »), troisièmement, de la décision (PESC) 2023/572 du Conseil, du 13 mars 2023, modifiant la décision 2014/145/PESC concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2023, L 75I, p. 134), et du règlement d’exécution (UE) 2023/571 du Conseil, du 13 mars 2023, mettant en œuvre le règlement (UE) no 269/2014 du Conseil concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2023, L 75I, p. 1) (ci-après, pris ensemble, les « actes de maintien de mars 2023 »), quatrièmement, de la décision (PESC) 2023/1767 du Conseil, du 13 septembre 2023, modifiant la décision 2014/145/PESC concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2023, L 226, p. 104), et du règlement d’exécution (UE) 2023/1765 du Conseil, du 13 septembre 2023, mettant en œuvre le règlement (UE) no 269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2023, L 226, p. 3) (ci-après, pris ensemble, les « actes de maintien de septembre 2023 »), et, cinquièmement, de la décision (PESC) 2024/847 du Conseil, du 12 mars 2024, modifiant la décision 2014/145/PESC concernant des mesure restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO L, 2024/847) et du règlement d’exécution (UE) 2024/849 du Conseil, du 12 mars 2024, mettant en œuvre le règlement (UE) no 269/2014 du Conseil concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO L, 2024/849) (ci-après, pris ensemble, les « actes de maintien de mars 2024 »), en tant que les actes initiaux et les actes de maintien de septembre 2022, de mars 2023, de septembre 2023 et de mars 2024 (ci-après, pris ensemble, les « actes attaqués ») le concernent.
Antécédents du litige
2 Le requérant est l’ancien président de l’Ukraine.
3 La présente affaire s’inscrit dans le cadre des mesures restrictives adoptées par l’Union européenne eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine.
4 Le 17 mars 2014, le Conseil de l’Union européenne a adopté, sur le fondement de l’article 29 TUE, la décision 2014/145/PESC, concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2014, L 78, p. 16).
5 À la même date, le Conseil a adopté, sur le fondement de l’article 215 TFUE, le règlement (UE) no 269/2014, concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2014, L 78, p. 6).
6 Le 25 février 2022, au vu de la gravité de la situation en Ukraine, le Conseil a adopté, d’une part, la décision (PESC) 2022/329, modifiant la décision 2014/145 (JO 2022, L 50, p. 1), et, d’autre part, le règlement (UE) 2022/330, modifiant le règlement no 269/2014 (JO 2022, L 51, p. 1), afin notamment d’amender les critères en application desquels des personnes physiques ou morales, des entités ou des organismes pouvaient être visés par les mesures restrictives en cause.
7 L’article 2, paragraphes 1 et 2, de la décision 2014/145, telle que modifiée par la décision 2022/329 (ci-après la « décision 2014/145 modifiée »), est libellé comme suit :
« 1. Sont gelés tous les fonds et ressources économiques appartenant :
a) à des personnes physiques qui sont responsables d’actions ou de politiques qui compromettent ou menacent l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine, ou la stabilité ou la sécurité en Ukraine, ou qui font obstruction à l’action d’organisations internationales en Ukraine, à des personnes physiques qui soutiennent ou mettent en œuvre de telles actions ou politiques ;
[…]
2. Aucun fonds ni aucune ressource économique n’est, directement ou indirectement, mis à la disposition des personnes physiques ou morales, des entités ou des organismes dont la liste figure à l’annexe, ou mis à leur profit. »
8 Les modalités de ce gel de fonds sont définies aux paragraphes suivants du même article.
9 L’article 1er, paragraphe 1, sous a), de la décision 2014/145 modifiée proscrit l’entrée ou le passage en transit sur le territoire des États membres des personnes physiques répondant à des critères en substance identiques à ceux énoncés à l’article 2, paragraphe 1, sous a), de cette même décision.
10 Le règlement no 269/2014, tel que modifié par le règlement 2022/330 , impose l’adoption des mesures de gel de fonds et définit les modalités de ce gel en des termes identiques, en substance, à ceux de la décision 2014/145 modifiée. En effet, l’article 3, paragraphe 1, sous a) à g), de ce règlement reprend pour l’essentiel la teneur de l’article 2, paragraphe 1, sous a) à g), de ladite décision.
11 Par lettres des 25 février et 13 avril 2022, le Conseil a informé le requérant de son intention d’ajouter son nom aux listes annexées au règlement no 269/2014, tel que modifié par le règlement 2022/330, et à la décision 2014/145 modifiée (ci-après les « listes litigieuses ») et a communiqué les dossiers portant les références WK 1271/2022 et WK 1271/2022 ADD 1 (ci-après les « premiers dossiers WK »).
12 Le 4 août 2022, le Conseil a adopté les actes initiaux.
13 Les motifs d’inscription du nom du requérant sur les listes litigieuses sont les suivants :
« De 2010 à 2014, Viktor Yanukovych a été président de l’Ukraine. Pendant son mandat, il a mené une politique pro-russe. Un tribunal ukrainien a déclaré Viktor Yanukovych coupable de trahison pour avoir invité la Fédération de Russie à envahir l’Ukraine. Après avoir été écarté du pouvoir, il s’est établi en Russie, d’où il a poursuivi ses activités visant à déstabiliser l’Ukraine.
Il a contribué à l’ingérence militaire russe en Ukraine en appelant le président de la Fédération de Russie à envoyer des troupes russes en Ukraine en mars 2014. Viktor Yanukovych a soutenu des responsables politiques pro-russes qui exerçaient des fonctions publiques en Crimée occupée. En 2021, une nouvelle instruction préparatoire a été ouverte en Ukraine, laquelle a révélé que M. Viktor Yanukovych, ainsi que deux anciens ministres de la Défense, avait volontairement réduit la capacité de défense de l’Ukraine, en particulier dans la République autonome de Crimée. Il se considère comme le président légitime de l’Ukraine et a toujours eu une position pro-russe dans ses interventions publiques. Selon différentes sources, M. Viktor Yanukovych a fait partie d’une opération spéciale russe destinée à remplacer le président ukrainien par lui-même, au cours des premières phases de l’agression militaire illégale et non provoquée contre l’Ukraine. En outre, le président de la République de Tchétchénie, Ramzan Kadyrov, a demandé au président de l’Ukraine de transférer tous ses pouvoirs à Viktor Yanukovych.
Par conséquent, Viktor Yanukovych est responsable de soutenir ou de mettre en œuvre des actions ou des politiques menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine, ainsi que la stabilité et la sécurité de l’État. »
14 Le 14 septembre 2022, le Conseil a adopté les actes de maintien de septembre 2022, qui ont prolongé les mesures prises à l’encontre du requérant jusqu’au 15 mars 2023 sans apporter de modifications aux motifs d’inscription de son nom sur les listes litigieuses par rapport à ceux figurant dans les actes initiaux.
Faits postérieurs à l’introduction du présent recours
15 Par lettre du 22 décembre 2022, le Conseil a indiqué au requérant qu’il envisageait de proroger les mesures restrictives à son encontre sur la base des mêmes motifs que ceux des actes initiaux et lui a communiqué le dossier portant la référence WK 17599/2022 (ci-après le « deuxième dossier WK »).
16 Par courrier du 11 janvier 2023, le requérant a présenté ses observations.
17 Par les actes de maintien de mars 2023, les mesures restrictives prises à l’encontre du requérant ont été prolongées jusqu’au 15 septembre 2023. Par courrier du 14 mars 2023, le Conseil a informé le requérant de sa décision.
18 Par lettre du 19 juin 2023, le Conseil a indiqué au requérant qu’il envisageait de proroger les mesures restrictives à son encontre et a communiqué le dossier portant la référence WK 7868/2023 (ci-après le « troisième dossier WK »).
19 Par courrier du 30 juin 2023, le requérant a présenté ses observations.
20 Par les actes de maintien de septembre 2023, les mesures restrictives prises à l’encontre du requérant ont été prolongées jusqu’au 15 mars 2024. Par courrier du 15 septembre 2023, le Conseil a informé le requérant de sa décision.
21 Les motifs d’inscription du nom du requérant sur les listes litigieuses ont été modifiés de la façon suivante :
« De 2010 à 2014, Viktor Yanukovych a été président de l’Ukraine. Pendant son mandat, il a mené une politique pro-russe. Un tribunal ukrainien a déclaré Viktor Yanukovych coupable de trahison pour avoir invité la Fédération de Russie à envahir l’Ukraine. Après avoir été écarté du pouvoir, il s’est établi en Russie, d’où il a poursuivi ses activités visant à déstabiliser l’Ukraine.
Il a contribué à l’ingérence militaire russe en Ukraine en appelant le président de la Fédération de Russie à envoyer des troupes russes en Ukraine en mars 2014. Viktor Yanukovych a soutenu des responsables politiques pro-russes qui exerçaient des fonctions publiques en Crimée occupée. En 2021, une nouvelle instruction préparatoire a été ouverte en Ukraine, laquelle a révélé que Viktor Yanukovych, ainsi que deux anciens ministres de la Défense, avaient volontairement réduit la capacité de défense de l’Ukraine, en particulier dans la “République autonome de Crimée”.
Le 21 avril 2010, le président de l’époque de l’Ukraine, Viktor Yanukovych, et le président de l’époque de la Russie, Dmitri Medvedev, ont signé un accord entre l’Ukraine et la Fédération de Russie, par lequel le mandat de la flotte de la mer Noire de la Fédération de Russie à Sébastopol a été prolongé de 2017 à 2042. En signant les accords, Yanukovych a créé des conditions favorables au renforcement de la présence militaire de la Russie en Ukraine ainsi qu’au rééquipement et à la modernisation des armes de la flotte de la mer Noire sur le territoire de la Crimée. Par la suite, des armes russes qui se trouvaient sur le territoire de l’Ukraine ont été utilisées aux fins de l’annexion de la “République autonome de Crimée” et la ville de Sébastopol en 2014.
Il se considère comme le président légitime de l’Ukraine et a toujours eu une position pro-russe dans ses interventions publiques. Selon différentes sources, Viktor Yanukovych a fait partie d’une opération spéciale russe destinée à remplacer le président ukrainien par lui-même, au cours des premières phases de la guerre d’agression menée par la Russie contre l’Ukraine. En outre, le président de la République de Tchétchénie, Ramzan Kadyrov, a demandé au président de l’Ukraine de transférer tous ses pouvoirs à Viktor Yanukovych.
Viktor Yanukovych est donc responsable de soutenir ou de mettre en œuvre des actions ou des politiques menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine ainsi que la stabilité et la sécurité de l’État. »
22 Par lettre du 21 décembre 2023, le Conseil a indiqué au requérant qu’il envisageait de proroger les mesures restrictives à son encontre et a communiqué le dossier portant la référence WK 16833/2023 (ci-après le « quatrième dossier WK »).
23 Par courrier du 10 janvier 2024, le requérant a présenté ses observations.
24 Par les actes de maintien de mars 2024, les mesures restrictives prises à l’encontre du requérant ont été prolongées jusqu’au 15 septembre 2024. Par courrier du 13 mars 2024, le Conseil a informé le requérant de sa décision.
25 Les motifs d’inscription du nom du requérant sur les listes litigieuses ont été modifiés de la façon suivante :
« De 2010 à 2014, Viktor Yanukovych a été président de l’Ukraine. Pendant son mandat, il a mené une politique pro-russe. Un tribunal ukrainien a déclaré Viktor Yanukovych coupable de trahison pour avoir invité la Fédération de Russie à envahir l’Ukraine. Après avoir été écarté du pouvoir, il s’est établi en Russie, d’où il a poursuivi ses activités visant à déstabiliser l’Ukraine.
Il a contribué à l’ingérence militaire russe en Ukraine en appelant le président de la Fédération de Russie à envoyer des troupes russes en Ukraine en mars 2014. Viktor Yanukovych a soutenu des responsables politiques pro-russes qui exerçaient des fonctions publiques en Crimée occupée. En 2021, une nouvelle instruction préparatoire a été ouverte en Ukraine, laquelle a révélé que Viktor Yanukovych, ainsi que deux anciens ministres de la Défense, avaient volontairement réduit la capacité de défense de l’Ukraine, en particulier dans la soi-disant “République autonome de Crimée”.
Le 21 avril 2010, le président de l’époque de l’Ukraine, Viktor Yanukovych, et le président de l’époque de la Russie, Dmitry Medvedev, ont signé un accord entre l’Ukraine et la Fédération de Russie, par lequel le mandat de la flotte de la mer Noire de la Fédération de Russie à Sébastopol a été prolongé de 2017 à 2042. En signant les accords, Yanukovych a créé des conditions favorables au renforcement de la présence militaire de la Russie en Ukraine ainsi qu’au rééquipement et à la modernisation des armes de la flotte de la mer Noire sur le territoire de la Crimée. Par la suite, des armes russes qui se trouvaient sur le territoire de l’Ukraine ont été utilisées aux fins de l’annexion de la soi-disant “République autonome de Crimée” et de la ville de Sébastopol en 2014.
En 2023, le bureau national d’enquête ukrainien a émis un acte d’accusation à l’encontre de Viktor Yanukovych l’accusant de trahison et d’aider la Russie à mener des activités subversives en Ukraine.
Il se considère comme le président légitime de l’Ukraine et a toujours eu une position pro-russe dans ses interventions publiques. Selon différentes sources, Viktor Yanukovych a fait partie d’une opération spéciale russe destinée à remplacer le président ukrainien par lui-même, au cours des premières phases de la guerre d’agression menée par la Russie contre l’Ukraine. En outre, le président de la République de Tchétchénie, Ramzan Kadyrov, a demandé au président de l’Ukraine de transférer tous ses pouvoirs à Viktor Yanukovych.
Viktor Yanukovych est donc responsable de soutenir ou de mettre en œuvre des actions ou des politiques menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine, ainsi que la stabilité et la sécurité de l’État. »
Conclusions des parties
26 Le requérant conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– annuler les actes attaqués, en ce qu’ils le concernent ;
– condamner le Conseil aux dépens.
27 Le Conseil conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– rejeter le recours ;
– condamner le requérant aux dépens.
En droit
Sur les annexes B.1 à B.7
28 Le requérant fait valoir que les documents B.1 à B.7 annexés au mémoire en défense n’ont aucunement fait partie du processus décisionnel du Conseil, ne sont pas pertinents et doivent être écartés comme étant irrecevables.
29 Le Conseil conteste les arguments du requérant.
30 À cet égard, il y a lieu de rappeler que le contrôle de la légalité au fond qui incombe au Tribunal doit être effectué, en ce qui concerne en particulier le contentieux des mesures restrictives, à l’aune non seulement des éléments figurant dans les exposés des motifs des actes litigieux, mais également de ceux que le Conseil fournit, en cas de contestation, au Tribunal pour établir le bien-fondé des faits allégués dans ces exposés (arrêt du 22 avril 2021, Conseil/PKK, C‑46/19 P, EU:C:2021:316, point 64).
31 Dans le cadre du contrôle de légalité du bien-fondé des actes imposant des mesures restrictives, le Tribunal peut prendre en compte des preuves additionnelles qui ne figuraient pas dans le dossier de preuve et qui sont produites aux fins de confirmer le bien-fondé des faits allégués dans les motifs d’inscription, dès lors, d’une part, que ces preuves corroborent des éléments dont le Conseil disposait et, d’autre part, que lesdites preuves se rapportent à des faits antérieurs à l’adoption des actes attaqués en cause.
32 En l’espèce, il convient de constater que le Conseil a déposé des articles de presse, à savoir les annexes B.1 à B.7 au mémoire en défense, en tant qu’éléments de contexte.
33 Or, s’il est vrai que, pour les annexes au mémoire en défense, lesquelles sont antérieures à la date d’adoption des actes initiaux, le Conseil ne fait pas valoir qu’il aurait disposé de ces éléments lors de l’adoption desdits actes, il y a lieu de relever que, en l’espèce, le Conseil a produit les annexes B.1 à B.7 du mémoire en défense afin de corroborer des éléments figurant dans les premiers dossiers WK.
34 Partant, les annexes B.1 à B.7 peuvent être prises en compte par le Tribunal pour contrôler le bien-fondé des actes attaqués.
Sur le fond
35 Le requérant invoque un moyen unique au soutien de son recours. Il soutient que, dans les actes attaqués, le Conseil a commis une erreur manifeste d’appréciation en ce qu’il a conclu que les conditions prévues par le critère de désignation étaient remplies.
36 Le requérant fait valoir que les motifs de son inscription sur les listes litigieuses sont matériellement inexacts et que le Conseil ne dispose pas d’une base suffisamment solide pour justifier l’adoption desdits actes. Selon lui, les éléments sur lesquels le Conseil a fondé sa décision sont des affirmations, allégations et opinions historiques non vérifiées provenant de médias dont il conteste la fiabilité.
37 Le Conseil conteste le bien-fondé de ce moyen.
Considérations liminaires
38 À titre liminaire, il importe de relever que le présent moyen doit être considéré comme tiré d’une erreur d’appréciation, et non d’une erreur manifeste d’appréciation. En effet, s’il est, certes, vrai que le Conseil dispose d’un certain pouvoir d’appréciation pour déterminer au cas par cas si les critères juridiques sur lesquels se fondent les mesures restrictives en cause sont remplis, il n’en reste pas moins que les juridictions de l’Union doivent assurer un contrôle, en principe complet, de la légalité de l’ensemble des actes de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 1er juin 2022, Prigozhin/Conseil, T‑723/20, non publié, EU:T:2022:317, point 70 et jurisprudence citée).
39 Il convient ensuite de rappeler que l’effectivité du contrôle juridictionnel garanti par l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union exige, notamment, que le juge de l’Union s’assure que la décision par laquelle des mesures restrictives ont été adoptées ou maintenues, qui revêt une portée individuelle pour la personne ou l’entité concernée, repose sur une base factuelle suffisamment solide. Cela implique une vérification des faits allégués dans l’exposé des motifs qui sous-tend ladite décision, de sorte que le contrôle juridictionnel ne soit pas limité à l’appréciation de la vraisemblance abstraite des motifs invoqués, mais porte sur le point de savoir si ces motifs, ou, à tout le moins, l’un d’eux considéré comme suffisant en soi pour soutenir cette même décision, sont étayés (arrêts du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 119, et du 5 novembre 2014, Mayaleh/Conseil, T‑307/12 et T‑408/13, EU:T:2014:926, point 128).
40 Une telle appréciation doit être effectuée en examinant les éléments de preuve et d’information non de manière isolée, mais dans le contexte dans lequel ils s’insèrent. En effet, le Conseil satisfait à la charge de la preuve qui lui incombe s’il fait état devant le juge de l’Union d’un faisceau d’indices suffisamment concrets, précis et concordants permettant d’établir l’existence d’un lien suffisant entre l’entité sujette à une mesure de gel de ses fonds et le régime ou, en général, les situations combattues (voir arrêt du 20 juillet 2017, Badica et Kardiam/Conseil, T‑619/15, EU:T:2017:532, point 99 et jurisprudence citée).
41 C’est à l’autorité compétente de l’Union qu’il appartient, en cas de contestation, d’établir le bien-fondé des motifs retenus à l’encontre de la personne concernée, et non à cette dernière d’apporter la preuve négative de l’absence de bien-fondé desdits motifs. Il importe toutefois que les informations ou les éléments produits étayent les motifs retenus à l’encontre de la personne concernée (arrêts du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, points 121 et 122, et du 3 juillet 2014, National Iranian Tanker Company/Conseil, T‑565/12, EU:T:2014:608, point 57).
42 Il y a lieu, en outre, de relever que le Conseil peut tenir compte, pour apprécier si une personne satisfait à un critère d’inscription tel que le critère prévu à l’article 2, paragraphe 1, sous a), de la décision 2014/145 modifiée [ci-après le « critère a) »], d’informations ou d’éléments de preuve se rapportant à des circonstances antérieures à la date d’adoption de l’acte imposant ou maintenant des mesures restrictives, pour autant que ces informations ou éléments étayent les motifs soutenant cet acte et contribuent à établir que, malgré l’écoulement du temps et compte tenu de l’ensemble des circonstances pertinentes propres à chaque cas, la personne concernée satisfait au critère d’inscription en cause (voir, par analogie, arrêt du 20 juin 2019, K.P., C‑458/15, EU:C:2019:522, point 57). Il ne saurait notamment être exclu que de tels informations et éléments de preuve puissent être pris en compte pour établir, au regard du critère d’inscription concerné, une continuité entre, d’une part, la situation antérieure de la personne concernée et, d’autre part, sa situation actuelle.
43 Par ailleurs, il importe de rappeler que les mesures restrictives ont une nature conservatoire et, par définition, provisoire, dont la validité est toujours subordonnée à la perpétuation des circonstances de fait et de droit ayant présidé à leur adoption ainsi qu’à la nécessité de leur maintien en vue de la réalisation de l’objectif qui leur est associé. C’est ainsi qu’il incombe au Conseil, lors du réexamen périodique de ces mesures restrictives, de procéder à une appréciation actualisée de la situation et d’établir un bilan de l’impact de telles mesures, en vue de déterminer si elles ont permis d’atteindre les objectifs visés par l’inscription initiale des noms des personnes et des entités concernées sur la liste en cause ou s’il est toujours possible de tirer la même conclusion concernant lesdites personnes et entités (voir arrêt du 27 avril 2022, Ilunga Luyoyo/Conseil, T‑108/21, EU:T:2022:253, point 55 et jurisprudence citée ; arrêt du 26 octobre 2022, Ovsyannikov/Conseil, T‑714/20, non publié, EU:T:2022:674, point 67).
44 Pour justifier le maintien du nom d’une personne sur la liste en cause, il n’est pas interdit au Conseil de se fonder sur les mêmes éléments de preuve ayant justifié l’inscription initiale, la réinscription ou le maintien précédent du nom de la personne concernée sur ladite liste, pour autant que, d’une part, les motifs d’inscription demeurent inchangés et, d’autre part, le contexte n’a pas évolué d’une manière telle que ces éléments de preuve seraient devenus obsolètes (arrêt du 23 septembre 2020, Kaddour/Conseil, T‑510/18, EU:T:2020:436, point 99). Ledit contexte inclut non seulement la situation du pays à l’égard duquel le système de mesures restrictives a été établi, mais également la situation particulière de la personne concernée [voir arrêt du 9 juin 2021, Borborudi/Conseil, T‑580/19, EU:T:2021:330, point 60 (non publié) et jurisprudence citée ; arrêt du 26 octobre 2022, Ovsyannikov/Conseil, T‑714/20, non publié, EU:T:2022:674, point 78].
45 C’est à la lumière de ces considérations qu’il convient d’examiner le présent moyen.
Sur les éléments de preuve produits par le Conseil
46 En l’espèce, pour justifier l’inscription du nom du requérant sur les listes litigieuses, le Conseil a fourni les documents contenus dans les premiers dossiers WK, qui comprend les éléments suivants :
– un article de presse publié en février 2022 sur le site Internet d’Unian (pièce no 1) ;
– une déclaration du requérant reprise dans un document du secrétariat général de Nations Unies de mars 2014 (pièce no 2) ;
– un article de presse publié en janvier 2018 sur le site Internet de NV (pièce no 3) ;
– un article de presse publié en mars 2016 sur le site Internet de Tass (pièce no 4) ;
– un article de presse publié en janvier 2019 sur le site Internet de The New York Times (pièce no 5) ;
– un article de presse publié en juin 2020 sur le site Internet d’Unian (pièce no 6) ;
– un extrait d’une page du site Internet du Procureur général de l’Ukraine publiée en 2020 (pièce no 7) ;
– un article de presse publié en septembre 2020 sur le site Internet de Novaya Gazeta (pièce no 8) ;
– un article de presse publié en novembre 2020 sur le site Internet de ForPost (pièce no 9) ;
– un article de presse publié en juillet 2020 sur le site Internet de Novaya Gazeta (pièce no 10) ;
– un article de presse publié en décembre 2021 sur le site Internet de Gordon (pièce no 11) ;
– un autre article de presse publié en décembre 2021 sur le site Internet de Gordon (pièce no 12) ;
– un article de presse publié en décembre 2021 sur le site Internet de The Guardian (pièce n °13) ;
– un article de presse publié en janvier 2020 sur le site Internet de Radio Svoboda (pièce no 14) ;
– un article de presse publié en août 2021 sur le site Internet de Vedomosti (pièce no 15) ;
– un article de presse publié en mars 2022 sur le site Internet de KP.UA (pièce no 16) ;
– un autre article de presse publié en mars 2022 sur le site Internet de KP.UA (pièce no 17) ;
– un article de presse publié en mars 2020 sur le site Internet de Pravda (pièce no 18) ;
– un article de presse publié en mars 2022 sur le site Internet de Obozrevatel (pièce no 19) ;
– un article de presse publié en mars 2022 sur le site Internet de Fortune (pièce no 20) ;
– un article de presse publié en mars 2022 sur le site Internet de RBC (pièce no 21) ;
– un autre article de presse publié en mars 2022 sur le site Internet de RBC (pièce no 22) ;
– un article de presse publié en janvier 2022 sur le site Internet de RBC de (pièce no 23) ;
– un article de presse publié en août 2021 sur le site Internet de RBC (pièce no 24) ;
– un article de presse publié en mars 2022 sur le site Internet de Telesur (pièce no 25) ;
– un article de presse publié en mars 2022 sur le site Internet de R.Republicworld.com (pièce no 26) ;
– un article de presse publié en mars 2022 sur le site Internet de RBC (pièce no 27) ;
– un article de presse publié en mars 2022 sur le site Internet de Pravda (pièce no 28).
47 Pour justifier l’adoption des actes de maintien de septembre 2022, le Conseil s’est fondé sur les mêmes éléments de preuve que ceux figurant dans les premiers dossiers WK.
48 Pour justifier l’adoption des actes de maintien de mars 2023, le Conseil s’est fondé sur le deuxième dossier WK, qui comprend les éléments suivants :
– un article de presse publié en novembre 2022 sur le site Internet de Gazeta.ru (pièce no 1) ;
– un article de presse publié en novembre 2022 sur le site Internet de Ria Novosti (pièce no 2) ;
– un article de presse publié en novembre 2022 sur le site Internet d’Yur-gazeta.ru (pièce no 3) ;
– un article de presse publié en novembre 2022 sur le site Internet de The Odessa Journal (pièce no 4) ;
– un article de presse publié en novembre 2022 sur le site Internet de Republic World (pièce no 5) ;
– un article de presse publié en novembre 2022 sur le site Internet de Belsat (pièce no 6) ;
– un article de presse publié en novembre 2022 sur le site Internet de The Washington Post (pièce no 7) ;
– un article de presse publié en novembre 2022 sur le site Internet de Politeka (pièce no 8) ;
– un article de presse publié en novembre 2022 sur le site Internet de Pravda de novembre 2022 (pièce no 9).
49 Pour justifier l’adoption des actes de maintien de septembre 2023, le Conseil a tenu compte du troisième dossier WK, qui contient un article de presse publié en décembre 2022 sur le site Internet d’Unian.
50 Pour l’adoption des actes de maintien de mars 2024, le Conseil s’est fondé sur le quatrième dossier WK, qui contient un communiqué de presse du bureau national d’enquête ukrainien du 15 septembre 2023, ainsi qu’un article publié en septembre 2023 sur le site Internet du Kyiv Post.
Sur la fiabilité et la crédibilité des éléments de preuve
51 Le requérant remet en cause, en substance, la fiabilité et la pertinence des sources utilisées par le Conseil pour fonder l’inscription et le maintien de son nom sur les listes litigieuses.
52 Le Conseil conteste les arguments du requérant.
53 À cet égard, il y a lieu de rappeler que, conformément à une jurisprudence constante, l’activité du juge de l’Union est régie par le principe de libre appréciation des preuves et le seul critère pour apprécier la valeur des preuves produites réside dans leur crédibilité. Pour apprécier la valeur probante d’un document, il faut vérifier la vraisemblance de l’information qui y est contenue en tenant compte, notamment, de l’origine du document, des circonstances de son élaboration ainsi que de son destinataire et se demander si, d’après son contenu, il semble sensé et fiable [voir arrêts du 31 mai 2018, Kaddour/Conseil, T‑461/16, EU:T:2018:316, point 107 et jurisprudence citée, et du 12 février 2020, Amisi Kumba/Conseil, T‑163/18, EU:T:2020:57, point 95 (non publié) et jurisprudence citée].
54 En l’absence de pouvoirs d’enquête dans des pays tiers, l’appréciation des autorités de l’Union doit, de fait, se fonder sur des sources d’information accessibles au public, des rapports, des articles de presse, des rapports des services secrets ou d’autres sources d’information similaires (arrêts du 14 mars 2018, Kim e.a./Conseil et Commission, T‑533/15 et T‑264/16, EU:T:2018:138, point 107, et du 1er juin 2022, Prigozhin/Conseil, T‑723/20, non publié, EU:T:2022:317, point 59).
55 En outre, il importe de relever que la situation de conflit dans lequel la Fédération de Russie et l’Ukraine sont impliquées rend en pratique particulièrement difficile l’accès à certaines sources, l’indication expresse de la source primaire de certaines informations ainsi que l’éventuel recueil de témoignages de la part de personnes acceptant d’être identifiées. Les difficultés d’investigation qui s’ensuivent peuvent ainsi contribuer à faire obstacle à ce que des preuves précises et des éléments d’information objectifs soient apportés (voir, en ce sens, arrêt du 15 novembre 2023, OT/Conseil, T‑193/22, EU:T:2023:716, point 116).
56 En l’espèce, le requérant ne saurait contester la fiabilité et la crédibilité des pièces qui composent les dossiers WK en se limitant à soutenir, de manière abstraite, qu’ils sont majoritairement constitués d’articles de presse. En effet, compte tenu de la situation mentionnée au point 55 ci-dessus, il ne saurait être fait grief au Conseil de se fonder principalement sur des articles de presse.
57 S’agissant des arguments soulevés par le requérant à l’égard d’informations contenues dans certaines pièces des dossiers WK au motif qu’elles seraient dénuées de pertinence ou incorrectes, il convient de relever que ces arguments ne sont pas de nature à remettre en cause la force probante desdites pièces. En effet, de tels arguments relèvent de l’examen du caractère suffisant de la base factuelle du Conseil pour justifier l’inscription et le maintien du nom du requérant sur les listes litigieuses.
58 Eu égard à ce qui précède, compte tenu du contexte de guerre et en l’absence de pouvoirs d’enquête du Conseil dans les pays tiers (voir point 54 ci-dessus), et en l’absence d’autres arguments soulevés par le requérant susceptibles de remettre en cause la fiabilité et la crédibilité des sources utilisées par le Conseil, il y a lieu de leur reconnaître un caractère sensé et fiable, au sens de la jurisprudence rappelée au point 53 ci-dessus.
Sur l’application au requérant du critère a)
– Sur les actes initiaux
59 En l’absence de mention explicite, dans les actes attaqués, des dispositions juridiques ayant servi de fondement à l’inscription du nom du requérant sur les listes litigieuses, il y a lieu de relever que le nom du requérant a été inscrit sur les listes litigieuses sur le fondement du critère a). En effet, il ressort des motifs des actes initiaux le concernant, mentionnés au point 13 ci-dessus, que le Conseil l’a considéré comme étant responsable de soutenir ou de mettre en œuvre des actions ou des politiques menaçant l’intégralité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine, ainsi que la stabilité et la sécurité de cet État.
60 À cet égard, il convient de rappeler que ce critère lié, notamment, au soutien ou à la mise en œuvre d’actions ou de politiques compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine ou la stabilité ou la sécurité en Ukraine implique que soit établie l’existence d’un lien, direct ou indirect, entre les activités ou les actions de la personne ou de l’entité visée et la situation en Ukraine à l’origine de l’adoption des mesures restrictives en cause. Autrement dit, ces personnes doivent, par leur comportement, s’être rendues responsables d’actions ou de politiques qui compromettent ou menacent l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine ou de soutenir lesdites actions ou politiques.
61 Le requérant fait valoir, en substance, que les éléments sur lesquels le Conseil s’appuie ne permettent pas de démontrer à suffisance de droit que les conditions prévues par le critère a) sont remplies. En particulier, l’argumentation du requérant vise à contester spécifiquement chacune des constatations factuelles figurant dans l’exposé des motifs.
62 Il y a donc lieu d’examiner si le Conseil disposait d’un faisceau d’indices suffisamment concrets, précis et concordants pour justifier l’inscription du nom du requérant sur les listes litigieuses sur le fondement du critère a). À cet égard, il convient d’examiner d’abord les motifs selon lesquels, en premier lieu, le requérant aurait contribué à l’ingérence militaire russe en Ukraine en appelant le président de la Fédération de Russie à envoyer des troupes russes en Ukraine en mars 2014, en deuxième lieu, il aurait soutenu des responsables politiques pro-russes qui exerçaient des fonctions publiques en Crimée occupée, en troisième lieu, il aurait volontairement réduit la capacité de défense de l’Ukraine, en particulier dans la République autonome de Crimée et, en quatrième lieu, il aurait participé à une opération russe visant à remplacer le président ukrainien.
– Sur le constat selon lequel le requérant aurait contribué à l’ingérence militaire russe en Ukraine en appelant le président de la Fédération de Russie à envoyer des troupes russes en Ukraine en mars 2014
63 En premier lieu, le requérant fait valoir que la Russie avait déjà une présence militaire en Crimée avant 2014 et que cette présence avait augmenté au début de l’année 2014 non pas à la suite d’une demande de sa part, mais en réponse à une demande des autorités locales de Crimée. En deuxième lieu, il soutient que la lettre du 1er mars 2014 qu’il a adressée au président Poutine (voir pièces nos 1 et 2 des premiers dossiers WK) ne demandait qu’une assistance de courte durée au président de la Fédération de Russie et non l’envoi de troupes russes. En troisième lieu, il indique avoir également demandé dans des termes similaires l’assistance d’autres pays, à savoir la France, l’Allemagne et la Pologne.
64 Le Conseil conteste les arguments du requérant.
65 En l’espèce, en premier lieu, le requérant ne conteste pas avoir adressé une lettre au président de la Fédération de Russie le 1er mars 2014. Le contenu de cette lettre est le suivant :
« Les événements survenus sur la place Maïdan et la prise illégale du pouvoir à Kiev ont conduit l’Ukraine au bord de la guerre civile. Le chaos et l’anarchie règnent dans le pays, et la vie, la sécurité et les droits de l’homme des citoyens sont menacés, en particulier dans le sud-est et en Crimée. Sous l’influence des pays occidentaux, des actes de terreur et de violence sont perpétrés ouvertement et des personnes sont persécutées pour des raisons politiques et linguistiques.
J’appelle donc le président de la Russie, V. Poutine, à utiliser les forces armées de la Fédération de Russie pour rétablir la loi et l’ordre, la paix et la stabilité et pour protéger le peuple ukrainien. »
66 Il convient de relever qu’il ressort sans équivoque de la lettre du requérant que, à la suite des évènements ayant conduit à sa destitution de ses fonctions de président de l’Ukraine, il avait sollicité l’intervention militaire de la Fédération de Russie afin de faire cesser des troubles à l’ordre public qu’il imputait à des pays occidentaux. Or, il y a lieu de considérer qu’une telle demande d’intervention militaire de la Fédération de Russie en Ukraine constituait de manière évidente une action de nature à contribuer à la déstabilisation de l’Ukraine.
67 En deuxième lieu, il y a lieu de relever, que, même en admettant, comme le soutient le requérant, que l’intervention militaire de la Fédération de Russie en Crimée soit antérieure à son invitation, il n’en reste pas moins que sa lettre pouvait être comprise comme une demande visant à intensifier l’intervention militaire de la Fédération de Russie ou, à tout le moins, confirmait le soutien du requérant à ladite intervention militaire.
68 En troisième lieu, ainsi que le souligne le Conseil, la formulation utilisée dans les lettres adressées à la France, à l’Allemagne et à la Pologne n’est pas exactement la même que celle utilisée dans la lettre adressée par le requérant au président Poutine. En effet, il convient de relever que, dans les lettres adressées à la France, à l’Allemagne et à la Pologne, il est indiqué ce qui suit : « J’estime que, en tant que garant de l’accord, vous devriez disposer de votre influence et des possibilités de rétablir l’ordre constitutionnel, en allant jusqu’à envisager de dépêcher une mission militaire ou de police de maintien de la paix pour assurer le respect de l’état de droit, l’ordre public, et la protection des citoyens ukrainiens contre les abus de pouvoir, la violence, le règne ouvert de la terreur et les persécutions politiques ». Or, il convient de constater que, si, dans ces dernières lettres, le recours à une mission militaire ou de police de maintien de la paix figure parmi les options envisagées, dans la lettre adressée par le requérant au président Poutine la demande d’une intervention militaire de la Fédération de Russie en Ukraine ne prévoit pas d’alternatives.
69 Dans ces conditions, les arguments du requérant tendant à remettre en cause le constat selon lequel il avait demandé une intervention militaire de la Fédération de Russie doivent être écartés.
– Sur le constat selon lequel le requérant aurait soutenu des responsables politiques pro-russes qui exerçaient des fonctions publiques en Crimée occupée
70 Le requérant soutient qu’il n’avait pas consenti à ce qu’un certain homme politique exerce des responsabilités politiques en Crimée. Il conteste la déclaration de celui-ci selon laquelle il avait approuvé sa candidature à la présidence du conseil des ministres de la « République autonome » de Crimée et affirme que cette déclaration n’est pas crédible étant donné qu’il avait quitté l’Ukraine avant l’approbation de la candidature dudit homme politique. Il reproche également au Conseil de ne pas avoir vérifié la véracité de la déclaration de l’homme politique en cause.
71 Le Conseil conteste les arguments du requérant.
72 À cet égard, il convient de relever que, selon les informations figurant dans la pièce no 4 des premiers dossiers WK, le 27 février 2014, le requérant avait approuvé la candidature d’un certain homme politique à la présidence du conseil des ministres de la « République autonome » de Crimée. Il s’agit d’un article du site Internet de Tass de mars 2016, qui indique, en outre, qu’un décret du président Poutine d’avril 2014 l’avait nommé chef par intérim de la République de Crimée. Or, il suffit de constater que le requérant se limite à démentir le contenu de cet article sans étayer aucunement son point de vue. Par ailleurs, il y a lieu de relever que les pièces B.4 et B.5, annexées au mémoire en défense du Conseil, corroborent le contenu de la pièce no 4 des premiers dossiers WK.
73 En outre, pour ce qui est de l’allégation du requérant selon laquelle il ne lui était pas possible de donner son consentement à la candidature de cet homme politique le 27 février 2014 au motif qu’il avait quitté l’Ukraine le 24 février 2014, il suffit de relever, à l’instar du Conseil, que le requérant n’a pas démontré l’impossibilité de donner son consentement en dehors de l’Ukraine.
74 Dans ces circonstances, les arguments du requérant tendant à remettre en cause le constat du Conseil selon lequel il a soutenu des responsables politiques pro russe doivent être rejetés.
– Sur le constat selon lequel le requérant aurait volontairement réduit la capacité de défense de l’Ukraine, en particulier dans la République autonome de Crimée
75 Le requérant soutient que le contenu des deux articles qui indiquent qu’il avait organisé une réduction ciblée des capacités de défense de l’Ukraine serait erroné et que le Conseil aurait dû vérifier la crédibilité de ces accusations qui sont motivées par des considérations politiques.
76 Le Conseil conteste les arguments du requérant.
77 À cet égard, il y a lieu de constater que, pour étayer le constat selon lequel le requérant et deux de ses anciens ministres de la défense avaient volontairement réduit la capacité de défense de l’Ukraine, plus particulièrement dans la « République autonome » de Crimée, le Conseil s’est fondé sur les pièces nos 6 et 7 des premiers dossiers WK, à savoir deux sources médiatiques différentes dont le requérant n’a pas démontré qu’il ne s’agirait pas de sources fiables. Il ressort de ces pièces qu’une enquête menée par le service d’enquête principal du bureau national d’enquête ukrainien avait mis en évidence que le requérant, conjointement avec deux anciens ministres de la défense, avait organisé une réduction ciblée des capacités de défense de l’Ukraine, par exemple en éliminant des unités militaires, en les réduisant et en changeant leur emplacement, au cours de la période allant de 2012 à 2014. Selon ladite enquête, de telles actions ont été menées en particulier en République autonome de Crimée, ce qui a ensuite facilité son annexion par la Fédération de Russie.
78 Le requérant ne conteste pas l’existence de cette enquête, mais fait valoir que le Conseil aurait dû s’assurer que ses droits de la défense et son droit à une protection juridictionnelle effective ont été respectés par les autorités ukrainiennes dans le cadre de ladite enquête. Toutefois, il y a lieu de relever que le requérant ne saurait se prévaloir à cet égard des motifs de l’arrêt du 30 mars 2022, Yanukovych/Conseil (T‑291/20, non publié, EU:T:2022:187), étant donné que cet arrêt concernait un autre critère de désignation, à savoir celui visant notamment les personnes ayant été identifiées comme étant responsables de détournement de fonds appartenant à l’État ukrainien et aux personnes responsables de violations des droits de l’homme en Ukraine, prévu à l’article 1er de la décision (PESC) 2014/119 du Conseil, du 5 mars 2014, concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes au regard de la situation en Ukraine (JO 2014, L 66, p. 26), sur la base duquel le nom du requérant avait été inscrit sur la liste des personnes visées par des mesures restrictives annexée à ladite décision.
79 En revanche, dans la présente affaire, le nom du requérant a été inscrit sur les listes litigieuses sur le fondement du critère a) en ce qu’il a été considéré comme étant responsable de soutenir ou de mettre en œuvre des actions ou des politiques menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine, ainsi que la sécurité et la stabilité de cet État. Force est de constater que l’enquête du bureau national d’enquête ukrainien établissant que le requérant avait volontairement réduit la capacité de défense de l’Ukraine constitue un élément de preuve pertinent pour justifier l’adoption de mesures restrictives à son encontre sur le fondement du critère a).
80 Par conséquent, les arguments du requérant tendant à remettre en cause le constat du Conseil selon lequel selon lequel il avait volontairement réduit la capacité de défense de l’Ukraine, en particulier dans la République autonome de Crimée, doivent être rejetés.
– Sur le constat selon lequel le requérant aurait participé à une opération russe visant à remplacer le président ukrainien
81 Le requérant conteste avoir été impliqué dans une opération spéciale russe visant à ce qu’il remplace le président ukrainien Zelensky. Selon le requérant, les éléments produits par le Conseil sont incohérents. En outre, il se prévaut d’une déclaration de l’ancien secrétaire du Conseil national de sécurité et de défense de l’Ukraine selon laquelle il n’était pas impliqué dans cette opération visant au remplacement du président ukrainien.
82 Le Conseil conteste les arguments du requérant.
83 En l’espèce, il convient de constater que plusieurs articles de presse indiquent que, selon des informations provenant des services de renseignement ukrainiens, le requérant se trouvait à Minsk (Biélorussie) au début du mois de mars 2022 et que les autorités russes envisageaient de le placer à la fonction de président de l’Ukraine (pièces nos 16 à 20, 27 et 28 des premiers dossiers WK). Il s’ensuit que le Conseil disposait de plusieurs sources d’information concordantes pour étayer le constat repris dans les motifs d’inscription.
84 S’agissant de l’argument selon lequel les informations contenues dans les articles de presse sur lesquels le Conseil s’est fondé ne provenaient que d’une seule source, outre les considérations déjà effectuées aux points 53 à 58 ci-dessus, il y a lieu de relever qu’il s’agit des services de renseignement ukrainien. Or, il ne saurait être exigé que les informations émanant de services de renseignement d’un pays proviennent également d’autres sources afin de pouvoir être considérées comme étant crédibles.
85 En outre, en ce qui concerne les prétendues incohérences entre les pièces quant à la date précise à laquelle le requérant se trouvait à Minsk, il y a lieu de relever que, selon la pièce no 28 des premiers dossiers WK, le requérant se trouvait à Minsk le 2 mars 2022 et qu’il ressort de la même pièce que l’avion du requérant a effectué un vol entre Moscou et Minsk le 7 mars 2022. Or, contrairement à ce que soutient le requérant, ces deux affirmations ne sont pas incompatibles, en ce qu’il est tout à fait possible que le requérant se soit rendu à Minsk par d’autres moyens et que son avion soit arrivé dans la ville de Minsk seulement après la date du 2 mars 2022. Par conséquent, une incohérence entre les pièces ne peut être constatée à cet égard. En tout état de cause, à supposer même que la date précise à laquelle le requérant se trouvait à Minsk ne soit pas exacte, toutes les pièces pertinentes indiquent que le requérant était à Minsk au début du mois de mars 2022 dans la perspective d’être placé par les autorités russes à la présidence de l’Ukraine.
86 En ce qui concerne la déclaration de l’ancien secrétaire du Conseil national de sécurité et de défense de l’Ukraine, selon laquelle le requérant ne ferait pas partie des candidats envisagés par le Kremlin pour exercer la fonction présidentielle en Ukraine, il convient de de l’Ukraine, il convient de relever, à l’instar du Conseil, que cette déclaration ne remet pas en cause le fait que les services de renseignement ukrainiens avaient découvert que le requérant se trouvait à Minsk au début du mois de mars 2022 pour discuter de la possibilité de redevenir président de l’Ukraine. Il y a lieu de constater que la déclaration dont se prévaut le requérant a été faite le 14 avril 2022 et celui-ci ne démontre pas que cette déclaration concernerait l’opération à laquelle il avait pris part au début du mois de mars 2022, visant le remplacement du président de l’Ukraine en exercice.
87 En outre, il convient de constater, à l’instar du Conseil, que le requérant ne fournit aucun autre élément de preuve démontrant que les informations rapportées par les nombreuses sources de médias relatives à son implication dans un projet visant à ce qu’il remplace le président ukrainien au début du mois de mars 2022 seraient inexactes. Les arguments du requérant ne sauraient donc prospérer.
88 Par ailleurs, il convient de relever que les déclarations du président de la Tchétchénie, M. Ramzan Kadyrov, demandant au président ukrainien Zelensky de faire tout ce que la Russie lui demande et de transférer ses pouvoirs au requérant corroborent la thèse selon laquelle il y avait une opération russe impliquant le requérant visant le remplacement du président ukrainien en exercice.
89 À cet égard, le requérant fait valoir que les déclarations de M. Kadyrov reflètent uniquement le point de vue personnel de ce dernier et ne justifient pas l’adoption de mesures restrictives à son encontre. En effet, il estime que le Conseil ne saurait considérer M. Kadyrov comme étant un témoin fiable eu égard aux éléments figurant dans son dossier.
90 En l’espèce, il convient de constater que les pièces nos 21 et 22 des premiers dossiers WK indiquent que le président de la Tchétchénie Kadyrov s’est adressé au président ukrainien Zelensky pour lui demander de faire tout ce que la Russie lui demande et de transférer ses pouvoirs au requérant. Certes, les déclarations de M. Kadyrov ne peuvent à elles seules fonder des mesures restrictives à l’encontre du requérant. Toutefois, étant donné que, ainsi qu’il ressort de ces déclarations, le requérant était soutenu par un dirigeant politique approuvant les actions du président de la Fédération de Russie, le Conseil pouvait à juste titre considérer que ces déclarations constituaient des éléments supplémentaires de nature à démontrer que le requérant soutient des actions et politiques qui compromettent ou menacent l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine, ou la stabilité ou la sécurité en Ukraine.
91 Dans ces conditions, il convient de rejeter les arguments du requérant.
92 À la lumière de ce qui précède, il y a lieu de considérer que, eu égard à la gravité particulière des actions du requérant au cours de la période allant de 2012 à 2014, à savoir la demande d’une intervention militaire de la Russie en Ukraine, le soutien à des responsables politiques pro-russes exerçant des fonctions publiques en Crimée, et la réduction volontaire de la capacité de défense de l’Ukraine, lesquelles ont contribué de manière évidente à la déstabilisation de l’Ukraine, ainsi que son implication plus récente dans un projet des autorités russes visant au remplacement du président ukrainien en exercice au début du mois de mars 2022, démontrant également une continuité entre la situation antérieure du requérant et sa situation au moment de l’inscription de son nom sur les listes litigeuses, le Conseil pouvait, sans commettre d’erreur d’appréciation, inscrire le nom du requérant sur les listes litigieuses au titre du critère a).
93 Or, selon la jurisprudence, s’agissant du contrôle de la légalité d’une décision adoptant des mesures restrictives, et eu égard à leur nature préventive, si le juge de l’Union considère que, à tout le moins, l’un des motifs mentionnés est suffisamment précis et concret, qu’il est étayé et qu’il constitue en soi une base suffisante pour soutenir cette décision, la circonstance que d’autres de ces motifs ne le seraient pas ne saurait justifier l’annulation de ladite décision (voir arrêt du 28 novembre 2013, Conseil/Manufacturing Support & Procurement Kala Naft, C‑348/12 P, EU:C:2013:776, point 72 et jurisprudence citée).
94 Il s’ensuit que les arguments du requérant visant à remettre en cause les autres constatations factuelles figurant dans l’exposé des motifs sont inopérants, en ce que les constatations du Conseil examinées aux points 63 à 91 ci-dessus sont suffisantes pour justifier l’inscription du nom du requérant sur les listes litigieuses au titre du critère a).
Sur les actes de maintien
95 À titre liminaire, il y a lieu de constater que les motifs sous-tendant les actes de maintien de septembre 2022 et de mars 2023 sont les mêmes que ceux sous-tendant les actes initiaux. En revanche, un paragraphe a été ajouté dans les motifs figurant dans les actes de maintien de septembre 2023, relatif à la signature par le requérant d’un accord en 2010 entre l’Ukraine et la Fédération de Russie (ci-après l’« accord de 2010 ») qui prolongeait le mandat de la flotte de la mer Noire de la Fédération de Russie à Sébastopol jusqu’en 2042. Par ailleurs, un autre paragraphe a également été ajouté dans les motifs figurant dans les actes de maintien de mars 2024, relatif à un acte d’accusation émis par le bureau national d’enquête ukrainien à l’encontre du requérant, l’accusant de trahison et d’aider la Russie à mener des activités subversives en Ukraine.
96 En outre, pour justifier le maintien du nom du requérant sur les listes litigieuses par l’adoption des actes de maintien de septembre 2022, le Conseil s’est fondé sur les mêmes éléments de preuve que ceux ayant justifié l’adoption des actes initiaux, à savoir ceux figurant dans les premiers dossiers WK (voir point 46 ci-dessus). S’agissant des actes de maintien de mars 2023, le Conseil s’est fondé sur neuf éléments de preuve supplémentaires, consistant en des articles de presse figurant dans le deuxième dossier WK (voir point 48 ci-dessus). S’agissant des actes de maintien de septembre 2023, le Conseil s’est également fondé sur un élément de preuve supplémentaire, consistant en un article de presse figurant dans le troisième dossier WK (voir point 49 ci-dessus). S’agissant, enfin, des actes de maintien de mars 2024, le Conseil s’est également fondé sur deux éléments de preuve supplémentaires, consistant en un communiqué de presse du bureau national d’enquête ukrainien et un article de presse repris dans le quatrième dossier WK (voir point 50 ci-dessus).
97 Il convient, en application de la jurisprudence citée au point 44 ci-dessus, de vérifier si le contexte, les objectifs visés par les mesures restrictives et la situation individuelle du requérant permettaient de maintenir l’inscription de son nom sur le fondement du critère a).
98 Dans la première demande d’adaptation du requérant visant à étendre ses conclusions aux actes de maintien de septembre 2022, celui-ci soulève, en substance, deux arguments. Premièrement, il réitère l’argumentation selon laquelle les motifs d’inscription sont à la fois erronés et non étayés. En particulier, il considère que le Conseil s’est fondé à tort sur des informations provenant de médias sans en avoir vérifié la provenance, la véracité et la fiabilité. Deuxièmement, il prétend que le Conseil s’est fondé sur des éléments de preuve trop anciens et n’a pas procédé à une évaluation actualisée de la situation, contrairement à ce qui est prévu par la jurisprudence du Tribunal.
99 S’agissant de la deuxième demande d’adaptation visant les actes de maintien de mars 2023, le requérant invoque trois arguments. Premièrement, il prétend que le Conseil a commis une erreur d’appréciation en considérant que les conditions d’inscription sur les listes litigieuses sur le fondement du critère a) étaient remplies en mars 2023. Deuxièmement, il réitère son argumentation selon laquelle les motifs sous-tendant ces actes sont à la fois erronés et non étayés. En particulier, il considère que les éléments de preuve supplémentaires, à savoir des articles de presse, ne sont pas de nature à étayer le maintien de l’inscription de son nom sur le fondement du critère a) par les actes de maintien de mars 2023. Troisièmement, il soutient que le Conseil s’est fondé à tort sur des informations provenant de médias sans en vérifier la provenance, la véracité et la fiabilité.
100 S’agissant de la troisième demande d’adaptation visant les actes de maintien de septembre 2023, en ce qui concerne la constatation factuelle supplémentaire figurant dans les motifs de ces actes, relative à la signature de l’accord de 2010, en premier lieu, le requérant fait valoir que cet accord n’a fait que prolonger au-delà de 2017 la date d’expiration de trois accords bilatéraux existants signés par le Premier ministre ukrainien de l’époque, en 1997. Selon le requérant, l’accord de 2010 a maintenu les limites du nombre de militaires, de bateaux, de navires, d’armes et de matériels russes convenues précédemment. Il n’aurait pas augmenté ces limites, pas plus qu’il n’aurait prévu de « rééquipement » ou de « modernisation » des armements russes. De plus, le requérant indique que l’accord de 2010 a été ratifié par le Verkhovna Rada (Parlement) d’Ukraine en avril 2010. Il n’existerait, dès lors, aucun lien de causalité entre la prorogation qu’il a signée et l’affirmation du Conseil selon laquelle « des armes russes qui se trouvaient sur le territoire de l’Ukraine ont été utilisées aux fins de l’annexion de la “République autonome de Crimée” et de la ville de Sébastopol en 2014 ». Selon le requérant, ces armes russes auraient été présentes sur le territoire ukrainien, indépendamment de toute prorogation d’accords qu’il aurait conclus avec la Fédération de Russie.
101 En second lieu, le requérant soutient que la seule raison ayant motivé la conclusion de l’accord de 2010 était la volonté d’obtenir des avantages économiques pour l’Ukraine, notamment par la baisse des prix du gaz. Il indique que cette justification aurait été partagée par son rival politique, le président Porochenko. Le requérant considère que l’accord de 2010 prévoyait le versement de loyers annuels et un rabais sur les prix du gaz, ce qui laisserait entrevoir un avantage économique tangible pour l’Ukraine. Le requérant insiste, en outre, sur les circonstances économiques et énergétiques qui ont précédé l’accord de 2010, notamment le différend sur le gaz avec la Russie survenu en janvier 2009, qui aurait entraîné d’importantes réductions de l’approvisionnement et de graves répercussions économiques et humanitaires pour l’Ukraine et d’autres pays européens. Selon le requérant, les accords signés pour régler ce différend ne pouvaient être maintenus sur le long terme, ce qui aurait nécessité la renégociation urgente d’accords gaziers, d’où la conclusion de l’accord de 2010.
102 S’agissant de son quatrième mémoire en adaptation, le requérant réitère, en substance, les mêmes griefs que ceux déjà soulevés précédemment. En particulier, il soutient que le Conseil a commis une erreur d’appréciation en considérant que les conditions prévues par le critère d’inscription étaient remplies. En outre, les motifs figurant dans ces actes seraient erronés et non étayés par les éléments de preuve invoqués par le Conseil.
103 S’agissant du nouveau paragraphe ajouté dans les motifs figurant dans les actes de maintien de mars 2024 ainsi que des éléments de preuve supplémentaires concernant l’acte d’accusation émis à son encontre par le bureau national d’enquête ukrainien, l’accusant de trahison et d’aider la Russie à mener des activités subversives en Ukraine, le requérant soutient qu’ils ne sauraient étayer une quelconque décision d’inscription sur la liste, notamment parce qu’ils concernent la signature d’un accord il y a environ quatorze ans. Le requérant rappelle, en substance, ses arguments déjà avancés dans ses écritures et dans son troisième mémoire en adaptation concernant l’accord de 2010. Il ajoute que le Conseil n’a pas vérifié que ses droits de la défense et son droit à une protection juridictionnelle effective ont été respectés dans le cadre de la procédure visée par le nouveau paragraphe figurant dans l’exposé des motifs. Par ailleurs, selon lui, le bureau national d’enquête et le bureau du procureur général ukrainien n’ont pas examiné de manière appropriée la question de savoir s’il avait droit à l’immunité en vertu du droit ukrainien.
104 Le Conseil conteste les arguments du requérant.
105 Il résulte de l’article 6 de la décision 2014/145 que celle-ci fait l’objet d’un suivi constant et est prorogée, ou modifiée le cas échéant, si le Conseil estime que ses objectifs n’ont pas été atteints. L’article 14, paragraphe 4, du règlement no 269/2014 prévoit la révision à intervalles réguliers, et au moins tous les douze mois, de la liste figurant en annexe.
106 Il convient, en application de la jurisprudence citée au point 44 ci-dessus, de vérifier si le contexte, les objectifs visés par les mesures restrictives et la situation individuelle du requérant permettaient de maintenir son nom sur les listes litigieuses.
107 S’agissant du contexte général lié à la situation en Ukraine, force est de constater que, au moment de l’adoption des actes de maintien de septembre 2022, de mars 2023, de septembre 2023 et de mars 2024, ledit contexte en ce qui concerne les menaces à l’intégrité territoriale, à la souveraineté et à l’indépendance de cet État est resté inchangé depuis l’adoption des actes initiaux.
108 De même, au moment de l’adoption des actes de maintien de septembre 2022, de mars 2023, de septembre 2023 et de mars 2024, les mesures restrictives étaient toujours justifiées au regard de l’objectif poursuivi, à savoir d’exercer une pression maximale sur les autorités russes, afin que celles-ci mettent fin à leurs actions et politiques déstabilisant l’Ukraine ainsi qu’à l’agression militaire de ce pays, et d’accroître le coût des actions de la Fédération de Russie visant à compromettre l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine.
109 S’agissant de la situation individuelle du requérant, en premier lieu, il y a lieu de constater que celui-ci n’a pas démontré que sa situation individuelle aurait évoluée au moment de l’adoption des actes de maintien de septembre 2022, lesquels ont été adoptés seulement un mois après les actes initiaux, sur le fondement des mêmes motifs d’inscription que ceux sous-tendant les actes initiaux et des mêmes éléments de preuve que ceux figurant dans les premiers dossiers WK. Or, il convient de rappeler que c’est sans commettre d’erreur d’appréciation que le Conseil a inscrit le nom du requérant sur les listes litigieuses annexées aux actes initiaux au titre du critère a) (voir point 97 ci-dessus). Par conséquent, il convient d’écarter les arguments du requérant soulevés dans le premier mémoire en adaptation, lesquels sont, en substance, similaires à ceux visant à contester la légalité des actes initiaux.
110 En deuxième lieu, en ce qui concerne les arguments soulevés par le requérant dans le cadre du deuxième mémoire en adaptation, il convient de rappeler que le Conseil, pour justifier le maintien du nom du requérant par les actes de maintien de mars 2023, s’est fondé sur les neuf éléments de preuve supplémentaires mentionnés au point 48 ci-dessus.
111 En particulier, il y a lieu de constater que les pièces nos 6, 7 et 9 du deuxième dossier WK confirment les informations sur l’implication du requérant dans l’opération russe destinée à remplacer le gouvernement ukrainien. Cela est confirmé par une source du journal Washington Post, qui s’est fondée sur les résultats d’un examen de communications interceptées impliquant des agents du renseignement russe ainsi que sur des entretiens avec de hauts fonctionnaires ukrainiens, américains et européens. Selon ces éléments de preuve, le requérant faisait partie d’un groupe qui s’était réuni en Biélorussie au début du mois de mars 2022, afin de reprendre le pouvoir au moment où la ville de Kiev aurait été contrôlée par les forces russes.
112 Ainsi, les nouveaux éléments de preuves apportés par le Conseil confirment l’implication du requérant dans un projet visant à ce qu’il remplace, avec le soutien des autorités russes, le président de l’Ukraine en exercice au début du mois de mars 2022. Une telle action du requérant, compte tenu de sa particulière gravité pour la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine et qui témoigne de la persistance de sa proximité avec les autorités russes et la politique qu’elles mènent en Ukraine, justifiait, en l’absence de distanciation effective du requérant avec lesdites autorités, le maintien de son nom sur les listes litigieuses sur le fondement du critère a) lors de l’adoption des actes de maintien de mars 2023.
113 En troisième lieu, en ce qui concerne les arguments soulevés par le requérant dans le cadre des troisième et quatrième mémoires en adaptation, il convient de rappeler que le Conseil, pour justifier les actes de maintien de septembre 2023 et de mars 2024, a ajouté aux motifs d’inscription, respectivement, un paragraphe supplémentaire faisant référence à la signature par le requérant de l’accord de 2010 et un paragraphe concernant un acte d’accusation, émis en 2023 par le bureau national d’enquête ukrainien à l’encontre du requérant, l’accusant de trahison et d’aider la Russie à mener des activités subversives en Ukraine. Selon le Conseil, l’accord de 2010 a créé des conditions favorables au renforcement de la présence militaire de la Russie en Ukraine ainsi qu’au rééquipement et à la modernisation des armes de la flotte de la mer Noire sur le territoire de la Crimée.
114 Il y a lieu de relever que le maintien du nom du requérant sur les listes litigieuses décidé dans les actes de maintien de septembre 2023 et de mars 2024 ne repose pas de façon déterminante sur les paragraphes visés au point 113 ci-dessus, ajoutés dans la motivation de ces actes et sur les éléments de preuve supplémentaires qui concernent l’accord de 2010 et l’acte d’accusation émis par le bureau national d’enquête ukrainien à l’encontre du requérant.
115 Certes, comme le soutient le Conseil, l’accord de 2010 et l’acte d’accusation émis en 2023 par le bureau national d’enquête ukrainien témoignent de l’impact que, selon les autorités ukrainiennes, les actions que le requérant a menées lorsqu’il était au pouvoir ont sur la situation actuelle. Par conséquent, il s’agit d’éléments de preuve qui s’ajoutent à ceux sur lesquels le Conseil s’est fondé pour justifier le maintien du nom du requérant sur les listes litigieuses.
116 Toutefois, il y a lieu de relever que, dans le cadre les actes de maintien de septembre 2023 et de mars 2024, ce sont les motifs relatifs aux actions particulièrement graves commises par le requérant qui demeurent déterminants et suffisants pour justifier le maintien de son nom sur le listes litigieuses, à savoir, au cours de la période allant de 2012 à 2014, la demande d’une intervention militaire de la Russie en Ukraine, le soutien à des responsables politiques pro-russes exerçant des fonctions publiques en Crimée et la réduction volontaire de la capacité de défense de l’Ukraine, lesquels ont contribué de manière évidente à la déstabilisation de l’Ukraine, ainsi que son implication plus récente dans un projet visant au remplacement du président ukrainien en exercice au début du mois de mars 2022.
117 Eu égard à la gravité particulière desdites actions, lesquelles ont contribué à la déstabilisation de l’Ukraine, et en l’absence de prise de position du requérant visant à se distancier de manière effective des autorités russes et de la politique qu’elles mènent en Ukraine, le Conseil pouvait, au moment de l’adoption des actes de maintien de septembre 2023 et de mars 2024, justifier le maintien du nom du requérant sur les listes litigieuses par référence à ces seules actions.
118 Il s’ensuit que les arguments du requérant soulevés dans les troisième et quatrième mémoires en adaptation, visant à remettre en cause le bien-fondé des motifs relatifs à l’accord de 2010 et à l’acte d’accusation émis par le bureau national d’enquête ukrainien en 2023, doivent être écartés comme étant inopérants (voir, en ce sens, arrêt du 28 novembre 2013, Conseil/Manufacturing Support & Procurement Kala Naft, C‑348/12 P, EU:C:2013:776, point 72 et jurisprudence citée).
119 Partant, il convient d’écarter le moyen unique soulevé par le requérant.
120 Au vu de tout ce qui précède, il convient de rejeter le recours dans son intégralité.
Sur les dépens
121 Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.
122 En l’espèce, le requérant ayant succombé, il y a lieu de le condamner à supporter ses propres dépens ainsi que ceux exposés par le Conseil, conformément aux conclusions de ce dernier.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (première chambre)
déclare et arrête :
1) Le recours est rejeté.
2) M. Viktor Fedorovych Yanukovych supportera ses propres dépens ainsi que ceux exposés par le Conseil de l’Union européenne.
Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 10 septembre 2025.
Signatures