ARRÊT DE LA COUR (cinquième chambre)
2 octobre 2025 (*)
« Renvoi préjudiciel – Coopération judiciaire en matière pénale – Directive 2004/80/CE – Article 12, paragraphe 2 – Indemnisation des victimes de la criminalité intentionnelle violente – Indemnisation juste et appropriée – Réglementation nationale excluant l’indemnisation pour la douleur et la souffrance endurées »
Dans l’affaire C‑284/24,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par High Court (Haute Cour, Irlande), par décision du 12 avril 2024, parvenue à la Cour le 23 avril 2024, dans la procédure
LD
contre
Criminal Injuries Compensation Tribunal,
Minister for Justice and Equality,
Ireland,
Attorney General,
LA COUR (cinquième chambre),
composée de Mme M. L. Arastey Sahún, présidente de chambre, MM. D. Gratsias (rapporteur), E. Regan, J. Passer et B. Smulders, juges,
avocat général : Mme L. Medina,
greffier : M. A. Calot Escobar,
vu la procédure écrite,
considérant les observations présentées :
– pour LD, par Mme C. Donnelly, SC, M. M. Lynn, SC, et M. J. MacGuill, SC, solicitor, Mme D. Brady, BL, Mme C. Donald, solicitor, ainsi que Me E. Martin-Vignerte, avocate,
– pour le Criminal Injuries Compensation Tribunal, le Minister for Justice and Equality, l’Irlande et l’Attorney General, par Mme M. Browne, Chief State Solicitor, Mme S. Finnegan, M. A. Joyce et M. J. Moloney, en qualité d’agents, assistés de Mme M. Reilly, SC, et M. M. Finan, BL,
– pour le gouvernement tchèque, par M. M. Smolek, Mme A. Pagáčová et M. J. Vláčil, en qualité d’agents,
– pour le gouvernement allemand, par MM. J. Möller et P.-L. Krüger, en qualité d’agents,
– pour le gouvernement néerlandais, par Mmes E. M. M. Besselink, M. K. Bulterman et M. H. S. Gijzen, en qualité d’agents,
– pour le gouvernement polonais, par M. B. Majczyna, en qualité d’agent,
– pour la Commission européenne, par MM. S. Noë et J. Tomkin, en qualité d’agents,
vu la décision prise, l’avocate générale entendue, de juger l’affaire sans conclusions,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 12, paragraphe 2, de la directive 2004/80/CE du Conseil, du 29 avril 2004, relative à l’indemnisation des victimes de la criminalité (JO 2004, L 261, p. 15).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant LD au Criminal Injuries Compensation Tribunal (tribunal d’indemnisation des victimes d’infractions pénales, Irlande) (ci-après le « CICT »), au Minister for Justice and Equality (ministre de la Justice et de l’Égalité, Irlande), à l’Irlande et à l’Attorney General (procureur général, Irlande) au sujet d’une demande d’indemnisation introduite par LD au titre du Scheme of Compensation for Personal Injuries Criminally Inflicted (régime d’indemnisation des victimes d’infractions pénales pour les dommages corporels subis, ci‑après le « régime d’indemnisation des victimes irlandais »).
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
La directive 2004/80
3 Aux termes des considérants 2, 10 et 14 de la directive 2004/80 :
« (2) Dans l’[arrêt du 2 février 1989, Cowan, 186/87, EU:C:1989:47], la Cour a dit que, lorsque le droit communautaire garantit à une personne physique la liberté de se rendre dans un autre État membre, la protection de l’intégrité de cette personne dans ledit État membre, au même titre que celle des nationaux et des personnes y résidant, constitue le corollaire de cette liberté de circulation. Des mesures visant à faciliter l’indemnisation des victimes de la criminalité devraient concourir à la réalisation de cet objectif.
[...]
(10) Les victimes d’infractions ne parviennent souvent pas à se faire indemniser par l’auteur de l’infraction dont elles ont été victimes, soit parce que ce dernier ne dispose pas des ressources nécessaires pour se conformer à une décision de justice octroyant à la victime des dommages et intérêts, soit parce qu’il ne peut pas être identifié ou poursuivi.
[...]
(14) La présente directive respecte les droits fondamentaux et observe les principes réaffirmés notamment par la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne en tant que principes généraux du droit communautaire. »
4 L’article 1er de cette directive, intitulé « Droit d’introduire la demande dans l’État membre de résidence », énonce :
« Si l’infraction intentionnelle violente a été commise dans un État membre autre que celui où le demandeur réside habituellement, les États membres veillent à ce que celui-ci ait le droit de présenter sa demande à une autorité ou à tout autre organisme dudit État membre. »
5 L’article 12 de ladite directive, unique article relevant de son chapitre II, intitulé « Régimes nationaux d’indemnisation », dispose, à son paragraphe 2 :
« Tous les États membres veillent à ce que leurs dispositions nationales prévoient l’existence d’un régime d’indemnisation des victimes de la criminalité intentionnelle violente commise sur leurs territoires respectifs qui garantisse une indemnisation juste et appropriée des victimes. »
6 L’article 18 de la même directive, intitulé « Mise en œuvre », prévoit, à son paragraphe 2 :
« Les États membres peuvent prévoir que les mesures nécessaires pour se conformer à la présente directive ne s’appliquent qu’aux demandeurs ayant subi des dommages corporels du fait d’infractions commises après le 30 juin 2005. »
La directive 2012/29/UE
7 L’article 2 de la directive 2012/29/UE du Parlement européen et du Conseil, du 25 octobre 2012, établissant des normes minimales concernant les droits, le soutien et la protection des victimes de la criminalité et remplaçant la décision-cadre 2001/220/JAI du Conseil (JO 2012, L 315, p. 57), intitulé « Définitions », dispose, à son paragraphe 1 :
« Aux fins de la présente directive, on entend par :
a) “victime” :
i) toute personne physique ayant subi un préjudice, y compris une atteinte à son intégrité physique, mentale ou émotionnelle ou une perte matérielle, qui a été directement causé par une infraction pénale ;
[...] »
Le droit irlandais
8 Le régime d’indemnisation des victimes irlandais est un régime administratif, établi en 1974, qui vise à indemniser les victimes d’infractions pénales pour les préjudices subis. Son application est confiée au CICT. Ainsi qu’il ressort de la décision de renvoi, ce régime prévoyait, dans sa version initiale, le paiement des dommages-intérêts dits « généraux » (general damages), y compris pour la douleur et la souffrance endurées (pain and suffering).
9 Depuis une modification dudit régime intervenue le 1er avril 1986, aucune indemnisation n’est accordée pour la douleur et la souffrance endurées, au titre de dommages-intérêts généraux, car, ainsi que le relève, en substance, la juridiction de renvoi, la portée des dispositions concernées avant leur modification avait de lourdes conséquences sur les finances de l’État irlandais qui traversait, à cette époque, une période de profonde récession économique.
Le litige au principal et les questions préjudicielles
10 Le 12 juillet 2015, LD, né en Espagne et résidant en Irlande, a été victime d’une agression criminelle violente commise par un groupe de personnes devant son domicile à Dublin (Irlande).
11 Le 1er octobre 2015, LD a déposé devant le CICT une demande d’indemnisation au titre du régime d’indemnisation des victimes irlandais.
12 Dans cette demande, LD a indiqué qu’il avait subi, du fait de cette agression, un traumatisme oculaire important ayant entraîné une perte partielle de la vision, et ce de manière permanente, ainsi que diverses autres blessures, notamment au niveau de la mâchoire, de l’épaule et du bras gauches, de la taille et du torse. Il souffrirait, par ailleurs, de troubles psychologiques et d’anxiété. Après avoir été en arrêt de travail consécutivement à ladite agression, LD aurait été licencié par son employeur et aurait été sans emploi au moment du dépôt de ladite demande.
13 Après avoir constaté que LD avait subi des dommages corporels et des préjudices matériels résultant de l’infraction intentionnelle violente dont il avait été victime et que ce dernier n’avait pas obtenu d’indemnisation de la part d’autres sources, le CICT lui a accordé, ex gratia, une somme de 645,62 euros pour les frais (out-of-pocket expenses) exposés par lui résultant directement de cette infraction. À la suite d’une demande de LD en ce sens, ce tribunal a fourni à ce dernier une ventilation du montant de l’indemnité accordée, en précisant que LD s’était vu accorder une somme de 44,20 euros pour le remplacement de son permis de conduire, 339 euros pour le remplacement de ses lunettes, 28,82 euros pour l’achat de médicaments, 100 euros au titre de frais d’hôpital et 133,63 euros pour des frais de déplacement.
14 Le 2 août 2019, LD a introduit un recours devant la High Court (Haute Cour, Irlande), qui est la juridiction de renvoi, par lequel il demande notamment, d’une part, une déclaration selon laquelle le régime d’indemnisation des victimes irlandais est incompatible avec la directive 2004/80 et/ou les articles 1er, 3, 4, 7 et 9 de la charte des droits fondamentaux (ci-après la « Charte »), en ce que ce régime ne prévoirait pas une indemnisation juste et appropriée en raison de l’exclusion des dommages-intérêts généraux, y compris pour la douleur et la souffrance endurées et, d’autre part, une déclaration selon laquelle, en tant que victime de la criminalité, il a droit à une indemnisation pour cette douleur et cette souffrance.
15 La juridiction de renvoi fait observer, tout d’abord, que, certes, l’arrêt du 16 juillet 2020, Presidenza del Consiglio dei Ministri (C‑129/19, EU:C:2020:566), fournit des précisions utiles s’agissant de l’interprétation de l’article 12, paragraphe 2, de la directive 2004/80. Toutefois, cet arrêt ne permettrait pas de répondre à la question de savoir si et dans quelle mesure une indemnisation juste et appropriée, au sens de cette disposition, doit être prévue pour contribuer à réparer le préjudice tant matériel que moral subi par les victimes de la criminalité intentionnelle violente, y compris la douleur et la souffrance endurées. Il ressort, à cet égard, sans aucune ambiguïté de la décision de renvoi que, en droit irlandais, la douleur et la souffrance relèvent de la catégorie plus large du préjudice moral (non-material loss).
16 Ensuite, tout en rappelant la large marge d’appréciation dont disposent les États membres en la matière, la juridiction de renvoi expose qu’elle nourrit des doutes, qui seraient partagés par la Court of Appeal (Cour d’appel, Irlande), quant à la possibilité de limiter le champ d’application des régimes nationaux d’indemnisation pour ce qui est du préjudice moral. Selon la juridiction de renvoi, l’arrêt du 16 juillet 2020, Presidenza del Consiglio dei Ministri (C‑129/19, EU:C:2020:566), n’a, certes, pas précisé quel dommage ou préjudice peut être qualifié de préjudice moral. Néanmoins, elle souligne que, d’après sa propre interprétation de cet arrêt, d’une part, l’emploi par la Cour du terme « souffrances » implique une obligation d’indemnisation pour la douleur et la souffrance endurées, à tout le moins dans une certaine mesure. D’autre part, il serait difficile d’admettre l’exclusion d’une telle indemnisation lorsque, selon ledit arrêt, l’indemnisation prévue par la directive 2004/80 doit tenir compte de la gravité des conséquences pour la victime de l’infraction commise.
17 Enfin, cette juridiction se réfère au rapport de la Commission au Conseil, au Parlement européen et au Comité économique et social européen, du 20 avril 2009, sur l’application de la directive 2004/80/CE du Conseil relative à l’indemnisation des victimes de la criminalité [COM(2009) 170 final], relatif à la période comprise entre le 1er janvier 2006 et le 31 décembre 2008, selon lequel la plupart des États membres prévoyaient, dans le cadre de leurs régimes nationaux, une indemnisation pour la maladie et pour les préjudices psychologiques.
18 Dans ces conditions, la High Court (Haute Cour) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« [1)] L’obligation de prévoir une “indemnisation juste et appropriée” des victimes de la criminalité intentionnelle violente, que l’article 12, paragraphe 2, de la directive [2004/80] impose aux États membres, exige-t-elle qu’une victime soit indemnisée pour le dommage tant matériel que moral, au sens de l’arrêt du 16 juillet 2020, Presidenza del Consiglio dei Ministri (C‑129/19, EU:C:2020:566) ?
[2)] Si la [première question] appelle une réponse affirmative, quelles formes de dommages relèvent de la notion de “dommage moral” ?
[3)] En particulier, la douleur et la souffrance subies par une victime [relèvent-elles] de la notion de “dommage moral” ?
[4)] Si les [première et troisième questions] appellent une réponse affirmative, étant donné que les États membres sont tenus de veiller à ce que leurs régimes soient financièrement viables, quel rapport devrait présenter l’“indemnisation juste et appropriée” accordée à une victime en vertu de la directive 2004/80 avec les dommages et intérêts au titre de la responsabilité délictuelle qui seraient accordés à cette victime à charge de l’auteur concerné de l’infraction en tant qu’auteur d’une faute délictuelle ?
[5)] L’indemnisation prévue par le [régime d’indemnisation des victimes irlandais] pour les victimes de la criminalité intentionnelle violente peut-elle être considérée comme étant une “indemnisation juste et appropriée des victimes”, au sens de l’article 12, paragraphe 2, de la directive 2004/80, lorsqu’une victime se voit accorder un montant de 645,65 euros en tant qu’indemnisation pour un traumatisme oculaire grave entraînant des troubles visuels permanents ? »
Sur les questions préjudicielles
19 Par ses questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 12, paragraphe 2, de la directive 2004/80 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à un régime national d’indemnisation des victimes de la criminalité intentionnelle violente qui, par principe, exclut, pour ce qui est du préjudice moral, toute indemnisation pour la douleur et la souffrance endurées par ces victimes.
20 Il y a lieu d’observer, à titre liminaire, que, par cette directive, le législateur a prévu un régime d’indemnisation subsidiaire à la réparation que de telles victimes sont susceptibles d’obtenir au titre de la responsabilité délictuelle de l’auteur de l’infraction.
21 En effet, ainsi qu’il ressort du considérant 10 de ladite directive, elle a été adoptée eu égard, entre autres, à la constatation que ces victimes ne parviennent souvent pas à se faire indemniser par l’auteur de celle-ci, soit parce que ce dernier ne dispose pas de ressources nécessaires pour se conformer à une décision de justice octroyant à la victime des dommages et intérêts, soit parce qu’il ne peut pas être identifié ou poursuivi.
22 En particulier, aux termes de l’article 12, paragraphe 2, de la directive 2004/80, tous les États membres sont tenus de veiller à ce que les dispositions nationales prévoient l’existence d’un régime d’indemnisation des victimes de la criminalité intentionnelle violente commise sur leurs territoires respectifs qui garantisse une indemnisation juste et appropriée.
23 S’agissant du champ d’application de l’article 12, paragraphe 2, de la directive 2004/80, la Cour a précisé que cette disposition confère le droit d’obtenir une indemnisation juste et appropriée non seulement aux victimes de la criminalité intentionnelle violente commise sur le territoire d’un État membre qui se trouvent dans une situation transfrontalière, au sens de l’article 1er de cette directive, mais aussi aux victimes qui résident habituellement sur le territoire de cet État membre (arrêt du 16 juillet 2020, Presidenza del Consiglio dei Ministri, C‑129/19, EU:C:2020:566, point 55).
24 Pour ce qui est de la détermination de cette indemnisation, compte tenu, d’une part, de la marge d’appréciation reconnue aux États membres par cette disposition en ce qui concerne tant le caractère « juste et approprié » du montant de ladite indemnisation que les modalités de sa détermination et, d’autre part, de la nécessité d’assurer la viabilité financière des régimes nationaux, la même indemnisation ne doit pas nécessairement correspondre aux dommages et intérêts susceptibles d’être octroyés, à charge de l’auteur d’une infraction relevant de la criminalité intentionnelle violente, à la victime de cette infraction. Par conséquent, l’indemnisation prévue à l’article 12, paragraphe 2, de la directive 2004/80 ne doit pas forcément assurer une réparation complète du dommage matériel et moral subi par cette victime (voir, en ce sens, arrêt du 7 novembre 2024, Burdene, C‑126/23, EU:C:2024:937, point 57 et jurisprudence citée).
25 Dans ce contexte, il appartient, en définitive, au juge national d’assurer, au regard des dispositions nationales ayant institué le régime d’indemnisation concerné, que la somme allouée à une victime de la criminalité intentionnelle violente en vertu de ce régime constitue une indemnisation juste et appropriée au sens de l’article 12, paragraphe 2, de cette directive (arrêts du 16 juillet 2020, Presidenza del Consiglio dei Ministri, C‑129/19, EU:C:2020:566, point 61, et du 7 novembre 2024, Burdene, C‑126/23, EU:C:2024:937, point 58).
26 Toutefois, un État membre irait au-delà de la marge d’appréciation accordée par cette disposition si ses dispositions nationales prévoyaient une indemnisation des victimes de la criminalité intentionnelle violente purement symbolique ou manifestement insuffisante au regard de la gravité des conséquences, pour les victimes, de l’infraction commise (arrêts du 16 juillet 2020, Presidenza del Consiglio dei Ministri, C‑129/19, EU:C:2020:566, point 63, et du 7 novembre 2024, Burdene, C‑126/23, EU:C:2024:937, point 59).
27 En effet, dès lors que l’indemnisation octroyée à de telles victimes représente une contribution à la réparation du préjudice matériel et moral subi par celles-ci, une telle contribution ne peut être considérée comme étant « juste et appropriée » que si elle compense, dans une mesure adéquate, les souffrances auxquelles elles ont été exposées (voir, en ce sens, arrêts du 16 juillet 2020, Presidenza del Consiglio dei Ministri, C‑129/19, EU:C:2020:566, point 64, et du 7 novembre 2024, Burdene, C‑126/23, EU:C:2024:937, point 60).
28 Dès lors, une indemnité accordée au titre d’un régime national d’indemnisation de telles victimes doit, pour être qualifiée de « juste et appropriée », au sens de l’article 12, paragraphe 2, de la directive 2004/80, être fixée en tenant compte de la gravité des conséquences, pour les victimes, de l’infraction commise et, partant, représenter une contribution adéquate à la réparation d’un tel préjudice matériel et moral subi (voir, en ce sens, arrêts du 16 juillet 2020, Presidenza del Consiglio dei Ministri, C‑129/19, EU:C:2020:566, point 69, et du 7 novembre 2024, Burdene, C‑126/23, EU:C:2024:937, point 62).
29 S’agissant, plus spécifiquement, de la réparation du préjudice moral subi par ces victimes, si, certes, cette disposition ne comporte pas de référence explicite à un tel préjudice, il convient de relever que la formulation large de ladite disposition ne limite aucunement la portée de l’indemnisation y prévue quant aux préjudices qu’elle est susceptible de contribuer à réparer.
30 Par ailleurs, ainsi que la Cour l’a indiqué au point 48 de l’arrêt du 7 novembre 2024, Burdene (C‑126/23, EU:C:2024:937), la portée de la notion de « victimes » telle qu’elle figure à l’article 12, paragraphe 2, de la directive 2004/80, est éclairée par la définition de la notion de « victimes » énoncée à l’article 2, paragraphe 1, sous a), de la directive 2012/29, qui vise « toute personne physique ayant subi un préjudice, y compris une atteinte à son intégrité physique, mentale ou émotionnelle ou une perte matérielle, qui a été directement causé par une infraction pénale ». Or, il ressort clairement du libellé de cette dernière disposition qu’elle vise tant les victimes ayant subi des préjudices matériels que celles ayant subi des préjudices moraux. En particulier, le fait que ladite disposition vise les atteintes à l’intégrité tant physique que mentale ou émotionnelle confirme que les préjudices subis par ces victimes recouvrent, également, la douleur et la souffrance endurées par celles-ci.
31 Il ressort donc de la jurisprudence de la Cour que ne saurait être établie aucune distinction selon les types de préjudices que les victimes des infractions commises sont susceptibles d’avoir subis ou les conséquences auxquelles ces victimes sont susceptibles d’être exposées.
32 Même à supposer que le libellé de l’article 18, paragraphe 2, de la directive 2004/80 qui, dans ses versions notamment en langues française et roumaine, vise les seuls « dommages corporels » puisse suggérer l’existence d’une telle distinction, il y a lieu de relever que, dans plusieurs autres versions linguistiques de cette disposition, le terme « dommages » n’est assorti d’aucun adjectif visant à en limiter la portée.
33 Or, selon une jurisprudence constante, les dispositions du droit de l’Union doivent être interprétées et appliquées de manière uniforme, à la lumière des versions établies dans toutes les langues de l’Union européenne et, en cas de divergence entre ces diverses versions, la disposition en cause doit être interprétée en fonction de l’économie générale et de la finalité de la réglementation dont elle constitue un élément (arrêt du 17 janvier 2023, Espagne/Commission, C‑632/20 P, EU:C:2023:28, point 42 et jurisprudence citée).
34 À cet égard, d’une part, aucune autre disposition de la directive 2004/80 ne permet de considérer qu’une distinction doive être établie entre les types de préjudices ou de dommages subis par les victimes qui relèvent de son champ d’application.
35 D’autre part, il ressort du considérant 2 de cette directive que les mesures visant à faciliter l’indemnisation des victimes de la criminalité devraient concourir à la réalisation de l’objectif d’assurer la protection de l’intégrité des personnes concernées. En outre, ainsi que l’indique le considérant 14 de ladite directive, celle-ci respecte les droits fondamentaux et les principes réaffirmés notamment par la Charte. Or, ainsi qu’il ressort de l’article 3, paragraphe 1, de la Charte, l’intégrité de la personne doit être conçue comme étant tant physique que mentale.
36 Partant, il convient de considérer que l’indemnisation prévue à l’article 12, paragraphe 2, de la directive 2004/80 doit être susceptible, le cas échéant, de contribuer à réparer tout préjudice moral, y compris le préjudice pour la douleur et la souffrance endurées.
37 À ce titre, ainsi que le relève, en substance, la juridiction de renvoi dans le cadre de la cinquième question préjudicielle, une agression criminelle violente telle que celle subie par LD peut donner lieu à des conséquences graves, tant au titre du préjudice matériel que du préjudice moral, notamment en raison de la douleur et de la souffrance endurées, ce qui doit être reflété dans le montant accordé.
38 Ainsi, en l’occurrence, l’indemnisation du préjudice souffert par LD ne saurait, sous réserve de vérification par la juridiction de renvoi, constituer une indemnisation juste et appropriée, au sens de cet article 12, paragraphe 2, notamment si un préjudice moral tel que celui visé au point précédent en était exclu, dans la mesure où elle ne couvrirait que partiellement les préjudices subis par la victime de l’infraction en cause et ne saurait, ainsi, être considérée comme tenant compte de la gravité des conséquences de celle-ci pour cette victime.
39 Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre aux questions posées que l’article 12, paragraphe 2, de la directive 2004/80 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à un régime national d’indemnisation des victimes de la criminalité intentionnelle violente qui, par principe, exclut, pour ce qui est du préjudice moral, toute indemnisation pour la douleur et la souffrance endurées par ces victimes. Nonobstant la nécessité d’assurer la viabilité financière des régimes nationaux d’indemnisation, de sorte qu’il n’incombe pas forcément aux États membres de prévoir une réparation complète du dommage matériel et moral subi par lesdites victimes, une indemnisation juste et appropriée, au sens de cette disposition, requiert, lors de la détermination d’une telle indemnisation, de tenir compte de la gravité des conséquences, pour les victimes, des infractions commises ainsi que de la réparation que de telles victimes sont susceptibles d’obtenir au titre de la responsabilité délictuelle de l’auteur de l’infraction.
Sur les dépens
40 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (cinquième chambre) dit pour droit :
L’article 12, paragraphe 2, de la directive 2004/80/CE du Conseil, du 29 avril 2004, relative à l’indemnisation des victimes de la criminalité,
doit être interprété en ce sens que :
il s’oppose à un régime national d’indemnisation des victimes de la criminalité intentionnelle violente qui, par principe, exclut, pour ce qui est du préjudice moral, toute indemnisation pour la douleur et la souffrance endurées par ces victimes. Nonobstant la nécessité d’assurer la viabilité financière des régimes nationaux d’indemnisation, de sorte qu’il n’incombe pas forcément aux États membres de prévoir une réparation complète du dommage matériel et moral subi par lesdites victimes, une indemnisation juste et appropriée, au sens de cette disposition, requiert, lors de la détermination d’une telle indemnisation, de tenir compte de la gravité des conséquences, pour les victimes, des infractions commises ainsi que de la réparation que de telles victimes sont susceptibles d’obtenir au titre de la responsabilité délictuelle de l’auteur de l’infraction.
Signatures