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TRADUCTION PROVISOIRE DU
CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL
M. DÁMASO RUIZ-JARABO COLOMER
présentées le 26 novembre 1998 (1)
Affaire C-178/97
Barry Banks e.a.
contre
Théâtre Royal de la Monnaie
(demande de décision préjudicielle formée par le tribunal du travail de Bruxelles)
«Sécurité sociale des travailleurs migrants - Travailleur non salarié dans un État membre, qui réalise dans un autre État membre un travail dont la durée prévisible est inférieure à douze mois - Détermination de la législation applicable»
- 1.
- Lorsqu'un chanteur d'opéra ou un chef d'orchestre, qui exercent normalement dans un État membre dont la législation en matière de sécurité sociale considère leur activité comme une activité non salariée, se rendent dans un autre État membre, à la suite d'un engagement pour s'y produire pendant quelques jours, peuvent-ils rester assujettis au régime de sécurité sociale du premier État ou tombent-ils au contraire dans le champ d'application du régime de sécurité sociale du deuxième État, dont la législation considère que la même activité est une activité salariée?
C'est ainsi que peuvent être résumées les questions préjudicielles posées par le tribunal du travail de Bruxelles, et dont la résolution exigera d'interpréter l'article 14 bis, paragraphe 1, sous a) et l'article 14 quater, sous a), du règlement (CEE) n° 1408/71 (2) (ci-après le «règlement n° 1408/71»).
I - Les faits dans la procédure au principal
- 2.
- Les demandeurs dans la procédure au principal, à savoir M. Banks et neuf autre chanteurs d'opéra ainsi qu'un chef d'orchestre,soutenus par trois autres artistes, qui se sont portés parties intervenantes, tous de nationalité britannique et résidant au Royaume-Uni, ont été engagés par le Théâtre Royal de la Monnaie de Bruxelles (ci-après le «TRM»), partie défenderesse, pour se produire en Belgique pendant des périodes relativement courtes comprises entre 1993 à 1995.
- 3.
- L'activité du chanteur d'opéra, de si longue tradition dans l'histoire culturelle du monde occidental (3) et si difficile dans sonexercice (4), n'a pas produit en l'espèce les effets qu'elle a fréquemment sur la sensibilité d'un grand nombre de personnes (5).
- 4.
- Les contrats de la majorité d'entre eux précisaient que les répétitions auraient lieu du 4 au 22 janvier 1994 et que les représentations se dérouleraient du 23 janvier au 5 février 1994, soit une période de travail de 25 jours au total. Le chef d'orchestre a travaillé également du 21 au 23 décembre 1993. Les trois intervenants avaient travaillé pour le TRM au cours de périodes antérieures aussi: MM. Appleton et Davies avaient été engagés en qualité d'artistes pour les périodes comprises, respectivement, entre le 11 avril et le 30 juin 1992 et entre le 22 avril et le 30 juin 1992; M. Curtis a été engagé du15 janvier, au 13 mars 1993, du 10 au 21 novembre 1993 et du 25 octobre 1994 au 28 février 1995.
- 5.
- Pendant leur contrat ou après le début de la procédure devant les tribunaux, les parties demanderesses ont présenté le formulaire E 101, délivré par l'institution compétente au Royaume-Uni, conformément à l'article 11 bis du règlement (CEE) n° 574/72 (6) (ci-après le «règlement n° 574/72»), qui fixe les modalités d'application du règlement n° 1408/71. Ces formulaires couvrent la période pendant laquelle les artistes ont été engagés par le TRM et ils spécifient que les intéressés sont des travailleurs non salariés au Royaume-Uni, qu'ils exerceraient une activité non salariée pendant la durée de leur contrat en Belgique, et qu'ils resteraient soumis à la législation britannique conformément aux dispositions de l'article 14 bis, paragraphe 1, sous a), du règlement n° 1408/71.
- 6.
- Cependant, en application de l'article 3, paragraphe 2, de l'arrêté royal du 28 novembre 1969, pris en exécution de la loi du 27 juin 1969 révisant l'arrêté-loi du 28 décembre 1944 concernant la sécurité sociale des assujettis au régime des travailleurs salariés, le TRM a, en sa qualitéd'employeur, déduit des cachets des intéressés les cotisations dues à ce régime de sécurité sociale pour le nombre de jours travaillés en Belgique.
- 7.
- Le litige au principal a pour objet un recours visant à faire condamner le TRM, une institution dont le prestige international est indiscutable (7), à rembourser aux parties demanderesses les sommes retenues sur leur cachet au titre des cotisations au régime de sécurité sociale, au motif que ces sommes auraient été déduites indûment puisque lesdites parties demanderesses étaient restées soumises à la législation de sécurité sociale du Royaume-Uni, en application de l'article 14 bis, paragraphe 1), sous a), du règlement n° 1408/71.
II - Les questions préjudicielles
- 8.
- Afin de pouvoir trancher ce litige, le tribunal du travail de Bruxelles a sursis à statuer et a saisi la Cour de justice des questions préjudicielles suivantes:
«I. 1° La notion de 'travail figurant à l'article 14 bis, 1, a), du règlement (CEE) n° 1408/71, vise-t-elle toute prestation de travail, salarié ou non salariée, dont la durée n'excède pas douze mois?
2° Si la notion de 'travail au sens de l'article 14 [bis], 1, a), vise exclusivement un travail non salarié, cette notion doit-elle être déterminée au regard du droit de la sécurité sociale de l'État membre sur lequel est exercée normalement l'activité non salariée ou au regard du droit de la sécurité sociale de l'État membre sur lequel le 'travail est exercé?
II. Quelle est l'unité de temps qui doit être prise en considération pour apprécier le terme 'simultanément figurant à l'article 14 quater du règlement n° 1408/71, ou quels sont les critères permettant de déterminer cette notion?
III. a) 1° Le formulaire E 101, dont la délivrance est prévue, notamment par les articles 11 bis et 12 bis,paragraphe 7, du règlement n° 2001/83 (8), a-t-il force obligatoire quant aux effets juridiques qu'il atteste:
- à l'égard de l'institution compétente de l'État membre sur lequel s'exerce la seconde activité?
- à l'égard de la personne qui recourt aux prestations du travailleur exerçant une activité sur le territoire de deux États membres?
2° Dans l'affirmative, jusqu'à quand?
b) Le formulaire E 101 produit-il un effet rétroactif, dans la mesure où les périodes qu'il vise sont expirées au moment où il est émis ou au moment où il est produit?»
III - La législation communautaire
- 9.
- Les dispositions du règlement n° 1408/71 qui importent pour la réponse à donner aux questions préjudicielles sont les suivantes:
Article 13
«Règles générales
1. Sous réserve de l'article 14 quater, les personnes auxquelles le présent règlement est applicable ne sont soumises qu'à la législation d'un seul État membre. Cette législation est déterminée conformément aux dispositions du présent titre.
2. Sous réserve des articles 14 à 17:
a) la personne qui exerce une activité salariée sur le territoire d'un État membre est soumise à la législation de cet État même si elle réside sur le territoire d'un autre État membre ou si l'entreprise ou l'employeur qui l'occupe a son siège ou son domicile sur le territoire d'un autre État membre;
b) la personne qui exerce une activité non salariée sur le territoire d'un État membre est soumise à la législation de cet État même si elle réside sur le territoire d'un autre État membre; ...»
Article 14
«Règles particulières applicables aux personnes autres que les gens de mer, exerçant une activité salariée.
La règle énoncée à l'article 13, paragraphe 2, sous a) est appliquée compte tenu des exceptions et particularités suivantes:
1) a) la personne qui exerce une activité salariée sur le territoire d'un État membre au service d'une entreprise dont elle relève normalement, et qui est détachée par cette entreprise sur le territoire d'un autre État membre afin d'y effectuer un travail pour le compte de celle-ci, demeure soumise à la législation du premier État membre, à condition que la durée prévisible de ce travail n'excède pas douze mois et qu'elle ne soit pas envoyée en remplacement d'une autre personne parvenue au terme de la période de son détachement; ...»
Article 14 bis
«Règles particulières applicables aux personnes autres que les gens de mer, exerçant une activité non salariée.
La règle énoncée à l'article 13, paragraphe 2, sous b) est appliquée compte tenu des exceptions et particularités suivantes:
1) a) la personne qui exerce normalement une activité non salariée sur le territoire d'un État membre et qui effectue un travail sur le territoire d'un autre État membredemeure soumise à la législation du premier État membre, à condition que la durée prévisible de ce travail n'excède douze mois; ...»
Article 14 quater
«Règles particulières applicables aux personnes exerçant simultanément une activité salariée et une activité non salariée sur le territoire de différents États membres.
1. La personne qui exerce simultanément une activité salariée et une activité non salariée sur le territoire de différents États membres est soumise:
a) sous réserve du point b), à la législation de l'État membre sur le territoire duquel elle exerce une activité salariée; ...»
- 10.
- L'article 11 bis, paragraphe 1, sous a), du règlement n° 574/72 (9) dispose:
«1. L'institution désignée par l'autorité compétente de l'État membre dont la législation reste applicable délivre un certificat attestant que le travailleur non salarié demeure soumis à cette législation et indiquant jusqu'à quelle date:
a) à la demande du travailleur non salarié dans les cas visés à l'article 14 bis, paragraphe 1 et à l'article 14 ter, paragraphe 2, du règlement [n° 1408/71]; ...»
- 11.
- Pour délivrer ce certificat, l'institution compétente de l'État membre à la législation duquel le travailleur est soumis, utilise le formulaire E 101, suivant le modèle établi par la commission administrative des Communautés européennes pour la sécurité sociale des travailleurs migrants (10) (ci-après la «commission administrative») dans sa décision n° 130 (11).
IV - Considérations liminaires
- 12.
- Avant d'aborder l'examen des questions préjudicielles, j'exposerai les doutes que suscite en moi cette affaire, principalement quant à la procédure suivie pour obtenir une décision de la Cour sur le refus de l'institution de sécurité sociale belge de reconnaître des effets au formulaire E 101 délivré par l'institution d'un autre État membre pour attester que l'intéressé exerce normalement une activité non salariée dans ce dernier État, qu'il va effectuer un travail de durée déterminée dans un autre État membre et que, pendant toute la durée de cette activité, il restera soumis à la législation de sécurité sociale de l'État membre dont l'institution a délivré ce formulaire.
- 13.
- Tel est l'objet fondamental du débat puisque les parties au principal sont unanimes à dire que les artistes n'auraient pas dû cotiser en Belgique au régime de sécurité sociale pour les travailleurs salariés pendant la période au cours de laquelle ils ont travaillé dans cet État, puisqu'ils restaient soumis à la législation du Royaume-Uni en matière de sécurité sociale. En effet, selon ce qui résulte de l'exposé des faits, le litige au principal a pour objet de faire condamner le TRM à rembourser aux demandeurs les cotisations au régime de sécurité sociale des travailleurs salariés qui auraient été indûment déduites de leurs cachets, puisqu'ils sont restés soumis au régime de sécurité sociale des travailleurs non salariés au Royaume-Uni pendant la durée de leur activité en Belgique. A ce propos, le TRM - qui est partie défenderesse dans cette affaire - affirme que, pour lui, les contrats passés avec les artistes n'étaient pas des contrats de travail, mais qu'il leur a néanmoinsdéduit les cotisations de sécurité sociale parce que la législation belge a étendu le régime des travailleurs salariés aux artistes du spectacle et que l'Office national belge de sécurité sociale (ci-après l'«ONSS»), qui est investi du pouvoir d'exécution forcée sur les biens, se refuse à reconnaître la moindre validité au formulaire E 101.
- 14.
- Cette dernière circonstance a été confirmée par la Commission dans ses observations et elle est abondamment illustrée dans les documents versés au dossier par la partie défenderesse. Il est établi, par exemple, que l'avocat des artistes s'est adressé le 16 février 1994 par écrit à l'ONSS pour lui demander le remboursement des cotisations déduites par le TRM pour être versées dans les caisses de l'ONSS; cela résulte également de la demande de renseignements adressée par le directeur du TRM à l'administrateur général de l'ONSS, à propos de l'acceptation par ce dernier des formulaires E 101 délivrés par l'institution de sécurité sociale du Royaume-Uni, à laquelle se réfère la lettre du 1er mars 1994, ainsi que de la réponse donnée par l'ONSS le 2 septembre 1994, dans laquelle on trouvera les affirmations suivantes:
«En ce qui concerne les 'self-employed persons [travailleurs indépendants], qualité invoquée par les chanteurs britanniques engagés par le TRM, l'ONSS refuse de tenir compte des certificats de détachement délivrés. Cette prise de position est fondée sur une décision du Directeur général de la Sécurité sociale du Ministère de la Prévoyance sociale. Celui-ci estime que le problème des 'self-employedpersons doit d'abord être solutionné d'une manière cohérente pour l'ensemble de la CEE».
- 15.
- Pour confirmer encore sa position, l'ONSS avait joint en annexe une lettre qu'il avait adressée au TRM en novembre 1995; cette lettre était accompagnée d'une feuille de liquidation de cotisations pour deux artistes britanniques (qui ne sont pas parties à la procédure au principal), qui annulait une liquidation antérieure reconnaissant, prétendument par erreur, que ces artistes n'étaient pas soumis au paiement de cotisations en Belgique. Cette position de l'organisme, est-il dit dans la lettre, se fonde sur une note signée le 21 mai 1993 par Mme G. Clotuche, qui était alors la directrice générale de la sécurité sociale; l'organisme estime devoir appliquer strictement cette note, dont les termes sont les suivants:
«J'ai l'honneur de vous informer que j'ai invité le service des Relations Internationales à trouver une solution au problème des 'self-employed persons britanniques dans le cadre de la CEE, puisque des pays autres que la Belgique sont confrontés à ce problème. Tant qu'une solution n'aura pas été trouvée au niveau de la CEE, il m'appert que les détachements de 'self-employed persons doivent être refusés».
- 16.
- Le dossier contient également la lettre du 15 février 1994, par laquelle, avant de s'adresser aux tribunaux belges, les parties demanderesses au principal ont saisi la Commission d'une plainte pourles mêmes faits. Dans ses observations, la Commission soutient qu'elle a envoyé une lettre de mise en demeure au royaume de Belgique le 7 février 1995 et que, faute d'avoir obtenu une réponse satisfaisante, elle a pris la décision d'émettre un avis motivé le 13 décembre de la même année. Cependant, la Commission ajoute qu'il a été sursis à l'avis motivé en raison de la présente procédure préjudicielle. Or, force est d'observer que la demande visant au remboursement des cotisations indûment retenues a été présentée devant le tribunal du travail de Bruxelles le 18 septembre 1995 et que l'ordonnance de renvoi est parvenue au greffe de la Cour le 7 mai 1997.
- 17.
- Par ces réflexions, je n'entends nullement censurer la Commission pour avoir laissé en suspens la procédure en manquement qu'elle avait entamée contre la Belgique. Je ne prétends pas non plus mettre en cause l'exercice qu'elle a fait en l'espèce des compétences qui lui sont données par les articles 155 et 169 du traité CE, puisque la Commission est libre d'ouvrir ou non une procédure en manquement et que, une fois cette procédure entamée, elle a seule qualité pour décider de la poursuivre ou non. La Cour a jugé à ce propos qu'en tant que gardienne du traité, la Commission est seule compétente pour décider s'il est opportun d'engager une procédure en constatation de manquement, et en raison de quel agissement ou omission imputable à l'État membre concerné cette procédure doit être introduite (12).
- 18.
- Il ne faut néanmoins pas méconnaître que la Cour a également jugé que la Commission «a pour mission de veiller d'office à l'application, par les États membres, du traité et des dispositions prises par les institutions en vertu de celui-ci et de faire constater, en vue de leur cessation, l'existence de manquements éventuels aux obligations qui en dérivent ...» (13).
- 19.
- Devant le refus des autorités belges compétentes en matière de sécurité sociale de reconnaître les effets qui s'attachent au formulaire E 101, établi par la commission administrative pour faciliter la mise en oeuvre par les États membres des règlements nos 1408/71 et 574/72, l'on peut se demander s'il n'aurait pas été plus indiqué, aux fins d'une application effective et uniforme du droit communautaire, que la Commission poursuive la procédure en manquement qu'elle avait ouverte, indépendamment de l'existence du litige au principal devant les juridictions belges, dont la réalité ne peut être niée, et de la demande à titre préjudiciel dont la Cour a été saisie par le tribunal qui doit statuer sur ce litige.
V - Examen des questions préjudicielles
- 20.
- Des observations écrites ont été présentées en l'espèce dans le délai établi à cet effet par l'article 20 du statut CE de la Cour par lesparties demanderesses et par la partie défenderesse dans la procédure au principal ainsi que par les gouvernements de France, d'Allemagne, des Pays-Bas et du Royaume-Uni et par la Commission.
Au cours de l'audience, qui s'est déroulée le 22 octobre 1998, des observations orales ont été présentées par les représentants des parties demanderesses et de la partie défenderesse au principal, par les agents des gouvernements allemand, français, irlandais, néerlandais, et britannique ainsi que par l'agent de la Commission.
A - Sur la première question
- 21.
- Par la première question, dont les points 1° et 2° appellent, selon moi, une réponse conjointe, la juridiction nationale vise à savoir si la notion de «travail» figurant à l'article 14 bis, paragraphe 1, sous a), du règlement n° 1408/71 se réfère à l'exercice de toute activité économique, quelle qu'elle soit, tant salariée que non salariée. Au cas où la Cour estimerait que cette notion se réfère exclusivement à un travail non salarié, la juridiction de renvoi demande si sa nature doit être déterminée au regard du droit de la sécurité sociale de l'État membre où l'intéressé exerce normalement son activité non salariée ou au regard de la législation de l'État dans lequel il s'est rendu pour effectuer un travail.
- 22.
- Les parties demanderesses au principal soutiennent que la notion litigieuse, qui n'est définie dans aucun des articles du règlement n° 1408/71, englobe tant le travail salarié que le travail non salarié et que, afin d'éviter les abus, la Cour pourrait préciser que, pour bénéficier de cette disposition, le travail effectué dans le deuxième État membre doit être en rapport avec la profession exercée dans l'État où l'intéressé est établi. Au cas où la Cour estimerait que la notion en question se réfère uniquement au travail non salarié, elle fait valoir que la législation applicable pour en qualifier la nature devrait être celle de l'État membre dans lequel la personne exerce normalement son activité non salariée.
- 23.
- Le TRM estime que cette notion englobe l'exercice de toute activité économique, quelle qu'en soit la qualification en droit du travail ou en droit de la sécurité sociale, pourvu que sa durée n'excède pas douze mois et qu'elle soit effectuée pour un même bénéficiaire pendant toute la période. A l'instar des parties demanderesses, il propose que, pour le cas où la Cour ne suivrait pas cette ligne d'interprétation, le travail en question soit qualifié par référence à la législation de l'État membre dans lequel la personne exerce normalement son activité non salariée.
- 24.
- Le gouvernement français fait valoir que, même si l'article 14 bis, paragraphe 1, sous a), ne le dit pas expressément, le terme «travail» doit être interprété comme se référant exclusivement au travail nonsalarié et qu'il appartient à la législation de sécurité sociale de l'État membre où il est effectué de déterminer s'il doit être qualifié de travail salarié ou non salarié.
- 25.
- Le gouvernement allemand et celui des Pays-Bas s'accordent pour dire que la notion de «travail» désigne uniquement les activités non salariées et que, pour déterminer si un travail est effectué dans le cadre d'une activité salariée ou non salariée, il faut recourir à la législation de l'État membre dans lequel il est exercé temporairement. Cette interprétation est justifiée par le fait que l'article 14 bis, paragraphe 1, sous a) établit une exception au principe général de soumission du travailleur à la lex loci laboris, exception dont les travailleurs détachés dans un autre État membre peuvent se prévaloir si les conditions suivantes sont remplies: le travail effectué dans le deuxième État doit avoir un caractère temporaire, sa durée ne doit pas dépasser douze mois et, pendant la période en question, il faut que le travailleur garde un lien organique avec l'État de provenance.
Les deux gouvernements font état de leur préoccupation devant le phénomène de l'exportation de main-d'oeuvre en provenance du Royaume-Uni, que la législation de cet État qualifie de travailleurs non salariés (self-employed persons), auxquels l'organisme de sécurité sociale délivre le formulaire E 101, qui atteste que la législation britannique reste applicable en vertu de l'article 14 bis, paragraphe 1, sous a), du règlement n° 1408/71. Sous couvert de ce formulaire, ces travailleurs serendent tant en Allemagne (où cette situation concernerait 60 000 personnes) qu'aux Pays-Bas, où ils sont employés dans le secteur de la construction. Ils estiment que, si la Cour interprétait le terme «travail» comme englobant également une activité salariée, des conséquences très graves en résulteraient puisque les cotisations sociales de ces travailleurs, s'ils restaient soumis à la législation britannique en matière de sécurité sociale, seraient d'un montant nettement inférieur à celui des cotisations des travailleurs salariés dans ces deux pays, ce qui diminuerait le coût du travail fourni par ces personnes, en entraînant par le fait même une situation de concurrence déloyale.
- 26.
- Le gouvernement du Royaume-Uni, en revanche, estime que le terme litigieux englobe tant le travail salarié que le travail non salarié dont la durée n'est pas supérieure à douze mois. Pour le cas où la Cour serait d'un avis différent, la nature du travail devrait être déterminée en appliquant la législation de l'État membre dans lequel l'activité non salariée est normalement exercée.
- 27.
- La Commission rappelle en premier lieu que le règlement (CEE) n° 1390/81 (14) (ci-après le «règlement n° 1390/81»), qui est entré en vigueur le 1er juillet 1982 et qui a étendu aux travailleurs non salariésl'application du règlement n° 1408/71, a été adopté par le Conseil pour assurer à ces travailleurs la même protection que celle dont bénéficiaient les travailleurs salariés.
Ensuite, la Commission expose que, dans la première proposition qu'elle a présentée au Conseil en 1977 (15), la disposition litigieuse se référait à la situation du travailleur qui exerce normalement son «activité professionnelle» sur le territoire d'un État membre et qui «effectue une prestation de services» sur le territoire d'un autre État membre. Dans la deuxième proposition, présentée en 1978 (16), la formulation était la suivante: «La personne qui exerce normalement une 'activité non salariée sur le territoire d'un État membre et qui 'effectue une prestation de services sur le territoire d'un autre État membre ...». Pour la Commission, il était clair que le champ d'application de la disposition litigieuse devait rester limité aux activités réalisées dans un autre État membre en tant que travailleur non salarié. Le Conseil a cependant décidé d'employer le terme «travail» sans préciser, à la différence de ce qu'il avait fait pour les travailleurs salariés temporairement détachés dans un autre État membre et pour les gens de mer, si le travail devait être effectué pour le compte d'une entreprise ou pour son compte propre. A la lumière du texte définitif adopté par le Conseil, la Commission estime que le terme «travail» englobe les deux modalités.
Comme solution au problème des abus éventuels évoqué par les gouvernements allemand et néerlandais, la Commission propose que l'État membre à la législation duquel le travailleur est soumis exige, pour délivrer une attestation E 101, que le bénéficiaire ait exercé normalement une activité non salariée sur son territoire et qu'il ait été assuré régulièrement au régime de sécurité sociale applicable aux travailleurs non salariés.
Pour le cas où la Cour estimerait que le terme «travail» doit rester limité au travail non salarié, la Commission estime qu'il appartient à la législation de l'État membre sur le territoire duquel l'activité économique est exercée à titre temporaire, d'en déterminer la nature.
- 28.
- Après la clôture de la procédure écrite, la Cour a décidé de soumettre à la Commission quatre questions auxquelles elle l'invitait à répondre avant le 1er août 1998. Elle lui a demandé en premier lieu de préciser si la notion de «prestation de services» employée dans les textes de ses propositions était identique à celle des articles 59 et 60 du traité; en deuxième lieu, la Cour a demandé à la Commission si, à son avis, les parties demanderesses au principal ont effectué une prestation de services au sens qui est donné à cette notion dans les propositions susmentionnées; la troisième question visait à savoir si la notion de «travail pour son propre compte» à laquelle se réfère l'article 14 ter, paragraphe 2, du règlement n° 1408/71 correspond à la notion de prestation de services au sens des articles 59 et 60 du traité; enfin, laCommission était invitée à préciser la ou les législations applicables à un travailleur qui exerce une activité salariée au service d'une entreprise établie dans un État membre et qui, profitant d'une période de congés, se rend dans un autre État membre pour y effectuer un travail temporaire pour son propre compte.
- 29.
- Dans ses réponses, la Commission affirme que l'expression «prestation de services», employée dans ses propositions, se référait à l'exercice d'une activité considérée comme non salariée par la législation de sécurité sociale de l'État membre sur le territoire duquel cette activité est exercée et non pas à la notion de prestation de services au sens des articles 59 et 60 du traité. Il faudrait dès lors considérer que les parties demanderesses au principal n'ont effectué en Belgique une prestation de services, au sens qu'il faut donner à cette expression, telle qu'elle figure dans les propositions, que si la législation belge considère l'activité qu'ils ont exercée en Belgique comme une activité non salariée. Pour la même raison, il conviendrait d'interpréter l'expression «un travail pour son propre compte» figurant à l'article 14 ter, paragraphe 2, du règlement n° 1408/71 comme se référant à une activité considérée comme telle par la législation de sécurité sociale de l'État membre dont le navire arbore le pavillon. Quant au travailleur salarié dont l'activité se déroule normalement dans un État membre et qui met à profit une période de congé pour se rendre dans un autre État membre et y travailler pour son compte propre, la Commission estime qu'il s'agit d'un cas d'exercice simultané d'activités sur le territoire de deux Étatsmembres. En conséquence, si la deuxième activité est considérée par la législation de sécurité sociale de l'État membre où elle se déroule comme une activité salariée, il faudra lui appliquer l'article 14, paragraphe 2, du règlement n° 1408/71; en revanche, si elle est considérée comme activité non salariée par cette législation, sa situation sera régie par l'article 14 quater.
- 30.
- Comme la Commission l'indique à fort juste titre dans ses observations écrites, l'article 14 bis, paragraphe 1, sous a), du règlement n° 1408/71 n'a pas encore fait l'objet d'une interprétation par la Cour (17). Pour en déterminer la signification, il faudra donc s'appuyer tant sur son libellé, en tenant compte du contexte dans lequel il se situe, que sur son objectif. En effet, il résulte d'une jurisprudence souvent confirmée que, «en ce qui concerne l'interprétation des dispositions matérielles du règlement [n° 1408/71], il y a lieu, ..., de tenir compte non seulement des termes de ces dispositions, mais également de leur contexte et des objectifs poursuivis par la réglementation dont elles font partie» (18).
- 31.
- Avec la coordination des différents régimes nationaux de sécurité sociale, réalisée par le règlement n° 1408/71, le Conseil a estimé avoir rempli l'obligation que lui impose l'article 51 du traité CE aux fins d'établir la libre circulation des travailleurs. A l'époque des faits de la procédure au principal, ce règlement ne consacrait pas moins de dix articles de son titre II, de l'article 13 à l'article 17 bis, la plupart d'entre eux comportant plusieurs paragraphes, à la détermination de la législation applicable aux travailleurs migrants. Toutes ces dispositions ont pour finalité, en utilisant une technique d'énumération minutieuse, d'éviter toute possibilité de conflit de lois, tant positif, pour que le travailleur ne soit pas soumis simultanément à plusieurs législations, que négatif, pour que le travailleur ne soit pas privé de toute protection en matière de sécurité sociale au motif qu'aucune législation ne lui serait applicable. La Cour observe dans sa jurisprudence que «les dispositions du titre II du règlement constituent un système complet et uniforme de règles de conflit de lois dont le but est de soumettre les travailleurs qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté au régime de la sécurité sociale d'un seul État membre, de sorte que les cumuls de législations nationales applicables et les complications qui peuvent en résulter soient évités » (19).
- 32.
- Le principe selon lequel le travailleur migrant n'est soumis qu'à la législation d'un seul État membre figure à l'article 13 du règlement n° 1408/71. La Cour interprète ce principe comme excluant dans la pratique toute possibilité de cumul de plusieurs législations nationales pour une même période (20).
La seule exception à ce principe est celle qui est prévue à l'article 14 quater, paragraphe 1, sous b), applicable aux personnes qui exercent simultanément une activité salariée et une activité non salariée sur le territoire de différents États membres et qui se trouvent dans l'une des situations prévues à l'annexe VII du règlement, auquel cas elles sont soumises à la législation de chacun des États (21).
- 33.
- La Cour a en outre souligné que le caractère obligatoire de l'application des règles de conflit énoncées dans le titre II signifie, pour les intéressés, qu'ils ne peuvent choisir la législation qui doit leur être appliquée (22) et, pour les États membres, qu'ils ne peuvent déterminerdans quelle mesure il faut appliquer leur propre législation ou celle d'un autre État membre (23).
- 34.
- L'autre grand principe qui régit le titre II du règlement n° 1408/71 est celui de la soumission du travailleur migrant à la législation de l'État membre dans lequel il exerce son activité économique (lex loci laboris). Conformément aux dispositions de l'article 13, paragraphe 2, la personne qui exerce une activité salariée sur le territoire d'un État membre est soumise à la législation de cet État, même si elle réside dans un autre État ou même si l'entreprise qui l'emploie a son siège dans un autre État. Il en va de même pour la personne qui exerce une activité non salariée, puisqu'elle est soumise à la législation de l'État dans lequel elle travaille, même quand elle réside sur le territoire d'un autre État. La législation applicable aux gens de mer est celle de l'État du pavillon du navire sur lequel ils exercent leur activité professionnelle.
- 35.
- Ce principe - il ne pouvait sans doute en être autrement - connaît également certaines exceptions, réglementées comme telles aux articles 14, pour les travailleurs salariés, 14 bis, pour les travailleurs non salariés et 14 ter, pour les gens de mer. Je vais examiner ces trois exceptions.
- 36.
- L'application de l'article 14 est limitée aux travailleurs salariés. En son paragraphe 1), il détermine la législation applicable à la personne qui travaille dans un État membre au service d'une entreprise dont elle relève normalement et qui est détachée sur le territoire d'un autre État membre, pour une durée limitée, afin d'y effectuer un travail pour le compte de cette entreprise. Dès lors que la durée prévisible de ce travail ne dépasse pas douze mois, susceptibles d'être prorogés à certaines conditions pour douze autres mois, la personne reste soumise à la législation du premier État. Le paragraphe 2) - dont je ne détaillerai pas le contenu, parce qu'il est sans pertinence pour la solution à trouver dans la présente affaire - détermine la législation applicable à la personne qui exerce normalement une activité salariée sur le territoire de deux ou plusieurs États membres.
- 37.
- Dans le cadre d'une interprétation de la disposition qui, dans le règlement n° 3 (24), prédécesseur du règlement n° 1408/71, correspondait à l'actuel article 14, paragraphe 1, de ce dernier texte, la Cour a affirmé que «l'exception ... prévue ... vise à surmonter les obstacles susceptibles d'entraver la libre circulation des travailleurs et à favoriser l'interpénétration économique, tout en évitant les complications administratives pour les travailleurs, les entreprises et les organismes de sécurité sociale; ... en l'absence de cette exception, une entreprise établie sur le territoire d'un État membre serait obligée d'affilier sestravailleurs, soumis normalement à la législation de sécurité sociale de cet État, au régime de sécurité sociale d'autres États membres où ils seraient envoyés pour accomplir des travaux de courte durée; ... le travailleur serait d'ailleurs le plus souvent lésé à raison de ce que les législations nationales excluent généralement de courtes périodes pour le bénéfice de certaines prestations sociales» (25).
- 38.
- Les articles 14 bis et 14 ter ont été insérés dans le règlement n° 1408/71 par le règlement n° 1390/81, qui a étendu la coordination des régimes de sécurité sociale des États membres aux travailleurs non salariés qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté.
- 39.
- Le paragraphe 1) de l'article 14 bis est consacré à déterminer la législation applicable à la personne qui exerce normalement une activité non salariée sur le territoire d'un État membre et qui se rend dans un autre État membre pour y effectuer un travail d'une durée limitée. Pourvu que la durée prévisible de ce travail ne dépasse pas les douze mois - période qui peut, à certaines conditions, être prorogée de douze autres mois - la personne reste soumise à la législation du premier État. C'est là précisément la disposition litigieuse qui, faute de précision de la part du législateur, est à l'origine des divergences, entre ceux qui ont présenté des observations, quant au point de savoir si elle se rapporteexclusivement au travail non salarié ou si elle peut également couvrir un travail salarié.
Le paragraphe 2, dont je ne détaillerai pas non plus le contenu, puisqu'il est dépourvu de pertinence pour la solution à donner dans la présente affaire, détermine la législation applicable à la personne qui exerce normalement une activité non salariée sur le territoire de deux ou plusieurs États membres.
- 40.
- La dernière exception au principe général d'application de la lex loci laboris aux travailleurs migrants est celle qui figure à l'article 14 ter, consacré aux gens de mer. Dans ce cas de figure, le législateur reprend la terminologie habituelle dans le titre II et prévoit que, pour rester soumise à la législation de l'État membre où elle exerce l'activité salariée, quand elle est envoyée par l'entreprise dont elle dépend normalement réaliser un travail à bord d'un navire battant pavillon d'un autre État membre, la personne doit réaliser le travail pour le compte de l'entreprise. Parallèlement, le paragraphe 2) prévoit que, pour rester soumise à la législation de l'État membre où elle exerce normalement une activité non salariée, la personne appelée à effectuer un travail temporaire à bord d'un navire battant pavillon d'un autre État membre doit effectuer ce travail pour son propre compte.
- 41.
- Force est de constater une symétrie entre l'article 14, paragraphe 1, applicable à la personne qui travaille dans un Étatmembre pour une entreprise et qui est détachée dans un autre État membre pour effectuer un travail pour le compte de cette dernière, et l'article 14 ter, paragraphe 1, applicable à la personne qui est au service d'une entreprise dont elle dépend normalement, qui travaille à bord d'un navire battant pavillon d'un État membre et qui est envoyée effectuer un travail pour le compte de son entreprise à bord d'un navire arborant le pavillon d'un autre État membre. Dans les deux cas, pour que la personne puisse rester soumise à la législation de sécurité sociale du premier État, la durée prévisible du travail ne peut être supérieure à douze mois - susceptibles d'être prorogés, dans certaines circonstances, de douze autres mois - et le travail réalisé dans le deuxième État membre doit continuer d'être effectué pour le compte de la même entreprise.
- 42.
- Cette symétrie trouve un reflet dans les décisions de la commission administrative nos 128 (26) et 162 (27), consacrées à l'application de l'article 14, paragraphe 1 et de l'article 14 ter, paragraphe 1. Lapremière de ces décisions souligne que l'un des critères décisifs pour l'application des deux dispositions est l'existence d'un lien organique entre le travailleur et l'entreprise qui l'a embauché, consistant notamment dans le paiement du salaire et le maintien du rapport de subordination du travailleur à l'égard de cette entreprise.
La deuxième décision établit que le travail est à considérer comme effectué pour le compte de l'entreprise de l'État d'envoi lorsqu'il est établi que ce travail est effectué pour cette entreprise et qu'il subsiste un lien organique entre le travailleur et l'entreprise qui l'a détaché. En vue d'établir si un tel lien organique subsiste et si le rapport de subordination du travailleur à l'égard de l'entreprise d'envoi est maintenu, il y a lieu de prendre en compte un faisceau d'éléments, notamment la responsabilité en matière de recrutement, contrat de travail, licenciement et détermination de la nature du travail. Cette décision exige également que l'institution compétente de l'État membre à la législation duquel l'intéressé reste assujetti informe tant l'employeur que le travailleur des conditions auxquelles est subordonné le maintien de l'assujettissement du travailleur détaché à sa législation. Elle exige en outre que l'employeur soit informé de la possibilité de contrôles tout au long de la période de détachement en vue de vérifier que ce dernier n'a pas pris fin. Ces contrôles peuvent porter, notamment, sur le versement des cotisations et le maintien du lien organique.
- 43.
- Cependant, pour que la personne qui exerce normalement une activité non salariée sur le territoire d'un État membre et qui se rend dans un autre État membre pour y réaliser un travail temporaire puisse rester soumise à la législation du premier État, le législateur non seulement n'a pas exigé que ce travail soit également réalisé pour son compte propre, mais il n'a en outre inclus dans le texte de la disposition pertinente aucun indice qui permettrait une interprétation dans l'un ou l'autre sens.
- 44.
- Partant du fait que l'article 14 bis a été ajouté quand le Conseil a effectué les adaptations nécessaires au règlement n° 1408/71 pour qu'il s'applique également aux travailleurs non salariés, il existe la tentation de recourir, comme la Commission semble l'avoir fait dans ses propositions successives, aux notions de droit d'établissement, au sens de l'article 52 du traité, et de libre prestation de services, au sens des articles 59 et 60 du traité.
- 45.
- Or, compte tenu du contexte dans lequel la disposition a été adoptée, peut-on concevoir que, au moment de se résoudre à employer le terme de «travail», le Conseil ait voulu indiquer que cette notion se limitait à une activité non salariée?
- 46.
- Selon moi, ce n'est pas là l'interprétation qu'il faut retenir, et ce pour diverses raisons:
- En premier lieu, comme le Conseil n'a pas retenu les propositions de la Commission, je crois que c'est en pleine connaissance de cause qu'il a employé un terme beaucoup plus général que ceux qui lui avaient été proposés.
- En deuxième lieu, l'article 14 ter, adopté en même temps que l'article précédent pour déterminer la législation applicable aux gens de mer qui se trouveraient dans des situations semblables, spécifie quant à lui, dans son paragraphe 2, que le travail effectué à bord d'un navire battant pavillon d'un autre État membre doit être effectué par le travailleur pour son compte propre.
- La troisième raison est qu'il n'y a pas lieu de recourir aux dispositions du traité relatives à la libre circulation des personnes et des services pour interpréter le règlement n° 1408/71. C'est ce que la Cour a déclaré dans l'arrêt De Jaeck (28), dont il découle que les notions de travailleur salarié et travailleur non salarié auxquelles se réfère le règlement renvoient aux définitions données par les législations des États membres en matière de sécurité sociale et sont indépendantes de la nature que l'activité exercée revêt au sens du droit du travail. D'autre part, dansl'arrêt Martínez Sala (29), la Cour a déclaré que, dans le cadre de l'article 48 du traité et du règlement n° 1612/68 (30), doit être considérée comme un travailleur la personne qui accomplit, pendant un certain temps, en faveur d'une autre et sous la direction de celle-ci, des prestations en contrepartie desquelles elle perçoit une rémunération, alors qu'une personne a la qualité de travailleur au sens du règlement n° 1408/71 dès lors qu'elle est assurée, ne serait-ce que contre un seul risque, au titre d'une assurance obligatoire ou facultative auprès d'un régime général ou particulier de sécurité sociale mentionné à l'article 1er, sous a), du règlement n° 1408/71, et ce indépendamment de l'existence d'une relation de travail.
- 47.
- Comme, au moment de réglementer la situation du travailleur considéré comme non salarié dans un État et qui se rend dans un autre État membre en vue d'y effectuer un travail de durée déterminée, le Conseil n'a pas subordonné le droit de cette personne à rester soumise à la législation du premier État pendant la période du déplacement à la condition que l'activité exercée dans le deuxième État soit également effectuée pour son compte propre, l'intention du législateur communautaire a bien été d'englober dans la notion de «travail» toutesles activités économiques, quelle que soit la qualification qui leur est donnée dans le droit du travail et de la sécurité sociale du deuxième État.
- 48.
- Dans l'arrêt De Jaeck (31), la Cour est parvenue à certaines conclusions qui peuvent être utiles pour la solution du présent litige, dans la mesure où elle a affirmé que, s'il est vrai que les dispositions du titre II du règlement n° 1408/71 se réfèrent littéralement aux personnes qui exercent une activité salariée ou non salariée, et non aux travailleurs salariés ou non salariés, une interprétation logique et cohérente du champ d'application personnel du règlement et du système de règles de conflit de lois qu'il met en place commande d'interpréter les notions en cause du titre II du règlement à la lumière des définitions de son article 1er, sous a). En conséquence, de même que la qualification de salarié ou de non salarié d'un travailleur, au sens des articles 1er, sous a), et 2, paragraphe 1, du règlement, résulte du régime national de sécurité sociale auquel ce travailleur est affilié, il convient d'entendre par activité salariée et activité non salariée, au sens du titre II du règlement, les activités qui sont réputées telles par la législation applicable en matière de sécurité sociale dans l'État membre sur le territoire duquel ces activités sont exercées.
- 49.
- Conformément à cette doctrine, et pour en revenir à l'interprétation de l'article 14 bis, paragraphe 1, sous a), c'est la législation de sécurité sociale de l'État membre dans lequel l'activité économique est normalement exercée qui devra qualifier cette activité d'activité non salariée. Une fois que cette qualification aura été opérée par la législation de sécurité sociale de l'État membre où l'activité est exercée, il sera possible de reconnaître à l'intéressé la qualité de travailleur non salarié.
- 50.
- Les faits de la présente affaire illustrent à la perfection le fonctionnement de l'interprétation logique et cohérente du champ d'application personnel du règlement et du système de règles de conflit de lois qui a été élaboré par la Cour. Les parties demanderesses au principal exercent normalement une activité économique au Royaume-Uni. Par application du principe général, elles sont soumises à la lex loci laboris qui, dans leur cas, sera celle du Royaume-Uni. La législation de sécurité sociale de cet État membre considère cette activité comme une «activité pour son propre compte»; c'est pourquoi, les parties demanderesses seront des «travailleurs non salariés» aux fins de l'application du règlement n° 1408/71. Si ces parties demanderesses avaient cessé de réaliser cette activité économique au Royaume-Uni et étaient allées l'exercer en Belgique, elles seraient devenues travailleurs salariés aux fins de l'application du règlement, puisque la législation de sécurité sociale de ce dernier pays considère que l'activité de chanteur d'opéra est une activité salariée. Dans les deux cas, les notions sonttotalement indépendantes de la qualification que, dans chaque État membre, le droit du travail donne à ces activités.
Cet exemple montre la facilité avec laquelle la législation de sécurité sociale de deux États membres peut attribuer une nature différente à une même activité. Il en découle un besoin de coordination, pour qu'une seule législation soit applicable au travailleur migrant, dans chacune des situations dans lesquelles il peut se trouver, étant entendu que cette législation doit pouvoir être déterminée de façon claire et uniforme dans toute la Communauté.
- 51.
- Comme examiné ci-dessus, le principe général de soumission du travailleur à la lex loci laboris connaît un certain nombre d'exceptions qui permettent de le laisser pendant un temps soumis à la législation de l'État dans lequel il exerce normalement son activité. La première condition pour que ce droit lui soit reconnu est que le travail pour lequel il se rend dans un autre État membre ne soit pas d'une durée prévisible supérieure à douze mois, période qui peut, à certaines conditions, être prorogée pour douze autres mois. Cette condition s'applique à tous les travailleurs dans la même mesure.
Pour les travailleurs salariés, y compris les gens de mer, la deuxième condition est que le travail effectué pendant la période de déplacement le soit pour le compte de l'entreprise. Selon moi, la condition ne se réfère pas tellement au fait que le travail dans le deuxième État doitêtre un travail salarié au sens strict, mais au fait qu'il doit garder un lien avec l'entreprise pour laquelle il travaille normalement, afin que le travailleur détaché ne soit pas affecté par la qualification que la législation de sécurité sociale du deuxième État attribue à l'activité concrète qu'il exerce sur son territoire, car ce n'est pas cette législation qui est applicable.
Quant aux gens de mer qui exercent normalement une activité non salariée, la deuxième condition qui leur est imposée est que le travail qu'ils effectuent à bord d'un navire battant pavillon d'un autre État membre soit effectué pour leur compte propre, pendant toute la durée du déplacement.
- 52.
- Toutefois, pour ce qui est des travailleurs qui exercent normalement une activité non salariée dans un État membre et qui effectuent un travail sur le territoire d'un autre État membre, le règlement n° 1408/71 ne semble pas exiger d'eux, pour qu'ils puissent rester soumis à la législation de sécurité sociale du premier État, une condition qui viendrait s'ajouter à celle de la durée temporaire du travail.
- 53.
- Cela signifie-t-il que toute personne peut, par exemple, s'affilier au régime de sécurité sociale des travailleurs non salariés dans un État membre avant de se rendre dans un autre État membre pour y travailler dans le secteur de la construction pendant un an, et alléguer que lalégislation de sécurité sociale du deuxième État ne lui est pas applicable, au motif qu'elle reste soumise à la législation du premier État?
- 54.
- Je crois que l'article 14 bis, paragraphe 1, sous a) ne doit pas servir à couvrir de tels détournements de la loi et que les abus ne sont possibles que dans la mesure où l'on ne prête pas suffisamment attention à la situation qui est exigée comme point de départ pour que la disposition puisse être appliquée.
- 55.
- Il est vrai que, aux termes de l'article 13, paragraphe 2, sous b), du règlement n° 1408/71, la législation applicable à la personne qui exerce une activité non salariée sur le territoire d'un État membre est la législation de cet État et que, une fois déterminée la législation applicable, cette législation sera la seule à laquelle elle sera soumise tant que la situation dans laquelle elle se trouve n'aura pas varié.
Or, pour que le déplacement visé à l'article 14 bis, paragraphe 1, sous a), auquel se rattachent les avantages décrits ci-dessus, soit possible, il faut également que l'intéressé exerce «normalement» son activité non salariée dans un des États membres. Il me paraît évident que cette condition n'est pas remplie par celui qui, s'étant affilié au régime de sécurité sociale des travailleurs non salariés un jour, demande le lendemain qu'un formulaire E 101 lui soit délivré pour aller travailler dans un autre État membre sous couvert de ce formulaire.
- 56.
- Conformément à une jurisprudence constante, c'est à la législation de chaque État membre qu'il appartient de déterminer les conditions du droit ou de l'obligation de s'affilier à un régime de sécurité sociale ou à telle ou telle branche de ce régime, du moment qu'il n'est pas fait, à cet égard, de discrimination entre nationaux et ressortissants des autres États membres (32).
Le droit communautaire ne s'arrête pas aux conditions imposées par chaque État membre pour l'affiliation des personnes exerçant des activités économiques sur son territoire à l'un ou l'autre régime de sécurité sociale. Cependant, lorsque l'institution compétente d'un État membre applique une disposition du règlement n° 1408/71, comme l'article 14 bis, paragraphe 1, sous a), elle exerce une compétence dont elle a été investie en vertu du droit communautaire, en agissant en sa qualité d'institution qui peut reconnaître à l'intéressé un droit qui lui est accordé par ce règlement. Elle est par conséquent obligée de vérifier que les conditions établies par cette disposition sont remplies, avant de lui reconnaître le droit de rester soumis à sa législation pendant la durée du travail qu'il va effectuer dans un autre État membre.
- 57.
- Dans quelles circonstances faudra-t-il considérer que les conditions nécessaires à l'applicabilité de l'article 14 bis, paragraphe 1, sous a) sont réunies? Selon moi, ces conditions sont plusieurs:
- La première est que l'activité non salariée qui donne lieu à l'affiliation au régime correspondant de sécurité sociale doit être exercée «normalement», ce qui devrait exclure d'emblée les affiliations de convenance.
- La deuxième est que l'intéressé doit se rendre sur le territoire d'un autre État membre «pour effectuer un travail». La disposition ne parle pas d'aller travailler, ni d'effectuer une activité économique, et elle n'emploie aucune autre expression de celles qui seraient concevables. Réaliser un travail signifie réaliser une oeuvre concrète et déterminée, dont le contenu est défini à l'avance et dont la réalité peut être prouvée, comme l'ont fait les parties demanderesses au principal, par les contrats correspondants.
- La troisième condition, qui se rattache à la précédente, est que la durée prévue du travail ne peut excéder douze mois, avec une éventuelle prorogation de douze mois supplémentaires si, par suite de circonstances imprévisibles, le travail se prolonge. La durée doit donc avoir été estimée au préalable et elle doit figurer sur le certificat.
- La quatrième condition est qu'il doit s'agir précisément d'un travail, ce qui exclut la réalisation de divers travaux successifs, que ce soit pour le même bénéficiaire ou pour plusieurs, quinécessiteraient, selon moi, la délivrance de certificats indépendants.
- La cinquième condition est implicite et revient à dire que l'intéressé doit entretenir, pendant qu'il travaille à l'étranger, l'infrastructure nécessaire à l'exercice de son activité, aussi minime soit-elle, afin qu'il puisse au retour poursuivre normalement cette activité.
- 58.
- En comparant les exigences applicables aux différents types de travailleurs, j'observe que, si l'article 14, paragraphe 1, sous a), du règlement n° 1408/71 subordonne la reconnaissance du droit du travailleur salarié, détaché dans un autre État membre, à rester soumis à la législation de sécurité sociale du premier État, à la condition que le travail qu'il va réaliser soit effectué pour le compte de la même entreprise qui l'emploie, cette disposition n'exige pas de lui qu'il ait exercé son activité salariée normalement dans le premier État avant d'être envoyé dans l'autre. Ce cas de figure englobe les travailleurs embauchés dans l'État membre où l'entreprise a son siège ou une succursale, afin d'être envoyés dans un autre État membre (33). Le point déterminant dans le cas des travailleurs salariés, c'est qu'ils soient envoyés par l'entreprise dont ils dépendent normalement, c'est-à-direqu'il y ait un lien organique entre le travailleur et l'entreprise qui ordonne le déplacement.
- 59.
- En revanche, s'il s'agit d'une personne qui, exerçant une activité non salariée dans un État membre, se rend dans un autre pour y effectuer un travail, l'article 14 bis, paragraphe 1, sous a) exige que l'activité non salariée soit exercée normalement dans le premier État pour pouvoir rester soumise à la législation de sécurité sociale de ce dernier. Ce qui prime dans le cas des travailleurs qui exercent une activité non salariée, c'est qu'ils exercent cette activité normalement dans un État membre. Je souligne que le respect de cette condition et le fait que le déplacement doit être effectué en vue d'un travail déterminé de durée préétablie impliquent que, pendant cette période, le travailleur entretienne l'infrastructure nécessaire à l'exercice de son activité dans son pays d'origine car, au cas contraire, une fois réalisé le travail dans l'autre État membre, il pourrait difficilement rentrer et poursuivre normalement son activité non salariée. Lorsque je parle d'infrastructure, je pense, par exemple, et sans vouloir être exhaustif, à des bureaux, au paiement de cotisations au régime de sécurité sociale, au versement des impôts, tant directs que sur les activités professionnelles, à la détention d'une carte professionnelle et d'un numéro de TVA ainsi qu'à l'inscription auprès de chambres de commerce et d'organisations professionnelles, avec versement des cotisations correspondantes. Tout cela peut, bien entendu, faire l'objet des contrôles nécessaires, qui sont assurés par l'institution compétente de l'État membre à la législationduquel l'intéressé reste soumis, qui interviendra d'office ou à la demande de l'institution compétente de l'État membre où il effectue le travail.
- 60.
- Partant du raisonnement qui précède, je propose à la Cour de répondre à la juridiction nationale en déclarant que la notion de «travail», figurant à l'article 14 bis, paragraphe 1, sous a), du règlement n° 1408/71, se réfère à l'exercice de toute activité économique, quelle qu'elle soit, et que le fait que la législation de sécurité sociale de l'État membre dans lequel le travail est effectué considère ce dernier comme une activité salariée ou comme une activité non salariée est dépourvu de pertinence aux fins de l'application de cette disposition.
B - Sur la deuxième question
- 61.
- Par sa deuxième question, la juridiction nationale vise à savoir en substance de quelle façon il faut déterminer si une personne exerce simultanément une activité salariée et une activité non salariée sur le territoire de différents États membres, au sens de l'article 14 quater, du règlement n° 1408/71.
- 62.
- Les parties demanderesses soutiennent que, pour que l'article 14 quater soit applicable, il faut un exercice continu et simultané d'activités dans deux États membres pendant une période indéterminée, mais en tous cas plus étendue que celle qu'elles ont passée en Belgique pour représenter un opéra et que tant l'activité non salariée quel'activité salariée ont un caractère plus permanent que temporaire et doivent être réalisées dans le cadre d'une certaine intégration stable et continue dans l'économie des deux États.
- 63.
- Le TRM estime que l'article 14 quater réglemente des situations qui se caractérisent par une certaine permanence, tandis que l'article 14 bis se réfère à des situations de durée limitée. C'est pourquoi, il propose à la Cour de dire que «l'exercice simultané» visé à l'article 14 quater suppose que l'intéressé soit rattaché à la législation de sécurité sociale pour l'activité salariée qu'il réalise pendant une période prévisible de plus de douze mois, sur le territoire d'un ou de plusieurs États membres, et qu'il soit à la fois soumis à la législation de sécurité sociale pour son activité non salariée sur le territoire d'un ou de différents États membres pendant la même période.
- 64.
- Le gouvernement français considère qu'il y a exercice simultané d'une activité salariée et d'une activité non salariée dans deux ou plusieurs États membres à partir du moment où, en raison de l'exercice de ces activités, l'intéressé est soumis en même temps à la législation de sécurité sociale de deux ou plusieurs États membres, applicable aux travailleurs salariés et aux travailleurs non salariés.
- 65.
- Le gouvernement allemand, pour sa part, estime que l'on peut parler d'exercice «simultané» d'activités dans deux États membres lorsque l'intéressé travaille avec une certaine régularité dans chacun deces États à tour de rôle et non pas lorsque, comme c'est le cas des artistes dans l'affaire au principal, l'emploi de l'intéressé se limite à un ou deux engagements dans un autre État membre.
- 66.
- Le gouvernement des Pays-Bas estime que pour déterminer si une personne exerce «simultanément» des activités dans différents États membres au sens de l'article 14 quater, il faut analyser chaque cas en y intégrant des considérations de natures diverses: le point de savoir si l'exercice d'activités dans deux ou plusieurs pays fait partie du schéma normal de travail d'une personne; le point de savoir si ces activités sont exercées avec régularité; la question de savoir si ce sont des activités effectives. Sur la base de ces critères, il parvient à la conclusion que l'article 14 quater ne peut être appliqué aux parties demanderesses au principal puisqu'elles ont travaillé exclusivement en Belgique pendant la période de représentation de l'oeuvre, avant de retourner dans leur pays d'origine après la fin des représentations.
- 67.
- Le gouvernement du Royaume-Uni soutient que l'article 14 quater s'applique à une personne qui combine une activité non salariée dans un État et une activité salariée dans un autre État membre de façon durable et permanente.
- 68.
- Selon l'interprétation de la Commission, la répétition régulière et de manière prévisible des activités dans deux ou plusieurs États membres pendant une période déterminée, qui peut être d'un moiscomme elle peut être de plusieurs années, constitue le critère essentiel pour considérer qu'il y a exercice simultané au sens de l'article 14 quater. A ce propos, la durée de la période pendant laquelle se déroule l'exercice, en parallèle ou selon une alternance régulière, de cette double activité importe peu et cette dernière n'est d'ailleurs pas nécessairement limitée dans le temps.
- 69.
- Je crois que, pour interpréter l'article 14 quater du règlement n° 1408/71 et, plus concrètement, pour déterminer à quel moment une personne exerce simultanément une activité salariée et une activité non salariée sur le territoire de différents États membres, il faut une fois encore se référer aux termes précis de la disposition, en considérant le contexte dans lequel elle se situe.
- 70.
- Concernant son libellé, j'observe que cette disposition exige que l'exercice d'une activité salariée et d'une activité non salariée dans différents États membres soit simultané. C'est d'ailleurs la seule condition qu'elle pose.
Dans la mesure où elle détermine la législation applicable à la personne qui exerce des activités économiques dans deux ou plusieurs États membres, cette situation est comparable à celle réglementée par l'article 14, paragraphe 2, qui se rapporte à la personne exerçant normalement une activité salariée sur le territoire de deux ou plusieurs États membres, et à l'article 14 bis, paragraphe 2, relatif à la personnequi exerce normalement une activité non salariée sur le territoire de deux ou plusieurs États membres.
- 71.
- Il y a cependant une différence essentielle entre l'article 14 quater, d'une part, et les articles 14 et 14 bis, d'autre part. Le premier exige simplement que l'exercice d'activités soit simultané, sans qu'aucune des activités doive être réalisée normalement dans un ou plusieurs des États membres, tandis que les deux autres textes exigent que les activités se déroulent normalement dans les deux États.
- 72.
- Dans la pratique, l'application de cette disposition exigera, en premier lieu, que la personne ne se déplace ni dans le cadre de l'article 14, paragraphe 1, sous a), ni sous couvert de l'article 14 bis, paragraphe 1, sous a), car, dans les deux cas, c'est la législation de l'État membre dans lequel elle a été embauchée qui reste applicable, si elle est travailleur salarié, ou celle de l'État membre dans lequel elle exerce normalement l'activité non salariée, sans que la législation de l'État membre dans lequel elle réalise le travail temporaire puisse jouer un rôle dans la qualification de la nature du travail.
- 73.
- En second lieu, à la lumière de la jurisprudence De Jaeck (34), il faut considérer comme relevant du champ d'application de cette disposition la personne qui exerce dans un État membre une activité économique que la législation de sécurité sociale de cet État considèrecomme une activité non salariée aux fins de l'affiliation au régime correspondant et qui, en même temps, exerce dans un autre État membre une activité économique que la législation de sécurité sociale de cet État considère comme une activité salariée aux fins de l'affiliation au régime applicable aux travailleurs salariés.
Une bonne illustration des cas auxquels s'applique l'article 14 quater (35) est l'exemple de M. Hervein, un ressortissant français domicilié en France, qui avait exercé dans différentes sociétés établies en France et en Belgique les fonctions de président-directeur général et d'administrateur ou administrateur délégué, et que la législation française en matière de sécurité sociale considérait comme un travailleur salarié, tandis que la législation de sécurité sociale belge le qualifiait de travailleur non salarié.
- 74.
- Si ces conditions sont réunies, je pense, à l'instar de la Commission que la durée de la période au cours de laquelle cette double activité, qui n'est pas nécessairement limitée dans le temps, est exercée en parallèle, ou selon une alternance régulière, importe peu.
- 75.
- Pour les raisons que je viens d'exposer, je propose à la Cour de répondre à la juridiction nationale qu'une personne exercesimultanément une activité salariée et une activité non salariée sur le territoire de différents États membres au sens de l'article 14 quater du règlement n° 1408/71 lorsque, sans se trouver dans aucune des situations réglementées par l'article 14, paragraphe 1 et par l'article 14 bis, paragraphe 1, elle exerce dans un État membre une activité économique que la législation de sécurité sociale de cet État qualifie d'activité salariée aux fins de l'affiliation au régime correspondant de sécurité sociale tout en exerçant dans un autre État membre une activité économique que la législation de sécurité sociale de cet État considère comme une activité non salariée aux fins de l'affiliation au régime applicable aux travailleurs non salariés.
C - Sur la troisième question
- 76.
- Par la troisième question, qu'il faut, selon moi, examiner dans son ensemble, la juridiction nationale vise à savoir quels sont les effets juridiques du formulaire dont la délivrance est prévue en particulier par l'article 11 bis et par l'article 12 bis, paragraphe 7, du règlement n° 574/72, et plus particulièrement s'il est constitutif de droits ou purement déclaratif, et s'il faut lui reconnaître des effets rétroactifs.
- 77.
- Les parties demanderesses au principal soutiennent que le formulaire délivré par l'institution communautaire s'impose, prima facie, à l'institution de sécurité sociale d'un État membre ainsi qu'à la personne qui a demandé à l'intéressé de fournir des prestations, dans lamesure où elle définit la législation applicable et délimite la période pendant laquelle l'intéressé reste soumis à cette législation. Si l'institution du deuxième État membre a des doutes sur la validité ou le contenu du formulaire, elle doit, si elle veut ne pas en tenir compte, se mettre en contact avec l'institution qui l'a délivré afin de vérifier à la fois cette validité et ce contenu. Faute d'accord entre les deux institutions, celle du deuxième État doit s'adresser à la commission administrative. Si celle-ci n'invalide pas l'effet obligatoire du formulaire, ce dernier continuera de produire des effets à l'égard de l'institution de sécurité sociale du deuxième État membre.
- 78.
- Le TRM allègue que l'on ne saurait lui imposer d'accepter le formulaire puisqu'il s'agit d'un document dont le destinataire était l'institution de sécurité sociale belge, qui se refuse à les accepter. Selon lui, ce formulaire n'a de force contraignante qu'à l'égard de l'institution de sécurité sociale de l'État membre où le travail est effectué, dans la mesure où cette institution qualifie ce travail de non salarié et spécifie la législation applicable. Cette force obligatoire dure tant que le formulaire n'est pas retiré ou modifié par l'institution de sécurité sociale qui l'a délivré ou tant qu'il n'est pas annulé ou modifié par une décision judiciaire. Si le formulaire E 101 est délivré ou présenté lorsque le travail dans un autre État membre a déjà été entamé, il est dépourvu de force obligatoire et ne produit aucun effet rétroactif.
- 79.
- Le gouvernement français estime que l'institution de sécurité sociale de l'État membre dans lequel le travail est réalisé doit considérer comme valides les indications qui figurent dans le formulaire E 101, délivré par l'institution de l'État membre dans lequel l'intéressé se trouve établi et que ce formulaire peut produire des effets rétroactifs.
- 80.
- Pour le gouvernement allemand, dans la mesure où il atteste que l'intéressé reste soumis à la législation de l'État membre dont l'institution de sécurité sociale l'a établi, le formulaire litigieux ne lie que cette dernière institution et non pas celle de l'État membre dans lequel le travail est effectué, et qui n'a pas participé à cette opération. Sous ces conditions, le formulaire E 101 peut produire des effets pour une période antérieure à sa délivrance ou à sa présentation.
- 81.
- Le gouvernement des Pays-Bas estime que le formulaire E 101 n'a aucune force contraignante ni à l'égard de l'institution de l'État membre où l'activité est exercée ni à l'égard de celui qui a recours aux prestations du travailleur, mais il ajoute que ce formulaire crée cependant la présomption qu'il s'agit de l'une des situations visées au titre II du règlement n° 1408/71. Toutefois, l'institution du lieu où le travail est réalisé peut prouver que la personne à laquelle le formulaire a été délivré accomplit un travail qui ne correspond pas aux données figurant sur le formulaire. Dans la mesure où la situation de fait correspond aux informations figurant sur le formulaire, il est possible de reconnaître à ce dernier des effets rétroactifs.
- 82.
- L'opinion du gouvernement du Royaume-Uni s'écarte de celle de tous ceux qui ont présenté des observations en l'espèce, puisqu'il propose à la Cour de juger que le formulaire E 101 a des effets contraignants à l'égard de l'institution de sécurité sociale de l'État membre dans lequel le travail a été effectué ainsi qu'à l'égard de la personne qui a demandé la réalisation des prestations dans le deuxième État membre, à moins que ledit formulaire ne soit retiré par l'institution qui l'a délivré; il suggère également que ce formulaire produit un effet rétroactif lorsque les périodes auxquelles il se rapporte ont déjà expiré au moment de sa délivrance ou de sa présentation.
- 83.
- La Commission, pour sa part, considère que le formulaire litigieux ne constitue pas une preuve irréfragable qui s'imposerait à l'institution d'un autre État membre ou à la personne qui a loué les services du travailleur en question. Elle soutient également que, même si la délivrance du formulaire après le début de la période de travail dans l'autre État membre, voire après la fin de cette période, peut susciter des doutes raisonnables dans le chef de l'institution de cet État ou de l'employeur ainsi que d'indéniables problèmes de type administratif, rien ne s'oppose à ce que ce formulaire puisse produire un effet rétroactif.
- 84.
- L'article 11 bis et l'article 12 bis, paragraphe 7, du règlement n° 574/72 disposent que l'institution désignée par l'autorité compétente de l'État membre dont la législation est applicable délivre un certificatattestant, entre autres, que le travailleur demeure soumis à cette législation. Conformément à l'une des missions qui lui incombent en vertu de l'article 2, du règlement n° 574/72, la commission administrative a créé un grand nombre de modèles de formulaires, dont la finalité est de faciliter l'application des règlements nos 1408/71 et 574/72. Le certificat relatif à la législation applicable correspond au formulaire E 101 qui, avec plusieurs autres, a été établi par la commission administrative dans sa décision n° 130 (36).
- 85.
- Dans son arrêt Knoeller (37), la Cour a jugé que les articles 33 et 34 du règlement n° 4 (38), prédécesseur du règlement n° 574/72, ainsi que les prescriptions adoptées par la commission administrative en ce qui concerne le formulaire E 26 (destiné à justifier des périodes d'assurance effectuées, et qui correspond à l'actuel formulaire E 205) (39) devaient être interprétés à la lumière des articles 48 à 51 du traité, lesquels constituent le fondement, le cadre et les limites des règlements adoptés en matière de sécurité sociale. La Cour ajoute que ces articles visent en effet à favoriser la libre circulation des travailleurs à l'intérieur dumarché commun en leur permettant, entre autres, de se prévaloir des droits découlant des périodes de travail accomplies dans différents États membres. La valeur juridique du formulaire en question doit donc être appréciée de façon à ne pas mettre en péril l'effet utile de ces articles et des règlements concernant les droits des travailleurs migrants en matière de sécurité sociale.
- 86.
- Comme je l'ai indiqué, le formulaire E 101 vise à certifier la législation applicable et, pour ce qui importe ici, il s'applique aux cas prévus par l'article 14, paragraphe 1, sous a), par l'article 14 bis, paragraphe 1, sous a), et par l'article 14 quater, paragraphe 1, sous a). Il comporte deux pages, dont l'une est remplie par l'institution compétente de l'État membre à la législation duquel le travailleur est
assujetti et l'autre, au verso, contient des instructions. Les données certifiées sont, pour reprendre la terminologie qui figure dans la version française, les suivantes:
- la qualité du travailleur, s'il est salarié ou non salarié;
- les coordonnées personnelles du travailleur, son adresse habituelle et son numéro d'immatriculation;
- les données relatives à l'adresse de l'entrepreneur ou au lieu d'exercice de l'activité non salariée;
- la durée approximative, de date à date, de la période pendant laquelle le travailleur est détaché ou exercera une activité non salariée,
- le nom et l'adresse de l'établissement dans lequel il va effectuer le travail, et
- le pays à la législation duquel il restera soumis, avec indication précise de la disposition du règlement n° 1408/71 s'appliquant au déplacement, de la date de début de ce dernier et de la date prévue à laquelle il prendra fin.
La dernière case est réservée à l'institution qui délivre l'attestation; elle contient le nom de l'institution, son adresse, la date de délivrance du document, la signature de la personne autorisée et le cachet de l'institution.
- 87.
- Au verso, figurent les instructions tant pour le travailleur que pour l'institution compétente du lieu du séjour. En ce qui concerne l'institution de l'État à la législation duquel est soumis le travailleur, la seule indication est qu'elle doit remplir le formulaire, à la demande du travailleur ou de son employeur, et le remettre au demandeur. Il est précisé qu'elle doit également adresser un exemplaire du formulaire à l'Office national de sécurité sociale à Bruxelles lorsque le travailleur est détaché en Belgique.
- 88.
- En examinant les formulaires E 101 versés au dossier, qui couvrent le déplacement des parties demanderesses au principal pour participer à la représentation d'un opéra à Bruxelles, j'observe qu'ils ont été délivrés et cachetés par le «Department of Social Security, Overseas Branch» à Newcastle upon Tyne, qui était, à l'époque des faits, l'institution désignée par l'autorité compétente dans cet État membre, conformément à la modification apportée au point 1 de la rubrique L de l'annexe 10 du règlement n° 574/72 par le règlement (CEE) n° 2195/91 (40). Ces formulaires indiquent concrètement que la législation britannique reste applicable pendant le déplacement, dont la durée est en outre confirmée par les données qui figurent dans les contrats des parties demanderesses.
Il semble donc bien que soient réunies les conditions requises par l'article 14 bis, paragraphe 1, sous a), et que j'ai exposées dans mon examen de la première question préjudicielle, à savoir qu'il s'agit de personnes qui exercent normalement une activité pour leur compte propre au Royaume-Uni et se déplacent pour réaliser un travail concret, dont le contenu est spécifié dans un contrat et dont la durée, de date à date, est connue à l'avance.
Le fait de délivrer ce formulaire à l'un de ses affiliés en déclarant que sa législation reste applicable pendant la durée du travail qu'il réalise dans un autre État membre signifie, dans la pratique, non seulement que le travailleur déplacé sera exempté du devoir de cotiser dans le deuxième État, mais aussi que l'institution du premier État se fait responsable de sa couverture en matière de sécurité sociale.
- 89.
- Dans ses conclusions présentées dans l'affaire Calle Grenzshop Andresen (41), auxquelles je me rallie entièrement, l'avocat général M. Lenz a émis une opinion extrêmement détaillée et solidement motivée sur les effets juridiques que le formulaire E 101 est appelé à produire.
- 90.
- Son raisonnement dans cette affaire est basé sur le fait que la juridiction de renvoi était partie du postulat que le formulaire E 101, versé au dossier dans le litige au principal, émanait d'une autorité non compétente. La différence entre cette affaire et le cas présent réside dans le fait qu'à l'heure actuelle, c'est l'institution de sécurité sociale belge qui se refuse carrément à accepter la validité des formulaires E 101, non pas dans un cas concret, parce qu'elle a des doutes sur la réalité des faits qu'ils attestent, mais systématiquement, dans tous les cas où les formulaires ont été délivrés par l'institution compétente duRoyaume-Uni en faveur de personnes qui exercent dans cet État membre une activité non salariée.
- 91.
- Comme l'avocat général M. Lenz le souligne à très juste titre dans les conclusions précitées, «admettre que la déclaration faite par une autorité compétente d'un État membre puisse, sans aucune formalité, être remise en question par l'autorité compétente d'un autre État membre serait faire échec à l'objectif des modalités d'administration de preuve consistant en une déclaration ayant force obligatoire et portant sur la législation applicable. Cette analyse mettrait en outre en péril un des principes fondamentaux du règlement n° 1408/71, à savoir l'applicabilité de la législation d'un seul État membre» (42).
- 92.
- D'autre part, dans l'arrêt Romano (43) où il s'agissait de la validité de la décision n° 101 de la commission administrative concernant la date à prendre en considération pour déterminer les taux de conversion à appliquer lors des calculs de certaines prestations, la Cour a estimé qu'un organe comme la commission administrative ne pouvait être habilité par le Conseil à arrêter des actes revêtant un caractère normatif et que, tout en étant susceptible d'apporter une aide aux institutions de sécurité sociale chargées d'appliquer le droit communautaire dans cedomaine, une décision de la commission administrative ne saurait obliger ces institutions à suivre certaines méthodes ou à adopter certaines interprétations lorsqu'elles procèdent à l'application des règles communautaires.
- 93.
- Je crois donc qu'un formulaire réunissant les caractéristiques décrites ci-dessus, qui a été établi par la commission administrative afin de faciliter l'application du règlement n° 1408/71, produit uniquement des effets déclaratifs, mais jouit d'une présomption de validité iuris tantum sur tous les points qu'il atteste et lie l'institution compétente de l'État membre dans lequel le travailleur se rend pour effectuer le travail temporaire.
Selon moi, l'attestation délivrée par l'institution compétente d'un État membre, relative à la législation applicable, ne peut avoir pour destinataires que les autorités nationales d'un autre État membre au sens large et, plus concrètement, l'institution compétente de cet État. C'est pourquoi, celui qui a contracté à titre temporaire les prestations du travailleur ne pourra être lié, au sens que j'ai indiqué, par le formulaire E 101, que si la législation nationale de sécurité sociale le désigne comme étant l'institution compétente pour ce cas concret (44).
- 94.
- Dans l'arrêt Knoch (45), la Cour a statué sur diverses questions préjudicielles posées par le Bundessozialgericht, qui voulait savoir, entre autres, si l'attestation prévue à l'article 84, paragraphe 2, du règlement n° 574/72, applicable aux travailleurs salariés au chômage qui, au cours de leur dernier emploi, résidaient dans un État membre autre que l'État compétent, est obligatoire pour l'institution d'un autre État membre et pour les juridictions de cet État. Après avoir rappelé que cette attestation est un formulaire type rédigé par la commission administrative, dont les actes ne peuvent avoir de caractère normatif, la Cour a jugé que l'institution compétente de l'État membre où l'intéressé réside ou, dans le cadre d'une procédure judiciaire, la juridiction nationale restent entièrement libres de vérifier le contenu de cette attestation et que, par conséquent, l'attestation délivrée conformément à l'article 84, paragraphe 2, du règlement n° 574/72 ne constitue pas une preuve irréfragable à l'égard de l'institution d'un autre État membre compétente en matière de chômage ni à l'égard des tribunaux de cet État.
- 95.
- S'il est démontré que, dans un cas concret, le formulaire E 101 contient des erreurs matérielles ou si l'institution compétente d'un État membre l'a délivré sur la base de faits qui ne correspondent pas à la réalité, le certificat doit être annulé par cette institution et il faudra réexaminer à partir de là quelle est la législation applicable à l'intéressépendant la période dont il s'agit. Bien entendu, rien n'empêche la communication entre les institutions des États membres quand elles ont des doutes sur l'applicabilité d'une disposition au cas concret et sur la preuve apportée par l'intéressé
- 96.
- En ce qui concerne la durée des effets obligatoires du formulaire E 101 dans le temps, ni les dispositions des règlements nos 1408/71 et 574/72, ni les décisions adoptées jusqu'à ce jour par la commission administrative ne prévoient de délai pour la délivrance de l'attestation relative à la législation applicable ni n'indiquent jusqu'à quand cette attestation produit des effets.
J'observe néanmoins que le document atteste que, pendant la période située entre deux dates concrètes, l'intéressé reste soumis à la législation de l'État membre dans lequel il exerce normalement une activité non salariée et que le formulaire mentionne également sa date de délivrance. Comme il s'agit d'une déclaration qui affecte une période déterminée, je ne vois aucune raison de juger que ses effets doivent rester limités dans le temps, en ce sens qu'il perdrait toute valeur à l'expiration d'un certain délai.
- 97.
- Je crois que le même raisonnement s'applique à ses éventuels effets rétroactifs, a fortiori quand l'article 1er de la décision n° 126 (46) de la commission administrative dispose que l'institution visée aux articles 11 et 11 bis du règlement n° 574/72 doit délivrer une attestation concernant la législation applicable (formulaire E 101), même si la délivrance de cette attestation est demandée après le début de l'activité exercée sur le territoire d'un État autre que l'État compétent par le travailleur visé, entre autres, à l'article 14 bis, paragraphe 1, sous a), du règlement n° 1408/71.
Dans la mesure où cette attestation est délivrée alors que le travail a déjà commencé, voire après la fin de ce dernier s'il a été de très courte durée, le document devra produire des effets pour le passé, par rapport à la période à laquelle il se rapporte.
- 98.
- Je propose par conséquent à la Cour de répondre à la troisième question en déclarant que le formulaire E 101 ne produit que des effets déclaratifs, mais jouit d'une présomption de validité iuris tantum sur tous les points qu'il atteste et lie l'institution compétente de l'État membre dans lequel le travailleur se rend pour effectuer un travail de durée temporaire. La personne qui a recours aux prestations d'un travailleurne sera liée par ce formulaire que si sa législation nationale de sécurité sociale la désigne comme étant l'institution compétente dans le cas concret. Comme les dispositions examinées ne prévoient aucun délai pour la délivrance de formulaire E 101 et n'indiquent pas non plus jusqu'à quand il produit des effets, il n'y a rien qui permette d'en limiter la période de validité ou de lui dénier des effets rétroactifs.
Conclusion
- 99.
- Conformément aux considérations qui précèdent, je propose à la Cour de justice de répondre aux questions préjudicielles posées par le tribunal du travail de Bruxelles dans les termes suivants:
«1) La notion de 'travail figurant à l'article 14 bis, paragraphe 1, sous a), du règlement (CEE) n° 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté, dans sa version modifiée et mise à jour par le règlement (CEE) n° 2001/83 du Conseil, du 2 juin 1983, et ultérieurement par le règlement (CEE) n° 3811/86 du Conseil, du 11 décembre 1986, se réfère à l'exercice de toute activité économique, quelle qu'elle soit. Le fait que la législation de sécurité sociale de l'État membre dans lequel le travail est réalisé considère ce derniercomme une activité salariée ou comme une activité non salariée est dépourvu de pertinence aux fins de l'application de cette disposition.
2) Une personne exerce simultanément une activité salariée et une activité non salariée sur le territoire de différents États membres, au sens de l'article 14 quater du règlement n° 1408/71 lorsque, sans se trouver dans aucune des situations réglementées par l'article 14, paragraphe 1 et par l'article 14 bis, paragraphe 1, elle exerce dans un État membre une activité économique que la législation de sécurité sociale de cet État la qualifie d'activité salariée aux fins de l'affiliation au régime correspondant de sécurité sociale tout en exerçant dans un autre État membre une activité économique que la législation de sécurité sociale de cet État considère comme une activité non salariée aux fins de l'affiliation au régime applicable aux travailleurs non salariés.
3) Le formulaire E 101 ne produit que des effets déclaratifs, mais jouit d'une présomption de validité iuris tantum sur tous les points qu'il atteste et lie l'institution compétente de l'État membre dans lequel le travailleur se rend pour effectuer un travail de durée temporaire. La personne qui a recours aux prestations d'un travailleur ne sera liée par ce formulaire que si sa législation nationale de sécurité sociale la désigne comme étant l'institution compétente dans le cas concret. Comme lesdispositions examinées ne prévoient aucun délai pour la délivrance du formulaire E 101 et n'indiquent pas non plus jusqu'à quand celui-ci produit des effets, il n'y a rien qui permette d'en limiter la période de validité ou de lui dénier des effets rétroactifs.»
1: Langue originale: l'espagnol.
2: -
Règlement (CEE) n° 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté, dans la version modifiée et mise à jour par le règlement (CEE) n° 2001/83 du Conseil, du 2 juin 1983 (JO L 230, p. 6), puis par le règlement (CEE) n° 3811/86 du Conseil, du 11 décembre 1986 (JO L 355, p. 5).
3: -
Le premier opéra qui soit parvenu jusqu'à nous est Euridìce, de Jacopo Peri, composé à la fin du XVIe siècle, puisque de Dàfne, une fable dramatique du même auteur, il ne nous reste que quelques fragments musicaux et que l'Amfiparnaso d'Orazio Vecchi, considéré par certains comme le premier exemple d'opéra lyrique, n'est qu'un vaste exercice de polyphonie englobant de petites chansons, des pantomimes, des madrigaux et des dialogues. Euridìce a été représenté pour la première fois le 6 octobre 1600 au Palais Pitti à Florence, à l'occasion des noces de Marie de Médicis avec Henri IV de France.
4: -
Dans son ouvrage «L'arte del canto», dont l'édition originale remonte à 1989 (Rusconi Libri S.p.a.), Giuseppe Di Stefano écrit que «devenir un chanteur d'opéra dans le sens le plus complet du terme me semblait un objectif hors d'atteinte. Chanter une romance était chose facile, mais aller sur scène en costume, se déplacer de façon appropriée, se souvenir des notes et de leur valeur musicale, apprendre par coeur les textes ... en leur donnant l'expression appropriée, chercher sans cesse le son le plus beau, le plus juste et enfin suivre le chef d'orchestre sans qu'il y paraisse, me semblait tenir du ... monstrueux!».
5: -
Dans le même ouvrage, Di Stefano raconte que, lors de son service militaire à Frugarolo, province d'Alessandria, à l'aube de la deuxième guerre mondiale, un médecin militaire l'avait convoqué pour lui ordonner de chanter. «Je ne crois pas avoir jamais obéi à l'attaque d'un chef d'orchestre avec plus d'empressement qu'en cette occasion. Toujours au garde-à-vous, j'ai chanté, d'un seul trait, 'Che gelida mannina, la célèbre romance de La Bohème, de G. Puccini». L'officier sourit et son verdict fut immédiat: «Tu quittes le bataillon de mortiers et je te prends avec moi pour travailler à l'infirmerie; tu seras moins exposé aux rigueurs du climat».
6: -
Règlement (CEE) n° 574/72 du Conseil, du 21 mars 1972, fixant les modalités d'application du règlement (CEE) n° 1408/71 relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté, dans la version modifiée et mise à jour par le règlement (CEE) n° 2001/83 du Conseil, du 2 juin 1983 (JO L 230, p. 86), puis par le règlement (CEE) n° 3811/86 précité.
7: -
Le 14 juillet 1959, Maria Callas a donné au Théâtre Royal de la Monnaie un concert mémorable, au cours duquel elle a chanté «Ernani involami» (de l'opéra Ernani) et «Tu che la vanità» (de Don Càrlo), deux airs de Verdi d'une dimension musicale et dramatique considérable. Le prestigieux théâtre de Bruxelles peut s'enorgueillir d'avoir reçu une chanteuse qui, pour reprendre les termes employés par le chef d'orchestre et écrivain René Leibowitz dans un article publié dans la revue de Jean-Paul Sartre «Les temps modernes», était «unique parmi les sopranos, dont la réputation d'artiste prodigieuse a dépassé les limites de ce qui est normalement établi même pour les plus grandes vedettes, dont le prestige est le mieux établi» (Ardoin, J.: Callas. El arte y la vida, Ed. Pomaire, Barcelone, 1979, p.4).
8: -
Règlement (CEE) n° 2001/83 du Conseil, du 2 juin 1983, portant modification et mise à jour du règlement (CEE) n° 1408/71 relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté, et du règlement (CEE) n° 574/72 fixant les modalités d'application du règlement (CEE) n° 1408/71 (JO L 230, p. 6).
9: -
Cet article fait en effet partie du règlement n° 574/72 et non pas du règlement n° 2001/83, qui est cité par la juridiction de renvoi. Le règlement n° 2001/83 se compose de trois articles qui se limitent à prévoir, outre son entrée en vigueur, le remplacement du titre, du sommaire et des dispositions des règlements nos 1408/71 et 574/72 par les textes figurant comme annexes I et II au règlement n° 2001/83.
10: -
La commission administrative a été créée par l'article 80 du règlement n° 1408/71. Elle est rattachée à la Commission des Communautés européennes et composée d'un représentant gouvernemental de chacun des États membres. La majeure partie des tâches qui lui sont attribuées est décrite à l'article 81 du règlement précité et à l'article 2 du règlement n° 574/72.
11: -
Décision n° 130 de la commission administrative des Communautés européennes pour la sécurité sociale des travailleurs migrants, du 17 octobre 1985, concernant les modèles de formulaires nécessaires à l'application des règlements (CEE) nos 1408/71 et 574/72 du Conseil (E 001, E 101-127, E 201-215, E 301-303, E 401-411) (JO L 192, 1986, p. 1).
12: -
Arrêt du 11 août 1995 dans l'affaire Commission/Allemagne (C-431/92, Rec. p. I-2189), point 22.
13: -
Ibidem, point 21.
14: -
Règlement (CEE) n° 1390/81 du Conseil, du 12 mai 1981, étendant aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille le règlement (CEE) n° 1408/71 relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés et à leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté (JO L 143, p. 1).
15: -
JO C 14, 1978, p. 9.
16: -
JO C 246, p. 2.
17: -
Il se trouve cependant que la Cour est en ce moment même saisie d'une telle question d'interprétation dans l'affaire C-3/98, Schacht, sur demande préjudicielle du Hof van beroep te Gent, de Belgique. La question préjudicielle a été publiée au Journal officiel des Communautés européennes C 72, du 7 mars 1998, p. 9.
18: -
Arrêt du 13 mars 1997, Huijbrechts (C-131/95, Rec. p. I-1409, point 16). Dans le même sens, voir les arrêts du 1er avril 1993, Findling Wälzlager (C-136/91, Rec. p. I-1793, point 11) et du 2 juin 1994, AC-ATEL Electronics Vertriebs (C-30/93, Rec. p. I-2305, point 21).
19: -
Point 17 de l'arrêt Huijbrechts, précité à la note 17. Dans le même sens, voir les arrêts du 24 mars 1994, Van Poucke (C-71/93, Rec. p. I-1101, point 22); du 16 février 1995, Calle Grenzshop Andresen (C-425/93, Rec. p. I-269, point 9), et du 11 juin 1998, Kuusijärvi (C-275/96, Rec. p. I-3419, point 28).
20: -
Arrêt du 5 mai 1977, Perenboom (C-102/76, Rec. p. 815, point 11).
21: - Dans mes conclusions dans les affaires qui ont donné lieu aux arrêts des 30 janvier 1997, De Jaeck (C-340/94, Rec. p. I-461) et Hervein (C-221/95, Rec. p. I-609), en particulier aux p. I-494 et I-634, j'ai proposé à la Cour que, en plus de répondre aux questions préjudicielles, elle déclare l'invalidité de l'article 14 quater, paragraphe 1, sous b) et de l'annexe VII du règlement n° 1408/71, dans la mesure où ils disposent que la personne qui exerce simultanément une activité salariée sur le territoire d'un État membre et une activité non salariée sur le territoire d'un autre État membre est soumise à la législation de chacun de ces États.
22: -
Arrêt du 29 juin 1994, Aldewereld (C-60/93, Rec. p. I-2991, points 18 à 20).
23: -
Arrêts du 10 juillet 1986, Luijten (C-60/85, Rec. p. 2365, point 14); du 3 mai 1990, Kits van Heijningen (C-2/89, Rec. p. I-1755, point 20); du 4 octobre 1991, De Paep (C-196/90, Rec. p. I-4815, point 18, et du 11 juin 1998, Kuusijärvi, précité à la note 18.
24: -
Règlement n° 3 du Conseil, du 25 septembre 1958 (JO 1958, p. 561).
25: -
Arrêt du 17 décembre 1970, Manpower (35/70, Rec. p. 1251, points 10 à 12). Dans le même sens, voir l'arrêt du 5 décembre 1967, Van der Vecht (19/67, Rec. p. 445, en particulier à la p. 457).
26: -
Décision n° 128 de la commission administrative des Communautés européennes pour la sécurité sociale des travailleurs migrants, du 17 octobre 1985, concernant l'application des articles 14, paragraphe 1, sous a), et 14 ter, paragraphe 1, du règlement (CEE) n° 1408/71 du Conseil, relatif à la législation applicable aux travailleurs détachés (JO C 141, 1986, p. 6).
27: -
Décision n° 162 de la commission administrative des Communautés européennes pour la sécurité sociale des travailleurs migrants, du 31 mai 1996, concernant l'interprétation de l'article 14, paragraphe 1 et de l'article 14 ter, paragraphe 1, du règlement (CEE) n° 1408/71 du Conseil, relatif à la législation applicable aux travailleurs détachés (JO L 241, p. 28).
28: -
Précité à la note 20, ci-dessus, point 19.
29: -
Arrêt du 12 mai 1998, Martínez Sala (C-85/96, Rec. p. I-2691, points 32 et 36).
30: -
Règlement (CEE) n° 1612/68 du Conseil, du 15 octobre 1968, relatif à la libre circulation des travailleurs à l'intérieur de la Communauté (JO L 257, p. 2).
31: -
Cité à la note 20, ci-dessus, points 22 et 23.
32: -
Arrêts du 28 février 1989, Schmitt (29/88, Rec. p. 581), et du 20 octobre 1993, Baglieri (C-297/92, Rec. p. I-5211, point 13).
33: -
Ce cas de figure a déjà été examiné par la Cour dans les arrêts Van der Vecht et Manpower, précités à la note 24.
34: -
Arrêt précité à la note 20 ci-dessus.
35: -
Voir l'arrêt du 30 janvier 1997, Hervein (C-221/95, Rec. p. I-609) et les conclusions que j'ai présentées le 11 juillet 1996 dans cette affaire, Rec. p. I-611 et suiv.
36: -
Précitée à la note 10, ci-dessus.
37: -
Arrêt du 11 mars 1982, Knoeller (93/81, Rec. p. 951, point 9).
38: -
Règlement n° 4 du Conseil, du 3 décembre 1958, fixant les modalités d'application du règlement n° 3 (JO du 16 décembre 1958).
39: -
Le modèle actuellement en vigueur a été établi par la décision n° 158 de la commission administrative des Communautés européennes pour la sécurité sociale des travailleurs migrants, du 27 novembre 1995, concernant les modèles de formulaire nécessaires à l'application des règlements (CEE) nos 1408/71 et 574/72 du Conseil (E 201 à E 215) (JO L 336 de 1996, p. 1).
40: -
Règlement (CEE) n° 2195/91 du Conseil, du 25 juin 1991, modifiant le règlement (CEE) n° 1408/71 relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté et le règlement (CEE) n° 574/72 fixant les modalités d'application du règlement (CEE) n° 1408/71 (JO L 206, p. 2).
41: -
Conclusions présentées dans l'affaire Calle Grenzshop Andresen, dont l'arrêt est cité à la note 18, ci-dessus, Rec. 1995, p. I-271 et suiv., en particulier aux p. I-282 et suiv.
42: -
Ibidem, point 61.
43: -
Arrêt du 14 mai 1981, Romano (98/80, Rec., p. 1241, point 20).
44: -
Voir, par exemple, l'arrêt du 3 juin 1992, Paletta (C-45/90, Rec. p. I-3423). En droit allemand, c'est l'employeur qui est l'institution compétente pour le paiement des prestations en espèces au travailleur pendant les six premières semaines de maladie.
45: -
Arrêt du 8 juillet 1992, Knoch (C-102/91, Rec. p. I-4341, points 53 et 54).
46: -
Décision n° 126 de la commission administrative des Communautés européennes pour la sécurité sociale des travailleurs migrants, du 17 octobre 1985, concernant l'application des articles 14, paragraphe 1, sous a), 14 bis, paragraphe 1, sous a), et 14 ter, paragraphes 1 et 2, du règlement (CEE) n° 1408/71 (JO C 141, du 7 juin 1986, p. 3).