DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (troisième chambre)

24 septembre 2025 (*)

« Marque de l’Union européenne – Procédure de nullité – Marque de l’Union européenne figurative NAMALEI – Cause de nullité absolue – Absence de mauvaise foi – Article 59, paragraphe 1, sous b), du règlement (UE) 2017/1001 »

Dans l’affaire T‑555/24,

Bioalchemilla Srl, établie à Massafra (Italie),

Alkemilla Eco Bio Cosmetic Srl, établie à Massafra,

représentées par Me C. Pulpito, avocate,

parties requérantes,

contre

Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), représenté par M. R. Raponi, en qualité d’agent,

partie défenderesse,

l’autre partie à la procédure devant la chambre de recours de l’EUIPO, intervenant devant le Tribunal, étant

Paolo Morale, demeurant à Massafra (Italie), représenté par Mes E. Pepe et S. Troilo, avocates,

LE TRIBUNAL (troisième chambre),

composé, lors des délibérations, de Mme P. Škvařilová‑Pelzl, présidente, MM. I. Nõmm et R. Meyer (rapporteur), juges,

greffier : M. V. Di Bucci,

vu la phase écrite de la procédure,

vu l’absence de demande de fixation d’une audience présentée par les parties dans le délai de trois semaines à compter de la signification de la clôture de la phase écrite de la procédure et ayant décidé, en application de l’article 106, paragraphe 3, du règlement de procédure du Tribunal, de statuer sans phase orale de la procédure,

rend le présent

Arrêt

1        Par leur recours fondé sur l’article 263 TFUE, les requérantes, Bioalchemilla Srl et Alkemilla Eco Bio Cosmetic Srl, demandent l’annulation et la réformation de la décision de la cinquième chambre de recours de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) du 2 septembre 2024 (affaire R 535/2023-5) (ci-après « la décision attaquée »).

 Antécédents du litige

2        Le 8 juin 2021, les requérantes ont présenté à l’EUIPO une demande en nullité de la marque de l’Union européenne ayant été enregistrée à la suite d’une demande déposée le 31 mars 2020 par l’intervenant, M. Paolo Morale, pour le signe figuratif suivant :

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3        Les produits couverts par la marque contestée pour lesquels la nullité était demandée relevaient des classes 3 et 5 au sens de l’arrangement de Nice concernant la classification internationale des produits et des services aux fins de l’enregistrement des marques, du 15 juin 1957, tel que révisé et modifié, et correspondaient, pour chacune de ces classes, à la description suivante :

–        classe 3 : « Dentifrices, crèmes pour le corps, rouges à lèvres, crayons à usage cosmétique, préparations cosmétiques pour le bain, crèmes antirides, produits de toilette contre la transpiration, huiles pour le bain, diffuseurs à bâtonnets de parfums d’ambiance, préparations de lavage pour la toilette intime ou en tant que déodorants, fards à paupières, mascara, brillants à lèvres, masques de beauté, crèmes cosmétiques pour les mains, parfums d’ambiance, teintures pour cheveux, eau de toilette, extraits de parfums, gel de rasage, lotions démaquillantes, huiles pour parfums et fragrances, crèmes anticellulite, crèmes exfoliantes, produits cosmétiques pour les yeux, eaux parfumées pour le linge, parfums, crèmes, lotions et gels hydratants, cosmétiques pour les lèvres, gels de massage autres qu’à usage médical, crèmes de protection solaire, vernis à ongles, parfums d’ambiance, produits cosmétiques pour les soins de la peau, crèmes protectrices, crèmes pour la réduction des tâches de vieillesse, préparations et traitements capillaires, rouges à joues à usage cosmétique, huiles de bronzage, shampooings, crèmes pour la peau, savons non à usage médical, cosmétiques à usage dermatologique, produits de rasage, maquillage, baume pour les cheveux, aromates pour parfums, mousse pour la douche et le bain, aromates pour fragrances, crèmes anti-âge, produits odorants, lingettes imprégnées de préparations démaquillantes, préparations cosmétiques de protection solaire, baume de rasage, parfumerie, huiles essentielles » ;

–        classe 5 : « Compléments alimentaires à effet cosmétique, compléments alimentaires et préparations diététiques ».

4        Les motifs invoqués à l’appui de la demande en nullité étaient, d’une part, la cause de nullité absolue visée à l’article 59, paragraphe 1, sous b), du règlement (UE) 2017/1001 du Parlement européen et du Conseil, du 14 juin 2017, sur la marque de l’Union européenne (JO 2017, L 154, p. 1) et, d’autre part, la cause de nullité relative visée à l’article 60, paragraphe 1, sous b), du règlement 2017/1001, lu conjointement avec l’article 8, paragraphe 3, dudit règlement.

5        La cause de nullité relative invoquée par les requérantes était fondée sur la marque italienne figurative reproduite ci-après, déposée le 26 juin 2020 et enregistrée le 26 novembre 2020, sous le numéro 202000051538, pour les produits relevant de la classe 3 et correspondant à la description suivante : « Cosmétiques, huiles essentielles, parfums, produits de parfumerie, préparations pour écrans solaires, détergents pour le visage, lotions cosmétiques solaires bronzantes, crèmes solaires, crèmes pour les mains, lotions pour le corps, déodorants pour le corps [parfumerie], crèmes pour le corps, produits cosmétiques de maquillage, produits après-soleil à usage cosmétique, masques pour le visage, masques pour la peau [cosmétiques], exfoliants cosmétiques pour le corps, shampooing, teintures capillaires, masques capillaires, produits pour le traitement des cheveux ». 

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6        Le 14 janvier 2023, la division d’annulation a rejeté la demande en nullité.

7        Le 12 mars 2023, les requérantes ont formé un recours auprès de l’EUIPO contre la décision de la division d’annulation.

8        Par la décision attaquée, la chambre de recours a rejeté le recours des requérantes. D’une part, elle a relevé que les requérantes n’avaient présenté aucune argumentation à l’encontre du rejet par la division d’annulation de la cause de nullité relative tirée de l’article 60, paragraphe 1, sous b), du règlement 2017/1001, lu conjointement avec l’article 8, paragraphe 3, dudit règlement. D’autre part, s’agissant de la cause de nullité absolue tirée de l’article 59, paragraphe 1, sous b), du règlement 2017/1001, elle a retenu qu’aucun des arguments et éléments de preuve produits, qu’ils soient pris isolément ou ensemble, n’était de nature à prouver la mauvaise foi de l’intervenant au moment du dépôt de la demande d’enregistrement de la marque contestée.

 Conclusions des parties

9        Les requérantes concluent, en substance, à ce qu’il plaise au Tribunal d’annuler la décision attaquée et/ou de déclarer la nullité de la marque contestée pour cause de nullité absolue, au sens de l’article 59, paragraphe 1, sous b), du règlement 2017/1001, ou pour cause de nullité relative, au sens de l’article 6 septies de la convention de Paris pour la protection de la propriété industrielle, du 20 mars 1883, telle que révisée et modifiée (ci-après la « convention de Paris »), de l’article 5, paragraphe 3, sous b), de la directive 2015/2436 du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2015, rapprochant les législations des États membres sur les marques (JO 2015, L 336, p. 1) et de l’article 8, paragraphe 3, du règlement 2017/1001.

10      L’EUIPO conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner les requérantes aux dépens en cas de convocation à une audience.

11      L’intervenant conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner les requérantes aux dépens, y compris ceux exposés devant la division d’annulation et la chambre de recours.

 En droit

12      En application d’une jurisprudence constante, le Tribunal doit interpréter les moyens d’une partie requérante par leur substance plutôt que par leur qualification [arrêts du 10 février 2009, Deutsche Post et DHL International/Commission, T‑388/03, EU:T:2009:30, point 54, et du 6 juin 2019, Torrefazione Caffè Michele Battista/EUIPO – Battista Nino Caffè (BATTISTINO), T‑221/18, non publié, EU:T:2019:382, point 23].

13      En l’espèce, si à l’appui de leur recours, les requérantes avancent formellement deux moyens tirés, le premier, d’une appréciation erronée des règles relatives à la représentation des sociétés et, le second, d’une appréciation erronée des déclarations de l’intervenant dans le cadre de la procédure parallèle devant les tribunaux italiens, ces moyens s’apparentent, en réalité, à des critiques du bien-fondé des appréciations de la chambre de recours portant sur l’application de l’article 59, paragraphe 1, sous b), du règlement 2017/1001. Elles relèvent, dès lors, d’un même moyen tiré de la violation de cette disposition par la chambre de recours.

14      En outre, dans la présentation de leurs chefs de conclusions, les requérantes se réfèrent à une violation de l’article 6 septies de la convention de Paris, de l’article 5, paragraphe 3, sous b), de la directive 2015/2436 et de l’article 8, paragraphe 3, du règlement 2017/1001. Force est de constater qu’une telle mention pourrait s’apparenter à l’énoncé d’un moyen tiré de la violation de ces dispositions, dont la recevabilité est, par ailleurs, contestée par l’EUIPO et l’intervenant.

 Sur la recevabilité du moyen tiré de la violation de l’article 6 septies de la convention de Paris, de l’article 5, paragraphe 3, sous b), de la directive 2015/2436 et de l’article 8, paragraphe 3, du règlement 2017/1001

15      L’EUIPO excipe de l’irrecevabilité de ce moyen sur le fondement de l’article 177, paragraphe 1, sous d), du règlement de procédure du Tribunal, au motif que la requête ne contient aucun argument circonstancié, clair et cohérent visant à démontrer que la chambre de recours aurait violé les dispositions de l’article 6 septies de la convention de Paris, de l’article 5, paragraphe 3, sous b), de la directive 2015/2436 et de l’article 8, paragraphe 3, du règlement 2017/1001.

16      L’intervenant excipe de l’irrecevabilité de ce moyen en faisant valoir, en substance, que la violation desdites dispositions n’avait pas été soulevée par les requérantes devant la chambre de recours. En outre, les requérantes ne présenteraient aucun argument à son soutien.

17      À cet égard, il y a lieu de rappeler que, en vertu de l’article 21, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, applicable à la procédure devant le Tribunal conformément à l’article 53, premier alinéa, dudit statut, et de l’article 177, paragraphe 1, sous d), du règlement de procédure, toute requête introductive d’instance doit indiquer, notamment, l’exposé sommaire des moyens invoqués. Cette indication doit être suffisamment claire et précise pour permettre à la partie défenderesse de préparer sa défense et au Tribunal de statuer sur le recours. Il en va de même pour toute conclusion, qui doit être assortie de moyens et d’arguments permettant tant à la partie défenderesse qu’au juge d’en apprécier le bien-fondé. Ainsi, les éléments essentiels de fait et de droit sur lesquels un recours est fondé doivent ressortir à tout le moins sommairement, mais d’une façon cohérente et compréhensible, du texte de la requête elle-même. Des exigences analogues sont requises lorsqu’un grief ou un argument est invoqué au soutien d’un moyen [voir arrêt du 24 avril 2018, Menta y Limón Decoración/EUIPO – Ayuntamiento de Santa Cruz de La Palma (Représentation d’un homme en costume régional), T‑183/17, non publié, EU:T:2018:213, point 46 et jurisprudence citée].

18      En l’espèce, bien que les requérantes visent dans leurs conclusions la violation de l’article 6 septies de la convention de Paris, de l’article 5, paragraphe 3, sous b), de la directive 2015/2436 et de l’article 8, paragraphe 3, du règlement 2017/1001, elles ne présentent, toutefois, aucune argumentation afin d’étayer celle-ci.

19      Partant, en l’absence de présentation des éléments essentiels de fait et de droit au soutien du moyen tiré de la violation desdites dispositions, celui-ci ne satisfait pas aux exigences de l’article 177, paragraphe 1, sous d), du règlement de procédure et doit donc être écarté comme irrecevable.

 Sur le moyen tiré de la violation de l’article 59, paragraphe 1, sous b), du règlement 2017/1001

20      Les requérantes reprochent, en substance, à la chambre de recours d’avoir conclu, à tort, à l’absence de mauvaise foi de l’intervenant au moment du dépôt de la demande d’enregistrement de la marque contestée. Plus précisément, elles soutiennent que, en vertu de la législation italienne et du droit de l’Union européenne, les droits sur la marque contestée doivent être rattachés à leur patrimoine économique et juridique, étant donné, d’une part, que les démarches relatives à celle-ci ont été réalisées pendant que l’intervenant était le gérant de l’une d’entre elles et, d’autre part, que ces démarches s’inscrivaient dans leur objet social, ainsi que dans les prérogatives dévolues au gérant à titre exclusif, conformément au droit italien. Elles soutiennent également que l’Office aurait dû examiner les faits de l’espèce à la lumière de l’aveu fait par l’intervenant lors de la procédure judiciaire en Italie, au cours de laquelle celui-ci aurait clairement reconnu sa mauvaise foi.

21      L’EUIPO et l’intervenant contestent les arguments des requérantes.

22      À titre liminaire, il convient de rappeler que le régime de la marque de l’Union européenne repose sur le principe, inscrit à l’article 8, paragraphe 2, du règlement 2017/1001, selon lequel un droit exclusif est conféré au premier déposant. En vertu de ce principe, une marque ne peut être enregistrée en tant que marque de l’Union européenne que pour autant qu’une marque antérieure n’y fasse pas obstacle, qu’il s’agisse, notamment, d’une marque de l’Union européenne, d’une marque enregistrée dans un État membre ou par l’Office Benelux de la propriété intellectuelle, d’une marque ayant fait l’objet d’un enregistrement international ayant effet dans un État membre ou encore d’une marque ayant fait l’objet d’un enregistrement international ayant effet dans l’Union. En revanche, sans préjudice d’une éventuelle application de l’article 8, paragraphe 4, du règlement 2017/1001, le seul fait de l’utilisation par un tiers d’une marque non enregistrée ne fait pas obstacle à ce qu’une marque identique ou similaire soit enregistrée en tant que marque de l’Union européenne pour des produits ou des services identiques ou similaires [voir arrêt du 28 janvier 2016, Gugler France/OHMI – Gugler (GUGLER), T‑674/13, non publié, EU:T:2016:44, point 70 et jurisprudence citée].

23      L’application de ce principe est nuancée, notamment, par l’article 59, paragraphe 1, sous b), du règlement 2017/1001, en vertu duquel la nullité d’une marque de l’Union européenne doit être déclarée, sur demande présentée devant l’EUIPO ou sur demande reconventionnelle dans une action en contrefaçon, lorsque le demandeur était de mauvaise foi au moment du dépôt de la demande d’enregistrement de la marque. Il incombe au demandeur en nullité qui entend se fonder sur ce motif d’établir les circonstances qui permettent de conclure que le titulaire d’une marque de l’Union européenne était de mauvaise foi lors du dépôt de la demande d’enregistrement de cette dernière (voir arrêt du 28 janvier 2016, GUGLER, T‑674/13, non publié, EU:T:2016:44, point 71 et jurisprudence citée).

24      Lorsqu’une notion figurant dans le règlement 2017/1001 n’est pas définie par celui-ci, la détermination de sa signification et de sa portée doit être établie conformément à son sens habituel dans le langage courant, tout en tenant compte du contexte dans lequel cette notion est utilisée et des objectifs poursuivis par ce règlement. Il en va ainsi de la notion de « mauvaise foi » figurant à l’article 59, paragraphe 1, sous b), dudit règlement, en l’absence de toute définition de cette notion par le législateur de l’Union (voir arrêt du 12 septembre 2019, Koton Mağazacilik Tekstil Sanayi ve Ticaret/EUIPO, C‑104/18 P, EU:C:2019:724, points 43 et 44 et jurisprudence citée).

25      Alors que, conformément à son sens habituel dans le langage courant, la notion de « mauvaise foi » suppose la présence d’un état d’esprit ou d’une intention malhonnête, cette notion doit en outre être comprise dans le contexte du droit des marques, qui est celui de la vie des affaires. À cet égard, les règlements (CE) no 40/94 du Conseil, du 20 décembre 1993, sur la marque communautaire (JO 1994, L 11, p. 1), no 207/2009 du Conseil, du 26 février 2009, sur la marque de l’Union européenne (JO 2009, L 78, p. 1) et 2017/1001, adoptés successivement, s’inscrivent dans un même objectif, à savoir l’établissement et le fonctionnement du marché intérieur. Les règles sur la marque de l’Union européenne visent, en particulier, à contribuer au système de concurrence non faussée dans l’Union, dans lequel chaque entreprise doit, afin de s’attacher la clientèle par la qualité de ses produits ou de ses services, être en mesure de faire enregistrer en tant que marques des signes permettant au consommateur de distinguer sans confusion possible ces produits ou ces services de ceux qui ont une autre provenance (voir arrêt du 12 septembre 2019, Koton Mağazacilik Tekstil Sanayi ve Ticaret/EUIPO, C‑104/18 P, EU:C:2019:724, point 45 et jurisprudence citée).

26      Ainsi, la cause de nullité absolue visée à l’article 59, paragraphe 1, sous b), du règlement 2017/1001 s’applique lorsqu’il ressort d’indices pertinents et concordants que le titulaire d’une marque de l’Union européenne a introduit la demande d’enregistrement de cette marque non pas dans le but de participer de manière loyale au jeu de la concurrence mais avec l’intention de porter atteinte, d’une manière non conforme aux usages honnêtes, aux intérêts de tiers, ou avec l’intention d’obtenir, sans même viser un tiers en particulier, un droit exclusif à des fins autres que celles relevant des fonctions d’une marque, notamment de la fonction essentielle d’indication d’origine (arrêt du 12 septembre 2019, Koton Mağazacilik Tekstil Sanayi ve Ticaret/EUIPO, C‑104/18 P, EU:C:2019:724, point 46).

27      L’intention du demandeur d’une marque est un élément subjectif qui doit cependant être déterminé de manière objective par les autorités administratives et judiciaires compétentes. Par conséquent, toute allégation de mauvaise foi doit être appréciée globalement, en tenant compte de l’ensemble des circonstances factuelles pertinentes du cas d’espèce. Ce n’est que de cette manière que l’allégation de mauvaise foi peut être appréciée objectivement (voir arrêt du 12 septembre 2019, Koton Mağazacilik Tekstil Sanayi ve Ticaret/EUIPO, C‑104/18 P, EU:C:2019:724, point 47 et jurisprudence citée).

28      Parmi les facteurs pris en compte par la jurisprudence dans le cadre de l’analyse globale opérée au titre de l’article 59, paragraphe 1, sous b), du règlement 2017/1001 figurent, notamment, le fait que le demandeur sait ou doit savoir qu’un tiers utilise, dans au moins un État membre, un signe identique ou similaire pour un produit ou un service identique ou similaire prêtant à confusion avec le signe dont l’enregistrement est demandé, l’intention du demandeur d’empêcher ce tiers de continuer à utiliser un tel signe, le degré de protection juridique dont jouissent les signes en cause, l’intention du demandeur d’empêcher ce tiers de commercialiser un produit, l’origine du signe contesté et son usage depuis sa création, la logique commerciale dans laquelle s’est inscrit le dépôt de la demande d’enregistrement du signe en tant que marque de l’Union européenne et la chronologie des événements ayant caractérisé la survenance dudit dépôt [voir arrêt du 21 février 2024, Dendiki/EUIPO – D-Market (hepsiburada), T‑172/23, non publié, EU:T:2024:105, point 26 et jurisprudence citée].

29      C’est à la lumière de ces considérations qu’il y a lieu d’examiner si la chambre de recours a conclu, à tort, à l’absence de mauvaise foi de l’intervenant au moment du dépôt de la demande d’enregistrement de la marque contestée.

30      Au soutien de leur demande en nullité, les requérantes, à qui incombe la charge de la preuve, conformément à la jurisprudence rappelée au point 23 ci-dessus, ont produit les éléments suivants :

–        une copie de la déclaration d’impôt sur le revenu de l’intervenant relatif à l’année 2019 ;

–        une copie de l’extrait du registre du commerce concernant l’une des requérantes, Bioalchemilla, dans lequel l’intervenant est mentionné comme gérant unique de celle-ci ;

–        une copie des actes notariés, enregistrés le 17 juin 2020, par lesquels l’intervenant a cédé les parts sociales qu’il détenait dans les requérantes ;

–        une copie du contrat préliminaire desdites cessions de parts sociales, en date du 12 mai 2020 ;

–        une copie de l’extrait d’enregistrement de la marque italienne figurative Kamalei ;

–        une copie d’un courriel, du 30 juin 2020, envoyé depuis l’adresse électronique « kamaleicosmesi@gmail.com », montrant différents produits cosmétiques et la marque contestée ;

–        une copie d’une capture d’écran d’une page du site Internet de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) concernant la marque Kamalei ;

–        une copie d’une capture d’écran d’une page d’un site Internet portant sur l’enregistrement des noms de domaine « kamalei.it », « kamaleicosmetics.com » et « kamaleicosmetics.it » ;

–        une copie d’une capture d’écran d’une page d’un site Internet portant sur l’activation de l’adresse électronique « kamaleicosmesi@gmail.com » ;

–        une copie de documents relatifs à la procédure engagée devant la juridiction italienne.

31      Après avoir analysé ces documents, la chambre de recours a considéré, à l’instar de la division d’annulation, que, même s’il existait des relations formelles entre les requérantes et l’intervenant avant et à la date du dépôt de la demande d’enregistrement, puisque l’intervenant était un associé des requérantes ainsi que le gérant unique de l’une d’entre elles, les arguments et éléments de preuve présentés par ces dernières étaient insuffisants pour démontrer la mauvaise foi de l’intervenant à la date du dépôt de la demande d’enregistrement de la marque contestée, à savoir le 31 mars 2020.

32      Les requérantes fondent, en l’espèce, leur action en nullité sur le fait que l’intervenant avait initié le projet lié au développement du signe Kamalei et déposé la demande d’enregistrement de la marque contestée alors qu’il était encore un de leurs associés et le gérant unique de l’une d’entre elles.

33      À cet égard, il est exact qu’il existait des relations formelles entre les requérantes et l’intervenant avant et à la date du dépôt de la demande d’enregistrement, le 31 mars 2020. Il ressort, en effet, du dossier relatif à la procédure administrative devant l’EUIPO que, à la date de la demande d’enregistrement, l’intervenant détenait des parts sociales au sein des requérantes et était également le gérant unique de l’une d’entre elles. L’intervenant a cessé d’exercer ses fonctions de gérant unique de Bioalchemilla le 15 avril 2020 et a cédé ses parts sociales dans les requérantes le 17 juin 2020.

34      Il est également exact que l’intervenant avait initié le projet lié au signe Kamalei en septembre 2019, alors qu’il était encore un des associés des requérantes et le gérant unique de l’une d’entre elles.

35      Néanmoins, il convient de constater que les requérantes n’ont présenté aucune preuve concrète démontrant que l’intervenant avait agi de mauvaise foi en déposant la marque contestée.

36      En effet, les seuls faits certains prouvés par les requérantes tenaient, premièrement, à l’existence de relations formelles entre elles et l’intervenant avant et au moment du dépôt de la demande d’enregistrement de la marque contestée, deuxièmement, à l’existence d’une cession des parts sociales détenues par l’intervenant dans les requérantes après le dépôt de cette demande et, troisièmement, à la circonstance que l’intervenant avait initié le projet lié au développement du signe Kamalei alors qu’il était encore engagé dans des relations formelles avec les requérantes.

37      Pour le reste, les documents produits ne permettaient pas de démontrer, à la date du dépôt de la demande d’enregistrement de la marque contestée, l’existence d’un usage de la marque Kamalei, de la marque NAMALEI ou d’un quelconque projet lié à ces marques imputables aux requérantes, que celles-ci auraient mené seules ou conjointement avec l’intervenant.

38      Ainsi, en premier lieu, si le contrat préliminaire de cession des parts sociales de l’intervenant établissait l’existence d’une obligation pour celui-ci de respecter les droits de propriété intellectuelle des requérantes, néanmoins, il ne précisait pas les droits concernés. À cet égard, la chambre de recours a souligné, à juste titre, que si ce document faisait référence à une annexe relative aux « marques, signes distinctifs et/ou adresses internet, noms de domaine, sites internet et/ou droits de propriété intellectuelle » appartenant aux requérantes, cette annexe ne figurait pas parmi les documents produits par les requérantes.

39      En second lieu, comme l’a relevé à juste titre la chambre de recours, les seuls indices d’utilisation du signe Kamalei avant le dépôt de la demande d’enregistrement de la marque contestée, tels que l’activation du compte de messagerie électronique « kamaleicosmesi@gmail.com » ainsi que l’enregistrement des noms de domaine « kamalei.it », « kamaleicosmetics.it » et « kamaleicosmetics.com », étaient tous et exclusivement liés à l’intervenant. Les requérantes n’ont, en effet, pas démontré que ces actes avaient été effectués par l’intervenant en leur nom et pour leur compte ou qu’ils relevaient de leur objet social.

40      À cet égard, reprenant à bon droit les observations de la division d’annulation sur ce dernier point, la chambre de recours a rappelé que les extraits de la législation italienne cités par les requérantes dans leurs écritures à cette fin ne sauraient être interprétés de manière à attribuer automatiquement aux sociétés tous les actes accomplis par leur gérant. Il ne ressort pas, en effet, des extraits des articles 2204, 2266 et 2298 du Codice civile (code civil italien) fournis par les requérantes devant l’Office que tout acte pris par une personne exerçant les fonctions de gérant dans une société emporte automatiquement des droits ou des obligations pour la société qu’elle gère. Or, en l’absence d’autres éléments présentés par les requérantes pour démontrer que le droit italien doit être interprété dans le sens évoqué par celles-ci (voir, par analogie, arrêt du 5 juillet 2011, Edwin/OHMI, C‑263/09 P, EU:C:2011:452, point 50), les requérantes ne sauraient valablement reprocher à la chambre de recours de ne pas les avoir considérées comme étant titulaires des droits liés à la marque contestée et au signe Kamalei, sur la base de ce droit.

41      En outre, ce constat ne saurait être remis en cause par l’argument des requérantes fondé sur l’article 9 de la directive (UE) 2017/1132 du Parlement européen et du Conseil, du 14 juin 2017, relative à certains aspects du droit des sociétés (JO 2017, L 169, p. 46). En effet, en ce que cet argument des requérantes doit être compris comme corroborant leur interprétation des dispositions du droit italien qu’elles invoquent, il suffit de relever qu’elles n’ont pas établi en quoi l’interprétation faite par la chambre de recours du droit italien en cause était en contradiction avec cet article de la directive 2017/1132, dont le contenu est au demeurant repris, en substance, dans ces dispositions.

42      De même, les requérantes ne sauraient valablement reprocher à la chambre de recours de ne pas avoir examiné l’ensemble des documents à la lumière des déclarations faites par l’intervenant dans le cadre de la procédure parallèle devant les tribunaux italiens.

43      À cet égard, il suffit de relever que ce grief de la requérante procède d’une lecture erronée de la décision attaquée, puisque, ainsi qu’il ressort du point 71 de la décision attaquée, la chambre de recours a également pris en considération dans le cadre de son examen les documents relatifs à la procédure parallèle devant les tribunaux italiens. Elle a cependant considéré que ces documents ne permettaient pas de déduire avec certitude l’existence d’un usage ou de tout projet relatif aux signes Kamalei ou NAMALEI pouvant être imputé aux requérantes, antérieurement au dépôt de la demande d’enregistrement de la marque contestée.

44      Par ailleurs, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, il ne ressort pas des déclarations de l’intervenant dans le cadre de ladite procédure une reconnaissance par celui-ci de sa mauvaise foi lors du dépôt de la demande d’enregistrement de la marque contestée. En effet, comme le soulignent à juste titre l’EUIPO et l’intervenant dans leurs écritures, ces déclarations ne font que confirmer des éléments factuels déjà établis par ailleurs, comme l’activation du compte de messagerie électronique « kamaleicosmesi@gmail.com » et l’enregistrement des noms de domaine « kamalei.it », « kamaleicosmetics.it » et « kamaleicosmetics.com » par l’intervenant en septembre 2019.

45      Il résulte de ce qui précède que l’analyse effectuée par la chambre de recours, qui conclut à l’absence de mauvaise foi de l’intervenant lors du dépôt de la demande d’enregistrement de la marque contestée sur la base des éléments de preuve produits par les requérantes, doit être confirmée. Aucun des arguments avancés par les requérantes n’est susceptible de remettre en cause cette conclusion.

46      Il s’ensuit que la chambre de recours n’a pas commis d’erreur d’appréciation en estimant que les éléments du dossier ne contenaient aucune information établissant la mauvaise foi de l’intervenant.

47      Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de rejeter le moyen tiré de la violation de l’article 59, paragraphe 1, sous b), du règlement 2017/1001 et, par suite, le recours dans son intégralité.

 Sur les dépens

48      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

49      Les requérantes ayant succombé, il y a lieu de les condamner aux dépens exposés par l’intervenant au cours de la procédure devant le Tribunal, conformément aux conclusions de ce dernier. En revanche, l’EUIPO n’ayant conclu à la condamnation des requérantes aux dépens qu’en cas de convocation à une audience, il convient, en l’absence d’organisation d’une audience, de décider que l’EUIPO supportera ses propres dépens.

50      Par ailleurs, l’intervenant a conclu à ce que les requérantes soient condamnées aux dépens exposés par lui devant la division d’annulation et la chambre de recours.

51      À cet égard, d’une part, il convient de rappeler que, en vertu de l’article 190, paragraphe 2, du règlement de procédure, seuls les frais indispensables exposés par les parties aux fins de la procédure devant la chambre de recours sont considérés comme dépens récupérables. Il en résulte que les frais encourus aux fins de la procédure devant la division d’annulation ne peuvent être considérés comme des dépens récupérables [voir, en ce sens, arrêts du 12 janvier 2006, Devinlec/OHMI – TIME ART (QUANTUM), T‑147/03, EU:T:2006:10, point 115, et du 16 janvier 2008, Inter-Ikea/OHMI – Waibel (idea), T‑112/06, non publié, EU:T:2008:10, point 88]. Dès lors, les conclusions de l’intervenant tendant à la condamnation des requérantes aux dépens exposés devant la division d’annulation doivent être rejetées.

52      D’autre part, en ce que la demande de l’intervenant concerne les dépens de la procédure devant la chambre de recours, il suffit de relever que, étant donné que le présent arrêt rejette le recours dirigé contre la décision attaquée, c’est le dispositif de celle-ci qui continue à régler les dépens en cause [voir, en ce sens, arrêt du 4 octobre 2017, Intesa Sanpaolo/EUIPO – Intesia Group Holding (INTESA), T‑143/16, non publié, EU:T:2017:687, point 74].

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (troisième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Bioalchemilla Srl et Alkemilla Eco Bio Cosmetic Srl sont condamnées à supporter leurs propres dépens ainsi que ceux exposés par M. Paolo Morale aux fins de la procédure devant le Tribunal.

3)      L’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) supportera ses propres dépens.

Škvařilová-Pelzl

Nõmm

Meyer

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 24 septembre 2025.

Signatures


*      Langue de procédure : l’italien.