DOCUMENT DE TRAVAIL
ARRÊT DU TRIBUNAL (troisième chambre)
10 septembre 2025 (*)
« Marque de l’Union européenne – Procédure de déchéance – Marque de l’Union européenne verbale LOPEZ DE HEREDIA – Article 58, paragraphe 1, sous a), du règlement (UE) 2017/1001 – Usage sérieux de la marque – Nature et importance de l’usage – Preuve de l’usage sérieux »
Dans l’affaire T‑516/24,
Vintae Luxury Wine Specialists SLU, établie à Logroño (Espagne), représentée par Mes L. Broschat García et L. Polo Flores, avocats,
partie requérante,
contre
Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), représenté par M. D. Gája, en qualité d’agent,
partie défenderesse,
l’autre partie à la procédure devant la chambre de recours de l’EUIPO, intervenant devant le Tribunal, étant
R. López de Heredia Viña Tondonia, SA, établie à Haro (Espagne), représentée par Me A. Sanz Cerralbo, avocate,
LE TRIBUNAL (troisième chambre),
composé de Mmes P. Škvařilová‑Pelzl, présidente, G. Steinfatt (rapporteure) et M. R. Meyer, juges,
greffier : M. V. Di Bucci,
vu la phase écrite de la procédure,
vu l’absence de demande de fixation d’une audience présentée par les parties dans le délai de trois semaines à compter de la signification de la clôture de la phase écrite de la procédure et ayant décidé, en application de l’article 106, paragraphe 3, du règlement de procédure du Tribunal, de statuer sans phase orale de la procédure,
rend le présent
Arrêt
1 Par son recours fondé sur l’article 263 TFUE, la requérante, Vintae Luxury Wine Specialists SLU, demande l’annulation de la décision de la quatrième chambre de recours de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) du 6 août 2024 (affaire R 1872/2023-4) (ci-après la « décision attaquée »).
Antécédents du litige
2 Le 9 juillet 2015, l’intervenante, R. López de Heredia Viña Tondonia, SA, a présenté à l’EUIPO une demande d’enregistrement de marque de l’Union européenne pour le signe verbal LOPEZ DE HEREDIA.
3 La marque demandée désignait les produits relevant de la classe 33 au sens de l’arrangement de Nice concernant la classification internationale des produits et des services aux fins de l’enregistrement des marques, du 15 juin 1957, tel que révisé et modifié, et correspondant à la description suivante : « Vins ».
4 Le 27 novembre 2015, ladite marque a été enregistrée en tant que marque de l’Union européenne sous le numéro 014342182, pour les produits mentionnés au point 3 ci-dessus.
5 Le 30 mai 2022, la requérante a présenté auprès de l’EUIPO une demande de déchéance, sur le fondement de l’article 58, paragraphe 1, sous a), du règlement (UE) 2017/1001 du Parlement européen et du Conseil, du 14 juin 2017, sur la marque de l’Union européenne (JO 2017, L 154, p. 1), au motif que la marque contestée n’avait pas fait l’objet d’un usage sérieux pendant une période ininterrompue de cinq ans.
6 Par décision du 3 juillet 2023, la division d’annulation a rejeté la demande en déchéance dans son intégralité, au motif que les éléments de preuve produits par la titulaire de la marque contestée suffisaient à démontrer l’usage sérieux de la marque pour les produits visés au point 3 ci-dessus au cours de la période pertinente.
7 Le 4 septembre 2023, la requérante a formé un recours auprès de l’EUIPO, au titre des articles 66 à 71 du règlement 2017/1001, contre la décision de la division d’annulation.
8 Par la décision attaquée, la chambre de recours a rejeté le recours et a considéré, à l’instar de la division d’annulation, que les éléments de preuve produits par l’intervenante suffisaient pour prouver l’usage sérieux de la marque contestée pour les produits visés au point 3 ci‑dessus. Elle a, en substance, considéré, premièrement, que les éléments de preuve fournis établissaient un lien clair entre la marque contestée et les produits en cause, de sorte que la marque contestée était utilisée en tant que marque dans la vie des affaires, deuxièmement, que ces éléments ont démontré que la marque contestée n’avait pas été utilisée d’une manière qui en altère son caractère distinctif, de sorte que cette marque était utilisée telle qu’elle avait été enregistrée, troisièmement, que la quasi-totalité desdits éléments montrait un usage de la marque contestée pour les vins protégés relevant de la classe 33, de sorte que cette marque était utilisée pour les produits pour lesquels elle a été enregistrée et que, quatrièmement, ces mêmes éléments attestaient l’importance de l’usage de la marque contestée.
Conclusions des parties
9 La requérante conclut, en substance, à ce qu’il plaise au Tribunal :
– annuler la décision attaquée ;
– prononcer la déchéance de la marque contestée pour les produits visés au point 3 ci-dessus ;
– condamner l’EUIPO et l’intervenante aux dépens.
10 L’EUIPO conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– rejeter le recours ;
– condamner la requérante aux dépens en cas de convocation d’une audience.
11 L’intervenante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– rejeter le recours ;
– condamner la requérante aux dépens.
En droit
12 À l’appui de son recours, la requérante invoque un moyen unique tiré de la violation de l’article 58, paragraphe 1, sous a), du règlement 2017/1001, au motif que la chambre de recours aurait effectué une appréciation erronée du caractère sérieux de l’usage de la marque contestée. Elle articule ce moyen en quatre griefs, relatifs à la nature de l’usage de cette marque en tant que marque dans la vie des affaires, à la nature de l’usage de la marque telle qu’elle a été enregistrée, à la nature de l’usage de la marque pour les produits pour lesquels elle a été enregistrée et à l’importance de l’usage de ladite marque.
13 L’EUIPO et l’intervenante contestent ce moyen, en soutenant que la chambre de recours n’a pas commis d’erreur lors de l’appréciation des éléments de preuve fournis.
14 Aux termes de l’article 58, paragraphe 1, sous a), du règlement 2017/1001, le titulaire de la marque de l’Union européenne est déclaré déchu de ses droits, sur demande présentée auprès de l’EUIPO ou sur demande reconventionnelle dans une action en contrefaçon, si, pendant une période ininterrompue de cinq ans, la marque de l’Union européenne n’a pas fait l’objet d’un usage sérieux dans l’Union européenne pour les produits ou les services pour lesquels elle est enregistrée et s’il n’existe pas de juste motif pour le non-usage.
15 La ratio legis de l’exigence selon laquelle une marque doit avoir fait l’objet d’un usage sérieux pour être protégée au titre du droit de l’Union réside dans le fait que le registre de l’EUIPO ne saurait être assimilé à un dépôt stratégique et statique conférant à un détenteur inactif un monopole légal d’une durée indéterminée. Au contraire, ledit registre devrait refléter fidèlement les indications que les entreprises utilisent effectivement sur le marché pour distinguer leurs produits et leurs services dans la vie économique [voir arrêt du 6 septembre 2023, Consultora de Telecomunicaciones Optiva Media/EUIPO – Optiva Canada (OPTIVA MEDIA), T‑601/22, non publié, EU:T:2023:510, point 23 et jurisprudence citée].
16 Selon une jurisprudence constante, une marque fait l’objet d’un usage sérieux, au sens de l’article 58, paragraphe 1, sous a), du règlement 2017/1001, lorsqu’elle est utilisée conformément à sa fonction essentielle, qui est de garantir l’identité d’origine des produits ou des services pour lesquels elle a été enregistrée, afin de créer ou de conserver un débouché pour ces produits et ces services, à l’exclusion d’usages à caractère symbolique ayant pour seul objet le maintien des droits conférés par la marque. De plus, la condition relative à l’usage sérieux de la marque exige que celle-ci, telle qu’elle est protégée sur le territoire pertinent, soit utilisée publiquement et vers l’extérieur [voir arrêt du 1er juin 2022, Worldwide Machinery/EUIPO – Scaip (SUPERIOR MANUFACTURING), T‑316/21, non publié, EU:T:2022:310, point 16 et jurisprudence citée].
17 L’appréciation du caractère sérieux de l’usage de la marque doit reposer sur l’ensemble des faits et des circonstances propres à établir la réalité de l’exploitation commerciale de celle-ci dans la vie des affaires, en particulier les usages considérés comme justifiés dans le secteur économique concerné pour maintenir ou créer des parts de marché au profit des produits ou des services protégés par la marque, la nature de ces produits ou de ces services, les caractéristiques du marché, l’étendue et la fréquence de l’usage de la marque (voir arrêt du 1er juin 2022, SUPERIOR MANUFACTURING, T‑316/21, non publié, EU:T:2022:310, point 17 et jurisprudence citée).
18 Dans le cadre d’une procédure de déchéance d’une marque, c’est au titulaire de cette dernière qu’il incombe, en principe, d’établir l’usage sérieux de ladite marque (voir arrêt du 6 septembre 2023, OPTIVA MEDIA, T‑601/22, non publié, EU:T:2023:510, point 28 et jurisprudence citée).
19 Par ailleurs, l’usage sérieux d’une marque ne peut pas être démontré par des probabilités ou des présomptions, mais doit reposer sur des éléments concrets et objectifs qui prouvent une utilisation effective et suffisante de la marque sur le marché concerné. Dès lors, il convient de procéder à une appréciation globale qui tienne compte de tous les facteurs pertinents du cas d’espèce et qui implique une certaine interdépendance des facteurs pris en compte (voir arrêt du 1er juin 2022, SUPERIOR MANUFACTURING, T‑316/21, non publié, EU:T:2022:310, point 19 et jurisprudence citée).
20 À cet égard, en vertu de l’article 10, paragraphes 3 et 4, du règlement délégué (UE) 2018/625 de la Commission, du 5 mars 2018, complétant le règlement 2017/1001 et abrogeant le règlement délégué (UE) 2017/1430 (JO 2018, L 104, p. 1), applicable aux procédures de déchéance conformément à l’article 19, paragraphe 1, dudit règlement, la preuve de l’usage d’une marque doit porter sur le lieu, la durée, l’importance et la nature de l’usage qui a été fait de la marque et se limite, en principe, à la production de pièces justificatives, comme des emballages, des étiquettes, des barèmes de prix, des catalogues, des factures, des photographies et des annonces dans les journaux, ainsi qu’aux déclarations écrites visées à l’article 97, paragraphe 1, sous f), du règlement 2017/1001.
21 Il n’est pas requis que chaque élément de preuve contienne des informations sur chacun des quatre éléments sur lesquels doit porter la preuve de l’usage sérieux, à savoir le lieu, la durée, la nature et l’importance de l’usage. Un faisceau d’éléments de preuve peut permettre d’établir les faits à démontrer, alors même que chacun de ces éléments, pris isolément, serait impuissant à rapporter la preuve de l’exactitude de ces faits. La question de savoir si une marque a fait l’objet d’un usage sérieux doit être appréciée globalement, en prenant en compte l’ensemble des éléments disponibles. Il ne s’agit donc pas d’analyser chacune des preuves de façon isolée, mais de les analyser conjointement, afin d’en identifier le sens le plus probable et cohérent [voir arrêt du 17 juillet 2024, W.B. Studio/EUIPO – E.Land Italy (BF BELFE), T‑54/23, non publié, EU:T:2024:481, point 22 et jurisprudence citée].
22 En l’espèce, tant la division d’annulation que la chambre de recours ont considéré la période comprise entre le 30 mai 2017 et le 29 mai 2022 comme étant la période de cinq ans, visée à l’article 58, paragraphe 1, sous a), du règlement 2017/1001, pour laquelle il incombait à la titulaire de la marque contestée de démontrer un usage sérieux de cette marque, ce que les parties ne contestent pas.
23 Afin de prouver l’usage sérieux de la marque contestée, l’intervenante, au cours de la procédure administrative devant l’EUIPO a, notamment, produit de nombreuses factures (annexe 3 du mémoire de l’intervenante devant la division d’annulation), une commande de vin datée du 21 mai 2019 pour la fourniture de bouteilles de vin rouge portant la mention « R. López de Heredia » dans le cadre d’une collaboration avec le musée Thyssen Bornemisza (annexe 4), des photographies montrant des coffrets pour vins portant la mention « R. López de Heredia » ainsi que des factures de commande de ces coffrets (annexe 5), une photographie d’un bouchon en liège faisant apparaître la marque contestée ainsi que des factures de commande de bouchons (annexe 6), des catalogues (annexe 7), des extraits de magazines et de TripAdvisor (annexes 8 à 11), des photographies d’étiquettes utilisées pour les vins portant la mention « R. López de Heredia » et les fiches de dégustation y relatives (annexe 12), et des extraits de son propre site Internet (annexe 14).
24 S’agissant de la nature de l’usage de la marque contestée, la requérante conteste l’appréciation de la chambre de recours sur trois aspects de cette nature, premièrement, son usage en tant que marque dans la vie des affaires conformément à sa fonction essentielle, deuxièmement, son usage telle qu’elle a été enregistrée ou selon une variante acceptable de celle-ci n’altérant pas son caractère distinctif et, troisièmement, son usage en rapport avec les produits pour lesquels elle a été enregistrée.
Sur la nature de l’usage
Sur la nature de l’usage de la marque contestée en tant que marque dans la vie des affaires conformément à sa fonction essentielle
25 Aux points 32 à 46 de la décision attaquée, la chambre de recours a rejeté l’argument de la requérante selon lequel les éléments de preuve fournis démontreraient uniquement l’usage de la marque contestée en tant que dénomination sociale et que celle-ci ne renverrait qu’à la mise en bouteilles des produits en cause.
26 La chambre de recours a, d’abord, rappelé que l’usage d’un signe en tant que dénomination sociale peut être considéré comme un usage en tant que marque si les produits ou services eux-mêmes sont identifiés et proposés sur le marché sous ce signe. À cet égard, elle a précisé que le fait que la dénomination soit affichée en tant qu’information relative au responsable de la mise en bouteilles des produits en cause n’empêche pas non plus de considérer que cette circonstance constitue un usage de la marque.
27 Elle a, ensuite, relevé que la dénomination sociale de l’intervenante figurait sur les étiquettes d’un grand nombre de vins commercialisés par celle-ci (annexes 7, 8, 10 et 12 du mémoire de l’intervenante devant la division d’annulation). Elle a, en outre, constaté que, au-delà de l’usage de la dénomination sociale en tant que telle, les éléments de preuve fournis démontraient également l’usage de la mention « R. López de Heredia » sur les étiquettes d’autres vins de l’intervenante (annexe 4), sur les coffrets en bois de ses vins (annexe 5), sur son propre site Internet (annexe 14), sur les bouchons en liège commandés (annexe 6) et sur l’en-tête des factures (annexe 3).
28 À cet égard, la chambre de recours a souligné, d’une part, que le fait que le signe figurait en en-tête des factures (annexe 3) et, de surcroît, sous une forme figurative, témoignait de son rôle au-delà de la simple identification de l’entreprise, en renvoyant, de manière générale, à l’origine commerciale des produits mentionnés dans l’intitulé des factures. D’autre part, la chambre de recours a précisé que l’usage de la marque contestée en tant que nom de domaine du site Internet de l’intervenante (annexe 14) constituait une autre preuve de l’usage en tant que marque. Elle en a conclu qu’il convenait de confirmer l’usage de la marque contestée pour identifier l’origine commerciale des produits commercialisés par la titulaire.
29 La requérante allègue que les éléments de preuve fournis font référence à la dénomination sociale de l’intervenante ou à l’embouteilleur, et non pas à la marque contestée. À cet égard, elle conteste l’affirmation de la décision attaquée selon laquelle la mention « R. López de Heredia Viña Tondonia, S.A. » est faite en tant que marque sur les factures et les étiquettes des vins présentées aux annexes 3 et 12 du mémoire de l’intervenante devant la division d’annulation. Elle fait valoir que les termes « lópez de heredia » sont inclus exclusivement en tant que partie de la dénomination sociale complète « R. López de Heredia Viña Tondonia, S.A. » et sont liés à l’indication de la mise en bouteille. En l’espèce, les marques des vins seraient VIÑA TONDONIA, VIÑA GRAVONIA, VIÑA BOSCONIA et VIÑA CUBILLO, utilisées conjointement avec la dénomination sociale de l’intervenante, laquelle ne correspondrait qu’au nom de la cave productrice du vin.
30 La requérante soutient que, lorsqu’une étiquette de vin mentionne la dénomination sociale de la cave, comme en l’espèce, elle ne se réfère pas au produit « vin » de la classe 33, mais aux activités d’entreprise liées au fonctionnement de la cave relevant d’autres classes du système de classification de Nice. La mention de la cave sur les étiquettes ne remplirait pas la fonction d’identification du nom du vin commercialisé dans la classe 33, de sorte que l’élément pertinent aux fins de l’identification de la marque pour des produits relevant de la classe 33 serait la marque du vin, à savoir VIÑA TONDONIA, VIÑA GRAVONIA, VIÑA BOSCONIA et VIÑA CUBILLO.
31 La requérante souligne l’importance de tenir compte de la classe spécifique de produits « vins » dans l’appréciation de la force probante des éléments de preuve fournis. Dans le secteur vinicole, les vins seraient identifiés par les étiquettes des bouteilles, sur lesquelles figure la marque spécifique qui identifie chaque type de vin produit par la cave. De même, les différentes marques de vin se retrouveraient également dans la rubrique « Description » (« Concept ») des factures émises par les caves. Cela serait confirmé par les ventes de l’intervenante sur son site Internet qui ne dispose pas de sa propre boutique en ligne de vente de vin, mais se limite à recommander trois boutiques où les vins peuvent être achetés qui ne proposent aucun vin portant la marque contestée.
32 L’EUIPO et l’intervenante contestent les allégations de la requérante.
33 À cet égard, il ressort de la jurisprudence citée au point 16 ci‑dessus que l’usage sérieux d’une marque ne peut être constaté que lorsque cette marque est utilisée pour garantir l’identité d’origine des produits ou des services pour lesquels elle avait été enregistrée. Ainsi, s’agissant de la nature de l’usage de la marque contestée, il est exigé que cette dernière soit utilisée en tant que marque, c’est-à-dire en tant que signe identifiant l’origine commerciale des produits qu’elle couvre.
34 En principe, une dénomination sociale n’a pas, en soi, pour finalité de distinguer des produits ou des services. En effet, une dénomination sociale a pour objet d’identifier une société. Dès lors, lorsque l’usage d’une dénomination sociale se limite à identifier une société, il ne saurait être considéré comme étant fait « pour des produits ou des services » [voir arrêt du 13 avril 2011, Alder Capital/OHMI – Gimv Nederland (ALDER CAPITAL), T‑209/09, non publié, EU:T:2011:169, point 45 et jurisprudence citée].
35 Cependant, la jurisprudence a également admis que l’usage d’un signe en tant que dénomination sociale n’excluait pas qu’il en soit également fait usage en tant que marque, à condition que les produits concernés soient eux-mêmes identifiés et proposés sur le marché sous ce signe [voir, en ce sens, arrêts du 30 novembre 2009, Esber/OHMI – Coloris Global Coloring Concept (COLORIS), T‑353/07, non publié, EU:T:2009:475, point 38 et jurisprudence citée, et du 13 avril 2011, ALDER CAPITAL, T‑209/09, non publié, EU:T:2011:169, point 46]. Cela exige que le titulaire utilise le signe de telle façon qu’il s’établit un lien entre le signe constituant la dénomination sociale et les produits commercialisés (voir, en ce sens, arrêt du 11 septembre 2007, Céline, C‑17/06, EU:C:2007:497, points 21 à 23).
36 À cet égard, il n’est pas nécessaire que la marque soit apposée sur les produits pour que cette dernière fasse l’objet d’un usage sérieux par rapport à ceux-ci. Il suffit que l’utilisation de la marque établisse un lien entre cette marque et la commercialisation des produits. La présence de la marque dans des factures, articles et publicités concernant les produits concernés peut établir ce lien [voir arrêt du 24 mars 2021, Novomatic/EUIPO – adp Gauselmann (Power Stars), T‑588/19, non publié, EU:T:2021:157, point 53 et jurisprudence citée].
37 En l’espèce, la marque contestée figure intégralement dans la dénomination sociale de l’intervenante, ainsi que l’illustrent les photographies d’étiquettes de bouteilles de vin présentes aux annexes 10 et 12 du mémoire de l’intervenante devant la division d’annulation. Par suite, il y a lieu de constater, à l’instar de la chambre de recours aux points 38 à 40 de la décision attaquée, que la dénomination sociale de l’intervenante figure sur les étiquettes d’un grand nombre de vins commercialisés par celle-ci. Cette dénomination occupe une place prédominante et centrale sur l’étiquette frontale de la bouteille et sa taille est considérable, ce qui atteste une volonté claire d’attirer l’attention du consommateur et de créer ainsi un lien avec le produit en cause [voir, a contrario, arrêt du 8 juin 2022, Apple/EUIPO – Swatch (THINK DIFFERENT), T‑26/21 à T‑28/21, non publié, EU:T:2022:350, points 93 et 94].
38 En outre, le fait que la dénomination sociale soit affichée en tant qu’information relative à l’embouteilleur n’empêche non plus de considérer que cette circonstance constitue un usage de la marque dès lors que le titulaire utilise la marque de telle façon qu’il s’établit un lien entre cette marque constituant la dénomination sociale et les produits commercialisés. Or, la façon dont il est fait usage de la marque contestée sur les étiquettes de bouteilles de vin de l’intervenante met clairement en évidence ce lien.
39 Par ailleurs, ainsi que l’illustrent les photographies d’étiquettes d’autres bouteilles de vin de l’intervenante (annexe 4 du dossier de l’EUIPO), de coffrets en bois de ses vins (annexe 5), de son propre site Internet (annexe 14), des bouchons en liège commandés (annexe 6) et de l’en-tête des factures (annexe 3), l’intervenante a également démontré l’usage de la mention « R. López de Heredia », au-delà de l’usage de sa dénomination sociale en tant que telle.
40 S’agissant précisément des factures figurant à l’annexe 3, il convient de constater, à l’instar de la chambre de recours au point 44 de la décision attaquée, que la marque contestée est apposée en en-tête de celles-ci et, de surcroît, sous une forme figurative bien visible. En outre, la dénomination sociale de l’intervenante, suivie de son adresse et de ses coordonnées, figure de manière clairement séparée et espacée au-dessous de cette marque.
41 Il s’ensuit que, comme l’a relevé, en substance, la chambre de recours, cette configuration des factures démontre que la marque contestée a manifestement été utilisée, dans l’en-tête de ces factures, de manière à se distinguer nettement de la dénomination sociale de sa titulaire et que le rôle de cette marque va nécessairement au-delà de la simple identification de la société, et qu’elle renvoie, de manière générale, à l’origine commerciale des produits répertoriés dans lesdites factures. La configuration des factures en cause est donc de nature à permettre l’établissement d’un lien étroit entre la marque contestée et les produits facturés [voir, en ce sens, arrêt du 3 octobre 2019, 6Minutes Media/EUIPO – ad pepper media International (ad pepper), T‑666/18, non publié, EU:T:2019:720, point 82].
42 De même, le fait que la marque contestée figure dans l’en-tête des factures, alors que la marque du produit, à savoir VIÑA TONDONIA, VIÑA GRAVONIA, VIÑA BOSCONIA et VIÑA CUBILLO, apparaît dans la rubrique « Description » (« Concept ») des factures ne signifie pas que la marque contestée n’est pas utilisée comme indication de l’origine commerciale des produits. En effet, il est d’usage courant qu’un producteur de vin utilise, dans ses factures ou sur les étiquettes de ses bouteilles, un signe indiquant l’origine commerciale de l’ensemble de sa production, tout en utilisant parallèlement un autre signe pour désigner l’origine commerciale d’un vin en particulier.
43 L’utilisation simultanée de plusieurs marques reste propre à assurer le maintien des droits de ces marques. En l’espèce, la présence des marques VIÑA TONDONIA, VIÑA GRAVONIA, VIÑA BOSCONIA et VIÑA CUBILLO, qui ne désignent, quant à elles, qu’un champ plus restreint de produits, n’est en aucune manière de nature à empêcher ou à altérer l’identification, par le public pertinent, de la gamme de produits rattachée à la marque contestée, laquelle n’occupe une place ni accessoire, ni négligeable dans lesdites factures (voir, en ce sens, arrêt du 3 octobre 2019, ad pepper, T‑666/18, non publié, EU:T:2019:720, point 84).
44 De plus, ainsi que l’a relevé à bon droit la chambre de recours au point 45 de la décision attaquée, l’usage de la marque contestée en tant que nom de domaine du site Internet de l’intervenante (www.lopezdeheredia.com), comme l’atteste l’annexe 14 du dossier de l’EUIPO, constitue une preuve supplémentaire de l’usage en tant que marque. En effet, dans la mesure où la marque contestée figure intégralement dans le nom de domaine de ce site Internet et que ce dernier présente, ainsi qu’il ressort de ladite annexe, les produits de la titulaire, leur description et la manière de les acquérir, ce nom de domaine sera perçu par le public pertinent comme une indication de l’origine commerciale des produits en cause [voir, en sens, arrêt du 2 mars 2022, Mood Media Netherlands/EUIPO – Tailoradio (MOOD MEDIA), T‑615/20, non publié, EU:T:2022:109, points 89 et 90].
45 Dans ces conditions, il y a lieu de conclure que c’est à bon droit que la chambre de recours a considéré que la marque contestée avait été utilisée conformément à sa fonction essentielle d’identifier l’origine commerciale des produits commercialisés par la titulaire et qu’il existait, par conséquent, un lien clair entre ladite marque et ces produits.
46 Cette conclusion ne saurait être remise en cause par les enseignements tirés des arrêts du Tribunal invoqués par la requérante.
47 Premièrement, s’agissant de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 21 septembre 2010, Villa Almè/OHMI – Marqués de Murrieta (i GAI) (T‑546/08, non publié, EU:T:2010:404), il ressort des points 21 et 22 de cet arrêt que contrairement à ce que prétend la requérante, le fait que la marque contestée soit utilisée simultanément ou conjointement aux marques VIÑA TONDONIA, VIÑA GRAVONIA, VIÑA BOSCONIA et VIÑA CUBILLO ne fait pas obstacle à ce qu’il soit considéré qu’elle ait fait l’objet d’un usage sérieux. Comme indiqué dans cet arrêt et comme l’a confirmé la chambre de recours, l’usage conjoint de plusieurs marques pour identifier un même produit est courant dans le secteur du vin. En effet, de nombreuses caves identifient leurs vins par une marque principale, laquelle est associée à l’origine commerciale du vin, et une marque spécifique pour chacun des vins qu’elles commercialisent et qui peuvent avoir des caractéristiques distinctes.
48 Deuxièmement, s’agissant de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 14 novembre 2007, Castell del Remei/OHMI – Bodegas Roda (CASTELL DEL REMEI ODA) (T‑101/06, non publié, EU:T:2007:340, point 59), aucune des appréciations du Tribunal dans cet arrêt ne s’avère pertinente aux fins de l’issue de la présente affaire, étant donné que l’affaire T‑101/06 portait sur la question de savoir non pas si la marque antérieure avait ou non fait l’objet d’un usage sérieux, mais s’il existait un risque de confusion entre les marques en cause.
49 Il résulte de ce qui précède que les allégations de la requérante se rapportant à la nature de l’usage de cette marque en tant que marque dans la vie des affaires doivent être rejetées comme étant non fondées.
Sur la nature de l’usage de la marque contestée telle qu’elle a été enregistrée
50 Aux points 47 à 65 de la décision attaquée, la chambre de recours a rejeté l’argument de la requérante selon lequel il ressort des éléments de preuve fournis que la marque contestée a été utilisée d’une manière qui en altère le caractère distinctif.
51 La chambre de recours a d’abord considéré, au point 54 de la décision attaquée, que l’usage simultané des marques désignant les divers vins de la titulaire ne portait pas atteinte à l’autonomie de la marque contestée et, partant, ne donnait pas lieu à une situation dans laquelle le caractère distinctif de la marque contestée pourrait être altéré.
52 La chambre de recours a ensuite considéré, au point 55 de ladite décision, que l’ajout des éléments « r. », « viña tondonia » et « s.a. », tels qu’ils apparaissaient dans les éléments de preuve produits, n’altérait pas, dans la plupart des cas, le caractère distinctif de la marque contestée.
53 En particulier, s’agissant de l’élément initial « r. », la chambre de recours a estimé que l’ajout de la lettre majuscule initiale suivie d’un point « R. » n’altère pas le caractère distinctif de la marque contestée, car cet élément sera normalement perçu comme l’élément initial d’un nom propre. De plus, en raison également de sa brièveté, il aura une incidence très faible sur la perception globale du signe. Le nom de famille « López de Heredia » jouirait donc d’une primauté notable en la matière. Cette approche serait, par ailleurs, particulièrement pertinente s’agissant de l’annexe 4 du dossier de l’EUIPO, qui montre une commande de vin rouge portant la mention « R. López de Heredia ».
54 S’agissant de l’élément « viña tondonia », la chambre de recours a considéré que cet élément était également utilisé comme signe distinctif d’un vin de la titulaire, comme le montre, par exemple, un grand nombre de factures figurant à l’annexe 3 ou dans de nombreux autres documents fournis (annexes 8, 9, 10, 12 ou 14). Ainsi et à tout le moins sur les étiquettes des vins portant l’élément « viña tondonia », la juxtaposition de cet élément et de la marque contestée serait perçue comme résultant de l’utilisation simultanée des deux marques, malgré le fait qu’elles apparaîtraient dans la même police de caractères et l’une après l’autre. Cet usage simultané serait encore plus évident pour les coffrets en bois figurant à l’annexe 5 et pour l’extrait du site Internet de l’intervenante reproduit à l’annexe 12. Sur ces images, la marque contestée et ledit élément figurent sur des lignes différentes et dans des polices de caractères très différentes, ce qui montrerait clairement l’autonomie propre de chacune des deux mentions.
55 Par ailleurs, la chambre de recours a souligné que, dans l’en-tête des factures (annexe 3), la dénomination sociale de la titulaire est représentée de manière figurative et de telle sorte que l’élément supplémentaire « viña tondonia », compte tenu de sa position secondaire et de sa petite taille, passe pratiquement inaperçu. Les éléments figuratifs, s’ils ne seraient pas négligeables sur le plan visuel, auraient un caractère essentiellement décoratif et, partant, ne présenteraient qu’un caractère distinctif limité.
56 Enfin, s’agissant de l’élément supplémentaire « s.a. », la chambre de recours a estimé que celui-ci était largement répandu au niveau européen et qu’il s’agissait donc d’un élément non distinctif, occupant de surcroît une position secondaire à la fin du signe.
57 La requérante allègue, en substance, que les éléments de preuve fournis indiquent que la marque contestée a été utilisée d’une manière qui en altère le caractère distinctif.
58 En particulier, la requérante reproche à la chambre de recours d’avoir procédé à une extraction artificielle de la marque contestée à partir de la dénomination sociale figurant sur les étiquettes de vin et d’avoir considéré cette extraction comme équivalant à l’usage de la marque contestée pour identifier les vins relevant de la classe 33. Or, l’usage de la mention « Viña Tondonia » avec la mention « R. López de Heredia Viña Tondonia » ne saurait être vu comme un jeu de marques indépendantes, mais comme une représentation naturelle de la dénomination sociale complète de la société, reflétant une seule identité d’entreprise que la décision attaquée fragmente abusivement.
59 En outre, s’agissant de l’élément « s.a. », la requérante fait grief à la chambre de recours d’avoir considéré cet élément comme accessoire ou sans importance. Or, l’ajout dudit élément dans la dénomination sociale revêtirait une importance décisive dans la perception du signe dans son ensemble, en ce qu’il renforcerait l’idée d’une dénomination sociale complète et indiquerait l’existence d’une entité légalement constituée. Cet ajout ne saurait être fragmenté artificiellement, car sa fonction est de garantir que le consommateur reconnaisse l’ensemble comme une entité économique unique, et non comme un usage simultané de marques distinctes.
60 Par ailleurs, selon la requérante, la chambre de recours n’aurait pas procédé à un examen approfondi des éléments de preuve fondamentaux sur lesquels doit se centrer tout le poids de l’analyse, à savoir les étiquettes des bouteilles de vin et les factures qui distinguent clairement les différents types de vins au moyen de leurs marques respectives. Au contraire, elle concentrerait son analyse sur des aspects périphériques tels que le nom de la cave, lequel est mis en exergue sur son site Internet, sur les en-têtes des factures et les coffrets standards utilisés pour tous ses vins, indépendamment de la marque sous laquelle ils sont commercialisés. Cette omission des éléments réels d’identification du produit constituerait un écart injustifié sur lequel on ne saurait fonder une conclusion appropriée quant à l’usage sérieux de la marque pour des produits relevant de la classe 33.
61 De plus, la requérante reproche à la chambre de recours de s’être appuyée à tort sur le logo d’entreprise de la cave de l’intervenante qui figure dans l’en-tête de ses factures, sur son site Internet et sur les coffrets utilisés pour commercialiser ses vins, passant ainsi sous silence le fait que ce logo était utilisé de manière globale pour identifier la cave, et non les différents vins de l’intervenante.
62 De surcroît, la requérante soutient que l’utilisation de graphies distinctes pour les mentions « R. López de Heredia » et « Viña Tondonia » et leur disposition sur des lignes différentes ne saurait impliquer qu’il s’agit de deux signes autonomes. Elle souligne également que les étiquettes n’utilisent pas des graphies différentes, mais plutôt une seule graphie. Par ailleurs, l’utilisation de graphies distinctes dans un même logo serait une pratique courante et n’impliquerait pas la création de marques autonomes.
63 Enfin, la requérante relève que l’annexe 4 du dossier de l’EUIPO, qui concerne un projet unique de collaboration de plusieurs caves avec le musée Thyssen Bornemisza, ne saurait être prise en compte pour prouver l’usage en cause, au motif qu’une seule facture aurait été fournie, que son montant aurait été biffé et qu’il s’agirait d’un usage unique et sporadique.
64 L’EUIPO et l’intervenante contestent les allégations de la requérante.
65 Aux termes de l’article 18, paragraphe 1, sous a), du règlement 2017/1001, la preuve de l’usage sérieux d’une marque comprend également la preuve de l’utilisation de celle-ci sous une forme qui diffère par des éléments n’altérant pas le caractère distinctif de cette marque dans la forme sous laquelle celle-ci a été enregistrée.
66 L’objet de cette disposition, qui évite d’imposer une conformité stricte entre la forme utilisée de la marque et celle sous laquelle la marque a été enregistrée, est de permettre au titulaire de cette dernière d’apporter au signe, à l’occasion de son exploitation commerciale, les modifications qui, sans en altérer le caractère distinctif, permettent de mieux l’adapter aux exigences de commercialisation et de promotion des produits ou des services concernés. Dans de pareilles situations, lorsque le signe utilisé dans le commerce diffère de la forme sous laquelle celui-ci a été enregistré uniquement par des éléments négligeables, de sorte que les deux signes peuvent être considérés comme globalement équivalents, la disposition susvisée prévoit que l’obligation d’usage de la marque enregistrée peut être remplie en rapportant la preuve de l’usage du signe qui en constitue la forme utilisée dans le commerce (voir arrêt du 3 octobre 2019, ad pepper, T‑666/18, non publié, EU:T:2019:720, point 19 et jurisprudence citée).
67 En outre, le constat d’une altération du caractère distinctif de la marque telle qu’enregistrée requiert l’examen du caractère distinctif et dominant des éléments ajoutés en se fondant sur les qualités intrinsèques de chacun de ces éléments ainsi que sur la position relative des différents éléments dans la configuration de la marque (voir arrêt du 3 octobre 2019, ad pepper, T‑666/18, non publié, EU:T:2019:720, point 20 et jurisprudence citée).
68 À cet égard, il est de jurisprudence constante que, afin d’apprécier le caractère distinctif d’un élément composant une marque, il y a lieu d’examiner l’aptitude plus ou moins grande de cet élément à contribuer à identifier les produits ou les services pour lesquels la marque a été enregistrée comme provenant d’une entreprise déterminée et donc à distinguer ces produits ou ces services de ceux d’autres entreprises (voir arrêt du 3 octobre 2019, ad pepper, T‑666/18, non publié, EU:T:2019:720, point 21 et jurisprudence citée).
69 Par ailleurs, lorsqu’une marque est constituée ou composée de plusieurs éléments et que l’un ou plusieurs d’entre eux ne sont pas distinctifs, l’altération de ces éléments ou leur omission n’est pas de nature à affecter le caractère distinctif de la marque dans son ensemble [voir arrêt du 22 janvier 2025, Tecom Master/EUIPO – Michael Kors (Switzerland) International (MK MICHAEL MICHELE), T‑1053/23, non publié, EU:T:2025:53, point 37 et jurisprudence citée].
70 En l’espèce, la chambre de recours s’est appuyée sur l’ensemble des éléments de preuve fournis et ce n’est qu’après avoir procédé à une appréciation globale de tous les facteurs pertinents qu’elle a conclu que la marque contestée a été utilisée d’une manière qui n’en altère pas le caractère distinctif. À cet égard, contrairement à ce que soutient la requérante, les étiquettes des bouteilles de vin et les factures ne sauraient revêtir une valeur probante prédominante par rapport aux autres éléments de preuve tout aussi pertinents dans le cadre d’une telle appréciation globale. Partant, l’argument de la requérante à cet égard doit être écarté.
71 Il ressort de plusieurs éléments de preuve fournis que la marque contestée est utilisée simultanément aux marques désignant les divers vins de la titulaire, ce qui constitue une pratique commerciale courante dans le secteur viticole. La marque contestée apparaît notamment en combinaison avec l’élément « viña tondonia » qui figure dans plusieurs factures dans la rubrique « Description » (« Concept ») et dans nombreux autres documents produits (voir notamment les annexes 8, 12 et 14 du mémoire de l’intervenante devant la division d’annulation), afin de désigner un certain type de vin.
72 De même, la juxtaposition de l’élément « viña tondonia » et de la marque contestée ressort clairement des étiquettes des vins portant la mention « Viña Tondonia », de sorte qu’elle sera perçue comme résultant de l’utilisation simultanée des deux marques, malgré le fait qu’elles apparaissent dans la même police de caractères et l’une après l’autre. Cette utilisation simultanée est encore plus évidente en ce qui concerne, d’une part, les coffrets en bois figurant à l’annexe 5 du mémoire de l’intervenante devant la division d’annulation et, d’autre part, l’extrait du site Internet de l’intervenante reproduit à l’annexe 12 de ce mémoire. Il résulte de ces deux dernières annexes que la marque contestée et l’élément « viña tondonia » figurent sur des lignes différentes et dans des polices de caractères très différentes, ce qui montre clairement l’autonomie propre de chacune des deux mentions. Ainsi, l’apposition des marques désignant les divers vins ne porte pas atteinte à l’autonomie de la marque contestée et, partant, ne donne pas lieu à une situation dans laquelle le caractère distinctif de la marque contestée pourrait être altéré.
73 En outre, l’ajout des éléments « r. » et « s.a. », tels qu’ils apparaissent dans les preuves fournies, n’altère pas non plus le caractère distinctif de la marque contestée. Ces éléments sont négligeables, de sorte que le consommateur n’aura pas de difficulté à identifier les produits pour lesquels la marque a été enregistrée comme provenant de l’intervenante.
74 En particulier, s’agissant de l’élément « r. », il convient de relever, à l’instar de la chambre de recours au point 56 de la décision attaquée, que l’ajout de la lettre initiale majuscule suivie d’un point « R. » n’altère pas le caractère distinctif de la marque contestée, car cet élément sera normalement perçu comme l’élément initial d’un nom propre. De plus, en raison également de sa brièveté, il aura une incidence très faible sur la perception globale du signe.
75 S’agissant de l’élément « s.a. », force est de constater que, ainsi que l’a relevé la chambre de recours au point 64 de la décision attaquée, cet élément est courant dans la pratique commerciale et occupe, de surcroît, une position secondaire à la fin du signe. Dès lors, il doit être considéré comme étant non distinctif et accessoire, contrairement à ce que prétend la requérante.
76 De plus, s’agissant du logo figurant dans l’en-tête des factures, sur le site Internet de l’intervenante et sur les coffrets, il convient également de confirmer les appréciations de la chambre de recours aux points 62 et 63 de la décision attaquée, selon lesquelles la forme sous laquelle la marque contestée apparaît dans ce logo n’altère pas le caractère distinctif de celle-ci.
77 En effet, malgré la complexité dudit logo, le seul élément clairement distinctif et placé au centre de celui-ci est la séquence des mots « r. lópez de heredia ». Les mots « viña tondonia, s.a. » contenus dans le logo sont pratiquement invisibles et peuvent être considérés comme négligeables dans l’impression d’ensemble produite par celui-ci. De plus, les éléments figuratifs du logo sont de nature fondamentalement décorative et possèdent donc un caractère distinctif limité, comme l’a indiqué à juste titre la chambre de recours au point 63 de la décision attaquée. La lettre initiale majuscule suivie d’un point « R. », quant à elle, n’est pas susceptible d’altérer le caractère distinctif de la marque contestée [voir, en ce sens, arrêt du 24 janvier 2024, Noah Clothing/EUIPO – Noah (NOAH), T‑562/22, non publié, EU:T:2024:23, points 60 à 67].
78 De surcroît, s’agissant de l’utilisation de graphies distinctes pour la mention « R. López de Heredia » et la marque VIÑA TONDONIA, il convient de relever que cette différenciation est pertinente, contrairement à ce que soutient la requérante, puisque l’utilisation de graphies différentes permet au public pertinent de percevoir, de manière autonome, les mots « r. lópez de heredia » dans le logo. Ainsi, la chambre de recours n’a pas commis d’erreur d’appréciation en considérant, aux points 60 et 61 de la décision attaquée, que le public pertinent percevrait deux signes autonomes.
79 Par ailleurs, s’agissant de l’argument de la requérante selon lequel les étiquettes de bouteilles de vin n’utilisent pas des graphies différentes, mais plutôt une seule graphie, il suffit de constater que la chambre de recours ne s’est pas fondée exclusivement sur les étiquettes pour considérer que la marque contestée a été utilisée « telle qu’elle a été enregistrée », mais également sur d’autres preuves, telles que les factures et les photographies de coffrets, dans le cadre d’une appréciation globale de tous les facteurs pertinents. Partant, il y a lieu également d’écarter ledit argument.
80 Enfin, s’agissant de l’argument de la requérante contestant la prise en compte de l’annexe 4 du dossier de l’EUIPO relative à un projet unique de collaboration de plusieurs caves avec le musée Thyssen Bornemisza, il convient de rejeter cet argument pour les mêmes motifs, étant donné que la chambre de recours s’est appuyée également sur d’autres éléments de preuve pour établir, à bon droit, au point 65 de la décision attaquée, que la marque contestée n’a pas été utilisée d’une manière qui en altère le caractère distinctif.
81 Il résulte de ce qui précède que les allégations de la requérante se rapportant à la nature de l’usage de la marque telle qu’elle a été enregistrée doivent être rejetées comme étant non fondées.
Sur la nature de l’usage de la marque contestée pour les produits pour lesquels elle a été enregistrée
82 Aux points 66 à 71 de la décision attaquée, la chambre de recours a rejeté l’argument de la requérante selon lequel l’usage de la marque contestée constitue un usage de services de bars à vins (classe 43) ou de vente de vins (classe 35). Elle a renvoyé, d’abord, à son appréciation relative à la marque contestée en tant que telle, figurant aux points 38 à 45 de la décision attaquée, qui a permis d’établir un lien clair entre la marque et les produits pour lesquels elle est protégée, à savoir les vins compris dans la classe 33. En outre, elle a estimé qu’il ne ressort aucunement des éléments de preuve fournis que la titulaire propose à des tiers lesdits services. Par ailleurs, elle a souligné que la quasi-totalité de ces éléments de preuve montraient un usage de la marque contestée pour les vins protégés (classe 33).
83 La requérante réfute les appréciations de la chambre de recours à cet égard. Elle rappelle que la division d’annulation avait affirmé, au point 1 de sa décision, que « [l]a marque [contestée] n’appara[issai]t pas dans [la rubrique ‘‘Description’’ (‘‘Concept’’) (des factures)] », et qu’il y a lieu d’y ajouter que, en revanche, les marques des « vins » VIÑA TONDONIA, VIÑA GRAVONIA, VIÑA BOSCONIA et VIÑA CUBILLO figurent, quant à elles, dans cette rubrique, qui identifie les vins de la classe 33.
84 L’EUIPO et l’intervenante contestent les allégations de la requérante.
85 Dans le cadre de ce grief, la requérante se borne à relever que la marque contestée ne figure pas dans la rubrique « Descriptif » (« Concept ») des factures figurant à l’annexe 3 du dossier EUIPO.
86 Or, il ressort de la jurisprudence que le fait que la marque contestée ne figure pas dans ladite rubrique ne signifie pas pour autant qu’il n’y a pas de lien entre la marque, telle qu’elle figure sur les en-têtes des factures, et les produits en cause, en l’occurrence les vins. En effet, l’utilisation simultanée du nom de l’entreprise et de la marque sur les factures peut, lorsque les deux indications peuvent être clairement distinguées, prouver l’usage du signe en tant qu’indicateur de l’origine commerciale des produits facturés, indépendamment du fait que les factures peuvent également afficher d’autres sous-marques [voir, en ce sens, arrêts du 3 octobre 2019, ad pepper, T‑666/18, non publié, EU:T:2019:720, points 82 à 84, et du 7 février 2024, Quatrotec Electrónica/EUIPO – Woxter Technology (WOXTER), T‑792/22, non publié, EU:T:2024:69, points 68 à 70 et 74].
87 Par conséquent, le grief de la requérante relatif à la nature de l’usage de la marque pour les produits pour lesquels elle a été enregistrée doit être écarté comme étant non fondé.
Sur le lieu et la durée de l’usage de la marque contestée
88 S’agissant du lieu et de la durée de l’usage de la marque contestée, la chambre de recours a estimé que les éléments de preuve présentés par l’intervenante établissaient un usage sérieux en ce qui concerne le lieu et la durée de l’usage de cette marque. Il n’y a pas lieu de remettre en cause ces appréciations, au demeurant non contestées par la requérante.
Sur l’importance de l’usage de la marque contestée
89 Aux points 75 à 79 de la décision attaquée, la chambre de recours a considéré que les éléments de preuve fournis permettaient de constater que la marque contestée avait fait l’objet d’un usage externe et sérieux, et non pas simplement symbolique. Elle a précisé que les factures (annexe 3) faisaient apparaître des ventes à de nombreux clients dans divers pays de l’Union et pendant une grande partie de la période pertinente. Ces factures feraient état d’un usage continu et significatif de la marque tout au long de cette période et la plupart desdites factures seraient émises à l’intention de distributeurs et porteraient sur des quantités parfois considérables. De même, les annexes 5, 6, 7, 8, 9, 10 et 13 accréditeraient l’idée de l’existence d’une exploitation commerciale réelle et efficace et refléteraient les efforts déployés par la titulaire pour se positionner sur un marché concurrentiel comme celui du vin et pour étendre et consolider cette position.
90 La requérante soutient qu’il est contradictoire que, pour apprécier l’importance de l’usage, la chambre de recours fasse référence, au point 77 de la décision attaquée, à une facture donnée, sans mentionner les marques des vins vendus auxquelles correspond son montant. L’appréciation de la chambre audit point serait exacte, sauf que celle-ci aurait omis de préciser que le vin qui a atteint le chiffre de vente considérable est identifié sur cette facture par les marques VIÑA TONDONIA, VIÑA CUBILLO et VIÑA BOSCONIA.
91 L’EUIPO et l’intervenante contestent les allégations de la requérante.
92 Dans le cadre de ce grief, la requérante se réfère à nouveau au fait que les factures figurant à l’annexe 3 du dossier de l’EUIPO contiennent, dans la rubrique « Descriptif » (« Concept »), non pas la marque contestée, mais les noms des vins vendus par l’intervenante.
93 Ces allégations ne sauraient prospérer pour les mêmes motifs que ceux exposés dans l’appréciation relative à la nature de l’usage et, en particulier, dans celle portée aux points 40 à 43 et 86 ci-dessus. En tout état de cause, la chambre de recours a conclu, à juste titre, qu’il existait des preuves suffisantes et convaincantes de l’importance de l’usage de la marque contestée.
94 Il s’ensuit que le grief de la requérante relatif à l’importance de l’usage de la marque contestée doit également être écarté comme étant non fondé.
95 Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que, aucun des griefs invoqués par la requérante au soutien de son moyen unique ne devant être accueilli, il y a lieu de rejeter ce dernier et, partant, le recours dans son intégralité.
Sur les dépens
96 Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.
97 La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens exposés par l’intervenante, conformément aux conclusions de cette dernière.
98 En revanche, l’EUIPO n’ayant conclu à la condamnation de la requérante aux dépens qu’en cas de convocation d’une audience, il convient, en l’absence d’organisation d’une audience, de décider que l’EUIPO supportera ses propres dépens.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (troisième chambre)
déclare et arrête :
1) Le recours est rejeté.
2) Vintae Luxury Wine Specialists SLU supportera ses propres dépens ainsi que ceux exposés par R. López de Heredia Viña Tondonia, SA.
3) L’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) supportera ses propres dépens.
Škvařilová-Pelzl | Steinfatt | Meyer |
Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 10 septembre 2025.
Signatures