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Paolo Gori
Première séance de travail — L’arrêt
de sa portée. Le fait que, parmi les milliers de documents des délibérés de la
Cour que j’ai eus en main dans ma fonction de référendaire, j’ai gardé préci-
sément la note en délibéré que j’ai évoquée, témoigne de ce que nous avions
conscience de l’importance de la décision que cette note proposait. Bien en-
tendu, on n’avait pas envisagé tout de suite la myriade d’effets indirects qui en
auraient découlé. Mais on voyait bien quelles étaient ses implications princi-
pales, et, en tout premier lieu, le principe de la priorité du droit communau-
taire sur le droit des États membres.
Comment se fait-il que, parmi les différentes options qu’on aurait pu
raisonnablement justifier en droit, la Cour ait choisi celle qui apparaissait à
l’époque la plus innovatrice? En effet, elle battait en brèche la doctrine du
caractère absolu de la souveraineté étatique en allant contre des conceptions
traditionnelles très largement partagées sur les relations entre le droit issu de
traités internationaux et le droit national. Ainsi, elle introduisait des limi-
tations substantielles à la souveraineté des États membres par l’élimination
dans une large mesure, dans le champ d’application du droit communautaire,
du diaphragme étatique entre la Communauté européenne et ses ressortis-
sants. À cet effet, la Cour élargissait considérablement la sphère des droits de
ces derniers vis-à-vis des États membres et établissait les prémisses pour l’af-
firmation de la primauté du droit commun et, dès lors, la possibilité concrète
d’obtenir une protection efficace même vis-à-vis du législateur national. Une
telle solution était rejetée non seulement par le juge rapporteur et l’avocat gé-
néral de la Cour, mais également par la totalité des gouvernements nationaux
ainsi que par la doctrine dominante de droit constitutionnel et international
de plusieurs États membres. Comment un organisme encore très jeune a-t-il
pu défier autant les autorités politiques nationales et l’opinion publique la plus
qualifiée? Ma réponse, inévitablement partielle, ne sera fondée que sur mes
souvenirs personnels de ce qui s’est passé à la Cour de justice à l’occasion de
cette prise de cette décision.
À l’époque de la décision Van Gend, les personnalités les plus marquantes
parmi les sept juges qui composaient la Cour étaient, à mon sens, par ordre
d’ancienneté de service, Otto Riese, ancien professeur de droit privé comparé
et juge à la Cour de cassation fédérale allemande, Mathias Donner, professeur
de droit administratif aux Pays-Bas, Alberto Trabucchi, professeur de droit
civil à l’université de Padoue, et Robert Lecourt, avocat et ancien ministre
dans le gouvernement français. Il est désormais connu que ceux qui ont pro-
posé et soutenu, contre la majorité initiale, la ligne de raisonnement qui a été
finalement adoptée par la majorité des juges, quatre sur sept, étaient les deux